Sans surprise, Mayotte est le seul territoire de France à rester confiné au 11 mai, comme l’avait annoncé Édouard Philippe au Sénat en début de semaine dernière. Mais sa nouvelle prise de parole, jeudi dernier, a permis de dégager de nouveaux critères concernant l’évaluation de la situation épidémique de chaque département.
“Il y a une bonne et une mauvaise nouvelle”, a prévenu d’emblée, jeudi, le premier ministre lors de l’annonce du plan de déconfiement. La bonne nouvelle, comme attendu, concerne le recul de l’épidémie dans la majeure partie du pays, où la première phase de déconfinement sera effective dès lundi. La mauvaise en revanche, c’est que le Covid-19 circule encore “activement” dans deux territoires : l’Île-de-France, et Mayotte, où la barre des 1.000 positifs a d’ailleurs été franchie ce week-end. Alors que la région du Centre-Nord sera soumise, dès lundi, à un déconfinement partiel et moins souple que dans le reste du pays, les habitants de Mayotte, eux, seront les seuls à rester assignés à domicile jusqu’à nouvel ordre, comme dévoilé quelques jours plus tôt par le premier ministre face au Sénat. Le couvre-feu, lui aussi, est donc toujours de vigueur. Édouard Philippe a également réaffirmé qu’un point de situation se tiendrait ce jeudi, conformément à son annonce faite en début de semaine dernière.
“À Mayotte, le nombre de cas est faible, mais il est en augmentation”, a rappelé le premier ministre, “c’est une vigilance encore accrue qu’il convient de respecter”. En d’autres termes, les voyants sont au rouge, une couleur que connaissent désormais bien les Mahorais depuis que le gouvernement dévoile quotidiennement les cartes synthétisant la situation épidémique de chaque département. Jusqu’alors, deux critères y étaient pris en compte : la circulation du virus et la tension hospitalière sur les capacités en réanimation. Mais jeudi, Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, a expliqué qu’un nouvel indicateur serait pris en compte, à savoir les capacités de dépistage. Et surprise, Mayotte, à l’instar de l’ensemble des autres départements, apparaît cette fois en vert, tout le territoire national étant “au niveau des besoins estimés”, selon le ministre de la Santé. Si un objectif total de 700.000 tests par semaine a été avancé, aucune donnée n’a été communiquée concernant les capacités réelles de dépistages, mais le gouvernement estime que “la France est prête pour tester massivement”. C’est toutefois davantage la proportion de tests positifs qu’il conviendra de considérer plutôt que le seul nombre de dépistages totaux effectués, tous les départements n’ayant pas les mêmes besoins et ressources. “Le système local de tests et de détection des chaînes de contamination” sera néanmoins déterminant pour permettre à un département de passer du rouge au vert.
Du rouge au vert ?
“L’ensemble de ces indicateurs sera suivi quotidiennement”, a promis le premier ministre après plus d’une heure d’explications. “Si on reste rouge, même en s’améliorant un peu, ou dans les départements qui basculent du rouge au vert, on ne serait pas prêts à rouvrir les établissements scolaires le lundi suivant”, s’agissant de données glissantes sur sept jours. Ainsi, afin de s’assurer une meilleure prévisibilité, le gouvernement a expliqué vouloir procéder par période de trois semaines avant d’assouplir davantage les mesures de confinement pour les territoires déjà verts. Pour Mayotte, l’éventualité d’un déconfinement le 18 mai reste encore en suspens.
Mais dans ce jeu des couleurs, un scénario reste à envisager : celui du passage du vert au rouge. Interrogé sur la possibilité d’un reconfinement si la situation sanitaire venait à s’aggraver, Édouard Philippe a répondu que “dans l’hypothèse où il n’y aurait pas d’autres solutions, nous pourrions le
déclarer si la circulation du virus s’avère être encore active”. Et d’ajouter : “À la fin du mois de mai, nous saurons si oui ou non nous avons réussir à contenir l’épidémie.” Ce qui permettra, ou non, d’enclencher la deuxième phase de déconfinement pour l’ensemble des territoires demeurés vert. Concernant les Outre-mer, une chose est déjà sûre : les mesures de quatorzaine y seront maintenues à l’arrivée, y compris pour Mayotte lorsque la situation sanitaire s’y sera améliorée, a dévoilé le ministre de l’Intérieur, qui a par ailleurs décidé de les lever pour le reste du pays.
Avec une baisse d’activité à Mayotte estimée à 18 %, la chute est brutale, mais deux fois moins forte qu’au niveau national et bien plus faible que dans les autres Outre-mer. C’est ce que met en avant une publication de l’Insee, qui présente les premières conséquences économiques de la crise sanitaire. Détails.
Mesures de confinement oblige, l’activité économique encaisse depuis le début du confinement une forte chute. C’est ce que confirme le point de conjoncture national publié par l’Insee, publié le 7 mai dernier : 33 % de baisse au niveau national. Un chiffre éloquent, que n’atteint toutefois pas Mayotte. Avec une évaluation de 18 % de “perte d’activité économique immédiate”, le département enregistre une chute “brutale”, mais “néanmoins deux fois moins forte qu’au niveau national et largement inférieure à ce qu’elle est dans les autres DOM – environ 28 % à La Réunion, aux Antilles et en Guyane.”
Une baisse plus faible qui s’explique “pour l’essentiel par une structure sectorielle de l’économie très différente de celle de la métropole et même des autres Dom.” Plus en détail, “peu touchés par la crise, les services non marchands pèsent deux fois plus lourds dans le PIB mahorais. À contrario, des secteurs impactés par la crise comme l’industrie et l’hébergement-restauration sont très peu présents sur l’île. Sur le secteur marchand, l’impact estimé de cette crise sanitaire est équivalent au niveau constaté en métropole : -35 % à Mayotte contre -39 % pour le reste de la France”. Toutefois, dans ce secteur marchand, les effets sont contrastés selon l’activité. Ainsi, le BTP mahorais aurait une activité réduite de 90 % et contribuerait pour un quart à la baisse d’activité totale de 18 %, note l’organisme. Un quart, c’est aussi la part que pèse la baisse d’activité estimée dans le commerce – 54 % – qui est prépondérant dans le PIB local. Un chiffre qui, par ailleurs, “masque de fortes disparités entre des commerces non alimentaires et automobile à l’arrêt ou presque et des commerces alimentaires qui poursuivent pour la plupart leur activité pour subvenir aux besoins de la population”.
Autre donnée indiquée par l’Insee : au 28 avril dernier, 9.900 salariés de 1.100 entreprises étaient placés en chômage partiel. Toutefois, complète l’institut, “le confinement se traduit également par un fort ralentissement des embauches ou des renouvellements de contrat. Les entreprises informelles représentent les deux tiers des entreprises à Mayotte et ne sont de fait pas incluses dans ces dispositifs d’aides”. Conséquence : “les personnes occupant un emploi informel sont donc victimes pour beaucoup d’une chute de leurs revenus.”
Le secteur public amortit le choc
Enfin, la forte présence du secteur public à Mayotte permet de faire tampon : “les services principalement non marchands (administrations publiques, enseignement, santé humaine, action sociale publique ou privée) jouent un rôle d’amortisseur des crises économiques dans les départements d’Outre-mer. Avec un poids de 52 % dans l’économie mahoraise contre 22 % au niveau national, ces secteurs principalement non marchands ne perdraient que 3 % de leur activité par rapport à la normale, contre 35 % dans les secteurs marchands. La prise en compte des services non marchands en comptabilité nationale retient le plus souvent l’hypothèse d’une valorisation par leurs coûts de production, principalement salariaux, ce qui les rend très inertes par nature. Le recul de l’activité y est donc moins marqué, par convention.”
Jeudi 7, la directrice de l’ARS, Dominique Voynet, s’exprimait sur la forte hausse des cas de Covid-19 depuis la semaine dernière. Ce qu’il faut en retenir ? Que le pic épidémique est toujours prévu fin mai, mais plus élevé qu’initialement envisagé. Une projection à laquelle se prépare l’autorité sanitaire malgré les difficultés inhérentes au territoire.
« Cela fait une semaine que l’on est pratiquement toujours au-dessus de 40 cas [positifs au Covid-19] par jour », déclarait, jeudi 7, la directrice de l’Agence régionale de santé (ARS), Dominique Voynet, à l’occasion d’un point sur la crise sanitaire. La veille, 84 nouveaux cas avaient été confirmés, illustrant – malheureusement – fort bien le propos. Une forte hausse due, certes, à la hausse du nombre de tests, mais qui n’enlève rien à un autre constat : « le pourcentage de cas positifs augmente aussi. On est, selon les jours, entre 30% et 50% de cas positifs ». Autre donnée parlante, le « R0 », qui détermine le nombre de personnes qu’un porteur du Covid-19 peut contaminer. « Il est passé de 3,5 à moins de 1 en métropole grâce au confinement. À Mayotte il serait actuellement de 1,6. » En somme : un porteur positif contamine, en moyenne, plus d’une personne.
L’ascension de l’épidémie vers son pic est donc bel et bien entamée. Et si son apogée est toujours prévue aux alentours du 21 mai, les prévisions ont été revues à la hausse car « ça monte beaucoup ». Point positif, toutefois : « On a de plus en plus de patients hospitalisés, mais pas forcément dans un état grave. » Comme la semaine dernière, donc, le service médecine reste au centre des attentions. Et bien qu’il ne soit pas en état de saturation, pas plus que le service de réanimation d’ailleurs, « l’augmentation régulière de ces patients est un des éléments que nous avons demandé de prendre en compte au niveau national. Ils ne prennent en compte que le service de réanimation, mais nous ce sont ceux de réanimation et de médecine qu’il faut compter pour connaître notre capacité d’accueil », expliquait Dominique Voynet.
C’est donc une démarche propre à Mayotte qu’il faut mettre en place. « Nous sommes dans une situation étrange, car la France métropolitaine se prépare à déconfiner alors que nous on se prépare à accueillir la vague. Cela implique une réorganisation du système de santé à tous les étages. Alléger certains services qui ne sont pas confrontés au Covid-19 nous permet de redéployer des moyens vers ceuxqui vont y être confrontés », détaillait-elle.
Une réorganisation qui pourra également s’appuyer sur le soutien du service de santé des armées puisqu’un premier module doit arriver mi-mai, avant qu’un deuxième n’arrive – peut-être – à la fin du mois. Et puis, déjà commencées : les évacuations sanitaires vers le CHU de La Réunion de patients non-Covid-19, mais aussi de patients positifs si l’épidémie se faisait plus forte.
Une stratégie à adapter à Mayotte
Une démarche qui doit également être propre au territoire car si « on reste très attentif à la stratégie nationale », celle-ci est « imparfaitement adaptée à Mayotte [et] nous avons eu le feu vert du ministère de la Santé pour l’adapter et nous permettre de mieux coller à la réalité du terrain. » En cause, trois points : tester, isoler et protéger.
