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Ramadan à Mayotte : Un mois sacré sous le signe du confinement

Ce soir se déroule la “nuit du doute” pour les fidèles musulmans. Traditionnellement, si le croissant de la nouvelle lune est observé, alors débute le mois du ramadan. Une période avant tout sacrée pour les musulmans, mais aussi ponctuée de festivités quotidiennes, rupture du jeûne en tête. Cette année toutefois, c’est un ramadan confiné qui aura lieu. De quoi bouleverser les habitudes.

La priorité ? Continuer à contenir la propagation du Covid-19 sur le territoire. Les consignes ont donc été données la semaine dernière par les responsables religieux, après concertation avec les autorités. Et répétées par les cadis lors de passages dans les médias : il n’y aura, pour le ramadan, pas d’exception pour les règles de confinement en cours. Point de prières dans les mosquées, pas plus que de grands rassemblements pour la rupture du jeûne, le foutari. C’est donc un ramadan quelque peu chamboulé par rapport à la coutume qui doit débuter, si toutefois le croissant de lune est observé ce soir, durant la “nuit du doute.”

Pour Younoussa Abaine, à la tête de la direction départementale de la cohésion sociale, dont dépendent les cadis, ce ramadan confiné est “un mal pour un bien”, une invitation à renouer avec une certaine vision de la foi. “Habituellement, les gens travaillent durant le ramadan. Or, là, la plupart seront chez eux, au sein de leurs familles”, argumente-t-il. L’intérêt pour les croyants ? “Se consacrer à la prière et lire le coran, comme cela est recommandé, mais aussi passer du temps avec sa famille, ses enfants. Ce sont des valeurs importantes, en parfait accord avec le sens du ramadan. Ce que les croyants vont perdre d’un côté à cause du confinement, ils vont le gagner d’un autre.”

Pour Zalihata, cuisinière à Mamoudzou, les règles de confinement ne vont pas changer grand-chose. Comme chaque année, sa petite affaire sera fermée durant le mois sacré, et comme chaque année, elle le fera en cercle réduit. Toutefois, elle le concède : “Ce ramadan sera particulier. Je ferai les prières à la maison, et pour les foutaris (la rupture du jeûne, NDLR), nous le faisons en général juste avec mon mari, hormis lors de quelques soirées. J’avais prévu d’inviter ma belle-famille à la maison autour d’un foutari, mais je ne prendrai pas le risque. Ça ne sera pas possible cette année, tant pis.” Et de rigoler : “Pour ce qui de la nourriture, j’ai la chance de posséder un jardin dans lequel je fais pousser des bananes, papayes, feuilles de thé et autres : en somme, ce que l’on mange tout au long du ramadan, alors le confinement ne va pas trop changer nos habitudes de ce côté-là.”

En revanche, pour d’autres, ce ramadan très spécial est regrettable, même s’il ne s’agit pas de prendre le moindre risque dans le contexte de crise sanitaire actuel. Shabani, 20 ans, est de ceux-là. Le plus dommageable pour lui ? La fermeture des mosquées. “Habituellement durant le ramadan, tout le monde va à la mosquée lorsque le muezzin appelle à la prière, même ceux qui, le reste de l’année, n’y vont pas. C’est important, car ce sont aussi des moments où nous sommes ensemble, en particulier pour la tarawih (une prière du soir exécutée quotidiennement pendant le mois de jeûne, NDLR), que l’on fait en groupe. Malheureusement, cela ne sera pas possible cette année.” Alors, pour s’adapter aux conditions, le jeune homme effectuera ses prières à domicile, seulement entouré des quelques personnes, elles aussi confinées, du foyer, “une façon de maintenir tout de même l’esprit du ramadan, qui est un moment unique pour nous”, espère-t-il. Un esprit qui sera toutefois forcément différent et qui laisse présumer, selon le jeune fidèle, de quelques difficultés, notamment lors de la rupture du jeûne, “puisqu’on invite souvent des proches qui n’ont pas beaucoup de moyens pour qu’eux aussi en profitent. Là, ça ne sera pas possible, c’est sûr”.

Et puis, en ce qui concerne les habituelles réjouissances de l’Aïd – qui pourrait être confinée en cas de prolongation des mesures sanitaires –, elles devraient, elles aussi, passer à la trappe. Zalihata nous l’explique : “Du côté de l’embellissement de la maison, il n’y aura rien cette année. Comme la plupart des Mahoraises, j’ai l’habitude de changer la peinture, de redécorer l’intérieur de la maison pour pouvoir accueillir les invités qui viendront le jour de l’Aïd, mais cette fois, ça tombe à l’eau.”

Un “effort particulier” pour limiter les risques

Si le message est admis comme évident par la plupart, il s’agit tout de même de s’assurer que d’autres ne s’affranchissent pas des règles de distanciation sociale du moment. Du côté de la préfecture, on explique donc que “pour la période du ramadan, les dispositifs de contrôles et de sécurisation de la police et de la gendarmerie nationales seront adaptés pour répondre aux spécificités de la période”. Et notamment avec “un effort particulier porté sur les créneaux nocturnes, à la fois pour faire respecter les gestes barrières et prévenir les comportements à risque sur le plan épidémique, mais également pour assurer une surveillance générale permettant de garantir la quiétude des habitants pendant cette période sacrée. Les contours du dispositif sont en cours de finalisation. Un travail partenarial avec les communes et les autorités religieuses est conduit pour limiter les situations propices à la propagation du virus”.

 

Le tribunal judiciaire de Mayotte se prépare à avoir “la gueule de bois”

Le confinement a largement ralenti la vie au tribunal, où seules les affaires urgentes continuent d’être jugées depuis le 16 mars. Mais chez les magistrats comme chez les avocats, l’on s’inquiète déjà pour l’après-Coronavirus.

Deux mois de grève des avocats, suivis par bientôt deux mois de confinement… Décidément, la justice enchaîne les tuiles depuis le début de l’année. Et vu le nombre d’affaires qui ont été renvoyées à cause de ces fâcheux aléas, ni les magistrats, ni les greffiers, ni les avocats, ni même les agents de sécurité ne vont pouvoir souffler dans les mois à venir. En cause : les nombreux retards qui ne vont pas manquer d’embouteiller les salles d’audiences après le déconfinement. “Tout cela a mis le tribunal dans un état… Nous allons avoir la gueule de bois, c’est sûr”, soupire Laurent Ben Kemoun le président du tribunal judiciaire de Mamoudzou.

Pourtant, tout n’est pas à l’arrêt derrière les grilles fermées du bâtiment de Kawéni. Depuis le 16 mars, le procureur de la République et les magistrats continuent à s’y rendre, pour traiter les affaires dites “urgentes”. Car le confinement n’a pas mis fin aux actes de violence ou de délinquance sur l’île, tant s’en faut. Caillassages, vols à l’arraché, rixes entre bandes… Trois après-midi par semaine, les lundi, mercredi, et vendredi, les juges s’attachent à traiter, en matière pénale, ces délits du quotidien. “Il y en a suffisamment pour occuper quelques heures dans la journée”, souligne le président. Même chose du côté des juges d’instruction qui ne traitent plus que les urgences, mandats d’arrêt ou mises en examen en cas de crimes, mais remettent à plus tard les convocations pour les dossiers déjà ouverts.

À ces quelques cas s’ajoutent les urgences non pénales, pour des demandes d’ordonnance de protection par exemple, ou des affaires commerciales. Si, en théorie, les gens peuvent venir déposer leurs demandes au tribunal – système d qui consiste ces temps-ci à glisser leur courrier aux agents de sécurité à travers les grilles, pour les transmettre aux magistrats, nous décrit Laurent Ben Kemoun -, en pratique, peu de gens se sont présentés aux portes de la juridiction. “J’ai dû faire deux trois ordonnances de protection depuis le début du confinement, aucun référé, rien en matière commerciale non plus”, énonce-t-il.

Le poids du coronavirus dans la décision

Toutes les autres affaires font l’objet de renvois. Mais pour certaines dont les audiences doivent avoir lieu pendant le confinement, il faut parfois statuer sur le maintien ou non du prévenu en détention. Et pour rendre leur jugement, les magistrats ont un nouveau paramètre à prendre en compte : le Coronavirus. Si personne pour l’heure, n’a contracté le virus à la prison de Majicavo, la précaution est de mise. Pour les délits les moins graves, et en l’absence de récidive par exemple, les prévenus peuvent donc être remis en liberté, sous contrôle judiciaire ou non. Et ce, alors même qu’ils n’ont guère d’avocat pour appuyer leur défense.

En effet, les robes noires ont plutôt déserté les allées du tribunal, à en croire Laurent Ben Kemoun. “Il y a un risque de contact et de propagation du virus, mais l’ordre nous a plutôt dit que c’était à nous de décider pour les permanences”, justifie Maître Élodie Gibello-Autran, qui n’a pour sa part pas d’astreinte avant fin mai. Malgré tout, leur absence peut parfois poser problème. Pour les personnes majeures, les magistrats peuvent se passer d’elles pour décider du renvoi de l’affaire et du choix du maintien en rétention. Mais pour les personnes mineures, aucune dérogation n’est possible. La

présence de l’avocat est obligatoire. Et face à leur permanence résolument vide, les mineurs reçus depuis le 16 mars ont été remis en liberté et leur audience renvoyée.

Les avocats dans la tourmente

Côté avocats, on aborde aussi les mois à venir avec une certaine inquiétude. Une enquête publiée récemment par le Conseil national des barreaux montrait en effet que plus de 27.000 avocats pourraient quitter la profession dans les mois à venir en raison de la crise sanitaire liée au Coronavirus, soit près de 40 % des conseils. Car les difficultés économiques risquent de frapper les cabinets, déjà mis à rude épreuve avec la grève des retraites. “En temps normal, je tourne à environ dix ou quinze nouveaux dossiers par mois. Le mois dernier, j’en ai eu trois et ce mois-ci seulement un” , souffle Elodie Gibello-Autran. Une situation difficile, dont les impacts économiques risquent de se faire sentir à plus long terme, notamment car l’avocate facture au mois. L’aide de l’État de 1.500 euros ne pourrait donc pas suffire à couvrir ses frais. Sans compter les charges qui font pour l’instant l’objet d’un simple report et non d’une annulation.

“C’est clair que pour un jeune qui s’installe, la situation n’est pas rose”, acquiesce Maître Luc Bazzanella. “Même si à Mayotte, je pense que nous sommes un peu épargnés, et que les jeunes sont sécurisés, en étant collaborateurs”, poursuit-il. L’avocat, qui est aussi délégué à la réforme des retraites à l’Ordre, a aussi d’autres préoccupations pour la suite : les retraites et la pile de dossiers qu’il va falloir traiter après le déconfinement. “On profite de ces quelques jours de répit”. Avant la tempête qui s’annonce, aurait-il pu ajouter.

250 téléconsultations médicales avec examen clinique réalisées en trois semaines à Mayotte

Si le Coronavirus obnubile, il ne faut pas pour autant oublier la prise en charge de toutes les pathologies aiguës et chroniques. L’association Ensemble pour votre santé, avec le soutien de l’agence régionale de santé, a mis en place un dispositif de téléconsultation médicale avec examen clinique aux quatre coins de l’île. Sa présidente, le docteur Martine Eutrope, loue son efficacité et la coordination entre tous les professionnels de santé.

L’histoire de la consultation médicale à distance débute en octobre 2019. Porté par l’association Ensemble pour votre santé et financé par l’agence régionale de santé, le projet consiste à proposer de la téléexpertise sur un territoire, qui manque cruellement de spécialistes. Crise du Coronavirus oblige, les deux structures continuent de mettre à disposition des habitants cette technologie, cette fois-ci pour réaliser des téléconsultations avec examen clinique. “En cette période, la population hésite à se rendre chez le médecin pour éviter d’être en contact avec des gens potentiellement atteints du Covid+, bien que tous les professionnels de santé aient pris des mesures pour ne mettre aucun patient en danger”, souligne le docteur Martine Eutrope. “L’idée était de mettre en place une continuité des soins, pour continuer à prendre en charge toutes les pathologies aiguës et chroniques. Nous avons donc procédé à un maillage territorial”, renchérit Patrick Boutie, adjoint au directeur de l’offre de soins et de l’autonomie à l’ARS.

Par le biais d’un appareillage médical (un charriot fixe ou une mallette mobile), un professionnel de santé met en lien grâce à un système de visio-conférence le patient et le médecin. Pour cela, rien de plus simple. La prise de rendez-vous se fait par un secrétariat, via un numéro unique (06.92.03.98.17). Ce premier échange permet de définir le secteur géographique d’habitation et surtout si le malade peut se déplacer ou non. En fonction de cette dernière réponse, soit il se rend sur un point fixe à proximité de chez lui, soit un infirmier libéral lui rend visite à son domicile. “Nous avons un pool de quatorze médecins avec un agenda partagé sur lequel nous écrivons nos disponibilités. Avant de nous connecter, nous avons déjà pris connaissance de la fiche du patient, qui recense la température, le poids, la taille et le motif de la consultation”, précise le docteur Martine Eutrope. Le matériel permet d’ausculter le cœur et les poumons, d’examiner les tympans et de procéder à un électrocardiogramme. Seule différence avec un examen “classique”, la durée. Celui par téléconsultation s’avère un peu plus long, environ vingt minutes, en raison des consignes données par le médecin posté derrière son écran et des écueils informatiques.

