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“La situation à Bandrelé est sur le fil” : l’ARS identifie les principales zones de contamination

Pour son point bi-hebdomadaire, l’ARS a pour la première fois communiqué sur les zones géographiques dans lesquelles s’est propagé le Coronavirus. Si dans certaines, comme Mamoudzou et Petite-Terre, des clusters professionnels étaient déjà pressentis, la situation de Bandrelé fait l’objet d’une vigilance accrue.

Pas de répit pour l’ARS. C’est peu ou prou le message qu’a voulu faire passer Dominique Voynet lors de son point presse bi-hebdomadaire : “Tous les jours apportent des nouveaux cas, et c’est un boulot monstre pour identifier les cas contacts. Donc, non, je ne dirais pas que la situation est sous contrôle”, a insisté la directrice de l’autorité sanitaire, alors que Mayotte entame sa troisième semaine de confinement. Lundi 6 avril, 164 personnes avaient été testées positives au Covid-19, dont trois en réanimation, 17 hospitalisées et 14 étaient sorties de l’hôpital après un séjour d’observation. L’ARS reste donc sur ses gardes, d’autant plus qu’un nouveau cluster, identifié dans la zone de Bandrelé, pourrait justifier un passage au stade 3 de l’épidémie, si davantage d’habitants venaient à tomber malades.

Depuis l’introduction du virus sur le territoire, l’ARS ne communiquait pas sur les zones géographiques dans lesquelles on recensait les premiers cas. “S’il n’y en avait que deux dans un lieu identifié, nous ne voulions pas qu’ils soient traqués par les habitants, nous attendions qu’il y en ait plus”, a justifié Dominique Voynet, avec un certain pragmatisme. C’est désormais le cas et pour la première fois depuis l’introduction du virus sur l’île hippocampe, trois zones géographiques principales ont été identifiées : le chef-lieu, Mamoudzou, assez logiquement puisqu’il concentre la population la plus dense et sans que “la situation n’y soit particulièrement préoccupante” ; Petite-Terre, pressentie en raison de la propagation du virus dans un cluster professionnel, des agents de retour de métropole ayant contaminé leurs collègues ; et enfin Bandrelé où une “vingtaine de cas, peut-être 24” ont été recensés dans “trois ou quatre villages différents”.

Un premier centre d’isolement a ouvert ses portes

Est-ce le signe d’une diffusion locale du virus sur le territoire ? Pour l’instant, il n’y a pas lieu de s’alarmer outre mesure, a tempéré l’ancienne ministre. “Je me suis posée la question aujourd’hui du passage au stade 3, mais franchement, ça ne se diffuse pas, c’est bien circonscrit”, a-t-elle poursuivi, tout en reconnaissant que “la situation de Bandrelé est sur le fil, et nous avons deux à trois jours maximum pour éviter que cela ne se diffuse”. L’ARS mène donc un travail d’orfèvre pour tenter d’identifier l’origine commune entre les différents malades. L’enquête oscille entre la campagne électorale, un cabinet médical, et des obsèques… ce qui rappelle d’ailleurs l’enjeu sanitaire qui pèse sur les rites funéraires. Point positif : beaucoup des cas identifiés appartiennent à des mêmes familles. “Si nous avions six malades, dans six familles différentes par exemple, l’analyse ne serait pas la même”, a expliqué Dominique Voynet. En attendant, la commune fait “l’objet de tous nos soins, car nous savons que les bangas et la proximité y sont importantes”. En coordination avec la mairie, l’ARS a donc renforcé les moyens pour éviter la circulation du virus sur la commune, tant sur l’accès à l’alimentation et à l’eau que sur la diffusion des bons gestes.

Car le risque d’une propagation dans les bangas est réel. Et il s’agit là du scénario le plus sombre : quatre foyers sur dix vivent dans des logements en tôle, souvent sans accès à l’eau courante et où l’application des gestes barrières relève du mirage. L’ARS et les communes réfléchissent donc depuis le début de l’épidémie à des mesures pour héberger des personnes pour qui le confinement ne serait pas possible. Et c’est désormais chose faite, a annoncé Dominique Voynet ce lundi : un centre a

ouvert, au sein de l’internat de Tsararano, et pourra accueillir au maximum 50 personnes, même si “nous espérons ne pas avoir à le remplir”. Le centre visera uniquement à héberger des personnes “covid +” qui ne peuvent pas s’isoler, ou risquent de contaminer des personnes fragiles dans leur entourage et il n’y sera pas prodigué de soins hospitaliers. Il reviendra aux médecins du CHM de proposer à des patients identifiés cette solution d’hébergement.

Des masques en nombre suffisant, et pas de gaspillage

Deux navires devaient débarquer ce week-end à Mayotte. Mais le porte-hélicoptère Mistral, arrivé samedi dans les eaux du lagon, a surtout apporté des renforts pour le Détachement de la Légion étrangère à Mayotte (DLEM). “Le Champlain, en revanche, a plein de choses pour nous”, a noté Dominique Voynet, qui est toutefois restée vague sur le contenu de ses cales : a priori de l’oxygène et des masques. Ce que l’on sait toutefois : 90 tonnes de matériel doit être envoyé de Paris à La Réunion, et ¼ de ce fret doit transiter jusqu’à Mayotte, surtout grâce au pont aérien, et à raison de deux avions par semaine. On ne saura pas en revanche, combien de masques arriveront finalement sur l’île, mais “il en y a assez pour les soignants”, a balayé la directrice. Quant aux autres réserves nécessaires, en protections, gants, gel hydroalcoolique et médicaments : “on a du matériel, mais on ne le gaspille pas. Car nous pourrions manquer de certains médicaments si l’épidémie prenait de l’ampleur”.

 

“Il faut que nous soyons tous en pleine action à Mayotte, mais pour cela nous devons avoir confiance en la machine”

Réunis en audioconférence durant le week-end, les différents syndicats de l’île ont décidé de “tirer la sonnette d’alarme sur la situation sanitaire et socio-économique de l’île occasionnée par la survenue sur notre territoire de l’épidémie de Coronavirus” auprès des autorités en charge de la gestion de crise. Djoumoi Djoumoy Bourahima, président de l’union départementale CFE-CGC et porte-parole du collectif syndical revient ici sur le manque de transparence dénoncé et qui a prévalu à la démarche.

Flash Infos : Qu’est-ce qui a poussé vos différents syndicats, habituellement en désaccords sur de nombreux sujets, à vous réunir autour d’une lettre ouverte à l’attention des autorités ?

Djoumoi Djoumoy Bourahima : Nous avons souhaité organiser un moment d’échange et de partage entre nous sur les différents regards que nous pouvons porter quant à cette crise. L’idée commune était de signifier que dans ce moment extrêmement compliqué que nous traversons, nous souhaitions unir nos efforts pour apporter une plus value à la gestion de crise si possible, mais surtout pour s’assurer que nous soyons tous bien au courant de ce qu’il se passe afin de pouvoir en rendre compte le mieux possible à ceux que nous représentons et qui nous interpellent.

FI : Vous semblez pointer du doigt une certaine opacité dans la manière dont est gérée la crise. Sur quoi cette suspicion se base-t-elle ?

D. D. B. : Nous sommes des acteurs proches de la population et des salariés que nous représentons. Dans ce cadre, nous sommes en prise avec le territoire et les remontées du terrain nous font parfois froids dans le dos. Entre ces remontées et le discours des autorités, nous ne pouvons que constater qu’il y a des trous dans la raquette et nous considérons qu’il est de notre devoir de lever le voile afin d’instaurer la confiance nécessaire à la bonne gestion de la crise.

Par exemple, les informations que nous délivre le personnel du centre hospitalier et de tout le personnel soignant en général ne collent pas avec les informations délivrées par l’ARS quant au matériel disponible. Puisque nous sommes en guerre, il faut être pleinement conscient des armes dont nous disposons, c’est essentiel. Et s’il en manque, il faut pouvoir en réclamer. Mais pour cela, encore une fois, il faut que l’information soit transparente.

Autre exemple : la gestion des morts qui est une question essentielle dans cette crise. Quand on se penche concrètement sur l’organisation qui a été mise en place autour des deux décès survenus, on se rend compte que les familles ont été livrées à elles-mêmes sans accompagnement, sans organisation, alors que c’est un sujet très sensible. Qui fait quoi dans ce cadre ? Le manque d’organisation est palpable et inquiétant. Sur ce point, par exemple, je propose la mise en place d’une brigade mortuaire qui permettrait que tout se passe dans les meilleures conditions avec les réalités du terrain.

De manière générale, il faut aller au-delà du verbe et prouver par une information transparente que l’on peut faire confiance à une organisation. Parler de confinement ne suffit pas. L’apparition du virus est venue siffler le temps de la récréation, le temps est trop court pour fonctionner sur les schémas habituels. Il faut que nous soyons tous en pleine action, mais pour cela nous devons avoir confiance en la machine. Et si celle-ci doit être renforcée, il faut le dire. Ce qui signifie, sur le terrain, mobiliser les bonnes volontés et à l’échelle du gouvernement tirer la sonnette d’alarme. Mais pour l’heure, le manque de transparence et les exemples évoqués ne font que renforcer les doutes sur l’organisation.

FI : Au-delà d’une information plus claire, que faudrait-il faire pour que la gestion de crise colle au mieux aux réalités du terrain et qui pourrait y prendre part ?

D. D. B. : Je pense qu’il faut absolument qu’il y ait des interlocuteurs identifiés dans chaque quartier. L’administration est trop éloignée des gens. Il faut des personnes pour expliquer ce qu’il se passe concrètement, des personnes vers qui se tourner en cas de questions. Sinon, c’est la foire à la rumeur, car la confiance envers les autorités n’est pas toujours acquise. Trop peu de personnes sont correctement informées, mais il faut aller à leur rencontre. Pour tant de jeunes qui sont éloignés des structures, cela pourrait passer par les réseaux sociaux par exemple.

Si nous sommes en guerre, il faut sonner la mobilisation générale et que tous les acteurs prennent leur part de responsabilité. Il faut que l’information soit tant verticale qu’horizontale, afin que chacun dans ses responsabilités ait les moyens d’agir. Dans ce cadre, je pense qu’il faut que les autorités fassent confiance aux élus locaux comme les maires afin qu’ils puissent en lien étroit prendre des initiatives qui répondent aux besoins du terrain. Par exemple, les maires pourraient décider d’un lieu d’accueil et de désinfection des personnels soignants avant qu’ils ne rentrent chez eux et prennent le risque d’y contaminer leur famille. Ce sont des choses simples, mais qui pourraient être d’une grande utilité, surtout quand on voit la proportion de ces travailleurs dans les personnes contaminées.

Il faut que toute cette grande machine se mette en marche dans la confiance, mais aujourd’hui, nous sommes encore loin du compte.

FI : Les différents responsables à l’origine de la lettre ouverte seraient-ils prêts à prendre part à cette gestion de la crise ? Le collectif des citoyens de Mayotte qui dit être associé à la démarche menace d’actions en justice, n’est-ce pas contradictoire avec la mobilisation générale que vous appelez de vos vœux ?

D. D. B. : Si aujourd’hui, les autorités jugent notre participation utile, nous répondrons évidemment présents. Mais ce qui nous importe dans un premier temps, c’est de nous assurer que notre population est protégée afin de pouvoir à notre tour la rassurer. Pour cela, je le répète, il est indispensable que la confiance règne et que l’information soit transparente. Nous avons conscience des enjeux, mais considérons que tout l’arsenal qui existe doit être mis en place. Dans ce cadre, l’intersyndicale est bien sûr ouverte à prêter main-forte pour y veiller.

Concernant une éventuelle action en justice, nous n’en sommes pas à ce stade. Nous sommes plutôt dans une logique de jouer “le tout pour le tout” afin de sauver les meubles. Nous sommes avant tout dans la construction, dans l’intelligence collective afin de protéger au mieux notre population plutôt que d’envoyer des pics à tel ou tel responsable. Mais nous devons être entendus.

 

Pour Ahmed, “la pauvreté à Mayotte n’existe pas quand on ne la voit pas”

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À Mayotte depuis 2016, Ahmed et sa femme n’ont pas attendu la propagation du Coronavirus pour distribuer des kits alimentaires aux populations les plus défavorisées. Depuis plus de trois ans, le couple alloue 200 euros par mois pour venir en aide à quatre familles situées dans le quartier de La Vigie, en Petite-Terre. À ses yeux, le véritable secret d’un élan de solidarité efficace est un canal direct entre les donateurs et les receveurs.

Alors que les communes et les autorités se plient en quatre pour mettre sur pied une distribution alimentaire efficace, dans le respect des gestes barrières, certains habitants prennent des initiatives individuelles pour venir en aide aux populations les plus défavorisées. C’est le cas notamment d’Ahmed et son épouse, qui au passage n’ont pas attendu la propagation du virus et le confinement pour faire preuve de solidarité. “Cela s’appelle la Sadaqa dans la religion musulmane”, précise-t-il en toute humilité. En arrivant à Mayotte en 2016, le couple d’enseignants s’interroge sur la manière de rendre service aux plus démunis. Le déclic intervient quelques mois après leur arrivée sur l’île aux parfums lorsqu’ils se rendent compte que l’une de leurs élèves n’a plus de chaussures et de cahiers… “Nous avons alors décidé de donner de l’argent à un ami qui allait directement dans les bangas.”

