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Attaquée de toutes parts à Mayotte, Panima tente de riposter

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Entre la polémique sur la qualité des repas livrés aux confinés du RSMA, et la mise à l’arrêt d’une partie importante de son activité à cause du confinement, l’entreprise de restauration collective est sur tous les fronts. Mais face à ces multiples coups durs, son directeur, Gilles Rouinvy, ne baisse pas les bras et répond aux critiques. Entretien.

Flash Infos : Le nom de Panima revient régulièrement sur le devant de la scène, qu’il s’agisse des aides alimentaires, ou du RSMA. Panima est la première entreprise de restauration collective à Mayotte, et vous fournissez aussi, en temps normal, le centre universitaire de formation et de recherche, Air Austral, les écoles… Quel impact a le confinement sur votre activité ?

Gilles Rouinvy : Cette situation met l’entreprise en difficulté. Pour vous donnez une idée, ce sont 50.000 collations par jour que l’on ne distribue plus aujourd’hui. Désormais, nous ne fournissons plus que le RSMA et le CHM. Et un petit peu les points chauds de l’île, à qui nous livrons du pain minute trois jours par semaine. Tout le reste a été interrompu. Le CUFR de Dembéni est à l’arrêt, le CRA également, la cafétéria de la Deal, et bien sûr la restauration scolaire. Normalement, nous avons des contrats sur un ou deux ans avec nos partenaires, mais comme il s’agit d’un cas de force majeure, nous n’avons plus de bons de commande. Et nous ne sommes pas les seuls à en souffrir ! Nous devons être quatre ou cinq prestataires dans la même situation depuis le 16 mars. Sans parler de nos fournisseurs. Je pense par exemple à Ovoma pour les œufs ou la Laiterie de Mayotte pour les yaourts. En tout, ce sont 80.000 produits par semaine pour la Laiterie et 50.000 œufs par semaine pour Ovoma que nous n’utilisons plus pour ces collations dont nous avons dû interrompre la production. Pour ces entreprises mahoraises, il ne reste guère que la grande distribution comme débouché… C’est regrettable, d’autant que j’ai pris la direction de Panima depuis trois ans pour développer des filières d’approvisionnement locales. Nous devions en faire de même pour les fruits et légumes, et ce chantier-là est maintenant, lui aussi, remis à plus tard. Je déplore cette situation, alors que Panima est une entreprise qui doit justement, de par sa taille, porter le développement de Mayotte.

FI : Combien de salariés se rendent désormais sur le site ? Comment avez-vous réparti vos forces ?

G.R. : Sur les 200 personnes qui travaillent chez nous, ils ne sont plus qu’une cinquantaine. Et leur activité se concentre sur la préparation des repas pour le RSMA et le CHM. Plus exactement, nous en avons 40 qui travaillent au sein de l’entreprise et cinq au CHM contre six avant le confinement. Pour les autres, nous avons d’abord misé sur les congés payés, avec pour but de préserver au maximum les salaires. Mais une fois cette cartouche épuisée, nous avons dû avoir recours à l’activité partielle pour une partie importante de nos salariés : 80 % des agents sont en activité partielle aujourd’hui. Mon objectif ? Qu’ils reviennent le plus vite possible, pour ramener leur rémunération à leur niveau d’origine. Et nous pouvons y arriver. En effet, j’attends des nouvelles du commandant pour la réouverture du centre de rétention (CRA) transformé en centre d’hébergement pour les quatorzaines. Dès que son activité va redémarrer, je vais pouvoir y envoyer six salariés, aujourd’hui au chômage technique. Ensuite, cette dernière semaine, exceptionnellement, j’ai pu mobiliser vingt salariés de plus grâce à la mairie de Koungou, qui a relancé les aides alimentaires dans plusieurs écoles de la commune. Si toutes les mairies de l’île s’y mettaient elles aussi, nous pourrions même retrouver 100 % de nos forces vives.

FI : Quel rôle jouez-vous dans les aides alimentaires ? Certaines mairies ou associations préfèrent le système des bons, plutôt que les distributions, dont certaines ont dû être annulées à cause des craintes d’attroupements…

G.R. : En effet, cela a été le cas le 3 avril dernier, où nous étions mobilisés pour fournir les 30.000 collations de la PARS, dont la gestion de la distribution a été remise à la dernière minute par la préfecture aux mairies et CCAS. Mais cela s’est relativement bien passé. En ce qui concerne les bons alimentaires, je ne sais pas très bien quel mécanisme peut permettre de faire passer la PARS en bons et ce n’est pas vraiment de mon ressort. Ce que je sais, c’est qu’ils sont justement en pleine réflexion au rectorat pour définir la meilleure méthode pour fournir ces aides. Nous avions initié une première mouture avec les établissements, mais c’est tombé à l’eau à cause des craintes liées aux attroupements lors de la distribution. Désormais, la préfecture a mis en place un guide des bonnes pratiques. Et l’action que nous menons avec la mairie de Koungou prouve que ces distributions peuvent se passer dans l’ordre. Nous avons pu relancer les collations par le biais de la PARS et constitué pour chaque élève un colis de 33 jours de collations. Toute cette semaine, nos camions vont dans les écoles de la commune. Lundi, nous avons donc livré 700 colis, mardi c’était 500, aujourd’hui (mercredi) 1.300 et jeudi 500, soit plus de 3.000 colis. Il ne s’agit que de denrées non périssables, des collations sèches, sans problème de conservation.

FI : La polémique enfle sur la situation au RSMA. Les confinés se plaignent de la qualité des repas. Lundi soir, certains ont assuré avoir ressenti des maux de ventre après avoir consommé un repas périmé et mardi matin, ils ont entamé une grève de la faim (voir encadré). Que répondez-vous ?

G.R. : Pour les quarante personnes qui viennent travailler tous les matins à Dembéni, ces nouvelles ont de quoi leur plomber le moral. Nous nous faisons attaquer de toutes parts et la presse n’est pas toujours très tendre, cela a un impact sur nos agents qui préparent ces repas. Je tiens là dessus à rappeler que nous livrons 300 repas au RSMA et les critiques n’émanent que des 61 confinés. Les militaires de la caserne, mais aussi les agents hospitaliers du CHM, et même les salariés de Panima et moi-même, nous mangeons tous la même chose : nous ne préparons pas 50 recettes différentes ! Alors nous avons toutefois été amenés à changer un peu le menu, après les critiques. Depuis lundi, à la place d’un plateau “entrée-plat-dessert”, les confinés ont maintenant un plateau “entrée améliorée — plat — fromage — fruit — dessert”. Donc les nouvelles critiques, lundi soir, je ne les comprends pas. Peut-être s’agit-il d’une question de réchauffe, le goût des plats change lorsqu’on utilise un micro-onde par exemple. Quant aux repas périmés, c’est tout simplement faux : ils ont été préparés vendredi pour le lundi, donc ils ont été consommés le jour de la date limite de consommation. Je ne dis pas que tout est parfait à Panima, mais nous vivons une période compliquée et je ne pense pas que ce soit le bon moment pour polémiquer.

 

Les conséquences du confinement sur la santé mentale des Mahorais

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Il est évident que le confinement n’est pas vécu de la même façon par tout le monde. Les conditions de vie, et la santé psychologique de chacun d’entre nous ont leur rôle à jouer. Mais une chose est sûre, cette situation vient bouleverser notre quotidien, et cela n’est pas sans conséquences.

“Tous les matins, je me demande si c’est réel. J’ai l’impression qu’on est en train de vivre un cauchemar.” Iman, 26 ans, essaye encore de comprendre la crise sanitaire qui touche le monde entier. La jeune femme de nature joviale et positive a l’impression d’être prisonnière d’une situation qui lui échappe. “Comment en est-on arrivés là ? Tout est arrivé si vite. Du jour au lendemain, on nous demande de tout arrêter, ce n’est pas facile à assimiler pour moi”, confesse-t-elle. Iman n’est pas la seule à se poser une multitude de questions. Delaïde, 24 ans et mère d’un enfant, a dû apprendre à gérer ses émotions seule alors qu’en temps normal, elle est aidée par une psychologue. “Je me suis retrouvée face à mes émotions, à des blessures… Alors je me suis posée pour y réfléchir. Je suis arrivée à un stade où ma psy me manquait, j’avais besoin d’elle, mais j’ai fait autrement”, explique-t-elle. Tous ces questionnements sont le fruit du confinement qui nous accorde plus de temps. Certains en profitent pour faire de nouvelles activités et d’autres se posent des questions existentielles. “Chacun va réagir différemment face à la situation. Si la personne est touchée par une certaine fragilité, cela peut éveiller certaines choses chez elle”, informe Lucie Bouflet, psychologue à l’Acfav, association qui lutte contre tous types de violences. Raison pour laquelle tous les professionnels de la santé mentale insistent sur le fait de ne pas s’isoler complètement et de rester en contact avec son entourage. Et ceux qui vivent en famille doivent appliquer certaines règles pour que la cohabitation ne devienne pas un supplice. “Il est important de faire des activités en famille, mais c’est également nécessaire que chacun ait son espace et qu’il puisse faire ce qu’il veut”, avertit la psychologue. “J’aime mon mari, mais j’ai aussi besoin de me retrouver seule sans mari, sans enfant, juste moi”, déclare Delaïde. Cela peut en effet éviter les disputes avec les conjoints et les enfants. Ces derniers ont d’ailleurs besoin de plus d’attention en ce moment, même si certains parents s’arrachent les cheveux lors des devoirs. “Cette situation suscite beaucoup de questions chez eux. Ils sont déréglés, il y a un changement dans leur quotidien, ils ne vont plus à l’école. Mais si l’enfant est épanoui dans sa famille, le confinement se passera plutôt bien. Si en revanche il a des difficultés avec l’entourage familial, cela peut être très difficile à vivre pour lui”, note la professionnelle.

Nouvelle forme de pression sociale

Certains se sont découvert une passion ou un talent en mettant à profit le temps libre octroyé par le confinement. Mais cela entraîne également une forme de culpabilité et de pression chez les autres qui préfèrent ne rien faire. “Depuis le confinement, je suis frustrée et les idées ne sont pas claires dans mon esprit. Je pense que c’est dû à cette pression sociale qui veut qu’on fasse constamment des choses qu’on ne fait pas en temps normal”, souligne Maria, 30 ans. D’autres culpabilisent de ne pas pouvoir offrir à leur famille le confort absolu, à l’image de Mia, mère de deux enfants en bas âge. “Nous vivons dans un 50m2 avec mes deux enfants et mon mari. En tant que parents, on culpabilise énormément, car les enfants sont enfermés, on n’a pas de jardin pour qu’ils puissent jouer à l’extérieur et ils ne font plus d’activités extrascolaires. Ils se lassent vite et ce n’est pas facile.”

Les populations qui vivent dans des situations précaires subissent également une forme de pression sociale. Ces personnes doivent respecter les règles du confinement afin de ne pas mettre les autres en danger, mais il est difficile de rester confiné dans une case en tôle où les conditions de vie sont loin d’être idéales. “D’un point de vue psychologique je comprends que certains continuent à sortir. C’est difficile d’être confiné quand sa maison ne le permet et qu’on vit dans des conditions difficiles. Ces personnes ont un peu plus de mal à comprendre le confinement et c’est normal”, analyse la psychologue Lucie Bouflet. Malgré tous les conseils des professionnels, il n’existe finalement pas de mode d’emploi pour vivre le confinement. Alors chacun gère la situation comme il le peut afin de ne pas y laisser des plumes.

 

Catherine Barbezieux, directrice du centre hospitalier de Mayotte : “Relâcher la pression serait une erreur”

Point d’étape pour Catherine Barbezieux, la directrice du centre hospitalier de Mayotte qui profite d’une stabilisation des entrées à l’hôpital des patients souffrant du coronavirus pour faire le bilan des différentes réorganisations que le CHM a mises en place pour parer à l’épidémie. La directrice revient également sur les chantiers en cours, comme l’hospitalisation à domicile, sur la mécanique à l’œuvre avec les autres institutions, ou encore sur l’état physique et moral du personnel soignant. 

Flash infos : Le CHM est régulièrement montré comme étant un foyer de contamination. Qu’en est-il et comment s’organise-t-il pour mieux se protéger ? 

Catherine Barbezieux : Il y a effectivement eu une communication sur le fait que de nombreux agents ont été infectés, ce qui a d’ailleurs pu générer de la crainte dans la population et l’empêcher de venir à l’hôpital. Pour autant, lorsque l’on regarde les chiffres, on voit que nous sommes en deçà d’un grand nombre d’hôpitaux dans le pourcentage d’infection. Toujours est-il qu’il y a eu des contaminations, tant par des cas contacts extérieurs qu’à l’intérieur. Santé publique France établit chaque semaine des statistiques sur les personnes infectées et nous constatons à travers ces chiffres qu’il y a eu, en tout début de crise, un certain nombre de contaminations à l’hôpital. Pour cette raison, nous avons mis en place rapidement plusieurs dispositifs sous la houlette de la présidente du comité de lutte contre les infections nosocomiales. Il y a eu un affichage sur les mesures et les équipements de sécurité et leur bonne utilisation. Nous avons également mis en place un protocole en fonction de chaque métier et de ses particularités sur les équipements. Cela a été fait très vite. Et contrairement à ce qui s’est passé en métropole où beaucoup de professionnels ne portaient pas de masques, souvent du fait de manque, j’ai pris la décision d’équiper l’ensemble des personnels qui sont en contact avec les services de soin de masques chirurgicaux. Nous avons mis cela en place en une semaine alors qu’au niveau national les directives étaient encore de réserver les masques aux services de réanimation, ceux des urgences et ceux des services accueillant des patients contaminés. On a fait beaucoup plus. À partir de là, l’ensemble du personnel a eu accès aux masques et aux gels hydroalcooliques. 

Par ailleurs, nous avons mis rapidement sur pied un protocole d’accès à l’hôpital. Notamment avec un poste médical avancé qui permet que les patients suspects ne rentrent pas directement dans les services ou encore un point d’accueil et tri à l’entrée de l’hôpital. On ne rentre plus au CHM comme cela se faisait avant et l’idée est encore une fois d’éviter la contamination venue de l’extérieur. 

Enfin, puisque l’affichage ne suffit pas, nous avons mis en place des formations sur site. Nous avons donc développé ces sessions avec des infirmiers hygiénistes pour montrer les bons gestes et éviter une mauvaise utilisation des matériels de protection. Cela s’est vraiment structuré depuis 15 jours et nous allons pouvoir encore intensifier l’effort grâce aux renforts de la réserve sanitaire qui comprend des infirmiers hygiénistes, car il faut faire le tour de tous les services. 

FI : Les contaminations internes suscitent-elles de l’inquiétude au sein du personnel ou de leur entourage ? 

C. B. : Le personnel que j’ai pu visiter, y compris dans les unités Covid où l’on pourrait penser que l’inquiétude est au rendez-vous, montre une vrai prise en compte des bons gestes et surtout une fierté de participer à cet effort collectif de lutte contre le virus. Je pense qu’ils ont besoin de reconnaissance et qu’il est important qu’on leur dise que nous sommes reconnaissants à leur égard. Leur place n’est pas toujours évidente, ils sont à la fois en première ligne et parfois ostracisés quand ils rentrent chez eux, car on craint qu’ils contaminent l’entourage. À cet égard, je tiens à rappeler qu’avec nos mesures de sécurité, le risque de contamination est bien inférieur à ce que l’on peut voir dans la rue avec des attroupements réguliers. Il est bien moins dangereux de travailler à l’hôpital et même de s’y rendre que de ne pas respecter la distanciation sociale. 