Réflexion en cours sur l’après-confinement

Commencée il y a maintenant trois semaines, la consultation médicale à distance démontre toute son efficacité et sa pertinence. Rien que sur Petite-Terre, Mamoudzou et Koungou, le docteur Martine Eutrope en recense près de 250. “La cadence est bien soutenue”, confirme Patrick Boutie. D’où l’étendue du dispositif ce lundi au cabinet médical de Hamjago et ce jour à la pharmacie des Tortues de Bandrélé, grâce à la mise à disposition d’un appareil fixe par la MGEN (mutuelle générale de l’Éducation nationale) pour cette dernière commune. Indépendamment du nombre élevé de patients, la présidente de l’association loue la coordination entre les personnels de santé à l’échelle départementale. “La crise sanitaire nous rapproche et nous invite à mieux travailler ensemble. Tout le monde s’implique énormément, c’est très agréable.” Au point de voir cette pratique se marginaliser à l’issue du confinement ? Il semble encore trop tôt pour le certifier. “Nous reprendrons la téléexpertise, mais nous essaierons de nous organiser pour faire de la téléconsultation dans les parties de l’île dépourvues de médecins. Cette période nous prouve que ce dispositif fonctionne bien !” Et surtout, son prix est identique à celui d’une consultation normale et est remboursé à 100 %. “La logistique pour équiper les médecins en ordinateur, la maintenance informatique, le fonctionnement de l’association et l’investissement dans les machines (une valise mobile coûte environ 15.000 euros, ndlr.) sont pris en charge par l’ARS”, dévoile Patrick Boutie. Cerise sur le gâteau : le patient voit son ordonnance être directement envoyée à la pharmacie de son choix.

 

Les méthodes de travail des facteurs mahorais réadaptées pendant le confinement

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Les facteurs sont constamment en contact avec les habitants, mais depuis le début du confinement, ils doivent revoir leurs méthodes de travail et garder leurs distances. Ils doivent intégrer de nouveaux gestes et de nouveaux outils dans l’exercice de leur mission. À l’exemple de la nouvelle application CertiRemis, expressément créée pour permettre aux postiers de respecter les mesures de sécurité.

Chaque postier a un secteur affecté. Dès son arrivée au centre de tri, le postier doit trier les courriers selon les rues. Cela lui permet d’organiser et d’optimiser son temps épandant la distribution.

La direction de la poste a instauré des nouvelles mesures depuis le début de la crise sanitaire. Tous les matins, chaque facteur se voit attribué du gel hydro-alcoolique, un masque, du savon, et une bouteille d’eau afin de respecter les règles d’hygiène. Ikram applique le gel hydro-alcoolique à chaque étape de sa mission.

La Poste a mis en place une application qui permet aux facteurs de remettre les colis et les lettres recommandées sans jamais être en contact physique avec les clients. Il doit prendre en photo le colis et le déposer devant le domicile ou mettre la lettre dans la boîte aux lettres. En temps normal, les colis ainsi que les lettres recommandées nécessitent une signature du client. « Cela nous permet en effet de garder nos distances mais nous perdons également trop de temps dans toutes ces procédures », explique Ikram le postier.

Les facteurs se retrouvent confrontés à de nouvelles difficultés. Mes courriers adressés aux écoles et aux mairies repartent souvent au centre de tri car il n’y a aucune permanence. Ils laissent donc un avis de passage.

Recteur de Mayotte : “Si des écoles ne sont pas en état de marche le 11 mai, nous repousserons leur ouverture”

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L’annonce de la réouverture des établissements scolaires d’ici trois semaines fait jaser. Alors que les syndicats estiment que le département sera “dans l’impossibilité technique” de faire respecter les gestes barrières et mesures de sécurité dans ses écoles, ils ont rencontré hier matin le recteur de l’académie pour faire part de leurs inquiétudes. Gilles Halbout de son côté devrait élaborer, d’ici deux semaines, un protocole en partenariat avec l’agence régionale de santé.

La question est encore loin d’être réglée : les écoles mahoraises rouvriront-elles leurs portes le 11 mai ? Seulement quelques jours après l’annonce faite par le ministre de l’Éducation nationale, syndicats et rectorat multiplient les échanges. Mercredi matin, tous ont pris part – à distance bien sûr – à un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Pour Gilles Halbout, l’enjeu était d’abord de recenser les questions et inquiétudes des différentes organisations pour pouvoir, dans un deuxième temps, co-construire un plan de réouverture avec l’agence régionale de santé, et ce d’ici deux semaines. Un procédé méthodique, dont dépendra le retour ou non des enseignants et des jeunes dans leurs établissements respectifs.

Si “tout un tas de sujets est encore en chantier”, selon Henri Nouri, co-secrétaire départemental du Snes-FSU, le syndicat majoritaire du second degré estime déjà que le département sera dans l’impossibilité technique” d’organiser un retour en classe d’ici moins de trois semaines. “Pour le moment, nous n’avons pas les conditions pour reprendre les cours.” Et pour cause, les mesures à prendre concernant la désinfection des écoles, la distribution de masques, le dépistage massif, ou le respect des gestes barrières, notamment lors de la récréation, de la restauration scolaire ou des cours d’éducation physique et sportive sont encore en attente de concertations supplémentaires entre les différentes institutions concernées. Seule certitude pour l’instant : “Si des écoles ne sont pas en état de marche le 11 mai ou si nous n’avons pas eu le temps de nous organiser, on repoussera leur ouverture”, promet le recteur, pendant que la CGT Educ’action estimait dès le début de semaine que les conséquences d’un déconfinement progressif des scolaires à cette date risquait de contribuer à une vague de contamination, sur un territoire “particulièrement propice”, du fait notamment des lieux de vie précaire et des établissements surchargés. D’autant plus que Mayotte a été frappée plus tard que la métropole par l’arrivée de Covid-19, ce qui présume que le pic de l’épidémie arrivera, lui aussi, plus tard.

Sur la base du volontariat

Selon les premiers éléments dévoilés par le rectorat, les élèves eux-mêmes ne seront pas obligatoirement tenus de revenir en classe, puisque ceux qui présentent des risques ou des craintes particulières seront autorisés à poursuivre le travail à la maison, à l’instar des professeurs. “Et si certains ne peuvent venir qu’un jour sur trois, ou même qu’un jour sur cinq, cela sera possible”, rassure Gilles Halbout. “Mais il y a des élèves qui sont en train de décrocher, et nous devons empêcher ça.”

Concrètement, la reprise des cours se fera progressivement, via un calendrier étalé sur trois semaines. Ainsi, grandes sections, CP, CM2, zones REP et REP+ seront les premières à rejoindre l’école le 11 mai, suivies des 6èmes, 3èmes, 1ères, terminales et des ateliers industriels en lycée professionnel la semaine suivante. Viendront enfin, le 25, l’ensemble des effectifs restant.

Les classes seront divisées en groupe d’une douzaine à une quinzaine d’élèves, qui alterneront une semaine de présence à l’école puis une semaine de travail à la maison. “Je ne vois aucun point bloquant, mais un gros travail nous attend”, reconnaît encore l’académie. De leurs côtés, les syndicats qui plaident également pour un retour en classe le plus rapide possible à condition que les mesures de sécurité et de protection soient réellement mises en place ne partagent pas tout à fait cet optimisme. “On aimerait bien entendre les maires, mais on n’a peur qu’ils prennent la fuite”, souffle Rivo, secrétaire départemental de SNUipp-FSU. Car les élèves et les professeurs ne seront pas les seuls à être déconfinés, les écoles embauchant également des employés communaux. Là-dessus, l’académie qui se sent toute de même “bien accompagnée” regrette une certaine politisation de ce sujet pourtant d’intérêt public.

 

À Tsararano, les patients reprennent le chemin de l’école

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Depuis la semaine dernière, l’internat du lycée de Tsararano a rouvert ses portes. Non pas pour préparer une éventuelle rentrée scolaire le 11 mai, mais pour accueillir des patients atteints du Coronavirus qui ne peuvent s’isoler chez eux et protéger leur entourage. Pour l’heure, le centre d’hébergement compte quatre hôtes et pourrait en recevoir 80.

Bureau du CPE transformé en quartier général des infirmières, masques sur les visages et gel hydroalcoolique sur les tables… Seule la sonnerie du lycée qui continue à retentir vient rappeler que c’est bien dans un établissement scolaire que le centre d’hébergement social est venu s’installer. Et remplacer ainsi les 110 élèves que comptait encore l’internat avant les dernières vacances par des patients atteints du Coronavirus. Au nombre de quatre, ce mardi. De quoi expliquer le pesant silence qui s’installe dans les couloirs quand le tocsin scolaire se tait.

“Nous avons misé sur une capacité de 80 places pour ne pas mettre plus de deux personnes dans les chambres, bien respecter les gestes barrières et de distanciation sociale, etc.”, explique Mathilde Hangard, responsable de la planification de crise sanitaire liée au Covid à l’ARS. “L’idée était que ces centres puissent permettre un isolement de la personne lorsque cet isolement n’est pas possible à domicile pour différentes raisons. Pour l’instant, nous avons privilégié cette stratégie même si dans un futur proche d’autres solutions seront peut-être à envisager. Lorsque l’on a visité l’internat, on a eu un bon échange avec le personnel et on s’est dit que le lieu correspondait bien à nos besoins”, poursuit-elle en arpentant des locaux propres comme un sou neuf. Il faut dire que les équipes de nettoyage passent deux fois par jour dans un protocole des plus strict. Deux fois aussi, pour les infirmières et une visite médicale pour chaque patient. En tout, ils sont une quinzaine à intervenir quotidiennement et pour diverses tâches dans le centre.

Pallier l’ennui des journées confinées

De quoi rythmer la vie des hôtes, même s’“il y a forcément un peu d’ennui, car ce sont des personnes qui ont tellement l’habitude de vivre avec leur famille, en collectivité qu’ici c’est forcément un peu plus compliqué, car c’est une tout autre dynamique, il n’y a que quatre patients”, confie une responsable de la Croix-Rouge qui déploie deux travailleurs sociaux – des éducateurs — dans le centre. Petit à petit, les professionnels s’adaptent pour répondre au mieux aux besoins des personnes hébergées et tenter de rendre leur séjour, qui rime avec séparation, moins douloureux. Entre les repas, des jeux de société, des projections de films, des temps de parole sont ou seront ainsi organisés pour pallier l’ennui des journées confinées.

Rappelons que cette mise à l’écart “se fait sur la base du volontariat”, comme le souligne Mathilde Hangard. “On a préféré pour des raisons sanitaires ne mettre que des patients qui ont été testés positivement. Lorsqu’un patient suspect se présente dans un centre de référence, il est diagnostiqué et ce n’est qu’après, si le test est positif que les équipes sociales du CHM entrent en jeu pour vérifier si la personne a les conditions pour s’isoler à domicile ou non. Et si ce n’est pas le cas, lui proposer un hébergement en centre. Si celle-ci est d’accord sur le principe, elle vient visiter le centre et est accueillie par des travailleurs sociaux de la Croix-Rouge et une infirmière qui ont un entretien avec la personne afin de vérifier que celle-ci est bien d’accord pour rester ici jusqu’à la disparition des symptômes. On lui explique comment se déroule la vie au centre, la prise des repas, etc. À partir de là, le choix définitif se fait”, déroule la représentante de l’agence régionale de santé.

Dispositif novateur

Un choix qui peut, au-delà des conditions de vie, être guidé par un aspect plus social de la santé. “Il y a aussi à Mayotte toute la problématique de l’acceptation de la maladie, qui n’est pas forcément évidente, on ne connait pas cette maladie, elle fait donc forcément peur et des personnes peuvent se retrouver stigmatisées. Donc pour se protéger socialement elles comme leur entourage, préféreront venir se mettre à l’abri ici”, estime encore Mathilde Hangard.

Dans le centre, si la stigmatisation est évidemment proscrite, les barrières sont quant à elles bien matérialisées. Vert ou orange, chaque couloir, chaque secteur est identifié en fonction de son public. En secteur orange, donc, les équipements de protection sont de rigueur quand en zone verte, les infirmières peuvent tirer leurs masques pour discuter entre elles. Après une petite semaine d’ouverture, les mouvements commencent à se rôder, la vie du centre se fluidifie peu à peu. Tout comme la communication entre les différents partenaires. “C’est aussi un dispositif qui est lourd au niveau institutionnel et qui pour chaque petite question demande souvent que le lien soit fait entre différentes personnes. C’est quelque chose qui est nécessairement un peu compliqué au départ, mais qui devient plus naturel au fur et à mesure”, avoue la responsable de planification à l’ARS, plaidant toutefois que “c’est normal, c’est tout nouveau, c’est une première”. Une première, qui on l’espère, n’aura pas vocation à se multiplier.

