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À la lingerie du centre hospitalier de Mayotte, 1.2 tonne de linge sale passe entre leurs mains

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Chaque matin, les agents de la lingerie récupèrent le linge sale dans tout le centre hospitalier pour l’envoyer à la Blanchisserie de Mayotte. Une mission indispensable qui n’est pas sans risque et qui requiert une certaine rigueur. Malgré l’angoisse du virus, l’équipe se serre les coudes pour faire tourner son service.

7h30. D’imposants bacs métalliques remplis de linges sales reviennent des différents services de soins. Comme chaque jour à cette heure-là, les roues s’entrechoquent et patinent sur le bitume pour se placer en file indienne, dans le chemin qui mène à l’entrée de la lingerie. L’apparition du soleil bouillant au-dessus du bâtiment réfléchit délicatement sur le matériau grisâtre. Tour à tour, les “caisses” pénètrent dans un petit local pour la pesée. À l’intérieur, Raoudhoiti, le dos apposé contre le mur, griffonne des chiffres sur un bout de papier. L’affichage de 109.20 kg lui fait momentanément relever la tête. À quelques mètres, charlotte verte vissée sur la tête, l’employé de la Blanchisserie de Mayotte, le prestataire du centre hospitalier, dépose alors tous les contenants dans un charriot pour les emmener vers son camion. “Nous avons trois couleurs : le bleu pour le linge plat (draps, champs, alèses, services de table ou de bain, taies, gants), le rouge pour le linge souillé, par l’urine et le vomi par exemple et le transparent pour le linge infecté, une pratique qui existait déjà précédemment”, développe Karima Abdourrahamane, la responsable du service, tout en précisant que des sacs solubles ont été reçus la semaine dernière spécialement pour le Coronavirus. Une précaution plus que souhaitable dans la lutte contre la propagation du virus, sachant que le linge n’est pas systématiquement bien trié. Ainsi, ces erreurs d’inattention peuvent provoquer des pénuries. À l’instar du linge de ménage qui s’est retrouvé mélangé et incinéré avec les déchets d’activités de soins à risques infectieux (dasri)… “En deux semaines, on n’avait plus rien !”, souligne-t-elle.

“Il fallait leur remonter le moral”

De retour à l’extérieur, Said, Mohamadi et Omar décrassent avec énergie les grosses boîtes. Bilan de l’opération : 1.2 tonne de linge sale récupérée au CHM. Auquel s’ajoutent 300 kilos provenant des hôpitaux périphériques et des centres de consultation. Ce qui représente ni plus ni moins un total de 5.500 pièces. La première partie de la journée s’achève. Direction la douche avant de se changer et de pénétrer dans la zone propre où Salama finalise les derniers préparatifs avant l’envoi du propre. “Au début de l’épidémie, mes agents avaient peur de se croiser. Il fallait systématiquement leur remonter le moral avant de les envoyer dans les services. Même si aujourd’hui le stress s’est quelque peu dissipé, on vit toujours avec la peur de l’attraper, surtout ici à Mayotte”, concède Karima Abdourrahamane, qui loue le professionnalisme et le sérieux de son équipe, notamment vis-à-vis du respect des règles d’hygiène et de sécurité. Pas de place au doute puisqu’il est déjà l’heure d’entamer les livraisons. À 9h, douze armoires sortent de la lingerie pour se rendre aux quatre coins de l’établissement. Celles-ci contiennent toutes les dotations fixes pour équiper les lits ainsi que les personnels soignants. Un travail d’orfèvre qui exige une minutie absolue. Toutefois, “il est possible que des services fassent quelques ajustements le matin même en fonction des entrées et des sorties”.

“Ils ont tous joué le jeu malgré la fatigue”

Si les agents de la lingerie se font discrets dans les couloirs, ils n’en restent pas moins indispensables au bon fonctionnement de l’hôpital. “On nous a mis en tête que le Covid circulait partout au CHM, donc il faut se prendre en charge soi-même, éviter de toucher tout et n’importe quoi et se protéger avant de sortir… Psychologiquement, on s’est adapté et on se sent plus à l’aise.” D’ailleurs, certains n’ont pas hésité à annuler leurs congés ou leurs jours de repos pour remplacer des collègues touchés par la dengue au cours des dernières semaines. “On a dû jongler avec le planning des uns et des autres, mais ils ont tous joué le jeu malgré la fatigue”, relate fièrement Karima Abdourrahamane. Et en supposant les sourires s’afficher derrière les masques de Salama, Raoudhoiti, Toiymina, Said, Mohamadi et Omar, cette solidarité ne risque pas de s’effondrer de sitôt.

 

Carla Baltus, président du MEDEF Mayotte : “Nous voulons éviter que des plans de licenciement viennent encore gonfler les chiffres du chômage”

Dans un courrier signé conjointement par plusieurs fédérations professionnelles, le monde économique de Mayotte interpelle le gouvernement sur des aides aux entreprises jugées encore très largement insuffisantes. La présidente du Medef à Mayotte, Carla Baltus, revient sur ces différents dispositifs, et sur les difficultés que risquent de rencontrer les entreprises mahoraises au moment de la relance. Si une telle “relance” est encore possible, vu les nombreuses inconnues qui planent encore sur le déconfinement du 101e département…

Flash Infos : Début 2020, Mayotte semblait connaître un nouveau souffle, deux ans après la crise de 2018 qui avait durement frappé les entreprises. Une note de l’INSEE illustrait ce dynamisme, avec plus de 1.000 entreprises créées en 2019. Malgré cette croissance apparente, l’économie mahoraise a-t-elle de quoi affronter une nouvelle crise, liée cette fois-ci au Covid-19 ?

Carla Baltus : Non, l’économie est encore trop fragile, c’est certain. D’autant plus que nous suivons à Mayotte un plan de convergence qui nous conduit naturellement à une augmentation régulière des charges. Sans parler du coût de la vie et donc des matériaux nécessaires au développement de nos entreprises. Nous sommes toujours à flux tendu à Mayotte, entre des charges que l’on tâche de maîtriser, et un chiffre d’affaires confronté à la concurrence. Ce contexte contribue à une fragilité naturelle de notre économie. Résultat, à la moindre crise, nous risquons la catastrophe. Mais cette crise que nous vivons aujourd’hui est inédite. Elle est arrivée brutalement, sans que nous puissions la voir venir, ou anticiper des solutions de repli. Heureusement, il y a des mesures d’urgence. Ces dispositifs sont les bienvenus, mais ils sont encore insuffisants. La grande majorité des entreprises a du mal à y accéder. Et plutôt que des mesures, les entreprises ont besoin d’activité. Certaines se retrouvent avec des stocks morts, d’autres, qui tentent tant bien que mal de poursuivre leur activité, ont besoin de pièces de maintenance, ont quand même une perte de chiffre d’affaires…

FI : Dans votre courrier, vous évoquez une meilleure adaptation des mesures d’aides aux entreprises au contexte local. Vous demandez notamment un étalement des dettes sociales et fiscales nées avant la crise du Covid-19. Pourquoi les dispositifs d’aides, comme les reports de charges, ou les prêts exceptionnels, ne vous semblent-ils pas suffisants pour permettre la relance des entreprises de Mayotte après le déconfinement ?

C. B. : Nous sommes obligés de demander le maximum, pour espérer obtenir quelque chose. À Mayotte, il y a des chiffres d’affaires que l’on ne retrouve jamais, et des dettes que l’on cumule depuis des années. Nous avons obtenu un report de charges, mais cela ne suffit pas. Beaucoup d’entreprises ont un échéancier à la CSSM pour certaines dettes qu’elles traînent depuis 2011. Cela constitue des mensualités très lourdes. Même chose pour le prêt garanti par l’État, le PGE. C’est un début de solution, mais elle est à double tranchant : il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une nouvelle dette, certains le redoutent. Surtout que nous manquons de visibilité sur l’avenir. Certes, le PGE constitue un prêt intéressant, avec un taux d’intérêt autour de 0,25 % pour la première année. Mais dès le 13e mois, il va falloir renégocier ces prêts sur les taux du marché et on ne sait pas quelles seront les conditions à ce moment-là. Les entreprises risquent donc d’en payer le prix sur les cinq prochaines années. Autre source d’inquiétude : le risque que ce PGE ne devienne un frein pour ceux qui souhaiteront investir dans les années à venir. En fonction de l’approche comptable, ce prêt pourrait en effet être vu par la banque comme une charge dans les bilans des entreprises, qui diminuerait leur capacité d’endettement. C’est ce que montrent certaines projections comptables…

FI : Il y a bien eu des mesures supplémentaires proposées par le conseil départemental, justement pour adapter les dispositifs d’aide au contexte particulier de Mayotte.

C. B. : C’est vrai ! Et l’on sent d’ailleurs une certaine bienveillance et une écoute de la part du conseil départemental. Mais notre rôle est de leur montrer qu’il faut aller plus loin. Certains freins demeurent dans l’accessibilité des aides pour les entreprises. Par exemple : le fonds de solidarité de 1.500 euros de l’État qui devait pouvoir être complété par un fonds complémentaire du département de 2.000 euros. Il s’avère que ce deuxième dispositif est assujetti au refus d’un PGE, ou un retard de dix jours dans la réponse de la banque. Or le processus pour accéder au PGE, ou pour justifier d’un refus est lourd pour les entreprises, dont beaucoup comptaient sur ces deux aides cumulées pour s’en sortir. Vu la difficulté d’accéder à ce deuxième fonds, il nous semble clair que l’enveloppe totale de 14 millions d’euros ne sera pas entièrement consommée. Nous préconisons donc que le conseil départemental cible plus concrètement les entreprises dans le besoin : nous avons l’exemple des centres de formation, qui peuvent proposer des cours à distance, mais dont les stagiaires ne sont pas forcément équipés en matériel informatique ; les restaurateurs ou les entreprises du secteur du tourisme, qui risquent de ne pas pouvoir redémarrer en même temps que tout le monde… C’est pourquoi il est nécessaire de faire l’inventaire de ces entreprises encore actives et leur apporter tout le soutien nécessaire.

FI : Une autre enveloppe mérite sans doute notre attention malgré la crise. Le plan de convergence qui était justement prévu pour redonner du souffle à l’économie mahoraise en injectant 1,6 milliard d’euros sur quatre ans pour des projets structurants pour l’île. Savez-vous si l’échéance de quatre ans pourra être repoussée au vu de la crise provoquée par le Covid-19 ? Ce plan pourra-t-il participer à relancer l’économie de Mayotte ?

C. B. : Il est vrai que l’heure tourne, et la question des échéances du plan de convergence devra, elle aussi, être débattue. Pour l’instant, nous ne l’avons pas évoquée, car nous sommes encore soumis à l’urgence de la situation actuelle. Mais, justement, il faut permettre aux entreprises de souffler et de se remettre de la crise. Même avec le déconfinement, certaines vont en ressentir les effets sur le long terme si elles n’obtiennent pas davantage d’allègement de leurs charges. Au moment de la reprise, elles ne pourront pas gérer les charges courantes, celles accumulées pendant le confinement, en plus d’une perte de chiffre d’affaires pour certaines à cause des règles de distanciation sociale et des dépenses supplémentaires liées au nettoyage et aux protections pour les employés ou les clients. C’est pour cela que nous demandons des solutions transitoires avec un véritable plan d’accompagnement pour Mayotte. Et nous ne perdons justement pas de vue le plan de convergence, important pour le développement du 101e département, et qui va demander de nombreux investissements, voire toute une batterie de mises aux normes coûteuses. Pour y parvenir, il faut à tout prix éviter que nos entreprises, dont certaines n’ont déjà plus trop le moral, il faut le dire, ne se découragent. Tout cela dans le but, aussi, d’éviter que des plans de licenciement ne viennent encore gonfler les chiffres du chômage. Mayotte n’a pas besoin de cela !

 

Mayotte TV Islam, la nouvelle web TV qui parle de l’Islam à Mayotte

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Le paysage audiovisuel mahorais compte désormais une nouvelle chaîne. Mayotte TV Islam fait son entrée en proposant un programme consacré entièrement à la pratique de l’Islam sur l’île. La chaîne est pour le moment une web TV, mais elle a l’ambition de se développer rapidement.

Le projet cogite depuis 5 ans dans la tête d’El Anis. Ce Mahorais de 29 ans est à l’origine du groupe Mayotte TV. Ce groupe rassemble trois chaînes de télé avec chacune une spécialité, mais Mayotte TV Islam est celle qui a abouti plus rapidement. “Les conditions se sont réunies plus facilement, alors que pour les autres je dois encore négocier les droits”, explique El Anis. La chaîne existe réellement depuis l’année dernière, mais elle était uniquement diffusée sur Facebook par tranche de sept heures. Cette année, son fondateur a profité du ramadan pour passer à un autre niveau. Désormais, la diffusion est en continu vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept.

Pour le moment, El Anis diffuse des programmes filmés les années précédentes, ou des émissions en collaboration avec une association religieuse de Mayotte. “Tous les sujets tournent autour de la pratique de l’Islam sur notre territoire. Pour ce mois-ci, on parle essentiellement du ramadan. À la fin du mois, on retrouvera autre chose tels que les lectures du Coran, des hadiths (paroles et actes du prophète Mahomet) etc. Tout ce qui peut permettre aux musulmans de pratiquer leur religion”, précise El Anis. Et afin de toucher un public plus large, les intervenants parlent en français et en mahorais.

Un grand projet pour la suite

El Anis ne vit pas de sa chaîne, mais il a l’intention de faire entrer Mayotte TV Islam dans la cour des grands. “Je suis dans une phase de prospection, c’est-à-dire que je construis la chaîne. Mais une fois qu’elle se développera, l’étape suivante sera de l’intégrer dans les bouquets des opérateurs présents à Mayotte.” Mais cela a un coût. Le gérant devra payer 5.000 euros mensuels à l’opérateur en question, alors ces mois-ci sont cruciaux. Il doit plus que jamais montrer ce dont il est capable. Dans une société où la quasi-totalité de la population est musulmane, son projet pourrait prendre un coup d’accélérateur.

Le jeune homme tient à rappeler qu’il n’est pas un foundi. “Je fais ça pour la religion”, clame-t-il. Il incite d’ailleurs tous ceux qui veulent apporter leur pierre à l’édifice à le contacter, même s’ils se trouvent en dehors de l’île. “Ça serait égoïste de ma part d’imposer ma vision de l’Islam. La chaîne est ouverte à tous ceux et celles qui veulent participer, qui ont des contenus et qui restent dans la lignée de l’Islam à Mayotte”, indique-t-il. La chaîne est d’ailleurs totalement gratuite pour le public. Il suffit d’aller sur le site www.mayottetv.fr. Avec 300 personnes connectées par jour, El Anis est pour le moment satisfait des chiffres. Il espère cependant augmenter son audience grâce à la prochaine étape, puisque le public qui pourrait s’intéresser à la chaîne n’a souvent pas de connexion Internet.

 

À « l’école de la brousse », « on a du mal à imaginer une rentrée dans deux semaines »

Depuis un mois, une quinzaine d’élèves bénéficient d’une continuité pédagogique pas comme les autres autour d’une maîtresse qui a décidé de prendre les choses en main le temps, au moins, du confinement. Mais la fin de ce dernier, à « l’école de la brousse », embarque avec elle bien des questions quant au retour à « l’école classique ».

« Allez allez, on file se laver les mains ». À 8h30 tapantes, tous les matins de la semaine connaissent désormais ce même rituel quand les quatre premiers élèves de Marguerite se rendent à l’école. En fait d’école il s’agit plutôt d’une maison perdue dans les hauteurs de Tsoundzou 2 où, depuis un mois, une quinzaine d’élève prennent quotidiennement place sur des tables dressées sur la terrasse ou le jardin. C’est elle que l’on appelle désormais « l’école de la brousse ».

« Au début, ce sont les petits voisins d’un banga qui sont venus nous trouver pour nous dire qu’ils avaient envie de travailler. La veille je les avait trouvés en train de chercher à manger dans les poubelles. On s’est dit qu’il fallait faire quelque chose qui permette à la fois de leur offrir un repas et de poursuivre leur scolarité », explique la jeune institutrice, promue le temps du confinement en directrice d’une école pas comme les autres.

Car s’ils n’étaient que quatre à venir suivre les cours le matin, ils sont désormais une quinzaine. « Le mot est vite passé dans les bangas, du coup je me suis retrouvé avec des élèves de la petite section à la seconde, ça commençait à devenir un peu compliqué à gérer toute seule », s’amuse la maîtresse. Heureusement, des renforts ne sont pas loin et les voisins de Marguerite, qui ont aussi un pied dans l’éducation lui prête volontiers main-forte. Jusqu’à s’investir pleinement dans cette petite école.