FI : En interne, les tensions étaient relativement vives avant la crise, se sont-elles apaisées ? 

C. B. : Les syndicats jouent leur rôle. Nous maintenons les CHSCT pour discuter même si nous le faisons dans un cadre réduit pour prévenir les risques. De mon côté, je les rencontre vendredi. Ce sont des choses importantes et globalement, il y a une vraie volonté de s’informer et d’être force de proposition. Cela se passe plutôt bien. 

FI : On a pour autant entendu des cris d’alarme quant à un supposé manque de matériel. Qu’en est-il ? 

C. B. : Il n’y a pas du tout eu de rupture de stock. J’ai entendu certaines voix se lever pour dire l’inverse, mais c’est faux, il n’y a jamais eu de manque de matériel de protection. En revanche, j’ai mis en place des mesures drastiques quant à leur accès. Pourquoi ? Tout simplement, car dès la première semaine nous avons eu énormément de vols. Plusieurs dizaines de milliers de masques ont disparu ! Il ne s’agit pas là d’un vol habituel pour se protéger à la maison, mais bien d’une action de grande ampleur. Il a donc fallu mettre en place un système sécurisé de distribution via les cadres. Nous distribuons ainsi la quantité journalière nécessaire à chaque agent. Cela nous a permis d’arrêter l’hémorragie qui, pour le coup, aurait pu nous mettre en difficulté. On s’est dit “si ça continue sur cette lancée, nous n’avons plus de masques d’ici quinze jours”… Tout le monde a donc joué le jeu ce qui permet que nous soyons tous protégés de manière correcte.

FI : Du côté des moyens humains, vous avez fait appel à la réserve sanitaire, comment cela s’est déroulé ? 

C. B. : J’ai rédigé un courrier à l’attention de la directrice de l’ARS pour demander un certain nombre de renforts. Elle-même avait déjà identifié certains besoins et nous avons obtenu avec l’appui de Santé publique France 20 réservistes, ce qui est beaucoup et qui sont arrivés la semaine dernière. L’impression que j’ai est que l’écoute est de plus en plus forte au niveau national des besoins de Mayotte. Quand le gouvernement évoque les Outre-mer, les besoins de Mayotte ne sont plus noyés dans la masse. 

FI : En termes de matériel, non pas de protection, mais médical cette-fois, il vous faut aussi plaider votre cause. Êtes-vous entendue ? 

C. B. : Nous avons fait connaître nos besoins, nous attendons encore des respirateurs pour anticiper, mais rappelons que nous sommes dans une gestion nationale de crise. Les moyens sont partagés en fonction des besoins par secteur géographique. Mais ce qui est rassurant ici c’est que les interlocuteurs semblent être dans une logique de prévention plutôt que de réaction. Ils pourraient très bien nous rétorquer que nous n’avons que quatre cas en réanimation et que les besoins que nous faisons remonter sont donc démesurés. Or ce n’est pas le cas. Pour l’instant en tout cas, car je ne peux pas prédire de l’évolution des choses. 

FI : Avez-vous estimé le point critique à partir duquel le CHM ne pourrait plus faire face à une éventuelle vague épidémique ? 

C. B. : Oui, nous avons fait ce travail, notamment à l’occasion de la transformation de lits pour la réanimation. Nous avons pu évaluer l’ensemble de nos capacités pour faire face à un afflux. Il nous reste encore une bonne marge de manœuvre et des structures se dressent pour nous aider. C’est le cas de l’internat de Tsararano qui nous permet de ne pas garder des patients qui n’ont pas besoin de soins, mais qui ne pourraient pas rentrer chez eux, car leur situation ne permet pas de protéger leur entourage. Cela permet de libérer des lits. C’est aussi l’intérêt de l’hospitalisation à domicile. Après, bien sûr que si l’épidémie prenait une très grande ampleur comme ce que l’on a pu observer dans certaines régions, il est évident que nous aurions besoin d’un appui supplémentaire. 

Pour l’heure, chacun fait ce qu’il peut en fonction des éléments dont nous disposons, il n’y a pas de jugement à avoir. Il faut plutôt se baser sur les chiffres. Je ne parle pas là des tests, car il est clair que si nous faisions plus de tests, nous détecterions plus de contamination. À ce titre, nous avons encore une marge de progression en interne pour réaliser plus de tests, mais si l’idée est de passer à un dépistage de grande échelle, il faudrait associer d’autres intervenants. Mais pour estimer la tendance, je me fie plutôt à la courbe, tant des hospitalisations que des entrées en réanimation qui, elle, n’évolue pas. Ces indicateurs montrent pour l’instant une stabilisation, mais il ne faut pas pour autant relâcher la pression, ce serait une erreur. C’est dans ce cadre que nous travaillons, nous nous organisons au mieux pour parer à différentes éventualités tout en veillant sur les patients chroniques. À chacun aussi de prendre ses responsabilités en faisant passer les bons messages et en les appliquant. 

FI : Globalement, comment le CHM s’est organisé pour faire face et quelle marge de manœuvre lui reste-t-il ? 

C. B. : L’organisation comprend tout l’aspect logistique qui consiste à travers un gros travail quotidien à identifier les besoins, de prioriser les commandes, etc. Sur la gestion de la crise elle-même, les choses se sont faites en trois étapes : dans un premier temps, la logique était de se dire “puisque nous avons des capacités très limitées, si nous sommes confrontés à une flambée épidémique, comment faire face à un afflux de patients ?” Dans ce cadre, nous avons mis en place le plan blanc le 16 mars, nous avons réorganisé l’accueil à l’hôpital avec de nouveaux circuits pour éviter que les patients Covid ne croisent les autres, etc. Tout ce travail s’est fait à travers nos capacités existantes. Mais il nous fallait faire plus contre une éventuelle vague. Il nous a alors fallu préparer l’hôpital, et je rends hommage à toutes les équipes qui se sont fortement mobilisées en ce sens pour accomplir une véritable prouesse : en quelques jours, nous avons fait en sorte qu’au-delà de nos 16 lits de réanimation, nous puissions atteindre une quarantaine de lits équipés de respirateurs. Nous avons également isolé dans le service de médecine et de chirurgie ambulatoire des secteurs Covid fermés avec des accès dédiés. 

Il se trouve qu’aujourd’hui, quand on regarde l’activité, on voit que les choses sont relativement stables avec quatre patients en réanimation à ce jour. On ne peut donc pas dire qu’il y ait une flambée d’activité. Nous avons tout de même travaillé sur le niveau suivant avec la possibilité d’ouvrir une deuxième unité d’urgence séparée géographiquement avec un circuit indépendant. Aujourd’hui, nous ne l’avons pas activée, car les besoins ne sont pas là, mais s’il se passe quoi que ce soit nous sommes en mesure d’appuyer sur le bouton.

FI : Vous avez évoqué une hospitalisation à domicile, qu’en est-il pour les patients chroniques qui semblent avoir été écartés du système de soin face à l’urgence ? 

C. B. : Nous avons été faibles sur la communication, mais nous avons dès le début pensé aux patients chroniques. Le problème de cette situation d’urgence est que l’on organise les services en fonction d’une éventuelle arrivée massive au détriment des patients qui ont un besoin de suivi régulier. Pour cela, nous avons fermé les petits dispensaires pour pouvoir mieux déployer le personnel. Et dans les centres de référence, nous avons créé trois filières : la première pour les suspicions de Coronavirus, une autre pour les consultations de médecine générale et une filière pour la prise en charge des patients chroniques avec la possibilité de rendez-vous. Je dois l’avouer, je ne suis pas certaine que l’information ait bien circulé sur ce point. Ce qui s’ajoute à un problème avéré : le fait que beaucoup de patients ne veulent pas se rendre à l’hôpital de peur de contracter le virus ou simplement de se faire dépister avec d’éventuelles conséquences sociales. 

Toutes ces méconnaissances nous mènent à une situation qui interpelle. Et pour laquelle il faut absolument trouver des solutions plus adaptées. Dans ce cadre, l’ARS et le CHM travaillent pour faire face à cet enjeu de santé publique. Nous sommes tombés d’accord sur le fait qu’il fallait mettre en place un dispositif pour prendre en charge les patients chroniques à leur domicile. Nous connaissons ces patients en file active, ce qui nous permet de mettre en place un dispositif mobile qui devrait vite se mettre en place. J’espère que nous serons aussi rapides et efficaces que pour les autres réorganisations.  

FI : Le lien semble étroit avec l’ARS, comment se passe cette collaboration dans le cadre de la gestion de crise ? 

C. B. : Nous tenons des réunions de façon régulière en fonction des différents sujets. Ce qui nous permet de nous coordonner tant sur les orientations nationales qui passent par l’ARS que sur les informations dont nous disposons au niveau du terrain. Il y a forcément des sujets sur lesquels nous ne sommes pas toujours d’accord, mais c’est tout à fait normal et chacun fait valoir ses arguments, y compris nous, à travers notre connaissance du terrain, de manière à ce que nous puissions arriver à un consensus. 

Il n’y a pour l’instant pas de conflit. Nous sommes un tout petit territoire, il faut rester vigilants sur certains points, mais nous ne pouvons pas nous permettre de nous faire la guerre permanente.

Le lien est donc quotidien entre nos équipes respectives. Par exemple sur la logistique ou l’acheminement du personnel. Depuis la mise en place du pont aérien, un dispositif a été mis en place afin que nous puissions faire remonter nos besoins logistiques, de personnel et sur les évacuations sanitaires. Nous avons dans ce cadre un correspondant permanent auprès de l’ARS, mais aussi de la préfecture.

FI : La mécanique semble désormais rodée, cela n’a pourtant pas toujours été le cas…

C. B. : Effectivement, il y a eu besoin d’un petit temps d’adaptation. La fermeture de l’espace aérien s’est passée un week-end et effectivement nous avions des professionnels à acheminer pendant ces jours lors de vols qui ont été annulés par la force des choses et donc le temps de pouvoir nous retourner certains professionnels ont dû attendre, mais c’est désormais du passé. Le système est bien rôdé, nous établissons une liste quotidienne en fonction des vols de la métropole vers La Réunion puis de La Réunion à Mayotte et même chose dans le sens inverse. Désormais, ces choses sont plus fluides.

 

Déconfinement à Mayotte : et si le 11 mai arrivait un peu trop tôt ?

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Les signes d’un ralentissement de la propagation du virus à La Réunion et à Mayotte ne sont déjà plus aussi encourageants que la semaine dernière et l’ARS préfère miser sur la prudence, à quelques semaines du déconfinement du 11 mai annoncé au niveau national.

Le week-end dernier, ils n’étaient que quatre cas à venir rejoindre les rangs des personnes contaminées par le Covid-19 à Mayotte. Ce week-end, ce sont 17 nouveaux patients qui ont été testés positifs, portant à 271 le nombre total de cas sur l’île aux parfums. Un bilan en hausse donc, qui garde l’ARS en alerte. “Par rapport à la semaine dernière, où un semblant de ralentissement des contaminations pouvait nous amener à nous réjouir, ces résultats prouvent au contraire que le virus poursuit une installation à bas bruit”, souligne Dominique Voynet, sa directrice.

À bas bruit, mais bien réelle donc. Certes, la situation n’est pas exponentielle, et les patients n’affluent pas en masse aux urgences, justement réorganisées en unités séparées en prévision de la vague. “On a presque une surabondance de moyens par rapport au nombre de patients”, note ainsi l’ancienne ministre. Mais l’agence régionale de santé s’inquiète de la circulation du virus notamment chez des patients asymptomatiques. Des tests réalisés sur l’entourage d’une personne hospitalisée, qui avait très peu de contacts avec l’extérieur, ont ainsi montré que les quatre personnes de son foyer étaient positives au coronavirus, sans pour autant présenter de symptômes.

Muscler les tests en vue du déconfinement

Une situation qui rappelle l’importance de mener une politique de tests à plus grande échelle. “Nous ne renonçons pas à faire des tests, à la moindre suspicion de Covid, et nous testons également les patients chez qui nous ne nous expliquons pas l’origine de la contamination, à l’image du patient évoqué”, insiste Dominique Voynet. Pour l’heure, plus de 1850 tests ont été réalisés par le laboratoire du CHM. Mais ce n’est rien en comparaison du volume qu’il faudra analyser au moment du déconfinement. Comme en métropole, Mayotte va devoir tester davantage, alors que la machine tourne déjà presque à plein régime. Rien que pour monter à 200 tests par jour, cela ne sera donc pas une mince affaire : “j’ai demandé au CHM de revoir la chaîne de prélèvements et d’analyses et nous avons soutenu la demande du laboratoire privé pour accéder à ses réactifs” – en effet, le seul laboratoire d’analyses privé de Mayotte est équipé d’une machine différente du CHM. Mais même cette réorganisation doublée d’une action conjointe privée/public ne permettra pas d’atteindre le rythme de 1.000 tests par jour. Pour cela, “il va nous falloir une équipe mobile et le matériel nécessaire. Nous avons demandé il y a un mois et demi de remplacer la machine du CHM, qui fonctionne mais est déjà ancienne ; et nous avons aussi demandé la livraison d’un appareil d’une plus grande capacité qui doit venir avec une équipe de techniciens dédiée”, développe Dominique Voynet.

La crainte d’une explosion

Or l’heure tourne, et la date fatidique du 11 mai approche à grand pas. Sur ce dossier du déconfinement, justement, l’ARS mise pour l’instant sur la prudence. Car Mayotte a entre trois et six semaines de décalage avec la métropole. Au vu de ce décalage, l’ARS serait donc plutôt d’avis de reporter la date du déconfinement à la fin du mois de mai. Mais en proposant alors une formule de confinement plus adaptée et allégée. Car, “empêcher des jeunes gens d’aller au terrain de football après une journée passée dans un bidonville chaud comme un four, ce n’est pas tenable”, reconnaît Dominique Voynet, qui suggère par exemple d’autoriser des balades ou des virées plages, de garantir l’accès à l’eau et au pétrole lampant, et de rouvrir les marchés, pour ce confinement revisité à la sauce mahoraise.

Sans cela, l’ARS craint l’explosion à partir du 11 mai avec “un risque de contacts de personnes âgées et fragiles”. La principale source d’inquiétude ? La rentrée scolaire, alors qu’une centaine d’enseignants ont été bloqués en dehors du territoire à leur retour de vacances au mois de mars, et potentiellement dans des zones à risques. La réouverture des vols commerciaux, et l’arrivée de ces professeurs sur le territoire et dans les classes, peut donc représenter un risque. Si le déconfinement est confirmé, il faudra les soumettre à des tests systématiques, régler la question de la quarantaine, et les équiper de protections, ainsi que leurs élèves. Sans compter les questions de transport, de restauration scolaire, ou encore d’absence de points d’eau dans certains établissements scolaires. Bref, la liste des préparatifs est longue pour un déconfinement prévu dans seulement trois semaines… À ce sujet, le Recteur Gilles Halbout tient toutefois à apporter une précision : “si la situation sanitaire n’est pas contrôlée sur l’île, et qu’il faut envisager un report de la date, cela concernera tout le monde, et pas juste l’Education nationale. Si le déconfinement a lieu le 11 mai comme prévu, nous serons de notre côté prêt à prendre les mesures nécessaires pour limiter au maximum les risques”.

 

Mayotte : Un mourengué à Kawéni qui défit toutes les règles

À Kaweni ce week-end, une centaine de jeunes se sont réunis autour d’un mourengué, un match de combat local bien connu par les Mahorais, défiant le confinement ainsi que toutes les mesures de sécurité prises pendant cette période crise.