 

Attaquée de toutes parts à Mayotte, Panima tente de riposter

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Entre la polémique sur la qualité des repas livrés aux confinés du RSMA, et la mise à l’arrêt d’une partie importante de son activité à cause du confinement, l’entreprise de restauration collective est sur tous les fronts. Mais face à ces multiples coups durs, son directeur, Gilles Rouinvy, ne baisse pas les bras et répond aux critiques. Entretien.

Flash Infos : Le nom de Panima revient régulièrement sur le devant de la scène, qu’il s’agisse des aides alimentaires, ou du RSMA. Panima est la première entreprise de restauration collective à Mayotte, et vous fournissez aussi, en temps normal, le centre universitaire de formation et de recherche, Air Austral, les écoles… Quel impact a le confinement sur votre activité ?

Gilles Rouinvy : Cette situation met l’entreprise en difficulté. Pour vous donnez une idée, ce sont 50.000 collations par jour que l’on ne distribue plus aujourd’hui. Désormais, nous ne fournissons plus que le RSMA et le CHM. Et un petit peu les points chauds de l’île, à qui nous livrons du pain minute trois jours par semaine. Tout le reste a été interrompu. Le CUFR de Dembéni est à l’arrêt, le CRA également, la cafétéria de la Deal, et bien sûr la restauration scolaire. Normalement, nous avons des contrats sur un ou deux ans avec nos partenaires, mais comme il s’agit d’un cas de force majeure, nous n’avons plus de bons de commande. Et nous ne sommes pas les seuls à en souffrir ! Nous devons être quatre ou cinq prestataires dans la même situation depuis le 16 mars. Sans parler de nos fournisseurs. Je pense par exemple à Ovoma pour les œufs ou la Laiterie de Mayotte pour les yaourts. En tout, ce sont 80.000 produits par semaine pour la Laiterie et 50.000 œufs par semaine pour Ovoma que nous n’utilisons plus pour ces collations dont nous avons dû interrompre la production. Pour ces entreprises mahoraises, il ne reste guère que la grande distribution comme débouché… C’est regrettable, d’autant que j’ai pris la direction de Panima depuis trois ans pour développer des filières d’approvisionnement locales. Nous devions en faire de même pour les fruits et légumes, et ce chantier-là est maintenant, lui aussi, remis à plus tard. Je déplore cette situation, alors que Panima est une entreprise qui doit justement, de par sa taille, porter le développement de Mayotte.

FI : Combien de salariés se rendent désormais sur le site ? Comment avez-vous réparti vos forces ?

G.R. : Sur les 200 personnes qui travaillent chez nous, ils ne sont plus qu’une cinquantaine. Et leur activité se concentre sur la préparation des repas pour le RSMA et le CHM. Plus exactement, nous en avons 40 qui travaillent au sein de l’entreprise et cinq au CHM contre six avant le confinement. Pour les autres, nous avons d’abord misé sur les congés payés, avec pour but de préserver au maximum les salaires. Mais une fois cette cartouche épuisée, nous avons dû avoir recours à l’activité partielle pour une partie importante de nos salariés : 80 % des agents sont en activité partielle aujourd’hui. Mon objectif ? Qu’ils reviennent le plus vite possible, pour ramener leur rémunération à leur niveau d’origine. Et nous pouvons y arriver. En effet, j’attends des nouvelles du commandant pour la réouverture du centre de rétention (CRA) transformé en centre d’hébergement pour les quatorzaines. Dès que son activité va redémarrer, je vais pouvoir y envoyer six salariés, aujourd’hui au chômage technique. Ensuite, cette dernière semaine, exceptionnellement, j’ai pu mobiliser vingt salariés de plus grâce à la mairie de Koungou, qui a relancé les aides alimentaires dans plusieurs écoles de la commune. Si toutes les mairies de l’île s’y mettaient elles aussi, nous pourrions même retrouver 100 % de nos forces vives.

FI : Quel rôle jouez-vous dans les aides alimentaires ? Certaines mairies ou associations préfèrent le système des bons, plutôt que les distributions, dont certaines ont dû être annulées à cause des craintes d’attroupements…

G.R. : En effet, cela a été le cas le 3 avril dernier, où nous étions mobilisés pour fournir les 30.000 collations de la PARS, dont la gestion de la distribution a été remise à la dernière minute par la préfecture aux mairies et CCAS. Mais cela s’est relativement bien passé. En ce qui concerne les bons alimentaires, je ne sais pas très bien quel mécanisme peut permettre de faire passer la PARS en bons et ce n’est pas vraiment de mon ressort. Ce que je sais, c’est qu’ils sont justement en pleine réflexion au rectorat pour définir la meilleure méthode pour fournir ces aides. Nous avions initié une première mouture avec les établissements, mais c’est tombé à l’eau à cause des craintes liées aux attroupements lors de la distribution. Désormais, la préfecture a mis en place un guide des bonnes pratiques. Et l’action que nous menons avec la mairie de Koungou prouve que ces distributions peuvent se passer dans l’ordre. Nous avons pu relancer les collations par le biais de la PARS et constitué pour chaque élève un colis de 33 jours de collations. Toute cette semaine, nos camions vont dans les écoles de la commune. Lundi, nous avons donc livré 700 colis, mardi c’était 500, aujourd’hui (mercredi) 1.300 et jeudi 500, soit plus de 3.000 colis. Il ne s’agit que de denrées non périssables, des collations sèches, sans problème de conservation.

FI : La polémique enfle sur la situation au RSMA. Les confinés se plaignent de la qualité des repas. Lundi soir, certains ont assuré avoir ressenti des maux de ventre après avoir consommé un repas périmé et mardi matin, ils ont entamé une grève de la faim (voir encadré). Que répondez-vous ?

G.R. : Pour les quarante personnes qui viennent travailler tous les matins à Dembéni, ces nouvelles ont de quoi leur plomber le moral. Nous nous faisons attaquer de toutes parts et la presse n’est pas toujours très tendre, cela a un impact sur nos agents qui préparent ces repas. Je tiens là dessus à rappeler que nous livrons 300 repas au RSMA et les critiques n’émanent que des 61 confinés. Les militaires de la caserne, mais aussi les agents hospitaliers du CHM, et même les salariés de Panima et moi-même, nous mangeons tous la même chose : nous ne préparons pas 50 recettes différentes ! Alors nous avons toutefois été amenés à changer un peu le menu, après les critiques. Depuis lundi, à la place d’un plateau “entrée-plat-dessert”, les confinés ont maintenant un plateau “entrée améliorée — plat — fromage — fruit — dessert”. Donc les nouvelles critiques, lundi soir, je ne les comprends pas. Peut-être s’agit-il d’une question de réchauffe, le goût des plats change lorsqu’on utilise un micro-onde par exemple. Quant aux repas périmés, c’est tout simplement faux : ils ont été préparés vendredi pour le lundi, donc ils ont été consommés le jour de la date limite de consommation. Je ne dis pas que tout est parfait à Panima, mais nous vivons une période compliquée et je ne pense pas que ce soit le bon moment pour polémiquer.

 

Les conséquences du confinement sur la santé mentale des Mahorais

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Il est évident que le confinement n’est pas vécu de la même façon par tout le monde. Les conditions de vie, et la santé psychologique de chacun d’entre nous ont leur rôle à jouer. Mais une chose est sûre, cette situation vient bouleverser notre quotidien, et cela n’est pas sans conséquences.

“Tous les matins, je me demande si c’est réel. J’ai l’impression qu’on est en train de vivre un cauchemar.” Iman, 26 ans, essaye encore de comprendre la crise sanitaire qui touche le monde entier. La jeune femme de nature joviale et positive a l’impression d’être prisonnière d’une situation qui lui échappe. “Comment en est-on arrivés là ? Tout est arrivé si vite. Du jour au lendemain, on nous demande de tout arrêter, ce n’est pas facile à assimiler pour moi”, confesse-t-elle. Iman n’est pas la seule à se poser une multitude de questions. Delaïde, 24 ans et mère d’un enfant, a dû apprendre à gérer ses émotions seule alors qu’en temps normal, elle est aidée par une psychologue. “Je me suis retrouvée face à mes émotions, à des blessures… Alors je me suis posée pour y réfléchir. Je suis arrivée à un stade où ma psy me manquait, j’avais besoin d’elle, mais j’ai fait autrement”, explique-t-elle. Tous ces questionnements sont le fruit du confinement qui nous accorde plus de temps. Certains en profitent pour faire de nouvelles activités et d’autres se posent des questions existentielles. “Chacun va réagir différemment face à la situation. Si la personne est touchée par une certaine fragilité, cela peut éveiller certaines choses chez elle”, informe Lucie Bouflet, psychologue à l’Acfav, association qui lutte contre tous types de violences. Raison pour laquelle tous les professionnels de la santé mentale insistent sur le fait de ne pas s’isoler complètement et de rester en contact avec son entourage. Et ceux qui vivent en famille doivent appliquer certaines règles pour que la cohabitation ne devienne pas un supplice. “Il est important de faire des activités en famille, mais c’est également nécessaire que chacun ait son espace et qu’il puisse faire ce qu’il veut”, avertit la psychologue. “J’aime mon mari, mais j’ai aussi besoin de me retrouver seule sans mari, sans enfant, juste moi”, déclare Delaïde. Cela peut en effet éviter les disputes avec les conjoints et les enfants. Ces derniers ont d’ailleurs besoin de plus d’attention en ce moment, même si certains parents s’arrachent les cheveux lors des devoirs. “Cette situation suscite beaucoup de questions chez eux. Ils sont déréglés, il y a un changement dans leur quotidien, ils ne vont plus à l’école. Mais si l’enfant est épanoui dans sa famille, le confinement se passera plutôt bien. Si en revanche il a des difficultés avec l’entourage familial, cela peut être très difficile à vivre pour lui”, note la professionnelle.

Nouvelle forme de pression sociale

Certains se sont découvert une passion ou un talent en mettant à profit le temps libre octroyé par le confinement. Mais cela entraîne également une forme de culpabilité et de pression chez les autres qui préfèrent ne rien faire. “Depuis le confinement, je suis frustrée et les idées ne sont pas claires dans mon esprit. Je pense que c’est dû à cette pression sociale qui veut qu’on fasse constamment des choses qu’on ne fait pas en temps normal”, souligne Maria, 30 ans. D’autres culpabilisent de ne pas pouvoir offrir à leur famille le confort absolu, à l’image de Mia, mère de deux enfants en bas âge. “Nous vivons dans un 50m2 avec mes deux enfants et mon mari. En tant que parents, on culpabilise énormément, car les enfants sont enfermés, on n’a pas de jardin pour qu’ils puissent jouer à l’extérieur et ils ne font plus d’activités extrascolaires. Ils se lassent vite et ce n’est pas facile.”

Les populations qui vivent dans des situations précaires subissent également une forme de pression sociale. Ces personnes doivent respecter les règles du confinement afin de ne pas mettre les autres en danger, mais il est difficile de rester confiné dans une case en tôle où les conditions de vie sont loin d’être idéales. “D’un point de vue psychologique je comprends que certains continuent à sortir. C’est difficile d’être confiné quand sa maison ne le permet et qu’on vit dans des conditions difficiles. Ces personnes ont un peu plus de mal à comprendre le confinement et c’est normal”, analyse la psychologue Lucie Bouflet. Malgré tous les conseils des professionnels, il n’existe finalement pas de mode d’emploi pour vivre le confinement. Alors chacun gère la situation comme il le peut afin de ne pas y laisser des plumes.

 

Catherine Barbezieux, directrice du centre hospitalier de Mayotte : “Relâcher la pression serait une erreur”

Point d’étape pour Catherine Barbezieux, la directrice du centre hospitalier de Mayotte qui profite d’une stabilisation des entrées à l’hôpital des patients souffrant du coronavirus pour faire le bilan des différentes réorganisations que le CHM a mises en place pour parer à l’épidémie. La directrice revient également sur les chantiers en cours, comme l’hospitalisation à domicile, sur la mécanique à l’œuvre avec les autres institutions, ou encore sur l’état physique et moral du personnel soignant. 

Flash infos : Le CHM est régulièrement montré comme étant un foyer de contamination. Qu’en est-il et comment s’organise-t-il pour mieux se protéger ? 

Catherine Barbezieux : Il y a effectivement eu une communication sur le fait que de nombreux agents ont été infectés, ce qui a d’ailleurs pu générer de la crainte dans la population et l’empêcher de venir à l’hôpital. Pour autant, lorsque l’on regarde les chiffres, on voit que nous sommes en deçà d’un grand nombre d’hôpitaux dans le pourcentage d’infection. Toujours est-il qu’il y a eu des contaminations, tant par des cas contacts extérieurs qu’à l’intérieur. Santé publique France établit chaque semaine des statistiques sur les personnes infectées et nous constatons à travers ces chiffres qu’il y a eu, en tout début de crise, un certain nombre de contaminations à l’hôpital. Pour cette raison, nous avons mis en place rapidement plusieurs dispositifs sous la houlette de la présidente du comité de lutte contre les infections nosocomiales. Il y a eu un affichage sur les mesures et les équipements de sécurité et leur bonne utilisation. Nous avons également mis en place un protocole en fonction de chaque métier et de ses particularités sur les équipements. Cela a été fait très vite. Et contrairement à ce qui s’est passé en métropole où beaucoup de professionnels ne portaient pas de masques, souvent du fait de manque, j’ai pris la décision d’équiper l’ensemble des personnels qui sont en contact avec les services de soin de masques chirurgicaux. Nous avons mis cela en place en une semaine alors qu’au niveau national les directives étaient encore de réserver les masques aux services de réanimation, ceux des urgences et ceux des services accueillant des patients contaminés. On a fait beaucoup plus. À partir de là, l’ensemble du personnel a eu accès aux masques et aux gels hydroalcooliques. 

