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Une carte sur le nombre de décès à Mayotte qui trompe énormément

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Depuis hier, une carte publiée par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) fait largement parler d’elle. En cause : elle met en avant le nombre de décès par jour et par département par rapport à la même période l’année dernière. Une initiative destinée à apporter un éclairage journalier sur les conséquences de l’épidémie de Covid-19 en termes de mortalité. Problème : Mayotte y apparaît comme le département où cette hausse est la plus forte, avec une augmentation de 40 % sur la période du 1er au 16 mars. Rien de moins. De quoi exciter les esprits et faire dire qu’on nous cache quelque chose ! La réalité est toutefois beaucoup plus simple. “L’Insee a décidé de mettre en place un dispositif renforcé du suivi des décès en essayant de donner l’information la plus fraîche possible sur cette donnée”, explique le chef régional de l’institut, Jamel Mekkaoui qui concède toutefois que cette carte est, pour ce qui concerne Mayotte en tout cas, “un peu ennuyeuse”. Car si “sur cette publication, on peut en effet remarquer des éléments de surmortalité pour le Haut-Rhin ou la Picardie par exemple (qui étaient parmi les premiers foyers de Covid-19 en métropole, NDLR), la forte augmentation du nombre de décès chez nous n’a rien à voir du tout avec le virus.”

Et pour cause : non seulement le document recense les décès toutes causes confondues, mais le premier cas avéré de personne porteuse du virus chez nous n’a eu lieu que le 14 mars, et le premier décès potentiellement lié au Covid-19 n’a été à déplorer que lundi 30. Aussi, les raisons de cette augmentation sont à chercher ailleurs. “La dengue, qui demeure pour le moment l’épidémie qui fait le plus de mal au territoire, pourrait être une hypothèse. En l’ajoutant à l’aléa statistique, nous serions dans les clous”, remarque prudemment Jamel Mekkaoui. Et de rappeler, quoi qu’il en soit, que ces 40 % de hausse correspondent à 12 décès supplémentaires pour le 17 mars par rapport à l’an dernier. Soit 43 décès contre 31 en 2019 : des chiffres assez petits et donc “très peu significatifs”.

 

À Mayotte, les deux chantiers prioritaires qui occupent Dominique Voynet

Ce lundi, la directrice générale de l’agence régionale de santé, Dominique Voynet, a dressé le bilan bihebdomadaire de la situation sanitaire à Mayotte. Elle est longuement revenue sur les cas avérés au Coronavirus avant de s’attarder sur la suppression des vols et la préparation à la phase épidémique. Dernière information à prendre avec des pincettes : hospitalisé pour des problèmes pulmonaires, un homme, testé positif au Covid-19, est décédé hier matin.

La barre symbolique des 100 cas avérés se rapproche à grands pas. Avec 82 personnes testées positives ce lundi au Covid-19, Dominique Voynet, la directrice générale de l’agence régionale de santé, a évoqué une dispersion du virus sur le territoire et non pas une circulation à proprement parler (il faut atteindre 30 cas pour 100.000 habitants). “Cela devient un peu plus difficile de comptabiliser, car certains ont une double identité”, a-t-elle relaté, précisant que le centre hospitalier de Mayotte recensait 579 tests dimanche. “Beaucoup de personnes présentent des signes cliniques, mais nous observons un grand nombre de viroses saisonnières.” Entre 8 et 10 malades sont considérés comme viraux. Et sur les 10 patients hospitalisés, trois se trouvaient en réanimation, dont deux dans un état stable. Le dernier, un homme âgé d’une petite cinquantaine d’années, a été admis dimanche soir et est décédé ce lundi matin. Il était arrivé à l’hôpital pour des signes pulmonaires modérés et avait été testé positif à son entrée. “La cause première de sa mort pourrait ne pas être le Coronavirus, la liste de ses pathologies suffit à expliquer son décès. Nous allons analyser son cas avant de confirmer quoi que ce soit. Mais si nous considérons qu’il s’agit vraiment du Covid-19, nous le dirons sans sourciller”, a-t-elle souligné pour rappeler son souci de transparence à l’égard de la population.

Dominique Voynet est également revenue sur la prolifération des cas groupés, à l’image des 17 soignants, ou encore de ceux liés à l’élection municipale dans le sud de l’île. Idem au sein même des familles où une personne a contaminé l’ensemble de ses proches. Face à ce constat, la directrice de l’ARS a décidé de prendre le taureau par les cornes. “Certains positifs ont du mal à se tenir à l’écart à la maison. C’est la raison pour laquelle l’équipement d’infrastructures non médicales remonte au-dessus de la pile des projets à aboutir rapidement.” Autre exemple probant ? Celui d’un agent dans un service de sécurité qui n’aurait respecté aucunes règles de distanciation sociale. “La décision a été prise d’isoler totalement cette unité pour rassurer. Aucun ne présente un état de santé préoccupant.”

Quid du fret et du rapatriement du personnel de santé ?

En parallèle de la propagation du virus, Dominique Voynet s’est attardée sur les annonces du week-end. En ligne de mire : la gestion des conséquences de la suppression des vols depuis Paris et la fermeture du trafic aérien. “Je suis préoccupée par la nécessité d’acheminer tout le fret en souffrance au CHM dans lequel il y a du matériel important et urgent.” Relatant ainsi le remplissage des bouteilles d’oxygène vides ou les analyses complexes de diagnostic prénatal. Toutefois, elle a tenu à rassurer sur le stock conséquent dont disposait l’établissement, en raison des délais d’acheminent relativement longs en temps normal… Mais ce n’est pas sa seule problématique. Il y a aussi le rapatriement des professionnels de santé qui sont en métropole ou à La Réunion, comme les équipes qui accompagnement les évacuations sanitaires ou les personnels de renfort et de relais qui sont recrutés depuis déjà plusieurs semaines. “Des infirmières de blocs opératoires, des médecins et des pharmaciens libéraux se retrouvent le bec dans l’eau”, a-t-elle détaillé.

Craignant un pic épidémiologique plus tard que prévu – sous-entendant un confinement prolongé à Mayotte par rapport à la métropole —, la directrice de l’ARS a dévoilé les chantiers en cours de préparation, comme le renforcement des relations avec le réseau des libéraux et la mobilisation des ressources communautaires (associations sportives, entreprises, etc.) pour diffuser les bons gestes, car “certains ne les comprennent toujours pas” tandis que d’autres “ont des réticences ou des rejets”. Concernant la réorganisation de l’hôpital, elle s’est montrée relativement confiante sur la capacité de l’établissement. “Actuellement, nous avons 16 lits de réanimation autorisés. Notre objectif est de monter à 50, sachant que nous avons 80 respirateurs pour les équiper.” Seul bémol : le matériel en question évolue selon sa provenance (anesthésie, urgences, transport, pédiatrie, etc.). “Pour qu’il soit fonctionnel, il nous faut des valves, des raccords, des produits pour le désinfecter…” De ce fait, Dominique Voynet a profité de la commande publique auprès de Air Liquide pour alerter les autorités compétentes sur la situation sanitaire à Mayotte. “L’ambition est de bénéficier du stock national pour nous aider en cas de panne, même si des régions comme le Grand Est et l’Île-de-France sont prioritaires. Mais une cellule Outre-mer anticipe nos besoins en fonction des délais d’acheminement. Nous ne sommes pas abandonnés à notre sort”, a-t-elle conclu, reprenant ainsi les mots d’Annick Girardin, la ministre des Outre-mer, qui a certifié que l’État ne délaissera pas les populations fragiles.

 

« Ne pas ajouter une crise alimentaire à la crise sanitaire mahoraise »

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Sur une île aux nombreuses problématiques sociales, la crise sanitaire a tôt fait d’être doublée d’une crise alimentaire. Pour l’éviter, une vaste distribution de denrées alimentaires débutera vendredi. Jérôme millet, sous-préfet à la cohésion sociale, détaille l’opération.

Flash Infos : À compter de vendredi se tient une opération de soutien alimentaire à destination des plus démunis. Comment va-t-elle s’organiser ?

Jérôme Millet : Avec le concours des forces armées, en particulier du département de la Légion étrangère de Mayotte (DLEM), parce qu’ils savent le faire, ils en ont l’expertise. Ils ont en effet déjà procédé à des distributions de denrées alimentaires dans certains pays. Nous nous appuyons donc sur leur savoir-faire.

Pour cette distribution, nous nous sommes basés avec le préfet sur une étude de l’Insee* qui a distingué différents types de quartiers à Mayotte. Dans toutes ces distinctions ressortent une demi-douzaine de zones où sont concentrées les plages de pauvreté : taux de chômage élevé, part des moins de 20 ans beaucoup plus importante qu’ailleurs, idem pour la part des ménages de cinq personnes et plus, etc. Nous nous sommes donc appuyés sur cette étude objective et scientifique pour identifier les quartiers qui doivent bénéficier d’un soutien alimentaire. Parce qu’en effet, le respect du confinement et les restrictions à la liberté d’aller et venir font qu’une partie de la population a des difficultés à trouver des moyens de subsistance. Il faut donc mettre en place cette distribution de denrées pour ne pas ajouter une crise alimentaire à une crise sanitaire.

L’État, le rectorat et les communes achètent à l’entreprise Panima des collations. On va utiliser une partie de ce qui aurait dû être distribué – mais pas seulement – dans les écoles depuis le début de la période de confinement, pour constituer des sachets. Vendredi matin, 30.000 d’entre eux, soit potentiellement 30.000 bénéficiaires, seront distribués. Nous allons y joindre – en fonction de ce que nous récupérerons – du savon, absolument indispensable pour se laver les mains et retarder la diffusion du virus. Nous allons commencer dès vendredi matin, avec toutefois une contrainte supplémentaire par rapport aux distributions alimentaires classiques : faire respecter les distances d’un mètre entre chacun des jeunes bénéficiaires de cette distribution. L’objectif est ensuite de procéder à une distribution tous les deux jours à compter de la semaine prochaine.

FI : Elle sera organisée via des points de distribution ?

J. M. : C’est cela. Nous allons nous appuyer, en lien avec le rectorat, sur les établissements scolaires, aux abords desquels elle aura lieu, car c’est plus pratique pour les militaires. D’ailleurs, nous allons aussi recourir aux citoyens volontaires qui se sont déclarés sur la plateforme jeveuxaider.gouv – plus de 1.000 à Mayotte à ce jour. Ils nous donneront un coup de main pour l’encadrement.

FI : Il est aussi question de collecte via la grande distribution et le don de particuliers…

J. M. : Oui, car cette distribution alimentaire est complémentaire des actions qui sont menées quotidiennement par les CCAS et les associations. Nous allons très certainement mettre en place un système de bons au profit des plus nécessiteux. Ils leur permettront d’aller dans les supermarchés pour retirer des produits alimentaires. Cela évite des distributions compliquées à mettre en application. Nous allons là toucher un public différent par rapport à la distribution alimentaire. Les bons sont plutôt utilisés par des mères de famille, par exemple. Mais il n’y a pas de hiérarchie dans les actions, tout est nécessaire et se conjugue.

*Les 36 quartiers prioritaires de la politique de la ville à Mayotte (juillet 2017).

 

Distribution alimentaire à Mayotte : un défi complexe mais indispensable

Alors que la faim se fait plus que jamais sentir dans les quartiers informels du fait du confinement et de l’impossibilité pour les parents de subvenir par leurs travaux journaliers aux besoins de leur famille, les institutions disent avoir pris conscience de l’urgence. Et annoncent la mise en place de différentes actions, dont la distribution des repas précédemment livrés dans les écoles.