Le confinement et le couvre-feu étaient loin des préoccupations des jeunes de Kaweni ce week-end. Samedi soir, aux alentours de 21h, ils se sont regroupés dans un quartier du village, autour d’un mourengué. En temps normal, ce sport de combat est organisé sur l’ensemble de l’île pendant le mois de ramadan. Cette année, les Mahorais s’étaient résignés à faire une croix sur cette manifestation qui fait partie de la culture locale, au vu de la crise sanitaire. Mais c’était sans compter sur certains jeunes de Kawéni qui, contre toute attente, ont diffusé en direct sur le réseau social Facebook, des combats de mourengué, samedi et dimanche soir. La scène peut paraître surréaliste en cette période de confinement où les rassemblements sont interdits. Mais ces jeunes passent outre toutes les interdictions et ne craignent pas la présence du Covid-19 à Mayotte. “On n’a pas peur parce qu’on se voit tous les jours et on sait qu’on n’est pas malade. On se fait confiance”, racontait un de ces jeunes à nos confrères de Mayotte la 1ère. Dans la deuxième vidéo, on peut également entendre l’auteur proclamer que “vous pouvez rester à la maison et avoir le virus. C’est Dieu qui décide si on l’aura ou pas”. Ou encore : “Arrêtez de me parler de confinement car personne ne le respecte à Mayotte. On s’amuse et ça fait du bien.” Et si un bon nombre d’internautes déplorent ces images, une grande partie les encourage et les incite à recommencer. “D’autres jouent au foot à Cavani et M’tsapéré et personne ne dit rien, alors continuez le mourengué”, peut-on lire dans les commentaires. Les combats se sont donc déroulés et ont été diffusés en direct sur Facebook pendant presque deux heures, au rythme de la musique traditionnelle, sans aucune intervention des forces de l’ordre.

Où sont passées les forces de l’ordre ?

La commune de Mamoudzou s’est mobilisée pour sensibiliser ces jeunes, en vain. “Je suis allé les voir, j’ai discuté avec eux, j’ai essayé d’apporter des éléments nécessaires pour leur faire comprendre qu’ils se mettent en danger et mettent en danger la population. Ils m’ont dit qu’ils avaient compris, mais ils ont recommencé dans la nuit”, indique Sidi Nadjayedine, adjoint au maire de Mamoudzou. Ce dernier précise par ailleurs que c’est la police nationale qui est chargée de faire respecter le couvre-feu le soir à partir de 20h et non la police municipale. Mais la commune collabore avec tous les acteurs sociaux afin que de tels évènements ne se reproduisent plus. Des actions sont menées sur le terrain par des associations afin de sensibiliser ces jeunes en question. “Nous sommes allés les voir pour faire de la médiation. Ils nous ont dit qu’ils organisent les mourengué parce qu’ils s’ennuient et qu’ils ont faim. On n’a pas vraiment compris le rapport avec la faim”, déclare Omar Said, directeur de l’association Wenka Culture. Cependant, ils leur ont donné des bons alimentaires “pour les calmer”.

L’adjoint au maire affirme également qu’il a réuni des parents, les associations et des personnalités locales. “L’objectif est de sensibiliser les parents pour qu’ils accomplissent leur rôle. Ils sont la clé motrice. Il ne faut pas y aller de manière frontale avec ces jeunes car cela peut dégénérer.”

La préfecture quant à elle informe qu’“un équipage de police s’est rendu sur place pour y mettre fin, ce qui a permis de suspendre cet évènement illicite. Pour autant, au départ de la patrouille, l’attroupement a repris” Elle précise également que “dans un contexte de renforcement de la présence aux environs des cambriolages de commerces alimentaires et de résidence de particulier, les efforts des forces de l’ordre ne peuvent se concentrer exclusivement sur ces rassemblements qui font courir aux participants ainsi qu’à leurs familles des risques en matière de santé publique. La lutte contre la propagation du virus repose avant tout sur la responsabilité des citoyens.”

À l’heure où nous écrivons ces lignes, les deux premières vidéos ont comptabilisé respectivement 13.000 et 11.000 vues. De quoi les encourager à récidiver. “On sera là tous les soirs ne vous inquiétez pas”, a promis l’auteur des vidéos.

 

Mayotte : son grand-père testé positif, il s’inquiète pour le reste de sa famille

Alors que son grand-père a été contaminé au Covid-19, puis placé en réanimation en fin de semaine dernière, Ahmed* regrette que les autorités sanitaires n’aient pas dépisté les cas contacts. Il redoute que plusieurs membres de sa famille soient testés positifs dans les prochains jours.

“Mon grand-père n’arrivait plus à respirer, donc nous avons appelé le 15 pour venir le chercher. Au début, nous pensions que c’était la dengue… Il a été admis au CHM en fin de semaine dernière où il a été testé positif au Covid-19 avant d’être placé sous surveillance.” Au bout du fil, Ahmed, son petit-fils, retrace péniblement cet épisode douloureux. “Le lendemain, son état s’est dégradé. Et il a été transféré en réanimation sous assistance respiratoire.” Une véritable onde de choc s’abat alors sur l’ensemble de la famille. “Même si c’est une personne très fatiguée qui a besoin d’assistance pour manger et faire sa toilette, il marchait tous les jours entre son domicile et le mien. À plus de 70 ans, il n’avait jamais été hospitalisé”, relate-t-il. Alors que le chagrin le gagne, l’incompréhension prend rapidement le dessus. En cause : l’absence de dépistage des cas contacts du bacoco, tels que sa femme et ses enfants, qui se relayaient pour prendre régulièrement de ses nouvelles. “On nous a dit de rester confinés, en attendant de développer des symptômes. J’ai été révolté par la réponse apportée, je trouve cela aberrant.” Pourtant, cette réponse est identique pour tous depuis plus d’un mois maintenant. À savoir la mise en quatorzaine au domicile et le respect strict des consignes. Pas franchement convaincu, il décide ce lundi matin d’appeler le numéro vert de l’agence régionale de santé ainsi que le centre hospitalier de Mayotte pour recueillir de plus amples informations. Le premier échange ne lui donne pas satisfaction. À la différence du second qui lui apporte quelques précisions. “Le médecin m’a certifié qu’il n’y avait pas d’inquiétude particulière à avoir et m’a dit qu’on allait nous appeler tous les jours.” Relativement rassuré par les explications du professionnel de santé, Ahmed pointe tout de même du doigt certaines ambivalences, malgré l’annonce du Premier ministre de procéder à des tests massifs. “Va-t-on nous laisser tomber malade pour réagir”, s’interroge-t-il, désemparé par cet immobilisme. Avant de reprendre quelque peu ses esprits : “C’est comme ça que ça se passe, car les moyens actuels ne permettent pas de faire autrement.”

Inquiet pour les membres de sa famille, Ahmed craint un effet boule de neige. “On ne sait pas qui est potentiellement atteint. On prie Dieu que ce soit négatif. On a des pathologies chroniques, comme l’asthme.” C’est la raison pour laquelle il ne sort de chez lui qu’en cas de nécessité, pour aller faire des courses par exemple. Lui-même est en arrêt de travail sur conseil de son médecin pour éviter de s’exposer sur son lieu de travail. Surveillant pénitencier, il rapporte un cas de Covid-19 dans la maison civile de Majicavo, après qu’un détenu ait obtenu une permission pour aller voter au premier tour des élections municipales. “Je faisais en sorte de me doucher et de me changer là-bas pour ne pas prendre de risque avec ma femme et mes trois enfants”, souligne-t-il. Aujourd’hui, il redoute une explosion du nombre de cas. “Les habitants sont en train de banaliser la situation alors que ça peut rapidement tourner au vinaigre. Tout le monde sort…” Une mise en garde qu’il répète inlassablement. Car pour lui, c’est le non-respect du confinement, qui explique la contamination de son grand-père. “Les anciens ont du mal à rester chez eux”, conclut-il, visiblement attaché à ce que l’erreur ne se reproduise pas deux fois.

* le prénom a été modifié

 

Après les résidents du RSMA, certains militaires montent au créneau

Ce week-end encore, les rapatriés des Comores placés en confinement au RSMA pointaient du doigt leurs conditions de vie. Pendant ce temps, des effectifs de la caserne où ils sont maintenus depuis le début de la crise sanitaire, accusent des traitements injustes de la part de la hiérarchie à leur encontre.

Les confinés rapatriés de Madagascar et, plus récemment, des Comores ne sont pas les seuls à se plaindre des conditions de vie au RSMA. Depuis le début de la crise sanitaire, certains personnels de la caserne du régiment du service militaire adaptée de Combani dénoncent un traitement à leur égard qu’ils considèrent comme injuste et moralement très éprouvant.

Sous couvert d’anonymat, plusieurs jeunes militaires expliquent être bloqués au sein de l’enceinte, depuis l’arrivée des premiers confinés trois semaines plus tôt, sans pouvoir, depuis, rejoindre leurs familles ou proches, parfois gravement malades. Pendant ce temps, certains cadres ont eux, pu regagner leur domicile, voire parfois la métropole. Mais alors que certains accusent un traitement de faveur, le lieutenant-colonel Frédéric Jardin, chef de corps du RSMA, tient à corriger le tir : un mois plus tôt, l’ensemble des 136 volontaires techniciens disponibles a été rappelé puis placé en quatorzaine en vue d’accueillir la centaine de rapatriés de l’île intense. Mais les militaires enceintes ou dont les femmes venaient d’accoucher, dont un proche présente un risque de comorbidité ou ceux qui ne parviennent pas à faire garder leur enfant ont tous été renvoyés à domicile. Idem pour ceux qui ont à leur charge un proche dépendant ou non autonome.

Dans ce contexte, des cadres ont effectivement été renvoyés chez eux jusqu’au déconfinement, ou à la reprise du pont aérien pour ceux qui ont pu rejoindre l’Hexagone, confirme encore le lieutenant-colonel, dans la mesure où ceux-ci ne logent pas au sein même du régiment ou à proximité, alors que les volontaires techniciens, ont eux, la caserne pour lieu de résidence. Face aux directives dues à la quatorzaine des militaires dans le cadre de l’opération Résilience, deux volontaires techniciens ont pris la décision de déserter le RSMA pour aller se confiner auprès de leur famille. Mais en aucun cas – sauf dérogations exceptionnelles – “[les personnels d’encadrement] restés sur place ne sont autorisés à quitter le régiment”, atteste Frédéric Jardin, qui nie en bloc les accusations d’allers-retours injustifiés portés par d’autres recrues.

Une escapade la nuit qui tourne mal

Parmi ces bruits de couloirs, la sortie nocturne d’un caporal-chef fait particulièrement jaser. Dans les premières semaines du confinement, ce gradé aurait, selon les rumeurs, utilisé son véhicule pour quitter le RSMA à la nuit tombée afin de s’accorder un peu de bon temps. Or, en chemin, l’homme a été victime de caillassage et aurait, pour dissimuler son méfait, volontairement abîmé sa voiture une fois de retour à Combani afin de faire porter le chapeau à un tiers. Interrogé quant à l’événement, le lieutenant-colonel Frédéric Jardin ne cache pas sa surprise, et livre un tout autre scénario. Ce soir-là, un caporal-chef a effectivement été autorisé à quitter la caserne pour “régler des affaires personnelles”. À son retour, son véhicule a effectivement été touché par des jets de pierre, fait que le principal intéressé n’a jamais caché aux yeux de sa hiérarchie.

Face à ces accusations, le chef de corps a ainsi pris la décision de convoquer ses troupes, lundi matin, pour leur rappeler qu’elles étaient soumises à un statut militaire et de fait, contraintes de se plier aux injonctions formulées par le président de la République. Un rappel à l’ordre qui n’a pas été du goût de tout le monde, puisque, confinés loin de leurs proches, “plusieurs collègues menacent de se barrer”, avoue un militaire sur place

 

Un retour après quatorzaine des étudiants mahorais en métropole ?

Alors que les étudiants mahorais de métropole s’inquiètent quant aux modalités de leur retour sur l’île, le ministère des Outre-mer lance un grand recensement des étudiants ultramarins afin d’anticiper celui-ci.

“Il ne s’agit pas de faire courir un risque à Mayotte. Alors, nous en avons discuté et certaines réflexions sont intéressantes. Nous savons par exemple que nous n’avons pas encore, à Mayotte, suffisamment de structures pour gérer correctement les choses en cas de grosse épidémie, notamment en termes de mise en quatorzaine” : dans notre édition d’hier, un étudiant mahorais de métropole, également très engagé dans le secteur associatif, Antoissi Aiman M’Dallas, mettait en avant l’inquiétude qui se pose quant au déconfinement à venir et aux conditions dans lesquelles lui et ses camarades pourraient revenir à Mayotte, alors que l’épidémie de Covid-19 et les mesures de confinement bouleversent tous les déplacements. Parmi les pistes de réflexion exposées, “certains ont soulevé l’idée d’utiliser, ici en métropole, des auberges de jeunesse ou des petits hôtels qui sont de toute façon tous vides actuellement, pour effectuer cette quatorzaine avant notre départ, avant de faire un test pour pouvoir prendre l’avion”, confiait-il. Cette idée a-t-elle aussi germé dans les bureaux de la rue Oudinot ?

Difficile de dire si l’idée sera retenue, mais une chose est sûre : le ministère des Outre-mer planche d’ores et déjà sur le retour des étudiants ultramarins sur leur territoire, sous condition de mise en quatorzaine préalable. Un arrêté est ainsi paru le 17 avril dernier* et, s’il n’aborde pas encore de solutions pour répondre à la nécessité d’un isolement préventif, il lui est préalable. C’est en effet “un traitement automatisé de données à caractère personnel” qu’autorise le document dont la finalité est “d’évaluer et d’organiser les besoins en termes de quarantaine (sic) des étudiants ultramarins en mobilité dans l’Hexagone dans la perspective de leur retour sur leur territoire”. La plateforme prévue pour recueillir les informations est accessible depuis le dimanche 19 avril et jusqu’au 2 mai à tous les étudiants concernés sur le site internet www.outremersolidaires.gouv.fr.

“Anticiper les besoins”

Dans un communiqué de presse publié hier, le ministère explique la démarche : “Afin de préparer le retour des étudiants dans leur territoire en toute sécurité pour eux et pour leurs proches, il est nécessaire de connaître le nombre d’étudiants qui envisagent de rentrer sur chaque territoire et à quelle échéance au regard des modalités d’examen fixées par les établissements scolaires ou universitaires.” Des informations, est-il indiqué, destinées à permettre à l’État d’anticiper “les besoins et les modalités de mise en quatorzaine, en lien avec les territoires et en partenariat avec la délégation interministérielle à l’égalité des chances des Français d’Outre-mer et la visibilité des Outre-mer (Diecvi), les Crous et l’Agence de l’Outre-mer pour la mobilité (Ladom).”

En parallèle, le ministère lance un appel à projets** en soutien aux étudiants ultramarins, “pour renforcer l’action d’accompagnement social réalisé par les associations au profit des étudiants dans quatre domaines” : réalisation des démarches administratives en vue d’obtenir des aides auprès des différentes institutions, soutien pour lutter contre l’isolement, soutien pour l’obtention d’aides alimentaires et soutien pour la mise en œuvre de tutorat.

*Arrêté du 17 avril 2020 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel afin d’évaluer et d’organiser les besoins en termes de quarantaine des étudiants ultramarins en mobilité dans l’Hexagone dans la perspective de leur retour sur leur territoire.

