“Nous parlons d’une des priorités actuelles de l’État sur le territoire de Mayotte”, assure Jérôme Millet

Distributions de bons alimentaires, installations de rampes d’eau, état des stocks… Jérôme Millet, secrétaire général adjoint de la préfecture de Mayotte et à la manœuvre sur ces questions fait le point sur la réponse de l’État face à la montée en puissance alarmante des besoins d’assistance alimentaire sur le territoire.

Flash Infos : Vous annoncez aujourd’hui modifier les modalités de distribution alimentaire, quels seront les contours des nouvelles opérations ?

Jérôme Millet : L’expérience nous a montré qu’il était difficile de procéder à des distributions de denrées alimentaires tout en permettant un respect satisfaisant des gestes barrières tels que la distanciation sociale. Nous nous orientons donc dorénavant vers des distributions de bons alimentaires opérées en partenariat avec les associations et les centres communaux d’action sociale. Les choses avancent, et pour preuve, j’ai déjà pu distribuer ce samedi 100.000 euros de bons à une dizaine d’associations.

FI : Cela sera-t-il assez au regard des demandes ? Les moyens humains, notamment en bénévolat, sont-ils suffisants dans les associations ?

J. M. : Au niveau de la demande, les choses sont relativement difficiles à évaluer. D’où l’intérêt de ce partenariat avec les acteurs de terrain. Ce sont les associations qui donnent le rythme, mais à leur côté, l’État est pleinement mobilisé : pour le moment nous avons bloqué 300.000 euros pour cette opération et bénéficions de 100.000 euros supplémentaires par l’intermédiaire du Haut commissariat à la lutte contre la pauvreté. Nous distribuons cela avec nos partenaires de terrain, mais nous reposons également sur des critères objectifs de pauvreté comme les quartiers dits “politique de la ville”, tout en gardant une certaine flexibilité et c’est pour cette raison que nous organisons la distribution en plusieurs fois, afin d’être en mesure de réajuster le tir si besoin. Plutôt que d’avaler le nombre de bénéficiaires potentiels, nous préférons raisonner en termes de familles, ce que font également les CCAS. Un certain nombre d’entre elles sont déjà identifiées, mais quand on sait que 84 % de la population vit ici en dessous du seuil de pauvreté, on voit bien bien qu’il faut aller plus loin et c’est notamment l’une des missions confiées aux associations : identifier sur le terrain les familles dans le besoin, entrer dans une logique de complémentarité entre tous les acteurs afin que l’on puisse couvrir au mieux les besoins.

Concernant les moyens humains disponibles, nous n’avons pas pour le moment eu de retour s’alarmant d’un manque de bénévoles ou de personnels. Les forces humaines ne semblent pas être la première des difficultés rencontrées par les associations. Par ailleurs, la plateforme jeveuxaider a déjà récolté plus de 1.000 inscriptions sur le territoire, nous pouvons faire appel à ces volontaires si besoin.

FI : Au-delà du problème alimentaire, se pose celui de l’accès à l’eau, quelle sera la réponse de l’État ?

J. M. : Le problème, comme celui de l’alimentation, n’est pas nouveau, mais la crise tend à l’aggraver fortement. Et l’urgence appelle effectivement à une réponse, c’est pour cette raison qu’avec l’appui de l’ARS, nous allons installer une quinzaine de rampes d’eau sur les points les plus critiques. Nous allons mettre rapidement cela en place, avec un à trois jours d’installation selon les conditions de terrain. Par ailleurs, le préfet va proposer aux élus locaux d’ouvrir certains établissements de leurs villes afin de permettre un accès à l’eau dans le respect des gestes barrières. Car, rappelons-le, cette compétence relève des communes et non de l’État, même en période de crise. Enfin, nous allons mettre en œuvre avec nos partenaires une distribution beaucoup plus large des cartes monétiques qui permettent l’accès aux bornes afférentes. 700 cartes seront ainsi distribuées dans les Douka Bé pour permettre un accès beaucoup plus largeur celui permis par le système précédent.

FI : De manière générale, ne vous êtes-vous pas sentis pris de court par la rapidité avec lesquels ces besoins se sont fait ressentir ? Vous sentez-vous aujourd’hui en capacité d’y répondre ?

J. M. : La pauvreté existait déjà à Mayotte. Mais la crise est venue bousculer l’économie informelle dont une partie de la population dépendait, elle a encore plus précarisé une partie des habitants de l’île. Par ailleurs, la fermeture des établissements scolaires a empêché bon nombre d’enfants d’accéder à un repas quotidien. Mais face à cela, la myriade d’acteurs qui œuvre dans l’aide alimentaire s’est mobilisée et l’État, comme je vous l’ai dit, a réussi à trouver des fonds. Déjà, fin mars, c’est bien l’État qui a proposé d’agir avec la distribution de 30.000 collations. C’est le préfet qui a appelé les grandes et moyennes surfaces à faire don de leurs invendus. Et c’est aussi lui qui a fait sauter le verrou empêchant jusqu’à présent à de nombreuses associations de procéder à de la distribution alimentaire, ce qui a eu pour effet de démultiplier le nombre d’acteurs en mesure de venir en aide à la population.

Et nous ne nous arrêtons pas là, car, par exemple, nous envisageons la réouverture de certains marchés dans le respect des mesures sanitaires. D’ici la fin de semaine, nous poursuivrons notre accompagnement des communes en livrant un guide méthodologique de distribution alimentaire afin d’éviter les rassemblements que nous avons pu observer.

Nous parlons là d’une des priorités actuelles de l’action de l’État à Mayotte. Nous nous mettons en état de répondre à la crise alimentaire afin qu’elle ne se mue pas en une crise d’ordre public. Les efforts, notamment financiers, en ce sens, sont considérables.

F. I : L’état des stocks suscite-t-il de l’inquiétude ? Notamment à l’approche du ramadan ?

J. M. : Concernant le ramadan, nous nous préparons. Le préfet a mis en place un groupe de travail composé de Mahorais musulmans afin qu’il livre ses recommandations pour concilier les pratiques religieuses et celles qu’impose la crise sanitaire. Sur son impact au niveau des stocks, nous ne sommes pas spécialement inquiets, car les achats massifs semblent déjà avoir eu lieu, ils vont perdurer encore quelques jours puis devraient baisser. Concernant le stock général, nous suivons de très près l’état des denrées de manière quotidienne. Et nous bénéficions aujourd’hui de deux ponts : l’un aérien et rapide, l’autre maritime qui met certes un peu plus de temps à s’organiser, mais qui assure un réapprovisionnement massif.

Propos recueillis par G. M

 

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