Du côté des tests en effet, « le laboratoire du CHM est capable de faire plus de 300 tests par jour et le laboratoire privé peut en faire 124 », avec toutefois un facteur limitant : la disponibilité des consommables comme les écouvillons ou les tubes permettant l’inactivation du virus. Autant le dire, donc, « On est sous pression, sous tension : le matériel arrive au jour au jour. »
Isoler ensuite, avec une difficulté bien connue : « C’est très compliqué à Mayotte compte tenu des conditions de vie de beaucoup de gens. Il y a peu d’hôtels et peu d’hébergements disponibles, et nous devons aussi héberger les renforts de la réserve sanitaire, de l’armée, des forces de l’ordre, etc. Les moyens d’isolement des personnes malades ou des cas contacts n’ont rien à voir avec ce que l’on peut faire au niveau métropolitain. »
La sensibilisation est complexe, elle aussi, avec des messages pas toujours bien reçus par une partie de la population, « soit parce qu’elle n’est pas francophone, soit parce qu’elle estime que la maladie ne la concerne pas, qu’elle pense ne pas avoir le choix, ou parce qu’elle n’a pas compris comment la maladie se transmettait et quel était le risque. Nous avons énormément de témoignages qui nous mettent en face de la précarité de la prise de conscience. Certains se fichent de contaminer leurs collègues ou leurs proches », déplore la directrice, estimant que « les maires, les cadis, les intellectuels mahorais, ou les sportifs, doivent faire passer la parole de l’État. Le message doit percuter pour que l’on arrive à quelque chose. Il y a obligation d’avoir une prise de conscience. »
Pas de tests par des soignants libéraux
Enfin, s’il n’est pas prévu de mobiliser les infirmiers et médecins libéraux du territoire – trop peu nombreux pour que cela soit pertinent, selon l’ARS -, « nous avons l’intention de les mobiliser autour de l’aval des hospitalisations. On veut, pour libérer des lits, que les personnes puissent sortir rapidement de l’hôpital sur le modèle de l’hospitalisation à domicile ou des services de soins infirmiers à domicile. »
Sur les réseaux sociaux ou dans la rue, formellement ou spontanément, les initiatives se multiplient pour répondre à la délinquance qui flambe à nouveau sur l’île aux parfums. Au risque, parfois, de voir l’exaspération prendre le pas sur la loi.
“Vermines”, “cafards” ou encore le très tendance “virus”. Ces qualificatifs reviennent en boucle dans les rues comme sur la toile mahoraise pour désigner les jeunes délinquants qui sévissent aux quatre coins de l’île. Semés dans des discours radicaux, ils montrent bien l’exaspération de ceux qui les produisent. “La police ne sert à rien, elle n’est pas là pour nous protéger, c’est désormais à nous de nous prendre en main pour écraser ces cafards qui nous pourrissent la vie”, hurlait ainsi Faycal, début mars, après avoir chassé de la route nationale des émeutiers au niveau de Doujani. Ce jour-là, une cinquantaine d’automobilistes, de scootéristes et de passants se sont rués aux trousses des jeunes fauteurs de trouble. L’initiative avait laissé les policiers acculés bouche bée et, surtout, avait récolté d’innombrables satisfecit. Chacun saluant ainsi une initiative à reproduire pour ne pas laisser le champ libre aux voyous. Personne, cependant, ne s’était ému des éventuels dérapages que ce précédent pourrait engendrer.
Deux mois plus tard, c’est à Dzaoudzi-Labattoir, ce mardi soir, que les riverains ont décidé d’occuper le terrain face aux jeunes voulant en découdre une nouvelle fois. “On a pour habitude de rester les bras croisés et de constater ce qu’il se passe. Il est temps de dire stop à l’inaction de la population !” clamait la veille Oustadh, un jeune natif de Labattoir après avoir réuni une centaine de personnes pour faire valoir son point de vue (voir Flash Infos du 6 mai). Alors, la riposte populaire serait-elle en train de s’organiser ? C’est en tout cas ce que suggèrent, au-delà de ces réunions informelles, différents groupes qui ont fait leur apparition sur les réseaux sociaux ces derniers mois.
À commencer par Infos Délinquance Mayotte dont la popularité a bondi ces derniers jours pour atteindre plus de 2.000 abonnés. L’objectif est clair “protégeons-nous de la délinquance sous toutes ses formes à Mayotte”, indique la description, invitant par ailleurs ses membres à l’exemplarité en proscrivant “tout propos discriminatoire”. S’il fourmille d’appels à la mobilisation contre l’insécurité, le groupe est surtout le puissant relai d’une autre initiative, bien plus réfléchie. Il s’agit des Ligues de défense citoyennes.
Un réseau pour des oreilles et des mains partout
“La délinquance à Mayotte n’est plus supportable. L’heure est venue de mettre de côté toutes les idées qui nous divisent (politiques, racisme, xénophobie, féministes, commérages…) et de nous unir tous ensemble contre le délinquant. Notre objectif n’est pas de remplacer les forces de l’ordre ou l’État, mais pour notre sécurité si l’État ne fait pas son travail c’est de notre responsabilité et devoir de nous défendre nous nos proches et nos biens”, explique la présentation du projet. Tableau à l’appui, les porteurs de ce qui est annoncé comme un réseau indiquent également que ce dernier” est composé de 17 groupes dont 1 dans chaque commune, un 18ème groupe général qui réunit tous les membres ldc et un 19ème groupe public pour s’adresser à tout le monde, y compris les délinquants, un groupe sous le nom de I.D.M @ Info Délinquance Mayotte”. Au total, environ 450 personnes réparties sur toute l’île sont annoncées comme partie prenante de l’initiative. Objectif, avoir des yeux et des oreilles partout. Mais pas seulement. “Nous aurons aussi des mains partout, des groupes de volontaires patrouilleurs qui seront présents dans chaque village et prêts à venir en aide dans leurs communes…. Mais ensemble, nous déciderons de ce qu’ils doivent faire avec sagesse”, préviennent ainsi les têtes de réseau, affichant une organisation des plus strictes.
“Personne n’a le droit de prendre une décision ou la parole seul”, expliquent-ils ainsi en privé. Et en public, le ton est similaire : “Notre mode de fonctionnement doit être équitable et juste. C’est pour cette raison que nous avons choisi le sondage de Facebook pour voter chaque décision et les documents pour tout noter et archiver. Nous proposerons ensemble des solutions et déciderons ensemble par vote ; nous serons conseillés par un avocat, mais c’est nous qui déciderons ; nous n’aurons pas de leaders pour décider, mais pour exécuter nos décisions ; nos représentants médiatiques feront que présenter nos idées et décisions”, est-il ainsi indiqué.
Le “risque de créer des milices violentes”
Une véritable organisation donc, face à des maux profonds et un sentiment d’inaction des pouvoirs publics. Ce qui, à l’évidence, n’a pas de quoi laisser les principaux concernés indifférents. “Je ne peux pas cautionner cela”, martèle ainsi le général Leclercq. “Ce phénomène est récurrent à Mayotte, en 2018 il s’est passé exactement la même chose même si c’était plus focalisé sur l’immigration. Maintenant, c’est contre la délinquance… Il y a trop souvent ce réflexe de se tourner vers des structures improbables au mépris du rôle de l’État et pour en plus des résultats souvent nuls”, souffle ainsi le commandant des forces de gendarmerie du territoire, qui ne manque pas de prévenir : “tout cela au risque de créer des milices violentes, avec une notion de justice toute particulière et très éloignées de l’État de droit.” “On se rapproche de la loi du Talion et ça, je ne peux absolument pas le cautionner en tant que gendarme”, tempête le militaire.
Et face au sentiment d’éloignement des forces de l’ordre du quotidien de la population, le général de riposter : “Bien sûr que nous sommes là et nous préconisons une coopération avec la population, par exemple pour dénoncer les organisateurs de mourengue et ceux qui animent des bandes de jeunes, pas besoin de ces structures obscures !”. Avec leurs oreilles et leurs mains, il semblerait pourtant que les ligues de défense citoyennes veuillent aller plus loin*.
*Nous reviendrons sur ce phénomène dans nos prochaines éditions
Frappée de plein fouet par le Covid-19, à l’instar de tous les acteurs économiques, Air Austral est aussi un des instruments de la gestion de crise, notamment grâce au maintien d’un pont aérien vers Mayotte. Un rôle qui n’enlève pas sa mission première : transporter des passagers. À l’heure où le déconfinement est annoncé et où une reprise des liaisons aériennes pourrait être décidée pour le début du mois de juin, nous avons fait le point avec le secrétaire général de la compagnie, Dominique Dufour. Mesures à mettre en place, situation financière de la compagnie, tarifs post-crise, etc. Voici ses réponses.
Flash Infos : Sur demande des autorités, Air Austral a maintenu un pont aérien entre Mayotte et La Réunion. Comment la compagnie s’est-elle réorganisée pour faire face à la crise ?
Dominique Dufour : Nous avons mis en place une organisation spécifique pour pouvoir gérer la crise. Une crise dans laquelle nous sommes d’ailleurs rentrés beaucoup plus tôt que tout le monde puisque dès l’apparition des premiers cas en Chine, nous avons dû interrompre nos liaisons vers ce pays. Dès que le gouvernement a pris la décision de réduire le trafic vers les Outre-mer, nous avons tout de suite compris qu’il allait falloir que l’on s’organise pour maintenir les liens en matière de fret, car il y a beaucoup de besoins, particulièrement à Mayotte.
Après l’utilisation de l’avion présidentiel et la mobilisation de l’armée, l’État a décidé de mettre en place un système plus pérenne en nous demandant d’opérer deux vols affrétés par semaine. C’est ce que nous faisons, avec une organisation autour du directeur du fret à Paris, puisque tout part de là-bas. Il est en lien avec l’état-major de zone à La Réunion qui, pour le compte des deux préfets de Mayotte et de La Réunion, détermine quelles sont les priorités de fret à emporter. Tout ce qui est médical, par exemple, est prioritaire. Nous avons également mis les vols affrétés entre La Réunion et Mayotte en correspondance avec les arrivées de Paris. Il y a donc un travail étroit de collaboration entre les services de l’État et les équipes d’Air Austral. Et cela se passe plutôt bien pour l’instant puisque nous arrivons à tenir le rythme.
FI : Vos appareils sont-ils tous mobilisés ?
D. D. : Non. Air Austral a, en temps normal, une activité qui couvre 10 destinations. Aujourd’hui, il n’y en a plus que deux : Paris et Mayotte, et pour du fret. Une grande partie de notre flotte est donc immobilisée. Et bien qu’il faille évidemment toujours entretenir les avions, ce que nous faisons en permanence, ils ne volent pas beaucoup. Nous essayons de les utiliser lorsque nous sommes affrétés pour faire du rapatriement de passagers – puisque le ministère des Affaires étrangères nous sollicite parfois pour cela et pour répondre aux besoins supplémentaires de fret lorsqu’il y en a – mais de manière générale, seuls un Boeing 787, un 737 et deux 777 sont utilisés.
FI : Le préfet de Mayotte a proposé une reprise des liaisons aériennes entre Mayotte et la métropole au début du mois de juin, si les conditions le permettent. On imagine que pour une compagnie aérienne, c’est une bonne chose. Toutefois, cela ne sera possible que sous réserve du respect des gestes sanitaires. Qu’envisagez-vous pour répondre aux exigences de la crise sanitaire, et comment préparez-vous la reprise ?
D. D. : On sait que la reprise se fera de manière progressive et qu’il y aura un avant et un après. L’exigence de respect des mesures sanitaires s’impose, et elle s’impose à tous. Tous les professionnels de l’aérien et du tourisme réfléchissent actuellement à une nouvelle manière de travailler. Nous, on la met déjà en œuvre, d’une certaine manière, puisque l’on continue à opérer,
même s’il n’y a que très peu de vols. Nous avons ainsi mis en place des consignes de respect des distances de sécurité, nos personnels sont équipés de masques et de gants, et ils ont du gel hydroalcoolique. Par ailleurs, depuis le début de cette semaine, les passagers au départ de La Réunion qui se rendent à Paris sont équipés de masques lorsqu’ils n’en ont pas eux-mêmes. Cela nous permet de nous assurer que personne ne peut contaminer personne. Et nous allons continuer à adapter nos procédures pour être prêts au moment où la reprise sera décidée. Ça, c’est que nous, nous pouvons faire.
Au-delà, il y a une disposition importante prise par l’État pour préserver les territoires desservis : le confinement obligatoire à l’arrivée, appliqué à Mayotte et à La Réunion. C’est une mesure de bon sens, car elle permet de contenir la propagation du virus, mais on voit bien qu’elle est très lourde à gérer et qu’elle ne peut pas durer dans le temps. Sur ce sujet, la protection du parcours du passager, nous sommes en attente de ce que les autorités vont décider. Il y a des réflexions là-dessus, auxquelles nous participons, pour savoir ce qui peut être mis en place afin de s’assurer que toutes les personnes qui rentrent dans un avion, dans un sens ou dans l’autre, soient présumées saines, et qu’il n’y ait que des passagers négatifs au Covid-19. Nous prônons un couloir sanitaire, et pour le moment, cela paraît aller dans le bon sens.