**Consultable sur www.outre-mer.gouv.fr/lancement-dun-appel-projets-renforcer-laccompagnement-des-acteurs-associatifs-pour-les-etudiants.

 

À Koungou, le personnel du collège retrousse ses manches contre la précarité alimentaire

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Après Passamaïnty et Majicavo, ce sont désormais les effectifs du collège Frédéric D’Achéry de Koungoui qui ont décidé de monter une cagnotte afin de distribuer des bons alimentaires aux familles les plus démunies. À l’échelle du seul établissement scolaire, ils seraient déjà plus de 1.000 jeunes à vivre dans des situations précaires.

Ils ont récolté 2.000 euros en seulement 24 heures. Depuis jeudi, une collecte de dons en ligne* propose de venir en aide aux familles les plus démunies de Koungou. Derrière l’initiative, un collectif de personnel éducatif du collège de la deuxième commune du département. “En tant que fonctionnaires, on sait qu’on fait partie des privilégiés sur cette île, et encore plus à Koungou”, souffle Alexis Boutin Lucien, conseiller principal d’éducation du collège Frédéric D’Achery, et instigateur de l’initiative.

Concrètement, les fonds récoltés – parfois jusqu’en métropole – seront convertis en bons alimentaires avant d’être distribués dans un maximum de quartiers possibles aux familles identifiés par l’assistante sociale de l’établissement scolaire. “On privilégie les familles du collège dans un premier temps”, explique encore Alexis Boutin Lucien. Et pour cause : selon le CPE, 80 % des élèves de Frédéric D’Achery vivent en situation de précarité plus ou moins avancée. À raison de 1.900 inscrits, cela représente un public de plus de 1.500 jeunes, alors que la semaine dernière, la préfecture n’avait pu distribuer “que” 500 bons alimentaires aux familles les plus vulnérables de Koungou. Un petit pas, certes, encourageant, mais encore bien insuffisant.

“On n’a pas la prétention de dire qu’on va pouvoir aider tout le monde”, avoue le conseiller principal d’éducation. “Mais il faut que tout le monde prenne la mesure de la situation : tous ceux qui ont les moyens d’agir, même à petite échelle, ne doivent pas hésiter à donner ou à remplir un sac de courses.” Côté bénévoles, les forces vives ne manquent pas, puisque la majorité du personnel du collège s’est déjà mobilisé, en sus des citoyens qui ont rejoint la réserve citoyenne.

Quid de la distribution ?

Mais alors que les scènes d’émeutes se sont multipliées depuis les dernières semaines lors des distribuons de bons alimentaires, la logistique n’est pas prise à la légère par le collectif du collège. “On est en pleine réflexion, on envisage toutes les solutions”, commente Alexis Boutin Lucien, qui semble privilégier le porte-à-porte plutôt qu’une distribution collective en un point fixe. “On envisage de travailler avec les associations locales, qui connaissent mieux les quartiers.” L’idée serait, dès lors, de distribuer les précieux coupons par groupe de quatre bénévoles directement au domicile des familles identifiées, et ce, évidemment, dans le respect des gestes barrières.

Concernant les besoins humains, le collectif du collège estime déjà compter suffisamment de bénévoles pour accomplir la tâche qui l’attend. En revanche, la cagnotte est elle toujours en ligne et chaque don demeure le bienvenu. “Même si on ne peut rien donner, rien que la partager peut faire un effet tâche d’huile !”, sourit le CPE. D’autres initiatives du même genre ont également germé à Passamaïnty et Majicavo notamment.

*https://www.helloasso.com/associations/l-amicoko/formulaires/1?fbclid=IwAR0yTHS4zbAIqh8TViVcCawVT5CMAsXLgoYhXXfFuByv8hiEJq0tReLlIXU

Le parcours du combattant des voyageurs bloqués à Mayotte

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La fermeture des frontières a été réclamée par les Mahorais dès le début de la crise sanitaire. Cependant, elle n’a pas fait que des heureux. De nombreux voyageurs qui séjournaient temporairement à Mayotte n’ont pas pu rentrer chez eux à temps. Ils se retrouvent aujourd’hui bloqués sur l’île, désemparés.

“J’étais venu deux semaines pour rendre visiter à ma fille, et depuis impossible de rentrer chez moi.” Frédéric est arrivé à Mayotte le 16 mars. Le soir même, le président de la République annonçait le confinement total et les mesures qui en découlaient. Même si le pays était déjà en pleine crise à ce moment-là, Frédéric ne pensait pas que la situation aurait été aussi critique au point de ne pas pouvoir retourner en métropole. Selon lui, “il n’y avait pas de problème, d’ailleurs l’aéroport de Dzaoudzi est resté ouvert pendant presque deux semaines après le début du confinement”. Depuis, c’est le parcours du combattant pour ce père de famille qui fait tout pour pouvoir rejoindre sa femme et ses autres enfants restés dans l’hexagone. “Dès les premiers jours, je suis allé à la préfecture et on m’a dit que seul le deuil est considéré comme motif familial impératif. J’ai été très étonné parce que je demande un regroupement familial. Ma femme a besoin d’aide avec les enfants. Et je dois aussi rentrer pour des raisons professionnelles”, explique-t-il. Frédéric est informaticien indépendant. Il est dans l’impossibilité de pratiquer le télétravail, car il se déplace chez les clients. Il est loin d’être un cas isolé. Suite à une publication sur les réseaux sociaux, des dizaines de voyageurs se trouvant dans la même situation se sont manifestés. Ensemble, ils ont créé un collectif et comptent réunir leurs forces afin de se faire entendre par la préfecture.

D’autres vivent la situation avec philosophie et préfèrent attendre la sortie de la crise afin de rentrer chez eux, à l’image de Tom qui est venu à Mayotte trois jours avant le début du confinement. “Je comprends tout à fait cette situation. C’est regrettable, mais je le vis bien. Je suis avec ma petite amie, c’est mieux que d’être seul en région parisienne.” Comme tous les voyageurs, Tom a dû reporter son voyage à plusieurs reprises. “Air Austral m’a envoyé un message expliquant que mon vol était annulé. J’ai dû donc les appeler à nouveau pour changer mon billet. J’ai eu une place pour le 2 mai, mais suite à la dernière décision du président de prolonger le confinement le billet a été à nouveau annulé.” Désormais, il préfère attendre la fin du confinement avant de demander une nouvelle date. Contrairement à Frédéric qui a souhaité partir le plus tôt possible. L’aéroport de Dzaoudzi est supposé ouvrir le 18 mai, alors il s’est inscrit sur un vol du 19 mai. Mais rien ne lui garantit son départ ce jour-là. “Beaucoup de clients nous ont demandé de les positionner le plus tôt possible dans les vols programmés. On se fixe des dates pour avoir un cadre, mais cela ne veut pas dire qu’elles seront confirmées. On procède étape par étape au vu de la situation évolutive”, prévient Stéphanie Bégert, directrice de communication de la compagnie Air Austral.

Quel rôle joue la préfecture ?

Les voyageurs s’accordent tous à dire qu’ils ont bien été pris en charge par Air Austral dans la mesure du possible, même s’il a été difficile de joindre le service client au début. En revanche, une grande partie déplore la gestion de la crise par la préfecture. “Un service a été expressément créé pour s’occuper des situations des gens comme nous. J’ai envoyé quatre mails à l’adresse communiquée et je n’ai eu qu’un accusé réception. Je n’ai aucune information depuis trois semaines. La préfecture ne répond pas et ne donne aucune explication”, s’inquiète Frédéric. En effet, une cellule de coordination de vols a été lancée pour l’occasion. Et selon la préfecture “des efforts sont en cours pour permettre le retour en métropole des personnes qui le souhaitent via un transfert sans quatorzaine à La Réunion. La cellule de coordination des vols est chargée de recenser les demandes et de les prioriser”. Elle nous affirme que la situation devrait s’améliorer cette semaine et la semaine prochaine. Pour le moment, la préfecture n’a pas souhaité communiquer sur les modalités de retours de ces voyageurs, ce sera fait lorsqu’elles “seront stabilisées”.

En attendant, les voyageurs se débrouillent comme ils peuvent. Fréderic a même songé à aller aux Comores lorsque cela était encore possible. “J’ai pensé à prendre un bateau pour [y] aller parce que là-bas on a plus de chances d’être entendus puisque les Français qui [y] sont sont rapatriés. Mais il n’y a même plus de bateau”, dit-il avec un pincement au cœur en pensant à sa famille.

 

24 heures avec… Nasrane Bacar, championne d’athlétisme : “C’est l’occasion de récupérer”

La Mahoraise, tenante du titre de championne de France en salle sur 60 mètres (2019), vit plutôt bien son confinement, enfermée dans son 52m2 à Talence, près de Bordeaux. Celle qui est aussi coach sportive a très vite su adapter sa routine, entre vidéos sur le web, entraînements et lectures.

Il est 10 heures, ou plutôt 11 heures, Nasrane Bacar ne sait plus très bien. En ces jours de confinement, les matinées s’étirent et pourtant, la jeune femme ne voit pas le temps passer. Car ses journées sont réglées comme du papier à musique. Petit-déjeuner et rangement pour bien commencer, puis coaching en visioconférence et entraînement personnel. Vient l’heure du déjeuner, et, après une bonne douche, l’athlète file devant son ordinateur, où elle travaille pendant deux heures à développer son activité sur le web.

Car la Mahoraise originaire de Bandrelé ne se contente plus, depuis déjà quelques mois, de sa passion pour les sprints. En janvier, elle s’est lancée à son compte, pour donner des cours de sport à des clients, souvent des chefs d’entreprise. Mais alors que Nasrane Bacar commence tout juste à se constituer un petit réseau de clients fidèles, l’annonce du confinement vient mettre un coup d’arrêt au lancement de son activité. “Résultat, cela faisait donc deux trois semaines que j’étais sans travail”, raconte-t-elle. Mais pas question de se démoraliser. La sprinteuse a proposé à certains clients de poursuivre leur entraînement en visioconférence. Et elle a aussi relancé une page Facebook, sur laquelle elle poste désormais régulièrement des vidéos “Sport et confinement”. “Au début, c’était juste comme ça, pour partager quelques exercices, montrer ce que je fais et me faire un peu de pub”, témoigne la sportive. Aujourd’hui elle espère aussi séduire une autre clientèle, notamment ceux qui la suivent depuis Mayotte, en proposant des programmes à des prix plus abordables.

Aider les gens à garder le moral

Mais ce n’est pas tout. Contactée par la délégation de Mayotte à Paris, Nasrane Bacar a aussi accepté de participer bénévolement à leur action “Sport Santé – Convivialité”, aux côtés de Bavou Mohamadi Loutoufi, entraîneur et préparateur physique, et ancien handballeur professionnel, lui originaire de Tsingoni. Cette opération doit permettre de lutter contre le risque d’isolement, d’exclusion sociale et l’expérience du confinement en Hexagone qui “peuvent constituer un véritable déchirement pour nos concitoyens exposés à ces maux”, peut-on lire dans la description de l’événement Facebook de la délégation. “Là, il s’agira de vraies séances complètes, avec plus d’explications que sur mes vidéos personnelles. C’est une façon d’aider les gens à garder le moral”, résume Nasrane Bacar. L’athlète proposera désormais ces séances gratuites tous les lundis à 15h. Et une activité de plus dans un agenda de confinement déjà bien fourni !

Tellement fourni, que lorsque la jeune femme relève enfin les yeux vers la fenêtre de son appartement à Talence, le jour décline déjà. “Le temps de faire tout ça, et il est 21h, 22h”, décrit-elle. Une fois tous ses objectifs remplis, la coach s’accorde alors un peu de répit, en lisant quelques pages d’un livre. Ces temps-ci, c’est Les rêves de mon père, l’autobiographie signée par l’ancien président des États-Unis Barack Obama. Juste avant, Nasrane s’était plongée dans Devenir, de Michelle Obama. “On m’avait dit que c’était une femme inspirante qui avait beaucoup porté le destin de Barack Obama, donc je voulais en savoir plus. Mais à ce stade de ma lecture, je trouve que cette vision déforme un peu la réalité, et je préfère bien plus Les rêves de mon père”, analyse-t-elle.

Tirer profit du confinement

Avec tout ça, Nasrane Bacar n’oublie cependant pas sa carrière d’athlète, stoppée en plein vol par la pandémie. En gardant la même rigueur dans ses entraînements personnels, elle sait qu’elle ne perdra pas en performance : “j’ai continué mes programmes comme si ça allait reprendre, j’ai du matériel de sport chez moi et je peux aller courir autour du pâté de maisons.” Pour elle, le confinement est aussi synonyme de récupération. “Je sortais d’une grosse saison hivernale, donc je prends ces quelques semaines comme l’occasion de récupérer, de reposer mon mental et mon organisme”, se satisfait-elle. Sa prochaine compétition ? Les interclubs, qui devaient se tenir début mai. Puis les championnats d’Europe d’athlétisme, qui doivent toujours, en théorie, avoir lieu du 25 au 30 août 2020 à Paris, mais qui peuvent eux aussi être annulés d’un instant à l’autre. Pour autant, l’athlète préfère “ne pas se prendre la tête”. La championne du 60 mètres en salle sait voir le verre à moitié plein. Même pour les Jeux Olympiques de Tokyo, reportés à 2021, et auxquels elle espérait briller cette année en rejoignant le collectif relais du 4 fois 100 mètres. “En réalité, j’avais peu de chances d’atteindre cet objectif-là, car ils se réfèrent aux résultats de l’année précédente. Donc ce report, ça me donne d’autant plus de chances de réussir à rejoindre le collectif”, se réjouit-elle.

 

 

Pour le docteur Madi Abdou, “la femme enceinte ne transmettra jamais le virus”

Dans un communiqué en date du 16 avril, Santé Publique France recense dix femmes enceintes atteintes du Covid-19 depuis le début de la propagation du virus à Mayotte. Pour le docteur Madi Abdou, chef de pôle gynécologie-obstétrique, la grossesse ne représente pas un risque. Et l’accouchement se fait normalement.

Covid-19 ou non, la maternité de Mayotte continue de tourner à bloc. Comme le démontre une vidéo tournée par une sage-femme et diffusée le 14 avril dernier au JT de 13h de France 2. Bilan de la nuit de lundi à mardi : une vingtaine de naissances ! Mais existe-t-il un réel danger pour ces futures mamans qui affluent par dizaine quotidiennement ? “La femme enceinte est un statut, ce n’est pas une personne à risque”, insiste le docteur Madi Abdou, le chef de pôle gynécologie-obstétrique. Pourtant, l’agence régionale de santé, qui comptabilise le nombre de cas positifs sur le territoire, en recense dix. Un chiffre relayé la semaine dernière par Santé Publique France. Seule différence avec une personne classique : “il faut qu’elle soit suivie de près, car son évolution peut être très rapide. Mais le risque de fausse couche n’est par exemple pas plus élevé.” D’où leur installation dans le service de médecine. Ou encore l’envoi de l’une d’elles en réanimation pour des raisons de force majeure. “Elle n’était pas arrivée à terme, donc nous n’avons pas déclenché l’accouchement. Elle se porte très bien aujourd’hui. Nous n’avons pas encore été confrontés à une dépression respiratoire et une souffrance fœtale aiguë qui aient nécessité une prise en charge immédiate par césarienne”, assure celui qui est également président de l’association Redeca, qui organise des campagnes de dépistage du cancer du col de l’utérus.