Par ailleurs, nous avons mis rapidement sur pied un protocole d’accès à l’hôpital. Notamment avec un poste médical avancé qui permet que les patients suspects ne rentrent pas directement dans les services ou encore un point d’accueil et tri à l’entrée de l’hôpital. On ne rentre plus au CHM comme cela se faisait avant et l’idée est encore une fois d’éviter la contamination venue de l’extérieur. 

Enfin, puisque l’affichage ne suffit pas, nous avons mis en place des formations sur site. Nous avons donc développé ces sessions avec des infirmiers hygiénistes pour montrer les bons gestes et éviter une mauvaise utilisation des matériels de protection. Cela s’est vraiment structuré depuis 15 jours et nous allons pouvoir encore intensifier l’effort grâce aux renforts de la réserve sanitaire qui comprend des infirmiers hygiénistes, car il faut faire le tour de tous les services. 

FI : Les contaminations internes suscitent-elles de l’inquiétude au sein du personnel ou de leur entourage ? 

C. B. : Le personnel que j’ai pu visiter, y compris dans les unités Covid où l’on pourrait penser que l’inquiétude est au rendez-vous, montre une vrai prise en compte des bons gestes et surtout une fierté de participer à cet effort collectif de lutte contre le virus. Je pense qu’ils ont besoin de reconnaissance et qu’il est important qu’on leur dise que nous sommes reconnaissants à leur égard. Leur place n’est pas toujours évidente, ils sont à la fois en première ligne et parfois ostracisés quand ils rentrent chez eux, car on craint qu’ils contaminent l’entourage. À cet égard, je tiens à rappeler qu’avec nos mesures de sécurité, le risque de contamination est bien inférieur à ce que l’on peut voir dans la rue avec des attroupements réguliers. Il est bien moins dangereux de travailler à l’hôpital et même de s’y rendre que de ne pas respecter la distanciation sociale. 

FI : En interne, les tensions étaient relativement vives avant la crise, se sont-elles apaisées ? 

C. B. : Les syndicats jouent leur rôle. Nous maintenons les CHSCT pour discuter même si nous le faisons dans un cadre réduit pour prévenir les risques. De mon côté, je les rencontre vendredi. Ce sont des choses importantes et globalement, il y a une vraie volonté de s’informer et d’être force de proposition. Cela se passe plutôt bien. 

FI : On a pour autant entendu des cris d’alarme quant à un supposé manque de matériel. Qu’en est-il ? 

C. B. : Il n’y a pas du tout eu de rupture de stock. J’ai entendu certaines voix se lever pour dire l’inverse, mais c’est faux, il n’y a jamais eu de manque de matériel de protection. En revanche, j’ai mis en place des mesures drastiques quant à leur accès. Pourquoi ? Tout simplement, car dès la première semaine nous avons eu énormément de vols. Plusieurs dizaines de milliers de masques ont disparu ! Il ne s’agit pas là d’un vol habituel pour se protéger à la maison, mais bien d’une action de grande ampleur. Il a donc fallu mettre en place un système sécurisé de distribution via les cadres. Nous distribuons ainsi la quantité journalière nécessaire à chaque agent. Cela nous a permis d’arrêter l’hémorragie qui, pour le coup, aurait pu nous mettre en difficulté. On s’est dit “si ça continue sur cette lancée, nous n’avons plus de masques d’ici quinze jours”… Tout le monde a donc joué le jeu ce qui permet que nous soyons tous protégés de manière correcte.

FI : Du côté des moyens humains, vous avez fait appel à la réserve sanitaire, comment cela s’est déroulé ? 

C. B. : J’ai rédigé un courrier à l’attention de la directrice de l’ARS pour demander un certain nombre de renforts. Elle-même avait déjà identifié certains besoins et nous avons obtenu avec l’appui de Santé publique France 20 réservistes, ce qui est beaucoup et qui sont arrivés la semaine dernière. L’impression que j’ai est que l’écoute est de plus en plus forte au niveau national des besoins de Mayotte. Quand le gouvernement évoque les Outre-mer, les besoins de Mayotte ne sont plus noyés dans la masse. 

FI : En termes de matériel, non pas de protection, mais médical cette-fois, il vous faut aussi plaider votre cause. Êtes-vous entendue ? 

C. B. : Nous avons fait connaître nos besoins, nous attendons encore des respirateurs pour anticiper, mais rappelons que nous sommes dans une gestion nationale de crise. Les moyens sont partagés en fonction des besoins par secteur géographique. Mais ce qui est rassurant ici c’est que les interlocuteurs semblent être dans une logique de prévention plutôt que de réaction. Ils pourraient très bien nous rétorquer que nous n’avons que quatre cas en réanimation et que les besoins que nous faisons remonter sont donc démesurés. Or ce n’est pas le cas. Pour l’instant en tout cas, car je ne peux pas prédire de l’évolution des choses. 

FI : Avez-vous estimé le point critique à partir duquel le CHM ne pourrait plus faire face à une éventuelle vague épidémique ? 

C. B. : Oui, nous avons fait ce travail, notamment à l’occasion de la transformation de lits pour la réanimation. Nous avons pu évaluer l’ensemble de nos capacités pour faire face à un afflux. Il nous reste encore une bonne marge de manœuvre et des structures se dressent pour nous aider. C’est le cas de l’internat de Tsararano qui nous permet de ne pas garder des patients qui n’ont pas besoin de soins, mais qui ne pourraient pas rentrer chez eux, car leur situation ne permet pas de protéger leur entourage. Cela permet de libérer des lits. C’est aussi l’intérêt de l’hospitalisation à domicile. Après, bien sûr que si l’épidémie prenait une très grande ampleur comme ce que l’on a pu observer dans certaines régions, il est évident que nous aurions besoin d’un appui supplémentaire. 

Pour l’heure, chacun fait ce qu’il peut en fonction des éléments dont nous disposons, il n’y a pas de jugement à avoir. Il faut plutôt se baser sur les chiffres. Je ne parle pas là des tests, car il est clair que si nous faisions plus de tests, nous détecterions plus de contamination. À ce titre, nous avons encore une marge de progression en interne pour réaliser plus de tests, mais si l’idée est de passer à un dépistage de grande échelle, il faudrait associer d’autres intervenants. Mais pour estimer la tendance, je me fie plutôt à la courbe, tant des hospitalisations que des entrées en réanimation qui, elle, n’évolue pas. Ces indicateurs montrent pour l’instant une stabilisation, mais il ne faut pas pour autant relâcher la pression, ce serait une erreur. C’est dans ce cadre que nous travaillons, nous nous organisons au mieux pour parer à différentes éventualités tout en veillant sur les patients chroniques. À chacun aussi de prendre ses responsabilités en faisant passer les bons messages et en les appliquant. 

FI : Globalement, comment le CHM s’est organisé pour faire face et quelle marge de manœuvre lui reste-t-il ? 

C. B. : L’organisation comprend tout l’aspect logistique qui consiste à travers un gros travail quotidien à identifier les besoins, de prioriser les commandes, etc. Sur la gestion de la crise elle-même, les choses se sont faites en trois étapes : dans un premier temps, la logique était de se dire “puisque nous avons des capacités très limitées, si nous sommes confrontés à une flambée épidémique, comment faire face à un afflux de patients ?” Dans ce cadre, nous avons mis en place le plan blanc le 16 mars, nous avons réorganisé l’accueil à l’hôpital avec de nouveaux circuits pour éviter que les patients Covid ne croisent les autres, etc. Tout ce travail s’est fait à travers nos capacités existantes. Mais il nous fallait faire plus contre une éventuelle vague. Il nous a alors fallu préparer l’hôpital, et je rends hommage à toutes les équipes qui se sont fortement mobilisées en ce sens pour accomplir une véritable prouesse : en quelques jours, nous avons fait en sorte qu’au-delà de nos 16 lits de réanimation, nous puissions atteindre une quarantaine de lits équipés de respirateurs. Nous avons également isolé dans le service de médecine et de chirurgie ambulatoire des secteurs Covid fermés avec des accès dédiés. 

Il se trouve qu’aujourd’hui, quand on regarde l’activité, on voit que les choses sont relativement stables avec quatre patients en réanimation à ce jour. On ne peut donc pas dire qu’il y ait une flambée d’activité. Nous avons tout de même travaillé sur le niveau suivant avec la possibilité d’ouvrir une deuxième unité d’urgence séparée géographiquement avec un circuit indépendant. Aujourd’hui, nous ne l’avons pas activée, car les besoins ne sont pas là, mais s’il se passe quoi que ce soit nous sommes en mesure d’appuyer sur le bouton.

FI : Vous avez évoqué une hospitalisation à domicile, qu’en est-il pour les patients chroniques qui semblent avoir été écartés du système de soin face à l’urgence ? 

C. B. : Nous avons été faibles sur la communication, mais nous avons dès le début pensé aux patients chroniques. Le problème de cette situation d’urgence est que l’on organise les services en fonction d’une éventuelle arrivée massive au détriment des patients qui ont un besoin de suivi régulier. Pour cela, nous avons fermé les petits dispensaires pour pouvoir mieux déployer le personnel. Et dans les centres de référence, nous avons créé trois filières : la première pour les suspicions de Coronavirus, une autre pour les consultations de médecine générale et une filière pour la prise en charge des patients chroniques avec la possibilité de rendez-vous. Je dois l’avouer, je ne suis pas certaine que l’information ait bien circulé sur ce point. Ce qui s’ajoute à un problème avéré : le fait que beaucoup de patients ne veulent pas se rendre à l’hôpital de peur de contracter le virus ou simplement de se faire dépister avec d’éventuelles conséquences sociales. 

Toutes ces méconnaissances nous mènent à une situation qui interpelle. Et pour laquelle il faut absolument trouver des solutions plus adaptées. Dans ce cadre, l’ARS et le CHM travaillent pour faire face à cet enjeu de santé publique. Nous sommes tombés d’accord sur le fait qu’il fallait mettre en place un dispositif pour prendre en charge les patients chroniques à leur domicile. Nous connaissons ces patients en file active, ce qui nous permet de mettre en place un dispositif mobile qui devrait vite se mettre en place. J’espère que nous serons aussi rapides et efficaces que pour les autres réorganisations.  

FI : Le lien semble étroit avec l’ARS, comment se passe cette collaboration dans le cadre de la gestion de crise ? 

C. B. : Nous tenons des réunions de façon régulière en fonction des différents sujets. Ce qui nous permet de nous coordonner tant sur les orientations nationales qui passent par l’ARS que sur les informations dont nous disposons au niveau du terrain. Il y a forcément des sujets sur lesquels nous ne sommes pas toujours d’accord, mais c’est tout à fait normal et chacun fait valoir ses arguments, y compris nous, à travers notre connaissance du terrain, de manière à ce que nous puissions arriver à un consensus. 

Il n’y a pour l’instant pas de conflit. Nous sommes un tout petit territoire, il faut rester vigilants sur certains points, mais nous ne pouvons pas nous permettre de nous faire la guerre permanente.

Le lien est donc quotidien entre nos équipes respectives. Par exemple sur la logistique ou l’acheminement du personnel. Depuis la mise en place du pont aérien, un dispositif a été mis en place afin que nous puissions faire remonter nos besoins logistiques, de personnel et sur les évacuations sanitaires. Nous avons dans ce cadre un correspondant permanent auprès de l’ARS, mais aussi de la préfecture.

FI : La mécanique semble désormais rodée, cela n’a pourtant pas toujours été le cas…

C. B. : Effectivement, il y a eu besoin d’un petit temps d’adaptation. La fermeture de l’espace aérien s’est passée un week-end et effectivement nous avions des professionnels à acheminer pendant ces jours lors de vols qui ont été annulés par la force des choses et donc le temps de pouvoir nous retourner certains professionnels ont dû attendre, mais c’est désormais du passé. Le système est bien rôdé, nous établissons une liste quotidienne en fonction des vols de la métropole vers La Réunion puis de La Réunion à Mayotte et même chose dans le sens inverse. Désormais, ces choses sont plus fluides.

 

Déconfinement à Mayotte : et si le 11 mai arrivait un peu trop tôt ?

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Les signes d’un ralentissement de la propagation du virus à La Réunion et à Mayotte ne sont déjà plus aussi encourageants que la semaine dernière et l’ARS préfère miser sur la prudence, à quelques semaines du déconfinement du 11 mai annoncé au niveau national.