FI : Il s’agit là de mesures de contrôle, mais en termes de gestes barrières, ils sont impossibles à respecter dans un avion compte tenu de l’espace disponible…
D. D. : Un avion, cela coûte beaucoup d’argent, et on estime qu’il commence à être rentable à partir du moment où il a plus de 85 % de remplissage avec les soutes pleines. Ce qui n’est évidemment pas du tout le cas en ce moment. On ne peut donc pas faire voler un avion où seul un siège sur deux aura été vendu, sauf à pratiquer un prix au billet complètement décourageant. Cela ne peut pas être une solution. Bien sûr, lorsqu’on est assis à côté de quelqu’un d’autre en classe loisirs d’un avion, la distance d’un mètre ne peut pas être respectée, mais si tout le monde porte un masque, que chacun a des attitudes vertueuses, qu’on ne se lève pas tous en même temps, et qu’il y a des procédures au départ pour s’assurer que les voyageurs ne sont pas porteurs du virus – le couloir sanitaire dont nous parlions –, alors le problème ne se pose plus. C’est cette logique-là que l’on veut faire prévaloir.
Par ailleurs, il faut rappeler que nos avions sont désinfectés systématiquement après chaque vol afin de s’assurer qu’il n’y a pas de virus à bord. Ce sont des appareils nouvelle génération : l’air y est filtré et remplacé en permanence toutes les trois minutes, avec un filtrage de plus de 99,9 % des particules, ce qui rend l’air de nos avions quasiment plus sain que dans n’importe quel établissement recevant du public, même un hôpital.
FI : Vous parliez du prix des billets. Beaucoup de gens s’attendent à une flambée des prix de l’aérien au moment de la reprise des vols, y compris chez Air Austral. Que répondez-vous ? Faut-il en effet s’y attendre ?
D.D. : Nous n’avons pas augmenté nos tarifs et nous ne les augmenterons pas. Toute activité répond à une équation simple : s’il y a du trafic et du marché, il n’y a aucune raison que les tarifs augmentent. Lorsque la décision de réouverture des vols sera prise, on a prévu de les remettre en place progressivement, et on le fera dans les mêmes conditions qu’avant.
FI : De nombreux vols ont été suspendus depuis le 17 mars, empêchant nombre de voyages. De quoi laisser entrevoir un rush à la reprise des vols puisqu’on peut imaginer que beaucoup de voyageurs ont reporté leur départ. Comment allez-vous vous organiser pour y faire face ?
D. D. : Honnêtement, je ne sais pas si ce sentiment est avéré. Est-ce que la demande de voyage va exploser après le déconfinement ? Aujourd’hui, on ne peut pas le dire. Mais elle va augmenter, oui, et on répondra présent pour desservir Mayotte, comme nous l’avons toujours fait. Si les conditions sanitaires sont remplies et que la demande s’exprime, on fera ce qu’il faut pour. D’ailleurs, nous n’attendons que ça : retrouver une activité normale dans des délais raisonnables.
FI : À la suite de l’annulation des liaisons aériennes au mois de mars, vos centres d’appels ont été saturés. La situation s’est-elle améliorée ?
D. D. : Oui, on s’est organisé et on a renforcé nos équipes. Au tout début de la crise, on a eu une grosse embolie, puisque nous avons reçu jusqu’à 10.000 appels par jour. Cela s’est lissé et il n’y a désormais plus de problèmes.
FI : Un mois et demi de suspension des vols commerciaux, cela a un impact énorme sur la bonne santé économique d’une entreprise. Alors comment se porte la compagnie et comment faire pour atténuer les conséquences de cette crise ?
D. D. : Les pertes sont énormes. Depuis le mois de janvier, on a subi une perte d’activité et donc de chiffre d’affaires. Aujourd’hui, nous n’avons quasiment pas de recettes, mais les dépenses restent là en revanche. Nous avons mobilisé tous les dispositifs que l’État et nos partenaires ont mis en place, et heureusement qu’ils étaient là d’ailleurs : activité partielle – la quasi-totalité du personnel d’Air Austral est en chômage partiel et travaille à 20 %, voire 50 % pour certains –, prêts garantis par l’État, report de charges, l’exonération lorsque cela sera confirmée, etc. Tout ça nous permet de tenir.
Maintenant, ce dont nous avons besoin, c’est de visibilité sur la reprise, car c’est cette dernière qui nous permettra de retrouver de l’activité, du chiffre d’affaires, et de rembourser les prêts que l’on fait pour survivre. C’est ça la clé. On est tous mobilisé en responsabilité, le personnel et l’actionnaire, pour tenir durant la crise, mais plus tôt on pourra reprendre et mieux cela sera.
À Tsingoni, la distribution des bons alimentaires commandés grâce aux fonds du conseil départemental n’a pas encore commencé. En cause : des dissensions entre les acteurs de la commune. Avec un risque pour les plus démunis, toujours en attente des précieuses denrées.
Mais que se passe-t-il à Tsingoni ? Alors que les besoins alimentaires sur l’île se font de plus en plus sentir, de nombreuses familles ont rapporté ne pas avoir bénéficié des précieuses aides, bons ou colis qui doivent leur permettre de supporter ces semaines de confinement. Un collectif citoyen anonyme s’en est fait le relai par courrier, mercredi. Et il ne passe pas par quatre chemins : “Nous vous écrivons pour dénoncer le détournement plus que probable de milliers d’euros de fonds publics en bons alimentaires attribués au CCAS (centre communal d’action sociale) de Tsingoni par les élus locaux”, écrivent ses auteurs. L’accusation de détournement de fonds publics est peut-être, à ce stade, un peu prématurée, mais cette réaction pointe en tout cas un problème réel. “Nous sommes allés à la rencontre de plusieurs familles sur le terrain, pour les recenser et faire remonter les situations critiques au CCAS. Nous leur avons garanti que des aides étaient en train de s’organiser sur le territoire. Une semaine, deux semaines, trois semaines plus tard, force est de constater qu’elles n’ont toujours rien”, déplore l’un des auteurs du courrier, qui préfère garder l’anonymat.
Pour comprendre cette situation, il faut revenir sur l’organisation des aides alimentaires depuis le 17 mars. Car tout n’est pas simple : les sources de financement, qui proviennent soit de l’État et donc de la préfecture, soit du département et des communes, doivent permettre aux associations ou aux CCAS de se fournir en bons ou en colis, pour ensuite assurer eux-mêmes les distributions. Or cette multiplication d’acteurs peut rapidement devenir source de tensions. “Nous avons constaté parfois des dysfonctionnements avec les CCAS, ou dans la concertation entre les différents acteurs”, confirme Ali Nizary, le président de l’union départementale des associations familiales (UDAF). Les CCAS, spécialisés dans l’action sociale, doivent normalement se charger d’établir, de mettre à jour et de centraliser les listes de bénéficiaires. Or, sans concertation entre tous les acteurs, les conséquences peuvent être très dommageables pour les plus modestes. “Des élus ont effectué des distributions sur la base de leur propre liste, résultat, il y a eu des doublons : certaines personnes sont reparties avec 200 euros quand d’autres n’ont rien eu”, développe Enrafati Djihadi, la directrice de l’UDAF.
Les élus ont récupéré les bons
Mais revenons-en à Tsingoni. Là-bas, c’est justement l’aide du département qui n’a pas encore réussi à se frayer un chemin jusqu’aux familles précaires de la commune. Le conseil départemental a en effet annoncé le 3 avril dernier avoir débloqué deux millions d’euros pour 6.000 familles. Ces fonds doivent être versés en deux temps, une partie en avril, et l’autre en mai, aux associations, à la Croix Rouge, et aux CCAS, pour les transformer en aides alimentaires. À Tsingoni, c’est donc un premier virement de 27.830 euros qu’a reçu le CCAS le mois dernier. Une commande de 27.000 euros a alors été passée auprès de Bourbon Distribution Mayotte, pour des bons alimentaires utilisables dans les Douka Bé. Et depuis, plus rien. “Lors d’une réunion, les élus ont décidé de récupérer les bons, et d’utiliser des listes qu’ils ont établies sans le CCAS”, raconte une source présente au moment des faits. “Ils ont établi leurs propres listes, en allant recenser des gens dans leurs quartiers”, poursuit-elle. Or le risque est grand de voir certaines familles oubliées, ou de créer des doublons. “Sans parler des personnes en situation irrégulière, particulièrement dans le besoin ces temps-ci et qui ne sont déjà pas souvent prises en compte dans les dispositifs d’aide…”, s’inquiète l’un des auteurs du collectif citoyen.
Une affaire de listes
Du côté de la mairie de Tsingoni, la version diffère légèrement. Certes, les bons sont actuellement entreposés à la mairie, en attente d’une distribution, nous explique-t-on. “Mais c’est parce que nous n’avions reçu que la moitié !”, s’exclame Fatima Ali Tamou, conseillère municipale (LR) et vice-présidente du CCAS. “Nous attendions les 830 euros manquants pour lancer la distribution”, qui devrait avoir lieu ce jeudi, avec des agents du CCAS, assure-t-elle. Mais visiblement, lesdits agents, prévenus à la dernière minute — ce mercredi après-midi —, ne pourront pas se rendre disponibles… “Depuis le début, le CCAS refuse de travailler avec nous”, s’agace Fatima Ali Tamou. D’après elle, face à l’absence de cohésion entre le CCAS et la mairie, les élus ont dû reprendre le flambeau. “Nous avons dû travailler tout un dimanche pour remettre à jour la liste, où il y avait des personnes décédées, ou avec plusieurs occurrences”, poursuit-elle. “C’est une façon de ruser, ils travaillaient sur leurs listes avant même d’avoir vu les nôtres”, peste-t-on dans le camp adverse. Difficile de démêler le vrai du faux, ces listes ne pouvant, bien sûr, être diffusées largement. Mais d’après l’association Horizon, qui a organisé aux côtés du CCAS des distributions de colis solidaires sur la commune, la liste du CCAS correspondait assez bien à ses propres recensements, établis grâce à ses relais communautaires au sein des quartiers.ww
Contacté, le maire sortant (LR) de Tsingoni Mohamed Bacar n’a pas souhaité faire de commentaire. Pourtant, il en va de la subsistance de nombreuses familles qui, elles, attendent toujours les aides promises… Heureusement, la plupart peut quand même compter sur les bons issus des fonds de la préfecture, qui sont distribués à Tsingoni par l’association Man OI (Mouvement pour une alternative non violente – océan Indien), mandatée par l’État. “On est sur le pont, trois fois par semaine depuis un mois”, souffle Christine Raharijaona, la présidente bénévole de l’organisation. Elle se base sur les listes des associations, qu’elle va comparer régulièrement à celles du CCAS pour éviter les erreurs. “On fait du mieux qu’on peut, je vous assure qu’on donne, même si ce n’est jamais assez”, insiste la responsable. D’après la préfecture qui a fait un point étape le 30 avril, ce sont près de 9.500 familles qui ont été aidées par les associations pendant le confinement. Soit environ 4.000 de plus que le nombre officiel de familles recensées par les 17 CCAS du département.
La gestion des déchets est un combat de tous les instants à Mayotte. En Petite-Terre, les habitants s’insurgent des monticules aux abords des routes. Communes, intercommunalité et Sidevam campent sur leur position et se renvoient la balle.