Pas de séparation à la naissance

Si sur le papier, la situation de la femme enceinte atteinte du virus ne semble visiblement pas plus alarmante ou préoccupante que cela aux yeux des autorités sanitaires, quid de celle du futur nouveau-né ? “La femme enceinte ne [lui] transmettra jamais le virus”, certifie le docteur Madi Abdou. Il y a quelques jours au Pérou, un bébé est né contaminé par sa mère à travers le placenta. C’est le deuxième de ce genre à l’échelle mondiale. Face à ce constat, il revient quelque peu sur ses paroles : “Alors c’est juste un cas. Ou alors, il s’agit d’une contamination manuportée”, corrige-t-il. Les données à ce sujet sont encore trop floues pour certifier tel ou tel raisonnement. Néanmoins, le professionnel de santé confie que la maman ne sera pas séparée de son enfant après la naissance, en portant un masque et des gants, et qu’elle pourra l’allaiter normalement, comme n’importe qui.

Et pour que les accouchements se déroulent dans les meilleures conditions possibles, l’ensemble du service se tient prêt à appliquer toute une série de mesures sanitaires. “Nous avons l’habitude des épidémies et à chaque fois, nous nous préparons. Toute une procédure stricte est à suivre.” La plus symbolique est de ne pas admettre d’accompagnants dans la salle de travail… Et pour celles et ceux qui se posent des questions sur les éventuelles répercussions du Coronavirus sur le bébé, les résultats s’écrivent encore en pointillés. “Selon la société française de foetopathologie, il n’y a pour le moment pas de malformation dans les diagnostics prénatals. Et s’il y en a une, elle a été provoquée par une autre pathologie”, suppose le vice-président du syndicat des médecins. En clair, les premières expériences laissent présager un risque pour la grossesse proche du néant. Toutefois, certaines interrogations persistent toujours… Après tout, ne cesse-t-on jamais de répéter que la médecine n’est pas une science exacte ?

Le labo du centre hospitalier de Mayotte au cœur de la détection

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C’est une des pièces maitresses du dispositif de détection du Covid-19. Au cœur du processus, le laboratoire du CHM analyse les prélèvements faits sur les potentiels porteurs du coronavirus. Une tâche primordiale menée sept jours sur sept, qui s’ajoute à ses missions habituelles.

« Il faut parler du laboratoire ! Sans eux la situation serait dramatique, vraiment. » À la sortie du Centre hospitalier de Mayotte (CHM), la remarque de ces deux soignantes croisées sur les coursives en dit long. Car le laboratoire du CHM, c’est un peu la face méconnue de l’hôpital. Implanté dans la cour intérieure d’un des bâtiments de l’institution et isolé du va-et-vient des accès principaux, sa notoriété est bien moindre que d’autres services tels celui des urgences ou de la très célèbre maternité. Pourtant, il est au cœur des missions de l’hôpital, notamment en cette période où sévissent non seulement la dengue, mais aussi le Covid-19. En permanence, cinq biologistes, 35 techniciens de laboratoires et une douzaine de secrétaires et agents se relayent pour analyser les prélèvements reçus dans cinq spécialités : la biochimie, l’hématologie, la microbiologie, l’immunologie, et la biologie moléculaire, une discipline particulièrement sollicitée durant les épidémies actuelles. À la tête du service, le docteur Patrice Combe, biologiste, qui s’assure de l’efficacité du « labo » durant cette crise sanitaire. Visite des lieux pour comprendre comment sont réalisés les tests Covid-19.

Première étape : le prélèvement nasopharyngé réalisé sur un patient, au CHM ou à domicile. Au terme de celui-ci, l’écouvillon est placé dans un tube contenant un milieu « eNat », permettant d’inactiver le virus : « En faisant cela, nous détruisons le virus en préservant l’acide ribonucléique (ARN), que le milieu stabilise, car c’est lui qui permet de faire son diagnostic », éclaire le docteur Louis Collet, biologiste et initiateur du laboratoire de biologie moléculaire au CHM. Cette inactivation est nécessaire pour transporter l’échantillon sans risque jusqu’au laboratoire où il sera analysé.

L’indispensable étape de vérification. Il s’agit de s’assurer que le prélèvement a bien été placé dans un milieu inactivateur. Si ce n’est pas le cas, le biologiste le fait. En trente-minute, le Covid-19 est inactivité.

Les divers prélèvements sont reçus à l’accueil par les secrétaires, qui se chargent de les enregistrer et de les étiqueter avant qu’un robot ne les dispatche. Mais ceux menés pour suspicion de Covid-19 bénéficient d’un traitement différent puisqu’ils sont réceptionnés sur un bureau à part. Et sous triple emballage : le tube contenant le prélèvement mis dans un sachet fermé – comme tout autre échantillon –, mais le tout est, en plus, placé dans une boîte étanche. Pour en récupérer le contenu, les précautions demeurent de mise. C’est sous un aspirateur à air PSM (pour Poste de sécurité microbiologique) que l’opération est menée. C’est également là que les tubes sont vérifiés, ce qu’explique Patrice Combe : « Nous vérifions systématiquement que le prélèvement a été placé dans le bon milieu inactivateur (indentifiable au bouchon bleu du tube, NDLR). Si ce n’est pas le cas, nous le faisons nous-mêmes. En 30 minutes, le virus est inactivé. » Une étape de vérification indispensable car « la première règle est évidemment de ne pas contaminer le personnel du laboratoire. » Les échantillons sont ensuite disposés sur des racks, direction les extracteurs.

Chef du service, le Dr Patrice Combe s’assure du bon fonctionnement du laboratoire, particulièrement sollicité en cette période de double épidémie : Covid-19 mais aussi dengue.

 

Des machines qui tournent 12h par jour

Le docteur Louis Collet, biologiste, devant un des deux extracteurs du laboratoire. Ils peuvent traiter une centaine de prélèvements en six heures.

C’est dans la salle voisine qu’ils sont installés. Un extracteur, c’est une machine permettant d’extraire – comme son nom l’indique – l’acide nucléique (ARN). Pour bien comprendre, « un virus peut être comparé à une boite. Lorsqu’on l’ouvre, on trouve ces acides. » Ce sont eux qui sont ici recherchés. Et

pour y parvenir, on utilise un réactif, substance chimique par laquelle l’extraction est possible. Là se pose un fort enjeu car, épidémie mondiale oblige, ces réactifs sont particulièrement demandés. Une problématique à laquelle s’ajoute la suspension des liaisons aériennes avec la métropole. « L’acheminement est compliqué en temps normal, mais il l’est encore plus actuellement, y compris pour envoyer des examens spécialisés à Paris ou à La Réunion », explique le chef de service en poursuivant sur la question des fameux réactifs : « Nous avons de bons rapports avec la société qui les fabrique alors nous y parvenons quand même, mais quand nous commandons vingt boîtes par exemple, nous en recevons cinq. Cela demande donc énormément de temps à Issa, notre agent qui s’occupe de la logistique du laboratoire, pour s’assurer que les commandes sont faites en temps et en heure. »

Un avantage toutefois : « Nos extracteurs sont ouverts, paramétrables. Cela veut dire qu’en cas d’épidémie comme celle en cours, l’institut Pasteur nous a envoyé les réactifs (Primers) et la méthode recommandée et nous la mettons en place car nous pouvons, sous réserve d’avoir les substances, fabriquer le réactif. » Une dépendance à l’extérieur moindre ? Dans une certaine mesure, oui : « C’est ce qui explique les difficultés des laboratoires équipés de machines fermées pour dépister le Covid-19. Dans ce cas, ils dépendent des réactifs qui leur correspondent. Or, tous les laboratoires qui ont ce même extracteur demandent eux-aussi en ce moment ces réactifs, et le fabricant ne peut pas suivre. » Mais revenons au CHM, qui dispose en ce moment d’une marge confortable de réactifs puisque les stocks constitués permettent de réaliser encore 3 000 tests, en plus des 1 500 déjà effectués.

Ces extracteurs QIA Symphony, le laboratoire en possède deux depuis l’an dernier. Autant dire, dans le contexte du moment, qu’ils tombent à point nommé. L’ancienne machine ne pouvait pratiquer qu’une trentaine d’extractions par jour. « Eux peuvent traiter environ 100 prélèvements en six heures », détaille Louis Collet. Mais évidemment, ils ne sont pas exclusivement consacrés au Covid-19 : dengue, fièvre de la vallée du Rift et autre arbovirus passent par eux. Autant dire qu’en temps de crise, ils tournent quasiment à plein régime : « en termes de volume, le lundi, le mercredi et le vendredi, le premier fait la dengue. Le deuxième fait tous les jours deux séries de Covid-19. L’activité des machines est doublée : elles sont à l’oeuvre 12h par jour et peut-être qu’elles vont devoir l’être également la nuit en fonction de l’évolution des épidémies du Covid-19 et de dengue. » Le laboratoire de biologie moléculaire, lui, travaille désormais sept jours sur sept, contre cinq habituellement, avec le soutien de l’ARS et de Santé publique France. Mais revenons-en à notre extraction. Une fois celle-ci achevée, la dernière étape du dépistage s’annonce.

De 1 à 10 millions d’ARN

Le rotor sur lequel sont disposées les cupules contenant les ARN extraits. Chacune correspond à un patient. Elles sont ensuite placées dans l’amplificateur pour une polymérisation en chaine.

Cette étape, c’est l’amplification de l’ARN extrait précédemment. En termes biologiques, on appelle ça la polymérisation en chaîne. Pour cela le laboratoire dispose de quatre amplificateurs. Le Dr Louis Collet le détaille : « D’un ARN, on en fait 10 voire 11 millions de copies non infectieuses. La polymérisation se fait en temps réel et se traduit par la réalisation de courbes sur nos écrans. Au fur et à mesure du processus, on observe – ou pas – l’augmentation de la concentration du virus. C’est ainsi qu’on peut déterminer si le patient est positif ou négatif au Covid-19. »

Fin de l’analyse, enregistrement et transmission des résultats. En tout, un test Covid-19 nécessite huit heures. Le jour de notre visite, mardi 14, 219 patients avaient été testés depuis le 13 mars.

Au fur et à mesure du processus d’amplification, des courbes apparaissent sur l’écran : « on y observe – ou pas – l’augmentation de la concentration du virus. C’est ainsi qu’on peut déterminer si le patient est positif au négatif au Covid-19, positif, ou porteur asymptomatique », détaille un biologiste. Sur le graphique, chaque courbe correspond à un patient. Au premier plan : les résultats des tests de Covid. On distingue ici trois patients un positif, un négatif, et un en concentration faible.

En arrière-plan les résultats des tests de dengue, 250 chaque semaine. On devine l’ampleur de l’épidémie : « La dengue c’est la folie, 60% des patients sont positifs », constate le Dr Louis Collet.

“À couper le souffle”, en apnée dans le lagon de Mayotte avec un champion mondial

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Le documentaire diffusé dimanche dernier par France Ô suit les explorations de Stéphane Tourreau, vice-champion du monde d’apnée, dans le 101ème département. Le sportif revient sur ces dix jours mémorables à Mayotte.

 

Un véritable marathon, épuisant mais passionnant. C’est le souvenir que garde Stéphane Tourreau, le vice-champion du monde d’apnée en poids constant, de son passage à Mayotte. Une expérience “à couper le souffle”, comme est d’ailleurs intitulé, à juste titre, le documentaire diffusé par France Ô dimanche soir dernier. Ce film d’une cinquantaine de minutes réalisé par son ami vidéaste Mathias Lopez, retrace leur séjour dans l’un des plus grands lagons fermés du monde. Pendant dix jours, ils ont pu explorer ces profondeurs bleues turquoises, d’une richesse unique. “Mayotte est un endroit magique pour sa biodiversité, et rares sont les îles qui possèdent autant d’espèces marines réunies au même endroit”, souffle l’apnéiste, la tête encore remplie d’images.

Des dauphins timides mais curieux, des coraux aux mille couleurs, des tortues à N’gouja, “où il suffit de lever la tête pour en voir trois”, comme il s’en émerveille devant la caméra… Et même un dugong ! Cette espèce, menacée de disparition, ne compte que quelques spécimens dans les eaux de l’île aux parfums. Pour lui, c’est là l’un des souvenirs les plus marquants de ce tournage. “Pour vous dire, c’était même la blague du séjour, ‘‘imagine on croise un dugong’’, et c’est arrivé”, sourit le sportif. Pourtant, tout le projet aurait pu tomber à l’eau. Le départ de l’équipe dans le 101ème département, en décembre dernier, a été suspendu pendant un temps au cyclone Belna, qui, par chance, est passé à plusieurs kilomètres des côtes mahoraises.

 

Une discipline exigeante

 

La chance, nonobstant, Stéphane Tourreau n’y croit pas vraiment. Pour lui, tout est surtout question d’état d’esprit, et le champion valorise particulièrement la résilience et la capacité d’adaptation. Ce sont ces deux valeurs qui l’ont guidé dans une carrière prolifique. Pour plonger à plus de 100 mètres – son record est précisément de 113 mètres – il faut en effet une certaine persévérance. L’apnée à poids constant est une discipline exigeante, qui consiste à s’aventurer dans les profondeurs, simplement à l’aide de ses muscles, de ses poumons, et de palmes, mais sans assistance extérieure ou bouteilles d’oxygène. À partir d’une certaine profondeur, l’apnéiste atteint la narcose à l’azote, que l’on appelle aussi ivresse des profondeurs. À ce stade, “la pleine conscience est indispensable, non seulement pour économiser ses forces et être plus efficient, mais aussi pour être à l’écoute de soi et de son environnement, et rester en sécurité”, explique Stéphane Tourreau. Une capacité intuitive et une adaptabilité particulièrement utile dans les expériences d’exploration telles que celle menée sur le tournage de “À couper le souffle”. Cette fois-ci, l’as de la plongée a nagé jusqu’à 70 mètres dans les fonds marins, jusqu’au tombant de la Passe en S.

Les richesses de Mayotte

“La grande particularité du lagon, c’est la visibilité. C’est incroyable, on peut voir à plus de 50 mètres, on aperçoit les espèces en dessous de nous, et cela donne encore plus envie d’explorer”, témoigne l’apnéiste, qui a rarement vu un tel spectacle, même dans les Caraïbes dont il revenait pour une compétition à peine quelques jours avant son départ pour Mayotte. L’île est pour lui un condensé d’éléments qui participe à un éveil des sens : “c’est ce côté, eau, terre, feu, avec la source volcanique, qui crée ce spectacle inédit pour la vue, le toucher, avec un grand brassage des espèces”, dépeint-il aussi. Et c’est pour lui cette richesse qui décrit le mieux Mayotte dans son ensemble, loin des clichés parfois négatifs renvoyés par certains reportages, qu’il déplore. “Ce n’est pas ça qui permet de construire l’avenir, mais bien au contraire, des valeurs de partage, des intentions positives”.

Et cette philosophie-là, Stéphane Tourreau l’applique aussi dans ses convictions, notamment en faveur de l’environnement. Le sujet de l’écologie et de la préservation du lagon, encore peu appréhendé au niveau local, ne lui a bien sûr pas échappé. “La pollution, cela me choque toujours, malheureusement, c’est partout pareil, je l’ai vu sur beaucoup de plages du monde”. Mais pour lui, pas question pour autant de rester les bras croisés. “C’est à nous d’agir et de deux façons : en communiquant, et en étant actif, de ses propres mains pour espérer motiver d’autres personnes et provoquer un effet boule de neige”. Dans le documentaire, on le voit d’ailleurs ramasser les déchets sur la plage. Son initiative finit par attirer les enfants curieux des alentours, qui mettent alors tous la main à la patte. Comme pour donner raison à cet éternel optimiste, qui, de retour chez lui et confiné, arrive toujours à garder le moral : “j’avais justement prévu de refaire un peu d’entraînement d’apnée hors de l’eau !”, s’amuse-t-il.

