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22/05/2009 – Interview de Tiken Jah Fakoly

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{xtypo_dropcap}T{/xtypo_dropcap}ounda : Est-ce que vous avez préparé des surprises pour le concert de Mayotte ?

Tiken Jah Fakoly : Nous avons une exclusivité dans le répertoire qui parle de la situation de l'électricité en Guinée-Conakry, un pays d'Afrique de l'Ouest qui a tout pour être au top mais qui n'a rien. Il n'y a même pas l'électricité alors que ça fait 52 ans qu'ils sont indépendants. Tout dernièrement, il y a eu un coup d'Etat : après la mort du président, les militaires ont pris le pouvoir. On espère que les gens qui vont diriger ce pays-là vont mettre le problème de l'électricité dans leurs priorités. Moi, j'ai décidé d'accompagner les populations guinéennes dans leur transition.

 

Tounda : Justement, Conakry est la première date de votre tournée "Un concert, une école"…

TJF : Effectivement, on a commencé le 18 avril, puis on était à Abidjan le 25, et le 3 mai à Ouagadougou. "Un concert, une école", c'est ma manière à moi d'apporter ma contribution au développement du continent africain. C'est aussi ma manière à moi de partager le succès que j'ai aujourd'hui avec ceux qui m'ont soutenu au départ. On dit chez nous "il n'y a pas de fumée sans feu" : s'il y a eu la fumée en Amérique, en Europe, un peu partout aujourd'hui, c'est parce qu'il y a eu le feu en Afrique. J'ai la chance de gagner un peu d'argent à l'extérieur et j'ai envie de partager le succès que l'Afrique m'a donné avec la jeunesse africaine.

 

"Les dirigeants africains savent qu'ils peuvent magouiller parce que la majorité de la population n'est pas allée à l'école"

 

Tounda : Comment s'est passée cette tournée ?

TJF : On a fait trois concerts dans trois pays. J'avoue que sur le plan financier ça ne s'est pas bien passé, mais c'est évident parce que généralement quand on fait des concerts pour gagner de l'argent, on le fait en salle. Moi j'ai déjà fait ça : je me suis retrouvé en Suisse dans une salle pleine de public en costard, c'était des banquiers. Il y avait Youssou N'Dour qui avait organisé un truc pour récolter des fonds pour lutter contre le paludisme en Afrique. Mais moi j'ai décidé d'organiser des concerts avec la jeunesse, parce j'ai un message très important à faire passer : l'importance de l'éducation dans un pays en voie de développement.

Je pense qu'aujourd'hui l'Afrique est dans cette situation simplement parce que les dirigeants africains savent que la majorité de la population n'est pas allée à l'école. Ils savent qu'ils peuvent magouiller, les gens de toute façon ne connaissent par leurs droits, ils ne savent pas qu'ils ont le droit d'être soignés, que normalement ils doivent obligatoirement aller à l'école. La majorité des populations africaines ne connaît pas ses droits. Du coup, les dirigeants en profitent. Sur ce continent, il y a encore aujourd'hui des gens qui votent pour un T-shirt ou même 2.000 francs CFA. Je pense que les choses ne bougent pas beaucoup en Afrique parce qu'on a beaucoup d'analphabètes.

A un moment donné de la vie, on a l'impression qu'on va à l'école pour les parents. En tant que leader d'opinion aujourd'hui, en tant qu'artiste qui est beaucoup écouté par les jeunes, je leur dis : l'école, c'est important, vous allez à l'école pour vous-mêmes. Moi, quand j'étais adolescent, si j'avais eu un message venant d'un leader d'opinion très respecté, j'aurais considéré l'école autrement. Au-delà de la chanson, je pense que c'est bien de poser des actes.

 

Tounda : Depuis le début de la tournée, il y a des sponsors qui vous ont contacté ?

TJF : Non, je n'ai pas eu de sponsors. C'est ça, le paradoxe : je suis l'un des artistes qui rassemble le plus de monde sur des concerts, mais je n'ai pas de sponsor. En Guinée et en Côte-d'Ivoire, on n'a pas eu de sponsor, au Burkina-Faso, on en a eu qu'un. Je n'ai pas eu d'argent pour réhabiliter les écoles : je me suis retrouvé à Abidjan avec 20.000 personnes sur le stade pour 2.500 entrées payantes. C'est les policiers, les gars de la sécurité qui vont prendre l'argent à gauche à droite et qui vont faire rentrer des gens. Ca, c'est un autre combat : celui contre la corruption. Mais moi, j'ai donné ma parole au peuple.