Guérilla la nuit, parcours du combattant le jour… Décidément, il ne fait pas bon vivre en Petite-Terre en cette période de crise sanitaire. Si les règlements de compte entre bandes de jeunes relèvent de la mission des forces de l’ordre, les monticules de déchets aux abords des routes, à l’image du boulevard du général de Gaulle, emprunté quotidiennement par les collégiens et les lycéens, sont l’affaire de tous. Et sur ce point, les avis divergent. Chacun semble se renvoyer la balle, provoquant un immobilisme et une puanteur irrespirable. “En tant que citoyen, ça me saoule de devoir faire le tour des différents services pour que ma ville soit nettoyée”, fustige un habitant de Pamandzi depuis cinq ans, qui constate une dégradation au cours des deux dernières années. La seule solution à ses yeux ? Relayer cette insalubrité constante sur les réseaux sociaux pour que son ras-le-bol soit enfin entendu. Un message envoyé directement au directeur général des services de sa commune, Charaffoudine Ramadani Toto, en est l’exemple probant. À son réveil le lendemain matin, il constate l’effort réalisé par les autorités, devant sa demeure… Certes, mais quid du reste de la population ? Et à ce petit jeu, tous les interlocuteurs ont leur mot à dire, mais aussi et surtout leurs doléances. “On reçoit très régulièrement des plaintes que l’on remonte à la direction du Sidevam, qui met en œuvre la collecte des déchets sur le territoire”, concède Anissa Aboudou, directrice de l’environnement et de la biodiversité à l’intercommunalité de Petite-Terre. Tout cela, pour la modique somme de 2.7 millions d’euros par an, financée par le contribuable…
Jeu du chat et de la souris
Mais pour tenter d’expliquer ce dysfonctionnement, il faut remonter quelques semaines en arrière, et plus particulièrement à l’arrivée du Covid -19 sur le territoire. Confinement oblige, “la préfecture a demandé que nous passions de trois à deux collectes par semaine [sur Petite-Terre] pour protéger nos agents”, rapporte Nicole Menard, en charge de la communication au sein de la structure créée en 2014. Et visiblement, les rouages de ces rotations montrent des signes de faiblesse, comme le souligne Anissa Aboudou. “Actuellement en télétravail, je surveille les ramassages et je peux vous dire qu’ils ne sont pas respectés. Il y a toujours une bonne excuse !” Pour sa défense, le Sidevam pointe du doigt l’absence de tri de la population. “On ne trouve pas que des ordures ménagères dans les bacs.” Face à ces incivilités, impossible pour le syndicat de mener à bien sa mission. Il faut se référer alors aux communes. “Tous les déchets au sol sur la voie publique, c’est de la propreté urbaine, donc ça dépend des communes”, rappelle la directrice de l’environnement et de la biodiversité. Toutefois, la responsable tempère ses propos, en expliquant qu’il ne s’agit que de la conséquence sine qua non de l’inertie de Sidevam. “On assure la collecte des “résidus” qui ne sont pas dans les poubelles dûment dédiées et qui polluent l’espace public”, défend de son côté Charaffoudine Ramadani Toto, qui a publié quelques photos de l’intervention de ses équipes pour prouver la bonne foi des élus de Pamandzi. Avec 299 kg de déchets ménagers par an et par Petit-Terrien (contre 240 en moyenne à Mayotte), les statistiques frisent l’affolement…
Des solutions existent, mais…
Que dire alors des déchets verts, les encombrants, la ferraille ou encore les équipements électriques et électroniques ? En 2019, le syndicat prévoit une collecte deux fois par mois pour ces flux dédiés. “Avec le développement de l’épidémie de dengue en début d’année, le syndicat a réussi à mettre en
place un partenariat avec la Deal, les communes et Enzo Recyclage pour que l’île de Mayotte soit nettoyée des 3E et des pneus qui sont des vecteurs d’accroissement. Et on a libéré le site de l’ancienne décharge de Dzoumogné et organisé un planning de rotations pour que les communes nettoient leurs espaces publiques”, stipule Nicole Menard, qui précise que toutes les collectivités ne jouent pas le jeu… Le premier roulement effectué par l’intercommunalité de Petite-Terre remonte à mardi, avec l’envoi de trois camions de 3.5 tonnes. Une opération qui doit dorénavant se dérouler de manière hebdomadaire selon Anissa Aboudou. Et les machines à laver, les laves vaisselles, les frigos et autres qui pullulent dans tous les sens ? “Lorsqu’une personne réalise un achat dans un magasin d’électroménager, ce dernier doit proposer la reprise de son ancien équipement, car le citoyen contribue à l’écotaxe”, se défend la chargée de communication, qui rappelle aussi le service gratuit d’enlèvement à la demande des déchets verts et des encombrants, dénommé Allô Massaha, même s’“il n’est pas très performant au sein même du syndicat, on ne peut pas nier ces problèmes”. Mais apparemment, toutes ces solutions ne sont pas intégrées par le grand public ! Il suffit de se rendre à proximité du centre de rétention administrative pour découvrir la réalité du terrain.
Quel héritage pour les enfants ?
Le problème ne viendrait-il pas des habitants alors ? À l’école de l’association Maounga Dounia, Marie-Jo guette d’un œil averti cette situation, qui inonde les abords de son établissement. Avec son franc-parler, la directrice jette la pierre sur “les gros dégueulasses qui viennent déposer leurs m…” Conséquences directes de ces actes ? “L’école est devenue une HLM de rats, je vais devoir prévoir un budget de dératisation”, s’emporte-t-elle. Alors à son échelle, elle tente de proscrire les mauvaises habitudes dans son enceinte pédagogique, telles que le plastique et la cannette, mais aussi de sensibiliser les parents sur le thème du recyclage lors des kermesses et des comédies musicales organisées par ses élèves. “Il y a 25 ans, le premier geste de chaque habitant était de balayer devant sa porte pour manger par terre, les rues étaient propres alors qu’on n’avait pas la technologie et la logistique d’aujourd’hui.” Et selon elle, la faute est à mettre sur le dos de tout le monde. “Je trouve que les adultes sont hyper égoïstes ? Que vont-ils laisser en héritage à leurs enfants”, s’interroge-t-elle. Et puis surtout, que penser de l’image renvoyée aux voyageurs à peine débarqués sur le tarmac de l’aéroport ? “C’est catastrophique”, souffle Anissa Aboudou…
Où acheter son propre masque ? En métropole, la grande distribution a lancé tambour battant la vente de masques chirurgicaux ou en tissu. À Mayotte, la disponibilité du précieux sésame pour le grand public n’est pas encore garantie, et les commandes déjà passées tardent à arriver à bon port. Mais alors que le déconfinement approche, comment pourra-t-on s’équiper ? Pharmacies, supermarchés, entreprises… Mayotte Eco a fait le tour des options.
Chou blanc pour la grande distribution
Sodifram, Somaco, Jumbo Score… Toujours pas de masques en vue dans les allées des enseignes mahoraises. Pourtant en métropole, la grande distribution s’est quant à elle lancée dans leur mise en vente ce lundi. L’opération est surveillée de près par Bercy, avec un plafonnement des prix à 95 centimes le masque. Mais la plupart des enseignes assurent vendre l’équipement à prix coûtant, soit autour de 60 centimes. Des masques en tissu peuvent aussi être mis en vente pour les clients, entre un et trois euros chez Carrefour par exemple. En tout, ce sont près de 500 millions de masques qui devraient être accessibles au grand public dans l’Hexagone, chez les magasins Auchan, Carrefour, Casino, Intermarché, Système U, pour ne citer qu’eux. Parmi ces entreprises, l’on retrouve d’ailleurs certains acteurs de la grande distribution locale, comme Casino, qui gère Jumbo Score, ou encore Intermarché, partenaire de la Sodifram. Malgré cela, les consommateurs mahorais devront encore attendre, comme, d’ailleurs, pour le déconfinement. “Des masques commercialisés ? Pas à l’ordre du jour”, balaie Fahridine Mlanao, directeur d’exploitation à la Sodifram. Pour l’instant, ses commandes de masques restent exclusivement destinées au personnel et il n’est pas encore question d’en vendre aux clients. “Les pharmacies attendent pour leur part un container”, croit savoir le directeur. Et c’est d’ailleurs plutôt sur le stock des officines qu’il pense se réapprovisionner à l’avenir, pour continuer d’assurer la sécurité de ses salariés au moment du déconfinement. À la Somaco, aussi, c’est encore le flou. “Nous en avons commandés il y a 15 jours, mais nous attendons encore la livraison”, affirme Azim Mamet, le directeur administratif de l’enseigne.
Les pharmacies dans l’attente
“Je ne peux pas vous dire quand ils arriveront”, lance une pharmacienne qui s’affaire derrière son comptoir. Les officines aussi semblent avancer dans le noir. “Nous n’avons pas beaucoup de visibilité sur les masques”, confirme Claude Marodon, le président de l’Ordre des Pharmaciens pour La Réunion et Mayotte. Sur l’île aux parfums, certaines commandes ont pourtant bien été passées, soit individuellement, soit via l’un des deux grossistes de l’île, Ubipharm et Copharmay. “Les masques sont à peine disponibles en métropole, et il faut trouver de la place dans le fret aérien”, justifie Frédéric Turlan, le directeur général pharmacien responsable de Copharmay. “Il ne faut pas oublier qu’il y a tout juste deux semaines, il n’était pas envisageable de vendre des masques chirurgicaux au grand public”, tient-il aussi à rappeler. Mais le grossiste se veut toutefois confiant sur l’arrivée des nouveaux stocks commandés : “a priori fin mai”. Et d’ici là ? “Les gens feraient mieux de rester chez eux”, maugrée-t-il.
Les PME peuvent enfin passer commande
“On ne s’improvise pas commerçant international en un jour”, plaisante Frédéric Turlan. Et il ne fait pas si bien dire. Si les grands groupes ont pu se réapprovisionner au plus fort de la crise, en activant leurs réseaux notamment en Chine, les plus petites entreprises ont, elles, eu un peu plus de mal à se procurer les masques. Or, avec le déconfinement qui approche, fournir leurs salariés risque fort de
devenir nécessaire dans les semaines à venir. Bonne nouvelle ! La chambre de commerce et d’industrie vient d’annoncer la mise en ligne de la plateforme masques-pme.laposte.fr, un dispositif qui permet d’acheter, de payer en ligne, et de se faire livrer sur site. Depuis le 2 mai pour les entreprises entre 10 et 49 salariés, et depuis le 4 mai pour celles de moins de 10 salariés, Docaposte, filiale numérique de La Poste, se charge de livrer ces masques lavables conformes aux normes sanitaires (ANSM et AFNOR). Une condition : être affilié aux réseaux des CCI et CMA (chambre des métiers et de l’artisanat). L’initiative, impulsée par le secrétariat d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances, doit permettre de distribuer 10 millions de masques, qui correspondent à 200 millions d’utilisations uniques. Et Mayotte est concernée, même si, “pour les entreprises d’Outre-mer, la commande et les délais de livraison pourront varier dans la mesure où certaines liaisons aériennes demeurent fortement perturbées en raison de la crise sanitaire actuelle”, précise le guide d’utilisation de la plateforme. Attention toutefois : les tarifs pour les Outre-mers ne sont pas encore affichés. En ce qui concerne les entreprises de métropole, comptez 92,50 euros hors taxes pour un lot de 40 masques et 17,80 euros hors taxes pour un lot de six masques.