Une certaine idée de la continuité pédagogique

Depuis, toute une organisation s’est mise en place. Un premier groupe de 3 à 5 élèves arrive à 8h30 et quitte la classe-terrasse vers 10h pour laisser place à deux autres groupes séparés entre les petits et les grands. « On s’adapte en fonction de chaque élève et ça s’est vraiment super, on peut être derrière chacun et l’aider du mieux que l’on peut. Chacun avance à son rythme, ça change de l’école avec 30 enfants par classe », fait valoir l’institutrice qui est allée jusqu’à se fabriquer un tableau noir. Et si depuis quatre semaines, Marguerite est toujours aussi enthousiaste, c’est que les enfants le lui rendent bien. « Ils sont hyper contents, on le sent bien. Ils ont l’impression que l’on s’intéresse à eux – ce qui est vrai !- que l’on prend du temps pour eux et ils s’ouvrent vraiment. Ici, on ose dire que l’on ne comprend pas alors que bien souvent à l’école on fait semblant et on accumule des lacunes », explique la maîtresse.

« Motivés », « dynamiques », « intéressants », les qualificatifs ne manquent pas pour conter les mérites de ces enfants. « On sent qu’ils se sentent bien ici et ce n’est pas que pour manger, s’amuse celle qui officie en temps normal à Kawéni Poste. La preuve, ils viennent avec toujours autant d’entrain depuis le ramadan ! » Au rang des ravis, les mamans du village ne manquent pas non plus de venir remercier les bénévoles de l’école de la brousse. « Souvent elles ne sont pas capables d’aider leurs enfants et sont très reconnaissantes qu’on le fasse pour elles et puis elles sont heureuses aussi de voir que leurs enfants sont occupés, car avec le confinement, c’est vraiment l’ennui mortel dans les bangas », soutient encore la maitresse. De l’occupation, justement, on n’en manque pas ici et les après-midi prennent souvent des allures de centre aéré une fois l’école terminée. Parties de foot ou de badminton, séance de peinture ou atelier cuisine, confections de

voitures en boite de sardines prennent ainsi le relai des maths et de la lecture. Avec toujours le même entrain.

« Une rentrée mi-mai me paraît utopique »

« Bien sûr que ce n’est pas facile tous les jours, c’est normal, mais tout ça nous apprend à nous connaître, on crée des liens très forts », témoigne encore la jeune femme. Et le retour à la véritable école dans tout ça ? Un long silence s’installe avant que la professeure ne reprenne la parole. « Ça me paraît utopique d’imaginer une rentrée mi-mai », lâche-t-elle. « Ici, même en petits groupes c’est très difficile d’être constamment sur le qui-vive des gestes barrières. On fait vraiment du mieux qu’on peut avec des tables de maximum cinq élèves, des masques pour les profs, tout le monde se lave les mains. On fait aussi bien que possible, mais on est trois pour quinze élèves, à l’école classique on manque de tout pour mettre en oeuvre les bons gestes », se désole Marguerite. Et si la mise en pratique des gestes barrières l’interpelle, il en est de même pour le volet pédagogique. « Le masque est un gros frein, ça bloque les plus petits qui ont besoin d’un contact proche et rassurant, les expressions de visage c’est parfois aussi important que la parole. C’est aussi très compliqué pour la lecture, et autant pour l’écriture, cela veut dire qu’il ne faut pas aider un enfant à former ses premières lettres ? »

Une question parmi tant d’autres dans l’océan de doute que forme chez la professeure l’idée d’une rentrée. « Je ne sais pas si j’aurais le choix… Je pense que j’irai quand même, je le ferai pour mes élèves, car il faudra bien les accueillir, mais ça va être très compliqué », s’inquiète-t-elle avant de livrer le fond de sa pensée. « Ce qui est sûr, c’est que les enfants comme ceux que j’accueille seront les premiers à retourner à l’école alors qu’ils n’ont même pas de quoi se laver les mains. Quelque part, ce sont les plus défavorisés qui seront les premiers à rentrer à l’école, donc les moins protégés », s’attriste celle qui ne cache pas son penchant maternel envers ses élèves. « On a du mal à s’imaginer que dans deux semaines on retourne à l’école… », livre-t-elle dépité quoique consciente que le lien créé ne se distordra pas. Et si l’on en doutait, voilà qu’Aniss la hèle depuis le chemin de terre rouge, espérant bien récolter quelques échanges de badminton. « J’arrive ! », lui répond la maîtresse épanouie, justement, dans l’échange.

 

Discorde à la mairie de Mamoudzou

Rien ne va plus à la mairie de Mamoudzou. L’opposition sort les griffes via un courrier envoyé le 23 avril, demandant au maire de réunir les conseillers municipaux. Le courrier signé par neuf d’entre eux pointe du doigt la politique de la mairie pendant la crise sanitaire. L’équipe du maire Mohamed Majani dénonce un coup politique.

Neuf conseillers municipaux de la commune de Mamoudzou (Abdourahamane Soilihi, Bacar Ali Boto, Assane Mohamed, Arkaddine Abdoulwassion, Mariame Said, Ambdilwahedou Soumaila, Moina-Fatima Ibrahim, Ben Youssouf Chihaboudine et Djamila Harouna), demandent au maire du chef-lieu de leur rendre des comptes. Dans un courrier de trois pages, ils énumèrent les dysfonctionnements constatés depuis le début du confinement. L’équipe du maire est rapidement montée au créneau et affirme que ce courrier a une tout autre fin. “Nos adversaires ne pensent en aucun moment à la population ni à ce que Mamoudzou traverse. Ils sont purement dans des calculs politiques”, clame Nassuf Eddine Daroueche, adjoint au maire, délégué à la sécurité. “Nous sommes des responsables politiques il est donc normal que nous fassions de la politique. De quoi ont-ils peur ?”, riposte Ambdilwahedou Soumaila, conseiller municipal de l’opposition et signataire de la lettre. Les signataires reprochent au maire de Mamoudzou de ne jamais les tenir informés des décisions qu’il prend. Dans une ordonnance du 1er avril 2020, l’exécutif donne les pleins pouvoirs au maire. Il l’autorise à prendre des décisions sans consulter le conseil municipal pendant la période de crise. Mais selon l’opposition de Mohamed Majani, ce dernier n’appliquerait que la partie qui l’arrange. “Certes il n’est pas obligé de nous consulter avant de prendre une décision, mais la même ordonnance indique qu’il faut que le maire informe ses conseillers municipaux des décisions prises. Chose qu’il ne le fait. Je découvre les informations sur les réseaux sociaux”, s’indigne Ambdilwahedou Soumaila. Alors après avoir réuni suffisamment de personnes à leur cause, les membres de l’opposition ont décidé de riposter. La même ordonnance permet à 1/5ème des conseillers municipaux de saisir le maire, et leurs pouvoirs ne sont pas sans conséquence. L’assemblée délibérante peut mettre un terme à tout ou partie à la délégation du maire. Raison pour laquelle les conseillers municipaux demandent une réunion. L’équipe de Mohamed Majani n’ignore pas ce risque. “Ces gens sont machiavéliques. La finalité de cette réunion du conseil municipal est de retirer la délégation de pouvoir au maire et ainsi bloquer l’administration pendant un bon moment”, indique l’adjoint au maire délégué à la sécurité.

“Le maire a fait le choix d’être invisible, mais on a envie d’être présents pour la population”

“Nous constatons tous les jours que l’administration communale peine à faire respecter les mesures de confinement sur l’ensemble du territoire communal, en particulier le couvre-feu”, peut-on lire dans la lettre envoyée. Une accusation contestée par Nassuf Eddine Daroueche. “L’ensemble des agents de la police municipale sont mobilisés sur le terrain. Nous avons fait ce qui relève de notre compétence. Nous avons fait venir un drone pour sensibiliser la population dans des quartiers inaccessibles”, rappelle-t-il.

Confrontée aux dérives liées à la gestion de la crise, notamment des distributions de colis alimentaires qui ont provoqué des émeutes, la mairie de Mamoudzou se dédouane. “Nous avions en face de nous une opposition de circonstance qui veut simplement nous décrédibiliser. Les bons alimentaires sont ceux du CCAS, et les colis alimentaires n’ont pas été distribués par la mairie, mais par le CCAS”, indique l’adjoint au maire, délégué à la sécurité. L’opposition s’inquiète également des regroupements des jeunes le soir pour un mrengué par exemple, ou des marchés informels qui persistent. À cela l’adjoint au maire répond qu’ils “ne peuvent pas mettre un policier derrière chaque citoyen. Il faut que les gens se responsabilisent et se rendent compte que cette maladie peut toucher tout le monde.”

À l’approche de la date fatidique du 11 mai, la mairie de Mamoudzou affirme mettre tout en oeuvre pour que le déconfinement se passe dans les meilleures conditions. “La Cadema a commandé 20.000 masques. On donnera une partie aux écoles. Nous avons également commandé 1.500 litres de gels hydroalcooliques pour les écoles de Mamoudzou, uniquement pour la rentrée”, révèle Nassuf Eddine Daroueche. Les écoles seront également désinfectées et les points d’eau seront multipliés. “Tout cela a été financé par des fonds propres à la mairie”, précise-t-il. Malgré tout, l’opposition n’en démord pas, et a l’intention d’aller jusqu’au bout de leur procédure. “Le maire a fait le choix d’être invisible, mais nous, on a envie d’être présents pour la population”, conclut Ambdilwahedou Soumaila.

 

24 heures avec… Saïd Vitta, agriculteur : « Pour moi, ça ne change pas grand-chose »

Plus que le rythme du confinement, le Petit-Terrien vit selon celui de la terre. Car les cultures, elles, continuent de pousser et nombreuses sont, chaque semaine, les livraisons qu’il doit assurer auprès de la grande distribution ou des restaurateurs. Pour Saïd Vitta, pas le choix : pour maintenir ses revenus, il faut maintenir sa production.

Il vit au rythme de la terre. De ses terres. Depuis désormais 43 jours, Saïd Vitta ne connaît ni télétravail ni chômage partiel. Confinement ou pas, les journées de l’agriculteur de Labattoir restent bien rodées, et surtout, bien remplies. « C’est un métier où on ne peut pas prendre congé », souffle le Mahorais sans employé. Il est trois heures du matin lorsque son réveil sonne. À peine le pied posé au sol, l’homme de 67 ans rejoint ses parcelles de cultures en tous genres. Il ne les quittera qu’à la nuit tombée, après plus de 16 heures de travail. Mais pour l’heure, le jour n’est pas encore levé.

À raison de 10 000 mètres carrés cultivés, le labeur qui l’attend est d’ampleur. Dans la malavoune de la Petite-Terre, Saïd Vitta fait pousser à l’année une douzaine d’espèces : noix de coco, citron, chou chinois, basilic, papaye, mangue… Il n’a pas une minute à perdre s’il veut assurer ses livraisons bihebdomadaires auprès des restaurateurs restés ouverts ou de l’enseigne Score, à quelques kilomètres de là. « Je ne sors plus que pour ça », promet le maraîcher. Pour ça, oui, mais aussi pour confier les produits fraîchement récoltés aux mamas ou aux cocos des environs, qui, dans la plus grande discrétion, se chargeront de nettoyer les concombres parfois recouverts de pollen, et de constituer les petites bottes d’aromates avant leur mise en rayon.

Alors que la saison des pluies touche à sa fin, les premières heures du jour sont consacrées à l’arrosage des parcelles. Si l’artisan est récemment passé à l’irrigation automatisée, les canalisations et les pompes installées là doivent toutefois être fréquemment entretenues, et les puits nettoyés. Des tâches que le maraîcher assure seul. Comme toutes celles qui suivront dans la journée. Puis, il empoigne son motoculteur pour labourer le sol pendant plusieurs heures. Une fois la terre tournée, il dégage ses « planches », autrement dit, les lignes de terre cultivées, intercalées de petits chemins qu’il faudra régulièrement désherber. Déjà depuis longtemps, le soleil a quitté son zénith.

« Il faut vivre avec la terre », résume l’agriculteur. « On doit être opérationnel toutes les heures, tous les jours, tous les mois. » Et surtout, il faut multiplier les savoir-faire, puisqu’entre deux labours, l’homme rafistole ses petites serres artisanales, qui lui permettent notamment de produire 150 bottes de salades par semaine, ensuite vendues sur les étaux de la grande distribution. « En ce moment, il y a moins de choix dans les rayons, alors Score me demande parfois de livrer un peu plus », commente Saïd Vitta pendant que sonne son téléphone pour une énième commande de mafana. Ces temps-ci, « On m’appelle cinq, six ou même sept fois par jour pour le mafana ! » Une manne financière importante, puisque les récoltes, elles, ne connaissent pas de chômage partiel. « Le confinement ? Pour moi, ça ne change pas grand-chose », résume le Petit-Terrien, qui cite toutefois l’arrêt de ses livraisons sur l’île principale.

Et le confinement n’empêche pas non plus le musada, ou l’entraide. Chaque week-end, son neveu et d’autres proches bravent les restrictions de déplacement pour venir lui prêter main-forte en échange d’un peu de manioc et des rares invendus qui lui restent parfois. Une solidarité qui, bien qu’interdite en ces temps de crise sanitaire, lui permet de maintenir son activité.

 

Confinement : les auto-écoles au point mort

 

Entre répercussions économiques et zones d’ombre quant à la reprise de leur activité le 11 mai, les auto-écoles évoluent dans le flou. Avec, pour nombre d’entre elles la peur de la faillite.

À chaque fois c’est un peu le même refrain, avec quelques notes qui changent. Que ce soit pour le chômage partiel, les aides de l’État et du département ou encore les prêts accordés ou non par leurs banques, les auto-écoles semblent toutes rencontrer leur lot d’embûches dans leur tentative de sortir vivantes de la crise. Et aujourd’hui, elles veulent surtout attirer les regards sur leur situation, elle aussi, de plus en plus critique à mesure que le confinement s’étire. “Depuis le 17 mars, il n’y a eu aucune rentrée d’argent”, souffle un des gérants de l’île. “On a dû fermer totalement depuis le début du confinement”, assène un autre d’entre eux. Avant d’ajouter : “j’ai l’impression qu’on parle beaucoup des bars et des restaurants, mais ce serait bien qu’on ne nous oublie pas…”.

Les problèmes que rencontrent Mohamed El Amine, gérant de ECM (Ecole de Conduite Mahoraise) et nombre de ses confrères font écho aux remontées effectuées ces dernières semaines dans d’autres secteurs. Outre l’interruption brutale de leurs activités, ce sont en effet les difficultés à obtenir des aides qui épuisent ces chefs d’entreprise. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé. “J’ai mis mes comptables sur le coup, mais je peux vous dire que si vous ne vous y connaissez pas, c’est vraiment compliqué”, poursuit le professionnel de la conduite. En cause : des lourdeurs administratives ou des incompréhensions sur les dispositifs. Par exemple, certaines aides du département, qui ne sont pas cumulables, ou bien qui sont conditionnées au refus d’un prêt par la banque. Ou encore des papiers qui manquent, pour finaliser le dossier sur la plateforme mise en ligne par le conseil départemental le 14 avril dernier ; et notamment, la fameuse attestation sociale, décriée par les entrepreneurs mahorais, car ils sont nombreux à ne pas pouvoir la fournir.

Le précédent de 2018

Comme Mohamed El Amine, Abdou Said, le gérant de Mayotte Conduite, bataille justement depuis au moins trois semaines pour obtenir le précieux sésame, mais ses nombreux coups de fil à l’Urssaf sont restés pour l’instant lettre morte. “Certes, ils veulent que les entreprises soient à jour au niveau de leurs impôts et de leurs charges sociales, et c’est bien normal”, reconnaît Mohamed El Amine. “Mais il faut adapter cela au contexte local : on sort tout juste d’une crise en 2018, forcément, nous avons quelques arriérés”. Quant aux prêts, le gérant de ECM préfère ne pas en entendre parler : “j’ai déjà 80.000 euros à rembourser, je ne vais pas m’amuser à faire un nouveau prêt pour l’instant, même à taux réduit”.

Alors pour l’instant, Mohamed El Amine se contente des 1500 euros du fonds de solidarité de l’Etat, qu’il a réussi à obtenir, et du chômage partiel pour ses sept salariés. C’est déjà ça, même si ces aides restent “très largement insuffisantes pour couvrir toutes les charges”, liées à la gestion d’une auto-école, entre l’entretien du local, les véhicules… D’autres pourtant, non même pas eu sa chance. “Je viens de recevoir l’allocation de l’État au titre de l’activité partielle : pour la période du 17 au 31 mars, nous n’avons reçu que 1.100 euros pour nos trois salariés, je ne comprends pas”, s’affole un autre gérant d’auto-école. De la poudre aux yeux, pour ce patron, qui a pourtant avancé les 70% du salaire brut (84% du salaire net) de ses employés.