“J’ai peur, j’ai vraiment peur. Il faut que mes enfants aient quelque chose à manger, il ne faut pas qu’ils meurent de faim”. Sur les hauteurs de Kawéni, Echati, entourée de ses cinq enfants ne peut contenir sa détresse. Comme des milliers de personnes depuis le début du confinement, chaque jour est une lutte pour la survie. “Avant, je pouvais aller au marché de Mamoudzou pour vendre mes produits, mais depuis que la maladie est arrivée, je ne peux plus bouger et je n’ai donc plus rien pour acheter de quoi manger. Nous n’avons plus de bananes, plus de riz et même l’eau est compliquée à se procurer”, se désole la mère de famille. Sur ses genoux ou à ses côtés sur le maigre banc, les bambins, eux gardent le sourire. Malgré la faim qui les tiraille. “Avec ce que je gagnais au marché, c’est aussi comme ça que je pouvais payer le goûter des enfants à l’école”, explique encore Echati. Une collation qui pour de nombreux élèves de ce quartier informel constituait le seul repas de la journée. Avant le confinement.

Face à cette situation des plus alarmantes, “j’ai l’impression qu’il y a une certaine prise de conscience des institutions, on nous appelle pour savoir si l’on serait d’accord pour participer à une distribution alimentaire”, indique une responsable d’ONG. “L’envie semble être là, mais on a du mal à voir comment elle va se concrétiser”, poursuit-elle, dubitative, mais satisfaite que les différents cris d’alarmes lancés par les associations depuis la mise en place du confinement soient enfin entendus. Une prise de conscience entérinée par différentes communications parues ce jour. Celle de la préfecture, d’abord, qui annonce, dès le 3 avril, la mise en place d’une distribution des repas précédemment délivrés dans les écoles auprès des “six poches de pauvreté les plus précaires identifiées par l’Insee”. Elle autorise également “toutes les associations, même si elles ne sont pas habilitées au titre de l’aide alimentaire, à mettre en œuvre des actions de soutien alimentaire”.

“Il ne faut surtout pas que ce soit un effet d’annonce”

Le conseil départemental, lui aussi, annonce être au rendez-vous, avec “la distribution de colis alimentaires dans plus de 5.000 foyers”. De son côté, Dominique Voynet rejoint plusieurs associations plaidant pour la mise en place de rampes d’eau. Et assure que la gratuité des bornes-fontaines est imminente alors que des habitants de La Vigie en Petite-Terre ont crié leur colère ce lundi matin contre le dysfonctionnement de l’une d’elles. “Mon travail est de préparer, donc je me prépare à toutes les situations pour réduire l’épidémie et l’impact sur les populations les plus vulnérables. Si au plus fort de la crise et à quelques jours du ramadan, nous ne leur sommes pas venus en aide, nous ne pourrons pas leur demander de rester confinés et de respecter les gestes barrière”, fait encore valoir la directrice de l’ARS.

“Il ne faut surtout pas que ce soit [la distribution alimentaire] un effet d’annonce comme ce qu’il s’est passé avec le porte-hélicoptère”, répond la responsable de l’ONG interrogée sur ce point. “Il va falloir que tout cela soit très bien réfléchi, car qui dit distribution dit rassemblements et là ça va être très compliqué de faire respecter les gestes barrières, etc. Il va falloir que l’organisation soit exemplaire”, prévient-elle encore. Et rapide. Car déjà, des groupes d’enfants se pressent près des grilles des écoles pour obtenir de quoi manger comme en témoignent des personnels de l’Éducation nationale. Annonçant, avec eux, le début de la faim.

 

« On est en train de créer une bombe virale » au RMSA de Mayotte

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Ce week-end, une centaine de personnes atterrissaient à Mayotte depuis Madagascar, rapatriées in extremis en vue d’être confinées, ensemble, au RSMA pendant quatorze jours. Parmi elles, un médecin coincé dans la caserne tire la sonnette d’alarme quant au risque d’une contamination générale au sein du bâtiment, où aucun geste barrière ne peut être respecté. Le risque est tel que ces confinés promettent de porter plainte contre la préfecture.

Mesure de précaution ou irresponsabilité de l’État ? Samedi, 104 résidents mahorais “bloqués” à Madagascar ont atterri, à bord d’avions spécialement affrétés pour eux, sur le tarmac du 101ème département, où ils ont ensuite été placés en quatorzaine au RSMA de Combani. Une décision censée éviter de renforcer la propagation du Covid-19 à Mayotte, mais qui pourrait finalement avoir tout l’effet inverse.

“On est confinés par quatre ou cinq personnes par chambre”, alerte le docteur Alexandre Devieux, lui aussi bloqué entre les murs de la caserne militaire. “On touche les mêmes poignées de porte à longueur de journée, on utilise les mêmes savons, les mêmes douches, les mêmes toilettes.” Autrement dit, la centaine de personnes vit, depuis près de trois jours, sans ne jamais pouvoir respecter les mesures préventives. D’autant plus que ces 104 hommes et femmes sont tenus de nettoyer eux-mêmes les lieux qu’ils occupent. “Il y a une méconnaissance du préfet des gestes barrières”, souffle Alexandre Devieux. Des gestes que le général du RSMA a toutefois tenu à rappeler aux “résidents” par le biais d’une lettre qu’il leur adressera régulièrement, les prévenant par la même qu’il limiterait au maximum les ustensiles susceptibles d’être utilisés par le plus grand nombre. À titre d’exemple, les cafetières ont ainsi été interdites, et leur absence palliée par des nourrices.

À leur arrivée à l’aéroport de Dzaoudzi, tous ont été soumis à un contrôle sanitaire “minimaliste”, selon les mots du médecin qui exerce dans le Sud : “On n’a même pas pris notre température ! On nous a mis un masque sur le nez, alors que nous aurions dû l’avoir avant même de monter dans l’avion pour ne pas nous contaminer les uns les autres pendant le vol.” Ainsi, sur 104 passagers, seule une jeune fille âgée de huit ans qui présentait des symptômes suspects – fièvre et nez qui coule selon l’agence régionale de santé – a été dépistée au Covid-19, auquel elle s’est révélée être négative, avant de pouvoir retrouver le domicile familial.

Alors que les autres voyageurs n’avaient encore pas la moindre idée de ce qui allait se passer ensuite, les autorités leur présentent finalement un document qui leur notifie leur transfert immédiat au RSMA. “J’ai refusé de le signer, mais on m’a fait comprendre que je n’avais pas le choix”, témoigne encore Alexandre Devieux. “Si les gens avaient su qu’ils seraient bloqués comme ça, ils seraient restés à Madagascar où on ne nous laissait pas rentrer dans un magasin sans qu’on prenne notre température”.

Une réaction en chaîne inéluctable ?

Entre les rangs de ces 104 personnes, plusieurs retraités, un nourrisson de trois mois encore exposé aux risques d’infection prénatale, et des malades atteints de diverses pathologies. Tous privés de leurs effets personnels, médicaments compris. Au bout de quelques heures de confinement, le docteur Devieux signale plusieurs cas de diabète, d’hypertension, “des enfants qui toussent, qui crachent, enfermés dans des chambres de quatre”, ou encore un homme porteur d’un abcès, situation qui peut, si elle n’est pas traitée, nécessiter une intervention.

Finalement, le lendemain, des infirmières sont dépêchées sur les lieux. Deux professionnelles qui travaillaient au contact d’un médecin généraliste fraîchement dépisté positif au Covid-19. Dans la foulée, des pompiers sont également envoyés pour évacuer du RSMA une femme atteinte de diabète, après plusieurs heures d’appel. Pour les autres confinés, les ordonnances devraient converger vers une pharmacie privée pour que, dès mardi (aujourd’hui ndlr), les premiers médicaments manquants soient livrés. 72 heures après. “Il ne faut vraiment pas souhaiter de choses graves ici”, déplore Alexandre Devieux qui tempère tout de même : “Pour l’instant, personne parmi nous ne présente de cas suspects.” Mais que se passera-t-il si l’une des 104 personnes confinées dans les mêmes lieux venait à présenter les symptômes du Covid-19 ? Et quid des porteurs asymptomatiques qui demeurent contagieux ? “Là, le risque de tomber malade est nettement supérieur par rapport à un confinement strict à domicile”, assure le médecin. “On est en train de créer une bombe virale, et nous sommes potentiellement en train de tous nous contaminer entre nous. Dans 14 jours, on ne sera pas beaucoup plus sûrs de ne pas avoir contracté la maladie.”

Interrogée à ce sujet, la préfecture semble s’étonner des conditions de vie des personnes qu’elle a placées là, conformément aux directives du ministère de l’Intérieur. “Nous nous sommes assurées que l’espace dans les chambres était suffisant pour garantir le respect des gestes barrières”, promet l’autorité, occultant tout risque de propagation du virus par les surfaces touchées ou par voie aérienne. Toujours est-il qu’“on ne laissera aucun porteur du Covid sortir du RSMA dans 14 jours”, assure la préfecture. Pourtant, “on ne procédera pas à des dépistages automatiques en l’absence de symptômes suspects”, annonce de son côté l’agence régionale de santé, qui reconnaît elle aussi que la situation présente un haut niveau de risque. En effet, si une personne au sein du RSMA est contaminée et que commence une vaste réaction en chaîne étalée sur 14 jours, certains en sortiront inévitablement pendant leur période d’incubation. Sans symptômes, donc sans contrôle.

En attendant, une infirmière rend visite aux confinés chaque matin. “Mais pour voir tout le monde en une seule fois, il lui faudrait une semaine”, déplore le docteur Alexandre Devieux. Et de conclure : “En cherchant à protéger la population, en pensant faire quelque chose de bien, on est train de faire tout l’inverse.” Ainsi, une vingtaine de personnes enfermées au RSMA ont d’ores et déjà décidé d’intenter une action en justice contre la préfecture pour mise en danger de la vie d’autrui, alors que le délégué du gouvernement, Jean-François Colombet, et Dominique Voynet, directrice de l’ARS, doivent s’entretenir sur cette situation dans les prochains jours.

 

À Mayotte, coup de pression chez Sodifram

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Les salariés de l’entrepôt du groupe Sodifram ont exercé leur droit de retrait hier matin. Ils dénoncent des conditions de travail inadéquates à la crise sanitaire dont nous faisons face. Leurs revendications tournent autour de trois points essentiels. Une première rencontre avec la direction a eu lieu, mais rien n’est joué.

Ils ont peur pour leur santé et celle de leurs familles. C’est la raison pour laquelle la centaine de salariés de la société Sodifram a arrêté toute activité ce lundi 30 mars dans la matinée. Depuis le début de la crise Covid-19 à Mayotte, leurs conditions de travail sont restées les mêmes. “En magasin, on côtoie les clients, mais rien n’est mis en place pour notre sécurité. Les chariots ne sont même pas désinfectés. L’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger ses salariés et on constate que rien n’est fait en ce sens”, dénonce Archidine Keldi, secrétaire du CSE et trésorier adjoint Force ouvrière Mayotte. Les employés demandent des masques, des gants, et des gels hydroalcooliques afin d’assurer un minium leur sécurité.