La Comema a encore du tissu
C’était la solution pour faire face à la pénurie : les masques en tissu. Mais lundi, la préfecture a annoncé qu’il n’y avait “plus ni tissu ni élastique à Mayotte”. Pourtant, la Comema assure avoir toujours des stocks. “J’ai été étonné de lire cette information dans la presse. Nous avons encore tout ce qu’il faut pour faire des masques”, soulève Mourtouza Goulamaly, le gérant de l’entreprise de tissus mahoraise. Seul bémol : les élastiques, dont les stocks commencent en effet à montrer quelques signes d’épuisement. “Mais nous avons deux commandes qui arrivent la semaine prochaine”, assure Mourtouza Goulamaly. À défaut de pouvoir acheter un masque au supermarché, vous pouvez donc vous rendre dans les boutiques Comema, qui continuent de vendre des masques déjà cousus sur la base du patron AFNOR, à partir de 5 euros pièces. Sinon, vous pouvez en coudre vous même avec le tissu en coton recommandé, pour 6 euros le mètre. “Avec 1 mètre, vous pouvez coudre plus de 30 masques”, précise-t-il. Soit l’option la moins chère du marché, à 20 centimes le masque. Dernière option : les vendeurs à la sauvette, qui ont, eux aussi, décidé d’investir un secteur en vogue. Au rond-point du Baobab, les masques aux couleurs chatoyantes s’échangent pour trois euros pièce. Mais ceux-là n’auront pas forcément le sigle AFNOR… À vos équations ! n
Alors que Mayotte se rapproche inévitablement du pic épidémique, le centre hospitalier de Mayotte s’apprête à accueillir un hôpital militaire dans ses murs vers le 16 mai et à transférer des patients non-Covid vers La Réunion pour libérer des lits. Si ces deux nouvelles sont plutôt rassurantes, le docteur Philippe Roche, le directeur médical de crise au CHM, souhaite que l’agence régionale de santé mobilise d’autres professionnels de santé pour réaliser les prélèvements afin que le personnel soignant puisse renforcer les soins des patients.
Flash Infos : Ce lundi, le préfet de Mayotte, Jean-François Colombet, a confirmé le transfert des personnels et des matériels de l’hôpital militaire installé jusqu’alors à Mulhouse.
Philippe Roche : Une mission exploratrice est venue il y a quelques jours. Un inventaire de tous les DOM-TOM a été dressé, car les militaires se doutaient bien qu’ils allaient se projeter dans l’un d’entre eux en fonction de l’évolution de l’épidémie. Mis à part la Martinique, il n’y a aucun autre territoire ultramarin où la surface au sol dans l’hôpital est assez grande pour accueillir leurs tentes. Conséquence, il faut libérer de la place que nous avions réservée à l’accueil de patients en médecine, et que nous allons devoir déplacer. Or, nous avons épuisé toutes les salles possibles et utilisables dans l’établissement. Et se déporter à l’extérieur du CHM est logistiquement impossible puisque ce public nécessite des scanners quasi quotidiens et des examens biologiques.
Même si nous nous sommes mis d’accord sur un schéma, ce sont les ministères qui tranchent. Nous sommes partis sur l’idée que nous leur fournirons les locaux et eux arriveront avec de quoi faire tourner entre 10 et 20 lits de réanimation et une quinzaine de lits de médecine Covid.
Quand bien même nous aurions eu l’espace pour accueillir toute leur structure, cela aurait nécessité six rotations de A400M, des tonnes et des tonnes de matériel à démonter là-bas et à remonter ici, le tout après désinfection… Cela n’avait aucun sens, car ils seraient arrivés le 15 juin, après la guerre ! Avec notre proposition, nous les attendons vers le 16 ou 18 mai. La durée de leur mission n’est pas figée. Mais je pense qu’elle se limitera à un ou deux mois, grand maximum, si l’épidémie devait être intense et longue.
FI : En attendant cette arrivée, le président de la République, Emmanuel Macron, a pris la décision, jeudi dernier, de renforcer les évacuations sanitaires. Qu’en est-il de ce dispositif ?
P. R. : Nous allons effectivement transférer six patients non Covid (dengue, insuffisance cardiaque, traumatisme crânien…) à La Réunion cette semaine. Nous allons avoir très prochainement une réunion téléphonique avec le corps médical de là-bas pour évaluer le nombre d’envois possibles. Après, il faut bien comprendre que si nous étions amenés demain à recevoir 100 ou 150 patients atteints de Covid en hospitalisation, il n’y aurait pas d’autres solutions que d’installer des structures sous tentes dans la cour de l’hôpital pour accueillir ceux qui présentent des pathologies qui ne sont pas très graves, mais qui ne peuvent pas rentrer chez eux.
Le nombre insuffisant de lits d’hospitalisation est propre à tous les établissements français. En médecine à Mayotte, nous avons 14 lits pour 100.000 habitants, c’est un chiffre extrêmement bas par rapport à La Réunion et encore plus par rapport à la métropole. Depuis 20 ans, la communauté médicale n’a cessé d’alerter sur ces fermetures intempestives. Nous travaillons déjà en flux tendu en temps normal, alors imaginez en période épidémique… Dès qu’il y a un afflux de patients, les hôpitaux français sont incapables d’y faire face !
FI : Depuis deux mois, vous vous étiez préparés en interne à faire face à cette épidémie. Cette avance, grâce au décalage avec la métropole, vous l’avez progressivement perdue au fil des semaines… Comment l’expliquez-vous ?
P. R. : Quoique nous disions du confinement, il a été efficace à Mayotte pendant plusieurs semaines. À l’hôpital, il ne se passait pas grand-chose alors que nous l’avions dans le même temps profondément réaménagé. Je pense notamment aux deuxièmes urgences, dans lesquelles nous avons fait un test récemment pour former le personnel soignant. Depuis deux ou trois jours, nous réfléchissons très fortement à l’ouvrir pour y intégrer la pédiatrie et la traumatologie. Pour ne traiter que des cas de Covid dans les urgences actuelles, même si nous allons garder des circuits séparés pour les patients que nous ne pourrons pas prendre en charge de l’autre côté, notamment les déchocages, les polytraumatisés de la route, etc.
Puis en 36 heures, nous avons dû ouvrir 6 ou 7 lits supplémentaires pour nos postes d’urgences. C’était un challenge énorme pour remplir les pharmacies par exemple. À chaque fois, cela représente des coups de fatigue supplémentaires que nous imposons à notre personnel soignant. C’est très difficile de continuellement s’adapter au fil des semaines ! Quand nous ouvrons de nouvelles unités, cela veut surtout dire que nous en déplaçons un peu par ci pour en mettre par là. C’est le jeu des chaises musicales qui représente une charge de travail toujours plus conséquente.
Le deuxième mécanisme est le travail avec d’autres partenaires pour étendre les capacités limitées de l’hôpital. Comme pour l’internat de Tsararano ou le centre de rétention administrative… et à chaque fois, dans ces cas-là, nous rentrons dans cette espèce de millefeuille français administratif qui est un frein, parce que ça oblige à beaucoup communiquer. Et la communication peut parfois être défaillante (rires)…
FI : Ces frictions avec les institutions sont sûrement inévitables pour que vous puissiez bénéficier de matériels supplémentaires ou encore de la réserve sanitaire… Êtes-vous plutôt rassuré à ce sujet-là ?
P. R. : Oui, beaucoup plus qu’il y a quelques semaines ! Nous sentons qu’il y a une prise de conscience gouvernementale du risque épidémique à Mayotte et une volonté d’intervenir. Nous avons des retours positifs de Santé Publique France (SPF). Après, à la différence des militaires qui arrivent en équipe complète, les personnels de SPF sont isolés. Heureusement, nous avons eu la chance de bénéficier dans leurs rotations d’anciens soignants CHM. Mais pour les autres, c’est plus compliqué, car il faut les former pour une mission de quinze jours. Travailler ici est tout à fait différent de la métropole : il y a les problématiques linguistiques, pathologiques et socioculturelles à prendre en compte. Ils ne restent pas assez longtemps pour être pleinement efficaces dans nos chaînes de soins. Mais SPF a entendu notre requête et s’organise désormais pour envoyer des médecins sur une durée d’un mois. Nous avons aussi le sentiment que si nous avons des besoins supplémentaires, l’agence nationale y répondra. Mais nous ne voulons pas non plus être gourmands trop tôt et perdre en crédibilité. Cet équilibre-là est difficile à jauger et à trouver en cette période.
FI : Indépendamment de l’hôpital de Mamoudzou, comment se déroule la gestion de la crise dans les centres périphériques ?
P. R. : Sur les centres périphériques, nous avons fait le choix d’essayer de ne pas faire rentrer de patients Covid à l’intérieur. L’idée est de réaliser un tri le plus précis possible à l’entrée et de prélever énormément. Tant que l’afflux n’est pas massif, nous allons rester dans cette politique pour préserver ces structures qui accueillent des malades chroniques. Ils n’ont pas les moyens et puis de toute façon, ce n’est pas leur vocation de traiter le virus.
Parmi les autres bonnes nouvelles de ces derniers jours, nous devrions recevoir dans la prochaine rotation du Mistral un hélicoptère sanitaire pour la durée limitée de la crise. Ce nouvel outil va nous permettre de maintenir cette politique de récupération des patients les plus graves très rapidement dans les différents centres médicaux de référence. Au lieu de prendre deux heures par la route pour aller les chercher, si nous pouvons les ramener en cinq minutes, ça change complètement la donne !
FI : Concrètement, qu’est-ce que change le passage en phase 3 de l’épidémie ?
P. R. : Nous avons tout remarqué depuis une semaine que nous avons une ascension de nombre de cas, et notamment des cas graves, qui a amené au passage en phase 3. Le problème est que cela vient impacter une politique nationale de mise en place de prélèvements massifs sur le plus grand nombre de la population pour préparer le déconfinement. À Mayotte, la volonté gouvernementale est d’en réaliser entre 500 et 1.000 par jour. Sauf que nous sommes en décalage. On nous demande de commencer à appliquer les mesures métropolitaines alors que nous devrions entièrement nous consacrer sur les soins parce que nous allons très prochainement atteindre le pic épidémique qui va mobiliser toutes nos ressources sanitaires. Pour nous, c’est compliqué à gérer, car nous nous retrouvons avec deux “boulots” sur le dos, à savoir du dépistage, qui représente 25 % de l’activité des urgences et du soin, le tout à personnel constant…
Une circulaire ministérielle est sortie il y a quelques jours stipulant que d’autres professionnels de santé, comme des kinésithérapeutes ou des dentistes, peuvent être formés pour réaliser ces dépistages. Nous attendons impatiemment que l’agence régionale de santé les mobilise, sachant que bon nombre d’entre eux sont actuellement au chômage partiel en raison de la fermeture de leurs cabinets. Car à l’hôpital, nous bloquons quotidiennement plusieurs médecins et infirmiers sur cette mission au détriment de l’ouverture du deuxième service d’urgences par exemple. Or, nous ne pouvons pas si nous ne récupérons pas ce personnel ciblé. À un moment donné, il y a un arbitrage à faire : soit nous continuons à prélever et dans ce cas-là, nous ne pouvons pas soigner tout le monde, soit nous misons tout sur les soins, ce qui est normalement imposé par la phase 3.
FI : Quand espérez-vous recevoir une réponse claire des autorités sur la question ?
P. R. : Je ne sais pas (rires). Si nous n’avons pas de réponse, nous trancherons en interne, quelles que soient les directives régionales et nationales. Si nous ne pouvons pas faire les deux, nous ferons un choix ! Et celui-ci est déjà fait dans nos têtes… Nous n’allons pas laisser mourir certains, car d’autres doivent se faire mettre des cotons-tiges dans le nez ! Nous arrêterons de prélever de manière unilatérale, que cela plaise ou non. Ce sera peut-être conflictuel, mais nous assumerons notre décision, dans l’intérêt des malades.
C’est l’un des cinq piliers de l’islam et, chaque année, plusieurs centaines de Mahorais l’accomplissent. Cette année toutefois, le pèlerinage à La Mecque, le hadj, pourrait bien être annulé. Face à la pandémie mondiale, l’Arabie Saoudite prépare en effet les fidèles musulmans du monde entier à cette possibilité.