Le flou du déconfinement

“Toutes ces difficultés ajoutent de la pression sur les gens”, confirme Abdou Saïd, qui s’inquiète aussi de voir arriver certaines échéances de prêt, alors que sa demande pour un PGE, un prêt garanti par l’État, ne semble pas aboutir. Alors Abdou Saïd ne voit pas d’autre option : il va falloir reprendre du service. Mais là encore, c’est la grande inconnue. Impossible pour l’instant de savoir si et comment les auto-écoles vont pouvoir remettre le contact. La question devrait vraisemblablement s’éclaircir avec l’intervention du premier ministre Édouard Philippe mardi, à 15h en métropole, pour présenter le plan de déconfinement. Mais quoi qu’il s’y dise, le gérant n’en démord pas : “je ne vais pas pouvoir attendre quatre mois sans travailler”. Il a d’ailleurs déjà rappelé “deux trois élèves” pour “au moins préparer les plannings” à partir du 11 mai. “Histoire de reprendre le travail de manière progressive”, espère-t-il.

Nicolas Fontaine, l’un des gérants de Fast Line Formation, est moins optimiste. Vu la taille de l’habitacle, la reprise des leçons de conduite ne pourra sans doute se faire qu’au prix de précautions sanitaires très contraignantes. Mais là encore, peu d’informations circulent jusqu’aux auto-écoles. Protections pour les élèves, les moniteurs et les inspecteurs, installation d’une vitre entre les sièges, désinfection après chaque cours… Les hypothèses vont bon train, “mais pour l’instant, on est trop peu informés”, déplore-t-il. Et tout cela risque en plus d’être à la charge des auto-écoles. “Aujourd’hui, même un masque et un gel, nous n’arrivons pas à en avoir, alors je ne vois pas comment nous allons pouvoir faire dans trois semaines”. Le 11 mai, les auto-écoles risquent fort, une fois n’est pas coutume, de ne pas pouvoir passer la seconde…

 

 

 

Dans la perspective d’un déconfinement à Mayotte

Il reste plus de deux semaines avant la date fatidique du 11 mai, mais le déconfinement est dans la tête de tout le monde. Comment se passera-t-il ? Tout le monde pourra-t-il sortir en même temps ? Les réponses seront adaptées selon les réalités des territoires. Chez nous, afin d’éviter une catastrophe sanitaire, il faudra encore s’armer de patience.

Dans une visioconférence avec les maires tenue ce jeudi, Emmanuel Macron a définitivement mis un terme aux spéculations d’un déconfinement par région. Mais il affirme qu’il s’adaptera “aux réalités de chaque territoire”. À Mayotte, la situation est délicate et doit être rigoureusement étudiée par les autorités. De ce fait, l’agence régionale de santé, la préfecture et le rectorat ont fait des propositions à chacun de leur ministère, dans la perspective du déconfinement. “On va déconfiner par étape et s’il y a des signaux d’alerte trop graves sur le système de santé, on sera amenés à de nouveau proposer aux personnes de réduire leurs relations sociales. Le déconfinement ne signifie pas la vie d’avant, il faudra toujours respecter les mesures de sécurité”, préconise Dominique Voynet, la directrice de l’agence à Mayotte. D’autant plus que le pic de l’épidémie n’est pas encore atteint chez nous. Selon l’ARS, il risque d’arriver vers le 20 mai si le déconfinement a lieu le 11 mai. Dans ce contexte précis, 20 à 30 personnes pourraient être admises en réanimation. “Ce qui est absolument jouable à Mayotte”, assure Dominique Voynet. Cependant, elle reste sur ses gardes, car l’île n’est pas sortie d’affaire. “Je pense que l’épidémie n’est pas terminée. On a devant nous une situation sévère qui nous attend. La garantie de la sécurité sanitaire est incompatible avec un déconfinement qui serait trop rapide et trop brutal.” Mais on ne pourra pas retarder le déconfinement éternellement, cela serait contreproductif. “Si on ne déconfite pas, on retarde l’acquisition d’une immunité collective qui sera la seule protection en l’absence de vaccin”, précise la directrice de l’ARS.

La prise en charge des rapatriés

Le dénouement de la crise sanitaire va de pair avec une bonne gestion de la situation actuelle. Les cas contaminés sont surveillés par l’ARS, mais la question des rapatriés pose souvent problème. Nombreux d’entre eux sont montés au créneau dénonçant les conditions dans lesquelles ils sont confinés. Des propos qui indignent Dominique Voynet. “Personne ne dit que c’est agréable d’être confiné au RSMA, et c’est évident qu’ils préféreraient être dans des hôtels. Mais on ne le fait pas parce qu’ils sont occupés par les renforts de gendarmerie et ceux de l’opération Résilience. Et certains sont fermés parce que leurs propriétaires sont partis”, explique-t-elle. Et ceux testés négatifs au Covid-19 qui avaient espéré pouvoir rentrer chez eux plus tôt devront garder leur mal en patience et terminer leur quatorzaine au RSMA. Aucune autre issue n’est possible. Ils sont cependant pris en charge de manière à rendre leur confinement moins pénible. “Des bénévoles du comité olympique sont allés organiser des séances de sport en respectant une distance de 6 à 8 mètres entre les personnes. On a également beaucoup renforcé les mesures d’hygiène dans les WC”, indique la directrice de l’ARS. Que ce soit la prise en charge des rapatriés et des contaminés ou le futur déconfinement, les autorités devront prendre en compte une autre réalité propre à Mayotte : le ramadan qui commence.

 

Les chiffres qui rendent le confinement compliqué à Mayotte

On le sait, le confinement à Mayotte est rendu d’autant plus difficile qu’une grosse partie de la population vit dans des habitations insalubres, dénuées du confort élémentaire. Dans une publication diffusée hier, l’Insee rappelle quelques chiffres parlants. Résumé point par point.

Des gestes barrières difficiles à appliquer

“Se laver les mains très régulièrement peut poser des difficultés à de nombreux habitants”, constate l’Insee. Et pour cause : “en 2017, 81.000 personnes ne disposent pas d’eau à l’intérieur de leur logement, soit un habitant sur trois. L’eau manque ainsi dans 29 % des logements mahorais soit deux fois plus qu’en Guyane. Respecter une distanciation sociale est également difficile à mettre en œuvre compte tenu de la forte densité de population : en 2017, avec 690 habitants au km2, Mayotte n’est devancée que par Paris et cinq autres départements d’Île-de-France. Cette situation est due notamment aux deux communes de Petite-Terre, Dzaoudzi et Pamandzi, dont la densité de population avoisine 2.700 habitants au km2.”

Un confinement parfois impossible

Dans des logements précaires et suroccupés, rester chez soi peut s’avérer difficile. Le constat de l’Institut est appuyé par des chiffres : “Près de 40 % de la population mahoraise vit dans une construction fragile (maisons en tôle, bois, végétal ou terre). Dans ces logements, l’accès à l’eau est encore moindre (56 % des logements n’en disposent pas). L’électricité reste absente dans 21 % de ces logements. Dans ces maisons, le sol est le plus souvent en terre battue ou simplement recouvert d’un tapis ou lino. Dans les logements en dur, la situation est meilleure, mais reste néanmoins très éloignée des standards nationaux : 12 % n’ont pas d’eau par exemple.

De plus, les habitants vivent souvent nombreux dans de petits logements. Près de la moitié d’entre eux ne comptent qu’une ou deux pièces (47 % contre 19 % en métropole). Pourtant, les ménages mahorais comptent un nombre bien plus élevé de personnes. De fait, les logements sont très souvent suroccupés : en 2017, plus de la moitié des logements de l’île sont suroccupés, soit onze fois plus qu’au niveau national (56 % contre 5 %). Et 30 % de la population vit au sein d’un ménage de 4 personnes dans un logement d’une ou deux pièces : cette situation est marginale en métropole (0,5 %). Les situations de suroccupation sont particulièrement aiguës dans les villages situés dans les communes de Mamoudzou, Koungou, Dembéni et à Dzaoudzi sur Petite-Terre. Ils rassemblent en effet une forte densité de population associée à une forte concentration de maisons en tôle.

De fait, un tiers des ménages mahorais jugent insuffisantes ou très insuffisantes leurs conditions de logement, soit cinq fois plus qu’au niveau national. Parmi les défauts les plus souvent mis en avant figurent la taille du logement”

Un niveau d’équipement moindre

C’est une évidence, le niveau d’équipement des ménages rend plus ou moins facile le confinement. Le bât blesse ici : “Du fait d’un niveau de vie nettement plus faible et de conditions de logement dégradées par rapport aux autres territoires français, les ménages mahorais possèdent moins souvent des équipements électroménagers courants (réfrigérateur, plaque de cuisson ou cuisinière, téléviseur et lave-linge) ou numériques (ordinateurs portables, tablettes, etc.). En revanche, ils possèdent aussi souvent un téléphone portable, et plus souvent un congélateur indépendant. Les habitants des logements en dur possèdent quant à eux, dans un cas sur cinq, une climatisation à l’intérieur du logement.”

Un accès au haut débit en retrait

Alors que les établissements scolaires sont fermés jusqu’à nouvel ordre et que le télétravail est mis en avant pour tenir un minimum l’économie, “la fracture numérique est très marquée à Mayotte. En 2018, seuls 17 % des ménages disposent d’un abonnement internet haut débit à leur domicile, soit quatre fois moins qu’en métropole. L’écart est particulièrement élevé pour les moins aisés. Ainsi, les 20 % les plus pauvres à Mayotte sont très marginalement équipés (3 %), soit 20 fois moins que les moins aisés de métropole (59 %) ; ce rapport est de 1 à 2 pour les 20 % les plus aisés (39 % contre 80 %). Ces conditions d’équipement rendent difficiles le suivi d’une scolarité à distance pour les jeunes concernés. De plus, rares sont les parents ayant l’instruction suffisante pour porter appui à leurs enfants dans cette situation particulière : 70 % des enfants mineurs ont des parents sans diplôme (11 % en métropole).”

Un tiers des personnes âgées vivent seules

Autre remarque de l’Insee : les personnes âgées, qui nécessitent une attention particulière dans le cadre du développement de la pandémie. L’institut note : “Mayotte est un territoire jeune où la moitié de la population a moins de 18 ans. Les personnes âgées sont peu nombreuses : ainsi, seules 2.350 personnes de 75 ans ou plus résident à Mayotte. Elles représentent seulement 0,9 % de la population mahoraise. Cependant, 30 % d’entre elles vivent seules.”

 

Aides européennes : “Faire en sorte que les régions ultrapériphériques soient au centre de l’action européenne”

Le 17 avril dernier, le Parlement européen a voté des mesures permettant plus de flexibilité et simplifiant les procédures d’utilisation des fonds structurels européens. Pour lutter contre la pandémie et ses conséquences, les régions, y compris Outre-mer, vont pouvoir les utiliser pour encourager et accompagner les initiatives locales pour la santé et la relance économique. Député européen de La Réunion, Stéphane Bijoux, revient sur ces annonces et son impact pour Mayotte.

Flash Infos : Alors que la propagation du Covid-19 touche le monde entier, comment ces mesures d’urgence ont-elles été votées au Parlement européen ?

Stéphane Bijoux : Nous affrontons une crise sanitaire majeure, mais il y a aussi une redoutable crise économique. C’est le cas en Europe et partout en France, y compris à Mayotte. Face à l’urgence, avec ces mesures exceptionnelles, le Parlement européen marque à la fois sa volonté d’utilité et son exigence d’efficacité. Nous devons agir vite et nous voulons surtout trouver des solutions au plus près des besoins sur le terrain. D’abord, 37 milliards d’euros de fonds structurels européens ont été réorientés en urgence pour lutter contre le Covid -19 et ses conséquences. C’est une somme importante, mais nous devions aller plus loin. Dans un deuxième temps, il fallait impérativement créer toutes les conditions pour transformer ces fonds en actions concrètes au service des citoyens et des territoires. La réussite de cette démarche passe nécessairement par la simplification des procédures d’utilisation locale des fonds européens disponibles. Aussi, avec mes collègues Renew Europe (En Marche et ses alliés), avec qui je siège au sein de la commission du développement régional au Parlement européen, nous avons écrit à Élisa Ferreira, la commissaire européenne à la cohésion et aux réformes, pour que ces fonds soient plus flexibles, pour une utilisation plus simple… C’est ce que nous avons obtenu et c’est le sens de ce que nous avons voté il y a quelques jours. Le résultat, c’est que pour lutter contre cette crise, les initiatives locales, sélectionnées par les autorités locales, pourront être financées jusqu’à 100 % par des fonds européens.

FI : Justement, quels types de projets pourront être soutenus et financés à 100 % par l’Union européenne à Mayotte ?

S. B. : Un financement européen à 100 % est une démarche puissante et historique, mais pour répondre aux urgences sanitaires et économiques, le choix de l’Europe est d’agir en partenaire de l’expérience et de l’expertise locale, dans le respect des compétences et des légitimités des institutions locales. Ce sont donc les représentants de l’État et les élus du conseil départemental qui sont les plus à même de définir les priorités, choisir les projets à soutenir et financer les actions nécessaires. C’est notre vision d’une Europe au service des citoyens et des territoires.

FI : Sur les 37 milliards d’euros de fonds structurels européens, y a-t-il une somme allouée pour les Outre-mer et plus spécifiquement pour Mayotte ?

S. B. : Sur les 37 milliards d’euros de ces mesures d’urgence, la France pourra bénéficier de 650 millions d’euros libérés pour ses régions. En ce moment, les collectivités territoriales et l’État calculent les montants des budgets éligibles pour chaque territoire. Mais sans attendre les arbitrages financiers, le fait d’avoir le feu vert pour mobiliser tous les fonds européens disponibles nous permet de repérer toutes les initiatives locales qui pourront être accompagnées, valorisées et concrétisées. Sur ce chantier, ce n’est pas Bruxelles, Strasbourg ou Paris qui vont décider, mais c’est bien ici, à Mayotte, que l’on pourra construire localement la meilleure réponse européenne à la crise. Au Parlement européen, avec mon groupe politique Renew Europe, nous travaillons pour que le respect des spécifiques des Outre-mer pèse réellement sur les priorités. D’ailleurs, dans la résolution

politique, votée par le Parlement européen, nous avons réclamé la création de fonds exceptionnel spécifique pour permettre aux Outre-mer de lutter contre cette crise. Mon axe de travail est de faire en sorte que les régions ultrapériphériques ne soient pas à la périphérie, mais bien au centre de l’action européenne.

FI : À Mayotte, l’économie est au point mort en raison de la singularité du territoire. Sachant que près de 800 entreprises sont actuellement en chômage partiel, y aura-t-il un traitement de faveur particulier pour le 101ème département ?

S. B. : Le volet économique de cette crise doit mobiliser toutes les forces disponibles pour protéger les emplois et sauver les entreprises. Chacun a un rôle à jouer. En jouant la carte de la flexibilité de l’utilisation des fonds européens disponibles, l’Europe permet de soutenir les entreprises en difficulté et notamment les petites et moyennes entreprises. Nous avons obtenu la possibilité d’utiliser des fonds européens pour abonder les fonds de roulement des petites entreprises les plus fragiles. De son côté, la France déploie des dispositifs de soutien économique sans précédent : chaque jour, le gouvernement français mobilise plus d’un milliard d’euros pour le chômage partiel, protégeant ainsi 820.000 entreprises et plus de 10 millions de salariés, partout en France. Pour l’Hexagone, comme pour les Outre-mer, et de ce fait Mayotte, c’est un choix volontaire d’investissement pour protéger les compétences afin de mieux accompagner la reprise économique. Sur le plan local, les banques ont un rôle essentiel. Objectivement, avec 300 milliards d’euros de prêts garantis par l’État, tout a été mis en place pour qu’elles puissent accompagner nos entreprises en souffrance. Dans le dialogue et la confiance nécessaire entre les banques et les PME, là aussi, il y a une obligation de résultats qui est imposée par les événements. La médiation de l’Institut d’émission des départements d’Outre-mer de Mamoudzou doit être saisie si les banques ne jouent pas le jeu. Dans la nécessité de la reconstruction, tout le monde doit prendre sa part de responsabilité, donc sa part de risque, dans le processus de relance. Dans la réalité de cette crise, il y a le fait qu’elle montre une nouvelle fois nos fragilités économiques, mais elle révèle aussi notre nécessité d’augmenter notre autonomie dans des secteurs clés comme la production locale. Elle doit être prioritairement soutenue, notamment l’agriculture et la pêche. Et sur la pêche justement, nous avons voté des aides d’urgence destinées aux pêcheurs dans le cadre du fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche. J’ai travaillé avec mon collègue Pierre Karleskind, président de la commission pêche, pour que les pêcheurs ultramarins européens puissent obtenir la compensation des pertes générées par le Covid -19. C’est une nécessité pour nos professionnels de la mer, mais aussi pour une garantie pour les Mahoraises et les Mahorais de pouvoir continuer à manger les produits locaux.

FI : Comment imaginez-vous l’après-Coronavirus pour un territoire comme Mayotte ?