Les revendications concernent également la prime qu’a annoncée le président de la République. Il invite les entreprises qui le peuvent à verser aux salariés qui travaillent une prime exceptionnelle allant jusqu’à 1.000 euros pendant la période de confinement. Or, la direction de Sodifram propose des modalités de distribution qui ne conviennent pas aux employés. Dans un courrier qui leur est adressé, datant du 27 mars, il est indiqué qu’une prime de 100 euros par semaine sera versée “à tout salarié ayant fait l‘effort de se rendre au travail (sur le terrain) et ayant effectué au moins son temps de travail hebdomadaire et contractuel”, soit au moins 35 heures. Elle est valable à compter du 23 mars. Mais, à moins que le confinement dure dix semaines, les 1.000 euros ne seront pas atteints dans ces conditions. “On estime que 100 euros c’est peu par rapport à la taille de l’entreprise. Elle a les moyens de payer plus. On aimerait avoir les 1.000 euros, mais on peut s’arranger pour un montant avoisinant 800 euros pendant la durée du confinement”, indique Archidine Keldi avant le début des négociations. Les salariés exigent également que la prime prenne effet depuis le début du confinement et qu’elle n’impose pas aux employés de travailler 35 heures. D’autant plus qu’il leur est difficile de se rendre sur leur lieu de travail. Les taxis se font rares et ceux qui circulent n’ont pas les moyens de faire respecter les mesures de sécurité et d’hygiène. “On veut qu’ils mettent en place un transport pour ramasser les salariés. On propose un grand bus qui ferait le tour de l’île. Il nous récupérerait et déposerait à des points précis”, explique le représentant du personnel.

La menace d’un droit de retrait sur le long terme

“Les discussions sont très tendues, ils n’ont pas envie de céder, surtout pour la prime”, nous souffle Archidine Keldi, pendant la réunion. Mais à l’issu de celle-ci, les salariés se disent “satisfaits pour le moment”. Certaines de leurs revendications ont été entendues. “Ils ont accepté de faire reculer d’une semaine la prime et de la rendre effective depuis le début du confinement, soit le 16 mars. Ils ont également enlevé la clause des 35 heures”, annonce le secrétaire du CSE. Cependant, le montant de 100 euros par semaine reste inchangé.

Concernant les moyens de transport, aucune solution n’a été trouvée. La direction de Sodifram évoque une grande difficulté à établir une liaison qui sera satisfaisante au vu de la complexité des plannings et des lieux de vie des salariés. “Elle préconise en premier le covoiturage entre nous et il y aura peut-être une indemnisation”, précise Archidine Keldi.

Quant au matériel de protection, qui représentait leur principale source de préoccupation, le problème n’est pas encore totalement résolu. “Ils nous ont annoncé l’arrivée d’un avion-cargo avec du matériel qui arrivera sous peu. Donc on veut bien attendre, mais si on voit que la situation des salariés n’est toujours pas prise en compte on exercera notre droit de retrait”, prévient le représentant du personnel. La continuité du service ne tient donc qu’à une promesse qui, on l’espère tous, sera tenue. Autrement, les magasins de l’île risquent de rapidement se retrouver sans approvisionnements.

 

« Des familles mahoraises avec enfants nous appellent parce qu’elles ne peuvent plus se nourrir »

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Avec le problème de la santé publique, vient celui de la faim. Premières touchées, les familles les plus vulnérables en appellent par dizaines aux associations du territoire afin de solliciter une aide alimentaire. En réaction, plusieurs structures s’organisent pour leur venir en aide.

La crise sanitaire n’est pas la seule à frapper Mayotte et le reste du monde. Avec elle, ce sont aussi des bouleversements économiques et sociaux profonds qui s’amorcent déjà, et qui ici prennent une résonance toute particulière. Alors que 84 % de la population locale vit sous le seuil de pauvreté, le confinement creuse encore un peu plus la précarité des publics et des familles les plus vulnérables, dont beaucoup dépendent du travail au noir notamment, et ne pourront pas prétendre au chômage partiel. Pis, avec la fermeture des écoles, de nombreux enfants se retrouvent privés de collation, qui pour certains, constituait le seul repas de la journée.

Ainsi, seulement deux semaines après l’arrivée du premier cas de Covid-19 sur le territoire, les associations croulent déjà sous les appels au secours de ces populations. « Sur la seule journée de samedi, près de 60 familles avec enfants nous ont appelés parce qu’elles ne pouvaient plus se nourrir », déplore, la voix tremblante, Christine Raharijaona, présidente du mouvement pour une alternative non violente (MAN) à Mayotte. « Je suis vraiment inquiète face au nombre de demandes. » En réponse, la structure, comme plusieurs autres, a décidé de mettre en place une aide alimentaire la plus large possible. Dès le week-end passé, les bénévoles du MAN ont commencé à récolter quelques denrées dans les supermarchés à la façon d’un « cadi solidaire », où chaque personne venue faire ses courses est invitée à donner des produits non périssables, qui seront, par la suite, redistribués aux familles qui ont sollicité l’aide du mouvement. « C’est triste de devoir dire ça, mais la priorité sera donnée aux familles avec enfants », détaille encore Christine Raharijaona. Un dispositif déployé avec le soutien des centres communaux d’action sociale (CCAS) qui permettent d’identifier les publics les plus précaires, et le tout, évidemment, dans le respect des gestes barrières.

Cette même distanciation sociale que Yes We Can Nette a également mis un point d’honneur à respecter. La semaine dernière, les équipes de l’association étaient au pied d’œuvre pour réadapter leurs locaux, fermés depuis le début du confinement. Mais grâce à l’aménagement d’un sas, l’épicerie solidaire de la structure peut rouvrir ses portes dès aujourd’hui, et proposer des produits alimentaires à très bas coût et sans aucun contact physique, aux publics précaires déjà habitués de l’association, soit 90 familles réparties sur Petite-Terre et Grande-Terre. Mais cette fois, pas question de devoir apporter des canettes pour profiter du dispositif comme à l’accoutumé. « On ne veut pas compliquer les choses, le maître-mot c’est la sécurité », témoigne Laurent Beaumont, président de Yes We Can Nette. « On a constitué un stock alimentaire en conséquence, on ne sait pas combien de temps il pourra tenir mais on va faire le maximum pour que les plus démunis puissent se réapprovisionner. »

Défendre les plus démunis et combattre les inégalités est également le fer de lance de la Croix-Rouge française. À Mayotte, la délégation de l’association, déjà mobilisée en temps normal dans la distribution de bons alimentaires, voit son nombre de bénéficiaires augmenter progressivement Elles étaient ainsi 311 familles, toutes orientées par les travailleurs sociaux des différents services, a profiter du dispositif sur la seule semaine passée, à travers les 12 sites de distributions habituels. « On s’attend à en recevoir encore plus. Pour l’instant, nous n’avons pas de limite », projette Yassine Boinali, président de l’antenne locale de la Croix-Rouge Française, qui reçoit désormais ce public dans une limite maximale de dix personnes, afin de, là encore, limiter le risque de propagation du virus.

Parallèlement, alors que l’association travaille conjointement avec la direction de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale du département afin de distribuer, elle aussi, des denrées alimentaires aux plus précaires, le rectorat envisage de mobiliser les établissements scolaires fermés pour y organiser des opérations du même genre. Mais à ce stade, « ça n’est ni confirmé, ni affirmé », dévoile Gilles Halbout. « Des réunions sont en cours avec la préfecture et le détachement de la légion étrangère à Mayotte pour chercher une solution, mais tout est encore à l’étude et rien ne commencera avant la fin de la semaine ».

[Encadré] Pour aider les associations

L’association Yes We Can Nette et le Mouvement pour une alternative non violente dans l’océan Indien acceptent les dons spontanées de denrées alimentaires non périssables. Si vous souhaitez leur en offrir, veuillez, par mesure de sécurité, prendre attache avec les structures par téléphone dans un premier temps, respectivement au 0639 40 76 48 et au 0639 26 09 90. Vous pouvez également les joindre via leurs pages Facebook.

 

 

Saison terminée pour les sportifs mahorais

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Les fédérations nationales tranchent les unes après les autres : les compétitions amateurs 2019/2020, jusque-là suspendues pour cause de Coronavirus sont définitivement interrompues. La saison est donc terminée pour le basket-ball, le handball, le rugby et le volley-ball mahorais. La Fédération française de football temporise encore…

« Ayant toujours eu pour objectif de préserver la santé de ses licenciés, la Fédération a pris la décision d’arrêter l’ensemble de ses championnats (départementaux, régionaux et nationaux) et Coupes (Coupe de France notamment) pour la saison en cours. » C’est le dernier communiqué d’envergure. Il provient de la Fédération française de basket-ball et a été publié ce dimanche sur son site internet et la page Facebook. En moins de quatre heures, la publication comptabilisait plus de 6 000 partages ! Ce communiqué est le dernier d’une série d’annonces de la part des fédérations sportives nationales, pour annoncer l’interruption définitive de la saison 2019/2020 et la non-attribution de titres de champion.

Le virus Covid-19 a donc eu raison du sport amateur. Dans une lettre adressée hier après-midi au rugby amateur, Bernard Laporte, président de la Fédération française de rugby considère que « la suspension de toutes les activités sportives depuis le 13 mars dernier ; la durée présumée de cette crise ; les risques de prolongement d’interdiction de pratiques collectives et de rassemblement au-delà de la période de confinement ; la nécessaire phase de remobilisation athlétique de 3 à 4 semaines… sont autant de facteurs objectifs qui ne pouvaient nous faire espérer une reprise avant la fin mai ou le début du mois de juin. » À Mayotte, les interruptions définitives concernent pour le moment les ligues de basket-ball, de handball, de volley-ball et le comité de rugby, dont les saisons sportives sont programmées selon le calendrier scolaire.

« Le sport est bien secondaire par les temps qui courent »

Une décision somme toute logique pour le président du Basket Club M’tsapéré, Daoulab Ali Charif, dont les équipes premières dominent pourtant leur championnat respectif – leader de la saison régulière en Nationales Masculine 3, co-leader en NF3. « Je m’y attendais ! Je ne vois pas comment on peut reprendre sachant que la saison administrative s’arrête fin mai », explique le président du BCM. Bien parties pour reconquérir un titre de champion cédé aux Kavaniennes de Fuz’ellipse en 2019, les M’tsapéroises doivent ainsi faire avec cette décision fédérale. « Sportivement, c’est un peu dur. Je pense surtout aux filles. Elles étaient sur une très bonne lancée. Elles venaient de battre Fuz’ellipse et Golden Force de Chiconi. Mais la santé prime : le sport est bien secondaire par les temps qui courent », estime le dirigeant.

Le choix des fédérations sportives d’arrêter les championnats ne fait pas totalement l’unanimité. Les handballeurs de Tsimkoura courrent derrière un titre de champion de Mayotte depuis quatre ans et étaient à un match d’y arriver après une saison quasi-parfaite (19 matchs : 17 victoires et une seule défaite). Il suffisait aux coéquipiers de Moussa Daniel de remporter l’un des trois derniers matchs du championnat. « Le contexte au niveau national n’est pas le même que dans les Outre-mer. Dans l’hexagone, il reste pas moins d’une dizaine de matchs si on compte les barrages pour les meilleures équipes, tandis qu’ici, il n’en reste que trois. En sachant que la saison sportive 2018/2019 s’était achevée fin juin, je pense sincèrement que les décisions pouvaient être adaptées selon les régions. Pour Mayotte, la fédération aurait pu attendre encore un peu », regrette le capitaine de l’AJH Tsimkoura avant de conclure : « On est dégoûté. »

Pas d’arrêt des championnats amateur en football

En lien par visioconférence avec la Fédération française de handball, la Ligue régionale de handball de Mayotte tente d’en savoir davantage sur les modalités de fin de saison : les relégations, les promotions en division supérieure, voire les fameux titres de champion. En effet, des textes spécifiques pourraient être rédigés en fonction des ligues, selon l’avancée de leurs championnats. D’une manière générale, les fédérations prévoient de n’attribuer aucun titre de champion au vu de l’interruption des championnats en cours, et de ne rétrograder aucune équipe. Elles envisagent en revanche d’attribuer les accessions en division supérieure aux différents leaders. Quid de la saison de football ?