Rapidement, ils décident de se rendre directement sur place, dans le quartier de La Vigie, pour découvrir la réalité du terrain et faire connaissance avec les habitants. “Ma femme et moi avons la chance d’avoir un travail, donc tous les mois, nous allouons un budget de 200 euros pour confectionner des kits alimentaires que nous distribuons à quatre familles”, confie-t-il, un peu timoré à l’idée d’évoquer cette entraide. Un lien fort se tisse tout naturellement entre cette classe sociale qui a les moyens et celle qui n’a rien. La barrière de la langue se révèle être anecdotique, les uns comme les autres échangent simplement “en montrant des objets ou en faisant des signes”. “Quand nous allons chez eux, nous ne sommes plus des profs, mais des amis. Ce sont des relations extraordinaires. À chaque fois que nous nous rencontrons, c’est un plaisir ! Nous voyons grandir ceux que nous avons eus à l’école. Et s’ils ont un problème, ils savent qu’ils peuvent compter sur nous”, relate Ahmed, avec une empathie certaine. Une générosité que savent leur rendre en classe les enfants. “Ils travaillent et s’investissent davantage. Les tout petits sont beaucoup plus éveillés avec ma femme, ils font l’effort de parler en français par exemple.”

“Ils se sentent beaucoup plus visibles”

Avec le début du confinement, tout bascule. Les rencontres comme les besoins alimentaires. “Avant, nous restions manger ou alors nous partagions un verre ensemble. Un moment durant lequel nous parlions de tout et de rien. Depuis, nous nous contentons de donner les colis et de partir”, souligne-t-il, avec un pincement au cœur. Mais pour cette tranche de la population, l’annonce des mesures drastiques en termes de restriction de déplacement les enfonce encore davantage dans la misère. Le riz, les sardines et les coulis de tomate ne suffisent plus pour survivre à l’intérieur de quatre tôles… “Ils se sentent beaucoup plus visibles comme il y a moins de monde dans les rues.” Faute de documents en règle, il leur est impossible de se déplacer pour aller chercher de l’eau ou même de se rendre dans une pharmacie pour acheter des médicaments.

Si Ahmed agit de son propre chef, il se rend bien compte des difficultés rencontrées par son entourage qui souhaiterait prendre le même chemin que lui. “La solidarité est réelle, mais les gens ne savent pas comment aider.” Selon lui, la défiance à l’égard des institutions et des associations ne leur donne pas envie d’emprunter cette voie officielle. “Quand je propose d’acheter des kits, ils acceptent

de participer, car ils ont trouvé un canal direct. Malheureusement, la pauvreté n’existe pas quand on ne la voit pas…”

 

Avec le confinement, les demandeurs d’asile à Mayotte prisonniers du désespoir

Habitués à une galère quotidienne en espérant, un jour, obtenir le précieux statut de réfugiés, les demandeurs s’asile vivent le confinement comme un nouveau fléau. Les empêchant de se nourrir et d’alimenter encore un peu leur foi en une vie meilleure.

« On nous dit que le confinement va nous protéger contre le coronavirus mais nous allons mourir de faim ! Quelle sera l’importance du confinement si c’est pour nous retrouver morts dans nos maisons à la fin de l’épidémie ? », se désole Marie-France. Devant l’association Solidarité Mayotte qui vient en aide aux demandeurs d’asile du territoire, le trottoir ne s’est pas dépeuplé malgré le confinement et un service réduit de l’organisation. Mais aux difficultés quotidiennes que l’on retrouve habituellement chez ces personnes, une nouvelle détresse est venue se greffer. « Avec le confinement, c’est devenu tellement dur, nous souffrons énormément. Même quand on sort pour aller chercher les bons alimentaires on se fait arrêter par la police. Il n’y a pas moyen de vivre… », poursuit encore Marie-France, arrivée du Congo le 30 janvier avec son enfant de deux ans. Le regard perdu sur le goudron qui chauffe au soleil, la jeune maman raconte comment jusqu’à présent, elle parvenait à se débrouiller tant bien que mal pour survivre. Dans l’espoir, un jour, de décrocher le statut de réfugié que nombre de ses compatriotes espéraient trouver à Mayotte.

« Avant je vendais des chouroungou [des oignons] pour essayer de s’en sortir un peu mais maintenant ce n’est plus possible. La police est partout pour nous empêcher de le faire et quand ils nous attrapent ils nous mettent de grosses amendes même si je ne sais pas comment on pourrait les payer. Nous n’avons plus rien. Par exemple je n’ai qu’une seule tenue, je dois attendre qu’elle soit sèche pour pouvoir sortir de chez moi », emboîte Séraphin, qui a posé le pied en terre mahoraise après le même chemin d’exil que Marie-France. « On essaye de s’adapter à la vie de Mayotte même s’il y a beaucoup de difficultés. Vous savez quand on vient d’aussi loin, on ne connaît personne, il n’y a pas quelqu’un pour nous accueillir. S’intégrer est donc très compliqué. Chez Solidarité Mayotte il y a quand même un peu d’accompagnement. Pendant un mois, on nous loge et puis on nous accompagne avec des bons de 30 euros par mois. C’est toujours ça mais ça reste très peu car la vie ici est très chère », témoigne le demandeur d’asile.

« Il n’y a plus d’avenir, plus d’espoir. Juste la souffrance »

Alors, pour survivre, c’est la débrouille. « D’habitude on sort pour trouver de quoi gagner un tout petit peu d’argent, trouver à manger et de quoi payer le loyer ». Une lutte quotidienne rendue impossible par le confinement. « Ces derniers jours, c’est devenu encore plus compliqué « On ne trouve pas à manger, on ne voit personne et c’est aussi très dur pour le moral d’être aussi isolé. C’est très compliqué. On n’arrive plus à trouver de quoi payer le loyer de la colocation, il n’y a pas moyen. Nous n’avons plus rien et nous sommes tellement seuls », confie le trentenaire, en maillot de football mais sans équipe, assurant que pendant ce temps « nos dossiers à l’Ofpra n’avancent pas, on nous a oublié. » Solidarité Mayotte s’est en effet vue contrainte de se concentrer sur ses missions les plus urgentes, comme l’hébergement et la distribution de bons pendant cette période inédite.

Marie-France aussi, se sent abandonnée, avec son enfant. « La vie est devenue extrêmement compliquée. Avec les bons de 30 euros par mois ça ne suffit pas du tout, surtout que mon enfant est malade, il a une constipation terrible et il faut que je puisse lui donner les bonnes choses à manger pour que ça s’améliore », se désole-t-elle encore. « J’ai peur. Avant on pouvait penser un tout petit peu à l’avenir et se battre pour nos demandes d’asile. Ça donnait un peu d’espoir même si on ne se fait plus trop d’illusions. Maintenant il n’y plus d’avenir, plus d’espoir, juste la souffrance », lâche tristement Séraphin. Autour de lui, quelques compatriotes venus l’écouter acquiescent en silence dans une détresse commune.

 

La petite enfance, le budget qui fait sortir de ses gonds l’élu en charge des finances

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Un mois après jour pour jour le débat d’orientation budgétaire, les élus du conseil départemental se sont réunis vendredi dernier pour voter le budget primitif de l’année 2020. Phénomène rare, le président de la commission finances a conjuré ses collègues de ne pas donner son aval sur le budget petite enfance. Une suspension de séance a finalement remis les esprits en ordre de marche.

« Je vous en conjure, le budget petite enfance ne peut être voté en l’état. » Ce cri de désespoir ne vient ni plus ni moins du président de la commission finances, développement économique et touristique au Département, Ben Issa Ousséni. Réunis en séance plénière autour du budget 2020, les quelques élus présents à l’hémicycle Bamana vendredi dernier « tombent » de leur chaise en entendant leur collègue prononcer cette phrase. En cause : 55 millions de dépenses, dont 26 millions d’euros de masse salariale, pour seulement 24 petits millions de recettes. Pour le Monsieur chiffres de la collectivité, l’opération mathématiques parle pour elle-même… « On a un train de vie de l’ordre de 11 millions d’euros par an (qui correspond aux charges de gestion générale, ndlr) », ajoute-t-il. Pour lui, il apparaît tout simplement inconcevable d’appuyer cette réalité. À ce rythme-là, « on met en danger la structure petite enfance qui serait amenée à crever dès 2021 », plaide-t-il, en n’hésitant pas à bomber le torse pour donner corps à sa voix grave. Face à ce constat, il implore les conseillers départementaux à la raison. Leur rappelant au passage que les compensations financières de l’État ne sont toujours à la hauteur des attentes. « Je vous remercie, que chacun prenne ses responsabilités, moi j’ai pris les miennes ! »

À peine son micro éteint, que le directeur général des services, Mahafourou Saidali, s’empresse, sur ordre du 2ème vice-président du Département, Issoufi Ahamada, d’apporter quelques nuances sur les faits exposés. Par exemple, sur les 11 millions d’euros, 7 sont utilisés pour financer les vaccins. Quant à la masse salariale, une bonne partie du montant serve à rémunérer les familles d’accueil des enfants en difficulté. Et pour tenter d’atténuer les tensions, celui-ci poursuit son argumentaire en évoquant « un besoin initial de 71 millions d’euros en fonctionnement ». Une remarque qui fait bondir Ben Issa Ousséni, qui ne peut s’empêcher de réagir frontalement. « Le monde économique est en train de se liquéfier et on préfère vivre au-dessus de nos moyens ! Je ne veux pas être celui qui laisse un déficit de la sorte à nos successeurs », assène-t-il de plein fouet à son auditoire, tel un boxeur prêt à porter un coup fatal à son adversaire. Trop peu pour Issoufi Ahamada qui esquive l’uppercut et saute sur l’occasion pour rappeler à l’ordre son collègue. « Vous avez pris la parole à la hâte sans qu’on vous la donne. On vous a déjà écouté avec beaucoup de respect. À votre tour d’écouter nos techniciens en ce qui concerne les budgets. On a compris que vous défendiez le monde économique. Chacun a ses priorités ! Le débat doit être mis sur la table et tranché de manière équitable pour que la population comprenne les mesures prises. »

Une mission de contrôle de gestion diligentée

La bataille des mots fait rage. Et les réactions se multiplient. Mohamed Sidi monte alors sur le ring pour tenter de désamorcer la bombe qui plane au-dessus des entreprises mahoraises… Alors que le

Medef Mayotte estime les besoins entre 10 et 20 millions d’euros pour venir en aide aux sociétés impactées par le Coronavirus, le Département s’engage à leur mettre à profit les 14.7 millions d’euros de cotisations directes. De quoi calmer les ardeurs de Ben Issa Ousséni ? Pendant un moment, peut-être. Mais cette intervention ne semble pas convaincre l’élue de Tsingoni, Fatimatie Bintie Darouchi Razafinatoandro, qui propose de reporter le vote du budget au mois de juillet. « Je vous demande d’ajourner ce rapport pour nous donner de la visibilité », souffle-t-elle. Une proposition balayée d’un revers de la main par Issoufi Ahamada, qui explique que sans ce vote, il ne sera pas possible de réaliser les actions imaginées ces dernières jours, comme les mesures d’urgence en période de Coronavirus. Pour trouver un arrangement satisfaisant pour tous, le président du groupe de la majorité, Ali Debré Combo, propose une suspension séance de cinq minutes pour en débattre à l’abri des regards indiscrets… Et comme bien souvent dans ce genre de situation, une réunion à huis clos aboutit toujours à un terrain d’entente ! Pour preuve : « Il est de notre devoir et de notre responsabilité de tenir compte des observations des uns et des autres. Mais on ne doit pas omettre la crise mondiale qui appelle à des mesures d’urgence pour pouvoir soulager notre population. [Celles-ci] ne peuvent être mises en œuvre si on fait un blocage sur le budget. » Seule condition pour aller dans ce sens ? Qu’une mission de contrôle de gestion soit diligentée sur le budget annexe petite enfance pour étudier toutes les possibilités pour le ramener à un montant jugé raisonnable et que le DGS présente d’ici deux mois une décision modificative pour prendre en considération les débats du jour… Suffisant pour redonner le sourire à tout le monde ? Oui, à l’exception de Ben Issa Ousséni qui décide de s’abstenir.

 

Le baccalauréat mis à l’épreuve

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Après de nombreuses spéculations concernant les modalités du baccalauréat de cette année, le ministre de l‘éducation nationale et de la jeunesse a finalement levé le mystère vendredi dernier. Le contrôle continu est l’unique option retenue. Un soulagement pour le recteur de Mayotte et les syndicats.

“Il n’est pas possible que les élèves puissent passer le baccalauréat dans les conditions qui étaient celles des années précédentes”, annonce d’emblée Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Le ton est lancé : les différents examens prévus cette année auront comme un goût d’exception. Environ 2 100 00 candidats sont concernés sur toute la France, à Mayotte ils avoisinent les 12 500. Une solution rapide et efficace était donc de rigueur. Jean-Michel Blanquer a décidé que l’obtention du baccalauréat, et de tous les autres diplômes, sera validé en contrôle continu. La solution mixte qui consistait à faire passer comme à l’accoutumé certaines épreuves aux élèves et de faire passer le reste en contrôle continu a dans un premier temps été envisagée. Cependant le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse a l’a écartée car il “ne peut pas garantir la tenue des épreuves écrites et la situation est encore incertaine”. En effet, il est encore très prématuré d’assurer une date exacte de la reprise des cours même si la période du début du mois de mai est très souvent évoquée. “À l’heure actuelle ce n’est qu’une hypothèse” rappelle le ministre.