Le week-end dernier, ils n’étaient que quatre cas à venir rejoindre les rangs des personnes contaminées par le Covid-19 à Mayotte. Ce week-end, ce sont 17 nouveaux patients qui ont été testés positifs, portant à 271 le nombre total de cas sur l’île aux parfums. Un bilan en hausse donc, qui garde l’ARS en alerte. “Par rapport à la semaine dernière, où un semblant de ralentissement des contaminations pouvait nous amener à nous réjouir, ces résultats prouvent au contraire que le virus poursuit une installation à bas bruit”, souligne Dominique Voynet, sa directrice.

À bas bruit, mais bien réelle donc. Certes, la situation n’est pas exponentielle, et les patients n’affluent pas en masse aux urgences, justement réorganisées en unités séparées en prévision de la vague. “On a presque une surabondance de moyens par rapport au nombre de patients”, note ainsi l’ancienne ministre. Mais l’agence régionale de santé s’inquiète de la circulation du virus notamment chez des patients asymptomatiques. Des tests réalisés sur l’entourage d’une personne hospitalisée, qui avait très peu de contacts avec l’extérieur, ont ainsi montré que les quatre personnes de son foyer étaient positives au coronavirus, sans pour autant présenter de symptômes.

Muscler les tests en vue du déconfinement

Une situation qui rappelle l’importance de mener une politique de tests à plus grande échelle. “Nous ne renonçons pas à faire des tests, à la moindre suspicion de Covid, et nous testons également les patients chez qui nous ne nous expliquons pas l’origine de la contamination, à l’image du patient évoqué”, insiste Dominique Voynet. Pour l’heure, plus de 1850 tests ont été réalisés par le laboratoire du CHM. Mais ce n’est rien en comparaison du volume qu’il faudra analyser au moment du déconfinement. Comme en métropole, Mayotte va devoir tester davantage, alors que la machine tourne déjà presque à plein régime. Rien que pour monter à 200 tests par jour, cela ne sera donc pas une mince affaire : “j’ai demandé au CHM de revoir la chaîne de prélèvements et d’analyses et nous avons soutenu la demande du laboratoire privé pour accéder à ses réactifs” – en effet, le seul laboratoire d’analyses privé de Mayotte est équipé d’une machine différente du CHM. Mais même cette réorganisation doublée d’une action conjointe privée/public ne permettra pas d’atteindre le rythme de 1.000 tests par jour. Pour cela, “il va nous falloir une équipe mobile et le matériel nécessaire. Nous avons demandé il y a un mois et demi de remplacer la machine du CHM, qui fonctionne mais est déjà ancienne ; et nous avons aussi demandé la livraison d’un appareil d’une plus grande capacité qui doit venir avec une équipe de techniciens dédiée”, développe Dominique Voynet.

La crainte d’une explosion

Or l’heure tourne, et la date fatidique du 11 mai approche à grand pas. Sur ce dossier du déconfinement, justement, l’ARS mise pour l’instant sur la prudence. Car Mayotte a entre trois et six semaines de décalage avec la métropole. Au vu de ce décalage, l’ARS serait donc plutôt d’avis de reporter la date du déconfinement à la fin du mois de mai. Mais en proposant alors une formule de confinement plus adaptée et allégée. Car, “empêcher des jeunes gens d’aller au terrain de football après une journée passée dans un bidonville chaud comme un four, ce n’est pas tenable”, reconnaît Dominique Voynet, qui suggère par exemple d’autoriser des balades ou des virées plages, de garantir l’accès à l’eau et au pétrole lampant, et de rouvrir les marchés, pour ce confinement revisité à la sauce mahoraise.

Sans cela, l’ARS craint l’explosion à partir du 11 mai avec “un risque de contacts de personnes âgées et fragiles”. La principale source d’inquiétude ? La rentrée scolaire, alors qu’une centaine d’enseignants ont été bloqués en dehors du territoire à leur retour de vacances au mois de mars, et potentiellement dans des zones à risques. La réouverture des vols commerciaux, et l’arrivée de ces professeurs sur le territoire et dans les classes, peut donc représenter un risque. Si le déconfinement est confirmé, il faudra les soumettre à des tests systématiques, régler la question de la quarantaine, et les équiper de protections, ainsi que leurs élèves. Sans compter les questions de transport, de restauration scolaire, ou encore d’absence de points d’eau dans certains établissements scolaires. Bref, la liste des préparatifs est longue pour un déconfinement prévu dans seulement trois semaines… À ce sujet, le Recteur Gilles Halbout tient toutefois à apporter une précision : “si la situation sanitaire n’est pas contrôlée sur l’île, et qu’il faut envisager un report de la date, cela concernera tout le monde, et pas juste l’Education nationale. Si le déconfinement a lieu le 11 mai comme prévu, nous serons de notre côté prêt à prendre les mesures nécessaires pour limiter au maximum les risques”.

 

Mayotte : Un mourengué à Kawéni qui défit toutes les règles

À Kaweni ce week-end, une centaine de jeunes se sont réunis autour d’un mourengué, un match de combat local bien connu par les Mahorais, défiant le confinement ainsi que toutes les mesures de sécurité prises pendant cette période crise.

Le confinement et le couvre-feu étaient loin des préoccupations des jeunes de Kaweni ce week-end. Samedi soir, aux alentours de 21h, ils se sont regroupés dans un quartier du village, autour d’un mourengué. En temps normal, ce sport de combat est organisé sur l’ensemble de l’île pendant le mois de ramadan. Cette année, les Mahorais s’étaient résignés à faire une croix sur cette manifestation qui fait partie de la culture locale, au vu de la crise sanitaire. Mais c’était sans compter sur certains jeunes de Kawéni qui, contre toute attente, ont diffusé en direct sur le réseau social Facebook, des combats de mourengué, samedi et dimanche soir. La scène peut paraître surréaliste en cette période de confinement où les rassemblements sont interdits. Mais ces jeunes passent outre toutes les interdictions et ne craignent pas la présence du Covid-19 à Mayotte. “On n’a pas peur parce qu’on se voit tous les jours et on sait qu’on n’est pas malade. On se fait confiance”, racontait un de ces jeunes à nos confrères de Mayotte la 1ère. Dans la deuxième vidéo, on peut également entendre l’auteur proclamer que “vous pouvez rester à la maison et avoir le virus. C’est Dieu qui décide si on l’aura ou pas”. Ou encore : “Arrêtez de me parler de confinement car personne ne le respecte à Mayotte. On s’amuse et ça fait du bien.” Et si un bon nombre d’internautes déplorent ces images, une grande partie les encourage et les incite à recommencer. “D’autres jouent au foot à Cavani et M’tsapéré et personne ne dit rien, alors continuez le mourengué”, peut-on lire dans les commentaires. Les combats se sont donc déroulés et ont été diffusés en direct sur Facebook pendant presque deux heures, au rythme de la musique traditionnelle, sans aucune intervention des forces de l’ordre.

Où sont passées les forces de l’ordre ?

La commune de Mamoudzou s’est mobilisée pour sensibiliser ces jeunes, en vain. “Je suis allé les voir, j’ai discuté avec eux, j’ai essayé d’apporter des éléments nécessaires pour leur faire comprendre qu’ils se mettent en danger et mettent en danger la population. Ils m’ont dit qu’ils avaient compris, mais ils ont recommencé dans la nuit”, indique Sidi Nadjayedine, adjoint au maire de Mamoudzou. Ce dernier précise par ailleurs que c’est la police nationale qui est chargée de faire respecter le couvre-feu le soir à partir de 20h et non la police municipale. Mais la commune collabore avec tous les acteurs sociaux afin que de tels évènements ne se reproduisent plus. Des actions sont menées sur le terrain par des associations afin de sensibiliser ces jeunes en question. “Nous sommes allés les voir pour faire de la médiation. Ils nous ont dit qu’ils organisent les mourengué parce qu’ils s’ennuient et qu’ils ont faim. On n’a pas vraiment compris le rapport avec la faim”, déclare Omar Said, directeur de l’association Wenka Culture. Cependant, ils leur ont donné des bons alimentaires “pour les calmer”.

L’adjoint au maire affirme également qu’il a réuni des parents, les associations et des personnalités locales. “L’objectif est de sensibiliser les parents pour qu’ils accomplissent leur rôle. Ils sont la clé motrice. Il ne faut pas y aller de manière frontale avec ces jeunes car cela peut dégénérer.”

La préfecture quant à elle informe qu’“un équipage de police s’est rendu sur place pour y mettre fin, ce qui a permis de suspendre cet évènement illicite. Pour autant, au départ de la patrouille, l’attroupement a repris” Elle précise également que “dans un contexte de renforcement de la présence aux environs des cambriolages de commerces alimentaires et de résidence de particulier, les efforts des forces de l’ordre ne peuvent se concentrer exclusivement sur ces rassemblements qui font courir aux participants ainsi qu’à leurs familles des risques en matière de santé publique. La lutte contre la propagation du virus repose avant tout sur la responsabilité des citoyens.”

À l’heure où nous écrivons ces lignes, les deux premières vidéos ont comptabilisé respectivement 13.000 et 11.000 vues. De quoi les encourager à récidiver. “On sera là tous les soirs ne vous inquiétez pas”, a promis l’auteur des vidéos.

 

Mayotte : son grand-père testé positif, il s’inquiète pour le reste de sa famille

Alors que son grand-père a été contaminé au Covid-19, puis placé en réanimation en fin de semaine dernière, Ahmed* regrette que les autorités sanitaires n’aient pas dépisté les cas contacts. Il redoute que plusieurs membres de sa famille soient testés positifs dans les prochains jours.

“Mon grand-père n’arrivait plus à respirer, donc nous avons appelé le 15 pour venir le chercher. Au début, nous pensions que c’était la dengue… Il a été admis au CHM en fin de semaine dernière où il a été testé positif au Covid-19 avant d’être placé sous surveillance.” Au bout du fil, Ahmed, son petit-fils, retrace péniblement cet épisode douloureux. “Le lendemain, son état s’est dégradé. Et il a été transféré en réanimation sous assistance respiratoire.” Une véritable onde de choc s’abat alors sur l’ensemble de la famille. “Même si c’est une personne très fatiguée qui a besoin d’assistance pour manger et faire sa toilette, il marchait tous les jours entre son domicile et le mien. À plus de 70 ans, il n’avait jamais été hospitalisé”, relate-t-il. Alors que le chagrin le gagne, l’incompréhension prend rapidement le dessus. En cause : l’absence de dépistage des cas contacts du bacoco, tels que sa femme et ses enfants, qui se relayaient pour prendre régulièrement de ses nouvelles. “On nous a dit de rester confinés, en attendant de développer des symptômes. J’ai été révolté par la réponse apportée, je trouve cela aberrant.” Pourtant, cette réponse est identique pour tous depuis plus d’un mois maintenant. À savoir la mise en quatorzaine au domicile et le respect strict des consignes. Pas franchement convaincu, il décide ce lundi matin d’appeler le numéro vert de l’agence régionale de santé ainsi que le centre hospitalier de Mayotte pour recueillir de plus amples informations. Le premier échange ne lui donne pas satisfaction. À la différence du second qui lui apporte quelques précisions. “Le médecin m’a certifié qu’il n’y avait pas d’inquiétude particulière à avoir et m’a dit qu’on allait nous appeler tous les jours.” Relativement rassuré par les explications du professionnel de santé, Ahmed pointe tout de même du doigt certaines ambivalences, malgré l’annonce du Premier ministre de procéder à des tests massifs. “Va-t-on nous laisser tomber malade pour réagir”, s’interroge-t-il, désemparé par cet immobilisme. Avant de reprendre quelque peu ses esprits : “C’est comme ça que ça se passe, car les moyens actuels ne permettent pas de faire autrement.”

Inquiet pour les membres de sa famille, Ahmed craint un effet boule de neige. “On ne sait pas qui est potentiellement atteint. On prie Dieu que ce soit négatif. On a des pathologies chroniques, comme l’asthme.” C’est la raison pour laquelle il ne sort de chez lui qu’en cas de nécessité, pour aller faire des courses par exemple. Lui-même est en arrêt de travail sur conseil de son médecin pour éviter de s’exposer sur son lieu de travail. Surveillant pénitencier, il rapporte un cas de Covid-19 dans la maison civile de Majicavo, après qu’un détenu ait obtenu une permission pour aller voter au premier tour des élections municipales. “Je faisais en sorte de me doucher et de me changer là-bas pour ne pas prendre de risque avec ma femme et mes trois enfants”, souligne-t-il. Aujourd’hui, il redoute une explosion du nombre de cas. “Les habitants sont en train de banaliser la situation alors que ça peut rapidement tourner au vinaigre. Tout le monde sort…” Une mise en garde qu’il répète inlassablement. Car pour lui, c’est le non-respect du confinement, qui explique la contamination de son grand-père. “Les anciens ont du mal à rester chez eux”, conclut-il, visiblement attaché à ce que l’erreur ne se reproduise pas deux fois.