Pour l’heure, la FFF n’a pas communiqué sur un éventuel arrêt des championnats amateur, et s’en tient à la suspension de la saison en attendant le rétablissement de la situation. La Ligue mahoraise de football prévoit ainsi de relancer la compétition aussitôt que la situation sanitaire le permettra. En attendant, la LMF reste active d’un point de vue administratif, relançant les clubs sur la régularisation des licences et le chevauchement des rencontres pour les clubs évoluant sur le même terrain

 

 

Malgré le confinement, la prise en charge des personnes âgées mahoraises s’organise

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Alors que l’épidémie de Covid-19 progresse peu à peu à Mayotte, la question des séniors, population particulièrement sensible au virus, se pose. Du coté des acteurs du secteur, on se prépare en tout cas du mieux possible.

Jeudi 26, à l’occasion de sa conférence de presse bi-hebdomadaire, la directrice de l’Agence régionale de santé (ARS), Dominique Voynet, soulevait un « atout énorme » de Mayotte au moment où il semble « hautement improbable » que l’île échappe à un pic épidémiologique : « seul 4% de la population a plus de 60 ans. Cela n’est pas comme en Alsace, où cette tranche d’âge représente la moitié de la population. Le nombre de leurs cas graves est donc très élevé. Mais nous on peut espérer, si on protège les anciens (…), avoir une vague moins haute. »

Car la population des séniors est en effet particulièrement sensible aux conséquences du Covid-19. Or, occidentalisation de la société oblige, les personnes âgées connaissent, depuis quelques années, un isolement de plus en plus grand. Travail quotidien des enfants qui ne peuvent de fait plus occuper ou mobilité vers la métropole ou La Réunion : nos anciens se retrouvent seuls. Et l’absence de structure d’accueil sur le département rend la problématique plus forte encore. Alors, comment vivent-ils la situation ?

« C’est mitigé », constate Abdallah Mirhane, directeur de Dagoni Services, organisme qui oeuvre dans le service à la personne auprès de quelque 250 personnes âgées. L’homme détaille : « Certains sont inquiets, d’autres sont fatalistes et invoquent la volonté divine. » Pour autant, hors de questions bien évidemment de les laisser à leur sort. « On sensibilise les membres de leur famille, notamment les enfants et les petits enfants, en leur demandant d’éviter de leur rendre visite pour ne pas leur transmettre le virus », reprend le responsable. Car, du côté des acteurs associatifs, on tâche de s’adapter à la situation. « Les familles ont peur, c’est normal », remarque à son tour Inoussa El Fat, directeur de 976 Allo Saad, autre association de service à la personne.

Des masques très attendus

Principal questionnement jusqu’ici ? Celui des protections. « Nous poursuivons nos interventions à domicile, mais ce n’est pas évident car certaines familles demandent à ce que nos auxiliaires de vie portent un masque, ce qui est normal », explique-t-il. Leurs visites sont pourtant indispensables à la dignité des personnes, mais aussi parce que « nous travaillons aussi avec les infirmiers libéraux. C’est complémentaire. Faire la toilette aux anciens, cela leur permet ensuite de travailler dans de bonnes conditions. » Même inquiétude pour Dagoni Services, qui a effectué la semaine dernière une demande de masques pour protéger ses quelque 120 auxiliaires de vie, mais aussi les personnes âgées, parfois inquiètes lorsqu’elles voient arriver des personnes sans masque. « Certaines nous ont même demandé de suspendre les interventions jusqu’à nouvel ordre », a constaté Abdallah Mirhane. Or, « pour certaines personnes qui peuvent se passer de certaines aides, comme du ménage par exemple, on suspend. Mais pour les personnes qui sont dans le besoin, que l’on doit nécessairement aider pour leur toilette, il nous faut bien du matériel de protection. »

Des demandes d’équipement qui ont trouvé écho. Vendredi, à l’heure où nous les contactions, ces deux acteurs du secteur avaient été approchés par l’ARS « pour savoir combien nous avions d’auxiliaires de vie et de bénéficiaires, raconte Inoussa El Fat. Une solution devrait être trouvée ces jours-ci. Nous avons aussi demandé à avoir des produits hydroalcooliques. L’ARS a été très réceptive à nos demandes. » Et de préciser que le conseil départemental aussi les avait contactés afin de « connaître le nombre de personnes âgées vraiment isolées, car il faut leur envoyer quelqu’un ».

Même constat pour Abdallah Mirhane, de Dagoni Services. « Dominique Voynet m’a confirmé qu’ils avaient reçu des masques et que nous allions en recevoir aujourd’hui même [vendredi 27, NDLR]. Au moins pour que l’on puisse agir chez des personnes âgées complètement isolées et qui ont besoin qu’une aide à domicile passe les voir au quotidien », confirme-t-il.

La prise en charge des personnes âgées s’organise donc peu à peu à Mayotte en vue du pic de l’épidémie de Covid-19 avec, tout de même, un point positif pour nos anciens : « Maintenant que tout le monde est confiné, certains de leurs enfants s’en occupent plus souvent. Certains ont même, au début de l’épidémie, fait déménager leurs parents chez eux, afin qu’ils soient confinés ensemble. » Un bon geste à condition, rappelons-le encore une fois, que chacun respecte les consignes.

 

Suspension des vols : le centre hospitalier de Mayotte devra attendre ses renforts

La décision de suspendre les vols de et vers Mayotte met le CHM en difficulté et illustre le décalage existant parfois entre les besoins des équipes sur le terrain et des décisions prises sans consultation.

C’est une décision qualifiée de brutale au centre hospitalier de Mayotte. La fermeture de l’espace aérien, décidée par le gouvernent en lien avec la préfecture dans la journée de samedi a mis les équipes du CHM au pied du mur. « Cela nous met en grande difficulté sur certains points, nous avons réussis à nous débrouiller avec nos moyens internes pour permettre aux évacuations sanitaires de se poursuivre mais c’est compliqué », explique ainsi un médecin. Surtout, l’interdiction de vols met les équipes médicales en difficulté sur un autre point : l’arrivée de renforts en médecins et en infirmières prévue pour les prochains jours ou encore l’acheminement de matériel.

« Nous espérons que ça va se décanter rapidement mais il va falloir trouver une solution », indique encore le médecin. C’est en tout cas ce que laisse entendre le communiqué délivré par le ministère des Outre-mer à ce sujet. Celui-ci indique en effet que « le gouvernement va mettre en place une continuité minimale des liaisons aériennes entre Mayotte et La Réunion de manière à avitailler Mayotte en produits sanitaires et alimentaire, à permettre les rapatriements et les évacuations sanitaires urgentes, ainsi que des renforts de personnel soignant ».

Toujours est-il que du côté de CHM, on déplore un certain décalage entre les décisions et le terrain, et que ce dernier ne soit pas toujours consulté quand il s’agit de prendre ces premières. Pour l’illustrer, on s’interroge par exemple sur la non-représentation du Samu au sein du centre opérationnel départemental, l’organe territorial en charge de la gestion de la crise. Et ce alors même que les autres services de sécurité et de secours, potentiellement moins impactés par la question, à l’image du Sdis, y sont représentés.

On se sent donc un peu seul au centre hospitalier, pourtant en première ligne face à cette crise. Mais jamais prêt à baisser les bras. « Nous n’avons pas attendu pour nous organiser », confie-t-on en ce sens, déplorant au passage un manque de communication. Tout en relativisant : « cette crise est inédite, tout le monde est pris de court et les décideurs les premiers. Ils font ce qu’ils peuvent », excuse ainsi le médecin. Sans toutefois oublier de passer un message : « il ne faut pas céder à la panique. C’est vrai du côté de la population, mais aussi des responsables. Il faut garder la tête froide et prendre les décisions en bonne intelligence collective sinon tout se désorganisera et ça deviendra ingérable ». À bon entendeur…

 

À Chirongui, on “bricole” comme on peut pour faire face au coronavirus

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La mairie de Chirongui continue tant bien que mal d’assurer ses missions de service public. Ses agents mobilisés sillonnent les routes pour aider et sensibiliser la population. Et pour leur garantir un minimum de protection, en pleine pénurie de masques, la DGS a même fait appel aux services d’une couturière du coin.

C’est calme, ce vendredi après-midi, à Chirongui. Il n’y a (presque) pas un chat dans les rues. Ici, trois ou quatre jeunes sont assis sur un trottoir à l’ombre, en train de réparer un vélo. Là, des poules caquettent en trémoussant leurs plumes devant les maisonnées endormies. Mais c’est sans compter la chansonnette entêtante et reconnaissable qui précède l’arrivée du Duster de la police municipale. Munie d’un mégaphone, la brigade de l’après-midi sillonne les ruelles en répétant le même message : “Alerte coronavirus. Pour se protéger et protéger les autres, respectez les gestes barrières”. Quelques secondes plus tard, la voiture apparaît dans le tournant, fait fuir les poules et s’arrête juste devant la petite bande de jeunes. S’ensuit alors une discussion tranquille : les agents cherchent ici à sensibiliser la population sur la lutte contre la propagation du Corovanirus, davantage qu’à verbaliser. Après une rapide vérification de l’autorisation de déplacements dérogatoire, les badauds qu’ils croisent sont tous invités à rentrer chez eux.

“Nous sommes habilités à verbaliser si les gens ne présentent pas leur attestation, mais nous laissons plutôt la gendarmerie s’en occuper. Nous pouvons ainsi nous concentrer davantage sur notre rôle d’agents de proximité, à savoir avertir, alerter, informer”, explique Laoumi, le responsable adjoint du pôle sécurité de Chirongui. Pour y parvenir, la mairie a donc mis en place ces brigades tournantes, et tous les jours, une équipe parcourt les différents villages avec ce mégaphone, qui énonce le même message en trois langues différentes. “Ici, c’est un quartier à majorité malgache, donc on met le message dans leur langue ; ensuite nous allons aller dans un quartier avec beaucoup de mzoungous, donc le message sera en français”, développe Laoumi. Mais là où ce dispositif est sans doute le plus utile, c’est vers le village de Mramadoudou un peu plus au nord. Là-bas vit une forte densité de population étrangère, pauvre et éloignée des circuits de diffusion de l’information. “Souvent ils n’ont pas d’adresse, et vivent au jour le jour pour aller s’acheter à manger, donc verbaliser n’est pas forcément la solution”, décrit le responsable de la brigade. “On essaie alors surtout de leur faire passer le message, de limiter les sorties à deux jours par semaine”. Une action qui se double aussi d’un contact régulier avec les mosquées, invitées à rappeler les consignes après la prière.