Cette annonce a sonné comme un soulagement auprès du recteur de Mayotte. “C’est ce qu’on espérait parce que le contrôle continu va nous permettre de travailler dès la fin du confinement. La préparation des examens déstabilise les cours normaux, on aurait perdu du temps alors que les élèves ont déjà perdu des semaines de cours”, explique Gilles Halbout. La Fédération des Conseils de Parents d’élèves des écoles publiques (FCPE) est également satisfaite de la décision. “Cette solution, sans doute imparfaite, était à notre sens la moins mauvaise” indique-t-elle dans un communiqué.

Des exceptions à l’exception

Le contrôle continu est cependant soumis à certaines conditions. Toutes les notes des trois trimestres seront comptabilisées à l’exception de celles obtenues pendant la période de confinement “parce que tous les élèves ne sont pas logés à la même enseigne” précise le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Le ministère a donc pris en compte le fait que tous n’ont pas l’appui ou le matériel nécessaire à la maison pour assurer une continuité pédagogique. Et une fois de plus, c’est une décision que salue le recteur de Mayotte. Ici, probablement plus qu’ailleurs en France, une partie des élèves n’a pas accès à internet en dehors des établissements scolaires. Le contrôle continu sera très étroitement lié à l’assiduité des élèves. Si habituellement en France les mois de mai et juin sont synonymes de souplesse, ça ne sera pas le cas cette année. “On doit s’assurer qu’il y ait un maximum de semaines de cours après le confinement afin de rattraper les semaines de cours perdus actuellement”, développe Jean-Michel Blanquer. Les concernés devront donc aller à l’école jusqu’au 4 juillet, date officielle des vacances, s’ils veulent avoir leurs diplômes. Gilles Halbout ne s’inquiète pas pour les élèves mahorais sur ce point, “Ils sont beaucoup plus assidus que dans certaines académies en métropole donc il n’y a pas de soucis à ce niveau.”

Un jury d’harmonisation sera également mis en place et son rôle est crucial. Il garantira l’égalité de chances parmi tous les élèves. Le ministre explique qu’il aura pour mission d’“étudier les livrets scolaires, valoriser l’engagement, le progrès de l’élève et garantir

l’équité entre les candidats.” La FCPE porte tous ses espoirs sur cette commission d’harmonisation. “Il vont devoir prendre en compte le fait que les notations des 1er et 2e trimestres n’avaient pas pour objectif l’obtention du diplôme. Nous leur demandons une bienveillance accrue, en particulier pour les élèves qui manquaient d’assiduité compte tenu du contexte social du pays depuis décembre.”

“Ce bac sera un véritable bac”

Dans ce grand chamboulement, une épreuve est cependant maintenue, provoquant l’incompréhension de certains. Les élèves de première passeront bien l’épreuve orale du bac de français, avec cependant moins de textes que prévus. “Les élèves prennent une après-midi pour passer l’oral puis retournent en cours. On n’arrête pas de travailler pour cette preuve”, justifie le recteur de Mayotte. Les sessions de rattrapages du baccalauréat auront également lieu. Les candidats qui obtiendront une moyenne comprise entre 8 et 10 pourront se rattraper en juillet comme les années précédentes. Et la session de septembre habituellement consacrée aux élèves ayant été malades durant l’année scolaire sera également ouverte “aux candidats libres et aux élèves ayant obtenu moins de 8 de moyenne sous autorisation du jury d’harmonisation”, souligne Jean-Michel Blanquer.

Toutes ces mesures seront appliquées dans toute la France et les lycées français de l’étranger. Depuis la création du bac en 1808, les épreuves n’ont jamais été annulées, alors l’enjeu est majeur. Le ministre n’a qu’un seul objectif, “garantir la qualité et l’équité du baccalauréat. Ce bac sera un vrai bac.”

 

À Mayotte, l’environnement remercie le confinement pour ses bienfaits

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Même si le confinement met à mal l’économie et le moral de certains, il a des effets positifs sur l’environnement. Il est encore difficile de les mesurer de manière précise, mais il suffit de respirer l’air frais, d’ouvrir grand ses oreilles ou de regarder le ciel pour s’en rendre compte.

C’est une image qui a surpris le monde entier. Il y a quelques jours des canards se promenaient dans les rues de Paris. Nul doute, le confinement a bel et bien des effets positifs sur l’environnement. À Mayotte, cela se caractérise par le chant plus audible des oiseaux qui rythme nos journées, ou par un ciel plus clair qui permet d’observer distinctement les étoiles. L’une des conséquences instantanées de cette mise en quarantaine est le changement du paysage sonore. Le bruit du trafic humain et routier a laissé place au doux chant des oiseaux. “Il suffit de se mettre à sa fenêtre pour se rendre compte de la grande biodiversité de l’île. Tout le monde peut observer les oiseaux qui sont plus présents”, sourit Émilien Dautrey, directeur de l’association Gepomay qui lutte pour la protection des oiseaux à Mayotte. En effet, selon Jérôme Sueur, éco-acousticien au Muséum national d’histoire naturelle, “le bruit est source de stress, de fatigue, de dérèglements physiologiques, de perte de vigilance face aux prédateurs… Il est donc raisonnable de penser qu’un cadre sonore calme, dépollué, puisse augmenter la survie des animaux chanteurs, faciliter leur reproduction, et conduise à des environnements naturels en meilleur état.” Sur notre île, une espèce d’oiseaux est particulièrement en danger. Il s’agit du Sterne qui est très sensible au dérangement. “Un quart de la population de ce type d’oiseaux vient se reposer à Mayotte chaque année, mais ils sont dérangés par les touristes. S’ils ne sont pas bien reposés, ils ont du mal à se reproduire”, alerte Émilien Dautrey. Le confinement est donc positif pour eux.

Les effets se font également ressentir sur l’air. Selon l’association Hawa Mayotte qui observe la qualité de l’air chez nous, “Depuis le confinement, les mesures de particules fines en situation trafic montrent une baisse d’environ 20 % par rapport à la semaine précédente du confinement.” Cette baisse pourrait être supérieure à 20 % selon l’association puisque la semaine de référence était une semaine de vacances, le trafic était donc déjà réduit.

Il est cependant encore prématuré de mesurer de manière précise l’impact du confinement sur la faune et la flore. “On ne peut pas le faire parce qu’on ne peut pas se déplacer. Mais nous pouvons supposer que la diminution de la pression humaine augmente le périmètre de déplacement des espèces”, explique Michel Carpentier, président de l’association Les Naturalistes.

Quelle sera la suite ?

Même si le confinement a sans aucun doute des conséquences positives déjà visibles sur l’environnement, tous les scientifiques s’accordent à dire que cela ne retardera pas pour autant le réchauffement climatique. Le simple fait d’arrêter les émissions de gaz carbonique sur une courte période n’est malheureusement pas suffisant. Certains craignent même une reprise trop brusque de l’activité. Cela ferait exploser les compteurs des émissions de CO2. Il est donc indispensable de s’interroger dès à présent sur le modèle de développement que nous voulons adopter, comme l’a suggéré le président de la République lors de son allocution du 12 mars. “Quand on reviendra à la normale, il ne faudra pas que chacun se précipite sur sa voiture. Nous devons réfléchir sur un modèle de développement qui aura impact minime sur l’espèce humaine et sur l’environnement. Il faut donner plus de moyens au développement d’énergie non fossile afin de limiter le recours aux hydrocarbures”, préconise Michel Carpentier. En d’autres termes, il est temps d’accorder plus d’importance aux énergies renouvelables. Chacun peut également contribuer à son niveau au changement. Après le confinement, il serait plus judicieux de ne pas aller chercher le pain en voiture, de privilégier le covoiturage, le vélo ou la marche. Le président des Naturalistes conseille de “profiter de ce grand chamboulement pour réfléchir à notre rapport à la nature. On a l’impression qu’elle est une ressource inépuisable alors que ce n’est pas le cas”. Si chacun applique ces quelques gestes, la nature sera probablement déjà reconnaissante et elle nous le rendra.

 

Gilles Halbout : “Nous avons beaucoup de volontaires mobilisés à Mayotte

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À l’annonce du confinement, le président de la République demandait aux enseignants qui le souhaitent d’accueillir les enfants du personnel soignant dans les écoles publiques, contre rémunération, afin de maintenir les effectifs hospitaliers au plus haut niveau. Deux semaines après l’activation de ce dispositif, Gilles Halbout, recteur de Mayotte, en dresse les contours sur son application locale.

Flash Infos : Comment s’organise le dispositif à Mayotte ?

Gilles Halbout : On accueille actuellement une quinzaine d’enfants dans deux écoles primaires, celle de Cavani et l’école annexe de Mamoudzou. Au départ, quatre établissements avaient été ouverts, ce qui n’était finalement pas nécessaire au vu du nombre d’élèves accueillis. Mais ce nombre augmente vite : jeudi, 18 élèves ont été accueillis, et nous en attendons six à huit de plus d’ici lundi. En conséquence, nous allons ouvrir le collège de Dembéni et les écoles de Labattoir et de Majicavo Lamir dès la semaine prochaine. Les primaires pourront parfaitement être accueillis en collège, et inversement. Nous nous fixons une limite de 10 élèves par établissement afin de pouvoir respecter les gestes barrières. Concernant le nombre d’enseignants mobilisés, cela peut varier d’un jour à l’autre selon les disponibilités de chacun. En moyenne, cinq ou six professeurs interviennent en ce moment, ce qui représente un petit nombre d’élèves pour chaque encadrant ! Depuis le début du dispositif, une dizaine d’enseignants se sont mobilisés à tour de rôle, essentiellement des professeurs des écoles. Mais cela s’adresse à tous les enseignants, ainsi qu’aux professionnels du monde associatif pourvus d’un BAFA, surtout pour proposer des activités durant les week-ends, puisque le dispositif fonctionne 7j/7 et s’adresse surtout aux élèves de primaire et du “petit” collège, puisqu’on estime qu’aux lycées, les jeunes sont en mesure de rester seuls à la maison.

FI : Le nombre d’enfants accueillis paraît très bas comparativement au nombre de personnels hospitaliers sur l’île…

G. H. : Cela s’adresse aux familles qui ne peuvent pas faire autrement. Donc si les deux parents ne sont pas soignants ou ne travaillent pas dans les forces de l’ordre – le dispositif leur ayant été étendu, ndlr –, ça ne marche pas. Aussi, certaines personnes se sont organisées avec le voisinage ou des nounous auxquelles elles faisaient déjà appel. Mais en métropole, le dispositif accueille de plus en plus d’élèves puisque le personnel de santé et les forces de l’ordre sont de plus en plus mobilisés avec la montée en puissance du Covid-19, et c’est ce que nous attentons aussi ici. Nous pouvons d’ailleurs déjà commencer à l’observer.

FI : Les enfants accueillis suivent des cours à la façon d’une classe mixte. N’est-ce pas injuste et désavantageux pour les autres élèves, contraints d’étudier à domicile, alors que certains n’ont pas le matériel ou l’aide nécessaires ?

G. H. : C’est complètement injuste, je le reconnais et c’est assumé par le président de la République. En revanche, ce qui est juste, c’est que les personnels de santé aient droit à des conditions particulières, vu le contexte. D’ailleurs, ces mêmes professionnels sont plus touchés que les autres par l’épidémie, et on peut aussi considérer que leurs enfants voient moins leurs parents que les autres. C’est la solidarité de la nation qui prime. D’ailleurs, les enfants accueillis (à Mayotte, ndlr) sont quasiment tous dans des écoles privées en temps normal, mais on ne peut pas les refuser pour ça. L’école est une mission de service public, pour tous, et la priorité c’est d’aider les familles de soignants.

FI : Il a été demandé à tous les enseignants de rester mobilisés quotidiennement pour préparer leurs cours et les transmettre régulièrement aux élèves. Leur demander d’accueillir des enfants en sus de leur télétravail ne risque-t-il pas d’être contre-productif ?

G. H. : C’est un dispositif qui repose sur la base du volontariat : si quelqu’un peut donner une journée, il le fait. Et en ce moment, on doit compter sur la bonne volonté de chacun, c’est la bienveillance qui prime et c’est une volonté du président que de décharger au maximum les professionnels de santé. Mais cela permet aussi d’assurer le suivi des élèves. En tous cas, nous n’avons pour l’instant aucun souci concernant les bonnes volontés mobilisées. Je suis d’ailleurs assailli de mails d’enseignants qui veulent participer aux distributions alimentaires dans les établissements, et j’observe beaucoup de solidarité entre les professeurs et les élèves.

FI : Une solidarité tout de même rémunérée 50 euros par jour et jusqu’à 100 en week-end…

G. H. : Cette rémunération a été cadrée par l’État, nous ne pouvions pas aller à l’encontre de la mesure nationale ou passer la rémunération sous silence : si nous l’avions fait, cela aurait été un délit d’initié. Mais nous avions déjà beaucoup de volontaires qui s’étaient mobilisés avant même que le dispositif ne soit annoncé. Et d’un autre côté, est-ce que beaucoup d’enseignants changeraient d’avis pour 50 euros ? Je n’en suis pas sûr

 

 

La croix et la bannière pour ramener d’Anjouan deux personnes âgées vulnérables

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Les familles Ali* et Bacar* remuent ciel et terre pour faire rapatrier de l’Union des Comores leur mère et père respectifs, tous deux porteurs de pathologies graves. Mais ni la préfecture de Mayotte ni l’ambassade de France sur place ne semblent vouloir bouger le petit doigt dans l’immédiat. Or, leurs pronostics vitaux sont bel et bien engagés selon leurs enfants.