* le prénom a été modifié

 

Après les résidents du RSMA, certains militaires montent au créneau

Ce week-end encore, les rapatriés des Comores placés en confinement au RSMA pointaient du doigt leurs conditions de vie. Pendant ce temps, des effectifs de la caserne où ils sont maintenus depuis le début de la crise sanitaire, accusent des traitements injustes de la part de la hiérarchie à leur encontre.

Les confinés rapatriés de Madagascar et, plus récemment, des Comores ne sont pas les seuls à se plaindre des conditions de vie au RSMA. Depuis le début de la crise sanitaire, certains personnels de la caserne du régiment du service militaire adaptée de Combani dénoncent un traitement à leur égard qu’ils considèrent comme injuste et moralement très éprouvant.

Sous couvert d’anonymat, plusieurs jeunes militaires expliquent être bloqués au sein de l’enceinte, depuis l’arrivée des premiers confinés trois semaines plus tôt, sans pouvoir, depuis, rejoindre leurs familles ou proches, parfois gravement malades. Pendant ce temps, certains cadres ont eux, pu regagner leur domicile, voire parfois la métropole. Mais alors que certains accusent un traitement de faveur, le lieutenant-colonel Frédéric Jardin, chef de corps du RSMA, tient à corriger le tir : un mois plus tôt, l’ensemble des 136 volontaires techniciens disponibles a été rappelé puis placé en quatorzaine en vue d’accueillir la centaine de rapatriés de l’île intense. Mais les militaires enceintes ou dont les femmes venaient d’accoucher, dont un proche présente un risque de comorbidité ou ceux qui ne parviennent pas à faire garder leur enfant ont tous été renvoyés à domicile. Idem pour ceux qui ont à leur charge un proche dépendant ou non autonome.

Dans ce contexte, des cadres ont effectivement été renvoyés chez eux jusqu’au déconfinement, ou à la reprise du pont aérien pour ceux qui ont pu rejoindre l’Hexagone, confirme encore le lieutenant-colonel, dans la mesure où ceux-ci ne logent pas au sein même du régiment ou à proximité, alors que les volontaires techniciens, ont eux, la caserne pour lieu de résidence. Face aux directives dues à la quatorzaine des militaires dans le cadre de l’opération Résilience, deux volontaires techniciens ont pris la décision de déserter le RSMA pour aller se confiner auprès de leur famille. Mais en aucun cas – sauf dérogations exceptionnelles – “[les personnels d’encadrement] restés sur place ne sont autorisés à quitter le régiment”, atteste Frédéric Jardin, qui nie en bloc les accusations d’allers-retours injustifiés portés par d’autres recrues.

Une escapade la nuit qui tourne mal

Parmi ces bruits de couloirs, la sortie nocturne d’un caporal-chef fait particulièrement jaser. Dans les premières semaines du confinement, ce gradé aurait, selon les rumeurs, utilisé son véhicule pour quitter le RSMA à la nuit tombée afin de s’accorder un peu de bon temps. Or, en chemin, l’homme a été victime de caillassage et aurait, pour dissimuler son méfait, volontairement abîmé sa voiture une fois de retour à Combani afin de faire porter le chapeau à un tiers. Interrogé quant à l’événement, le lieutenant-colonel Frédéric Jardin ne cache pas sa surprise, et livre un tout autre scénario. Ce soir-là, un caporal-chef a effectivement été autorisé à quitter la caserne pour “régler des affaires personnelles”. À son retour, son véhicule a effectivement été touché par des jets de pierre, fait que le principal intéressé n’a jamais caché aux yeux de sa hiérarchie.

Face à ces accusations, le chef de corps a ainsi pris la décision de convoquer ses troupes, lundi matin, pour leur rappeler qu’elles étaient soumises à un statut militaire et de fait, contraintes de se plier aux injonctions formulées par le président de la République. Un rappel à l’ordre qui n’a pas été du goût de tout le monde, puisque, confinés loin de leurs proches, “plusieurs collègues menacent de se barrer”, avoue un militaire sur place

 

Un retour après quatorzaine des étudiants mahorais en métropole ?

Alors que les étudiants mahorais de métropole s’inquiètent quant aux modalités de leur retour sur l’île, le ministère des Outre-mer lance un grand recensement des étudiants ultramarins afin d’anticiper celui-ci.

“Il ne s’agit pas de faire courir un risque à Mayotte. Alors, nous en avons discuté et certaines réflexions sont intéressantes. Nous savons par exemple que nous n’avons pas encore, à Mayotte, suffisamment de structures pour gérer correctement les choses en cas de grosse épidémie, notamment en termes de mise en quatorzaine” : dans notre édition d’hier, un étudiant mahorais de métropole, également très engagé dans le secteur associatif, Antoissi Aiman M’Dallas, mettait en avant l’inquiétude qui se pose quant au déconfinement à venir et aux conditions dans lesquelles lui et ses camarades pourraient revenir à Mayotte, alors que l’épidémie de Covid-19 et les mesures de confinement bouleversent tous les déplacements. Parmi les pistes de réflexion exposées, “certains ont soulevé l’idée d’utiliser, ici en métropole, des auberges de jeunesse ou des petits hôtels qui sont de toute façon tous vides actuellement, pour effectuer cette quatorzaine avant notre départ, avant de faire un test pour pouvoir prendre l’avion”, confiait-il. Cette idée a-t-elle aussi germé dans les bureaux de la rue Oudinot ?

Difficile de dire si l’idée sera retenue, mais une chose est sûre : le ministère des Outre-mer planche d’ores et déjà sur le retour des étudiants ultramarins sur leur territoire, sous condition de mise en quatorzaine préalable. Un arrêté est ainsi paru le 17 avril dernier* et, s’il n’aborde pas encore de solutions pour répondre à la nécessité d’un isolement préventif, il lui est préalable. C’est en effet “un traitement automatisé de données à caractère personnel” qu’autorise le document dont la finalité est “d’évaluer et d’organiser les besoins en termes de quarantaine (sic) des étudiants ultramarins en mobilité dans l’Hexagone dans la perspective de leur retour sur leur territoire”. La plateforme prévue pour recueillir les informations est accessible depuis le dimanche 19 avril et jusqu’au 2 mai à tous les étudiants concernés sur le site internet www.outremersolidaires.gouv.fr.

“Anticiper les besoins”

Dans un communiqué de presse publié hier, le ministère explique la démarche : “Afin de préparer le retour des étudiants dans leur territoire en toute sécurité pour eux et pour leurs proches, il est nécessaire de connaître le nombre d’étudiants qui envisagent de rentrer sur chaque territoire et à quelle échéance au regard des modalités d’examen fixées par les établissements scolaires ou universitaires.” Des informations, est-il indiqué, destinées à permettre à l’État d’anticiper “les besoins et les modalités de mise en quatorzaine, en lien avec les territoires et en partenariat avec la délégation interministérielle à l’égalité des chances des Français d’Outre-mer et la visibilité des Outre-mer (Diecvi), les Crous et l’Agence de l’Outre-mer pour la mobilité (Ladom).”

En parallèle, le ministère lance un appel à projets** en soutien aux étudiants ultramarins, “pour renforcer l’action d’accompagnement social réalisé par les associations au profit des étudiants dans quatre domaines” : réalisation des démarches administratives en vue d’obtenir des aides auprès des différentes institutions, soutien pour lutter contre l’isolement, soutien pour l’obtention d’aides alimentaires et soutien pour la mise en œuvre de tutorat.

*Arrêté du 17 avril 2020 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel afin d’évaluer et d’organiser les besoins en termes de quarantaine des étudiants ultramarins en mobilité dans l’Hexagone dans la perspective de leur retour sur leur territoire.

**Consultable sur www.outre-mer.gouv.fr/lancement-dun-appel-projets-renforcer-laccompagnement-des-acteurs-associatifs-pour-les-etudiants.

 

À Koungou, le personnel du collège retrousse ses manches contre la précarité alimentaire

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Après Passamaïnty et Majicavo, ce sont désormais les effectifs du collège Frédéric D’Achéry de Koungoui qui ont décidé de monter une cagnotte afin de distribuer des bons alimentaires aux familles les plus démunies. À l’échelle du seul établissement scolaire, ils seraient déjà plus de 1.000 jeunes à vivre dans des situations précaires.

Ils ont récolté 2.000 euros en seulement 24 heures. Depuis jeudi, une collecte de dons en ligne* propose de venir en aide aux familles les plus démunies de Koungou. Derrière l’initiative, un collectif de personnel éducatif du collège de la deuxième commune du département. “En tant que fonctionnaires, on sait qu’on fait partie des privilégiés sur cette île, et encore plus à Koungou”, souffle Alexis Boutin Lucien, conseiller principal d’éducation du collège Frédéric D’Achery, et instigateur de l’initiative.

Concrètement, les fonds récoltés – parfois jusqu’en métropole – seront convertis en bons alimentaires avant d’être distribués dans un maximum de quartiers possibles aux familles identifiés par l’assistante sociale de l’établissement scolaire. “On privilégie les familles du collège dans un premier temps”, explique encore Alexis Boutin Lucien. Et pour cause : selon le CPE, 80 % des élèves de Frédéric D’Achery vivent en situation de précarité plus ou moins avancée. À raison de 1.900 inscrits, cela représente un public de plus de 1.500 jeunes, alors que la semaine dernière, la préfecture n’avait pu distribuer “que” 500 bons alimentaires aux familles les plus vulnérables de Koungou. Un petit pas, certes, encourageant, mais encore bien insuffisant.

“On n’a pas la prétention de dire qu’on va pouvoir aider tout le monde”, avoue le conseiller principal d’éducation. “Mais il faut que tout le monde prenne la mesure de la situation : tous ceux qui ont les moyens d’agir, même à petite échelle, ne doivent pas hésiter à donner ou à remplir un sac de courses.” Côté bénévoles, les forces vives ne manquent pas, puisque la majorité du personnel du collège s’est déjà mobilisé, en sus des citoyens qui ont rejoint la réserve citoyenne.

Quid de la distribution ?

Mais alors que les scènes d’émeutes se sont multipliées depuis les dernières semaines lors des distribuons de bons alimentaires, la logistique n’est pas prise à la légère par le collectif du collège. “On est en pleine réflexion, on envisage toutes les solutions”, commente Alexis Boutin Lucien, qui semble privilégier le porte-à-porte plutôt qu’une distribution collective en un point fixe. “On envisage de travailler avec les associations locales, qui connaissent mieux les quartiers.” L’idée serait, dès lors, de distribuer les précieux coupons par groupe de quatre bénévoles directement au domicile des familles identifiées, et ce, évidemment, dans le respect des gestes barrières.

Concernant les besoins humains, le collectif du collège estime déjà compter suffisamment de bénévoles pour accomplir la tâche qui l’attend. En revanche, la cagnotte est elle toujours en ligne et chaque don demeure le bienvenu. “Même si on ne peut rien donner, rien que la partager peut faire un effet tâche d’huile !”, sourit le CPE. D’autres initiatives du même genre ont également germé à Passamaïnty et Majicavo notamment.

*https://www.helloasso.com/associations/l-amicoko/formulaires/1?fbclid=IwAR0yTHS4zbAIqh8TViVcCawVT5CMAsXLgoYhXXfFuByv8hiEJq0tReLlIXU

Le parcours du combattant des voyageurs bloqués à Mayotte

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La fermeture des frontières a été réclamée par les Mahorais dès le début de la crise sanitaire. Cependant, elle n’a pas fait que des heureux. De nombreux voyageurs qui séjournaient temporairement à Mayotte n’ont pas pu rentrer chez eux à temps. Ils se retrouvent aujourd’hui bloqués sur l’île, désemparés.

“J’étais venu deux semaines pour rendre visiter à ma fille, et depuis impossible de rentrer chez moi.” Frédéric est arrivé à Mayotte le 16 mars. Le soir même, le président de la République annonçait le confinement total et les mesures qui en découlaient. Même si le pays était déjà en pleine crise à ce moment-là, Frédéric ne pensait pas que la situation aurait été aussi critique au point de ne pas pouvoir retourner en métropole. Selon lui, “il n’y avait pas de problème, d’ailleurs l’aéroport de Dzaoudzi est resté ouvert pendant presque deux semaines après le début du confinement”. Depuis, c’est le parcours du combattant pour ce père de famille qui fait tout pour pouvoir rejoindre sa femme et ses autres enfants restés dans l’hexagone. “Dès les premiers jours, je suis allé à la préfecture et on m’a dit que seul le deuil est considéré comme motif familial impératif. J’ai été très étonné parce que je demande un regroupement familial. Ma femme a besoin d’aide avec les enfants. Et je dois aussi rentrer pour des raisons professionnelles”, explique-t-il. Frédéric est informaticien indépendant. Il est dans l’impossibilité de pratiquer le télétravail, car il se déplace chez les clients. Il est loin d’être un cas isolé. Suite à une publication sur les réseaux sociaux, des dizaines de voyageurs se trouvant dans la même situation se sont manifestés. Ensemble, ils ont créé un collectif et comptent réunir leurs forces afin de se faire entendre par la préfecture.

