Initiative | L’école du civisme contre l’école de la rue

A l’heure où Mayotte se soulève contre l’insécurité, des bénévoles proposent des solutions concrètes sans attendre d’aide de l’Etat. L’un des meilleurs exemples : l’école du civisme Frédéric d’Achery qui accompagne des enfants en difficulté, pour éviter qu’ils ne basculent dans la violence. 

Un îlot d’optimisme dans un désert d’inquiétude. Perchée sur les hauteurs du quartier de la Convalescence, l’école du civisme Frédéric d’Achery contraste avec l’atmosphère ambiante à Mayotte. Plutôt que de désespérer dans l’attente d’un geste de l’Etat, une poignée de bénévoles se mobilise depuis deux ans pour venir en aide aux enfants en difficulté. L’objectif : « Proposer un accompagnement et un cadre aux jeunes afin d’éviter qu’ils ne basculent dans la violence », résume Chaharoumani Chamassi, fondateur de l’école du civisme. A 54 ans, celui qu’on surnomme « l’infatigable » s’investit corps et âme dans la prévention de la délinquance. Egalement capitaine de police nationale, et chargé de mission auprès du préfet, l’homme n’a pas attendu de signe de l’Etat pour combattre la violence urbaine à la racine. « Tout ce que vous pouvez voir ici nous a été offert par des donateurs. Qu’il s’agisse des cahiers, des livres, des ordinateurs et même de la salle de classe », énumère-t-il avant de conclure : « Nous voulions prouver qu’il est possible d’agir contre la délinquance sans attendre d’aide venant des instances supérieures ». Née dans un principe d’indépendance vis-à-vis des institutions comme des partis politiques, l’école du civisme a cependant reçu une première aide de l’Etat de 5 000 euros l’année dernière. Une somme aux allures de récompense pour les bénévoles qui s’investissent quotidiennement contre la délinquance.

Un programme bien rodé 

Du lundi au vendredi, 16 élèves de 8 à 16 ans sont en classe de 18h à 20h. Au programme : des cours de français, de mathématiques et d’informatique « afin qu’ils soient autonomes dans leurs futures démarches administratives », justifie le fondateur de l’école. Des leçons d’histoire d’un genre particulier sont aussi dispensées : « Nous apprenons aux élèves l’histoire de Mayotte, des Comores et de Madagascar dans un désir de lien social. Cela permet à chacun de connaître le passé de l’autre et de créer des ponts entre les cultures », explique Chamassi. « J’aime ces cours contrairement à ceux de l’école où les professeurs se concentrent uniquement sur l’histoire de la métropole », déclare ainsi une élève. A l’occasion, des intervenants particuliers viennent également confier leur vécu tout en écoutant les élèves. « Nous avons eu des éducateurs, des entrepreneurs, des policiers, des cadis, un prêtre et même un ancien délinquant. Celui-ci a fini son intervention en larmes devant les élèves en racontant les difficultés familiales qui l’ont conduit à devenir un délinquant », se souvient « l’infatigable ». Des activités de chant et de théâtre sont également proposées aux élèves afin de favoriser leur expression en public. Enfin, des ateliers sont organisés au sein du quartier de la Convalescence pour créer du lien social avec les habitants. « Nous avons organisé des sorties pour laver le quartier de ses détritus bien avant que la mairie ne le fasse. Cela a notamment permis aux voisins de se rencontrer autour d’un événement qui profite au bien commun », se réjouit Chamassi. 

Blouse « bleu blanc rouge » pour tout le monde

Au-delà du contenu des cours, la particularité de cette école réside dans son enseignement du « civisme ». « Nos élèves sont soit repérés et recueillis par nos bénévoles, soit orientés vers nous via leur famille ou leur école. Pour beaucoup, il s’agit de profils instables avec de lourdes difficultés sociales. Nous reprenons ainsi les bases : l’apprentissage de la politesse, le respect des parents et de l’adulte en général, mais aussi le respect du drapeau », explique le fondateur de l’école du civisme. Tous les élèves portent ainsi une blouse aux couleurs du drapeau français dans un désir d’égalité, mais pas que : « Là où ce drapeau est parfois utilisé pour marquer une distance vis-à-vis de l’étranger, nous l’utilisons pour unir les enfants par-delà leurs différences ». Loin de toute velléité nationaliste ou xénophobe, le drapeau permet ici de rassembler les jeunes quelles que soient leurs origines, tout en rappelant les valeurs républicaines. « Je suis fier de porter ce drapeau. Pour moi, il représente les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité », récite sagement un élève. Une omniprésence des couleurs nationales et de ses valeurs, qui n’empêche cependant pas les enfants d’afficher fièrement leurs origines et leur culture propre.

Un exemple à suivre ?

Conscient des limites de son projet vis-à-vis des difficultés sociales de Mayotte, Chamassi n’en reste pas moins optimiste : « Si l’on permet ne serait-ce qu’à un seul jeune d’éviter de sombrer dans la délinquance, on sauve dix victimes », martèle-t-il. « Seize élèves, ce n’est peut-être pas grand-chose. Mais il faut bien commencer par quelque chose, plutôt que de se plaindre sans agir », ajoute-t-il. Pour preuve du succès de l’école du civisme, deux nouvelles structures du même genre sont à l’étude, dont une en Petite-Terre. « Nous avons conclu des partenariats avec des écoles maternelles afin que celles-ci ouvrent leurs portes de 18h à 20h pour accueillir les élèves, et éviter qu’ils ne traînent dans la rue », explique fièrement le directeur. Jamais à court d’idée constructive, Chamassi envisage la création d’une école du civisme aux Comores. Une fois encore, l’idée est de créer des ponts entre les cultures pour éviter que chacun ne s’enferme dans la haine de l’autre. Dans un même principe d’inclusion et de respect des valeurs nationales, les élèves comoriens porteront également des blouses aux couleurs de leur drapeau. A l’heure où l’île de Mayotte s’enferme dans une inquiétude aux relents parfois xénophobes, Chamassi persévère contre vents et marées pour améliorer la situation sociale : « Je suis comparable à un oiseau perdu dans un incendie. Pour l’éteindre, l’oiseau enchaîne les allers-retours en transportant des gouttes d’eau dans son bec. Les autres animaux pourraient lui demander : ‘Mais enfin, qu’est-ce que tu fais ?’, l’oiseau répondra simplement : ‘Je fais ma part’. » 

 

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