Pour les Ali, les vacances à Anjouan tournent au cauchemar… La fermeture des frontières et des liaisons aériennes les empêche de quitter l’île de l’archipel des Comores. Un casse-tête chinois, sachant que deux membres de la famille présentent des problèmes de santé inquiétants. Âgée de plus de 80 ans, la matriarche, habitante de Mayotte, doit se rendre à l’hôpital de Saint-Denis le 13 avril prochain pour changer les piles de son pacemaker. Problème : son vol, initialement prévu le 24 mars, a été reporté au 15 avril… Soit deux jours après son rendez-vous ! “Air austral nous a prévenu par texto le 17 mars, vers 20h”, dévoile sa fille, Amina, qui a laissé son mari et son enfant de 9 ans à l’île Bourbon où elle vit. “J’ai remué ciel et terre pour la ramener. Au bout de deux, trois jours, je me suis rendue avec ma sœur au Consulat de France. On nous a envoyées dans les roses”, s’indigne-t-elle, en expliquant avoir été escortées par la sécurité. Face à ce mutisme, elle lance un appel à tous les ressortissants français dans la même situation et les invite à se présenter devant le bâtiment officiel le mardi. “On a été reçus par des gendarmes, on n’a même pas pu rentrer sur notre propre sol”, crie-t-elle au scandale.

Ne constatant aucune activité à distance du stimulateur cardiaque, le médecin traitant basé à Majicavo Lamir s’inquiète et prend contact avec le cardiologue. “Il a rédigé un certificat médical pour la ramener dans les plus brefs délais pour suivre l’évolution de son cœur”, stipule Amina. Mais une nouvelle fois, la lettre reste morte. Une situation qui fait tout simplement exploser Sofia, l’autre fille, qui a réussi à s’entretenir au téléphone avec l’ambassadrice, Jacqueline Bassa-Mazzoni. “Notre dossier n’est pas considéré comme prioritaire, car on m’a fait comprendre qu’on était des Franco-Comoriens et surtout qu’on n’était pas blanches. Elle nous a dit d’arrêter de la harceler”, s’emporte-t-elle dans son combiné. “Alors qu’est-ce que je dois faire ? Je dois prendre un kwassa-kwassa pour rentrer à Mayotte ? Avant de mettre un pied à terre, ma mère serait déjà morte…” Un constant glaçant qui en dit long sur le désespoir des deux sœurs, qui ne savent plus vers qui se tourner pour trouver une solution. Seul conseil proposé par l’ambassadrice : se rendre chez le médecin de cette dernière, qui est en réalité un dermatologue… Toute la famille s’y présente mardi dernier. Tous tombent des nues en découvrant la véritable identité du professionnel de santé, qui n’a rien pu faire.

Risque de paralysie pour le père de la famille Bacar ?

Mais l’état de santé de la mère de la famille Ali n’est pas le seul préoccupant. Celui du père des Bacar n’invite pas non plus à l’optimisme. Atteint de rhumatisme, il doit se faire injecter un médicament chaque semaine. Sauf qu’il n’est tout simplement pas disponible à Anjouan et qu’il est impossible de l’acheminer par voie aérienne ou maritime vu le contexte sanitaire mondial… Dans une lettre adressée à l’ambassadrice en date du 21 mars, leurs fils mettent en lumière la situation actuelle. “Sans la prise de ce traitement, [notre] père est en danger et son pronostic vital sera engagé.” Une course contre la montre qui pourrait l’amener “à se retrouver en fauteuil roulant s’il ne se fait pas piquer dans les temps”. Sa situation est d’autant plus alarmante en période de Coronavirus. Si l’Union des Comores assure que le virus ne circule pas sur son territoire, la présence du Covid -19 dans la région n’incite pas à la confiance. “Les gens sortent, ils n’ont pas conscience du danger. Aucunes mesures barrières ne sont mises en place. En cas de Coronavirus, les Comoriens vont tomber comme des mouches”, s’inquiète Sofia, qui a peur pour la centaine de ressortissants français présents à Anjouan.

Pour celles et ceux qui espéraient un dénouement comme pour les voyageurs revenus le week-end dernier de Madagascar, il va falloir prendre son mal en patience. En effet, selon la préfecture, “il n’y a pas encore d’instructions pour un rapatriement des Français présents aux Comores”. Et visiblement, la réponse des autorités ne satisfait pas Sofia, qui monte sur ses grands chevaux : “Si le cœur de ma mère s’arrête, je déposerai une plainte pour non-assistance à personne en danger.” À ce jour, la date du 15 avril annoncée par Air Austral par SMS semble donc l’option la plus crédible.

* les prénoms et les noms de famille ont été modifiés pour ne pas leur porter préjudice

 

Les cambriolages alimentaires reprennent de plus belle à Mayotte

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Après plus de deux semaines de confinement, plusieurs enseignes de distribution ont fait l’objet de tentatives de cambriolages. Si les motivations des responsables restent à élucider, ces cambriolages alimentaires posent la question du manque de ressources pour une partie de la population, dépendante de l’économie informelle.

Des sacs de riz, des boîtes de mabawas, de la viande et des frites congelées, mais aussi des téléphones portables et sa toute nouvelle caisse enregistreuse. Pour Hawa, la gérante du Loulou Market de Tsoundzou II, le bilan des courses est lourd. Sa supérette alimentaire a fait l’objet d’un cambriolage dans la nuit de lundi à mardi. En deux ans d’ouverture, c’est la première fois que la jeune femme subit un tel préjudice, évalué à au moins quinze ou vingt mille euros… “C’est sans doute lié au confinement, ils se disent que les magasins sont fermés, que les gens ne sont plus dans les rues”, soupire-t-elle derrière son masque, un indispensable en ces temps d’épidémie. Une de ses vendeuses, qui a découvert le sinistre à l’ouverture le mardi matin, confirme que les voleurs ont “pris tout ce qu’ils pouvaient”, et notamment beaucoup de denrées alimentaires. Pour autant, Hawa doute que leur seule motivation ait été la faim : “si encore ils n’avaient pris que la nourriture, j’aurais pu comprendre, mais là ils ont même pris les timbres fiscaux !”, s’exclame-t-elle, dépitée.

Cupidité humaine, manque de ressources ? Difficile à ce stade, de déterminer les causes de cet acte de vandalisme. Une chose est sûre : il n’est pas le seul du genre depuis le début du confinement. “À la Somaco à côté aussi, je crois qu’ils ont eu un problème”, relaie la gérante du Loulou Market en indiquant la direction du magasin situé à quelques minutes de là. Même constat du côté de la Sodifram : le directeur d’exploitation Fahridine Mlanao confirme que la chaîne de distribution a fait l’objet de plusieurs tentatives de cambriolage, dont une à Dzoumogné où les voleurs sont parvenus à entrer dans le magasin avant de prendre la fuite. Car contrairement au Loulou Market, l’entreprise est davantage équipée pour faire face à ce genre de risques : la télésurveillance et les agents de sécurité suffisent généralement à faire fuir les voleurs. Pour autant, le directeur assure avoir pris l’annonce du confinement avec un sérieux tout particulier : “en effet, nous nous attendions à des vols plus fréquents avec le confinement, et encore plus avec le couvre-feu, car les cambrioleurs se sentent libres d’œuvrer en toute impunité, et à l’abri des regards”, développe-t-il. Un risque qui, ajouté au manque de ressources d’une partie de la population, n’a pas été oublié par les forces de l’ordre. “La police est venue nous voir, visiter nos sites et nos entrepôts pour mettre en place une surveillance et des rondes”, explique Fahridine Mlanao.

L’économie informelle en panne

Une anticipation bienvenue, donc, mais pas toujours suffisante. À Tsoundzou II, à Passamaïnty, à Kawéni… Bacar Attoumani, secrétaire départemental du syndicat policier Alliance, énumère les affaires de cambriolages survenues depuis deux semaines. Et confirme une recrudescence de ces actes dans les magasins alimentaires, sans pour autant s’avancer sur les motivations des responsables. “Plusieurs hypothèses sont évoquées. On ne sait pas s’ils volent pour se nourrir, ou pour aller revendre, car nous n’avons pas encore procédé à toutes les interpellations”, tempère-t-il. “Mais le confinement pose en effet la question de l’organisation de la société mahoraise, dont une partie de la population vit beaucoup de la vente à la sauvette, aujourd’hui impossible”.

Cette justification-là, sur une île où 84 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, n’est en effet pas à exclure. “Pour toute une frange de la population, le confinement entraîne des difficultés à trouver de quoi s’alimenter”, atteste Patrick Bonfils, le directeur de la direction régionale de la jeunesse, des sports, et de la cohésion sociale (DRJSCS). Avec l’interdiction de vendre sur les étals informels, c’est toute une partie de la population qui se trouve donc privée non seulement d’une potentielle source de revenus, mais aussi de ses moyens de subsistance. “Cette économie informelle, certes pas complètement légale, qui leur permet d’habitude de s’approvisionner en fruits et en légumes pour un moindre coût, est en panne”, poursuit le responsable, qui travaille justement à trouver des solutions pour éviter la crise. En coordination avec l’État, les CCAS, les communes, le rectorat et la Croix Rouge, la DJSCS a donc élaboré un service de distribution alimentaire pour les plus démunis, qui commencera ce vendredi avec une livraison de sacs pour les enfants, dans les différents établissements scolaires de l’île. Un vrai soulagement pour ces jeunes qui, comme nous l’évoquions dans une édition précédente du Flash Infos, dépendent souvent des collations données à l’école. Mais il aura fallu attendre plus de deux semaines après le début du confinement pour que la machine se mette en branle…

 

“Notre objectif est d’éviter toute rupture de service à Mayotte”

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La Caisse de sécurité sociale de Mayotte joue un rôle tout particulier à Mayotte. Celle-ci assure en effet diverses compétences allant du recouvrement des cotisations aux versements des allocations, en passant par le soutien à certaines associations. Des missions indispensables au territoire qui ne peuvent être mises entre parenthèses durant la crise du Covid-19. Ymane Alihamidi-Chanfi, directrice de l’organisme, détaille les mesures prises.

Flash Infos : La CSSM met en place plusieurs dispositifs de soutien durant la crise sanitaire. Ils sont notamment dédiés aux allocataires de la Caisse. En quoi consistent-ils ?

Ymane Alihamidi-Chanfi : Nous avons fait en sorte de garantir la continuité des droits. Le versement des prestations familles telles que le RSA, l’allocation adulte handicapée, les aides aux logements, etc., sont normalement soumises à une démarche mensuelle de l’allocataire afin que ce dernier puisse continuer à en bénéficier. Là, nous avons suspendu cette démarche afin que les prestations soient assurées de manière automatique jusqu’à que la crise soit finie. Les allocataires déjà connus n’ont donc rien à faire, même si ceux qui peuvent se déclarer en ligne sont encouragés à le faire tout de même. Cela sera ça de moins à rattraper par la suite. Nous avons par ailleurs avancé le versement au 4 avril. Normalement, c’est le 5 de chaque mois, mais ce mois-ci cela tombe un dimanche, et cela aurait donc reporté au 6. En décalant d’un jour, cela permet aux personnes titulaires d’une carte bancaire d’aller retirer, et à celles qui n’en ont pas d’aller au guichet le lundi. Nous avons prévenu la Poste et nous espérons que cela sépare un peu les personnes afin de contribuer au respect des gestes barrières. Nous avons 22.000 allocataires, mais 89.000 bénéficiaires avec les ayants droit, les conjoints, enfants, etc. Notre objectif est donc d’éviter la rupture des droits.

En ce qui concerne ceux que l’on pourrait appeler les potentiels allocataires – par exemple quelqu’un qui avait déposé un dossier qui n’est pas achevé –, ils peuvent toujours nous contacter au 02 69 61 91 91. Nous faisons le nécessaire à distance pour les accompagner, notamment dans la transmission numérique de leurs informations. Notre boîte aux lettres est par ailleurs toujours ouverte : on continue à traiter des dossiers papier.

D’autres priorités sont fixées, comme pour les indemnités journalières non subrogées, c’est-à-dire celles où l’employeur ne pratiquent pas le maintien de salaire : indemnité maternité de certaines femmes ou arrêts maladie classiques, car il y a toujours des gens malades au-delà du Covid-19.

C’est aussi le cas pour nos assurés, avec une prolongation de droits pour tous ceux qui sont en affection longue durée. Un diabétique, par exemple, doit déclarer sa situation validée par son médecin pour continuer d’avoir la prise en charge à 100 % de ses médicaments. Là, évidemment, ses droits sont prolongés. Idem pour l’exonération du ticket modérateur, qui concerne quelque 57.000 personnes : nous avons obtenu une prolongation automatique. Sans oublier les personnes âgées bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), qui sera versée à l’échéance habituelle, sans déclaration préalable. Notre objectif est d’éviter absolument toute rupture, mais si des usagers connaissent des déconvenues, ils ne doivent pas hésiter à nous contacter par téléphone ou par mail, à l’adresse pfs.cssm@css-mayotte.fr.

Enfin, nous travaillons avec le préfet et les collectivités pour envisager la continuité du versement de la prestation d’aide à la restauration scolaire. Des parents ont déjà réglé leurs participations, souvent des parents un peu démunis. Il faut donc faire au mieux et redistribuer aux familles qui ont déjà réglé leur part et qui sont en droit d’attendre un retour.

FI : Sur le volet entreprise, les mêmes mesures qu’en métropole sont appliquées à Mayotte. La CSSM est concernée, en particulier sur le report des échéances…

Y. A-C. : Oui, nous les avons reportées sans formalités, sans justificatif ni pénalité, au 15 juin. Les recouvrements amiables et forcés ont également été suspendus. Nous participons aussi à la cellule d’urgence pilotée par la CCI pour relayer les mesures nationales. Mais en cas de difficultés, les entreprises peuvent bien entendu continuer à nous contacter à l’adresse delaicovid976@scc-mayotte.fr. Nous tâchons d’être particulièrement réactifs avec une réponse dans les 24 à 48 h.