Il devait se dérouler, cette année, du mardi 28 juillet au dimanche 2 août. Mais sa tenue est remise en cause par la pandémie de Covid-19. Le hadj, pèlerinage à La Mecque, l’un des cinq piliers de l’islam, est menacé d’annulation. Et pour cause : compte tenu de la foule qui s’y rend chaque année, le lieu serait l’un des plus privilégiés pour favoriser la contamination. Face au risque, l’Arabie Saoudite a donc décidé de suspendre l’évènement jusqu’à sa décision officielle. De quoi décevoir les fidèles mahorais dont certains avaient déjà constitué leurs dossiers auprès d’une des trois associations locales habilitées à le faire à Mayotte. L’île n’échappe donc pas à la règle et, du côté des pèlerins comme des associations organisatrices, on est dans l’attente.
À la tête de la confédération qui centralise les demandes et organise le pèlerinage, Saïd Yahia Radjabou confirme la difficulté du moment : “Nous n’avons pas de nouvelles du tout actuellement. Une seule chose est sûre : pour le moment, l’Arabie Saoudite a mis un stop. Jusqu’à quand ? On ne sait pas.” Et si, pour le moment, le hadj est seulement en suspens, le responsable se fait peu d’illusion : “Avec l’épidémie de Covid-19, la France est sur liste rouge, alors il y a peu d’espoir pour cette année.”
Des voyages reportés
Du côté de la direction départementale de la médiation et de la cohésion sociale, qui aiguille les candidats au voyage et accompagne les associations agréées via une subvention annuelle, on est là aussi en attente d’une annonce, positive ou négative. “Nous avons prévu de faire un point avec les associations organisatrices après le déconfinement pour nous organiser et faire le point avec les autorités saoudiennes. Car, que ce soit ici ou là-bas, le pèlerinage s’organise à l’avance”, confie Younoussa Abaine, à la tête du service. Peu d’avancées, donc, mais une quasi-certitude, car certains pèlerins ont déjà réservé, via les associations, leur voyage, fonds à l’appui. Alors quid de ces derniers ? Cela ne devrait pas poser de problèmes majeurs, estime le responsable. La raison ? Le caractère sacré et très attendu de l’évènement : “Il faudra que nous discutions de ce point avec les associations, mais le nombre de places étant limité à 600 – nous proposons d’ailleurs qu’il passe à 1.000 par an –, je doute que les personnes qui ont réservé leur pèlerinage l’annulent. Selon moi, beaucoup préfèreront le reporter, tout simplement. S’ils ne peuvent pas partir cette année pour des raisons de santé publique, ils voudront toujours y aller l’année prochaine.”
Après Tsoundzou 1, c’est au tour de Labattoir de faire les frais d’une nuit de violences. Une trentaine de jeunes ont semé la terreur dans la nuit du lundi au mardi en mettant le feu à des maisons. Aucun blessé n’est à déplorer, mais cet énième débordement pousse la population à prendre des initiatives afin d’assurer sa propre sécurité.
Il y a quelques années, la Petite-Terre avait la réputation d’être le secteur le plus calme de l’île, mais cette époque est révolue. Depuis quelque temps, cette image a été ternie par des violences à répétition. La nuit du lundi au mardi a été particulièrement violente, marquée par un groupe de jeunes, une trentaine selon la gendarmerie, qui a mis le feu à Labattoir dans le quartier Racine. Il est nécessaire de remonter le temps pour comprendre les raisons de cet acte. Des affrontements entre bandes rivales, principalement composées de mineurs, ont pris naissance le week-end dernier. Lundi en début d’après-midi un jeune de 15 ans a été grièvement blessé au chombo, par trois individus qui ont relativement le même âge que lui. Sur les réseaux sociaux, une rumeur annonçait le décès de ce jeune. Ses amis ont alors promis de le venger. En réalité, la victime n’a pas succombé à ses blessures “même s’il est gravement blessé. Son pronostic vital n’est pas engagé” selon la gendarmerie. La préfecture de Mayotte a d’ailleurs démenti cette rumeur afin d’éviter l’affrontement prévu le soir. Mais le mal était déjà fait et les jeunes ont semé la terreur dans différents quartiers de Labattoir comme prévu. Les nombreuses images publiées sur les réseaux sociaux parlent d’elles-mêmes. Nous pouvons y voir des dizaines de jeunes armés de barres de fer, machettes, bâtons et autres, qui circulent dans les rues, ou encore une maison totalement en feu. “Vers 20h45, ces jeunes armés ont convergé vers un quartier de Labattoir où ils pensaient trouver les auteurs présumés de l’agression du début d’après-midi”, explique le général Leclerc, commandant de la gendarmerie de Mayotte. Pendant cette soirée, des patrouilles de gendarmes étaient déjà déployées sur les deux communes de Petite-Terre afin de maintenir l’ordre public. Au moment des faits, trois d’entre elles ont été envoyées dans le quartier où se trouvaient les jeunes. “Une des patrouilles s’est retrouvée dans une rue face à ces individus qui étaient plus nombreux à ce moment-là. Ils l’ont menacée de leurs armes et la patrouille a fait usage de bombes lacrymogènes pour se dégager. L’adversaire s’est dispersée une première fois”, précise le général Leclerc. Mais ce n’était qu’un avant-goût de ce qu’ils préparaient. Plus tard dans la soirée, vers 22h, le même groupe a été signalé dans le quartier Racine de Labatttoir. Ils venaient d’incendier l’habitation de l’individu qu’ils pensaient être mis en cause dans l’agression de leur ami plus tôt dans l’après-midi. “Il s’agit d’une habitation précaire imbriquée avec d’autres habitations de ce type qui ont pris feu”, indique le commandant de la gendarmerie. Vingt-huit militaires ont été mobilisés sur le site et ont dispersé les individus. Fort heureusement, aucun blessé n’est à déplorer du côté des civils ni dans les rangs de la gendarmerie. Une enquête judiciaire est ouverte puisque la gendarmerie affirme avoir des indications précises sur l’identité des auteurs de l’agression du jeune de 15 ans.
Quelles solutions face à cette violence croissante ?
“Cela fait quatre ans que je commande la gendarmerie à Mayotte et la Petite-terre fait partie des trois secteurs les plus perturbés, les plus concernés par les problématiques d’ordre public”, constate le général Leclerc. Mais il estime que la gendarmerie fait son travail, et qu’il faudrait trouver les coupables de cette situation ailleurs. En attendant, il poursuit son plan d’action de maintien de l’ordre public puisque le risque de nouveaux affrontements est élevé. Un dispositif est déployé sur Petite-Terre “autant de soirs qu’il le faudra, selon les événements. Le but du jeu est de les disperser
avant qu’ils ne passent à l’acte”. La gendarmerie affirme être en capacité de répondre à toute forme de débordement.
La population de son côté manifeste son ras-le-bol et souhaite prendre les choses en mains. “On a pour habitude de rester les bras croisés et de constater ce qu’il se passe. Il est temps de dire stop à l’inaction de la population !” clame Oustadh, un jeune natif de Labattoir. Hier, il a réuni une centaine d’habitants afin de trouver des solutions communes à la situation de plus en plus critique. “Il va falloir qu’on cesse d’avoir peur. Dès lors qu’un rassemblement de ce type a lieu, il ne faut plus qu’il progresse. On ne doit pas leur permettre de traverser la ville”, explique-t-il. Oustadh indique qu’ils ne seront pas armés, mais il espère que l’effet de masse fera reculer les groupes de délinquants. Par ailleurs, il compte mener son action encore plus loin, et aller à l’origine du problème. Les habitants connaissent ces jeunes, mais n’osent pas les dénoncer par peur de représailles. “Il n’est plus question d’avoir peur, on ira parler à leurs familles. Et pour ceux qui vivent sur les terrains d’autrui, on ira voir les propriétaires et on mettra la pression pour qu’ils les délogent.” Il ne reste plus qu’à espérer que cette démarche porte ses fruits.
Le budget est désormais voté et le Département voudrait aller vite dans la mise en service des brigades de vigilance citoyenne composées de centaines de médiateurs de terrain. Mais la crise sanitaire embarque avec elle des priorités qui, pour les partenaires de la collectivité, supplantent celle-ci.
Il marche seul. En attendant que ses compagnons de route le retrouvent sur le chemin de la lutte contre la délinquance, le conseil départemental voté, ce 30 avril, le budget dédié aux brigades de vigilance citoyenne. 400.000 euros seront ainsi consacrés pour permettre le recrutement d’une centaine de professionnels auprès du Département, chargés de superviser l’action de terrain de quelque 600 bénévoles répartis au sein de plusieurs associations.
Le projet annoncé le 11 mars n’est donc pas oublié. Il est même “urgent” à entendre le vice-président du département en charge de l’action sociale, Issa Issa Abdou. “Les événements récents de violence le prouvent de la plus évidente des manières, ils nous donnent raison sur notre volonté d’agir vite pour mettre ce dispositif en place. On ne peut plus faire l’impasse sur le pari du dialogue et se contenter d’un côté de mourengué qui dégénèrent et de l’autre d’un décompte des grenades lancées”, soutient ainsi l’élu départemental.
Pour autant, les freins sont nombreux à la mise en en place concrète de ce dispositif qui se veut “audacieux et très encadré sans reproduire les erreurs du passé que l’on a pu observer à travers les maillots jaunes”, selon Issa Issa Abdou. À commencer par la crise sanitaire. “De notre côté, nous sommes prêts, mais il est vrai que le confinement complique largement la tâche. D’un côté, nous souhaitons le faire, mais mettre des centaines de personnes dans la rue en ce moment n’est pas évident. On voudrait agir vite, tout de suite, mais nous n’avons pas encore trouvé la parade pour ce faire”, confie le vice-président.
“Plus d’actualité” pour la préfecture
Et la tâche se complique d’autant que les partenaires initiaux du projet, au premier rang desquels l’État en copilote, sont plus que réservés sur la notion d’urgence quant à la mise sur pied des brigades de vigilance citoyenne. “Que le conseil départemental délibère pour préparer le terrain est très bien, mais il est vrai que de notre côté nous avons certaines priorités liées à la crise sanitaire à gérer. Dans ce cadre, le projet n’est plus trop d’actualité en ce moment”, explique ainsi Jérôme Millet, le secrétaire général adjoint de la préfecture en charge de ce dossier, tout en assurant que “nous le reprendrons dès que possible”. Du côté de la gendarmerie qui a fort à faire en ce moment, on est même “passé à autre chose”, lance le général Philippe Leclerq. “Le contexte a beaucoup évolué depuis, notre configuration est nettement plus orientée sur la crise sanitaire et le maintien de l’ordre public dans une situation dégradée”, poursuit le commandant des forces de gendarmerie sur le territoire. “On avance main dans la main sur ce sujet”, promettaient pourtant l’ensemble des parties prenantes lors de la présentation du projet le 11 mars. Il faut croire que, pour une fois, les gestes barrières ont bien été intégrés.
Hier soir, le préfet de Mayotte tenait un point général par audioconférence. En ligne de mire : le pic de Covid-19 que connaît le territoire et le déconfinement annoncé pour le 18 mai. Parmi les points forts : une possible reprise des vols commerciaux dès le début du mois de juin.
Alors que le premier ministre, Édouard Philippe, présentait son plan de déconfinement devant le Sénat, hier, le préfet de Mayotte, Jean-François Colombet, tenait un point presse dans la foulée. Au centre des préoccupations, la crise sanitaire, mais aussi le déconfinement annoncé, pour Mayotte, le 18 mai.
Sur ce dernier point, le préfet a proposé au gouvernement la reprise des vols commerciaux dès le début du mois de juin – “le 2, voire le 9” –, sous réserve toutefois que Mayotte soit sortie de la zone rouge. “Il y aurait naturellement des garanties sanitaires”, a précisé Jean-François Colombet, citant le groupe Aéroport de Paris qui travaille actuellement sur un projet de “parcours sanitaires” des passagers fréquentant Roissy-Charles de Gaulle. Notamment grâce à des tests réalisés 24h avant le départ. “C’est sur cette base que l’on pourrait avancer, afin que des voyageurs puissent monter dans l’avion à destination de Mayotte sans avoir le moindre risque de contaminer qui que ce soit ici.” Mais à l’inverse ? Pour les vols de Mayotte vers la métropole ? Les passagers en provenance de Mayotte seront-ils soumis aux mesures d’isolement abordées par le gouvernement il y a quelques jours ? Sur ce point, le préfet renvoie au projet de loi en débat sur le sujet, voté dans la semaine.