“Au niveau de la protection, nous sommes en manque de tout”

Dans les quartiers à majorité malgache ou métropolitaine, en tout cas, leur action semble porter ses fruits. Les passants se font rares, et la plupart retournent vite d’où ils viennent une fois s’être entretenu avec les policiers. Tant qu’ils le peuvent, les trois fonctionnaires restent quant à eux dans la voiture, pour respecter au maximum les règles de distanciation sociale. Et quand ils sortent, ils veillent à respecter le mètre de distance. Car ils ne sont pas spécialement équipés contre les risques de transmission du virus. Le peu de matériel qu’ils ont s’est réduit à peau de chagrin depuis le début du confinement. “Il doit nous rester deux

boites de gants et trois gels hyrdoalcooliques, et nous n’avons pas de masque depuis le début. Clairement au niveau de la protection, nous sommes en manque de tout”, atteste le chef de la brigade.

Pourtant ce n’est pas faute d’avoir demandé. La mairie n’a eu de cesse d’interpeler les services de l’Etat, rappelle la Directrice générale des services, Cécile Hammerer. Dans un courrier du jeudi 26 mars adressé au préfet, elle a d’ailleurs réitéré cette demande : “nos agents étant tous les jours en contact direct avec la population, nous manquons de moyens de protection et notamment de masques, gants et gels hydroalcooliques. L’ARS réservant ses stocks aux soignants, je vous serai reconnaissante de bien vouloir solliciter auprès de l’Etat central, des moyens de protection pour les équipes qui accomplissent des missions essentielles au fonctionnement de la Nation”. Car il est hors de question de ne pas assurer la continuité du service public. En tout, 80 agents sont encore mobilisés sur le terrain, pour la collecte des déchets, la sécurité, l’aide à domicile, l’aide sociale d’urgence…

La couturière a travaillé sans relâche

Pour l’instant, malheureusement, son appel est resté lettre morte. Alors, on fait comme on peut. Plus de gel hydroalcoolique ? La mairie fournit à ses agents de l’eau, du savon, ou de l’alcool à 70 degrés. Les écoles sont fermées ? Ils impriment 900 copies à distribuer aux enfants. Et pour les masques, là encore, Cécile Hammerer a dû “bricoler”. Une chance, elle connaît justement une couturière, la même qui avait déjà travaillé avec la mairie de Chirongui pour fabriquer les rideaux du Pôle culturel. “Je l’ai mise en contact avec ma soeur, elle-même couturière à la Réunion, et toutes les trois, nous avons planché sur des patrons fournis par le CHU de Grenoble”, raconte la DGS. La commande de cent masques, passée il y a moins d’une semaine, doit permettre de protéger ses agents, en première ligne face au coronavirus. Les masques sont équipés d’une poche intérieure, dans laquelle ils pourront glisser des lingettes anti-poussières à renouveler toutes les trois heures. Cinquante sont déjà arrivés. “Dès lundi, on devrait avoir les nôtres”, sourit Laoumi, visiblement soulagé.

Car à quelques kilomètres de là, Antuia ne chôme pas. Cette éducatrice dans une association double ses journées de travail depuis une semaine. Après sa première journée en télétravail, qui s’étale de 7h à 15h, la jeune femme rejoint son atelier, une pièce attenante à la maison dans laquelle elle vit avec son époux. C’est ici, au milieu des tissus en wax africains et à quelques mètres du ressac paisible de la baie de Bouéni, que la jeune femme a travaillé sans relâche de jour comme de nuit pour finir les cent masques commandés. “J’en ai encore mal à la main !”, souffle la belle couturière, apprêtée dans ses créations. Chaque masque représente environ trente minutes de travail, ce à quoi il faut rajouter le temps de réflexion pour le choix du patron, et les retouches. “À la base, on avait choisi des attaches en élastique, mais ça ne tenait pas bien au visage, donc j’ai dû les refaire en coton”, raconte-t-elle. Elle vient juste de finir les cinquante masques restants, qu’elle a roulés et empaquetés dans un sac en attendant le coursier de la mairie. Roses, vertes, orange, ses confections aux couleurs chatoyantes orneront donc bientôt les visages de Laoumi et de ses hommes.

 

Les femmes mahoraises battues en plus grande insécurité pendant le confinement

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Le confinement met à mal un bon nombre d’entreprises, et les associations ne sont pas en reste. À l’exemple de l’ACFAV qui vient en aide aux personnes victimes de violences, notamment de violences conjugales. Les professionnels redoutent les dégâts physiques et psychologiques que peuvent causer ces semaines de confinement.

Malika Bouti, conseillère conjugale et familiale à l’ACFAV s’inquiète du sort des femmes victimes de violences domestiques durant cette période. Elle pense que la situation de celles qui vivent avec leurs bourreaux va s’aggraver. “Le confinement exacerbe tout et cela va augmenter la violence dans les foyers”, se désole-t-elle, démunie. Depuis bientôt deux semaines, l’ACFAV a été contraint de réorganiser la prise en charge des femmes battues, et de tout faire à distance. Une méthode de travail incompatible avec les situations délicates dans lesquelles se trouvent ces femmes. Le téléphone est le seul lien qu’elles ont avec les professionnels de l’association. “On sent qu’elles ne disent pas tout parce qu’elles ont peur qu’on les entende. Et l’accompagnement est très compliqué. Si elles pleurent on ne peut même pas leur proposer un mouchoir ou un verre d’eau. Et des fois, nous n’arrivons pas à joindre certaines parce que c’est le mari qui a le téléphone”, explique Djamael Djalalaine, directeur de l’ACFAV. Et Malika Bouti d’ajouter, “Le confinement leur fait peur. Elles ont peur du lendemain, peur de leur agresseur, peur de la mort.” Ces femmes qui vivent constamment dans la crainte voyaient leurs rendez-vous avec les professionnels de l’ACFAV comme une échappatoire. Elles y allaient toutes les semaines, et cela leur permettait de se reposer, de se ressourcer, en participant à des ateliers ou seulement en discutant avec les autres. Désormais, le président de l’ACFAV demande à ses collaborateurs de les appeler quotidiennement. “Il est primordial de maintenir un lien avec elles. On les appelle le matin pour qu’elles nous racontent comment s’est passée la soirée, et en fin de journée pour qu’elles nous disent comment a été la journée”, indique Djamael Djalalaine.

Un manque de moyens criant

L’ACFAV dispose 225 places d’hébergement, et seulement 14 sont accordés aux femmes victimes de violences conjugales. Un chiffre qui est nettement inférieur aux réels besoins du territoire. Et le confinement détériore d’avantage cette situation critique. “Pendant cette période, nous ne sommes pas autorisés à sortir les femmes qui occupent les logements. Mais on continue à recevoir des nouvelles. Nous sommes arrivés à saturation et avons dépassé les 225 places. Alors on essaye de transformer les places de stabilisation en placement d’urgence”, informe le directeur de l’ACFAV. Mais des éléments extérieurs viennent compliquer la mission. Selon l’association, l’État a réquisitionné des appartements afin de loger des personnes pendant le confinement.

Les victimes prises en charge par l’ACFAV ont droit à des bons alimentaires. Cependant, durant cette crise, ces derniers ne semblent plus être la meilleure option. “Il est préférable que ça soit l’agent qui apporte le colis alimentaire parce que ces femmes ne peuvent plus emmener leurs enfants faire les courses mais elles n’ont souvent personne pour les garder”, affirme Malika Bouti, la conseillère conjugale.

Depuis la fermeture de l’accueil du jour de l’ACFAV, son directeur regrette la coupure radicale du lien physique entre les professionnels et ces femmes battues. Il aurait souhaité une solution alternative. “L’idéal serait que l’on puisse se rendre à domicile. Mais c’est compliqué parce qu’il faut être équipé de masques et de gants. On a fait la demande auprès de l’ARS et de la préfecture mais ils nous ont répondu qu’on ne fait pas partie des prioritaires donc nous n’aurons pas de masques.” L’association a cependant reçu des gants, mais ce n’est pas suffisant. Alors dans l’attente d’autres solutions, les professionnels devront se contenter des appels téléphoniques.

Si vous êtes victimes de violences conjugales ou autres, ou si vous connaissez une personne dans cette situation, veuillez contacter le 55 55. Ce numéro est gratuit.

 

Masques en 3D et survol des quartiers inaccessibles en drone : les drôles de mission de Jérôme Mathey

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Professeur de physique en temps normal, Jérôme Mathey est un bricoleur à ses heures perdues. Il confectionne des masques en 3D qu’il compte distribuer aux personnes dans le besoin à Tsingoni, en attendant de pouvoir en produire à plus grande échelle. Autre mission solidaire : la réalisation d’un mégaphone accroché sur un drone pour diffuser des messages de confinement dans les quartiers inaccessibles de Mamoudzou.

Après Angus MacGyver, voici Jérôme Mathey. À Mayotte depuis dix ans, il jongle entre son métier de professeur de physique et son activité de robotique et de drone, mêlant l’électronique et l’impression 3D. Et alors que la propagation du Covid-19 inquiète les plus hautes autorités et la population mahoraise, il décide de mettre son expertise à profit de la communauté et ainsi apporter sa pierre à l’édifice. Tout simplement en confectionnant des masques de manière originale… Avec une imprimante et des filaments ! « J’ai un stock de dix kilos de plastique, il m’en faut cinquante grammes pour en réaliser un », souligne-t-il. Si le délai de fabrication s’élevait à quatre heures il y a encore quelques jours, une récente mise à jour lui a permis de réduire de moitié la durée de conception. Et à quoi ressemblent ces précieux sésames ? « C’est un bandeau que l’on pose sur le front avec un écran transparent, à l’image d’un masque de débroussailleuse. »

Seule ombre au tableau : sa faible capacité de production. Il n’a actuellement que cinq masques en sa possession. « J’ai proposé mes services sur Internet pendant une semaine mais je n’ai eu aucun retour. Les réseaux sociaux sont submergés et les informations circulent extrêmement vite », pointe-t-il du doigt, alors que son ami polynésien Raitiny Rey a reçu une commande de 10.000 masques. Néanmoins, Jérôme Mathey ne désespère pas que le vent tourne et a surtout conscience que la demande est forte, notamment chez « les forces de l’ordre », dit-il. « À minima, je les distribuerai à ceux qui en ont besoin à Tsingoni, comme les policiers municipaux et les commerçants. » Et en attendant de réunir sous forme de collectif des individus dans la même situation que lui pour augmenter le volume, il continue de prendre la température auprès des entreprises spécialisées dans l’impression 3D, l’instar de 3Découpe qu’il devait rencontrer samedi après-midi. Autre bonne nouvelle : « Le groupement des entreprises mahoraises des technologies de l’information et de la communication vient de me confirmer que la chambre d’industrie et de commerce avait une imprimante. Je vais également contacter le délégué au numérique du rectorat car les professeurs de technologie ont du matériel similaire dans leurs établissements. »

Des opérations aériennes pour la ville de Mamoudzou

Mais ce n’est pas la seule corde à son arc. Jérôme Mathey a eu l’agréable surprise d’être contacté par la ville de Mamoudzou pour un projet tout aussi intéressant. « Des personnes de la municipalité savent que je suis un opérateur en règle au niveau du drone », dévoile-t-il. Sa mission ? Créer un haut-parleur à fixer sur l’objet volant dans l’optique de diffuser des messages de confinement sur la commune, notamment dans les quartiers moins accessibles (Cavani et Kawéni) où les regroupements de personnes sont légions. À ce jour, quelques détails restent encore à régler pour recevoir l’autorisation de voler. « J’ai échangé à ce sujet, vendredi, avec l’aviation civile et la préfecture pour cadrer l’opération. » En cas de réponse positive, le go serait donné dès cette semaine. « On est parti sur un volume d’une trentaine d’heures, qui sera révisé en fonction de la réalité du terrain », confie l’enseignant. En cette période confinement, toutes les initiatives individuelles et collectives sont bonnes à prendre pour réduire au maximum l’impact de Coronavirus sur Mayotte, sachant que le pic épidémiologique doit faire son apparition d’ici quelques jours…

 

Mlezi Maore s’organise tant bien que mal face à la crise

Principal acteur associatif dans le domaine du social avec ses trois pôles – jeunesse, solidarités et handicap –, l’association Mlezi Maore doit, elle aussi, adapter ses services. Objectif : sécuriser les équipes et les publics, tout en assurant au maximum ses missions, parfois indispensables.