 

"S'il y a beaucoup de personnes qui vont à l'école, les gens vont se rendre compte qu'ils ont des droits et que s'ils ne les réclament pas, personne ne va le faire à leur place"

 

Le plus important pour moi c'est de réveiller les gens, essayer de leur faire prendre conscience de l'importance de l'école. Après, je peux faire des concerts en Europe pour venir réhabiliter ou construire des écoles en Afrique. J'ai déjà construit un collège dans le Nord de Mali, d'une valeur de 50 millions de francs CFA, en étant aidé par la région Rhônes-Alpes. J'ai aussi fait un concert à Saint-Etienne et avec la recette j'ai construit une école primaire dans le Nord de la Côte d'Ivoire, d'une valeur de 25 millions de francs CFA. Là, j'ai cru que je pouvais faire des concerts avec les jeunes pour avoir de l'argent, mais je n'en ai pas eu. Mais il y a eu une mobilisation partout, c'était un vrai succès. Le plus important pour moi, c'est d'attirer l'attention des gens sur l'importance de l'éducation, savoir que si on ne met pas les enfants à l'école, si nos populations ne sont pas lettrées dans quelques années, on va rester au même point. Mais s'il y a beaucoup de personnes qui vont à l'école, ça va changer beaucoup de choses parce que les gens vont se rendre compte qu'ils ont des droits et que s'ils ne les réclament pas, personne ne va le faire à leur place.

Le taux de scolarisation des jeunes filles en Afrique est très bas parce que les parents se disent : c'est pas la peine qu'elles aillent à l'école parce qu'elles vont se marier bientôt. Le coin où j'ai construit le collège dans le Nord du Mali, c'est à quelques km du village d'Ali Farka Touré, le grand guitariste malien qui a été l'un des seuls artistes africains à avoir deux Grammy Awards avant sa mort (le 7 mars 2006, ndlr). Dans ce village, les filles n'allaient qu'à l'école primaire. Aujourd'hui, on a des exemples en Afrique : on a même une femme qui est chef d'Etat, la présidente du Libéria, et on a beaucoup de femmes ministres dans les gouvernements africains.

 

Tounda : Pensez-vous que la situation de la Côte-d'Ivoire est sur la voie du renouveau avec l'annonce d'élections nationales par Laurent Gbagbo avant la fin 2009 ?

TJF : J'espère qu'il y aura des élections en 2009. Ca fait 10 ans que tous les élus ivoiriens sont assis dans leurs fauteuils, tranquilles, parce que personne ne démissionne. Je pense que les dirigeants ont conscience qu'on ne peut plus attendre parce que rien n'est fait. Le seul programme du gouvernement qu'on a depuis quelques mois, c'est l'accord de Ouagadougou (signé le 4 mars 2007 par Gbagbo et Guillaume Soro, le chef des Forces nouvelles devenu Premier ministre, ndlr). Les jeunes ont envie d'aller à l'école, qu'il y ait des projets de bitumage des routes, des entreprises qui s'installent pour leur donner du travail. Cette guerre était inutile, elle est arrivée parce que certains Ivoiriens considéraient les autres comme des étrangers dans leur propre pays, alors que la Côte-d'Ivoire est une terre cosmopolite. J'espère que mon retour en Côte-d'Ivoire se fera après les élections présidentielles, lorsqu'on aura un président qui va libérer la parole et assurer la sécurité de tous les citoyens. Mais pour le moment, je suis bien au Mali (voir biographie).

 

"Personne ne viendra changer l'Afrique à la place des Africains. Si l'Afrique doit avancer, ce sera avec nos forces"

 

Tounda : Votre prochain album "African Revolution" va sortir en septembre 2010. Est-ce que vous pouvez nous dire quelques mots sur ce nouvel opus ?

TJF : Rien n'est fait encore, tout est encore dans ma tête. Moi, je n'écris pas beaucoup, j'ai cette culture de la tradition orale. L'album va parler de la prise de conscience des Africains sur leur sort. Dans cet album, je dis simplement : personne ne viendra changer l'Afrique à la place des Africains. Si l'Afrique doit avancer, ce sera avec nos forces. Personne n'a changé les autres pays. Aujourd'hui, la Chine n'est pas un pays démocratique mais c'est une force économique qui fait même concurrence aux pays les plus puissants du monde. Mais c'est les Chinois qui ont changé la Chine, ce ne sont pas les Français ou les Anglais qui sont venus.

 

Tounda : Justement, les Chinois investissent beaucoup en Afrique ces dernières années…

TJF : Les Occidentaux et nous, ça fait très longtemps qu'on est ensemble. Ils ont remarqué que les Africains commencent à comprendre certaines choses. J'aurais préféré qu'on rediscute les anciens contrats, parce que le problème avec l'Occident, c'est qu'il y a des contrats qui ont été signés avec des présidents qui sont morts il y a longtemps, mais qui ont toujours cours aujourd'hui. Je pense qu'il faut mettre tout à plat, revoir tous les contrats et comprendre que les mentalités ont changé. Le peuple a commencé à se décoloniser : il y a une nouvelle génération sur le continent et il faut aller sur de nouvelles bases pour avancer.