S. B. : Comme partout, et à Mayotte aussi, il y aura un avant et un après Covid-19. Que retiendrons-nous de cette crise ? En tant qu’Ultramarin, tout en restant réaliste sur le chemin qui reste à parcourir et pragmatique face à nos obstacles, je fais le choix de miser sur la solidarité et la résilience. Beaucoup d’initiatives locales ont montré que nous avions toutes ces ressources en nous. Je pense notamment aux bénévoles qui ont construit des visières pour plus de 1.000 soignants, policiers et commerçants… À Mayotte, comme dans beaucoup de régions françaises et européennes, chaque jour, avec beaucoup de courage, les uns et les autres, nous faisons la démonstration que pour gagner le sens du collectif doit primer sur les intérêts individuels. C’est à la fois un héritage de nos anciens et un message pour l’avenir : c’est seulement ensemble, avec nos forces locales, avec la France et avec l’Europe, que nous pouvons partager les meilleures solutions pour aujourd’hui et construire le futur de nos enfants.

FI : Finalement, cette crise ne tombe-t-elle pas au bon moment pour permettre aux territoires d’Outre-mer d’émerger et de montrer toute leur importance dans l’idée d’un monde nouveau ?

S. B. : Objectivement, l’un de nos défis majeurs est de pouvoir transformer une crise en opportunité de rebonds. L’Europe veut construire un plan Marshall pour le tourisme notamment. Bien évidemment, Mayotte et tous les Outre-mer doivent pouvoir en bénéficier. Nous devons et nous allons tous nous mobiliser pour reconstruire notre tissu économique, mais faudra-t-il forcément le reconstruire à l’identique ? Nous savons déjà qu’il y aura d’autres crises. Un seul exemple : pendant que plus de 4 milliards d’humains sont confinés sur la planète, le dérèglement climatique, lui, ne l’est pas et il menace toujours nos populations et nos territoires, y compris Mayotte. Pendant le Covid -19, le niveau des océans continue de monter… Alors, au moment où nous devons définir un nouveau cap pour notre économie, plusieurs questions sont fondamentales pour rebâtir aussi, ensemble, un nouveau projet de société. Quelle place pour les solidarités et les innovations qui ont émergé pendant cette crise ? Comment mieux intégrer la nécessité de l’économie circulaire ? Le moment n’est-il pas venu de construire des passerelles entre économie et écologie ? Au Parlement européen, en tant que Français ultramarin, je porte, avec la fierté légitime qui est la nôtre, la revendication que nos Outre-mer soient vus, accompagnés et valorisés comme des territoires de solutions.

 

Réouverture des écoles le 11 mai : les maires de Mayotte prêts… à dire non

La réouverture très progressive des classes à partir du 11 mai devra être soumise à un certain nombre de conditions pour assurer la sécurité des personnels et des élèves. En l’absence de garanties à moins de trois semaines de l’échéance, les élus réitèrent leur refus.

Ils sont plus de 100.000 à arpenter les couloirs des établissements scolaires de l’île en temps normal. À Mayotte peut-être un peu plus qu’ailleurs, la réouverture des écoles, collèges et lycées le 11 mai suscite son lot de questionnements et d’inquiétudes, alors que les classes sont d’ordinaire déjà surchargées. Et cette fois-ci, ce sont les maires qui montent au créneau pour demander un “protocole précis élaboré conjointement par le rectorat, l’ARS et les maires (sous la coordination de la préfecture)” pour fixer le calendrier de préparation et l’approvisionnement des communes en matériel et dispositifs de protections sanitaires.

“Nous voyons mal comment nous pouvons envisager un retour à la normale, alors que nos classes sont déjà en surnombre. J’ai huit groupements scolaires, soit 2.200 élèves sur ma commune, avec déjà 90 % de rotation”, s’inquiète Anchya Bamana, l’élue (LR) de Sada, en désignant ce système spécifique à Mayotte qui consiste déjà à dédoubler les classes pour faire venir certains élèves le matin, et d’autres l’après-midi. Pour rappel, le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer a précisé mardi les contours du retour progressif des élèves à l’école : la semaine du 11 mai, seuls les élèves de grande section, de CP et de CM2, zones REP et REP+, retrouveront leurs salles de classe, maximum par groupe de quinze ; la semaine du 18 mai, ce sera au tour des élèves de 6e, de 3e, de 1ère et de terminale ; la semaine du 25, tout le monde pourra reprendre le chemin de l’école, avec un maximum de quinze élèves par classe. Et pour l’instant, c’est aussi le même schéma qui se dessine du côté du rectorat de Mayotte avec une certaine souplesse pour les élèves qui ne pourraient ou ne voudraient pas venir tous les jours.

Sureffectif, savon et gestes barrières

Reste que cette première ébauche de stratégie ne semble pas convenir aux maires, qui assurent la gestion des groupements scolaires – comprenant les classes de maternelle et d’élémentaires, soit les premiers concernés par le déconfinement des écoles. Des questions restent en suspens, comme la gestion des flux des élèves dans les espaces parfois restreints, ou l’organisation des rotations aux points d’eau pour qu’ils se lavent les mains. “À Sada, même si les toilettes sont équipées de savon, cela ne peut suffire : comment voulez-vous, quand vous avez déjà en temps normal 35 élèves par classe, faire en sorte qu’ils ne se touchent pas et respectent les gestes barrières ?”, s’interroge Anchya Bamana. À M’Tsamboro, où avec 1.500 élèves, le problème des sureffectifs se pose moins, le directeur général des services Assadillah Abdourahamani soulève quant à lui une autre question : “s’ils viennent de 7h à midi par exemple, est-ce qu’ils vont manger à l’école et dans ce cas que faut-il prévoir ?”

Réunis en Assemblée générale par visioconférence mercredi, les édiles ont donc fait part de leurs inquiétudes auprès de l’association des maires de Mayotte. “Il y a un consensus sur le fait que nous ne sommes pas prêts pour la réouverture”, assure Toillal Abdourraquib, le directeur de la coordination de l’action intercommunale, malgré une information contradictoire relayée par nos confrères du Journal de Mayotte, selon laquelle tous les édiles n’auraient pas pu y assister. Selon lui, quatre préalables doivent être assurés avant la reprise : la définition d’un protocole commun avec l’ARS et le rectorat pour définir le calendrier des trois semaines à venir ; la question des transports et de la restauration scolaire ; les conditions d’accueil des enfants dans les classes ; et la prise en charge des coûts financiers relatifs à la préparation des établissements. “Vous n’êtes pas sans savoir que les finances des communes ne sont pas toujours en bon état, et l’État doit les accompagner”, glisse-t-il.

Or pour l’instant, toutes “ces garanties n’existent pas aujourd’hui, et probablement pas avant le 11 mai. C’est pour cette raison que les maires de Mayotte n’envisagent pas de donner une suite favorable à l’ouverture des classes”, assène le communiqué de l’association des maires.

Des prestataires assaillis

Dernière source d’inquiétude, d’après les échanges que nous avons pu avoir avec certaines mairies : le sujet des approvisionnements, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre. Gants, masques, savon, gel hydroalcoolique… Les mairies ont eu dû mal à équiper leurs agents pendant le confinement. “À Bandrelé, la situation est d’autant plus sensible que nous avons un foyer identifié de Covid-19, et il concentre pour l’instant l’essentiel de nos forces, puisque nous souhaitons déjà distribuer des masques à la population”, explique Ali Moussa Moussa Ben, le maire (MDM) de la commune. Même préoccupation à M’Tsamboro. “On avait déjà dû mal à se fournir en gel ou en masques au début de la crise…”, soupire le DGS. Sans parler des autres fournitures nécessaires à la remise en état de certains établissements insalubres et à la désinfection des infrastructures. “Tous nos prestataires vont être assaillis de demandes de la part de toutes les communes”, souligne le responsable de M’Tsamboro. Contactée, Mahonet, l’une des entreprises qui travaillent justement avec les collectivités pour fournir vêtements de travail et matériel d’entretien, fait le point : “nous avons pris les devants et nous avons passé des commandes, mais nous sommes tributaires comme tous les Ultramarins de la logistique internationale et surtout avec le confinement nous dépendons fortement des moyens de livraison autorisés (navire/fret aérien, etc.)”, développe Azad Mamodaly, son directeur administratif et financier. Avant de conclure : “Tout n’est pas gagné d’avance”.

 

Geneviève Dennetière, médecin à l’ARS de Mayotte : “Ne pas consulter n’est pas la bonne stratégie

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Dans l’ombre de l’épidémie de Covid-19, celle de la dengue avance à un rythme effréné depuis plusieurs mois. Mais alors, quels sont leurs symptômes respectifs ? Les personnes à risque sont-elles les mêmes ? Et surtout, quels sont les gestes à adopter et ceux à proscrire dès les premiers signes de contamination ? Médecin responsable de la cellule de veille de l’agence régionale de santé, Geneviève Dennetière répond.

Flash Infos : Comment différencier la dengue du Covid-19 ?

Geneviève Dennetière : Les deux pathologies peuvent parfois se ressembler, car elles partagent des signes communs comme la fièvre, les maux de tête ou une fatigue anormale. Néanmoins, pour la dengue – dont la période d’incubation s’étend sur deux à sept jours, parfois jusqu’à dix -, on observe plus de douleurs, articulaires notamment ou derrière les yeux, ainsi qu’une éruption. Pour le Covid, bien que ce ne soit pas systématique, il y a quelques signes respiratoires, de la toux, des symptômes qui se rapprochent plus de la grippe. Là, on parle seulement des formes mineures. Pour les cas plus graves de Coronavirus, on note des difficultés à respirer. Mais globalement, on remarque que les personnes atteintes de la dengue sont plus malades que celles atteintes par le Covid.

FI : Les personnes à risque sont-elles les mêmes ?

G. D. : Oui, on retrouve le même type de profil : les personnes souffrant de comorbidité, c’est-à-dire fragilisées par d’autres pathologies, ainsi que les personnes âgées. Il y a officiellement quatre décès à Mayotte liés à l’épidémie de Coronavirus et 15 décès liés à la dengue depuis le début de l’année et ce sont généralement dans les deux cas des personnes âgées avec un état de santé fragile.

FI : Quels sont les risques pour les porteurs des deux maladies ?

G. D. : On a quelques cas documentés de co-infection depuis l’apparition du Covid sur le territoire. Ce sont deux maladies qui ont des effets sur le corps, donc forcément, contracter les deux en même temps n’améliore pas les choses. Maintenant, on n’a pas encore observé de surmortalité associée à l’existence de ces deux épidémies. Mais évidemment, il faut être en bonne santé pour pouvoir s’en défendre.

FI : Comment réagir lorsque l’un de ces symptômes apparaît ? Quand faut-il se tourner vers un professionnel de santé ?

G. D. : Vu le contexte actuel, il faut appeler un médecin en cas de fièvre ou de troubles respiratoires pour les personnes âgées. Il y a aussi un petit signe qu’on retrouve régulièrement en cas de Covid, c’est la perte soudaine d’odorat. Là, la consigne, c’est d’appeler le 15 qui enverra une équipe faire des prélèvements à domicile. Pour la dengue, il y a aussi des patients asymptomatiques, mais ils sont minoritaires. Pour les autres, c’est surtout une fatigue brutale qui peut durer une semaine voire dix jours qui donne l’alerte. Dans ce cas, il faut appeler un médecin ou un dispensaire. Tous les centres de référence sont équipés de tests rapides et c’est très important de les réaliser, car il peut aussi s’agir d’autres pathologies présentes sur le territoire comme la fièvre typhoïde.

FI : Le ministre de la Santé a rappelé que la prise d’anti-inflammatoires pouvait représenter un facteur d’aggravation en cas de Covid+. Qu’en est-il de la dengue ? D’autres conduites sont-elles à éviter ?

G. D. : Là, c’est simple : les anti-inflammatoires sont interdits et pour le Covid-19 et pour la dengue, pour laquelle ils peuvent favoriser des saignements. Beaucoup de personnes prennent de l’Ibuprofène contre la fièvre, il ne faut absolument pas le faire en ce moment et préférer le paracétamol, qui peut être également utilisé en cas de douleur, pour la dengue comme pour le Covid. Concernant le traitement à la chloroquine, il est très important de rappeler à ceux qui en auraient déjà à la maison qu’il ne faut pas s’auto-médiquer. Les doses thérapeutiques sont très porches des doses mortelles, il ne faut donc en aucun cas en prendre sans l’avis d’un médecin.

FI : Pourtant, par crainte de contaminer les autres ou de s’exposer soi-même à des risques supplémentaires, certaines personnes renoncent à consulter un médecin depuis le début de la crise sanitaire…

G. D. : Ce n’est pas du tout une bonne stratégie ! Au niveau de chaque établissement, il y a des filières qui ont été mises en place pour que les porteurs potentiels de Covid-19 ne soient pas mélangés avec les autres patients. C’est impératif d’aller se faire soigner. Pour ceux qui auraient peur de contaminer les autres, tous les points de consultation mettent des masques à disposition. Et pour les personnes atteintes de maladies chroniques, comme l’hypertension, ce n’est vraiment pas le moment d’arrêter son traitement parce qu’on n’a pas fait renouveler son ordonnance. Aussi, le Covid est une nouvelle maladie, mais ce n’est pas une maladie honteuse. On observe que beaucoup de gens se cachent lorsqu’ils ont des symptômes : il ne faut pas que les voisins soient au courant, certains propriétaires ont même mis des locataires à la rue lorsqu’ils ont appris qu’ils étaient atteints de Coronavirus… Personne ne doit être stigmatisé, c’est un réel danger pour l’ensemble de la communauté.

FI : Une communauté qui est donc déjà particulièrement exposée à la dengue, puisque le nombre de cas bondit depuis plusieurs mois consécutifs. Comment l’expliquer ?

G. D. : On a effectivement une tendance observée depuis le début de l’année : 3.000 cas en 2020, et c’est énorme. La dernière épidémie, en 2014, avait fait un peu plus de 500 cas. Maintenant, on nous en signale plus de 200 par semaine, et ce ne sont que les malades qui consultent, donc il y en a bien plus que nous ne recensons pas. Cette hausse du nombre de cas n’a pas d’explication particulière autre que les déchets, les carcasses de voitures, les pneus, tout ce qui peut être source de collection d’eau… Si on veut en venir à bout, la seule chose à faire c’est de se retrousser les manches, nettoyer chez soi pour débarrasser tous les gîtes potentiels.

FI : Qu’en est-il du nombre de cas de dengue hémorragique, forme aggravée de la pathologie ?

G. D. : Elle n’est pas très rependue à Mayotte, puisqu’environ 8 % des personnes atteintes de la dengue sont hospitalisées, et pas forcément pour des formes graves ou sévères. Elles sont plus fréquentes lorsque la dengue est contractée par une personne qui l’avait déjà eue sous la forme d’un autre sérotype*. Pour la dengue, il en existe quatre et celle qui circule actuellement à Mayotte est de type 1 et de type 2 pour celle de La Réunion. Si quelqu’un contracte deux formes différentes (au cours de sa vie, ndlr), il peut y avoir un risque plus important d’aggravation, comme la forme hémorragique. C’est aussi la raison pour laquelle le laboratoire vérifie à chaque fois les tests, afin de s’assurer que c’est toujours le même sérotype qui circule à Mayotte, et c’est le cas aujourd’hui.

* Un sérotype désigne une catégorie dans laquelle certains virus sont classés en fonction de leurs impacts sur les anticorps.

 

Mayotte territoire pilote d’un dépistage massif ? Avant celle d’O. Véran, les réponses de l’ARS et du CHM

Dans un courrier en date du 23 avril adressé au ministre de la Santé, Olivier Vérant, le député Mansour Kamardine demande que Mayotte soit désignée comme territoire pilote dans le cadre d’une politique de dépistage massive au coronavirus. Si le ministère ne s’est pas encore prononcé sur la question, les directrices du CHM et de l’ARS ont, elles, leur petite idée sur le sujet.

“Je vous demande, Monsieur le Ministre, de bien vouloir envisager de déployer à Mayotte une stratégie de test de masse et de faire de Mayotte un territoire pilote en la matière ainsi qu’en terme d’étude de prévalence indispensable à l’élaboration de stratégie fine de déconfinement”, réclame le député Kamardine. “Si l’on fait davantage de tests, il faudra continuer à les cibler. On va muscler notre labo, bien sûr, mais on va privilégier les personnes fragiles, c’est-à-dire les diabétiques, les obèses, les hypertendus, les insuffisants rénaux, etc. Mais aussi les professions de santé, les personnes qui sont en collectivité un peu forcée comme à la prison, etc. Savoir que des joueurs de foot en parfaite santé sont positifs a finalement moins d’intérêt”, considère pour sa part Dominique Voynet, tout en martelant que “tester tout le monde ne permet de faire qu’une photographie à l’instant “t” qui ne serait déjà plus valable le lendemain”. Selon l’ancienne ministre, il serait ainsi préférable d’élargir la politique de tests, certes, mais surtout de poursuivre celle du contact tracing, c’est-à-dire la recherche des personnes en contact avec un malade dépisté. “Ce qui est important c’est la stratégie et pour nous, c’est de continuer à identifier les personnes, rechercher les patients 0 dans un groupe ou un cluster”, fait-elle ainsi valoir.