À Mayotte, les problématiques de la jeunesse, des solidarités et du handicap sont étroitement liées avec l’association Mlezi Maore, principal acteur associatif de l’île, dont elle est par ailleurs le troisième employeur. Ses missions ? Fournir à ces trois publics spécifiques des services essentiels. Face à la crise, l’organisme a donc dû adapter sa mission, tout en assurant une nécessaire continuité. “Les dispositions de lutte contre la propagation du Covid-19 impactent de manière très directe nos associations et établissements. Cependant, notre engagement auprès des usagers de Mlezi Maore ne peut s’interrompre brutalement. Nous avons ainsi, en lien avec la direction de chaque pôle, les responsables du siège et des autorités de tutelles, élaboré des plans de continuité de l’activité (PCA)”, explique ainsi l’association. Deux impératifs au menu de ces plans : “La continuité de service proposée aux personnes accompagnées lorsque celle-ci relève de l’impérieuse nécessité” et “le respect des règles de distanciation afin de protéger les équipes, les usagers et la société en limitant la circulation du virus.”

Si certains services comme le centre social et culturel, la base nautique et de loisirs de Mtsangabeach ou encore le point accueil écoute jeunes sont fermés, d’autres fonctionnent avec certains aménagements. “C’est le cas de l’institut médico-éducatif, du service d’éducation spécialisée et de soins à domicile, du pôle handicap, ainsi que du service d’action éducative en milieu ouvert du pôle jeunesse ; ou encore le service des tutelles du pôle solidarités, par exemple, qui sont en ouverture aménagée. L’évaluation de la situation de chaque usager a été réalisée, des contacts réguliers sont assurés et des visites à domicile sécurisées sont programmées en cas de nécessité.”

En revanche, les lieux d’hébergement restent bien entendu ouverts, à l’instar du centre d’hébergement et de réinsertion sociale, de l’établissement de placement éducatif, du centre éducatif renforcé et la maison d’enfants à caractère social.

Un appel à volontariat

Des services assurés, donc, mais qui souffrent eux aussi du confinement. En cause : “certains établissements de l’association qui se doivent de rester ouverts manquent de personnel du fait de la situation de crise que nous traversons actuellement. Un appel à volontariat a été lancé en interne. Étant donné que certains de nos services sont fermés ou ont une ouverture aménagée, le renfort de ces équipes d’hébergement a dans un premier temps été réalisé grâce à ces professionnels. Nous avons également fait appel à la solidarité du secteur afin de savoir si certains de nos partenaires seraient en capacité de mobiliser du personnel volontaire pour venir renforcer les équipes de nos structures en continuité d’activité, notamment les CEMEA, la Croix-Rouge ou encore l’UDAF. Certaines associations réalisant de l’hébergement ont été écartées considérant qu’elles rencontraient les mêmes difficultés. Les besoins se portent sur des personnels travailleurs sociaux, veilleur de nuit ou encore maîtresse de maison.”

Enfin, comme recommandé, les fonctions supports comme le service comptabilité, relations humaines, développement, communication se sont organisées autour du télétravail, “favorisé autant que possible”. “Les conférences téléphoniques ou autres supports équivalents sont utilisés pour les réunions. Les salariés ne se rendent sur leur lieu de travail que si cela est nécessaire. Nous avons mis

en place une cellule de crise en interne qui se réunit par conférence téléphonique chaque jour. Cette instance permet d’évoquer les situations problématiques, les bonnes pratiques et de prendre les décisions nécessaires pour l’amélioration du fonctionnement des établissements et services en cette période particulière. Enfin, afin d’informer au mieux les familles, des salariés du pôle handicap ont créé un support en français et shimaoré afin de sensibiliser petits et grands sur le COVID-19.”

 

La solidarité citoyenne plus nécessaire que jamais

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Depuis la fin de la semaine dernière, le gouvernement a créé un site qui fait appel à la solidarité de chacun durant cette période de confinement. L’objectif est de donner un peu de son temps et de son énergie en accomplissant des missions solidaires. Comment cela s’articule à Mayotte ? Réponse.

Lors de ses nombreuses allocutions durant le début de la crise Covid-19, le président de la République, Emmanuel Macron, a appelé à la solidarité citoyenne. Le gouvernement a concrétisé cela en créant le site covid19.reserve-civique.gouv.fr. L’objectif est de faire face à la situation dans laquelle nous nous trouvons, et celle des prochaines semaines, en faisant appel à la générosité de chacun. À Mayotte, c’est la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) qui est en charge de son bon fonctionnement. “Les associations et les services de l’État nous déposent des missions à faire sur l’ensemble de l’île. Et de l’autre côté, les personnes qui veulent aider s’inscrivent sur le site. Elles doivent donner leur adresse, cela permet de savoir qui est disponible à tel ou tel endroit. Dès qu’il y aura une urgence ou une mission, on fera appel aux personnes qui sont les plus proches”, explique Patrick Bonfils, le directeur de la DRJSCS. En théorie, tout le monde peut se porter volontaire, il suffit d’être majeur et d’avoir moins de 70 ans pour des raisons évidentes. Cependant, les organisateurs demandent aux associations d’inciter leurs collaborateurs à s’inscrire. Selon Patrick Bonfils, “ce sont des gens fiables, sérieux et qui connaissent déjà ce milieu. Nous avons besoin de personnes qui respectent les gestes barrières, qui savent rassurer la population, organiser les files d’attente, etc. Les gens du monde associatif et de l’éducation sont habitués à cela.” À l’heure actuelle, plus de 250 bénévoles se sont inscrits sur le site, en moins d’une semaine, et ce chiffre augmente chaque jour. Et une trentaine d’associations ont déjà proposé des missions sur l’ensemble du territoire.

Quatre grandes missions solidaires

Le site de la réserve civique propose quatre grandes missions. Les bénévoles pourront garder les enfants du personnel soignant, des forces de l’ordre et de toutes les personnes qui travaillent pour faire vivre la société. Ils seront également sollicités pour aller faire les courses de ceux qui ne peuvent pas se déplacer. On leur demandera aussi de prendre régulièrement des nouvelles de leurs voisins fragiles ou seuls. Enfin, ils participeront à la distribution des aides alimentaires. Des denrées et des bons alimentaires sont préparés afin d’aider ceux qui ont un faible pouvoir d’achat. “Pour l’instant, on arrive à faire face avec La Croix Rouge et les diverses associations. Mais on sait pertinemment qu’à partir de la semaine prochaine ça va commencer à être très difficile”, annonce le directeur de la DRJSCS. La Croix Rouge n’a d’ailleurs pas arrêté les distributions alimentaires habituelles. La réserve civique est mise en place pour renforcer son dispositif.

Afin d’éviter que les personnes se battent pour de la nourriture comme c’est déjà le cas pour les bouteilles de gaz, l’armée et la police seront également mises à contribution pour sécuriser les lieux et éviter un éventuel débordement.

La grande distribution est aussi sollicitée, mais rien n’est moins sûr pour le moment. “On a demandé aux grands magasins de faire des dons. On leur a surtout demandé des produits d’hygiène. Ce n’est pas encore acté, nous sommes en train de travailler avec certains grands magasins”, indique Patrick Bonfils.

Les personnes qui ont besoin d’aide, et qui veulent bénéficier de ce nouveau service doivent se manifester auprès de leur mairie, des CCAS, des associations. Ces derniers se chargeront de faire remonter les diverses missions à la DRJSCS.

 

Flou artistique autour des arts de la scène

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Les artistes et intermittents du spectacle ne peuvent, à Mayotte, prétendre au statut juridique spécifique pourtant de vigueur en métropole, du fait de l’application tardive du droit du travail dans le 101ème département. Une situation qui complique encore un peu plus l’avenir de ces professionnels, souvent écartés des décisions politiques.

Une fois encore, ils ont été oubliés. La semaine dernière, le gouvernement annonçait déployer un arsenal de mesures économiques pour les entreprises et associations métropolitaines et ultramarines qui pâtiraient du confinement. Un ouf de soulagement pour certains, un regain d’inquiétude pour une poignée d’autres, et plus particulièrement pour les intermittents du spectacles et artistes du 101ème département, le seul de France où aucun statut juridique dédié n’existe encore à ce jour. En d’autres termes, à Mayotte, les professionnels de la scène ne pourront pas prétendre aux dispositifs exceptionnels de l’État, alors même que toute leur activité économique est laissée en suspens, puisque tous les événements prévus doivent être reportés à une date encore inconnue.

En réaction, le collectif des Arts Confondus – créé il y a un an et demi pour défendre à l’échelon local et national les droits des professionnels des arts vivants – a décidé de recenser un maximum d’acteurs du milieu et leur impact économique, dans l’espoir d’obtenir plus de soutien. Pour l’heure, dix-sept structures pour une soixantaine d’emplois permanents se sont déjà manifestées. “On commence à avoir quelques retours de l’État, qui nous a promis que les subventions seraient maintenues coûte que coûte”, témoigne Sophie Huvet, directrice de Hip-Hop Évolution et instigatrice de l’initiative. “Mais rien concernant le Département, et encore moins le secteur privé, dont dépendent plusieurs structures culturelles”. Et pour l’heure, la collectivité n’a pas donné réponse concernant les nouvelles demandes de financement.

Un manque à gagner dans tous les domaines

“Clairement, les associations culturelles ont été négligées”, s’inquiète Sophie Huvet, toutefois reconnaissante envers la Cress qui s’est proposé de participer au versement du chômage partiel des professionnels du milieu. “Et qu’on parle de dix ou de cent emplois, les personnes qui vivent [du spectacle] ne toucheront pas leur rémunération.” Sans compter les contrats à durée déterminée, recrutés pour l’accueil et la billetterie notamment, lors d’événements ponctuels tous reportés du fait du confinement. Un manque à gagner également pour les entreprises de la restauration, du transport ou de la location de matériels. “Il y a aussi les ingénieurs du son, les techniciens, les costumiers, etc.”, égraine encore la directrice de l’association Hip-Hop Évolotuion. “Et puis il y a les petites associations qui fonctionnent essentiellement sur le bénévolat…” Un bénévolat mis entre parenthèses à l’heure où chacun doit rester chez soi.

Aux origines de cet imbroglio, l’application du droit commun à Mayotte et surtout, ses limites. En métropole, tout artiste ou technicien des arts de la scène peut prétendre au statut d’intermittent du spectacle et par conséquent, accéder à des droits et des régimes sociaux conçus selon les spécificités du métier. Un dispositif qui encadre également l’accès à la formation ou à des congés spécifiques selon une convention nationale, décidée avant que l’île ne bascule sous le régime de la départementalisation. Depuis plusieurs années, les professionnels des arts vivants à Mayotte militent pour qu’enfin, le territoire soit intégré dans ces textes. Problème : “Pour ça, il faut rouvrir des négociations avec les syndicats nationaux,”, résume Sophie Huvet. Une démarche qui pourrait potentiellement permettre au gouvernement de se rétracter concernant certains acquis. “Nous, ce

qu’on propose, c’est de simplement rajouter Mayotte sans nouvelle négociation, mais même si on le faisait, notre accès à la Sécurité sociale ou à Pôle Emploi ne serait pas le même”, ces structures étant localement à leurs balbutiements.