 

Pour voir le film documentaire en replay, rendez-vous sur : https://www.france.tv/documentaires/voyages/1370577-a-couper-le-souffle.html

Photographies : copyright Olivier Lefebvre, Mathias Lopez et Puzzle Media

Covid-19 aux Comores, déconfinement, clusters de contamination… D. Voynet fait le point

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Lors de sa traditionnelle audioconférence de presse au sujet de l’épidémie de coronavirus, la directrice de l’Agence régionale de santé est revenue sur les différentes mesures prises par son institution au cours des derniers jours comme le renforcement d’équipes mobiles et un dépistage en passe de devenir plus massif. Et a livré quelques informations au premier rang desquelles le décès du grand mufti des Comores suite à la contraction du Covid-19, venant confirmer la présence du coronavirus dans l’archipel.

 

 

Ce jeudi, 233 cas de coronavirus étaient identifiés à Mayotte. Soit 12 de plus que la veille. Enfin pas tout à fait, comme tient à le rappeler la directrice de l’ARS, déterminée à être le plus claire possible sur les chiffres livrés par son institution. “Nous avons en fait un seul cas qui est rapporté à la journée du 15 avril, les autres ayant été un renouvellement de tests un peu douteux qui ont été refaits et imputés aux journées du 12, 13 et 14”, détaille ainsi Dominique Voynet qui voit dans ce double test “la première manifestation de l’arrivée de deux biologistes supplémentaires de la réserve sanitaire à Mayotte qui ont pu rattraper le retard sur les tests suspects”. Quatre personnes sont toujours en réanimation, dont l’une dans un état critique quant 94 autres personnes contaminées sont officiellement guéries. “Ce n’est pas encore la moitié mais quand même, nous sommes à 41%”, se satisfait à ce titre l’ancienne ministre.

 

Laquelle satisfaction ne dure pas longtemps dans le discours de la directrice de l’ARS qui, même si rien n’indique pour l’heure qu’une montée en flèche des contaminations est nécessairement à prévoir, a plusieurs sujets d’inquiétude. D’abord, le nombre de femmes enceintes touchées par le virus, au nombre de 10. Situation face à laquelle “nous avons mis en place une filière dédiée à l’hôpital tant qu’elles ont de la fièvre et qui poursuivront à être suivies de très près par nos équipes une fois rentrées à leur domicile”, explique Dominique Voynet qui trouve dans ce suivi l’occasion d’expliquer qu’une équipe “solide et nombreuse” a été monté ces derniers jours pour opérer une plus grande attention auprès des cas confirmés et cas contact. Au sein de cette équipe mobile, cinq médecins et des infirmiers dont des personnes parlant shimaoré.

 

Le CHM au centre des inquiétudes

 

Autre sujet d’inquiétude, le CHM. Non pas pour sa réponse médicale, mais pour la présence en son sein de nombreux cas de de contamination. “On a un gros problème au CHM. J’ai rencontré cette semaine Catherine Barbezieux pour attirer son attention et alerter ses équipes sur la question de l’hygiène hospitalière et là encore, nous allons mettre en place deux équipes mobiles qui vont faire le tour des services et faire de la formation aux agents pour leur réexpliquer comment bien utiliser les équipements de protection et surtout comment bien les enlever, car c’est souvent à ce moment-là que l’on se contamine”, explique à ce titre la directrice de l’ARS. Côté CHM, on s’organise pour une reprise du suivi des patients chroniques, car “on s’est rendu compte que beaucoup d’entre eux n’osaient pas se déplacer dans les centres par crainte du Covid”, assure Dominique Voynet, pas peu fière d’expliquer que face à ce constat, “nous mettons en place une ébauche d’hospitalisation à domicile. Dans cette période de crise, on arrive à faire en quelques jours ce qui n’a pas réussi à être fait pendant des années”.

 

Encore un motif de satisfaction rattrapé par “notre inquiétude quant aux nombres des décès à domicile et quant aux conditions de ces décès”, dévoile docteur Voynet. “Nous sommes en train de procéder à une analyse complète des décès qui sont survenus à domicile depuis le début de la crise Covid pour essayer d’expliquer chacun des décès inattendus. Il s’agit de savoir exactement quelle est la cause du décès car on se rend compte que beaucoup de situations méritent d’être investiguées sérieusement, notamment pour écarter le doute du Covid”, explique encore la directrice, assurant que les résultats seront rendus publics.

Transparence aussi, sur la situation au RSMA : “nous avons considéré que les personnes qui ont voyagé autour de la personne dépistée positive, même si elle a voyagé avec un masque, devaient être considérées comme des cas contacts à risque moyen. Nous savons qui ils sont et ils ont été placés ensemble au RSMA, ils sont isolés et suivis par les infirmières. Cela dit, nous savons maintenant qu’il y a du Covid aux Comores (voir encadré) et nous allons donc, à partir de lundi, dépister toutes les personnes qui sont au RSMA, dont les infirmières“, indique Dominique Voynet. La personne dépistée a quant à elle fait son entrée à l’internat de Tsararano, mué en centre de confinement, au même titre que deux autres patients.

 

Vers un déconfinement ?

 

De manière générale, deux clusters de contamination, Bandrélé et le CHM – “où on a un vrai problème”-, sont encore vif et sous surveillance, tandis que la propagation du virus au sein des agents de la police aux frontières et du commissariat de Mamoudzou semble s’endiguer. Si un “gros travail de formation” sera opéré au centre hospitalier pour atteindre ce résultat, les équipes de l’ARS s’attellent encore à déterminer l’ensemble des cas contacts des patients de Bandrélé.

 

Possible, alors, d’imaginer que Mayotte puisse peu à peu sortir du confinement en même temps que la métropole avec une réouverture des écoles le 11 mai ? “Est-ce que l’on pourra à ce moment confirmer une décrue, est-ce que l’on sera toujours à un niveau élevé de contamination voire à un niveau épidémique, à ce stade je ne le sais pas et ne peut donc pas confirmer que le confinement sera levé progressivement sur le territoire à partir de cette date”, répond la directrice de l’ARS, renvoyant au recteur le soin de se positionner au sujet des écoles “car il y a des problèmes énormes à régler, ne serait-ce que le transport scolaire la cantine, l’équipement des élèves…”. Difficile donc, de se calquer sur le modèle métropolitain, même si l’Agence de santé souhaite se préparer au déconfinement grâce à des tests à grande échelle (voir encadré). Comme de se fier aux experts “qui font de la littérature derrière leur téléphone” au sujet de Mayotte. C’est peu dire que Dominique Voynet n’a pas mâché ses mots à l’encontre des rédacteurs de l’avis du comité scientifique qui s’est penché sur les Outre-mer. “Personne ne m’a appelé, on a juste eu un mail d’un type qui nous a demandé de lui expliquer ce que l’on dit déjà dans nos rapports quotidiens. C’est un avis très général qui ne se repose pas sur grand-chose, et pour preuve, il annonce un pic épidémique dans plusieurs territoires qui sont aujourd’hui à un plateau”, tance l’ancienne ministre. Mais que les mahorais soient rassurés, Dominique Voynet assure que c’est bien elle qui murmure directement à l’oreille de la ministre des Outre-mer, laquelle y serait très attentive.

Anchya Bamana : « L’aide sociale à Mayotte ne doit oublier personne, c’est notre priorité »

Maire de Sada mais aussi présidente de l’union départementale des centres communaux d’action sociale (CCAS), Anchya Bamana témoigne des difficultés d’assurer la continuité des droits des administrés tout au long de la crise sanitaire. Et après les premiers couacs de la distribution alimentaire, l’élue de la collectivité appelle tous ses homologues à l’unité et à plus de coordination.

Flash Infos : Comment expliquer que les distributions alimentaires, notamment gérées par les CCAS, ont parfois donné lieu à des attroupements, allant à l’encontre de la distanciation sociale ?

Anchya Bamana : Les acteurs ont du mal à se coordonner, je n’ai pas peur de le dire. On est en train de gérer une crise, certes, mais cela ne doit pas nous empêcher de nous organiser pour répondre aux besoins de la population. Nous avons toujours plaidé le dialogue, pour que tous les élus s’associent à ce projet dans le respect du confinement et des gestes barrières sans empêcher les services de fonctionner, et on y arrive petit à petit. Depuis le début de la semaine, les choses commencent à se délier dans la distribution et l’organisation sur le terrain. On ne peut en aucun cas se permettre de créer des rassemblements, d’autant plus à l’approche du mois de ramadan. Ce n’est pas simple du tout, et c’est pourquoi nous devons tous nous unir.

F.I : Concrètement, comment agir, alors que certains élus en lice pour les municipales sont accusés d’instrumentaliser la crise sanitaire à des fins électorales ?

A.B : L’aide sociale ne doit oublier personne, c’est notre priorité. Personne ne doit tirer la couverture de son côté. Les maires, la collectivité et l’État doivent assurer la continuité pour qu’il n’y ait pas de rupture des droits, pour personne. Par exemple, le gouvernement a envoyé cette semaine plus de moyens, comme des chèques-services, et il a aussi appelé les associations à participer aux distributions. Dès lors, j’ai dit au sous-préfet que nous, élus, nous devions absolument être au courant de l’arrivée de ces nouveaux moyens dans nos communes pour, encore une fois, mieux se coordonner et surtout éviter les doublons entre les différentes aides de l’État, celles des communes et celles du département. Car s’il y a des doublons, nous risquons d’oublier d’autres publics dans le besoin.

F.I : Justement, les CCAS ne sont, en temps normal, pas autant mobilisés par la distribution alimentaire. Qu’en est-il des autres publics vulnérables que vous suivez habituellement ?

A.B : En effet, nous avons différents types de bénéficiaires, et tous ne vivent pas nécessairement dans les bidonvilles mais peuvent quand même vivre dans une grande précarité. Chaque CCAS a une liste de personnes vulnérables parmi lesquelles il y a des familles monoparentales, des personnes âgées ou handicapées, des bénéficiaires du RSA, etc. L’enjeu est de pouvoir aider tout le monde. Tous les CCAS ont une autonomie de gestion et d’action donc tous ne fonctionnent pas de la même façon. Mais à Sada, nous avons ouvert deux numéros de permanence pour que nos services continuent à fonctionner. Une assistance sociale appelle régulièrement les familles et les personnes que nous suivons habituellement. Elle s’assure notamment que les personnes âgées ou handicapées ont tous les médicaments nécessaires à leur traitement.

F.I : Les CCAS de Mayotte disposent-ils de suffisamment de moyens pour aider tous les publics fragiles et fragilisés par la crise sanitaire ?

A.B : Non, les moyens ne suffiront pas. C’est pourquoi j’ai lancé un appel pour que les élus de

Mayotte se réunissent pour faire remonter ensemble les difficultés financières que l’on peut rencontrer et il y en a forcément. Le budget que nous déployons pour la gestion de cette crise, nous ne l’avions pas prévu au départ, donc il est tout à fait naturel que les collectivités, au même titre que les entreprises, touchent des aides. Or, nous devons remonter cette demande au niveau de la préfecture et de nos partenaires car les collectivités doivent être accompagnées dans cette démarche. Mais les élus doivent se mobiliser ensemble, sinon le manque de dialogue risque de nous compliquer la tâche. C’est pourquoi nous faisons un point avec le préfet chaque semaine. Nous avons demandé à l’État de l’aide pour équiper nos agents de terrain et là-dessus, je tiens à remercier l’agence régionale de santé qui en a fourni des masques pour chacun d’entre eux.

La radiologie, le service mahorais indispensable à la veille du passage au stade 3

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Alors qu’une grande majorité des habitants positifs au virus rentre se confiner chez eux, le centre hospitalier de Mayotte recense tout de même une vingtaine de patients hospitalisés, qui transitent par le service de radiologie pour dresser un bilan de leurs lésions pulmonaires. Par ailleurs, le chef de pôle médico-technique, Thierry Pelourdeau, attend avec impatience une deuxième console de post-traitement pour interpréter en masse tandis qu’il vient de diagnostiquer le premier cas d’encéphalopathie due au Covid-19.

Si la radiologie n’accueille plus de consultations externes la matinée et de vacation privée l’après-midi pour diminuer les flux, elle ne chôme pas pour autant. Réorganisé comme bon nombre de services du centre hospitalier de Mayotte, il se retrouve lui aussi en première ligne face au Coronavirus. Alors pour éviter une propagation interne du virus, le chef de pôle médico-technique, Thierry Pelourdeau révèle le partie pris pour dissocier les malades classiques de ceux contaminés. « Nous avons mis en place un circuit non Covid par l’entrée de la porte principale et un autre par celle des urgences. Il y a une séparation physique entre les deux », confie-t-il en pointant du doigt par terre, de la rubalise comme de distinction. Toutefois, « comme les technologies en notre possession sont en un seul exemplaire, à l’instar du scanner, les patients vont forcément au même endroit, donc nous jouons sur le timing. » Conséquence de ces va-et-vient ? Des mesures d’hygiène qui vont bien au-delà des protocoles standards, avec un nettoyage complet au sol, complété par un nettoyage à la vapeur, à chaque passage d’un Covid +. Mais ce n’est pas tout. Face à une personne à risque, le personnel enfile une protection adaptée qui se compose d’une surblouse, d’une charlotte, d’un masque FFP2, d’un tablier en plastique et de lunettes de protection. Un équipement ô combien nécessaire qui s’explique pour une raison toute simple : « lorsqu’un médecin radiologue est droitier et qu’il doit réaliser une échographie du rein gauche, cela signifie qu’il doit toucher le malade pour le positionner… » En revanche, le protocole pour un Covid s’avère moins lourd puisque l’imagerie des poumons peut s’effectuer sans injection.

Un nouvel outil essentiel pour le stade 3

Dans le même temps, le service profite d’être toujours au stade 2 de l’épidémie sur le territoire pour peaufiner ses techniques et ses tactiques. Ainsi, Thierry Pelourdeau doit recevoir une deuxième console post-traitement par le biais du Mistral, qui a amarré hier après-midi à Mayotte. « Elle sera opérationnelle à la fin de semaine dans le but d’interpréter en masse et d’aller plus vite. Elle sera particulièrement utile durant la phase 3 pour diagnostiquer les nouveaux cas et assurer aux réanimateurs, aux infectiologues et aux urgentistes de revoir et de comparer les examens », détaille-t-il. Un nouvel outil qui se conjugue avec un certain remaniement de ses effectifs. « Je me prépare à mettre deux praticiens sur le scanner et un seul sur l’échographie et l’IRM. » Pourtant, si ce choix se justifie à l’heure actuelle, il pourrait très rapidement fluctuer en fonction de l’évolution de ses dernières conclusions. Pas plus tard que mercredi, le chef de pôle médico-technique a en effet décelé le premier cas d’encéphalopathie due au Covid-19, sachant que le patient ne présentait aucunes lésions pulmonaires. « Un tableau inédit et plus grave que ceux décrit par la société française de radiologie », souligne-t-il. Une trouvaille possible grâce à l’IRM cérébral, et qui rend donc la tâche des professionnels de santé en charge du dépistage encore plus ardue. « Le test PCR est la référence pour le diagnostic », insiste Thierry Pelourdeau, qui ajoute que « le scanner thoracique sert davantage

pour le suivi et doit permettre le tri durant la phase 3, parce que l’importance des lésions pulmonaires est corrélée à la gravité clinique qui va en résulter ». Quoi qu’il en soit, les manipulateurs radio ne peuvent échapper, eux aussi, à un risque de contamination. D’autant plus quand certains malades omettent d’évoquer certains symptômes en lien avec le Coronavirus… « J’ai donné comme consigne qu’il fallait partir du principe que tous les patients étaient Covid + », rappelle Thierry Pelourdeau.