Une ouverture des vols commerciaux qui est indispensable à la reprise de l’économie, estime le haut fonctionnaire, qui qualifie la situation du secteur économique de “très tendue, notamment sur le secteur du tourisme et de la restauration”. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le préfet plaide pour une réouverture des bars et restaurants – “souvent en plein air et aérés” – de manière raisonnée et encadrée le 25 mai. D’ici là, les Mahorais pourront peut-être se réjouir d’un accès aux plages, au lagon, ou aux terrains de sport dès le 14 mai, toujours si la situation le permet et de façon responsable.
Épidémie en cours
Car, évidemment, toutes ces possibilités sont soumises à l’évolution de l’épidémie sur le territoire. Et celle-ci est actuellement en pleine expansion à Mayotte. Si cette hausse est liée à l’augmentation des tests pratiqués, le taux de positivité augmente aussi puisqu’il a été “multiplié par trois pratiquement en une dizaine de jours, comme prévu par les modèles mis en place”, a rappelé le préfet. Et même si “la gravité est très en deçà de ce que nous avons connu sur le territoire métropolitain”, le constat nécessite naturellement des moyens pour réaliser des tests supplémentaires : “une question très importante [sur laquelle] il faut que l’on monte en puissance. (…) Chaque individu testé est un atout supplémentaire pour lutter contre le virus.”
Par ailleurs, si l’hôpital militaire installé à Mulhouse ne viendra pas à Mayotte comme il a pu être dit, “la réunion interministérielle de la semaine dernière a validé le transfert des personnels et des matériels qui nous sont nécessaires et qu’avait demandé l’autorité sanitaire. Nous sommes en train de discuter des modalités de transfert.”
Transfert également pour les masques indispensables au déconfinement. Le préfet a annoncé avoir “commandé avec le conseil départemental 300.000 masques à Madagascar”. Des modèles Afnor “de très haut niveau” qui devraient arriver sur l’île “la semaine prochaine.” Une commande qui s’ajoute aux masques à usage unique annoncés par le gouvernement et “que nous sommes en train d’acheminer”.
Enfin, toujours sur la question sanitaire, l’évacuation vers le CHU de La Réunion des patients du service médecine non porteurs du Covid -19 a été actée. Ce dernier service du CHM est, en effet, à l’heure actuelle plus impacté par l’épidémie que le service de réanimation.
Alors que l’épidémie a atteint le stade 3 et que tout le département est touché, l’ARS, qui suit de près l’évolution des clusters, fait face à une augmentation préoccupante des cas dans les quartiers les plus précaires, notamment dans le grand Mamoudzou.
Fêter le 1er mai en télétravail n’aura pas suffi à freiner la propagation galopante du Covid-19, en ce qui concerne Mayotte. Ce lundi, c’est un total de 686 personnes qui ont été testées positives, soit 90 cas supplémentaires depuis samedi. Voire 91. La mort de Hadj Abdourahame Ben Omar, grand Imam de la mosquée de Mamoudzou, est venue grossir les rangs des patients décédés du fameux virus, même s’il faut attendre le résultat du test PCR pour l’intégrer aux six décès officiels déjà annoncés. “Le tableau clinique et le scanner sont typiques”, note toutefois Dominique Voynet, la directrice de l’agence régionale de santé, en cette fin d’après-midi. Deux décès supplémentaires concernant le département, annoncé vendredi au niveau national par le directeur général de la santé Jérôme Salomon, doivent encore faire l’objet de vérifications, car leurs tests étaient revenus négatifs. “Pour l’un, il y a un faisceau de symptômes qui pointent vers le Covid-19, pour l’autre, l’examen clinique n’est pas convaincant”, précise Dominique Voynet.
Voilà pour le tableau général. Mayotte confirme donc la trajectoire qui fait d’elle le seul département d’Outre-mer encore en rouge sur la carte. “Pas un seul village, ni une tranche de population, ni une tranche d’âge n’y échappe désormais”, confirme la responsable de l’autorité sanitaire, qui relève aussi une “augmentation rapide et brutale des nouveaux cas depuis le début du ramadan”. Entre le calendrier religieux, l’annonce du déconfinement et “des opérations spectaculaires de jeunes occupant l’espace public” – référence faite aux affrontements du week-end entre jeunes et forces de police -, le virus confirme son installation sur le territoire.
Des clusters dans des zones précaires
Mais une autre caractéristique préoccupe les experts sanitaires ces derniers jours : la circulation du virus dans certains clusters. “Il y a une concentration dans des zones précaires du grand Mamoudzou”, souligne la directrice. En cause, une moins bonne circulation des informations relatives à l’importance des gestes barrières et des règles de distanciation sociale, suppose-t-elle. Et c’est sans compter les attroupements qui ont pu être observés au moment des distributions alimentaires… Quoi qu’il en soit, cette situation rappelle l’importance du travail conjoint des équipes mobiles de l’ARS, qui sillonnent le territoire pour diffuser les bonnes pratiques et identifier les cas contacts, et des acteurs de proximité, communes, CCAS et associations.
Mayotte face à la vague
Pour faire face à cette situation, plusieurs dispositifs sont étudiés. En soutien aux équipes de l’ARS, une plateforme devrait être mise en place, gérée par l’Assurance maladie et des médecins libéraux volontaires. Objectif : effectuer un premier “screening” des cas contacts, et permettre à l’ARS de se concentrer davantage sur les clusters. Autre (bonne) nouvelle, l’arrivée de nouveaux respirateurs, confirmée ce lundi par Dominique Voynet. Sept respirateurs ont été livrés ce week-end, et 15 ou 16 autres sont à disposition à Paris, prêts à être envoyés si besoin, nous précise-t-on. Quant à la possibilité d’installer un EMR (équipement militaire de réanimation) en soutien au CHM, comme cela avait été le cas à Mulhouse au point fort de l’épidémie, elle sera sûrement adaptée à la réalité du territoire. Plutôt qu’un hôpital de campagne, c’est donc une aile du CHM qui doit être réaménagée pour y installer des lits supplémentaires. “Les dix premiers lits seront installés mi-mai, ce qui nous donnera des moyens supplémentaires en réanimation”, explique l’ancienne ministre.
Enfin, parmi les autres outils susceptibles d’être mobilisés, l’on retiendra notamment le recours aux évacuations sanitaires dans la région, la possibilité de faire évoluer l’internat de Tsararano en Soins de Suite et de Réadaptation (SSR), et le virage vers des soins ambulatoires. Bref, l’ARS se prépare et veut croire dans sa capacité à faire face à la vague qui se profile, alors que Mayotte accuse toujours deux semaines de décalage par rapport à la métropole. Mais un déconfinement total semble difficilement envisageable vu la situation actuelle. La date officielle, déjà décalée au 18 mai pour Mayotte, pourrait être renvoyée à plus tard, et un “point” sera fait le 14 mai, comme annoncé par Édouard Philippe devant le Sénat ce lundi… “Ne vous attendez pas à avoir des vacances d’été”, a plaisanté, en substance, la directrice de l’ARS.
Aucun lieu de culte n’est autorisé à ouvrir pendant le confinement. En théorie. En pratique, à Mayotte, certaines mosquées n’arrivent pas à se résigner à cette mesure et accueillent clandestinement les fidèles malgré les restrictions. Une situation qui dépasse les autorités compétentes.
Il est 12h, l’imam de la mosquée de vendredi d’Acoua crie le adhan pour rappeler aux fidèles l’heure de la prière. Un rite qui est encore toléré dans les mosquées de l’île pendant le confinement, à condition qu’elles n’accueillent pas de public. Mais certaines semblent passer outre cette mesure et ouvrent leurs portes à ceux qui souhaitent faire leur prière comme à l’accoutumée. Nombreux sont ceux qui se rendent encore à la mosquée de vendredi d’Acoua. Leur foi prend le dessus sur tout le reste. “Oui je viens prier à la mosquée parce que c’est plus bénéfique, à la maison ce n’est pas pareil. Mais je prends mes distances par rapport aux autres”, témoigne Youssouf*, un fidèle. Il n’est pas le seul à tenir le même discours dans cette mosquée. Si Youssouf affirme être conscient des risques qu’il encoure, d’autres semblent les ignorer. “La mosquée est un lieu sacré. Rien de mauvais ne peut y entrer. Je suis confiant”, indique un autre croyant. Les fidèles qui se rendent à la mosquée de vendredi d’Acoua disent ne pas enfreindre la loi puisqu’ils auraient reçu d’autres instructions de la gendarmerie nationale. “Il y a quelques jours, deux gendarmes sont venus nous voir. Ils nous ont dit qu’on pouvait faire la prière à la mosquée si on se limitait à un groupe de 20 personnes, et si on mettait de la distance entre nous,” informe Youssouf. Des propos confirmés par le maire d’Acoua, Ahmed Darouechi, qui indique avoir reçu le même discours de la part de la gendarmerie.
“Il faut verbaliser les plus réfractaires afin de dissuader la population”
Les autorités compétentes savent que certaines mosquées ne respectent pas l’interdiction, mais elles semblent dépassées par la situation. “On a essayé de travailler avec la gendarmerie, mais elle me dit qu’ils ont les mains liées parce qu’il s’agit d’un sujet sensible”, allègue le maire d’Acoua. Ce dernier affirme avoir tout fait pour sensibiliser ses administrés, aujourd’hui il souhaiterait que des mesures exemplaires soient prises. “Il faut verbaliser les plus réfractaires afin de dissuader la population. Nous avons assez sensibilisé.” Un point de vue partagé par les collaborateurs du grand cadi. “Nous sommes face à une population qui n’est pas disciplinée, il faut le dire. Alors nous devons nous concerter afin de prendre des mesures plus sévères pour éviter la propagation du virus”, déclare Younoussa Abaine, membre du conseil cadial.
Dans un territoire où la quasi-totalité de la population est musulmane, les autorités constantes désemparées, qu’il est plus difficile de faire respecter l’interdiction d’ouverture des mosquées. Certains croyants avancent même la théorie du complot. “Des habitants m’ont dit que cette mesure a été prise uniquement pour les empêcher de pratiquer leur religion”, raconte Ahmed Darouechi. Mais la prière en groupe n’est pas obligatoire, et les prières surérogatoires peuvent être faites à domicile en comité restreint. “Initialement, l’objectif des prières en groupe est de faciliter la cohésion sociale, mais elles ne sont nullement obligatoires, encore moins lorsque des vies sont en danger”, rappelle Younoussa Abaine.
Désormais, une question se pose, comment les musulmans de Mayotte vivront la grande prière de l’aïd el-Fitr qui marque la fin du Ramadan ? Le maire d’Acoua semble avoir la réponse, malgré lui. “Je sais pertinemment que les gens iront faire la prière de l’aïd à la mosquée”, dit-il résigné.
Avec le Covid -19, le numéro vert et le 15 ont explosé. Mais ce n’est pas pour autant que le standard se tourne les pouces. Au contraire, le service est sur tous les fronts pour orienter les familles des patients et les professionnels de santé. En tant que premier interlocuteur du CHM, les agents administrateurs sont réglés comme du papier à musique.