 

Avec le Mistral, un vent rassurant souffle sur le sud océan Indien

Le président de la République l’a annoncé ce mercredi soir, le porte-hélicoptère amphibie Mistral viendra en aide aux territoires de La Réunion et de Mayotte dans le cadre de l’opération “Résilience”, visant à lutter contre l’épidémie de Coronavirus face à laquelle les deux départements manquent d’armes pour lutter.

L’arrivée du Mistral dans le sud de l’océan Indien suffira-t-elle à calmer le vent de panique qui sévit sur les territoires de La Réunion et de Mayotte en même temps que le Coronavirus gagne du terrain ? C’est en tout cas ce qu’espère le président Emmanuel Macron qui a annoncé la mobilisation de ce gigantesque porte-hélicoptère – le deuxième plus gros bâtiment de la Marine nationale après le Charles de Gaulle – dans la zone sud de l’océan Indien afin de prêter assistance aux deux territoires. Le tout dans le cadre d’une opération “Résilience”, qui vise intégrer l’armée à l’effort national de lutte contre l’épidémie. Si les détails de cette opération doivent être précisés dans “quelques jours”, selon les mots du président, quelques éléments sont d’ores et déjà connus.

D’abord, selon différentes sources concordantes, le navire qui croise actuellement près des côtes seychelloises devrait arriver dans la zone au début de la semaine prochaine. À La Réunion, plus précisément, assure le journal Mer et Marine, “à l’issue d’une escale logistique de deux jours à Mahé, aux Seychelles”. Depuis le DOM voisin, il pourrait ainsi déployer ses moyens logistiques et sanitaires afin de venir en aide à la population mahoraise dans le cadre de décisions mutuelles entre les préfets de Mayotte et de La Réunion. Pour l’heure, rien n’indique que le porte-hélicoptère s’établira près de nos côtes.

Le Mistral pas encore paré pour lutter contre le Covid-19

Les prochains jours devront par ailleurs déterminer quels moyens et missions exacts le Mistral embarquera avec lui. Mais pour l’heure, le bâtiment ne semble pas encore équipé pour opérer une mission d’urgence sanitaire. Ainsi, bien que la Marine nationale indique que le navire compte en son sein un hôpital muni de 69 lits extensibles, le Mistral n’est pas parti de Toulon fin février avec le matériel adéquat pour faire face à l’épidémie. “Les installations hospitalières du Mistral sont pour le moment grées pour un déploiement classique et ne peuvent servir en l’état à l’accueil de patients atteints par le Covid-19. Selon la situation à La Réunion et Mayotte, elles pourront être adaptées en fonction des besoins et du matériel disponible sur place ou envoyé depuis la métropole par voie aérienne”, indiquent ainsi nos confrères de Mer et Marine, spécialistes du sujet.

Satisfaite de l’annonce présidentielle, fruit selon elle d’un travail de près d’un mois, la directrice de l’ARS Dominique Voynet considère qu’“affirmer que le porte-hélicoptère part vers Mayotte [lui] paraît audacieux”. “Ce que je sais en revanche c’est qu’en l’absence d’une épidémie active à Mayotte comme à La Réunion, même si nous avons beaucoup de cas, le président a aussi la préoccupation de rapatrier les Français coincés dans les pays de la zone depuis des semaines. J’imagine donc que la doctrine d’utilisation du Mistral va nous être précisée dans les jours qui viennent”, a encore fait valoir la directrice de l’ARS ce jeudi.

 

À moins d’un mois du ramadan, les agriculteurs ont peur de tout perdre

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Le confinement rend difficile le ramassage des récoltes et commence déjà à peser dans les finances. Les agriculteurs ont peur que les stocks de fruits et légumes viennent à manquer pour le ramadan, période qui se caractérise chaque année par une forte consommation.

Sur les bords des routes, on ne les voit plus discuter au-dessus de leurs paniers remplis de bananes, de mangues, d’ananas ou de fruits à pains. Leurs salouvas ont déserté le paysage, et quelques rares palettes traînent encore, de-ci de-là, sans leur cargaison de produits locaux. À Mamoudzou aussi, devant le marché couvert, les étals informels qui tapissent le bitume jusqu’au dépose-minute des taxis ont disparu depuis l’annonce de la fermeture de ce point de vente, où agriculteurs et revendeurs viennent d’habitude écouler leurs marchandises. Seul le marché de Combani continue à alimenter le centre de l’île, tant bien que mal, à en croire les agriculteurs. “Ils sont dehors derrière leurs étals, mais les clients se font rares. Il n’y a guère que la clientèle des environs proches qui vient encore y acheter des produits”, constate Saïd Anthoumani, le président de la Chambre de l’agriculture, de la pêche et de l’aquaculture de Mayotte (CAPAM).

Cette baisse de la consommation, conséquence directe du confinement décidé depuis le 16 mars pour lutter contre la propagation du Covid-19, ils sont nombreux à la ressentir de plein fouet. “Il faut vraiment que vous fassiez passer le message que nos deux boutiques de la Coopac, celle de Kawéni et celle de Combani sont encore ouvertes”, plaide Dominique Lamotte, qui gère la SCEA Vahibio. Presque tous les jours, son époux et elle se lèvent de bonne heure à Tsoundzou pour se rendre sur leur petit champ de Vahibé et cueillir les quelques avocats qu’ils doivent apporter avant 10h à la Coopac de Combani. Objectif : limiter les risques de contact dans la boutique. À partir de 10h et jusqu’à 15h, une seule vendeuse se charge alors de vendre leur production, en veillant à respecter les règles de distanciation sociale. Une tâche facilitée par le faible afflux de clients ces derniers jours. “Nous aurons sans doute les chiffres exacts dans un mois, mais nous pouvons d’ores et déjà estimer une perte de chiffre d’affaires de 50 % pour la Coopérative”, craint Dominique Lamotte. Avec, bien sûr, une conséquence directe pour le couple de Tsoundzou : “Nous risquons sans doute d’être payés un peu en retard…”. Et ce, sans aucune certitude d’être indemnisés, car eux ne sont pas concernés par le chômage partiel.

Chadhuili Soulaimana, le directeur de Ouangani productions, qui préside aussi l’association Saveurs & Senteurs de Mayotte partage cette inquiétude : “j’ai des doutes sur les aides que le gouvernement va pouvoir nous donner. Je me rappelle avoir essayé, en 2018, mais avoir buté sur de nombreux obstacles. J’espère qu’ils rendront la procédure plus simple cette fois-ci”, souffle-t-il. Or, contrairement aux cueilleurs de Vahibé, beaucoup d’agriculteurs ont tout bonnement arrêté de se déplacer jusqu’à leurs champs, par crainte d’attraper le virus dont tout le monde parle. Et ne peuvent donc même pas prétendre voir le fruit de leur labeur à la fin du mois. “Nous avons peur d’être en contact en allant sur les marchés, et peur de sortir pour aller travailler”, témoigne Chadhuili Soulaimana. Conséquence : tous les agriculteurs et leurs salariés sont “bloqués”. “Nous devions bientôt récolter notre vanille, mais on ne sait pas si nous allons pouvoir le faire”, poursuit le producteur.

Pourries ou pillées, des récoltes perdues

Car le souci, c’est aussi que vanille, bananes, manioc et autres fruits et légumes ne poussent pas tous seuls. En l’absence des bras et du savoir-faire des agriculteurs, les cultures risquent fort d’être gâchées, voire même d’être pillées avant d’être vendues. “Je ne vais plus sur mon exploitation depuis plusieurs jours, or j’ai des fruits, les sakouas qui sont très utilisés pour les jus, je sais que c’est le moment d’aller les cueillir”, atteste Hakim Nouridine, gérant du label Green Fish. Normalement, l’agriculteur en produit environ une tonne par an, qu’il écoule dans son magasin de M’tsapéré et chez des revendeurs. Aujourd’hui, ces débouchés-là sont fermés. “C’est sûr, ça va tomber, ça va pourrir ou bien être volé”, déplore-t-il.

Mais le gros de sa production, c’est à Madagascar qu’il risque de le perdre. Le gérant possède en effet un terrain sur la Grande Île. Mais depuis le 16 mars, et la fermeture des frontières malgaches, Hakim Nouridine ne peut plus se rendre sur son exploitation. “Je risque de perdre une année de récolte”, s’inquiète-t-il, malgré la présence de quelques ouvriers sur place. Outre le piment et l’oignon, il y cultive aussi les bananes, qui font d’habitude l’objet d’une forte demande pendant le ramadan. Cette année, vu la situation sur les exploitations mahoraises et la rupture des liaisons avec Madagascar, l’agriculteur craint un impact sur le portefeuille des ménages. “La production locale ne va pas suffire pour satisfaire la demande, et les régimes vont se vendre à prix d’or”, prédit-il. Du côté de l’INSEE, toutefois, rien ne permet pour l’instant d’anticiper une telle inflation. “Chaque année, il y a un questionnement sur le prix des bananes, mais si cela marque les esprits, cela ne se traduit pas dans nos analyses”, explique Jamel Mekkaoui, le chef de service de l’institut de statistiques à Mayotte. Et le président de la CAPAM se montre d’ailleurs, lui aussi, plus optimiste : “certes, les gens vont sans doute essayer de rattraper le manque à gagner pendant le ramadan, mais heureusement nous avons eu une saison humide assez riche, et nous avons encore des aliments en abondance”, fait valoir Saïd Anthoumani. Sauvés par la pluie, grâce au ciel !

 

C’est dans les vieilles pratiques qu’on fait les meilleurs régimes

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Les anciens ne comprennent pas les jeunes. et vice versa. cet adage est vrai même dans l’alimentation. l’ancienne génération se vante d’avoir mangé sain et bio pratiquement toute sa vie alors que la nouvelle ne voit pas l’utilité d’une alimentation équilibré. témoignages.

L’arrivée des produits industriels et de la malbouffe donne l’impression que l’on a toujours mangé ainsi. Mais ce n’est pas le cas pour les anciens, particulièrement à Mayotte. Le Mahorais est traditionnellement agriculteur. Les anciennes générations cultivaient ainsi elles-mêmes leurs terres agricoles pour subvenir aux besoins de la famille. « On faisait tout nous-mêmes. Et on travaillait nos champs sans tous ces produits chimiques qu’il y a aujourd’hui », se souvient Mogné Ali qui a aujourd’hui 85 ans. Sa femme, Amina, se souvient de son enfance rythmée par les virées quotidiennes au champ. « Quand on était petits, après l’école coranique on allait aux champs avec le foundi pour cueillir les bananes, maniocs, et beaucoup de fruits. » Amina le dit : elle adorait aller au champ parce qu’elle se nourrissait pratiquement que de fruits. Des souvenirs que partagent beaucoup de seniors aujourd’hui. Hamida, 81 ans, raconte-elle aussi ses aventures dans les champs de sa famille. « On avait de tout. Du blé, des bananes, du manioc, des tomates, de la salade, des brèdes, des fruits. À la maison on n’achetait presque rien. Même pas le riz. Tout venait de nos récoltes. Et on avait également un poulailler », se rappelle-t-elle. Les seuls aliments qu’ils se procuraient à l’extérieur étaient le poisson et la viande. Elle raconte d’ailleurs qu’ils mangeaient quotidiennement du poisson et très peu de viande. Et quand on leur demande de quelles façons ils consommaient tous ces aliments, la cuisson à l’eau et la grillade reviennent le plus souvent, même si Hamida avoue qu’ils leur arrivaient de faire frire les patates douces, parce qu’autrement elle ne les mangeait pas.