Par ailleurs, pour espérer mener une politique de dépistage à grande échelle, il faut bien sûr que le territoire soit équipé pour ce faire. Et force est de constater que, pour l’heure, Mayotte est loin du compte. “Il est clair que si nous faisions plus de tests, nous détecterions plus de contamination. À ce titre, nous avons encore une marge progression en interne pour réaliser plus de tests, mais si l’idée est de passer à un dépistage de grande échelle il faudrait associer d’autres intervenants”, considère ainsi Catherine Barbezieux alors que la demande de remplacement de la machine du CHM n’a pas encore reçu de réponse. Tout comme celle, formulée par le Laboratoire de Mayotte quant à l’approvisionnement en réactifs pour permettre d’utiliser son engin dernière génération, capable de procéder jusqu’à près de 1000 tests par jour. “C’est comme sur tout, nous sommes en attente, car ce sont des choses qui se distribuent au niveau national en fonction des disponibilités et surtout des urgences”, glisse Catherine Barbezieux, laissant peu d’espoir en ce que la demande du député aboutisse.

 

27 avril 1848 : Connaître le passé pour appréhender le présent

Tous les 27 avril, Mayotte célèbre la commémoration de l’abolition de l’esclavage. Une pratique vieille comme le monde. Dans l’histoire de l’humanité, l’esclavage est une blessure, une tragédie dont tous les continents ont été meurtris à travers un abominable commerce entre l’Afrique, les Amériques, l’Europe et l’océan Indien. Un trafic dont il faut se représenter la réalité : des villageois vivant dans la peur, des noirs africains enlevés en masse, privés de leur identité, arrachés à leur culture. Tant d’hommes, de femmes et d’enfants captifs, entassés dans des bateaux où plus d’un sur dix mourait. Ils furent des millions, traqués, enchaînés, battus, déportés d’un continent à l’autre, vendus comme du bétail, asservis, exploités sans pitié ! C’est la littérature qui révèle le mieux à l’esprit cette pratique inqualifiable : “On leur prit tout : leur liberté, leur dignité, leur vie, leurs rêves, leurs espoirs, leurs joies. On leur retira le nom d’Homme. On en fit une chose et de leurs enfants aussi. On prit la peine de les marquer au fer rouge. On se permit de les mettre à mort. Cela dura des siècles. Plusieurs siècles d’un génocide silencieux, à peine ébruité par les cris atroces des mourants.”

L’ordonnance coloniale de mars 1685 qui institue le Code Noir met en place un système tributaire de deux facteurs qui n’en font qu’un : la traite et l’esclavage, deux systèmes complémentaires pour un même crime, l’avilissement de l’homme noir. Du point de vue sociologique, le premier système traduit le monopole et le privilège octroyé à des États de faire un commerce d’humains en les ravalant au rang de bétail. Le second système traduit l’aliénation totale de la liberté de l’individu inféodé à son maître. La traite négrière s’est appuyée sur une idéologie qui en constitue le cadre juridique : “la construction intellectuelle du mépris de l’homme noir pour justifier la vente d’êtres humains comme bien meuble”. La traite négrière restait le grand commerce de l’archipel des Comores à l’époque précoloniale. Elle enrichissait les sultans et satisfaisait les planteurs. Les razzias malgaches par exemple avaient pour objectif la recherche d’esclaves par les planteurs de Bourbon et l’Ile de France. Au cours de ces invasions, Mayotte, ou tout au moins la Grandeterre, fut utilisée comme une tête de pont, une base avancée d’où les Malgaches lançaient les expéditions vers les autres îles et le Mozambique. Les incursions anjouanaises participaient aussi d’une logique de traite négrière et de commerce esclavagiste. De même, il est établi que le sultan Andriantsouli s’adonnait au commerce des esclaves. Les marins anglais et français, rarement d’accord à cette époque, le dépeignent comme “un tyran, un négrier, un éthylique”. Jean Martin cite le révérend Griffith, un pasteur et homme d’affaires mauricien qui, après une tournée de recrutement dans les îles voisines, adresse au sultan une lettre incendiaire, lui reprochant d’avoir réduit en esclavage une partie de la population qu’il avait vendue à deux négriers établis au Mozambique. Avant l’implantation française, Mayotte entretenait la traite négrière, l’île était depuis longtemps un centre actif de ce négoce. Des Noirs, amenés de la côte d’Afrique sur des boutres, y étaient ensuite embarqués à destination des Mascareignes pour fournir la main-d’œuvre aux planteurs sucriers. Les travailleurs étaient le plus souvent des esclaves importés par leurs propriétaires. Qui étaient ces derniers ? Une classe aristocratique d’arabo-persans venus du sultanat d’Oman et de Zanzibar, établis dans l’île et qui y avaient transporté leurs esclaves en majorité africains (M’Rima, Macoua et Mozambique), des Antalaotsy venus ou revenus de Majunga, des autochtones faisant partie de clans semi-féodaux issus de migrations anciennes et métissées bantous, perso-arabes, sakalavas… ou simplement de migrations inter-îles, auxquels on doit ajouter des arrivées plus récentes comme celles de la cour du sultan Andriantsouli.

Mayotte, victime ou initiatrice du trafic ?

Malgré l’empreinte de l’esclavage à Mayotte, deux écoles en contestent l’importance. L’une, formée par des autochtones se réclamant de la tradition arabo-musulmane, soutient que les Mahorais de souche n’ont pas connu l’esclavage. L’autre, formée par des métropolitains qui s’appuient sur des thèses néocolonialistes, affirme que Mayotte n’a connu qu’un “esclavage doux”. Ces deux interprétations méritent qu’on s’y attarde.

L’archéologie fait remonter le peuplement des Comores au 4ème siècle. Très tôt, cet archipel a été un réservoir d’esclaves, sans que l’on sache cependant si les premiers habitants de Mayotte, par exemple, ont été plutôt les initiateurs ou les victimes de ce trafic. C’est cette incertitude qui autorise quelques négationnistes à dire, sans trop y croire, que l’esclavage n’a pas existé à Mayotte. Il est presque certain qu’une île aussi exigüe n’en faisait pas un grand réservoir d’esclaves. Mais il est presque aussi sûr que des commerçants arabes ou swahili, familiers des razzias, aient introduit à Mayotte des nègres enlevés de toutes les tribus de Madagascar et de la côte africaine. Le commerce d’esclaves par les marchands arabo-persans ou antalaotsy semble attesté par les fouilles archéologiques entreprises par le professeur d’histoire Martial Pauly à Acoua. Des sociologues et des linguistes ont noté la permanence des références à l’esclavage dans la langue mahoraise et dans l’imaginaire collectif. Tous les auteurs citent, au demeurant, le récit de l’amiral turc Piri Reis qui dénombrait en 1531 plusieurs centaines d’esclaves chez les nobles mahorais.

Les recherches effectuées par un jeune étudiant mahorais, Inssa Ahamada, pour sa thèse d’histoire consacrée à l’esclavage à Mayotte, écartent certains préjugés. Selon le doctorant, à Mayotte, l’esclavage commence avec le développement du commerce et l’installation d’Arabo-musulmans dans les Comores. Vers le 13ème siècle, une société féodale se met en place avec des valeurs pour chaque classe. Les “Kabaïlas” ne font pas de travaux manuels et ont donc besoin de main d’œuvre, qu’ils font venir d’Arabie ou de la côte est-africaine. En effet, ils se marient avec les filles des chefs de village pour gagner en autorité et ne peuvent pas asservir les populations locales sous peine de perdre leur alliance. Mayotte devient donc un lieu d’asservissement en plus d’être un lieu de traite sur lequel on accueillait des esclaves en transit. On ne sait pas combien ils étaient, mais le développement de cités importantes suppose des ressources financières qui ne le sont pas moins et un commerce florissant. Pour cette période, les sources d’information sont essentiellement orales.

Selon Inssa Ahamada, il y a alors plusieurs catégories d’esclaves qui cohabitent dans l’île. La première, composée des esclaves domestiques, comprend les captifs qui accomplissent des travaux ménagers, les courses extérieures, mais également des hommes de confiance. Ils ne pouvaient que rarement être vendus mais obtenaient parfois la liberté à l’occasion d’un moment de réjouissances, un mariage ou une naissance dans l‘entourage du maître qui le poussaient à l’indulgence.

Les esclaves agricoles, qui forment la deuxième catégorie, mettaient en valeur les terres des maîtres. Les terres étaient souvent éloignées du lieu d’habitation, les maîtres étant majoritairement citadins et fortement regroupés à M’tsapéré. Ces “bêtes de somme” n’obtenaient jamais d’affranchissement et vivaient dans des hameaux particuliers. Cet état de fait leur conférait une certaine liberté de vivre “comme dans leur société d’origine, selon la même organisation et avec les mêmes cultures”. Cela explique la persistance de la musique et de culture venues d’Afrique de l’Est à Mayotte. Troisième catégorie, les marins esclaves étaient eux employés sur les boutres d’un maître commerçant et devaient charger et décharger les cargaisons, mais aussi servir de traducteurs parfois sur la côte africaine.

Enfin, les esclaves d’exportation, venus de la côte est africaine, des ethnies Makoua ou Manya Mwezi, vivaient dans des conditions très difficiles, entassés sur le bateau et dans les hangars dans

lesquels ils étaient débarqués. Ceux-là étaient destinés à être revendus. Du résultat de son étude, Inssa Ahamada tire la conclusion que le silence qui entoure cette partie de l’histoire s’explique à la fois par une part de sacré qui relie l’esclavage à l’islam, et à une empreinte culturelle de l’esclavage arabo-musulman “plus intégrée” à la culture mahoraise. En effet, tout un héritage de cette période est resté. L’organisation de la société mahoraise de l’époque reste encore pertinente à certains égards. Les “Kabaïlas”, dont tout le monde veut être, sont des références sociologiques qui évoquent une certaine aisance, une classe dominante. Viennent ensuite les “Mshendzis”, les esclaves, dont le vocable est resté comme une “insulte” pour désigner quelqu’un qui manquerait de manières, de savoir-vivre. Les “Mgwanas”, autochtones que les Arabes auraient trouvés sur l’île et infiltrés par stratégies matrimoniales, sont des personnes de condition libre. Aujourd’hui, ils désignent des personnes qui ne sont pas étrangères, des natifs du village ou des gens originaires de Mayotte généralement.

En 1841, les Français débarquent et héritent d’un territoire déjà peuplé, contrairement à La Réunion, et avec une société organisée. La question qui se pose alors est celle de leur place sur ce territoire. “La seule façon de prendre le contrôle de l’île, pour eux, était d’abolir l’esclavage et de rendre ainsi caduque l’organisation arabe. Il ne s’agissait pas de philanthropie ! L’idée était de récupérer la main d’œuvre affranchie par les Arabes sous forme “d’engagements”, explique Inssa Ahamada.

Par quelle fantaisie quelques analystes viennent-ils à soutenir, contre toute évidence, que les Mahorais n’ont pas été victimes de l’esclavage ? Cette affirmation péremptoire ressort d’une construction intellectuelle simpliste. La noblesse mahoraise d’antan était elle-même esclavagiste. L’argument se tient, mais il n’évacue pas la question de savoir si cette noblesse n’était pas elle-même issue de descendants d’esclaves ? Même si elle ne correspond pas à l’image idéale d’une ascendance arabe et musulmane quasi-totale portée par les mythes des villages et des grandes familles mahoraises, il semble bien que, dans sa majorité, la population de Mayotte soit d’origine africaine et d’implantation plus récente. En effet, dans la deuxième moitié du 19ème siècle, l’insuffisance de main-d’œuvre imposait de trouver des travailleurs à l’extérieur de Mayotte. Pour satisfaire les besoins des plantations mahoraises, les trois îles comoriennes encore indépendantes allaient fournir, malgré la faiblesse de leur propre démographie, un réservoir de travailleurs “engagés” apparemment inépuisable. Les liens entre les sultanats des Comores et celui de Zanzibar, renforcés par un traité direct entre la France et Mascate, ont permis d’approvisionner régulièrement l’archipel en esclaves razziés au Mozambique et dans le sud tanzanien, et recyclés en engagés comoriens. C’est ainsi que d’anciens villages mahorais de plantations sont encore aujourd’hui regardés comme anjouanais (Vahibé, Koungou, etc.) ou grand-comoriens (Combani, Mramadoudou, etc.) pour avoir été peuplés par des Africains ayant appris en quelques années, voire quelques mois, l’une des langues parlées dans l’archipel. Les similitudes entre Mayotte et le Mozambique ont montré la très grande proximité ethnique mais aussi culturelle entre les deux pays (langue, danses, maquillage, habillement, habitudes alimentaires, etc.).

Selon une interprétation couramment admise, l’esclavage à Mayotte était, a priori, surtout domestique et le régime appliqué, de type patriarcal propre aux pays islamiques, le Coran recommandant au maître la douceur pour ses esclaves et lui faisant un mérite de les affranchir.

L’esclavage arabo-musulman : le Coran d’une main, le couteau à eunuque de l’autre

Commencée lorsque l’émir et général arabe Abdallah Ben Saïd a imposé aux Soudanais un bakht (accord), conclu en 652, les obligeant à livrer annuellement des centaines d’esclaves, la génocidaire traite négrière arabo-musulmane devait s’arrêter officiellement au début du 20ème siècle. L’énorme ponction humaine a duré pendant treize siècles sans interruption. Pour mémoire, la traite

transatlantique a duré quatre siècles. Cela fit dire à Edouard Guillaumet : “Quel malheur pour l’Afrique, le jour où les Arabes ont mis les pieds dans l’intérieur. Car avec eux ont pénétré et leur religion et le mépris du Nègre…”

Derrière un prétexte religieux, les négriers arabes commettaient les crimes les plus abjects et les cruautés les plus atroces. Dans la traite transsaharienne, ce sont les femmes noires qui avaient le plus de valeur. Appréciées pour leurs aptitudes à la vie domestique et aux travaux traditionnels, réputées bonnes cuisinières, elles servaient le plus souvent à l’esclavage sexuel dans les harems. Ces femmes étaient systématiquement violées sur le parcours les ramenant du continent noir. Le but était de les briser moralement et psychologiquement avant de les mettre en vente. Elles étaient ensuite réduites à un état de dépendance et de soumission totale vis-à-vis de leur propriétaire.

Mis à part l’esclavage antique qui avait cours sur la Méditerranée, la conquête musulmane a, au départ, joué un rôle essentiel dans l’expansion de l’esclavage moderne. L’esclavagisme arabe qui s’était inféodé à l’expansion islamique et au commerce procédait comme une maladie sournoise, par razzia et rafles. Il a porté très loin ses prises. Des captifs noirs ont ainsi été trouvés non pas seulement dans le Maghreb mais jusqu’en Inde et en Chine.

L’institution de la castration témoigne des atrocités commises par les négriers arabes. Les captifs transformés en eunuques ont connu les pires sévices qu’un homme puisse endurer. Cette pratique n’est-elle pas le summum de la barbarie ? Châtré, l’esclave perdait ainsi de sa masculinité. Démembré, il était privé de sa capacité à procréer. L’opération confiée à des praticiens “spécialistes” se déroulait dans des ateliers réservés à cet effet. L’ablation des parties génitales est une boucherie contraire à l’islam, mais cette sauvagerie était bien l’œuvre des négriers arabo-musulmans. Les Comores n’ont sans doute pas connu ces mutilations. Les îles ont peut-être échappé à cette abjection. Mais les aspects cruels de l’avilissement résident en principal dans le sentiment d’inhumanité qui torturait l’esprit de chaque esclave meurtri dans sa chair et dans son âme.

Dire qu’à Mayotte, terre africaine et musulmane, il n’a existé qu’un esclavage “doux” ou “ancien”, c’est-à-dire un esclavage dépourvu de ses formes les plus révoltantes, telles qu’elles existaient en Afrique noire ou dans les Antilles, c’est tenter de réserver à cette île un sort singulier, assez enviable somme toute. C’est aussi exonérer de toute faute, les chasseurs de nègres et les bénéficiaires de la battue. “Doux”, “ancien”, “domestique”, “traditionnel” ou “patriarcal”, ces qualificatifs n’ôtent rien à l’essentiel : Mayotte a vécu l’esclavage à l’état pur. La thèse qui vise à hiérarchiser des degrés d’aliénation ne résiste pas à la réalité des souffrances physiques et psychologiques endurées par les esclaves quotidiennement. Ils ont intériorisé l’humiliation tout au long de leur vie comme une souillure indélébile. Lorsqu’il s’agit de la grandeur de l’homme, de sa liberté, de sa dignité, il n’y a pas de spécificité, de particularisme.