D’autres vivent la situation avec philosophie et préfèrent attendre la sortie de la crise afin de rentrer chez eux, à l’image de Tom qui est venu à Mayotte trois jours avant le début du confinement. “Je comprends tout à fait cette situation. C’est regrettable, mais je le vis bien. Je suis avec ma petite amie, c’est mieux que d’être seul en région parisienne.” Comme tous les voyageurs, Tom a dû reporter son voyage à plusieurs reprises. “Air Austral m’a envoyé un message expliquant que mon vol était annulé. J’ai dû donc les appeler à nouveau pour changer mon billet. J’ai eu une place pour le 2 mai, mais suite à la dernière décision du président de prolonger le confinement le billet a été à nouveau annulé.” Désormais, il préfère attendre la fin du confinement avant de demander une nouvelle date. Contrairement à Frédéric qui a souhaité partir le plus tôt possible. L’aéroport de Dzaoudzi est supposé ouvrir le 18 mai, alors il s’est inscrit sur un vol du 19 mai. Mais rien ne lui garantit son départ ce jour-là. “Beaucoup de clients nous ont demandé de les positionner le plus tôt possible dans les vols programmés. On se fixe des dates pour avoir un cadre, mais cela ne veut pas dire qu’elles seront confirmées. On procède étape par étape au vu de la situation évolutive”, prévient Stéphanie Bégert, directrice de communication de la compagnie Air Austral.

Quel rôle joue la préfecture ?

Les voyageurs s’accordent tous à dire qu’ils ont bien été pris en charge par Air Austral dans la mesure du possible, même s’il a été difficile de joindre le service client au début. En revanche, une grande partie déplore la gestion de la crise par la préfecture. “Un service a été expressément créé pour s’occuper des situations des gens comme nous. J’ai envoyé quatre mails à l’adresse communiquée et je n’ai eu qu’un accusé réception. Je n’ai aucune information depuis trois semaines. La préfecture ne répond pas et ne donne aucune explication”, s’inquiète Frédéric. En effet, une cellule de coordination de vols a été lancée pour l’occasion. Et selon la préfecture “des efforts sont en cours pour permettre le retour en métropole des personnes qui le souhaitent via un transfert sans quatorzaine à La Réunion. La cellule de coordination des vols est chargée de recenser les demandes et de les prioriser”. Elle nous affirme que la situation devrait s’améliorer cette semaine et la semaine prochaine. Pour le moment, la préfecture n’a pas souhaité communiquer sur les modalités de retours de ces voyageurs, ce sera fait lorsqu’elles “seront stabilisées”.

En attendant, les voyageurs se débrouillent comme ils peuvent. Fréderic a même songé à aller aux Comores lorsque cela était encore possible. “J’ai pensé à prendre un bateau pour [y] aller parce que là-bas on a plus de chances d’être entendus puisque les Français qui [y] sont sont rapatriés. Mais il n’y a même plus de bateau”, dit-il avec un pincement au cœur en pensant à sa famille.

 

24 heures avec… Nasrane Bacar, championne d’athlétisme : “C’est l’occasion de récupérer”

La Mahoraise, tenante du titre de championne de France en salle sur 60 mètres (2019), vit plutôt bien son confinement, enfermée dans son 52m2 à Talence, près de Bordeaux. Celle qui est aussi coach sportive a très vite su adapter sa routine, entre vidéos sur le web, entraînements et lectures.

Il est 10 heures, ou plutôt 11 heures, Nasrane Bacar ne sait plus très bien. En ces jours de confinement, les matinées s’étirent et pourtant, la jeune femme ne voit pas le temps passer. Car ses journées sont réglées comme du papier à musique. Petit-déjeuner et rangement pour bien commencer, puis coaching en visioconférence et entraînement personnel. Vient l’heure du déjeuner, et, après une bonne douche, l’athlète file devant son ordinateur, où elle travaille pendant deux heures à développer son activité sur le web.

Car la Mahoraise originaire de Bandrelé ne se contente plus, depuis déjà quelques mois, de sa passion pour les sprints. En janvier, elle s’est lancée à son compte, pour donner des cours de sport à des clients, souvent des chefs d’entreprise. Mais alors que Nasrane Bacar commence tout juste à se constituer un petit réseau de clients fidèles, l’annonce du confinement vient mettre un coup d’arrêt au lancement de son activité. “Résultat, cela faisait donc deux trois semaines que j’étais sans travail”, raconte-t-elle. Mais pas question de se démoraliser. La sprinteuse a proposé à certains clients de poursuivre leur entraînement en visioconférence. Et elle a aussi relancé une page Facebook, sur laquelle elle poste désormais régulièrement des vidéos “Sport et confinement”. “Au début, c’était juste comme ça, pour partager quelques exercices, montrer ce que je fais et me faire un peu de pub”, témoigne la sportive. Aujourd’hui elle espère aussi séduire une autre clientèle, notamment ceux qui la suivent depuis Mayotte, en proposant des programmes à des prix plus abordables.

Aider les gens à garder le moral

Mais ce n’est pas tout. Contactée par la délégation de Mayotte à Paris, Nasrane Bacar a aussi accepté de participer bénévolement à leur action “Sport Santé – Convivialité”, aux côtés de Bavou Mohamadi Loutoufi, entraîneur et préparateur physique, et ancien handballeur professionnel, lui originaire de Tsingoni. Cette opération doit permettre de lutter contre le risque d’isolement, d’exclusion sociale et l’expérience du confinement en Hexagone qui “peuvent constituer un véritable déchirement pour nos concitoyens exposés à ces maux”, peut-on lire dans la description de l’événement Facebook de la délégation. “Là, il s’agira de vraies séances complètes, avec plus d’explications que sur mes vidéos personnelles. C’est une façon d’aider les gens à garder le moral”, résume Nasrane Bacar. L’athlète proposera désormais ces séances gratuites tous les lundis à 15h. Et une activité de plus dans un agenda de confinement déjà bien fourni !

Tellement fourni, que lorsque la jeune femme relève enfin les yeux vers la fenêtre de son appartement à Talence, le jour décline déjà. “Le temps de faire tout ça, et il est 21h, 22h”, décrit-elle. Une fois tous ses objectifs remplis, la coach s’accorde alors un peu de répit, en lisant quelques pages d’un livre. Ces temps-ci, c’est Les rêves de mon père, l’autobiographie signée par l’ancien président des États-Unis Barack Obama. Juste avant, Nasrane s’était plongée dans Devenir, de Michelle Obama. “On m’avait dit que c’était une femme inspirante qui avait beaucoup porté le destin de Barack Obama, donc je voulais en savoir plus. Mais à ce stade de ma lecture, je trouve que cette vision déforme un peu la réalité, et je préfère bien plus Les rêves de mon père”, analyse-t-elle.

Tirer profit du confinement

Avec tout ça, Nasrane Bacar n’oublie cependant pas sa carrière d’athlète, stoppée en plein vol par la pandémie. En gardant la même rigueur dans ses entraînements personnels, elle sait qu’elle ne perdra pas en performance : “j’ai continué mes programmes comme si ça allait reprendre, j’ai du matériel de sport chez moi et je peux aller courir autour du pâté de maisons.” Pour elle, le confinement est aussi synonyme de récupération. “Je sortais d’une grosse saison hivernale, donc je prends ces quelques semaines comme l’occasion de récupérer, de reposer mon mental et mon organisme”, se satisfait-elle. Sa prochaine compétition ? Les interclubs, qui devaient se tenir début mai. Puis les championnats d’Europe d’athlétisme, qui doivent toujours, en théorie, avoir lieu du 25 au 30 août 2020 à Paris, mais qui peuvent eux aussi être annulés d’un instant à l’autre. Pour autant, l’athlète préfère “ne pas se prendre la tête”. La championne du 60 mètres en salle sait voir le verre à moitié plein. Même pour les Jeux Olympiques de Tokyo, reportés à 2021, et auxquels elle espérait briller cette année en rejoignant le collectif relais du 4 fois 100 mètres. “En réalité, j’avais peu de chances d’atteindre cet objectif-là, car ils se réfèrent aux résultats de l’année précédente. Donc ce report, ça me donne d’autant plus de chances de réussir à rejoindre le collectif”, se réjouit-elle.

 

 

Pour le docteur Madi Abdou, “la femme enceinte ne transmettra jamais le virus”

Dans un communiqué en date du 16 avril, Santé Publique France recense dix femmes enceintes atteintes du Covid-19 depuis le début de la propagation du virus à Mayotte. Pour le docteur Madi Abdou, chef de pôle gynécologie-obstétrique, la grossesse ne représente pas un risque. Et l’accouchement se fait normalement.

Covid-19 ou non, la maternité de Mayotte continue de tourner à bloc. Comme le démontre une vidéo tournée par une sage-femme et diffusée le 14 avril dernier au JT de 13h de France 2. Bilan de la nuit de lundi à mardi : une vingtaine de naissances ! Mais existe-t-il un réel danger pour ces futures mamans qui affluent par dizaine quotidiennement ? “La femme enceinte est un statut, ce n’est pas une personne à risque”, insiste le docteur Madi Abdou, le chef de pôle gynécologie-obstétrique. Pourtant, l’agence régionale de santé, qui comptabilise le nombre de cas positifs sur le territoire, en recense dix. Un chiffre relayé la semaine dernière par Santé Publique France. Seule différence avec une personne classique : “il faut qu’elle soit suivie de près, car son évolution peut être très rapide. Mais le risque de fausse couche n’est par exemple pas plus élevé.” D’où leur installation dans le service de médecine. Ou encore l’envoi de l’une d’elles en réanimation pour des raisons de force majeure. “Elle n’était pas arrivée à terme, donc nous n’avons pas déclenché l’accouchement. Elle se porte très bien aujourd’hui. Nous n’avons pas encore été confrontés à une dépression respiratoire et une souffrance fœtale aiguë qui aient nécessité une prise en charge immédiate par césarienne”, assure celui qui est également président de l’association Redeca, qui organise des campagnes de dépistage du cancer du col de l’utérus.

Pas de séparation à la naissance

Si sur le papier, la situation de la femme enceinte atteinte du virus ne semble visiblement pas plus alarmante ou préoccupante que cela aux yeux des autorités sanitaires, quid de celle du futur nouveau-né ? “La femme enceinte ne [lui] transmettra jamais le virus”, certifie le docteur Madi Abdou. Il y a quelques jours au Pérou, un bébé est né contaminé par sa mère à travers le placenta. C’est le deuxième de ce genre à l’échelle mondiale. Face à ce constat, il revient quelque peu sur ses paroles : “Alors c’est juste un cas. Ou alors, il s’agit d’une contamination manuportée”, corrige-t-il. Les données à ce sujet sont encore trop floues pour certifier tel ou tel raisonnement. Néanmoins, le professionnel de santé confie que la maman ne sera pas séparée de son enfant après la naissance, en portant un masque et des gants, et qu’elle pourra l’allaiter normalement, comme n’importe qui.

Et pour que les accouchements se déroulent dans les meilleures conditions possibles, l’ensemble du service se tient prêt à appliquer toute une série de mesures sanitaires. “Nous avons l’habitude des épidémies et à chaque fois, nous nous préparons. Toute une procédure stricte est à suivre.” La plus symbolique est de ne pas admettre d’accompagnants dans la salle de travail… Et pour celles et ceux qui se posent des questions sur les éventuelles répercussions du Coronavirus sur le bébé, les résultats s’écrivent encore en pointillés. “Selon la société française de foetopathologie, il n’y a pour le moment pas de malformation dans les diagnostics prénatals. Et s’il y en a une, elle a été provoquée par une autre pathologie”, suppose le vice-président du syndicat des médecins. En clair, les premières expériences laissent présager un risque pour la grossesse proche du néant. Toutefois, certaines interrogations persistent toujours… Après tout, ne cesse-t-on jamais de répéter que la médecine n’est pas une science exacte ?

Le labo du centre hospitalier de Mayotte au cœur de la détection

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C’est une des pièces maitresses du dispositif de détection du Covid-19. Au cœur du processus, le laboratoire du CHM analyse les prélèvements faits sur les potentiels porteurs du coronavirus. Une tâche primordiale menée sept jours sur sept, qui s’ajoute à ses missions habituelles.

« Il faut parler du laboratoire ! Sans eux la situation serait dramatique, vraiment. » À la sortie du Centre hospitalier de Mayotte (CHM), la remarque de ces deux soignantes croisées sur les coursives en dit long. Car le laboratoire du CHM, c’est un peu la face méconnue de l’hôpital. Implanté dans la cour intérieure d’un des bâtiments de l’institution et isolé du va-et-vient des accès principaux, sa notoriété est bien moindre que d’autres services tels celui des urgences ou de la très célèbre maternité. Pourtant, il est au cœur des missions de l’hôpital, notamment en cette période où sévissent non seulement la dengue, mais aussi le Covid-19. En permanence, cinq biologistes, 35 techniciens de laboratoires et une douzaine de secrétaires et agents se relayent pour analyser les prélèvements reçus dans cinq spécialités : la biochimie, l’hématologie, la microbiologie, l’immunologie, et la biologie moléculaire, une discipline particulièrement sollicitée durant les épidémies actuelles. À la tête du service, le docteur Patrice Combe, biologiste, qui s’assure de l’efficacité du « labo » durant cette crise sanitaire. Visite des lieux pour comprendre comment sont réalisés les tests Covid-19.