Nous mettons aussi l’accent sur les professionnels de santé : leur adresse contact est toujours fonctionnelle et nous avons ouvert une ligne directe vers eux. Ils sont sur le front, et nous sommes encore plus réactifs sur leurs questions, leurs blocages, leurs inquiétudes. Nous avons d’ailleurs fait en sorte qu’ils puissent bénéficier de la réquisition des places de crèches. C’est un public que l’on ne laisse pas de côté.

FI : La CSSM a aussi une branche associations, qui dépendent de votre soutien financier. Elles sont particulièrement mobilisées durant cette crise…

Y. A-C. : Oui : crèches, accueils collectifs de mineurs, pour les personnes âgées, l’aide à domicile, etc., ce sont des associations que l’on accompagne en temps normal. Le conseil de la Caisse va donc se réunir en urgence pour déterminer comment les accompagner dans cette période. Notre équipe d’action sociale est toujours en contact avec elles et avec les familles. Il faut que l’on puisse délivrer les aides pour que la population fragilisée en ce moment puisse se tourner vers ces structures sans qu’elles ne pâtissent d’un manque de moyens.

FI : Dans le contexte actuel, la CSSM joue un rôle clé. Comment avez-vous réorganisé vos services pour y faire face ?

Y. A-C. : Cela n’est pas facile, car nous avons démarré le 16 mars et nous sommes à peu près 300, avec une partie du personnel absente pour des raisons tout autre que le Covid-19 : arrêts maladie à cause de la dengue ou congés déjà planifiés. Sans compter que la CSSM possède toutes les branches de la sécurité sociale, ce qui démultiplie la complexité.

Toutefois, nous avons réussi à déployer plus d’un tiers des personnels en télétravail. Une partie est déjà équipée pour cela, une autre partie utilise encore du matériel personnel. Il nous a fallu identifier les activités prioritaires de la Caisse pour y parvenir, ses fonctions vitales : le paiement des prestations, l’encaissement des cotisations, même si c’est de manière modérée, et les aides aux associations.

Pour les activités “non prioritaires”, cela ne veut pas dire que les personnels ne travaillent pas : certains sont redéployés, d’autres sont en contact pour être équipés pour le télétravail, et on essaye de voir dans quelle mesure on pourrait leur apporter leurs ordinateurs fixes du travail afin d’assurer la continuité du service. Et nous réfléchissons encore à étendre ce télétravail dans les services où cela est possible, car cela apporte, selon les tâches à faire, un certain nombre de difficultés pour nos employés. On peut prendre l’exemple de nos téléconseillers, qui sont encore soit au siège soit à Kawéni. Nous essayons de les déployer à domicile, mais cela comporte des contraintes : répondre au téléphone avec des enfants qui sont eux aussi confinés à la maison, cela n’est pas des conditions optimales. Mais je sais que le public comprendra qu’on fonctionne en mode un peu “dégradé”, et que s’ils n’entendent pas très bien, ou qu’il y a un bruit de fond, ils n’en voudront pas à nos téléconseillers.

Un peu moins d’un quart du personnel est présent sur site, et en roulement pour des questions de sécurité sanitaire. Nous travaillons d’ailleurs avec toutes les portes ouvertes pour ne pas avoir à toucher les poignées ; nous avons distribué du gel hydroalcoolique, renforcé l’équipement en savons et en mouchoirs à usage unique ; et faisons des rappels réguliers sur les gestes barrières. Enfin, certains personnels ont été installés sur nos antennes à travers le territoire, en fonction de leur domicile, pour leur éviter le maximum de déplacements.

C’est un gros chantier, mais nous sommes accompagnés par nos caisses nationales et il faut souligner l’engagement vraiment très fort du personnel de la Caisse.

 

 

Le profil des malades se précise à Mayotte

La directrice de l’ARS a tenu hier une audioconférence pour faire le point sur l’avancée de l’épidémie de Coronavirus à Mayotte. Alors que les cas dépistés s’alourdissent chaque jour, l’épidémie ne semblerait pas se diffuser, selon Dominique Voynet, qui cite même un potentiel patient 0 identifié.

“Il n’y a pas de signe de diffusion de l’épidémie”, a prévenu d’emblée Dominique Voynet. Hier, la directrice de l’agence régionale de santé organisait une audioconférence pour dresser un état de lieux concernant le Covid-19 à Mayotte, plus de deux semaines après la confirmation du premier cas local. “Une analyse hâtive pourrait faire croire que le nombre de cas augmente”, a-t-elle d’abord projeté, alors que le jour même, 15 nouveaux malades étaient dépistés positifs, portant à 116 le nombre de personnes atteintes. “Nous sommes en train d’explorer des clusters préexistants”, a alors dévoilé Dominique Voynet, citant des foyers de contagions géographiquement délimités à travers l’île où plusieurs cas ont été détectés au sein de familles pourtant confinées, ainsi que chez les professionnels de santé, dont 25 sont actuellement touchés par la maladie. “Oui, on trouve des cas, mais ils ne signalent pas une dispersion ou une diffusion épidémique”, a assuré la directrice de l’ARS, avant de dévoiler un peu plus de détails sur les profils des différentes personnes touchées. 10 d’entre elles sont déjà officiellement guéries.

13 cas sont actuellement hospitalisés. Trois sont placés en réanimation, dont une nouvelle admission suite au décès d’un cinquantenaire testé positif, mais par ailleurs atteint d’un cancer et arrivé aux urgences dans un état de dénutrition avancé. Quelques jours plus tard, un second homme, cette fois âgé d’une soixantaine d’années, n’a lui, pas eu le temps d’arriver en réanimation. Également contrôlé comme porteur du Coronavirus, ce patient qui présentait de lourds problèmes respiratoires est décédé avant de pouvoir intégrer le service de réanimation, duquel personne n’est encore sorti guéri. “Ce ne sont pas des morts à imputer au Covid-19”, a insisté Dominique Voynet. Les dix autres hospitalisations relèvent elles du service de médecine générale, une section dans laquelle “on n’est pas saturés du tout”. Une bonne nouvelle, à laquelle pourrait bientôt s’en ajouter une seconde.

Après plusieurs minutes de prise de parole, la cheffe de l’ARS a fini par lâcher une petite bombe : “Nous sommes en train de tourner autour d’une personne qui pourrait être le patient 0 à Mayotte.” Sans trop dévoiler de détails, Dominique Voynet a ainsi expliqué que cet homme serait rentré de voyage d’une destination qu’elle ne mentionnera pas, et qu’il aurait été cité comme cas contacts avec “tous les autres cas retrouvés ensuite”, alors qu’il n’était lui-même porteur d’aucun symptôme. À ce propos, l’agence régionale de santé a précisé d’ailleurs qu’une “majorité écrasante” des cas serait issue de contacts avec d’autres voyageurs ou dans un cadre professionnel.

Concernant les zones géographiques, Dominique Voynet a refusé, au nom du secret médical, de dévoiler les communes les plus touchées en dehors du Grand Mamoudzou. En revanche, elle a confirmé que deux cas de femmes enceintes contaminées étaient avérés et faisait l’objet d’un suivi médical régulier, bien que leur état de santé soit stable. Par ailleurs, deux cas de co-infection à la dengue et au Coronavirus ont également été dépistés, les premiers du genre à Mayotte. Chez les plus jeunes, deux enfants issus de familles confinées, mais contaminées ont été testés positivement, mais là encore, “il n’y a rien d’alarmant à signaler”, selon l’ARS.

Du matériel et des effectifs

Plus tôt dans la semaine, le ministre de la Santé a annoncé que Mayotte et la Guadeloupe seraient prioriaitres concernant le déploiement de la réserve sanitaire. En conséquence, l’ARS a sollicité un renfort de 26 professionnels “indispensables”, en réanimation, aux urgences, en pharmacie, en biologie ou encore en logistique afin de renforcer l’ensemble des différents secteurs. “L’idée n’est pas de transformer l’hôpital en vaste service de traitement du covid, mais de renforcer des secteurs, même ceux qui ne sont pas au cœur du réacteur”, a garanti Dominique Voynet. D’autres effectifs, bloqués après avoir accompagnés des évacuations sanitaires à l’extérieur de l’île devraient également bientôt pouvoir regagner Mayotte, alors que des “renforts” ont également été recrutés.

Concernant le réapprovisionnement en matériel, Dominique Voynet a précisé qu’une citerne en oxygène devrait être livrée à Mayotte dans les prochains jours, et a estimé que le matériel couramment utilisé ne nécessite pas l’affrètement d’un porte-hélicoptère, faisant explicitement référence au Mistral, qui a mis le cap sur la région. À propos des masques, le CHM dispose actuellement de dix jours d’avance en termes de stocks, auxquels s’ajoute une nouvelle commande “avec garantie de livraison”. Les tests, eux, sont “suffisants pour notre rythme actuel, sous réserve que le fret arrive bien à temps”. Un nouvel arrivage étant vivement attendu, alors que les réserves actuelles permettront de tenir “jusqu’au début de la semaine prochaine”.

 

Mansour Kamardine : “Il y a aujourd’hui plus de gesticulation que d’action”

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Sur le devant de la scène depuis le début de l’épidémie de Coronavirus pour alerter sur la grande fragilité du territoire, le député Mansour Kamardine revient sur l’action menée par l’État depuis l’apparition du Covid-19 à Mayotte. Et sans grande surprise, déplore que “rien n’est en mesure de [le] rassurer”.

Flash infos : Ce mardi, l’avion présidentiel s’est posé sur la piste de Pamandzi afin d’acheminer du matériel sur le territoire. Dans la foulée, le préfet a évoqué la possibilité d’un pont aérien qui permettrait l’envoi de 32 tonnes de biens nécessaires pour répondre à l’épidémie. Êtes-vous satisfait de ces gestes qui semblent signer le soutien du gouvernement à Mayotte ?

Mansour Kamardine : L’avion présidentiel qui se pose pour acheminer du matériel constitue un symbole fort. Mais à y regarder de plus près, il n’y avait pas grand-chose pour Mayotte. Une grande partie de la cargaison était destinée à La Réunion et ce qui restait pour notre territoire était en grande partie des billets qui ne serviront à rien si la crise fait des ravages. En revanche, 32 tonnes de matériel par semaine seraient une excellente nouvelle à mettre au crédit du gouvernement si cela se concrétise. Et signeraient effectivement enfin une prise en compte et une réponse partielle à la détresse des Mahorais. Il faut cependant aller plus loin. Avec le Mistral par exemple, qui doit absolument être équipé pour venir au secours du département. Car je le répète, nous sommes sous tous les aspects le territoire le plus pauvre de la République. Dans ce cadre, l’État ne peut pas faire l’effort national en oubliant le maillon le plus faible de la chaîne. Ce ne serait pas digne de la République que de sacrifier les plus faibles.

FI : Vous n’êtes donc toujours pas rassurés quant à la gestion de la crise sanitaire s’agissant de Mayotte ?

M. K. : Très honnêtement, quand je regarde ce qu’il se passe, j’ai l’impression que l’on assiste plus à de la gesticulation qu’à de l’action. Alors que la jeunesse de la population, le fait d’être isolés du reste du territoire national, la fragilité sociale de la population, son incapacité à procéder aux gestes barrières, doivent pousser à un engagement très fort de l’État auprès des Mahorais. Mais même si comparaison n’est pas raison, quand je compare ce qu’il se passe ici avec ce qu’il se passe sur le reste du territoire, comme à La Réunion, par exemple, je suis très inquiet. Nous ne sommes pas à Mayotte dans une gestion rationnelle de la crise.

L’exemple du Mistral est à ce titre frappant. L’annonce était forte, mais on ne sait toujours pas quelles seront ses missions ni son équipement alors qu’il pourrait justement être une réponse à l’urgence vitale qui risque de mettre l’île en péril. Tout cela se fait par dessus la jambe et en plus de ça, les autorités s’enfoncent ici dans le déni. Il n’est pas trop tard pour bien faire, mais actuellement, rien n’est en mesure de me rassurer et si la question est de savoir si les mesures sont prises, je réponds franchement non.

Dès le début, j’avais demandé à ce que tous les passagers débarquant à l’aéroport soient contrôlés. Cela n’a pas été fait et nous met aujourd’hui dans une situation de grande vulnérabilité.

FI Que faudrait-il faire selon vous ?

M. K. : D’abord, il faut impérativement du matériel en quantité, car ici nous manquons de tout. Des renforts aussi, car l’ennemi a d’abord attaqué à la tête : les policiers, les pompiers, les médecins sont touchés. C’est notre arsenal qui est attaqué. Mais pourquoi ? Car dès le début, ils n’avaient pas le

matériel pour se protéger et c’est inacceptable. Le Mistral au chevet du territoire en capacité d’accueillir des malades pour soulager le CHM me paraît indispensable. Par ailleurs, je réclame toujours que nous puissions procéder à des tests à grande échelle sur tout le territoire afin de pouvoir circonscrire au mieux les éventuels foyers épidémiques.

Mais au lieu de ça, on est dans une gestion au fil de l’eau et c’est également vrai au niveau national : on tente tous les jours de s’adapter après une nouvelle bataille de perdue. Nous savions ce qui pouvait se passer, nous pouvions analyser les différentes réponses que les premiers pays touchés ont apportées, on savait que si le territoire national serait touché, le risque serait grand pour les Outre-mer. Mais qu’a-t-on fait pour les protéger ? Rien.