En 1812, un Arabe originaire de Mascate introduisit le clou de girofle (produit venant de l’île Bourbon) à Zanzibar. Dans cette région africaine colonisée par les Omanais, rattachée au monde arabo-musulman de l’époque, le sultan employait les captifs qu’il n’exportait pas dans un système esclavagiste local de production de denrées exportables. Ses unités installées à Zanzibar et à Pemba exploitaient de nombreuses plantations. Premier producteur mondial de clous de girofle, Zanzibar produisait aussi du riz, des noix de coco, des patates et de la canne à sucre. Entre 1830 et 1872, plus de sept cent mille esclaves ont servi cette entreprise. Les négriers arabes, qui exploitaient ces ressources, étaient tous financés par des banquiers indiens. Au début du 19ème siècle, ceux qui étaient asservis dans le “task system” (travail à la tâche), vivaient dans des conditions inhumaines et étaient astreints à un certain rendement. Pour les autres cultures, on pratiquait ce que les historiens appellent le “gang labor system” ou travail en équipe, qui était tout aussi pénible. Selon les

estimations, il fallait renouveler chaque année 20 à 30 % de ces malheureux. Neuf à douze mille esclaves mouraient chaque année. Oman fut donc un des marchés les plus florissants de la redistribution de captifs africains. Quantités de bateaux venaient y déverser leurs cargaisons humaines. En treize siècles, et à travers trois traites, les spécialistes font état de 42 millions de captifs africains.

La traite africaine : très ancienne, elle se développe avec les traites orientales et atlantiques. Estimées à 14 millions, ses victimes étaient exploitées par les Africains eux-mêmes, vendues aux négriers arabes et européens. La traite orientale : organisée par des négriers musulmans et certaines tribus islamisées, elle dure du VIIe siècle aux années 1920, à travers le Sahara et sur les côtes de la mer Rouge et de l’océan Indien. On estime ses victimes à 17 millions. La traite atlantique : principalement organisée par les Hollandais, les Britanniques, les Français et les Américains de 1450 à 1860, elle touche surtout la Côte d’Ivoire, le Bénin puis l’Angola, le Sénégal et la Zambie, alimentant surtout les Antilles, le sud des États-Unis et le Brésil. À la fin du 17ème siècle naît le commerce triangulaire : les États donnent des monopoles à des compagnies. Les bateaux quittent les ports européens chargés de marchandises qu’ils échangent en Afrique contre des esclaves, pour vendre ceux-ci en Amérique et rapporter des produits tropicaux en Europe. La traite atlantique aurait fait 11 millions de victimes. La traite orientale, transsaharienne ou arabo-musulmane a bel et bien produit ses effets néfastes y compris aux Comores, et à Mayotte, via le sultanat d’Oman. “L’esclavage doux” est donc une imposture, une hypocrisie qui relève de la mystification et de l’obscurantisme. Le terme est utilisé par des négationnistes pour se donner bonne conscience. Sait-on combien de domestiques sont morts de honte, combien de garçons se sont noyés de chagrin, combien de jeunes filles violées se sont jetées du haut d’une falaise, combien d’adultes se sont suicidés par remords, combien de femmes ont mis une croix sur le bonheur conjugal, combien d’hommes ont banni toute idée de fonder une famille, combien de fuyards révoltés se sont perdus à jamais dans la forêt ?

De la colonisation à l’abolition

Le décret abolitionniste du 27 avril 1848 : Et les chaînes tombèrent… Dès la prise de possession de Mayotte par la France, en 1841, l’introduction des esclaves dans l’île y est interdite en vertu des lois prohibitives de la traite des noirs. Les autorités qui procèdent au premier recensement répartissent la population de la façon suivante : — Sakalaves (600), Arabes (700), Mahorais (500), Esclaves (1500). Total : 3300 habitants.

Les esclaves, tous issus de la tribu des Macouas, vivant en Afrique orientale sur les côtes du Mozambique, dans les terres comprises entre le cap Delgado et la rivière Goillé ou Anghoza, constituaient presque la moitié de la population globale. On dénombre 1800 habitants libres, parmi lesquels 500 seulement sont de “purs mahorais”. Mayotte avait donc une densité humaine dérisoire que la présence coloniale allait très rapidement accroître grâce à une mise en valeur économique “très poussée”, qui devait stimuler des immigrations importantes. Depuis 1843, des mouvements de population se sont successivement produits dans l’île. En quelques années, douze usines sucrières surgirent de la brousse nécessitant des investissements de capitaux qui atteignirent, pour une seule entreprise, plus d’un million de franc-or en cinq ans. Une importation de main d’œuvre devait s’ensuivre et des milliers de travailleurs furent recrutés d’urgence à l’extérieur. Des primes sont accordées aux recruteurs. Des avantages en nature sont offerts à tous ceux qui s’engagent au service des exploitations. Nombreux sont ceux qu’allèchent des salaires inconnus jusqu’alors. Une publicité remarquablement bien faite et favorisée par les circonstances devait créer un courant d’immigration particulièrement important. Ainsi, le recensement de février 1846 fixe le nombre d’esclaves à 2.733 individus des deux sexes et de tout âge, dont une majorité de noirs originaires du Mozambique. Après le rattachement à la France, d’autres bras viennent remplacer la force de travail

gratuite qui servait de fondement à toute l’économie coloniale. L’autre forme d’asservissement qui sévit longtemps après l’affranchissement, est constituée par les contrats d’engagement.

D’un usage courant à partir de 1635 dans les trois îles que possédait la France dans la mer des Caraïbes (la Martinique, la Guadeloupe et Saint-Domingue) où les engagés étaient des Européens, régulièrement rémunérés ou dédommagés de certains frais, les contrats d’engagement, exhumés après deux siècles, sont introduits à Mayotte par deux arrêtés du 16 mars 1846. Deux articles rédigés par le commandant Passot précisent le régime applicable aux engagés. La durée de la journée de tâche est fixée à dix heures, avec une pause de deux heures à midi. La ration journalière doit comprendre 1.200 gr de riz blanc, 22 gr de sel et 1,100 kg de bois de chauffe. De plus, le concessionnaire doit assurer à chaque travailleur un logement et une marmite. Ces mesures salutaires ne furent jamais appliquées, les engagés travaillant parfois treize heures, voire davantage. Les planteurs n’en tiennent pas compte et distribuent généralement du riz non décortiqué que les femmes doivent piler chaque soir. Deux arrêtés sont pris pour mettre fin aux abus sur la distribution de vivres et le versement des salaires. Les textes, assortis d’aucune sanction, restent sans effet.

Selon la version officielle, la France marque son souci de faire régner l’ordre et la justice dans l’île en abolissant l’esclavage par une ordonnance royale du 9 décembre 1846. Il ressort toutefois du rapport Mackau, ministre de la Marine et des Colonies, que l’abolition est dictée aussi par des raisons d’ordre économique. Ce dernier souhaite faire de Mayotte une colonie modèle, un centre économique florissant doté d’un port franc, développement incompatible avec la survivance de l’esclavage. L’ordonnance signée par Louis Philippe, Roi des Français, indique dans son préambule : “L’extinction de l’esclavage est une des premières conséquences qui résultent de l’occupation de cette île, le régime immédiat du travail libre aura pour effet d’y rendre plus facile l’introduction d’autres travailleurs libres et volontairement engagés”.

À cette fin, l’ordonnance prescrit l’ouverture au ministre secrétaire d’État de la Marine et des Colonies, au chapitre subvention à divers établissements coloniaux, un crédit extraordinaire de 461.000 francs. Le texte conclut : — “Cette somme sera répartie entre les habitants indigènes de l’île de Mayotte, actuellement possesseurs d’esclaves, à raison de la libération des dits esclaves, lesquels, à dater de leur affranchissement, resteront soumis envers l’État à un engagement de travail de cinq années”. L’ordonnance royale est promulguée le 1er juillet 1847, avec un grand retard parce que l’administration craignait une soudaine baisse de l’effectif des esclaves, au cas où la nouvelle de leur prochaine libération, avec indemnisation des propriétaires, venait à se répandre. Aucune publicité n’a été faite dans l’immédiat. Dorénavant, les esclaves sont automatiquement affranchis en s’installant à Mayotte, mais ne peuvent y demeurer qu’à la condition de se conformer au régime des engagements. Séduites par les récits enjolivés des boutriers comoriens, tourmentés d’autre part par des sultans avides, les populations des autres îles, notamment les captifs noirs africains recyclés en engagés volontaires, ne devaient pas tarder à se ruer par groupes sur “l’île heureuse”. Ile heureuse, en effet, puisque l’esclavage venait d’y être aboli. Cette importante mesure devait avoir dans l’archipel des répercussions démographiques opposées.

Libres à Mayotte alors qu’ils étaient opprimés à Anjouan, Mohéli et la Grande Comore, les habitants de ces dernières îles devaient rechercher eux aussi à conquérir une liberté que depuis longtemps déjà ils convoitaient. Aussi les émissaires des usiniers de Mayotte trouvèrent-ils dans ces îles un terrain favorable et purent-ils en peu de temps drainer vers Mayotte un nombre important d’individus, d’adultes mâles notamment. Des anciens esclaves de Mayotte, beaucoup continuèrent, après affranchissement, à travailler pour le compte de leur ancien maître ; d’autres changèrent sans doute d’employeurs ; nombreux furent ceux qui se lièrent par contrat comme travailleurs de divers établissements sucriers, sous le contrôle du gouvernement local. D’autres enfin se fixèrent à Mayotte

comme cultivateurs. L’administration locale, de son côté, voulant répondre aux besoins pressants des employeurs fit venir de Madagascar, sur des bâtiments de l’État, quelques centaines de Sakalaves qui se mêlèrent aux habitants de l’île dont beaucoup étaient de même origine. Des circulaires du capitaine Passot, communiqués aux gouverneurs des îles Mascareignes, provoquèrent la venue de Maurice et de Bourbon d’un contingent important de travailleurs spécialisés dans l’usinage du sucre. Des facilités furent enfin accordées aux immigrants contrôlés par le gouvernement local, sous forme de “permis d’établir et de cultiver” que les Mohéliens, Anjouanais et Grands-Comoriens obtinrent sans difficultés. L’amour du sol devait attacher à Mayotte de nombreuses familles de ces immigrants. Cette immigration massive compensa l’émigration qui avait dépeuplé l’île à l’arrivée de la France. Car l’abolition de l’esclavage n’eut pas que des répercussions démographiques heureuses.

Les opérations d’affranchissement commencent le 19 juillet 1847. Après la convocation du Conseil d’administration de Mayotte pour délibérer sur les modalités d’application de l’ordonnance de 1846, les possesseurs d’esclaves les plus influents, notamment les Antalaotsy, ayant l’assurance d’être suivis par leurs esclaves noirs africains, affrètent un boutre à Dzaoudzi pour les transporter dans les possessions portugaises d’Afrique. Malgré la possibilité du dédommagement, c’est-à-dire le rachat par l’État de leurs esclaves, ils s’en allèrent avec les captifs qui, entre leur condition servile héréditaire et l’aventure des engagements obligatoires pour des Blancs, avaient opté pour la première solution. Des trois gros propriétaires indigènes d’origine anjouanaise — Ahamadi Bakari, Ousséni Akiba et Mohamed Ben Ahamadi —, seul le dernier reste à Mayotte. Les Sakalavas d’Andriantsouli ne partent pas. Les planteurs blancs, qui avaient affiché leur projet de quitter l’île se ravisèrent, rassurés par la compensation financière promise et la venue annoncée d’une main-d’œuvre de remplacement, les “engagés volontaires”, également appelés “travailleurs libres”.

Une commission d’évaluation des esclaves affranchis réunie du 15 juillet au 2 septembre 1847 constate que sur 2.012 esclaves ayant comparu, 1.227 avaient opté pour leur départ et 527 avaient exprimé leur volonté de rester.

L’originalité de Mayotte réside dans le fait que l’émancipation des esclaves, présentée comme la suite naturelle et logique du traité de cession de l’île, intervient deux ans avant l’adoption des décrets de Victor Schœlcher qui, les 4 mars et 27 avril 1848, généralisent l’abolition à toutes les colonies françaises : l’affranchissement des esclaves n’est réalisé dans les trois autres îles des Comores qu’en 1891 et 1904.

Le décret libérateur de 1848 est l’aboutissement d’une longue évolution. Les historiens aiment à rappeler que c’est “le réalisme qui a permis aux Anglais d’être la première nation d’Europe à la penser”. Au cours du 18ème siècle déjà, les fondateurs de la “Société des amis des Noirs” condamnaient ceux qui se livraient au commerce du “bois d’ébène”. Des hommes d’église intrépides, tels que l’Abbé Grégoire, s’élevaient contre le sort des Noirs. L’Abbé Raynal publie, dès 1770, une condamnation vigoureuse de l’esclavagisme. En avance sur son temps, cet illustre philosophe des Lumières aborde dans ses écrits l’égalité de tous devant la justice, les droits de la femme, le droit au bonheur… etc. Son plaidoyer contre la colonisation tient en une phrase indélébile : “Parmi tant de mouvements et de tumulte, il s’élève un cri de la nature : “L’homme est né libre !””

La première abolition n’intervient cependant que le 4 février 1794 lorsque la Convention Nationale déclare : “L’esclavage des Nègres dans toutes les Colonies est aboli” ; en conséquence, elle décrète que “tous les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens français, et jouiront de tous les droits assurés par la constitution”.

Il s’agit ici de la première étape sur la route encore longue menant à la disparition de l’esclavage. Bonaparte le rétablira dans les colonies en 1801. Comment des consciences éclairées par les Lumières ont pu supporter si longtemps cette barbarie ?

Le rétablissement de l’esclavage ne trouva pas seulement sa justification dans l’intérêt économique, dans l’appât du gain. Ce qui rend la traite et l’esclavage insupportable, c’est que ces systèmes ont trouvé leur justification intellectuelle et morale dans l’idée de race inférieure. Où a conduit ce préjugé ? À donner un prix, une valeur marchande à la vie humaine. Dès lors, le sentiment de la fraternité humaine s’effaçait derrière la comptabilité. Le maître ne partageait pas plus la souffrance de l’esclave que le négrier. Il se sentait dans son bon droit. Il logeait et il nourrissait l’esclave en échange de son travail et il était convaincu que celui-ci ne pouvait travailler que sous le fouet. Des hommes de grande valeur se sont levés tôt pour dénoncer cette conception absurde. Ces sentiments humanistes étaient ceux de Condorcet, Musset, Brissot, Schœlcher, Guizot et bien d’autres républicains.

Un fléau qui a longtemps désolé l’Afrique, dégradé l’Europe et affligé l’humanité

De fait, les premiers à combattre l’esclavage furent les esclaves eux-mêmes. Les révoltes étaient fréquentes, elles étaient sévèrement réprimées. Mais les esclaves qui s’étaient libérés par les armes avaient définitivement perdu leur “âme d’esclave”. Très tôt, une prise de conscience avait germé. Vint la Révolution française. Quelques-uns parmi les Européens, ceux qui avaient l’esprit républicain, firent de l’émancipation leur combat. La République réveilla dans la pensée endormie des esclaves asphyxiés l’idée étouffée de liberté. C’est dans ce moment décisif que parut des héros noirs. Le commandant Delgrès, soldat de l’armée républicaine, proclama le 10 mai 1802 qu’il voulait “vivre libre ou mourir “. La mulâtresse Solitude, Cimendef et Dimitile, figures emblématiques des “marrons”, montrèrent le chemin aux esclaves fugitifs. Ces noms, ces destins hors du commun, souvent tragiques, trop peu de Français les connaissent. Pourtant, ils font bien partie de l’histoire de France. Que dire de Toussaint-Louverture, qui créa les conditions de l’indépendance de Saint-Domingue, devenu Haïti. Avec des esclaves, il forgea une armée. Avec cette armée, il fit un État. Châteaubriand l’appela “Le Napoléon noir”. Lamartine disait de lui : “Cet homme fut une Nation”. Face aux Espagnols, aux Anglais, à Leclerc, dans la paix comme dans la guerre, dans l’administration comme dans la conquête, sans y avoir été préparé, sans avoir été éduqué, formé, il fit preuve des plus belles qualités d’intelligence, de caractère et de courage qui sont un démenti jeté violemment à la face de ceux qui voulaient croire à l’infériorité d’une race éternellement vouée à l’esclavage. Il mourut au fond d’un cachot. Mais le peuple que Toussaint avait réveillé et qui avait préféré risquer l’anéantissement en se battant jusqu’à l’extrême limite de ses forces plutôt que de redevenir esclave, avait pris goût pour toujours à la liberté. Le 1er juillet 1804, ce peuple libre proclama la République d’Haïti. Il voulait en faire “la patrie des Africains du nouveau monde et de leurs descendants”.