Première étape : le prélèvement nasopharyngé réalisé sur un patient, au CHM ou à domicile. Au terme de celui-ci, l’écouvillon est placé dans un tube contenant un milieu « eNat », permettant d’inactiver le virus : « En faisant cela, nous détruisons le virus en préservant l’acide ribonucléique (ARN), que le milieu stabilise, car c’est lui qui permet de faire son diagnostic », éclaire le docteur Louis Collet, biologiste et initiateur du laboratoire de biologie moléculaire au CHM. Cette inactivation est nécessaire pour transporter l’échantillon sans risque jusqu’au laboratoire où il sera analysé.

L’indispensable étape de vérification. Il s’agit de s’assurer que le prélèvement a bien été placé dans un milieu inactivateur. Si ce n’est pas le cas, le biologiste le fait. En trente-minute, le Covid-19 est inactivité.

Les divers prélèvements sont reçus à l’accueil par les secrétaires, qui se chargent de les enregistrer et de les étiqueter avant qu’un robot ne les dispatche. Mais ceux menés pour suspicion de Covid-19 bénéficient d’un traitement différent puisqu’ils sont réceptionnés sur un bureau à part. Et sous triple emballage : le tube contenant le prélèvement mis dans un sachet fermé – comme tout autre échantillon –, mais le tout est, en plus, placé dans une boîte étanche. Pour en récupérer le contenu, les précautions demeurent de mise. C’est sous un aspirateur à air PSM (pour Poste de sécurité microbiologique) que l’opération est menée. C’est également là que les tubes sont vérifiés, ce qu’explique Patrice Combe : « Nous vérifions systématiquement que le prélèvement a été placé dans le bon milieu inactivateur (indentifiable au bouchon bleu du tube, NDLR). Si ce n’est pas le cas, nous le faisons nous-mêmes. En 30 minutes, le virus est inactivé. » Une étape de vérification indispensable car « la première règle est évidemment de ne pas contaminer le personnel du laboratoire. » Les échantillons sont ensuite disposés sur des racks, direction les extracteurs.

Chef du service, le Dr Patrice Combe s’assure du bon fonctionnement du laboratoire, particulièrement sollicité en cette période de double épidémie : Covid-19 mais aussi dengue.

 

Des machines qui tournent 12h par jour

Le docteur Louis Collet, biologiste, devant un des deux extracteurs du laboratoire. Ils peuvent traiter une centaine de prélèvements en six heures.

C’est dans la salle voisine qu’ils sont installés. Un extracteur, c’est une machine permettant d’extraire – comme son nom l’indique – l’acide nucléique (ARN). Pour bien comprendre, « un virus peut être comparé à une boite. Lorsqu’on l’ouvre, on trouve ces acides. » Ce sont eux qui sont ici recherchés. Et

pour y parvenir, on utilise un réactif, substance chimique par laquelle l’extraction est possible. Là se pose un fort enjeu car, épidémie mondiale oblige, ces réactifs sont particulièrement demandés. Une problématique à laquelle s’ajoute la suspension des liaisons aériennes avec la métropole. « L’acheminement est compliqué en temps normal, mais il l’est encore plus actuellement, y compris pour envoyer des examens spécialisés à Paris ou à La Réunion », explique le chef de service en poursuivant sur la question des fameux réactifs : « Nous avons de bons rapports avec la société qui les fabrique alors nous y parvenons quand même, mais quand nous commandons vingt boîtes par exemple, nous en recevons cinq. Cela demande donc énormément de temps à Issa, notre agent qui s’occupe de la logistique du laboratoire, pour s’assurer que les commandes sont faites en temps et en heure. »

Un avantage toutefois : « Nos extracteurs sont ouverts, paramétrables. Cela veut dire qu’en cas d’épidémie comme celle en cours, l’institut Pasteur nous a envoyé les réactifs (Primers) et la méthode recommandée et nous la mettons en place car nous pouvons, sous réserve d’avoir les substances, fabriquer le réactif. » Une dépendance à l’extérieur moindre ? Dans une certaine mesure, oui : « C’est ce qui explique les difficultés des laboratoires équipés de machines fermées pour dépister le Covid-19. Dans ce cas, ils dépendent des réactifs qui leur correspondent. Or, tous les laboratoires qui ont ce même extracteur demandent eux-aussi en ce moment ces réactifs, et le fabricant ne peut pas suivre. » Mais revenons au CHM, qui dispose en ce moment d’une marge confortable de réactifs puisque les stocks constitués permettent de réaliser encore 3 000 tests, en plus des 1 500 déjà effectués.

Ces extracteurs QIA Symphony, le laboratoire en possède deux depuis l’an dernier. Autant dire, dans le contexte du moment, qu’ils tombent à point nommé. L’ancienne machine ne pouvait pratiquer qu’une trentaine d’extractions par jour. « Eux peuvent traiter environ 100 prélèvements en six heures », détaille Louis Collet. Mais évidemment, ils ne sont pas exclusivement consacrés au Covid-19 : dengue, fièvre de la vallée du Rift et autre arbovirus passent par eux. Autant dire qu’en temps de crise, ils tournent quasiment à plein régime : « en termes de volume, le lundi, le mercredi et le vendredi, le premier fait la dengue. Le deuxième fait tous les jours deux séries de Covid-19. L’activité des machines est doublée : elles sont à l’oeuvre 12h par jour et peut-être qu’elles vont devoir l’être également la nuit en fonction de l’évolution des épidémies du Covid-19 et de dengue. » Le laboratoire de biologie moléculaire, lui, travaille désormais sept jours sur sept, contre cinq habituellement, avec le soutien de l’ARS et de Santé publique France. Mais revenons-en à notre extraction. Une fois celle-ci achevée, la dernière étape du dépistage s’annonce.

De 1 à 10 millions d’ARN

Le rotor sur lequel sont disposées les cupules contenant les ARN extraits. Chacune correspond à un patient. Elles sont ensuite placées dans l’amplificateur pour une polymérisation en chaine.

Cette étape, c’est l’amplification de l’ARN extrait précédemment. En termes biologiques, on appelle ça la polymérisation en chaîne. Pour cela le laboratoire dispose de quatre amplificateurs. Le Dr Louis Collet le détaille : « D’un ARN, on en fait 10 voire 11 millions de copies non infectieuses. La polymérisation se fait en temps réel et se traduit par la réalisation de courbes sur nos écrans. Au fur et à mesure du processus, on observe – ou pas – l’augmentation de la concentration du virus. C’est ainsi qu’on peut déterminer si le patient est positif ou négatif au Covid-19. »

Fin de l’analyse, enregistrement et transmission des résultats. En tout, un test Covid-19 nécessite huit heures. Le jour de notre visite, mardi 14, 219 patients avaient été testés depuis le 13 mars.

Au fur et à mesure du processus d’amplification, des courbes apparaissent sur l’écran : « on y observe – ou pas – l’augmentation de la concentration du virus. C’est ainsi qu’on peut déterminer si le patient est positif au négatif au Covid-19, positif, ou porteur asymptomatique », détaille un biologiste. Sur le graphique, chaque courbe correspond à un patient. Au premier plan : les résultats des tests de Covid. On distingue ici trois patients un positif, un négatif, et un en concentration faible.

En arrière-plan les résultats des tests de dengue, 250 chaque semaine. On devine l’ampleur de l’épidémie : « La dengue c’est la folie, 60% des patients sont positifs », constate le Dr Louis Collet.

“À couper le souffle”, en apnée dans le lagon de Mayotte avec un champion mondial

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Le documentaire diffusé dimanche dernier par France Ô suit les explorations de Stéphane Tourreau, vice-champion du monde d’apnée, dans le 101ème département. Le sportif revient sur ces dix jours mémorables à Mayotte.

 

Un véritable marathon, épuisant mais passionnant. C’est le souvenir que garde Stéphane Tourreau, le vice-champion du monde d’apnée en poids constant, de son passage à Mayotte. Une expérience “à couper le souffle”, comme est d’ailleurs intitulé, à juste titre, le documentaire diffusé par France Ô dimanche soir dernier. Ce film d’une cinquantaine de minutes réalisé par son ami vidéaste Mathias Lopez, retrace leur séjour dans l’un des plus grands lagons fermés du monde. Pendant dix jours, ils ont pu explorer ces profondeurs bleues turquoises, d’une richesse unique. “Mayotte est un endroit magique pour sa biodiversité, et rares sont les îles qui possèdent autant d’espèces marines réunies au même endroit”, souffle l’apnéiste, la tête encore remplie d’images.

Des dauphins timides mais curieux, des coraux aux mille couleurs, des tortues à N’gouja, “où il suffit de lever la tête pour en voir trois”, comme il s’en émerveille devant la caméra… Et même un dugong ! Cette espèce, menacée de disparition, ne compte que quelques spécimens dans les eaux de l’île aux parfums. Pour lui, c’est là l’un des souvenirs les plus marquants de ce tournage. “Pour vous dire, c’était même la blague du séjour, ‘‘imagine on croise un dugong’’, et c’est arrivé”, sourit le sportif. Pourtant, tout le projet aurait pu tomber à l’eau. Le départ de l’équipe dans le 101ème département, en décembre dernier, a été suspendu pendant un temps au cyclone Belna, qui, par chance, est passé à plusieurs kilomètres des côtes mahoraises.

 

Une discipline exigeante

 

La chance, nonobstant, Stéphane Tourreau n’y croit pas vraiment. Pour lui, tout est surtout question d’état d’esprit, et le champion valorise particulièrement la résilience et la capacité d’adaptation. Ce sont ces deux valeurs qui l’ont guidé dans une carrière prolifique. Pour plonger à plus de 100 mètres – son record est précisément de 113 mètres – il faut en effet une certaine persévérance. L’apnée à poids constant est une discipline exigeante, qui consiste à s’aventurer dans les profondeurs, simplement à l’aide de ses muscles, de ses poumons, et de palmes, mais sans assistance extérieure ou bouteilles d’oxygène. À partir d’une certaine profondeur, l’apnéiste atteint la narcose à l’azote, que l’on appelle aussi ivresse des profondeurs. À ce stade, “la pleine conscience est indispensable, non seulement pour économiser ses forces et être plus efficient, mais aussi pour être à l’écoute de soi et de son environnement, et rester en sécurité”, explique Stéphane Tourreau. Une capacité intuitive et une adaptabilité particulièrement utile dans les expériences d’exploration telles que celle menée sur le tournage de “À couper le souffle”. Cette fois-ci, l’as de la plongée a nagé jusqu’à 70 mètres dans les fonds marins, jusqu’au tombant de la Passe en S.

Les richesses de Mayotte

“La grande particularité du lagon, c’est la visibilité. C’est incroyable, on peut voir à plus de 50 mètres, on aperçoit les espèces en dessous de nous, et cela donne encore plus envie d’explorer”, témoigne l’apnéiste, qui a rarement vu un tel spectacle, même dans les Caraïbes dont il revenait pour une compétition à peine quelques jours avant son départ pour Mayotte. L’île est pour lui un condensé d’éléments qui participe à un éveil des sens : “c’est ce côté, eau, terre, feu, avec la source volcanique, qui crée ce spectacle inédit pour la vue, le toucher, avec un grand brassage des espèces”, dépeint-il aussi. Et c’est pour lui cette richesse qui décrit le mieux Mayotte dans son ensemble, loin des clichés parfois négatifs renvoyés par certains reportages, qu’il déplore. “Ce n’est pas ça qui permet de construire l’avenir, mais bien au contraire, des valeurs de partage, des intentions positives”.

Et cette philosophie-là, Stéphane Tourreau l’applique aussi dans ses convictions, notamment en faveur de l’environnement. Le sujet de l’écologie et de la préservation du lagon, encore peu appréhendé au niveau local, ne lui a bien sûr pas échappé. “La pollution, cela me choque toujours, malheureusement, c’est partout pareil, je l’ai vu sur beaucoup de plages du monde”. Mais pour lui, pas question pour autant de rester les bras croisés. “C’est à nous d’agir et de deux façons : en communiquant, et en étant actif, de ses propres mains pour espérer motiver d’autres personnes et provoquer un effet boule de neige”. Dans le documentaire, on le voit d’ailleurs ramasser les déchets sur la plage. Son initiative finit par attirer les enfants curieux des alentours, qui mettent alors tous la main à la patte. Comme pour donner raison à cet éternel optimiste, qui, de retour chez lui et confiné, arrive toujours à garder le moral : “j’avais justement prévu de refaire un peu d’entraînement d’apnée hors de l’eau !”, s’amuse-t-il.

 

Pour voir le film documentaire en replay, rendez-vous sur : https://www.france.tv/documentaires/voyages/1370577-a-couper-le-souffle.html

Photographies : copyright Olivier Lefebvre, Mathias Lopez et Puzzle Media

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