Cette ancienne génération prétend avoir eu la belle vie car tout ce qu’ils consommaient était frais. « Qu’est-ce qu’on mangeait bien avant Et surtout on ne mangeait pas de surgelés. Tous nos produits étaient frais. On n’achetait pas en abondance pour conserver après », soupire Mogné Ali, déplorant la surconsommation actuelle et se demandant pourquoi les gens ont besoin de tout acheter. Hamida quant à elle ne comprend pas l’apparition des maladies comme le diabète, l’hypertension ou l’obésité. « J’ai 81 ans, plus jeune je mangeais tout ce que je voulais et je n’ai jamais eu ce genre de maladies, Dieu merci. Ce n’est que récemment que j’entends parler de diabète ou d’hypertension. Et je suis persuadée que c’est à cause des modes de consommation et de conservation des aliments », affirme-t-elle. Amina pense que c’est également dû à la sédentarité des personnes. « Nous allions tous les jours aux champs. On bougeait beaucoup et ça c’est déjà du sport. Aujourd’hui les jeunes ne veulent rien faire », s’indigne-t-elle.

« JE N’AURAIS PAS ÉTÉ CAPABLE D’ALLER AU CHAMPS »

Les nouvelles générations sont justement à l’opposé de ce que faisaient ou mangeaient leurs grands-parents. « À la maison on mange souvent des pâtes et du riz. Mais on essaye de varier et manger mieux. Ce n’est pas évident parce qu’on n’est pas habitués mais ça vient petit à petit », raconte Noémie, 28 ans. Cette dernière avoue avoir pris conscience de l’importance de changer ses habitudes alimentaires à l’arrivée de son bébé il y a deux ans. « Pour lui je fais des efforts. Il mange des fruits et des légumes tous les jours. Je veux qu’il s’y habitue dès son plus jeune âge et qu’il ne soit pas comme nous. » Matie, une étudiante de 22 ans, affirme ne pas se soucier de cela. « Manger sain me coûte trop cher. Encore plus quand c’est bio. Alors je me contente de ce que je peux acheter comme les pâtes, les pommes de terre, les steaks et les cordons bleus. Tout ce qu’il ne faut pas », sourit-elle, consciente de ne pas avoir une alimentation équilibrée. Mais ces habitudes ne seraient pas seulement liées aux moyens économiques. Aurélie, 28 ans, travaille, et pourtant elle ne juge pas encore utile de se préoccuper de son alimentation. « Pourquoi manger sainement ? Des fois je fais des efforts mais cela dépend vraiment de mon humeur. Quand j’ai le temps, je prends des fruits au petit-déjeuner. »

Cependant, il serait injuste d’affirmer que tous les jeunes sont adeptes de la malbouffe. Certains essayent de varier leur alimentation et même de manger bio. « Je fais de plus en plus attention à ce que je mange. C’est très facile de manger les cinq fruits et légumes par jour recommandés. Au lieu de grignoter des chips je prends des fruits. Et à chaque repas je mange des légumes », explique Mia, 24 ans, qui se convertit par ailleurs au bio car elle est consciente des méfaits des pesticides sur la santé. Parmi tous ces jeunes, si certains font des efforts au niveau de l’alimentation, on constate que les plats traditionnels mahorais sont très peu présents dans la leurs habitudes. Les bananes, maniocs, brèdes, très peu pour eux. Et aucun ne souhaite vivre l’époque de leurs grands-parents où il fallait aller au champ pour manger. « Je ne pense pas que j’en aurais été capable. J’ai déjà du mal à aller à la salle de sport », confirme Matie

À Koungou, la vie au rythme des violences

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Les jours se suivent et se ressemblent à Koungou où l’on vit au rythme des affrontements entre bandes de jeunes rivales. Entre exaspération, peur mais aussi une certaine curiosité, les habitants ne peuvent qu’être spectateurs d’une violence que ni eux, ni les pouvoirs publics, ne semblent pouvoir endiguer.

“On n’en peut plus de ces violences, il va falloir que quelqu’un prenne ses responsabilités sinon c’est nous qui allons finir par nous occuper de ces jeunes !”, s’emporte Djanaibi. Autour de lui, les six hommes qui composent le groupe assis sur la place de la poste de Koungou acquiescent. “Le problème, c’est que si on le fait à notre manière, on va finir en prison alors que les jeunes eux, ils sont protégés par la justice”, poursuit l’aide-soignant, toujours suivi par son groupe d’amis. Sentant que son collègue a peut-être légèrement dépassé les bornes, Kassim prend à son tour la parole. “Je pense qu’il faudrait plutôt faire de la médiation, aller à la rencontre de ces jeunes, leur expliquer qu’ils s’écartent de leur avenir en faisant ça”, explique l’enseignant plus âgé, mais dont la certaine sagesse ne convainc pas vraiment autour de lui.

Pour de nombreux habitants, la responsabilité de ces violences revient aux parents. “Ils ne font pas ce qu’il faut, ils ne les éduquent pas correctement”, peut-on entendre à plusieurs reprises. À force de discussions, ces mêmes juges confient aussi régulièrement que c’est “souvent compliqué, il s’agit pour beaucoup d’entre eux de jeunes dont les parents ont été expulsés et qui sont plus ou moins confiés à des gens qui se moquent d’eux”. Certains, aussi, finissent par admettre que leurs enfants sont eux-mêmes pris dans cette vie de bande. “C’est compliqué de lutter contre l’effet de groupe, même quand on pense avoir tout bien fait. La réalité c’est que c’est devenu la seule activité un peu excitante pour ces jeunes, il n’y rien d’autre”, souffle Kassim.

Sur la place, la vie semble avoir repris son cours depuis les derniers affrontements, en date de la veille au soir. Chacun vaque à ses occupations entre le bureau de poste, la boulangerie ou les doukas. Des bouénis vendent quelques fruits et légumes à l’ombre d’un manguier. La ville est calme. Et pourtant, les affrontements entre bandes de jeunes sont dans toutes les têtes, dans toutes les conversations. “Les gens du village qui sont là-haut ne dorment plus chez eux, ils ont trop peur parce que c’est par là que passent les jeunes, qu’ils viennent de Majicavo ou de Koungou”, assure Fahima, pointant du doigt les bangas qui se dressent péniblement sur les flancs de collines. “De toute façon, on sait que ça va recommencer, la seule chose que l’on puisse faire c’est se mettre en sécurité avec les enfants”, conclut la jeune mère de famille.

“On a peur des jeunes”

Ici, la violence est une fatalité face à laquelle chacun s’adapte, se protégeant au mieux. Et les adultes présents ce jour auront beau jouer les durs, ou les médiateurs, personne n’ira à la rencontre de ceux que tous désignent comme les responsables de leurs maux. “On a peur”, confie Fahima. Il faut dire que la bande d’une petite dizaine de jeunes qui discute plus haut ne réserve pas un accueil des plus chaleureux quand on part à sa rencontre. Mais la glace une fois brisée, les langues se délient. “C’est un cercle vicieux, ça ne peut pas s’arrêter comme ça”, commente Bacar, assurant ne pas prendre part aux rixes. Enfin, “plus maintenant”. Maintenant, Bacar est en service civique. Un repenti donc, qui n’aura pas pour autant oublié d’où il vient. “J’étais comme eux, je sais comment ça se passe et je vis encore avec eux. J’essaye de leur expliquer que ce qu’ils font ne mènera à rien de bon mais d’un autre côté je comprends aussi”, poursuit Bacar avant de livrer sa vérité sur les affrontements des dernières semaines.

Selon lui, tout aurait commencé avec un vol de chiens commis par des jeunes de Koungou. Le “propriétaire”, lui, serait de Majicavo. “Du coup [les jeunes de Majicavo], ils ont traversé la campagne pour venir tout détruire ici, ils ont même brulé des bangas et tout”, explique le jeune homme, les pognes enfoncées dans son survêtement. “Après, ça ce n’est qu’une histoire parmi tant d’autres, on a plein d’exemples où ce sont les jeunes de Majicavo qui sont venus voler des chèvres ou autre”, affirme encore Bacar.

Une guerre de territoire donc, mais qui, selon les jeunes de Koungou, répond à des règles. “À un moment, il y a toujours un groupe qui dit stop parce que ça va trop loin et à ce moment-là on arrête”, soutient un jeune d’une quinzaine d’années, casquette vissée sur la tête. “Ici on ne s’en prend pas aux automobilistes, on ne met pas le feu, on fait juste la bagarre en haut”, poursuit-il.

“Regardez, ils viennent encore nous provoquer”

Loin des images que renvoient les réseaux sociaux, ce ne serait donc pas sur la nationale que se jouerait le gros de la bataille. “Le problème, c’est la police. Ils viennent nous provoquer et ils nous empêchent de régler nos comptes entre nous”, lance Bacar qui, à l’énoncé du mot magique a fait se relever toutes les têtes du petit groupe. La police [les forces de l’ordre en général plutôt], voilà un ennemi commun à tous. “C’est eux qui nous poussent à l’intérieur du village et comme ils nous empêchent de nous battre, c’est contre eux que l’on s’énerve”, analyse l’un d’eux. “Regardez, ils viennent encore nous provoquer !”, s’exclame un autre.

Deux camions de la gendarmerie prennent place sur le parvis de la poste, soulevant des nuages de poussière sur leur passage. Tandis que les militaires débarquent, deux 4×4 blancs se garent sur le côté de la nationale. C’est le Groupe d’appui opérationnel et la PAF. “Eux ils sont violents, il faut faire attention”, commente Bacar en scrutant les gestes des gros bras qui sortent de leurs véhicules, fusils en bandoulière.

Alors que les différentes forces de l’ordre s’équipent, les rues de Koungou se vident. Quelques invectives fusent à l’égard des gendarmes et chacun rentre se barricader. “Ça va chauffer”, peut-on entendre. Entre les rares riverains encore présents, la rumeur se propage comme une trainée de poudre. “Apparemment, le jeune de Majicavo qui a été blessé hier est mort ce matin à l’hôpital”, explique Kassim, l’enseignant. Même son de cloche chez les jeunes. “Oui c’est vrai, ils sont tous debout à Majicavo, ils vont l’enterrer et ils vont venir se venger”, assure à son tour Bacar, révélant au passage que les bandes s’épient et sont chacune au courant des faits et gestes de l’autre.

Contacté dans l’après-midi, le lieutenant-colonel Bisquert contredit l’information. Selon lui, le jeune très grièvement blessé et dont le pronostic vital était engagé dans la nuit de dimanche va mieux. Quoi qu’il en soit, “ça va mal finir encore une fois”, s’exaspère Djanaibi, l’aide-soignant. “On sait comment ça se passe, ils vont traverser la campagne, s’affronter là-haut et puis les gendarmes vont intervenir, du coup ils vont tous se replier ici et c’est nous qui allons payer”, soutient-il. Le scénario est écrit, et personne ne semble pouvoir l’arrêter. Chaque heure de calme qui passe à Koungou rapproche de la violence. “Et les vacances ne vont rien arranger, maintenant ils n’ont plus que ça à faire !”

Mayotte Hebdo de la semaine

Mayotte Hebdo n°1116

Le journal des jeunes