L’émancipation s’était faite dans la souffrance de l’esclave. Elle s’est faite contre le préjugé de supériorité culturel qui fut aussi un préjugé racial. C’est cette grande faute de l’Occident, qui a été la cause d’une blessure profonde, ineffaçable, c’est cette faute inexpiable que les abolitionnistes européens ont tenté de réparer, contre leurs États esclavagistes.

Commémoration et devoir de mémoire

Commémorer l’abolition, se souvenir, est nécessaire et souhaitable. Partie intégrante de la France, la patrie des droits de l’homme, berceau de l’ingérence humanitaire, Mayotte ne saurait rester à l’écart d’un vaste mouvement national qui se situe à l’avant-garde de la lutte contre toutes les formes d’esclavage. Comme disent les sociologues, les pratiques caractéristiques de l’esclavage moderne sont couvertes par le non-dit, le silence, le mutisme et la peur de la remise en cause de l’ordre social.

Ce phénomène cache les multiples travers d’une société pervertie ou en voie de l’être. Les tabous qui couvrent la dénonciation des faits ont pour conséquence de nous rendre tous, à des degrés divers, complices d’une abomination, celle qui consiste à maintenir l’opprimé emmuré dans une réalité qui mutile l’individu et le brime dans son désir de liberté. Ainsi que l’affirme l’Unesco : — “Les principes de la déclaration universelle (des droits de l’homme) ne pourront être traduits dans la réalité de la vie de chacun qu’après avoir été profondément enracinés dans les consciences, étant donné la profondeur des égoïsmes qu’ils combattent, la force des préjugés, des traditions et des principes qu’ils bouleversent”.

En définitive, nous sommes tous concernés. Les conférences ont le mérite de nous en convaincre, de susciter des vocations d’abolitionnistes des temps modernes. L’histoire de l’esclavage reste encore méconnue à Mayotte. Les jeunes mahorais, Français de nationalité, grandiraient à s’en imprégner. Ceux qui ont tourné le dos à l’Afrique s’enrichiraient humainement, intellectuellement et moralement. Savent-ils seulement d’où viennent leurs ancêtres ? De quelle aire géographique ils se rapportent ? Sur quel arbre généalogique s’accrocher ? “Apprendre sans oublier” : c’est la parole sage et le conseil que livre Cheikh Hamidou Kane. Selon l’écrivain sénégalais, Sondât Keita, l’icône de la société mandingue, a été dès le 13ème siècle un précurseur et un modèle dont on souhaiterait que s’inspirent les dirigeants actuels de l’Afrique. Il a substitué l’unité à la division ; il a codifié et promulgué les principaux principes de la loi fondamentale connue sous le nom de Charte du Mandé. Les textes fondateurs établissent une véritable citoyenneté de l’empire permettant la libre circulation des biens et des personnes. Ils garantissent aussi la sauvegarde de la vie, l’intégrité physique, l’honneur et la propriété de chaque sujet. On y trouve des dispositifs relatifs aux biens, à la manière licite de les acquérir, à la gouvernance. Comme Cheikh Hamidou Kane, posons alors la question d’actualité : s’il était donc ainsi établi que l’Afrique médiévale avait su tirer de sa culture et de ses valeurs les règles d’existence et de gouvernance les plus adéquates, pourquoi les élites dirigeantes de l’Afrique moderne doivent-elles, dans leur œuvre d’édification et de modernisation, aller chercher leur modèle ailleurs ? “C’est, dit Joseph Ki-Zerbo, que beaucoup de cadres africains ont tourné le dos à cet héritage, (…) accordant plus de crédit à ce qu’ils ont appris et mal retenu de leur initiation aux sciences modernes.”

Voici une image du génie africain que les jeunes scolaires mahorais ne connaissent pas. Savent-ils seulement que l’esclavage, qui a permis l’enrichissement et le décollage économique de l’Europe ainsi que l’édification de la puissance nord-américaine, a par ailleurs provoqué le déséquilibre et l’appauvrissement de l’Afrique. La traite négrière, entreprise de déshumanisation du peuple africain institutionnalisée par le Code noir, impose un devoir de mémoire (connaître le passé pour appréhender le présent). Certes, nous ne sommes plus à l’époque des articles du Code Noir (1685-1848), cette infamie juridique instituant et systématisant l’animalisation de l’homme — et de la femme — noir. Certes, l’égalité des droits a été proclamée en France en 1946, avec l’avènement du statut de DOM qui offre le choix, aux peuples colonisés, entre assimilation et intégration, sous couvert de la tutelle républicaine. Mais le temps n’a pas fait son œuvre de cicatrisation des blessures profondes et des plaies béantes que nos grands-parents s’efforcent, l’âme en peine, d’oublier individuellement et collectivement. Il importe donc pour les descendants d’esclaves (sang-mêlé, nègre marron, mulâtre d’Afrique et d’ailleurs), enfants des générations postcoloniales (métis, créole, black, croisés d’Amérique ou de l’océan Indien) de perpétuer la tradition de l’anniversaire, de continuer de deviser sur les formes nouvelles de l’exploitation humaine et de l’esclavage moderne. Injustice, inégalité, exclusion, dépendance, privation de droits, confiscation des libertés, et surtout racisme… autant de perversions qui montrent — et le phénomène Le Pen en France métropolitaine en est une parfaite illustration — que l’émancipation (proclamée par le décret du 27 avril 1848 qui libère les esclaves pour les transformer en prolétaires colonisés) a aujourd’hui encore un goût

d’inachevé. Il n’est pas rare en effet que dans les îles et en métropole, des personnages qui détiennent une parcelle de pouvoir politique, administratif, économique ou financier répandent, à la télévision, dans la presse écrite ou sur Internet, des propos inacceptables relevant d’un racisme absolu.

Ce délire xénophobe se révèle souvent dans les entreprises, par le comportement outrancier de petits patrons vis-à-vis des salariés, qui laisse croire à du mépris et à de la ségrégation sociale et économique. Ceux qui évoquent, publiquement ou en privé, “les bons côtés de l’esclavage” ou le “rôle positif de la colonisation” doivent être combattus, avec la plus grande fermeté. Commémorer l’abolition, c’est une manière de condamner à l’avance les propos scandaleux des négationnistes qui défendent l’indéfendable. L’indéfendable, c’est d’oublier que l’esclavage a nourri le racisme. C’est lorsqu’il s’est agi de justifier l’injustifiable que l’on a échafaudé des théories racistes. C’est-à-dire l’affirmation révoltante qu’il existerait des races par nature inférieures aux autres. Le racisme, d’où qu’il vienne, est un crime du cœur et de l’esprit. Il abaisse, il salit, il détruit. Le racisme, c’est l’une des raisons pour lesquelles la mémoire de l’esclavage est une plaie encore vive pour nombre de nos concitoyens.

Un devoir citoyen reste à faire. Il reste aux générations actuelles à accomplir au moins une abolition : abolir le non-dit, le ressentiment et la frustration. Il leur reste aussi à accomplir au moins une émancipation : s’émanciper des séquelles, des traumatismes et du refoulement.

Il ne faut pas pardonner. Il ne faut pas oublier. Il faut rester éveillé, vigilant, attentif, la conscience en alerte. Car la liberté, c’est le Droit qui la garantit. L’égalité, c’est la raison qui l’exige. La fraternité, c’est le cœur qui l’appelle. Le Droit, la Raison et le Coeur, voilà par quoi nous pouvons donner un sens à un avenir commun. La formule s’adresse tout particulièrement aux jeunes mahorais.

 

Ramadan à Mayotte : Un mois sacré sous le signe du confinement

Ce soir se déroule la “nuit du doute” pour les fidèles musulmans. Traditionnellement, si le croissant de la nouvelle lune est observé, alors débute le mois du ramadan. Une période avant tout sacrée pour les musulmans, mais aussi ponctuée de festivités quotidiennes, rupture du jeûne en tête. Cette année toutefois, c’est un ramadan confiné qui aura lieu. De quoi bouleverser les habitudes.

La priorité ? Continuer à contenir la propagation du Covid-19 sur le territoire. Les consignes ont donc été données la semaine dernière par les responsables religieux, après concertation avec les autorités. Et répétées par les cadis lors de passages dans les médias : il n’y aura, pour le ramadan, pas d’exception pour les règles de confinement en cours. Point de prières dans les mosquées, pas plus que de grands rassemblements pour la rupture du jeûne, le foutari. C’est donc un ramadan quelque peu chamboulé par rapport à la coutume qui doit débuter, si toutefois le croissant de lune est observé ce soir, durant la “nuit du doute.”

Pour Younoussa Abaine, à la tête de la direction départementale de la cohésion sociale, dont dépendent les cadis, ce ramadan confiné est “un mal pour un bien”, une invitation à renouer avec une certaine vision de la foi. “Habituellement, les gens travaillent durant le ramadan. Or, là, la plupart seront chez eux, au sein de leurs familles”, argumente-t-il. L’intérêt pour les croyants ? “Se consacrer à la prière et lire le coran, comme cela est recommandé, mais aussi passer du temps avec sa famille, ses enfants. Ce sont des valeurs importantes, en parfait accord avec le sens du ramadan. Ce que les croyants vont perdre d’un côté à cause du confinement, ils vont le gagner d’un autre.”

Pour Zalihata, cuisinière à Mamoudzou, les règles de confinement ne vont pas changer grand-chose. Comme chaque année, sa petite affaire sera fermée durant le mois sacré, et comme chaque année, elle le fera en cercle réduit. Toutefois, elle le concède : “Ce ramadan sera particulier. Je ferai les prières à la maison, et pour les foutaris (la rupture du jeûne, NDLR), nous le faisons en général juste avec mon mari, hormis lors de quelques soirées. J’avais prévu d’inviter ma belle-famille à la maison autour d’un foutari, mais je ne prendrai pas le risque. Ça ne sera pas possible cette année, tant pis.” Et de rigoler : “Pour ce qui de la nourriture, j’ai la chance de posséder un jardin dans lequel je fais pousser des bananes, papayes, feuilles de thé et autres : en somme, ce que l’on mange tout au long du ramadan, alors le confinement ne va pas trop changer nos habitudes de ce côté-là.”

En revanche, pour d’autres, ce ramadan très spécial est regrettable, même s’il ne s’agit pas de prendre le moindre risque dans le contexte de crise sanitaire actuel. Shabani, 20 ans, est de ceux-là. Le plus dommageable pour lui ? La fermeture des mosquées. “Habituellement durant le ramadan, tout le monde va à la mosquée lorsque le muezzin appelle à la prière, même ceux qui, le reste de l’année, n’y vont pas. C’est important, car ce sont aussi des moments où nous sommes ensemble, en particulier pour la tarawih (une prière du soir exécutée quotidiennement pendant le mois de jeûne, NDLR), que l’on fait en groupe. Malheureusement, cela ne sera pas possible cette année.” Alors, pour s’adapter aux conditions, le jeune homme effectuera ses prières à domicile, seulement entouré des quelques personnes, elles aussi confinées, du foyer, “une façon de maintenir tout de même l’esprit du ramadan, qui est un moment unique pour nous”, espère-t-il. Un esprit qui sera toutefois forcément différent et qui laisse présumer, selon le jeune fidèle, de quelques difficultés, notamment lors de la rupture du jeûne, “puisqu’on invite souvent des proches qui n’ont pas beaucoup de moyens pour qu’eux aussi en profitent. Là, ça ne sera pas possible, c’est sûr”.

Et puis, en ce qui concerne les habituelles réjouissances de l’Aïd – qui pourrait être confinée en cas de prolongation des mesures sanitaires –, elles devraient, elles aussi, passer à la trappe. Zalihata nous l’explique : “Du côté de l’embellissement de la maison, il n’y aura rien cette année. Comme la plupart des Mahoraises, j’ai l’habitude de changer la peinture, de redécorer l’intérieur de la maison pour pouvoir accueillir les invités qui viendront le jour de l’Aïd, mais cette fois, ça tombe à l’eau.”

Un “effort particulier” pour limiter les risques

Si le message est admis comme évident par la plupart, il s’agit tout de même de s’assurer que d’autres ne s’affranchissent pas des règles de distanciation sociale du moment. Du côté de la préfecture, on explique donc que “pour la période du ramadan, les dispositifs de contrôles et de sécurisation de la police et de la gendarmerie nationales seront adaptés pour répondre aux spécificités de la période”. Et notamment avec “un effort particulier porté sur les créneaux nocturnes, à la fois pour faire respecter les gestes barrières et prévenir les comportements à risque sur le plan épidémique, mais également pour assurer une surveillance générale permettant de garantir la quiétude des habitants pendant cette période sacrée. Les contours du dispositif sont en cours de finalisation. Un travail partenarial avec les communes et les autorités religieuses est conduit pour limiter les situations propices à la propagation du virus”.

 

Le tribunal judiciaire de Mayotte se prépare à avoir “la gueule de bois”

Le confinement a largement ralenti la vie au tribunal, où seules les affaires urgentes continuent d’être jugées depuis le 16 mars. Mais chez les magistrats comme chez les avocats, l’on s’inquiète déjà pour l’après-Coronavirus.

Deux mois de grève des avocats, suivis par bientôt deux mois de confinement… Décidément, la justice enchaîne les tuiles depuis le début de l’année. Et vu le nombre d’affaires qui ont été renvoyées à cause de ces fâcheux aléas, ni les magistrats, ni les greffiers, ni les avocats, ni même les agents de sécurité ne vont pouvoir souffler dans les mois à venir. En cause : les nombreux retards qui ne vont pas manquer d’embouteiller les salles d’audiences après le déconfinement. “Tout cela a mis le tribunal dans un état… Nous allons avoir la gueule de bois, c’est sûr”, soupire Laurent Ben Kemoun le président du tribunal judiciaire de Mamoudzou.

Pourtant, tout n’est pas à l’arrêt derrière les grilles fermées du bâtiment de Kawéni. Depuis le 16 mars, le procureur de la République et les magistrats continuent à s’y rendre, pour traiter les affaires dites “urgentes”. Car le confinement n’a pas mis fin aux actes de violence ou de délinquance sur l’île, tant s’en faut. Caillassages, vols à l’arraché, rixes entre bandes… Trois après-midi par semaine, les lundi, mercredi, et vendredi, les juges s’attachent à traiter, en matière pénale, ces délits du quotidien. “Il y en a suffisamment pour occuper quelques heures dans la journée”, souligne le président. Même chose du côté des juges d’instruction qui ne traitent plus que les urgences, mandats d’arrêt ou mises en examen en cas de crimes, mais remettent à plus tard les convocations pour les dossiers déjà ouverts.

À ces quelques cas s’ajoutent les urgences non pénales, pour des demandes d’ordonnance de protection par exemple, ou des affaires commerciales. Si, en théorie, les gens peuvent venir déposer leurs demandes au tribunal – système d qui consiste ces temps-ci à glisser leur courrier aux agents de sécurité à travers les grilles, pour les transmettre aux magistrats, nous décrit Laurent Ben Kemoun -, en pratique, peu de gens se sont présentés aux portes de la juridiction. “J’ai dû faire deux trois ordonnances de protection depuis le début du confinement, aucun référé, rien en matière commerciale non plus”, énonce-t-il.

Le poids du coronavirus dans la décision

Toutes les autres affaires font l’objet de renvois. Mais pour certaines dont les audiences doivent avoir lieu pendant le confinement, il faut parfois statuer sur le maintien ou non du prévenu en détention. Et pour rendre leur jugement, les magistrats ont un nouveau paramètre à prendre en compte : le Coronavirus. Si personne pour l’heure, n’a contracté le virus à la prison de Majicavo, la précaution est de mise. Pour les délits les moins graves, et en l’absence de récidive par exemple, les prévenus peuvent donc être remis en liberté, sous contrôle judiciaire ou non. Et ce, alors même qu’ils n’ont guère d’avocat pour appuyer leur défense.

En effet, les robes noires ont plutôt déserté les allées du tribunal, à en croire Laurent Ben Kemoun. “Il y a un risque de contact et de propagation du virus, mais l’ordre nous a plutôt dit que c’était à nous de décider pour les permanences”, justifie Maître Élodie Gibello-Autran, qui n’a pour sa part pas d’astreinte avant fin mai. Malgré tout, leur absence peut parfois poser problème. Pour les personnes majeures, les magistrats peuvent se passer d’elles pour décider du renvoi de l’affaire et du choix du maintien en rétention. Mais pour les personnes mineures, aucune dérogation n’est possible. La

présence de l’avocat est obligatoire. Et face à leur permanence résolument vide, les mineurs reçus depuis le 16 mars ont été remis en liberté et leur audience renvoyée.