La seule chose positive que je pourrais mettre au crédit du gouvernement est d’avoir accepté d’étendre à Mayotte les essais européens sur le traitement proposé par le professeur Raoult. En revanche, il doit être appliqué à temps.

Et les autorités doivent dire ce qu’il se passe. Par exemple, le conseil départemental a commandé 450.000 masques, et l’ARS accompagnée de la préfecture lui a demandé d’allonger la commande de 400.000 masques. Ça veut bien dire que les autorités de tutelle ont abandonné l’administration locale qui doit aujourd’hui demander au Département de pallier les carences de l’État.

FI : Vous pestez également contre la situation que vivent les passagers en provenance de Madagascar qui ont été confinés au RSMA…

M. K. : Ce qu’il se passe à Combani est un véritable scandale qui n’est possible qu’à Mayotte. Les personnes confinées ont pris l’avion sans protection, à leur arrivée, le préfet leur annonce qu’ils vont être enfermés ensemble alors qu’un passager présentait des symptômes suspects. Déjà, cela aurait dû nous alerter. Au lieu de ça, on les enferme dans des conditions d’hygiènes et de proximité qui empêchent l’application des gestes barrières. Un médecin du lot a dû se battre pour que les personnes malades puissent avoir accès à leurs traitements. On ne peut pas laisser passer cela alors qu’à La Réunion, ce même type de passagers sont logés dans des hôtels, chacun dans leur chambre. C’était aussi possible ici, pourquoi cela n’a pas été fait ? Cela renforce mon inquiétude quant à la gestion de la crise.

FI : Au rang des bonnes nouvelles, il y a tout de même la mise en place d’une distribution alimentaire au profit des plus défavorisés qui paient le prix fort du confinement. Qu’en pensez-vous ?

M. K. : J’adhère totalement à la démarche, même si c’est un peu tard. J’étais le premier à dire qu’on ne pouvait pas demander à ceux qui vivent de maigres revenus journaliers de se confiner sans moyen de subsistance. La prise de conscience est désormais là et je m’en réjouis. Il serait insupportable de ne pas porter assistance à ces populations. À plus grande échelle, je serais même heureux que l’État se serve de Mayotte comme base pour venir en aide aux pays voisins qui ne peuvent faire face.

 

L’épineuse question de la prise en charge des corps à Mayotte

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Alors que l’épidémie continue de se propager sur l’île et qu’un premier décès sur une personne fragile est à déplorer, la problématique de la gestion des dépouilles commence à se poser. Entre respect des rites funéraires chez une population encore très attachée à ses coutumes, et précautions indispensables pour limiter la propagation du virus, le bon arbitrage semble difficile à trouver.

“Elles étaient au moins quatre-vingts femmes, réunies à la maison de la défunte, puis à l’arrière de mon camion sur le trajet qui nous menait au cimetière. Et quand j’y suis arrivé, j’ai vu une foule encore plus nombreuse, au moins deux cent personnes…”. Cette description de la cérémonie funéraire pour accompagner le proche décédé jusqu’à sa dernière demeure n’a rien d’étonnant, en temps normal, à Mayotte. Mais cela fait à peine trois semaines que le premier cas de coronavirus a été détecté sur le territoire, et la situation n’est déjà plus tout à fait normale. Jean Lhuillier, qui a longtemps été le seul directeur de pompes funèbres sur l’île, a été appelé lundi pour transporter le corps de cette dame décédée, et suspectée d’avoir été contaminée par le Covid-19. Il raconte cette scène rituelle, en pleine période de confinement : “bien sûr, personne à part moi ne portait de protection et j’ai eu beau leur dire de faire attention, ils n’y faisaient rien. Et à moi seul, sans l’aide de la police, je n’y pouvais pas grand-chose”, soupire le gérant des Pompes Funèbres de Mayotte.

Sur une île où la population est à 95% musulmane, le poids des rites funéraires continue aujourd’hui de se faire sentir. Difficile, parfois, de concilier ces traditions avec les lois républicaines, qui s’appliquent depuis la départementalisation. Mais la question est d’autant plus sensible aujourd’hui, avec l’épidémie de Covid-19. Le bilan s’établit désormais à 101 cas recensés, dont un mort en début de semaine – le patient souffrait aussi d’autres fragilités et une comorbidité n’était toutefois pas à exclure. Problème : les défunts peuvent toujours présenter un risque de contamination note le Haut Conseil de la Santé Publique. Au niveau national, le HCSP a donc émis des recommandations très strictes dès le mois de février sur la prise en charge des corps, avant de les assouplir dans son nouvel avis du 24 mars. Si les toilettes funéraires, rituelles et religieuses sont à nouveau autorisées, le Haut conseil émet toutefois plusieurs recommandations : protection adaptée pour le personnel en charge de la toilette, de l’habillage ou du transfert, possibilité pour les proches de voir le visage de la personne décédée en respectant les mesures barrières, limitation à deux personnes maximum si besoin d’effectuer un rite funéraire ou religieux, aucun acte de thanatopraxie pratiqué, et nettoyage des effets personnels du défunt sont les principales directives émises par l’instance sanitaire. Une mise en bière immédiate est aussi conseillée, et doit être demandée par le médecin. Ces mesures concernent l’ensemble du territoire national.

Les spécificités de Mayotte oubliées ?

C’est donc cet avis qui fait désormais office de ligne directrice. Et ce jusqu’à Mayotte, où, en dépit des spécificités reconnues de l’île aux parfums, aucune adaptation n’a été prévue. Un échange a bien eu lieu entre le CHM et le conseil cadial, lundi 30 mars, mais a abouti aux exactes mêmes recommandations, qui nous ont été communiquées par l’Agence régionale

de santé. Même chose du côté de la préfecture, où le service de la réglementation renvoie directement vers le CHM et l’ARS pour décliner ces mesures de précaution. Et ce sont encore ces mêmes dispositions qui ont été envoyées aux mairies pour leur indiquer la marche à suivre. “Nous avons en effet reçu un mail, mais qui ne prend pas du tout en compte les particularités de Mayotte”, déplore Cécile Hammerer, la directrice générale des services à la mairie de Chirongui. “J’ai donc missionné mes services pour qu’ils réfléchissent à une adaptation de ces textes, qui puisse parler aux familles”.

Car à Mayotte, la question de la prise en charge des corps est en effet toujours délicate, même en dehors des temps de crise. “Ici, les gens décèdent souvent à la maison, où est aussi effectuée la toilette mortuaire. Les corps sont mis dans des linceuls et les sépultures sont faites par les villageois. Nous ne sommes pas du tout calqués sur le modèle de la métropole”, décrit ainsi la responsable de Chirongui. Sans parler des places qui viennent à manquer dans les cimetières, une situation dont la mairie avait déjà notifié la préfecture dès les premiers jours de l’épidémie. Mais encore faut-il que les familles enterrent leurs proches au cimetière… “C’est simple, en métropole, la prise en charge à domicile représente l’activité principale des pompes funèbres. Et ici, c’est une prestation que je n’ai jamais eu à faire”, développe Jean Lhuillier. Ce qui laisse entendre que la pratique d’enterrer le défunt “au fond du jardin, voire au bord de la route”, reste bien d’actualité à Mayotte…

Couacs administratifs et risques de transmission

Pour autant, ce n’est pas là la principale source d’inquiétude du directeur des Pompes Funèbres de Mayotte. Ni trop, non plus, le nombre de places à la morgue – deux au CHM, et 27 dans son propre conteneur frigorifique aménagé au fond de son jardin. Non, s’il y a un sujet “urgent”, d’après Jean Lhuillier, c’est le protocole de l’hôpital en matière administrative. Car pour autoriser le corps à sortir de l’hôpital, il est demandé à la famille de fournir l’acte de décès et le permis d’inhumer, des documents qu’elle doit récupérer à la mairie sur présentation du certificat de décès émis par le médecin. Cette paperasse administrative, c’est plutôt l’opérateur funéraire qui la gère en général, en ce qui concerne la métropole. Et en ces temps de crise, un décret autorise la dématérialisation entre les officiers d’état civil à la mairie, et les opérateurs funéraires. Objectif : “éviter de faire des heures de route pour manipuler du papier”, résume Richard Feret de la CPFM. Et ainsi, donc, fluidifier les démarches et surtout limiter les risques de transmission.

Or, “en donnant le papier aux familles pour qu’elles effectuent elles-mêmes les démarches, l’hôpital contrevient complètement à ce décret”, dénonce pourtant Jean Lhuillier. “J’ai un exemple pas plus tard qu’hier, un homme est passé à la mairie juste après la famille de la personne décédée avec des suspicions de Covid. Il s’est assis sur la même chaise que des potentiels cas contacts, et a pris le même stylo que lui tendait l’agent de mairie !”, s’exclame-t-il. Du côté du CHM, le directeur adjoint de la qualité et des relations avec les usagers Nawaldine Soulaimana assure pourtant que le nouveau décret donne aux familles un mois après la crise sanitaire pour remettre les documents à la mairie. “Des familles avaient entendu que l’état civil de Mamoudzou était ouvert, et s’y sont donc rendues”, explique-t-il. D’après lui, il suffirait donc de fournir la demande de transport faite à l’opérateur funéraire et le certificat de décès pour pouvoir enterrer leurs proches. “Mais ce certificat n’a rien à faire entre leurs mains, il doit rester avec le corps et c’est ensuite à l’opérateur funéraire de faire les démarches dématérialisées. Concernant le décret de Mr le Premier ministre, en aucun

cas il ne fait référence aux familles pour la transmission dématérialisée des éléments nécessaires à l’accomplissement des formalités en mairie”, conteste Jean Lhuillier. “S’ils continuent comme ça, on va tout droit vers la catastrophe”.

 

Des pizzas au goût solidaire

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Si l’intrusion du covid-19 dans notre quotidien modifie radicalement nos habitudes, elle est aussi l’occasion de révéler de belles chaînes de solidarité. Et sur ce point, certaines entreprises sont à la pointe. C’est le cas de l’hôtel Caribou qui, chaque soir, offre des pizzas aux services mobilisés dans le cadre de la lutte contre le virus.

Sur les réseaux sociaux, l’appel a été vu par quelque 500.000 internautes et relayé 2.500 fois à travers le territoire national, en métropole comme en Outre-mer. Cet appel, c’est une courte vidéo réalisée par Bruno Garcia, gérant de l’hôtel Caribou, à Mamoudzou, dans laquelle il invite ses collègues restaurateurs à se montrer solidaires des personnels particulièrement mobilisés en cette période de crise sanitaire. Au centre de l’attention : les soignants, mais aussi les pompiers et les forces de l’ordre. Extrait : “Je suggère de rendre un hommage aux personnes qui nous aident aujourd’hui [en mettant] à disposition une dizaine de pizzas gratuitement pour qu’ils puissent avoir aussi un moment de plaisir. Ils sont là pour nous aider, ils sont là pour nous sauver, pour sauver notre famille, sauver des gens que l’on connait”, y explique-t-il en concluant que “c’est aussi à nous d’être là, d’être présents et de faire quelque chose pour eux. J’en appelle à tous les restaurateurs ouverts en vente à emporter à faire chacun de son côté, un geste de façon que l’on puisse s’en sortir.” Une bonne action à laquelle il participe évidemment lui-même, en plus de mettre à disposition sept des chambres de l’hôtel afin que le personnel de ces mêmes institutions puisse se reposer entre deux gardes ou s’ils ne peuvent rentrer chez eux entre deux journées ou nuits de travail.

Si le personnel du CHM était dans un premier temps les principaux bénéficiaires de ces pizzas, le dispositif solidaire s’est ouvert aux pompiers et forces de l’ordre : “nous changeons chaque soir, mais en privilégiant tout de même le CHM puisque nous leur consacrons des livraisons des pizzas chaque soir par semaine.” Une solidarité à laquelle les clients peuvent aussi participer puisque, inspiré par l’un d’entre eux, le restaurateur a également inauguré le principe de la pizza solidaire. Le client, qui peut d’ailleurs faire connaître son identité s’il le souhaite, peut acheter une – ou plusieurs – pizza au service de son choix, qui est ensuite directement livrée.

Une initiative qui a fait des émules puisque, dans la foulée de la publication, elle s’est propagée à La Réunion, en Guadeloupe, mais aussi en métropole grâce à Internet, mais aussi via des médias plus traditionnels puisque des radios comme “Radio Freedom à La Réunion mais aussi France Bleu en métropole m’ont contacté pour la relayer”. Mais sans aller aussi loin, certains de ses confrères du 101ème département ont aussi repris l’idée. C’est le cas notamment du bar-restaurant Chez Cousin, ou d’une chaîne de pizzéria qui officie dans le sud de l’île. Une satisfaction pour Bruno Garcia : “Le but était que cela accroche, d’encourager cette solidarité. Et cela a pris. Mon objectif avec cet appel était de dire qu’il fallait qu’on s’y mette tous, chacun à notre niveau. Je ne pensais pas que cela serait autant relayé et c’est pourtant le cas, c’est une très bonne chose de voir que cette solidarité prend.”

 

Mayotte dans le spectre d’une pénurie alimentaire

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Les aides alimentaires semblent partir d’une bonne intention. Pourtant, cette initiative pourrait rapidement vider les rayons des magasins et provoquer une pénurie sur l’île, dans quelques semaines, si les acteurs sociaux ne changent pas de stratégie.