Interdiction de sortie en mer : les pêcheurs professionnels mahorais satisfaits par la mesure

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Les pêcheurs ont eu peur lorsque le préfet a annoncé l’interdiction de toute activité en mer pendant le confinement. Mais après négociation, leurs représentants sont satisfaits de la mesure car celle-ci réglemente davantage la circulation maritime et elle protège l’activité des pêcheurs professionnels.

La nouvelle est tombée comme une bombe. Le préfet de Mayotte avait annoncé dans une audioconférence du mercredi 15 avril, l’interdiction de sortie en mer, y compris pour les pêcheurs, afin d’éviter toute confusion avec la lutte contre l’immigration clandestine. En effet, 5 kwassa ont été localisés cette semaine en mer. Jean-François Colombet a donc voulu prendre des mesures drastiques pour que le virus n’entre pas à Mayotte par des voies maritimes illégales. Cependant, la mesure n’a pas été bien accueillie par les pêcheurs qui ne veulent pas se retrouver dans des situations similaires à celles des petites entreprises mahoraises en ce moment. “Je préfère ne pas avoir accès aux fonds d’aides et travailler. Qu’est-ce que je vais faire avec 3.500 euros ? J’ai 14 salariés et je dois poursuivre mon activité pour les payer”, déclare Régis Masséaux, gérant de la société Cap’tain Alandor et président des syndicats maritimes des pêcheurs professionnels mahorais. Une renégociation s’est donc imposée entre les professionnels et le préfet et un compromis a été trouvé. “On pourra aller en mer et travailler. Nous vous discuté avec le préfet et finalement cette mesure ne concerne pas les pêcheurs professionnels mais seulement les plaisanciers. Nous devrons cependant être en règle”, explique Abdallah Issouffi, vice-président de la chambre d’agriculture, de la pêche et de l’aquaculture de Mayotte (Capam). Lors d’un contrôle maritime, les professionnels devront présenter une autorisation de sortie dérogatoire fournie par la Capam, leur numéro de Siret, le permis de navigation et chaque employé présent dans le bateau devra délivrer une attention de rôle dans l’équipage. De plus, “chaque pêcheur doit signaler son départ en mer en appelant le 196. S’il décide de se déplacer pour aller à un autre endroit, il doit également l’alerter et enfin à son retour, il doit appeler pour prévenir qu’il est rentré”, précise le 3e vice-président de la Capam responsable de la pêche.

 

“Cette démarche est bénéfique pour les pêcheurs professionnels”

 

On pourrait croire que les pêcheurs seraient réticents à la décision de Jean-François Colombet, mais ils en sont plutôt ravis. « Ce qui est dommage c’est le contexte de pandémie dans lequel sont prises ces mesures. Mais cette démarche est bénéfique pour les pêcheurs professionnels. Ça tirera la profession vers le haut”, se réjouit Régis Masséaux. L’arrêté préfectoral ne permettra pas aux pêcheurs plaisanciers de circuler, ni aux pêcheurs informels qui sont les redoutables concurrents des professionnels déclarés. “Les plaisanciers ne peuvent pêcher que le week-end et pourtant ils le font même en semaine. Quant aux pêcheurs non déclarés, ils ne sont même pas officiellement dans la profession mais ils pêchent”, regrette Abdallah Issouffi. Désormais, il leur sera plus difficile d’exercer leur activité informelle puisque qu’un pêcheur qui n’est pas inscrit à la Capam ou qui n’est pas équipé de balise sera arrêté s’il est pris en flagrant délit. Le 3e vice-président de la Capam, responsable de la pêche souhaiterait que ces mesures soient appliquées au-delà du confinement. “Maintenant on peut travailler dans de bonnes conditions. Et je souhaite que cela continue même après la crise. Je ne m’inquiète pas pour les pêcheurs, ils vont prendre l’habitude.”

Secteur par secteur, le point du préfet de Mayotte sur la situation

Hier, le préfet de Mayotte, Jean-François Colombet, faisait un point général par audioconférence. Situation sanitaire, confinement, immigration clandestine, ravitaillement, confinés du RSMA, tensions alimentaires et accès à l’eau pour les plus démunis, économie ou encore ramadan : tous les sujets ont été abordés. Nous retranscrivons ici, en substance, les propos du haut fonctionnaire et ses annonces.

Confinement et sécurité

Un relâchement à corriger

On observe un certain relâchement depuis quelques jours. Nous sommes donc en train d’ajuster nos modalités de contrôle, car si ce relâchement n’est pas corrigé, cela compliquera la fin du confinement.

Nous sommes dans une phase réceptive avec 5.296 procès-verbaux dressés, ce qui est un volume considérable, et nous avons multiplié les points de contrôles fixes. Nous entrons désormais dans une phase plus dynamique, notamment dans les villages, en soirée, où nous tentons de combiner notre action pour faire respecter le confinement avec la surveillance générale.

Pour cela, il y a un élément nouveau qui est la présence du DLEM : les militaires arrivés en renfort avec le Mistral peuvent être affectés à des missions diverses, dont celles de protection de sites présentant un intérêt particulier, économique notamment, comme des entrepôts, certains commerces, etc. Le DLEM patrouille ainsi tous les soirs en Grande-Terre et en Petite-Terre de 22h à 6h du matin sur des points définis avec la police et la gendarmerie. Ces patrouilles ne sont jamais au contact des malfaiteurs, mais chaque fois que cela s’avère nécessaire, une coordination se met en place entre les patrouilles du DLEM et les forces de sécurité intérieures pour intervenir.

RSMA

Testé positif au Covid-19 au retour des Comores

Nous avons mis en place une quatorzaine au RSMA qui a été extrêmement critiquée par certains. Dispositif que nous avons renouvelé pour les gens rapatriés des Comores, lundi. Et l’une d’entre elles – un citoyen français – a été testée positive au Covid-19. Il y avait donc une utilité à ce dispositif puisque cette personne n’a pas été contaminée à Mayotte.

Immigration

Une pression qui recommence

Je souhaite que le Mistral qui arrive [aujourd’hui] reste dans la zone, car je veux densifier la présence militaire entre Anjouan et Mayotte. Nous sommes exposés à une pression qui recommence. Nous avons de nouveau des tentatives de passage. Dans la nuit de mardi à mercredi, nous avons eu cinq détections radars pour lesquelles nous avons été au contact. Quatre kwassas ont été refoulés et nous pensons que le cinquième est arrivé. On doit donc redoubler d’efforts et faire en sorte que notre présence en mer soit plus forte. Je sollicite donc le maintien du Nivôse et de son hélicoptère, mais aussi du Mistral pendant qu’il est là, bien qu’il devra ensuite retourner vers sa mission de fret.

Pour les personnes qui seraient interceptées sur la plage, nous allons probablement transformer le CRA en lieu de mise en quarantaine, car si l’on prend le support juridique du Code des étrangers pour

garder les gens en rétention, ils peuvent en ressortir au bout de cinq jours si le juge des libertés estime qu’il n’y a plus de perspectives d’éloignement. Or, l’Union des Comores a fermé ses frontières. Cela veut dire que les reconduites sont impossibles. Moi, mon premier objectif, c’est la protection sanitaire et c’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, les gens qui sont rentrés des Comores lundi ont été conduits au RSMA, comme ceux venant de Madagascar auparavant. Je ne souhaite pas avoir 200 Comoriens dont certains seraient porteurs Covid-19 à Mayotte. La priorité, c’est la protection des Mahorais, et il ne faut pas encombrer et fragiliser un système sanitaire par des apports extérieurs.

Par ailleurs, le cas de Covid-19 positif découvert lundi au retour des Comores, en confinement au RSMA, m’amène à mettre en place un dispositif musclé en mer. Je vais donc réarmer une opération avec les militaires, solliciter la présence du Nivôse dans la zone, mobiliser sept bateaux dont quatre en mer 24h/24, demander au gouvernement de nous renforcer en moyens humains, et demander à ce qu’une vive protestation soit faite par l’ambassadrice de France contre l’Union des Comores, car ils ne font pas ce à quoi ils s’étaient engagés, c’est-à-dire surveiller les côtes comoriennes pour éviter les départs en direction de Mayotte.

Nous allons également interdire toute activité nautique sur le lagon à l’exception des barges, car les embarcations créent des échos sur nos radars qui nous amènent parfois sur des pêcheurs en pensant qu’il s’agit de kwassas. C’est une perte d’efficacité. Un dispositif personnalisé sera mis en place pour les pêcheurs pour qu’ils puissent être indemnisés : 3.500 euros renouvelables tous les mois s’ils payent des impôts et, s’ils ne sont pas déclarés, nous allons essayer de faire jouer le fonds du conseil départemental à hauteur 1.000 euros par mois.

Liaisons aériennes

Entre 22 et 26 tonnes de fret par semaine

Nous avons mis en place une organisation logistique absolument inédite, notamment due à la suspension des vols commerciaux. Nous sommes d’ailleurs le seul département français à l’avoir obtenue pour protéger les Mahorais. En compensation, nous avons deux vols par semaine opérés par Air Austral, sans rupture de charge : lorsqu’ils partent de Paris, ils sont essentiellement chargés de fret pour Mayotte. On parvient ainsi désormais à acheminer entre 22 et 26 tonnes de fret par semaine. Cinq sont pour le CHM, beaucoup pour des organismes pharmaceutiques et le reste en fret frais à disposition des transitaires.

Nous avons aussi des vols militaires, et d’autres vols affrétés par Paris, notamment l’A330 Etec qui a amené des billets de banque extrêmement utiles pour délivrer les prestations sociales ; mais aussi par Santé publique France ; et nous avons récemment eu un vol Air Seychelles affrété par le ministère de l’Intérieur pour amener des masques à destination des policiers et des gendarmes.

Liaisons maritimes

Ni pénurie ni difficultés à anticiper

Il n’y a aucune pénurie à constater ni de difficultés à anticiper à l’heure actuelle. Il y a certes une désorganisation totale du fret maritime, mais elle est à imputer à une situation mondiale, et non à celle de Mayotte en particulier : conflits sociaux qui ont affecté les ports métropolitains lors du mouvement de protestation contre la réforme des retraites ; grandes compagnies qui mettent beaucoup moins de moyens sur l’eau pour transporter les marchandises, etc. Le commerce maritime mondiale est complètement perturbé. Cela dit, des bateaux accostent toujours à Mayotte, le commerce maritime s’exerce toujours.

Nous avons aussi le soutien du Mistral, qui travaille exclusivement pour Mayotte au moment où je vous parle. Il arrivera [aujourd’hui] avec 230 tonnes de fret, dont 19.000 litres de gel hydroalcoolique. Et, évidemment, le fret qui arrive par le Mistral n’est pas facturé.

Distributions alimentaires

Des bons alimentaires plutôt que des colis

Nous avons une situation très spécifique à Mayotte puisque nous avons mis en place une distribution pour des gens en grandes difficultés. J’ai annulé une distribution de colis alimentaires, car, malgré le soutien du DLEM, nous aurions eu des rassemblements trop importants. Nous tâtonnons, c’est vrai, et avec les élus, nous avons tenté des expériences qui ne se sont pas révélées satisfaisantes. Mais nous avons donc progressé. Désormais, nous optons définitivement pour la distribution de bons alimentaires. Un ou deux maires proposaient cette solution, et c’est la plus efficace. Sur les mois d’avril et de mai, nous allons ainsi distribuer près de deux millions d’euros, à la charge de l’État, en bons alimentaires. Nous allons le faire par le biais de trois vecteurs :

— les CCAS, qui ont la liste des familles nécessiteuses et qui pourront leur remettre des bons

— sept associations qui connaissent les familles qui ne sont pas sur les listes des CCAS. C’est notre cœur de cible, car, s’il y a des Mahorais en difficultés, il y a aussi des étrangers, en particulier en situation irrégulière, et qui doivent eux aussi, naturellement, avoir accès au soutien alimentaire. C’est une question humanitaire, éthique, mais aussi sanitaire puisque nous nous protégeons contre la circulation du virus en faisant ça.

— Les enseignants. Dans certains établissements secondaires, il y a des enseignants qui sont très proches des élèves, qui connaissent ceux qui sont en très grande difficulté. Dans une relation de confiance, je veux confier à ces enseignants volontaires des bons alimentaires pour qu’ils les remettent à ces quelques enfants.

Accès à l’eau

Des rampes à eau dans 14 secteurs

Avec la directrice de l’ARS, Dominique Voynet, nous sommes tombés d’accord pour définir 14 secteurs jugés prioritaires dans des zones paupérisées, afin de les équiper de rampes à eau avec bouton poussoir pour éviter le gaspillage, car il faut garder à l’esprit que vers le mois de novembre, nous aurons probablement des sujets à traiter de ce côté-là. Elles seront installées assez rapidement.

Également, j’ai demandé aux maires d’ouvrir un établissement recevant du public par village, au sein duquel les familles pourront avoir un accès libre à l’eau. Cela peut être tirer un tuyau depuis une canalisation dans la cour d’une école par exemple. Cela se fera avec les maires volontaires qui sont prêts à nous apporter leur concours, notamment avec la police municipale pour réguler tout ça et éviter les grands rassemblements de personnes.

Nous avons aussi obtenu de l’opérateur 50 cartes d’accès aux bornes-fontaine. Elles ont été remises à la Croix-Rouge pour qu’elle puisse les distribuer. Et nous avons également obtenu le financement de 700 cartes pour les bornes à eau monétique, qui sont distribuées. Pour ne pas créer d’affluence propice à la circulation du virus, elles le sont dans des commerces alimentaires dispersés sur le territoire, là où le besoin s’en fait sentir.

Pétrole lampant

Trois points de distribution à Kawéni au lieu d’un

Il y a eu une période de pénurie qui a créé une forte attente. Les plus fragiles ont reçu l’idée qu’il n’y en avait plus. C’est une erreur, il y en a et il n’y a aucun problème là-dessus. Simplement, il fallait rétablir la possibilité de payer ce pétrole lampant en espèce comme la loi l’exige, sinon on donne le sentiment que quelque chose de bizarre se passe. De plus, au lieu de contingenter ce pétrole lampant, il fallait le distribuer en abondance et multiplier les points de distribution dans le but d’éviter les regroupements.

Hier après-midi, nous avons donc réuni Total et Sodifram, et nous avons convenu que Total mettrait en place quatre cuves de 1.000 litres de pétrole lampant sur trois points de distribution à partir [d’hier] à 14h : la station Total et deux autres au Sodifram de Kawéni. Il n’y aura pas de surcoûts, car les frais d’installation et de distribution seront absorbés par ces deux groupes. Le DLEM sera présent sur place et la ville a fait l’effort de mettre des barrières sur zone. Nous ne manquerons pas de pétrole lampant dans les prochaines semaines. Cette expérimentation sera maintenue [aujourd’hui] et vendredi. Nous ferons ce même jour son inventaire et soit nous le modifierons, soit nous le répliquerons partout où c’est nécessaire, en particulier en Petite-Terre.