Moi, je ne fais pas confiance à la Chine. Je trouve que ce que l'Occident a commencé à arrêter, c'est ce qu'ils viennent faire. L'Occident a compris quelque part que de toute façon, si l'Afrique n'avance pas, il y aura toujours des retombées chez eux, avec toute l'affluence de la jeunesse africaine en Occident. Les Occidentaux ont soutenu les dictateurs qui ont mis l'Afrique à genoux pendant des décennies, ce qui fait qu'aujourd'hui, les jeunes n'ont pas de boulot, aucune situation. Ils ne rêvent pas, donc ils ont envie de partir. Aujourd'hui, la Chine vient corrompre les dirigeants pour avoir les marchés. Ils s'en foutent des jeunes qui doivent avoir du boulot. Pendant les Jeux Olympiques à Pékin, les Noirs n'avaient pas le droit d'entrer dans les bars, j'ai lu ça dans "Jeune Afrique". C'est vous dire un peu ce que les Chinois pensent de nous. Le pillage des ressources du continent ne s'arrêtera que quand nous, les Africains, on va dire : stop !

 

"On ne peut pas imposer aux Mahorais de rester comme les Comores où il y a beaucoup de problèmes et où les gens ne peuvent pas se soigner quand ils sont malades"

 

Tounda : Vous venez de sortir un mini-album "Radio Libre" en début d'année. Pourquoi n'est-il distribué qu'en Côte-d'Ivoire, au Mali, en Mauritanie et au Burkina-Faso ?

TJF : J'ai un contrat avec Universal et je sors un album tous les deux ans. Là, il y a eu tellement d'événements en Afrique : le coup d'Etat en Guinée, celui en Mauritanie ou l'élection historique d'Obama qui mérite d'être écrite dans l'Histoire du reggae. J'avais envie de m'exprimer mais mon contrat ne me permettait pas de sortir un album officiel sur le plan international. C'est un album qui a été enregistré dans les loges. Les premières prises qu'on a faites, c'était dans les loges du Zénith de Saint-Etienne. La dernière prise de voix, je l'ai faite dans la salle de réunion de mon hôtel à Paris, et puis on a mixé l'album. Je l'ai sorti pour pouvoir m'exprimer par rapport à l'actualité en Afrique. Si un jour Universal estime que c'est un album qui mérite d'être connu sur le plan international, on le fera. En tout cas, le titre "Conakry électricité" sera certainement sur le prochain album "African Revolution".

 

Tounda : Quel est votre sentiment sur le statut de département que les Mahorais viennent d'approuver très largement ?

TJF : Je pense que chaque peuple a la possibilité de décider de son destin. Aujourd'hui, les Mahorais ont décidé d'être un département français, c'est quelque chose que je respecte. On ne peut pas leur imposer de rester comme les Comores où il y a beaucoup de problèmes et où les gens ne peuvent pas se soigner quand ils sont malades. Nous, au niveau de l'Afrique, on aimerait bien les avoir avec nous mais on se cherche encore, il y a beaucoup de situations qui vont mal. Je considère tous les pays de l'océan Indien comme africains, surtout Mayotte. Je suis un démocrate et je respecte le choix de la majorité de la population. Peut-être que pour le moment, c'est ce qui est le mieux pour eux.

 

Propos recueillis par Julien Perrot

 


 

Petite biographie de Tiken Jah Fakoly

Doumbia Moussa Fakoly est né le 23 juin 1968 à Odienné au Nord-Ouest de la Côte-d'Ivoire. Issu d'une famille de forgerons, il découvre assez tôt la musique reggae et monte son premier groupe, Djelys, en 1987. Il réussit peu à peu à se faire connaître au niveau régional, puis national, avec ses concerts.

Très concerné par l'évolution sociale et politique de son pays, Tiken Jah écrit des textes incisifs sur la situation électorale qui fait suite à la disparition d'Houphouët-Boigny en 1993, ce qui lui a valu une grande popularité au sein de la jeunesse. En 1998, il monte pour la première fois sur scène en Europe, à Paris. Depuis 2003, Tiken Jah Fakoly vit exilé au Mali suite à des menaces de mort.

Il obtient la Victoire de la musique en 2003 dans la catégorie album reggae/ragga/world pour l'album "Françafrique". Artiste de renommée mondiale, il enchaîne les tournées et a joué dans les festivals les plus prestigieux.

Lors d'un festival de rap à Dakar en décembre 2007, il demande au président Wade de "quitter le pouvoir s'il aime le Sénégal" et parle du danger que court le pays. Il est déclaré "persona non grata" au Sénégal suite à ces déclarations jugées "fracassantes, insolentes et discourtoises" par le gouvernement sénégalais, qui l'a depuis interdit de séjour.

Tiken Jah a financé deux établissements scolaires dont le premier a été inauguré à Touroni, en Cote-d'Ivoire, en décembre 2008. Pour sa tournée Afrique 2009, parrainée par Cheick Modibo Diarra, "ambassadeur de bonne volonté" de l'Unesco, Tiken a l'ambition de reverser l'ensemble des revenus issus de la billetterie au bénéfice de la construction d'écoles. Un site internet qui contient tous les détails de cette tournée a été créé pour l'occasion : www.ecole-fakoly.com.

 

Discographie

  • 1996 : Mangercratie
  • 1999 : Cours d'histoire
  • 2000 : Le Caméléon
  • 2002 : Françafrique
  • 2004 : Coup de gueule
  • 2007 : L'Africain
  • 2008 : Live à Paris

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