Depuis le début du confinement, les communes mettent tout en place pour que les familles défavorisées puissent manger à leur faim. Pour cela, des distributions de denrées alimentaires sont organisées sur l’ensemble de l’île. Mais si aux premiers abords cette stratégie vient en aide à une partie de la population, elle peut également provoquer une pénurie alimentaire dans les magasins. À l’heure actuelle, Mayotte n’en souffre pas, mais si les centres communaux d’action sociale (CCAS) continuent sur cette lancée, les semaines à venir risquent d’être critiques pour les Mahorais. “Les CCAS nous demandent des devis très conséquents, et ils veulent les mêmes produits en grosse quantité”, indique Fahridine Mlanao, le directeur de Sodifram. Les produits concernés sont ceux de première nécessité comme le riz, la farine, l’huile, ou les produits de bébé. “Pour le moment, nous ne sommes pas en pénurie, mais si ça continue ainsi, les familles qui n’ont pas droit à ces aides ne trouveront plus ces produits dans quelques semaines”, ajoute le directeur de la société Sodifram. Pourtant, au début de la crise, les associations affirmaient qu’elles feraient appel aux dons des magasins. Ces derniers donneraient leurs invendus encore comestibles et utilisables. Mais cela ne semble pas suffisant et a priori la politique a changé en cours de route.

“On ne trouve pas ce qu’on veut, quand on veut, dans la quantité qu’on veut”

Fahridine Mlanao affirme qu’ils devront refuser certains devis exorbitants. D’autant plus que les CCAS demandent à être livrés très rapidement. Il conseille plutôt aux centres communaux d’action sociale de distribuer des bons alimentaires. “De cette façon, chacun peut acheter ce dont il a réellement besoin, et on évitera peut-être de créer une crise dans la crise”, explique-t-il.

C’est un fait, la crise du Covid-19 fait tourner le monde au ralenti, et la grande distribution n’est pas épargnée, au contraire. “On peut aussi craindre une pénurie à cause du confinement mondial. Certains fabricants ne produisent plus, ou pas en quantité suffisante. Du point de vue des approvisionnements, on ne trouve donc pas ce qu’on veut, quand on veut, dans la quantité qu’on veut” , déclare Fahridine Mlanao. La situation se complique également car les navires ont du retard puisqu’à l’échelle internationale certains ports sont fermés ou travaillent très peu. Le directeur de Sodifram nous affirme également que les quelques bateaux qui partent de la France hexagonale n’intègrent pas leurs marchandises parce qu’ils sont déjà trop chargés. “Nous avons saisi la préfecture concernant ce problème parce qu’à cause de cela on risque aussi d’être en rupture”, précise-t-il.

Il est donc important que les acteurs sociaux changent leur stratégie d’aides alimentaires, autrement les conséquences se feront sentir pendant le mois de ramadan qui approche à grands pas

 

Matériel sanitaire, liaisons aériennes, Mistral, RSMA, ramadan… le préfet de Mayotte revient sur les dossiers chauds

Les journées sont chargées pour les autorités. Représentant direct de l’État à Mayotte, le préfet Jean-François Colombet nous répond sur crise du Covid-19. Équipement sanitaire, liaisons aériennes, porte-hélicoptères Mistral, confinés du RSMA et ramadan : le haut fonctionnaire fait le point.

Flash Infos : Un avion de la présidence de la République s’est posé hier matin à Mayotte avec du matériel médical pour le CHM. Dans le détail, de quoi s’agit-il ?

Jean-François Colombet : De masques haute protection. Presque une tonne de masques qui étaient très attendus. C’est extrêmement important, car nous en avions besoin. Ils ont immédiatement été remis à l’agence régionale de santé (ARS). Ce vol n’était pas prévu pour cela il y a quatre semaines, mais lorsque la crise est montée en puissance, nous en avons profité pour remplir ses soutes de ce dont nous avions besoin en urgence absolue. Il n’est d’ailleurs pas exclu qu’il refasse un aller-retour depuis La Réunion [ce matin] pour que l’on charge ses soutes à nouveau afin de ramener une dizaine de tonnes de fret sanitaire : masques, gel, etc.

FI : À l’annonce de l’arrêt des liaisons commerciales, la question de l’approvisionnement et surtout de la rotation des matériels pour le CHM, notamment pour les bombonnes d’oxygène, s’est posée. Un pont aérien est-il au programme ?

J-F. C. : Le sujet de l’oxygène est réglé depuis longtemps puisqu’il est à bord du navire de la Marine nationale qui arrive. Concernant le pont aérien, j’ai eu une visioconférence durant deux heures [avant-hier] avec la ministre des Outre-mer, Annick Girardin. Nous avons sollicité deux allers-retours entre La Réunion et Mayotte par semaine, en Dreamliner, pour à la fois amener du personnel qui nous est indispensable, transporter des évacuations sanitaires dans les meilleures conditions, et ramener 16 tonnes de fret à chaque vol. Cela nous amènerait à un potentiel de 32 tonnes de fret par semaine, sanitaire et hors sanitaire. Cette proposition a été arbitrée [hier après-midi] par le premier ministre lors de la cellule “décision” en centre interministériel de crise (CIC). Nous sommes confiants. D’ici à ce que le contrat d’affrètement soit signé, nous avons un vol militaire qui arrive jeudi avec 4 ou 5 tonnes de matériel sanitaire et des personnels, car cet avion, un Casa, peut embarquer les deux.

FI : À propos de l’arrivée prochaine du Mistral à La Réunion, sa mission reste assez floue. Quelle sera-t-elle ? Et Mayotte en bénéficiera-t-elle également ?

J-F. C. : Le président de la République a dit qu’il y aurait deux porte-hélicoptères amphibies de déployés : un entre la Guadeloupe et la Martinique, et un dans l’océan Indien pour desservir Mayotte et La Réunion. Ce navire est polyvalent et peut remplir la mission qu’on lui affecte en fonction de l’armement qu’on lui donne. Aujourd’hui, il est trop tôt pour dire quelles missions il va assurer ici, mais ce qui intéressant, c’est qu’il peut tout à fait transférer des personnels et des patients sous réanimation, par exemple, ou servir à faire venir des choses volumineuses et lourdes, car sa capacité d’emport de fret est phénoménale. Son potentiel est très polyvalent. Il faut donc se réjouir de l’arrivée du Mistral sur zone.

Alors est-ce qu’il sera à La Réunion ou à Mayotte ? Je dirais que ce n’est pas un sujet : il ira là où on aura besoin de lui. Ce bateau est capable de rallier les deux îles en deux jours, il est extrêmement véloce. De quoi nous rendre de grands services et nous être tout à fait utile si nous entrons dans une

phase épidémique. Les Martiniquais et les Guadeloupéens ne sont pas dans ce débat de savoir où sera le Dixmude : le sujet est qu’il soit présent dans la zone, c’est ce qui est important.

FI : Les confinés en quatorzaine au RSMA se sont plaints de leur sort. Quelle est votre réponse ?

J-F. C. : Déjà, je comprends que les gens qui sont obligés d’être confinés au RSMA éprouvent soit de la colère, soit des difficultés à y rester. C’est humain. En même temps, je ne peux pas accepter toutes les critiques. On me dit que les gens qui reviennent de cette région de Madagascar sont sains parce que cette zone ne connaitrait pas la circulation du virus. Mais il est difficile de l’établir objectivement, je n’ai pas d’autorité sanitaire capable de me l’assurer. Sont-ils restés dans cette région ? Ont-ils fréquenté des Malgaches qui, eux-mêmes, étaient contaminés en venant d’autres régions ? Je ne le sais pas.

Ce que je sais en revanche, c’est qu’on ne peut pas me dire à la fois que ces gens ne présentent pas de danger sanitaire et dans le même temps invoquer l’explosion d’une bombe virale. Cela n’est pas cohérent. Cette mesure de confinement contrôlé que j’ai mise en œuvre sur instruction écrite du gouvernement, à La Réunion les élus – et quels que soient les partis politiques – se sont tous mobilisés pour l’obtenir. Aujourd’hui, 600 personnes y arrivent chaque semaine et vont être confinées pendant 14 jours dans des gymnases, etc. : là où ils seront sous le contrôle des autorités.

Il y a donc une approche de ce sujet qui me fascine, bien que je sache d’où vient le trouble. On sait bien qu’une personne, par ailleurs très paisible au quotidien me dit-on, a des relations dans la presse et dans la politique. Il crée le trouble et menace de porter plainte contre le préfet. Moi, j’ai pris cette décision et je l’assume complètement, car je l’ai fait pour protéger les Mahorais. Je suis convaincu que, s’il y avait dans ce groupe des gens contaminés et qu’on les lâche dans la nature, nous prendrions un risque inconsidéré. C’est ce qu’on appelle le principe de précaution : on n’est pas certain que le risque puisse arriver, mais comme cela peut être le cas et créer des dégâts considérables, on prend la précaution de garder les gens 14 jours. Ce n’est pas la mer à boire.

FI : Un des reproches formulés est le fait de partager des chambres à plusieurs alors que distanciation sociale est le mot d’ordre…

J-F. C. : Oui, et il y a même un élu qui a soutenu – avant de vérifier – qu’ils étaient 15 par chambre. Elles font 42 mètres carrés ces chambres, et ils sont quatre dedans. Dans la plupart des bangas où vivent aussi des Mahorais, des gens sont beaucoup plus condensés qu’ils ne le sont au RSMA. C’est inacceptable de dire ça. Les choses ont été faites sérieusement par des militaires. Ces confinés n’ont pas été confiés à n’importe qui, mais au colonel Jardin, dont chacun sait qu’il est parfaitement à la hauteur de cette affaire. Les familles ont été regroupées dans leur propre chambre et les gens isolés l’on été à quatre par chambre. S’ils veulent mettre en œuvre les gestes barrières et se protéger, ils peuvent le faire sans aucun problème. Cela relève de leur responsabilité personnelle d’appliquer les directives que nous appliquons ici depuis déjà trois semaines, et qu’ils n’appliquaient sans doute pas à Madagascar pour certains d’entre eux, bien que leur statut aurait dû les conduire à être attentif à la situation.

Je suis convaincu en mon âme et conscience d’avoir pris la bonne décision, tout simplement parce que c’est celle dont j’ai reçu instruction par le gouvernement et que c’est mon métier de les faire appliquer. Par ailleurs – et alors que nous n’avions que 12h pour l’organiser –, je pense l’avoir fait dans des conditions optimales et avec une assistance sanitaire permanente. Si quelqu’un venait à être en danger, l’ARS me l’indiquerait immédiatement et je ne mettrai pas 1h pour décider d’extraire la personne. Ce que nous avons d’ailleurs fait pour une dame diabétique dès le samedi soir.

Je maintiendrai donc ma décision, car je suis convaincu que c’est en faisant cela que je protège les Mahorais. J’exerce mes responsabilités, je les prends et je les assume. Si l’individu en question considère qu’il est en danger, il peut faire un référé liberté : cela sera jugé dans les 8 heures maximum et si le juge le décide, il le libèrera.

Enfin, pour ceux qui se plaindraient du confort, je rappelle qu’il y a 600 jeunes Mahorais qui passent, chaque année, plusieurs mois dans ces locaux. Ils en retiennent les valeurs qu’ils ont retenues et les métiers qu’ils ont appris, et non de l’état des chambres. Donc exprimons un tout petit peu de pudeur, prenons notre mal en patience et soyons raisonnables en ne mettant pas en danger la communauté mahoraise. Mais de manière générale, l’esprit du groupe n’est pas celui qui est relaté ici ou là.

FI : Il se pourrait que le confinement soit de nouveau prolongé à l’issue de celui en cours. Or, une question commence à se poser, celle du ramadan. Avez-vous commencé à étudier la question avec les autorités religieuses et donnerez-vous des consignes strictes pour cette période ?

J-F. C. : Le ramadan est un sujet majeur pour moi. Cette période est extrêmement importante pour ceux qui pratiquent le culte que nous retrouvons majoritairement à Mayotte. Or, nous avons une équation à résoudre : une pratique du ramadan égale à une non-prolifération du Covid-19. Pour y répondre, je vais constituer dès [aujourd’hui] un groupe que je souhaite composé uniquement de Mahorais, de pratiquants hommes et femmes. Je compte faire appel à des responsables comme les parlementaires, quelques maires, le grand cadi, le président de l’Union des familles de Mayotte, etc. En somme, des personnes qui pourront réfléchir au sujet et formuler dans une semaine des propositions pour répondre à cette question : comment conjuguer la fête du ramadan et la protection individuelle de chacun contre le virus ? Une semaine pour avoir des solutions cohérentes, bien adaptées au territoire, bien adaptées à la pratique locale et qui permettent tout à la fois de pratiquer le culte et de protéger la communauté.

Le sujet est sensible, il faut donc naturellement qu’il soit porté par ceux qui le connaissent réellement et qui connaissent ce qu’il implique dans les familles. Je compte beaucoup sur ce groupe pour avoir des pistes intéressantes à mettre en œuvre et pour convaincre les Mahorais de les emprunter.

 

Une pétition en ligne pour alerter sur la situation à Mayotte

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Étudiant en droit international à Bordeaux, Soilihi Mascati a lancé une pétition en ligne* le week-end dernier pour réclamer aux autorités l’armement médical du porte-hélicoptère amphibien Mistral qui doit venir en aide à Mayotte et à La Réunion. Le jeune homme dénonce notamment le mépris du gouvernement à l’égard de la population.