Économie

792 entreprises mahoraises ont sollicité du chômage partiel

En quelques chiffres, 792 entreprises mahoraises ont déjà sollicité du chômage partiel pour 7.800 salariés. Cela représente 3,4 millions d’heures de travail qui seront financées par l’État.

Concernant les prêts garantis par l’État, 10 millions d’euros ont déjà été garantis et ont été octroyés à 75 entreprises mahoraises.

S’agissant du fonds de solidarité – 1.500 euros délivrés par l’État auxquels s’ajoutent 2.000 euros du conseil départemental si les conditions sont remplies – , il a déjà été mobilisé pour 173 bénéficiaires à Mayotte. Et 2,5 millions d’euros de report de charges sociales ou fiscales ont été accordés.

Nous avons aussi accordé 1,8 million de report décades à ceux qui l’avait sollicité.

J’ai par ailleurs demandé aux maires de mettre en place dans leur commune une petite cellule pour expliquer aux chefs de petites entreprises, qui ont parfois des difficultés linguistiques ou d’accès au digital, quels sont leurs recours.

Enfin, 25 entreprises sont en cessation de paiement. Une task-force en lien avec la CCI a été mise en place pour que chacun des dossiers de ces sociétés soit étudié au cas par cas et regarder ce que nous pouvons faire pour les soutenir durant cette période.

Ramadan

Une dérogation pour les marchés alimentaires

Le groupe de réflexion que j’ai mis en place m’a remis ses recommandations (voir Flash Infos d’hier) et nous sommes en train de les travailler pour lancer une vaste campagne de communication. Les messages seront portés auprès de la population. Par ailleurs, nous allons rouvrir des marchés exclusivement alimentaires. Une partie la population, modeste, s’y ravitaille, donc il faut pouvoir les rendre accessible à nouveau. Par ailleurs, nos agriculteurs rencontrent de grandes difficultés pour écouler leur production : nous avons donc là l’occasion de soulager ce secteur important. Aussi, certains des produits traditionnellement consommés durant le ramadan ne se trouvent pas dans les grandes surfaces. Il faut donc que ces marchés puissent les fournir. Les maires qui le souhaitent

pourront donc déroger à l’interdiction en vigueur sur demande, à condition que les gestes barrières et les précautions à prendre soient respectées.

Pratique funéraire

La mise en place d’un opérateur qualifié

Nous avons environ 800 décès par an à Mayotte. Deux tiers interviennent à domicile. Cela veut dire que pour ceux-là, on a moins de deux décès par jour à Mayotte. Soit, statistiquement parlant en tout cas, un décès tous les sept ou huit jours par commune. Tant que durera la crise sanitaire, il y aura 24h/24h la possibilité d’obtenir le concours d’un médecin pour constater le décès. Afin que ce médecin l’accepte, l’ARS travaille à la mise en place d’un tarif incitatif pour favoriser les déplacements de nuits des médecins de ville.

Par ailleurs, compte tenu de la rareté des décès, nous avons demandé qu’un opérateur qualifié puisse procéder à la mise en bière dans une double housse mortuaire. Les gestes doivent être professionnels. Les cadis l’ont bien compris. Enfin, cet opérateur sera pris en charge par les communes pour soulager les familles. Cela ne va pas ruiner ces dernières, d’autant qu’on peut les aider.

Éducation

Protéger les enseignants avec des masques

Je m’engage à protéger les enseignants. Une commande massive de masques alternatifs a été lancée avec le conseil départemental auprès des petites entreprises mahoraises pour qu’elles nous livrent 25.000 masques financés par le FEDER. Ils sont faits sérieusement sur un modèle AFNOR, et permettent de se protéger efficacement contre une charge virale légère. C’est notamment le cas pour les enseignants qui seront face aux élèves. Nous avons quatre semaines pour cela. Notre ambition est, si l’épidémie doit durer, de monter à 50.000 masques alternatifs, voire plus.

Sur le 11 mai

“Rien n’est gagné”

Le 11 mai se gagne. Rien n’est gagné d’avance, rien ne sera automatique. Soit nous sommes performants tous ensemble, soit nous ne sommes pas parvenus à assumer ensemble cet effort de confinement et le 11 mai n’aura, pour Mayotte, aucune valeur. Tous les jours, nous devons consentir à des efforts pour retrouver une vie normale.

Ce qui est important, ce n’est pas tant le nombre de cas que le nombre de patients admis en réanimation. Toute notre stratégie nationale repose là-dessus : protéger les centres hospitaliers. Quand le nombre de cas admis en réanimation commencera à monter, alors nous aurons la révélation de quelques choses d’extrêmement sérieux. Ce n’est pas encore le cas, avec seulement trois séjours en réanimation. Les chiffres donnés par l’ARS peuvent donc sembler encourageants, mais si nous relâchons nos efforts sur le confinement, nous perdrons.

 

“On nous demande de faire respecter le confinement, mais derrière, on ne nous accompagne pas”, déplore Saïd Omar Oili

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Total, rôle du maire dans la gestion de crise, rapport avec les autorités et réouverture des écoles, Saïd Omar Oili, maire de Dzaoudi-Labattoir, président de la communauté de communes de Petite-Terre et de l’association des maires de Mayotte, fait le point. Et réaffirme l’importance du premier magistrat communal dans la crise qui secoue le territoire.

Flash Infos : À la une de vos dernières actualités, votre bras de fer avec Total. Comment avez-vous obtenu gain de cause ?

Saïd Omar Oili : Sans nous consulter, Total a décidé de manière unilatérale de refuser le paiement en espèces arguant de question de sécurité pour leurs agents. Peut-être que cette société ne lit pas les statistiques locales, mais quand 84 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et que deuxièmement, le taux de bancarisation est très faible, ce qui empêche la délivrance de cartes bancaires, empêcher le paiement en espèce revient nécessairement à exclure une très large part de la population des services de Total. Or il s’agit bien sûr de l’essence, mais surtout de la matière première pour la cuisson, qu’il s’agisse de gaz ou de pétrole lampant. Je me suis dit que si je ne faisais rien, nous nous dirigerions d’une crise sanitaire vers une crise sociale, car à l’approche du mois de ramadan, les gens n’accepteraient pas cette situation. J’ai donc pris mon bâton de pèlerin, j’ai alerté Paris par l’intermédiaire de l’Association des maires de France dont le président, François Baroin, a saisi le ministre compétent. Et par ce canal, le patron de Total. Voilà donc comment nous avons réussi à les faire revenir à la raison et permettre dès cette semaine que le paiement en espèce soit de nouveau accepté. Rappelons par ailleurs que payer en espèce est un droit.

FI : Suite à cela, on a pu observer des attroupements dans les stations-services, ce qui vous a poussé à fermer la station de Petite-Terre. Quelle est la solution ?

S. O. O. : Lorsque vous affamez quelqu’un pendant trois ou quatre semaines et que du jour au lendemain vous ouvrez les grilles en demandant de se mettre en rang, vous croyez que les gens vont vous écouter ? C’est bien ce qu’il s’est passé. Comme il n’y a pas eu de concertation et de réflexion au départ, les choses ne pouvaient que mal se dérouler. Au moment de la réouverture, les gens n’avaient plus rien chez eux, ils savaient aussi que le ramadan arrive et que dans les conditions actuelles, Total pourrait fermer les vannes quand il le voudrait. Forcément, c’est la ruée.

Je me suis rendu sur place pour voir ce qu’il se passait avant de prendre la décision de faire fermer les lieux. Les gens m’ont expliqué la situation dans laquelle ils se trouvaient et m’ont indiqué que dans ces conditions ils n’auraient plus d’autres choix que de couper du bois pour cuisiner de manière traditionnelle. Ce n’est pas acceptable et j’ai donc demandé à Total de fermer ce jour pour rouvrir dans de bonnes conditions. Nous travaillons actuellement avec des associations pour permettre d’encadrer les choses, que les gens puissent respecter les gestes barrière et je travaille également avec la directrice de Total à qui j’ai demandé que l’on puisse vendre le pétrole à tout le monde. C’est-à-dire que pour cette semaine, nous rationnons à 10 litres par personne. C’est peut-être à partir de là que nous pourrons diminuer l’afflux vers les stations-services et revenir petit à petit à une situation normale.

FI : Quelle est la leçon à retenir de cette situation ?

S. O. O. : J’ai écouté le discours du président de la République et j’ai relevé qu’il a cité les maires près d’une dizaine de fois en expliquant que nous étions les maillons forts de la mise en place de toutes les mesures et que l’on ne pouvait pas travailler sans eux. Dans ce cadre, à chaque fois que les pouvoirs publics ou les entreprises essaieront de prendre des mesures unilatérales sans concertation, nous arriverons à ce genre de situation.

FI : Justement, compte tenu du rôle du maire que vous évoquez, quelles sont les différentes actions que vous avez prises pour répondre aux différents besoins de la population dans cette période de crise sanitaire ? Et à l’échelle de la communauté de communes de Petite-Terre ?

S. O. O. : À l’échelle de la commune, l’élément le plus central est le centre communal d’action sociale avec qui nous avons mis en place une distribution de colis alimentaires pour venir en aide aux populations les plus démunies. Nous avons toute une organisation en ce sens qui repose sur un travail déjà mené tout au long de l’année qui vise à identifier les familles en difficulté. Cela nous permet de livrer des colis alimentaires sans qu’il n’y ait d’attroupements. C’est nous qui allons vers les gens, car nous les connaissons. Dans le même temps, ceux que nous n’aurions pas encore identifiés sont invités par la police municipale qui sillonne les rues avec son mégaphone à venir se faire connaître au CCAS ou à la mairie pour qu’ils puissent bénéficier de l’aide. Cela marche très bien et depuis le début du confinement nous avons assisté plus de 4.000 familles.

Concernant la communauté de communes, nous avons mis l’accent sur le ramassage des déchets. Nous en avons la compétence même s’il revient au Sidevam de le faire. Comme celui-ci est complètement défaillant – alors même que nous cotisons à hauteur de trois millions d’euros par an -, il nous a fallu prendre les choses en main afin de lutter contre la prolifération des moustiques et donc la propagation de la dengue. Nous faisons donc en sorte que nos communes soient propres même si ce n’est pas évident.

FI : En tant que président de l’association des maires de Mayotte, considérez-vous que vos collègues maires s’investissent autant qu’ils le devraient en cette période ?

S. O. O. : Chaque territoire a sa personnalité et spécificité, à partir de là, chaque maire est le mieux à même de juger de ce qui est dans l’intérêt de sa commune. Cependant, nous nous trouvons dans une situation compliquée. Pour de nombreux maires, nous sommes encore en période électorale. Ce n’est plus mon cas puisque j’ai été élu au premier tour, mais je comprends leurs difficultés. Je me sens libre, je n’ai pas de calcul à faire, ce qui n’est à l’évidence pas leur cas. Il est donc très difficile pour beaucoup de mes collègues d’agir autant qu’ils le voudraient dans ces conditions.

Ce problème d’élection freine les maires dans leur action, c’est certain.

FI : Considérez-vous que les élus locaux sont à la fois accompagnés et écoutés dans la gestion de cette crise ?

S. O. O. : C’est un autre feuilleton… Je me tiens en ce moment à une ligne de conduite qui se résume ainsi : on ne répare pas le toit d’une maison pendant l’orage. Laissons donc passer l’orage et réparons le toit ensuite. Cela veut dire que même si le président de la République a reconnu qu’il y a eu des maladresses, des manquements et des erreurs en évoquant la France métropolitaine où l’administration est très rodée, on se doute bien qu’il y a encore eu plus de loupés ici. Mais est-ce pour autant le moment de le dire, d’indexer ? Je ne le crois pas, la solidarité doit prévaloir, mais il faudra retenir les leçons. Cette crise devra nous servir à quelque chose, non pas à se chamailler, mais faire avancer Mayotte dans la modernité. Pour l’instant, l’urgence est de préserver les vies.

Il faut bien reconnaître que les élus locaux n’ont pas la main sur beaucoup de choses en ce moment, c’est le préfet qui a les pleins pouvoirs. Peut-être aurions-nous pu être plus utiles. Nous reparlerons de cela. Mais mon inquiétude actuelle, en tant que maire, est la réouverture des écoles. Comment allons-nous les ouvrir ? Sachant que les écoles sont surchargées, pas aux normes… Si on ouvre les classes sans qu’absolument toutes les bonnes mesures de précaution soient prises, que va-t-il se passer ? C’est une grande interrogation et il faudra au moins sur ce point que nous travaillions en concertation, en bonne intelligence. Certaines communes auront de grandes difficultés, ne serait-ce que pour décontaminer les écoles, obtenir un nombre suffisant de masques, etc. Nous devons travailler ensemble sur ces questions pour préserver les vies de nos familles. Pour l’heure, on est dans le flou total.

FI : Vous sentez vous freiné dans votre action ?

S. O. O. : Le problème est que nous avons la même information que tout le monde, celle livrée par l’ARS à l’ensemble de la population. Or, peut-être que nous, les maires, aurions mérité d’être mieux informés, car c’est à nous que les habitants ont accordé leur confiance. Cela aurait par exemple pu permettre que nous soyons mieux informés, en toute discrétion, des foyers de contamination sur nos territoires. Cela aurait pu nous permettre de mieux aider, mais le lien n’est pas là. C’est dommage qu’on ne nous fasse pas confiance.

Si chaque commune avait une bonne connaissance de l’évolution de la situation sur son territoire, nous serions à même de nous adapter, mais là, nous sommes en panne d’information. Nous nous retrouvons seuls face aux questionnements de nos concitoyens. Nous avons seulement le droit à une information générale et c’est très frustrant, car c’est nous, les maires, que les gens viennent voir. Comment leur répondre que nous n’en savons pas plus qu’eux ? Nous sommes très seuls dans ce genre de situation.

FI : Sentiment d’isolement donc, mais aussi d’inquiétude ?

S. O. O. : Bien sûr que je suis inquiet, notre territoire est touché. Si j’avais plus de données, peut-être que je serais plus rassuré, mais pour l’heure on ne peut être que dans le doute. Ce à quoi s’ajoute l’irrespect des mesures de confinement par une grande partie de la population qui n’a pas les moyens de les appliquer.

On se rend compte aujourd’hui que l’économie informelle est ce qui fait vivre Mayotte, qui l’a fait manger. Avec ces mesures, on se rend aussi compte que les gens n’ont plus rien du tout. Peut-être que, là aussi, il faudrait que nous travaillions plus ensemble pour adapter les règles à la réalité locale. Sans cela, je refuse que les maires soient indexés pour leur inaction, c’est trop facile. On ne peut pas supporter d’être pointés du doigt alors que l’on ne participe pas aux décisions. C’est difficile à vivre alors que nous essayons avec le peu de moyens que nous avons d’aider nos populations et quelque part de réparer les pots cassés.

Comment peut-on dire à quelqu’un de ne pas sortir alors qu’il n’a pas d’eau et qu’il ne sait même pas si la borne-fontaine va fonctionner ? Si elle ne marche pas, on va dire que c’est la faute du maire alors que justement, il aurait fallu veiller à ce que l’accès à l’eau soit effectif au moment du confinement.

Alors on essaye de rattraper, mais il y a tellement de verrous administratifs que c’est trop dur. J’ai réussi à mettre trois bornes-fontaines à La vigie, mais quel parcours du combattant ! On nous demande de faire respecter le confinement, mais derrière on ne nous accompagne pas.

 

Mayotte Hebdo de la semaine

Mayotte Hebdo n°1116

Le journal des jeunes