Les avocats dans la tourmente

Côté avocats, on aborde aussi les mois à venir avec une certaine inquiétude. Une enquête publiée récemment par le Conseil national des barreaux montrait en effet que plus de 27.000 avocats pourraient quitter la profession dans les mois à venir en raison de la crise sanitaire liée au Coronavirus, soit près de 40 % des conseils. Car les difficultés économiques risquent de frapper les cabinets, déjà mis à rude épreuve avec la grève des retraites. “En temps normal, je tourne à environ dix ou quinze nouveaux dossiers par mois. Le mois dernier, j’en ai eu trois et ce mois-ci seulement un” , souffle Elodie Gibello-Autran. Une situation difficile, dont les impacts économiques risquent de se faire sentir à plus long terme, notamment car l’avocate facture au mois. L’aide de l’État de 1.500 euros ne pourrait donc pas suffire à couvrir ses frais. Sans compter les charges qui font pour l’instant l’objet d’un simple report et non d’une annulation.

“C’est clair que pour un jeune qui s’installe, la situation n’est pas rose”, acquiesce Maître Luc Bazzanella. “Même si à Mayotte, je pense que nous sommes un peu épargnés, et que les jeunes sont sécurisés, en étant collaborateurs”, poursuit-il. L’avocat, qui est aussi délégué à la réforme des retraites à l’Ordre, a aussi d’autres préoccupations pour la suite : les retraites et la pile de dossiers qu’il va falloir traiter après le déconfinement. “On profite de ces quelques jours de répit”. Avant la tempête qui s’annonce, aurait-il pu ajouter.

250 téléconsultations médicales avec examen clinique réalisées en trois semaines à Mayotte

Si le Coronavirus obnubile, il ne faut pas pour autant oublier la prise en charge de toutes les pathologies aiguës et chroniques. L’association Ensemble pour votre santé, avec le soutien de l’agence régionale de santé, a mis en place un dispositif de téléconsultation médicale avec examen clinique aux quatre coins de l’île. Sa présidente, le docteur Martine Eutrope, loue son efficacité et la coordination entre tous les professionnels de santé.

L’histoire de la consultation médicale à distance débute en octobre 2019. Porté par l’association Ensemble pour votre santé et financé par l’agence régionale de santé, le projet consiste à proposer de la téléexpertise sur un territoire, qui manque cruellement de spécialistes. Crise du Coronavirus oblige, les deux structures continuent de mettre à disposition des habitants cette technologie, cette fois-ci pour réaliser des téléconsultations avec examen clinique. “En cette période, la population hésite à se rendre chez le médecin pour éviter d’être en contact avec des gens potentiellement atteints du Covid+, bien que tous les professionnels de santé aient pris des mesures pour ne mettre aucun patient en danger”, souligne le docteur Martine Eutrope. “L’idée était de mettre en place une continuité des soins, pour continuer à prendre en charge toutes les pathologies aiguës et chroniques. Nous avons donc procédé à un maillage territorial”, renchérit Patrick Boutie, adjoint au directeur de l’offre de soins et de l’autonomie à l’ARS.

Par le biais d’un appareillage médical (un charriot fixe ou une mallette mobile), un professionnel de santé met en lien grâce à un système de visio-conférence le patient et le médecin. Pour cela, rien de plus simple. La prise de rendez-vous se fait par un secrétariat, via un numéro unique (06.92.03.98.17). Ce premier échange permet de définir le secteur géographique d’habitation et surtout si le malade peut se déplacer ou non. En fonction de cette dernière réponse, soit il se rend sur un point fixe à proximité de chez lui, soit un infirmier libéral lui rend visite à son domicile. “Nous avons un pool de quatorze médecins avec un agenda partagé sur lequel nous écrivons nos disponibilités. Avant de nous connecter, nous avons déjà pris connaissance de la fiche du patient, qui recense la température, le poids, la taille et le motif de la consultation”, précise le docteur Martine Eutrope. Le matériel permet d’ausculter le cœur et les poumons, d’examiner les tympans et de procéder à un électrocardiogramme. Seule différence avec un examen “classique”, la durée. Celui par téléconsultation s’avère un peu plus long, environ vingt minutes, en raison des consignes données par le médecin posté derrière son écran et des écueils informatiques.

Réflexion en cours sur l’après-confinement

Commencée il y a maintenant trois semaines, la consultation médicale à distance démontre toute son efficacité et sa pertinence. Rien que sur Petite-Terre, Mamoudzou et Koungou, le docteur Martine Eutrope en recense près de 250. “La cadence est bien soutenue”, confirme Patrick Boutie. D’où l’étendue du dispositif ce lundi au cabinet médical de Hamjago et ce jour à la pharmacie des Tortues de Bandrélé, grâce à la mise à disposition d’un appareil fixe par la MGEN (mutuelle générale de l’Éducation nationale) pour cette dernière commune. Indépendamment du nombre élevé de patients, la présidente de l’association loue la coordination entre les personnels de santé à l’échelle départementale. “La crise sanitaire nous rapproche et nous invite à mieux travailler ensemble. Tout le monde s’implique énormément, c’est très agréable.” Au point de voir cette pratique se marginaliser à l’issue du confinement ? Il semble encore trop tôt pour le certifier. “Nous reprendrons la téléexpertise, mais nous essaierons de nous organiser pour faire de la téléconsultation dans les parties de l’île dépourvues de médecins. Cette période nous prouve que ce dispositif fonctionne bien !” Et surtout, son prix est identique à celui d’une consultation normale et est remboursé à 100 %. “La logistique pour équiper les médecins en ordinateur, la maintenance informatique, le fonctionnement de l’association et l’investissement dans les machines (une valise mobile coûte environ 15.000 euros, ndlr.) sont pris en charge par l’ARS”, dévoile Patrick Boutie. Cerise sur le gâteau : le patient voit son ordonnance être directement envoyée à la pharmacie de son choix.

 

Les méthodes de travail des facteurs mahorais réadaptées pendant le confinement

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Les facteurs sont constamment en contact avec les habitants, mais depuis le début du confinement, ils doivent revoir leurs méthodes de travail et garder leurs distances. Ils doivent intégrer de nouveaux gestes et de nouveaux outils dans l’exercice de leur mission. À l’exemple de la nouvelle application CertiRemis, expressément créée pour permettre aux postiers de respecter les mesures de sécurité.

Chaque postier a un secteur affecté. Dès son arrivée au centre de tri, le postier doit trier les courriers selon les rues. Cela lui permet d’organiser et d’optimiser son temps épandant la distribution.

La direction de la poste a instauré des nouvelles mesures depuis le début de la crise sanitaire. Tous les matins, chaque facteur se voit attribué du gel hydro-alcoolique, un masque, du savon, et une bouteille d’eau afin de respecter les règles d’hygiène. Ikram applique le gel hydro-alcoolique à chaque étape de sa mission.

La Poste a mis en place une application qui permet aux facteurs de remettre les colis et les lettres recommandées sans jamais être en contact physique avec les clients. Il doit prendre en photo le colis et le déposer devant le domicile ou mettre la lettre dans la boîte aux lettres. En temps normal, les colis ainsi que les lettres recommandées nécessitent une signature du client. « Cela nous permet en effet de garder nos distances mais nous perdons également trop de temps dans toutes ces procédures », explique Ikram le postier.

Les facteurs se retrouvent confrontés à de nouvelles difficultés. Mes courriers adressés aux écoles et aux mairies repartent souvent au centre de tri car il n’y a aucune permanence. Ils laissent donc un avis de passage.

Recteur de Mayotte : “Si des écoles ne sont pas en état de marche le 11 mai, nous repousserons leur ouverture”

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L’annonce de la réouverture des établissements scolaires d’ici trois semaines fait jaser. Alors que les syndicats estiment que le département sera “dans l’impossibilité technique” de faire respecter les gestes barrières et mesures de sécurité dans ses écoles, ils ont rencontré hier matin le recteur de l’académie pour faire part de leurs inquiétudes. Gilles Halbout de son côté devrait élaborer, d’ici deux semaines, un protocole en partenariat avec l’agence régionale de santé.

La question est encore loin d’être réglée : les écoles mahoraises rouvriront-elles leurs portes le 11 mai ? Seulement quelques jours après l’annonce faite par le ministre de l’Éducation nationale, syndicats et rectorat multiplient les échanges. Mercredi matin, tous ont pris part – à distance bien sûr – à un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Pour Gilles Halbout, l’enjeu était d’abord de recenser les questions et inquiétudes des différentes organisations pour pouvoir, dans un deuxième temps, co-construire un plan de réouverture avec l’agence régionale de santé, et ce d’ici deux semaines. Un procédé méthodique, dont dépendra le retour ou non des enseignants et des jeunes dans leurs établissements respectifs.

Si “tout un tas de sujets est encore en chantier”, selon Henri Nouri, co-secrétaire départemental du Snes-FSU, le syndicat majoritaire du second degré estime déjà que le département sera dans l’impossibilité technique” d’organiser un retour en classe d’ici moins de trois semaines. “Pour le moment, nous n’avons pas les conditions pour reprendre les cours.” Et pour cause, les mesures à prendre concernant la désinfection des écoles, la distribution de masques, le dépistage massif, ou le respect des gestes barrières, notamment lors de la récréation, de la restauration scolaire ou des cours d’éducation physique et sportive sont encore en attente de concertations supplémentaires entre les différentes institutions concernées. Seule certitude pour l’instant : “Si des écoles ne sont pas en état de marche le 11 mai ou si nous n’avons pas eu le temps de nous organiser, on repoussera leur ouverture”, promet le recteur, pendant que la CGT Educ’action estimait dès le début de semaine que les conséquences d’un déconfinement progressif des scolaires à cette date risquait de contribuer à une vague de contamination, sur un territoire “particulièrement propice”, du fait notamment des lieux de vie précaire et des établissements surchargés. D’autant plus que Mayotte a été frappée plus tard que la métropole par l’arrivée de Covid-19, ce qui présume que le pic de l’épidémie arrivera, lui aussi, plus tard.

Sur la base du volontariat

Selon les premiers éléments dévoilés par le rectorat, les élèves eux-mêmes ne seront pas obligatoirement tenus de revenir en classe, puisque ceux qui présentent des risques ou des craintes particulières seront autorisés à poursuivre le travail à la maison, à l’instar des professeurs. “Et si certains ne peuvent venir qu’un jour sur trois, ou même qu’un jour sur cinq, cela sera possible”, rassure Gilles Halbout. “Mais il y a des élèves qui sont en train de décrocher, et nous devons empêcher ça.”

Concrètement, la reprise des cours se fera progressivement, via un calendrier étalé sur trois semaines. Ainsi, grandes sections, CP, CM2, zones REP et REP+ seront les premières à rejoindre l’école le 11 mai, suivies des 6èmes, 3èmes, 1ères, terminales et des ateliers industriels en lycée professionnel la semaine suivante. Viendront enfin, le 25, l’ensemble des effectifs restant.

Les classes seront divisées en groupe d’une douzaine à une quinzaine d’élèves, qui alterneront une semaine de présence à l’école puis une semaine de travail à la maison. “Je ne vois aucun point bloquant, mais un gros travail nous attend”, reconnaît encore l’académie. De leurs côtés, les syndicats qui plaident également pour un retour en classe le plus rapide possible à condition que les mesures de sécurité et de protection soient réellement mises en place ne partagent pas tout à fait cet optimisme. “On aimerait bien entendre les maires, mais on n’a peur qu’ils prennent la fuite”, souffle Rivo, secrétaire départemental de SNUipp-FSU. Car les élèves et les professeurs ne seront pas les seuls à être déconfinés, les écoles embauchant également des employés communaux. Là-dessus, l’académie qui se sent toute de même “bien accompagnée” regrette une certaine politisation de ce sujet pourtant d’intérêt public.

 

À Tsararano, les patients reprennent le chemin de l’école

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Depuis la semaine dernière, l’internat du lycée de Tsararano a rouvert ses portes. Non pas pour préparer une éventuelle rentrée scolaire le 11 mai, mais pour accueillir des patients atteints du Coronavirus qui ne peuvent s’isoler chez eux et protéger leur entourage. Pour l’heure, le centre d’hébergement compte quatre hôtes et pourrait en recevoir 80.

Bureau du CPE transformé en quartier général des infirmières, masques sur les visages et gel hydroalcoolique sur les tables… Seule la sonnerie du lycée qui continue à retentir vient rappeler que c’est bien dans un établissement scolaire que le centre d’hébergement social est venu s’installer. Et remplacer ainsi les 110 élèves que comptait encore l’internat avant les dernières vacances par des patients atteints du Coronavirus. Au nombre de quatre, ce mardi. De quoi expliquer le pesant silence qui s’installe dans les couloirs quand le tocsin scolaire se tait.

“Nous avons misé sur une capacité de 80 places pour ne pas mettre plus de deux personnes dans les chambres, bien respecter les gestes barrières et de distanciation sociale, etc.”, explique Mathilde Hangard, responsable de la planification de crise sanitaire liée au Covid à l’ARS. “L’idée était que ces centres puissent permettre un isolement de la personne lorsque cet isolement n’est pas possible à domicile pour différentes raisons. Pour l’instant, nous avons privilégié cette stratégie même si dans un futur proche d’autres solutions seront peut-être à envisager. Lorsque l’on a visité l’internat, on a eu un bon échange avec le personnel et on s’est dit que le lieu correspondait bien à nos besoins”, poursuit-elle en arpentant des locaux propres comme un sou neuf. Il faut dire que les équipes de nettoyage passent deux fois par jour dans un protocole des plus strict. Deux fois aussi, pour les infirmières et une visite médicale pour chaque patient. En tout, ils sont une quinzaine à intervenir quotidiennement et pour diverses tâches dans le centre.

Pallier l’ennui des journées confinées

De quoi rythmer la vie des hôtes, même s’“il y a forcément un peu d’ennui, car ce sont des personnes qui ont tellement l’habitude de vivre avec leur famille, en collectivité qu’ici c’est forcément un peu plus compliqué, car c’est une tout autre dynamique, il n’y a que quatre patients”, confie une responsable de la Croix-Rouge qui déploie deux travailleurs sociaux – des éducateurs — dans le centre. Petit à petit, les professionnels s’adaptent pour répondre au mieux aux besoins des personnes hébergées et tenter de rendre leur séjour, qui rime avec séparation, moins douloureux. Entre les repas, des jeux de société, des projections de films, des temps de parole sont ou seront ainsi organisés pour pallier l’ennui des journées confinées.

Rappelons que cette mise à l’écart “se fait sur la base du volontariat”, comme le souligne Mathilde Hangard. “On a préféré pour des raisons sanitaires ne mettre que des patients qui ont été testés positivement. Lorsqu’un patient suspect se présente dans un centre de référence, il est diagnostiqué et ce n’est qu’après, si le test est positif que les équipes sociales du CHM entrent en jeu pour vérifier si la personne a les conditions pour s’isoler à domicile ou non. Et si ce n’est pas le cas, lui proposer un hébergement en centre. Si celle-ci est d’accord sur le principe, elle vient visiter le centre et est accueillie par des travailleurs sociaux de la Croix-Rouge et une infirmière qui ont un entretien avec la personne afin de vérifier que celle-ci est bien d’accord pour rester ici jusqu’à la disparition des symptômes. On lui explique comment se déroule la vie au centre, la prise des repas, etc. À partir de là, le choix définitif se fait”, déroule la représentante de l’agence régionale de santé.

Dispositif novateur

Un choix qui peut, au-delà des conditions de vie, être guidé par un aspect plus social de la santé. “Il y a aussi à Mayotte toute la problématique de l’acceptation de la maladie, qui n’est pas forcément évidente, on ne connait pas cette maladie, elle fait donc forcément peur et des personnes peuvent se retrouver stigmatisées. Donc pour se protéger socialement elles comme leur entourage, préféreront venir se mettre à l’abri ici”, estime encore Mathilde Hangard.

Dans le centre, si la stigmatisation est évidemment proscrite, les barrières sont quant à elles bien matérialisées. Vert ou orange, chaque couloir, chaque secteur est identifié en fonction de son public. En secteur orange, donc, les équipements de protection sont de rigueur quand en zone verte, les infirmières peuvent tirer leurs masques pour discuter entre elles. Après une petite semaine d’ouverture, les mouvements commencent à se rôder, la vie du centre se fluidifie peu à peu. Tout comme la communication entre les différents partenaires. “C’est aussi un dispositif qui est lourd au niveau institutionnel et qui pour chaque petite question demande souvent que le lien soit fait entre différentes personnes. C’est quelque chose qui est nécessairement un peu compliqué au départ, mais qui devient plus naturel au fur et à mesure”, avoue la responsable de planification à l’ARS, plaidant toutefois que “c’est normal, c’est tout nouveau, c’est une première”. Une première, qui on l’espère, n’aura pas vocation à se multiplier.

 

Mayotte Hebdo de la semaine

Mayotte Hebdo n°1116

Le journal des jeunes