“Je suis inquiet par ce qu’il se passe à Mayotte !” Du haut de ses 25 ans, Soilihi Mascati ne cache pas son anxiété face à la propagation du Coronavirus. Depuis son appartement situé à Bordeaux où il suit un master en droit international, le jeune homme n’oublie pas pour autant son île natale. “Ma mère vit avec l’un de mes grands frères qui est handicapé. Je suis très préoccupé par rapport à eux, je dors mal depuis une semaine… Je prie pour qu’ils ne soient pas atteints par le virus, sinon ce serait catastrophique”, confie-t-il d’une voix tremblante. Si la technologie d’aujourd’hui lui permet de prendre quotidiennement des nouvelles de sa famille, il ne peut s’assurer que celle-ci applique les gestes barrières et respecte le confinement imposé par l’État. Pour ne pas tomber dans la paranoïa, il repose alors tous ses espoirs sur la religion. “J’espère au moins qu’ils se lavent les mains pendant les heures de prière”, imagine la boule au ventre Soilihi Mascati, dont le nom fait tout simplement référence à la capitale d’Oman.

Et c’est sa situation familiale qui le pousse, le week-end dernier, à lancer une pétition en ligne, adressée à Édouard Philippe et Emmanuel Macron. “Il est primordial que des efforts supplémentaires soient mobilisés à Mayotte pour pallier une insuffisance structurelle et personnelle en matière hospitalière : avec seulement 16 lits en réanimation pour un peuplement de près d’un demi-million d’habitants, dont 84 % vit sous le seuil de pauvreté, 54 % dans une habitation indigne et 29 % n’a pas accès l’eau courante dans son logement”, énumère-t-il solennellement. Avant d’ajouter : “Ici, vous l’aurez compris, le confinement paraît complexe et impossible à mettre en place pour la majorité des concernés : il faut donc armer médicalement le Mistral.” Son appel reçoit notamment dans les premières heures le soutien du député LR Mansour Kamardine, qui n’hésite pas à le relayer sur sa page Facebook pour apporter du poids à ce pavé jeté dans la marre.

“Je voulais me sentir utile pour mon île”

Mais en plus de son message de détresse, l’étudiant met également en porte à faux les politiques menées ces dernières années, pointant ainsi du doigt “le mépris ou le manque de volonté du gouvernement à l’égard de notre population, qui a du mal à obtenir ses droits”. De ce fait, Soilihi Mascati espère de la jeune génération, bercée depuis sa plus tendre enfance par la devise Ra Hachiri, un sursaut d’orgueil. “Il faut que nous soyons capables de contredire les autorités et de proposer ce qui sera meilleur pour notre avenir, sinon on continuera de nous imposer une vision qui n’est pas la nôtre”, s’alarme-t-il.

Malgré la distance qui sépare la métropole de Mayotte, Soilihi Mascati souhaite faire entendre sa voix. “Je voulais me sentir utile pour mon île”, admet-il. Et selon lui, il est de son devoir de rappeler l’existence du 101ème département dans la République française. Fait qu’il rabâche dans sa pétition : “Il serait inhumain, inconcevable, sadique, voire criminelle de laisser des milliers de Mahorais mourir. […] Dans cette guerre, ne laissant aucun homme indifférent, reconnaissons aux Mahorais leur dignité dans leur francité.” Et visiblement, son discours séduit puisqu’il a déjà recueilli plus de 350 signatures sur les 500 espérées. Une fois cet objectif atteint, le site change.org lui offre la possibilité d’adresser son courrier aux destinataires visés, à savoir le premier ministre et le président de la République.

*https://www.change.org/p/edouard-philippe-mistralsavemayotte?recruiter=528708896&utm_source=share_petition&utm_medium=facebook&utm_campaign=share_petition&recruited_by_id=ad5bad30-055e-11e6-be1b-01b0320d7ccc&utm_content=starter_fb_share_content_fr-fr%3Av2 

 

L’inquiétude des pêcheurs mahorais face au confinement

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S’ils le vivent différemment, pêcheurs professionnels comme informels subissent tous les effets du confinement. Aléas économiques et force des choses pour les uns, contrôles des forces de l’ordre pour les autres, ils sont de plus en plus nombreux à devoir laisser leur bateau au rivage. Avec un risque de pénurie de poissons pour les ménages, alors que le ramadan approche.

“C’est de plus en plus difficile, pour vendre mais aussi pour se nourrir. Hier encore, les policiers sont venus pour nous dire de rentrer chez nous, et nous n’avons pas pu aller pêcher. Même pour nourrir mes cinq enfants, je ne peux plus y aller. Je ne sais pas quoi faire, je ne connais que ce métier…”. Une voix douce de femme traduit du shimaoré en français ce témoignage d’un pêcheur de Nyambadao, couvert par les cris de ses enfants à l’arrière du combiné. En temps normal, de 15h à 6h du matin, Mohammed sillonne chaque jour les eaux du lagon pour se nourrir et pour vendre directement le fruit de sa pêche à son retour, ou par le bouche-à-oreille. Mais depuis la mise en place du confinement, sa tâche est rendue chaque jour plus ardue. Jusqu’à ce dimanche, et l’intervention des forces de l’ordre. “Depuis hier (dimanche), personne n’est parti à la pêche”, raconte-t-il.

Vendredi 20 mars, le préfet de Mayotte Jean-François Colombet a en effet signé un arrêté préfectoral portant interdiction de tout accès aux plages du littoral et plans d’eau et aux sentiers qui y mènent, effectif au moins jusqu’au 15 avril. Face aux regroupements de personnes constatés par les forces de l’ordre, cet arrêté est venu renforcer le confinement décrété dès le mardi 17 mars pour lutter contre l’épidémie de coronavirus. Mais les pêcheurs sont normalement encore autorisés à exercer, car “c’est une activité économique et cela doit continuer”, précise la préfecture. Le problème : les pêcheurs informels, qui représentent encore une part importante de ce secteur économique à Mayotte – toutes activités confondues, les entreprises informelles constituent les deux tiers des entreprises marchandes, d’après un rapport de l’INSEE de 2015 – ne peuvent bénéficier de dérogation que sur la base d’une carte professionnelle.

Quand ils ne font pas l’objet de contrôles, ces pêcheurs non professionnels continuent toutefois tant bien que mal d’exercer leur activité. Sur le remblai de Mtsapéré, aux abords de la mangrove, ils sont encore au moins une vingtaine à alpaguer les rares clients pour leur vendre leur pêche du jour. Entassés dans les bacs réfrigérants, des mérous, des rougets et des thons de toutes tailles attendent d’être vendus, ou mangés par les pêcheurs eux-mêmes. “On s’en sort, mais c’est difficile en ce moment”, confirme le vendeur en posant un gros mérou rouge sur la balance, pendant que ces congénères tentent de lui faire concurrence en criant leurs prix. “Six euros le kilo !”

Des pêcheurs professionnels en panne d’essence

Du côté de la Copemay à Mamoudzou, c’est plutôt le manque de pêcheurs qui pose problème. Ils sont chaque jour de moins en moins nombreux à aller sur l’eau et à ramener leurs produits jusqu’à la coopérative. Car même les professionnels ont du mal à pêcher, ces temps-ci. “Nous sommes tous un peu bloqués”, confirme Abdallah Issouffi, vice-président de la chambre de l’agriculture, de la pêche et de l’aquaculture de Mayotte (CAPAM), en charge de la pêche. En cause, principalement : le ravitaillement en essence. Les pêcheurs munis de leur carte peuvent normalement bénéficier d’un carburant détaxé, qui s’élève ce mois-ci à 0,80 euro le litre contre 1,45 euro sans la décote, d’après le responsable de la CAPAM – sur le site de la préfecture, les prix maximums pour le mois de mars s’élèvent à 1,01 euro le litre du mélange détaxé contre 1,54 euro le super sans plomb. Pour obtenir cette essence à bas coût, les pêcheurs de Mayotte se rendent d’habitude à la station des Hauts-Vallons, qui possède un guichet sécurisé dans lequel ils peuvent payer en espèces. Or, avec leconfinement et face aux risques de propagation du virus, les pêcheurs ont été invités à payer en carte bleue à la station de Petite-Terre. Mais “la plupart d’entre eux n’ont pas de carte”, poursuit Abdallah Issouffi. Jusqu’à présent, il leur restait de l’essence qu’ils avaient achetée pour le mois. “Désormais, ils vont devoir demander à des amis de payer pour eux.”

Une situation à laquelle est déjà confronté Assoumani, un pêcheur professionnel de Petite-Terre. “Tous les bateaux sont arrêtés et il n’y a plus que le mien sur l’eau actuellement”, décrit-il. “La plupart n’ont pas de carte et me demandent de prendre de l’essence pour eux, mais je ne peux pas, car toutes ces dépenses entrent dans ma comptabilité et dans les impôts que je paie”. Or si les bateaux ne sortent plus, la pénurie de poisson risque vite de se faire sentir. Djeb, qui détient une poissonnerie en Petite-Terre en ressent déjà les effets. “Aujourd’hui, je suis fermé, j’ai déjà vendu tout mon stock, qui n’est pas renouvelé, car les bateaux ne sortent pas”, déplore-t-il lui aussi. Et à quelques semaines du ramadan, ce manque risque aussi de peser dans le panier des ménages, en poussant les prix à la hausse. “J’ai déjà des centaines d’appels de gens qui me demandent où trouver du poisson ! Que voulez-vous, quand un produit manque, ça devient de l’or”, conclut Abdallah Issouffi

 

“J’ai dû mentir sur ma fièvre pour être pris en charge”, un policier malade témoigne

Un policier, hospitalisé depuis ce lundi au CHM après avoir contracté le Coronavirus regrette la prise en charge dont il a été l’objet jusqu’à présent. Selon son témoignage, ce père de famille aurait été conduit à mentir sur son état pour, qu’enfin, un dépistage lui soit proposé.

“Je ne vais pas pouvoir vous parler longtemps, car je suis très essoufflé.” Au téléphone, la voix d’Antoine* est faible, à son image. Depuis ce lundi, le policier atteint par le Coronavirus est hospitalisé au centre hospitalier de Mayotte. Ce qui ne l’empêche, entre deux quintes de toux, de pester contre la prise en charge dont il a été l’objet depuis les premiers signes de la maladie. Lesquels sont apparus vendredi 20 mars selon son témoignage. “J’ai ressenti les mêmes effets que ce qui est décrit partout à la télé et à la radio”, raconte le fonctionnaire de police. Le jour même, il adopte la démarche à laquelle les autorités invitent : appeler le 15 en cas de suspicion de Covid-19. “J’ai eu une dame qui m’a expliqué que ça n’avait pas l’air trop sérieux, que ce n’était sans doute ni la dengue ni le Coronavirus”, confie faiblement Antoine. Le père de famille laisse alors passer le week-end, sans que son état ne s’arrange. Le lundi, il pose un arrêt de travail. Et contacte à nouveau le 15. L’échange est sensiblement le même que celui de vendredi. Mais dès le lendemain, la situation devient trop critique pour que le policier accepte l’immobilisme. “Mon état s’était aggravé et surtout, je voyais ma femme et mes enfants tomber malade un par un, je ne pouvais pas rester les bras croisés”, témoigne encore Antoine de sa faible voix résonnant dans la chambre d’hôpital qu’il occupe.

“Comme j’avais peur qu’il ne se passe toujours rien, j’ai décidé de mentir sur ma température et ils nous ont finalement dit de venir au CHM”, souffle le policier. La petite famille malade embarque donc vers le centre hospitalier où ils seront dépistés positifs au Coronavirus. Pas vraiment une surprise pour Antoine, mais celui-ci espère dorénavant que la prise en charge sera efficace. Il déchante rapidement. “Je ne comprends pas, nous n’avons eu aucun suivi, on nous a simplement donné deux numéros à appeler si l’on voyait que les signes s’aggravaient.” Selon le policier, l’un de ces numéros, pourtant national, ne serait accessible qu’à travers un abonnement chez le fournisseur Only. “C’est l’ARS qui m’a expliqué ça ensuite et j’ai vérifié, ça ne marche pas avec mon téléphone et mon forfait Bouygues Télécom, mais avec celui de ma femme qui est chez Only ça fonctionne”, assure encore le fonctionnaire.

Suivi opéré par le médecin de famille

C’en est trop pour le père de famille, qui décide alors de passer, malgré sa petite forme, un coup de gueule sur les ondes de la 1ère. Il témoigne alors, dans une émission en direct le vendredi 28 de la prise en charge plus que “magnéné” dont a bénéficié sa famille jusqu’alors. Un discours peu audible par les représentants de l’agence régionale de santé également présents à l’antenne. Mais Antoine persiste et signe. “Et comme par hasard, juste après avoir raccroché, on [Antoine ne se souvient plus s’il s’agit de l’ARS ou de Santé publique France] m’a appelé pour me proposer des gants, du gel et des masques.”

Depuis, c’est sur le médecin de famille que le patriarche compte pour suivre l’évolution de toute la troupe. Lequel médecin fait éventuellement le lien avec d’autres si besoin. Pour la femme et les enfants d’Antoine, cette nécessité ne s’est pas fait sentir. “Ils ont été mal pendant 48 h et depuis ça se calme petit à petit”, détaille le policier. En revanche, le médecin traitant a dû intervenir ce lundi. “Il m’a appelé dans la matinée pour faire le point, je toussais beaucoup, j’avais du mal à respirer, je n’ai même pas pu vraiment aller au bout de la conversation”, se souvient Antoine. Devant l’urgence, le médecin alerte le Samu pour qu’Antoine soit hospitalisé. C’est désormais chose faite depuis celundi soir, “après un scanner qui n’était pas bon”. Mardi après-midi, le policier se sentait déjà un peu mieux et se disait confiant dans les équipes qui l’entourent au CHM. Nous lui souhaitons un prompt rétablissement.

 * le prénom a été modifié

 

Mayotte Hebdo de la semaine

Mayotte Hebdo n°1116

Le journal des jeunes