“Bonjour, service hospitalier, je vous écoute !” En décrochant, c’est toujours le même refrain pour Fatima, agent administrateur au standard du CHM depuis 17 ans. À peine le combiné raccroché que la sonnerie retentit de nouveau. Quelques secondes précieuses, le temps de reprendre une bouffée d’oxygène avant de se remettre en selle. “Des fois c’est calme, des fois c’est chaud…”, marmonne-t-elle derrière son masque. Et avec la propagation exponentielle du virus sur le territoire, le rythme s’avère soutenu. De l’autre côté de la petite pièce se dresse son collègue Attiki, lui aussi réglé comme du papier à musique. “Le trafic a augmenté depuis le début de la crise du Covid-19, je dirais qu’il a triplé, voire quadruplé”, expose-t-il d’une voix réconfortante. “Nous ne comptabilisons pas nos appels, mais par rapport à une période plus calme, nous n’avons pas une minute de répit. Nous sommes obligés de mettre notre appareil hors service pour souffler, sinon ce n’est pas possible.” Lunettes reposées sur le nez, ses yeux vrillent entre ses deux écrans installés sur son bureau. Face à lui, un tableau Excel recense les numéros des différents services et contacts, “des milliers” à la louche selon lui. Pas possible de tous les apprendre par cœur. Mais des astuces, il en a à revendre. “Nous pouvons retrouver le nom des personnels soignants dans notre base de données”, confie-t-il malicieusement. En quelques clics, il déniche le raccourci pour transférer la personne au bout du fil. “Le travail a beaucoup évolué, ce n’était pas comme ça à mes débuts. Nous utilisions un simple appareil avec des batteries, qui surchauffait et saturait. Puis nous avons changé le système pour nous plonger dans l’informatique.”
“Un amoureux du standard”
En prenant son poste en 1997, Attiki ne sait pourtant pas trop à quoi s’attendre. Son regard sur “ce métier de femme” change d’ailleurs rapidement du tout au tout. “Après ma première formation, j’ai compris que je n’avais pas pris ce boulot de la bonne manière”, se désole-t-il, pour finalement se définir comme “un amoureux du standard”. Son empathie lui permet toujours de recueillir les bonnes informations pour rediriger au mieux ses interlocuteurs en fonction de leurs besoins. Un leitmotiv qu’il partage aussi bien avec les familles des patients que les médecins des hôpitaux périphériques, de métropole ou de La Réunion qui passent systématiquement par lui. “Notre service est indispensable au bon fonctionnement de l’hôpital, c’est une sacrée logistique et une véritable plateforme en matière de communication”, explique-t-il, avec toute l’humilité qui le caractérise.
Et lorsqu’un litige se présente, en raison d’une mauvaise orientation téléphonique par exemple, pas question de perdre son sang-froid. “Quand quelqu’un souhaite contacter un service, il ne tombe pas directement sur celui-ci, il est systématiquement renvoyé vers nous… C’est notre difficulté, mais il faut faire preuve de pédagogie. Nous devons nous forcer à être souples et à garder le sourire coûte que coûte.” Une mission qu’il prend avec cœur, au point de nouer des relations fortes avec certains allocutaires. “Ce service m’a ouvert les yeux sur le monde extérieur.” Sachant que les appels sur des numéros de standard sont bien souvent surchargés et peuvent parfois irriter, Attiki s’emploie à faire redescendre la température… Avec toujours un mot gentil ou une petite attention en guise de salut !
Dans la nuit de dimanche a lundi, du matériel informatique a été dérobé au sein du lycée Mamoudzou Nord. Le fait n’est pas isolé puisque l’Éducation nationale déplore également des vols au sein de l’établissement de Ouangani, mais également à l’intérieur du rectorat lui-même. Pour le recteur Gilles Halbout, la lecture de ces faits divers comme de l’insécurité grandissante est limpide : il faut que les jeunes retrouvent au plus vite un cadre, celui de l’école.
“Dès que nous aurons un semblant de feu vert, le préfet et moi ouvrirons les établissements.” Pour le recteur de Mayotte, la nécessité de faire retrouver le chemin de l’école aux jeunes de l’île est plus que jamais impérieuse. “Ça presse, il y avait une certaine frilosité au début au vu du contexte sanitaire, mais aujourd’hui on voit bien que ces jeunes désœuvrés ont besoin de retrouver un cadre en l’absence duquel on le voit, l’insécurité est grandissante”, estime ainsi Gilles Halbout en référence aux vols qu’a subi l’Éducation nationale sur le territoire. Ouangani, Mamoudzou Nord ou encore le rectorat ont ainsi vu plusieurs individus pénétrer en leur sein pour y dérober du matériel informatique.
Mais c’est bien le cas du lycée du chef-lieu qui a fait le plus de bruit. Notamment avec des messages sur les réseaux sociaux expliquant que le vol plongeait l’établissement dans une grande insécurité, financière cette fois. “C’est du n’importe quoi, des ragots de Facebook, on ne nous a pas piqué d’argent, mais du matériel informatique”, réagit le recteur. “À cette heure, il n’y a aucun établissement qui crie famine, ils auront de quoi renouveler cela”, assure le recteur, rappelant que “nous venons de faire 500.000 euros d’achats informatiques et une nouvelle commande du même montant a été passée. Nous avons un budget de plusieurs millions à ce titre, quelque part, on pourrait dire que l’argent n’est pas un problème dans ce cadre”.
Gestes barrières : “l’école a un rôle fondamental à jouer”
Pas un problème, non plus, pour permettre un retour à l’école dans les meilleures conditions soutient le responsable de l’académie. “Qu’il s’agisse de soutien demandé par les mairies ou de moyens demandés par les syndicats, c’est open-bar, nous avons obtenu tous les crédits nécessaires pour ce faire”, lance même Gilles Halbout. “Mais la ligne est claire, et l’on ne transigera pas là dessus : tout cela doit se faire pour s’assurer que l’on ne prenne aucun risque dans le retour à l’école”, martèle le recteur. Une reprise qui ne signifie pas pour autant un retour à la normale prévient-il toutefois. “Nous n’en aurons pas fini avec cette épidémie demain, il va falloir vivre avec les gestes barrières, la distanciation sociale, etc., mais ce sont autant de choses à apprendre et l’école a un rôle fondamental là dedans.”
A priori, les écoles élémentaires devraient commencer à ouvrir à nouveau leurs portails à partir du 18 mai et le secondaire devrait suivre au plus tôt une semaine après. “Les choses se feront au cas par cas, mais il n’y aura pas plus de 15 élèves par classe. Je préfère que les élèves viennent un jour sur trois dans de bonnes conditions que plus souvent dans de mauvaises conditions”, explique-t-il. Un calcul qui rentre aussi dans le raisonnement “binaire” de l’ancien professeur de mathématiques. “Soit on est confiné, soit on ne l’est pas. Mais à partir du moment où on ne l’est pas, il faut rouvrir les écoles, cela répond à une logique sociale encore plus évidente à Mayotte qu’ailleurs”, fait valoir Gilles Halbout.
Désœuvrement, errance, manque de cadre sont autant d’arguments présentés en ce sens auquel le recteur en ajoute un : “il est important que les élèves reprennent le contact avec leurs professeurs,
car il faut le dire, à Mayotte, dans la très grande majorité des cas, six mois sans école, cela veut dire six mois sans parler un mot de français.” Pas vraiment la barrière en vogue.
Jeudi dernier, quatre membres du gouvernement ont répondu aux questions de nos confrères de France O et Outre-mer la 1ère. L’objectif était d’éclaircir certains aspects du déconfinement dans les territoires ultramarins. Mayotte a de très nombreuses fois été évoquée tant la situation est préoccupante. La ministre des Outre-mer, qui était en tête de front, affirme qu’il existe trois zones avec des évolutions distinctes et notre île fait partie de celle qui inquiète le plus le gouvernement.
La date du déconfinement encore incertaine
Lorsque l’on demande à Annick Giradin si Mayotte devra rester confinée plus longtemps que les autres territoires français, la ministre ne répond pas vraiment à la question et nous laisse dans le doute. “Si pour le confinement on avait des spécificités, c’est exactement la même chose pour le déconfinement. Les préfets, avec les élus des territoires et les acteurs sociaux-professionnels feront les choix qui seront les mieux pour chaque territoire”, indique-t-elle. Mais depuis, la directrice de l’ARS Mayotte, Dominique Voynet, a annoncé que l’île restera en confinement au moins jusqu’au 18 mai. Un prolongement est même possible jusqu’au 25 mai.
Le système sanitaire en bonne santé
“Le système de santé n’est pas saturé, mais nous savons que la situation est très évolutive d’autant plus que nous avons un décalage de 15 jours entre la métropole et Mayotte”, selon Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des Solidarités et de la Santé. En effet, pour le moment les moyens sanitaires mis à disposition semblent être suffisants, mais il serait inconscient de prendre cela pour acquis. De fait, l’ARS a sollicité des renforts au niveau national pour apporter plus de lits en réanimation. “Nous travaillons également pour la mise en place d’un hôpital de campagne militaire pour venir renforcer le nombre de lits en réanimation”, précise la secrétaire d’État.
Les tests de dépistage en hausse
Actuellement, la capacité de dépistage à Mayotte est de 300 tests par jour. Le gouvernement doublera ce chiffre. “Nous nous adaptons en fonction de l’évolution de l’épidémie”, affirme Christelle Dubos.
La multiplication des aides
Un plan d’urgence d’aides alimentaires de 25 millions d’euros a été mis en place pour les associations. Pour l’Outre-mer, le gouvernement a attribué les PARS (prestations d’aides à la restauration scolaire, initialement versée aux établissements scolaires) aux familles dans le besoin. Enfin, “nous avons apporté une réponse spécifique de 4 millions d’euros dans le cadre du plan d’urgence au soutien alimentaire pour les territoires de Mayotte, Guyane et Saint-Martin”, complète Christelle Dubos. À Mayotte, cela se caractérise par des chèques d’urgence alimentaire. Ceux qui bénéficient du RSA, du RSO ou de l’allocation de solidarité spécifique “recevront 150 euros plus 100 euros par enfant à charge. Et les familles les plus modestes qui touchent l’aide au logement percevront 100 euros par enfant”. Cette aide sera versée en une seule fois le 15 mai et de façon automatique.
Le non-respect des mesures de confinement
Interpellée par le non-respect du confinement chez nous, la ministre des Outre-mer a essayé de relativiser la situation. “Il ne faut pas dire que le confinement ne fonctionne pas. Il y a des conditions locales qui peuvent expliquer que ce ne soit pas si facile que ça. Quand on vit dans un banga et qu’il fait 30 degrés, rester en permanence dans son logement c’est quelque chose de difficile.” Selon elle, le problème n’est pas d’ordre public puisque les forces de l’ordre sont “présentes sur les territoires et elles agissent de manière pédagogique sur ces questions de respect du confinement.”
Un retour à l’école nécessaire
Annick Girardin est catégorique en ce qui concerne la réouverture des établissements scolaires. “Je souhaite que les écoles soient rouvertes le plus vite possible tout en tenant compte des réalités de chaque territoire.” Les maires et les recteurs sont donc mis à contribution plus que jamais. Cependant, la continuité pédagogique tant souhaitée par le gouvernement n’est pas la principale motivation de la réouverture des écoles. Ce retour est nécessaire afin de lutter contre les inégalités. “La cantine scolaire est le seul repas de certains enfants dans certains territoires ultramarins”, évoque la ministre. Et Mayotte fait partie de ces territoires sans l’ombre d’un doute.
Mis en place d’un suivi psychologique pour les enfants
Si le confinement est difficile à assimiler pour les adultes, il l’est encore plus pour les enfants. C’est la raison pour laquelle le gouvernement réfléchit à l’organisation d’un soutien psychologique dans les écoles. Cela permettra surtout de détecter les enfants qui ont subi des violences pendant le confinement. Une réelle crainte pour Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance. “Au 119 nous avons comptabilisé 90 appels pour tout l’Outre-mer. Je n’arrive pas à me satisfaire à la stabilité de ce chiffre, ce n’est pas normal. On s’attend à ce qu’il y ait une hausse des violences à la sortie du confinement.” Le ministère de la Protection de l’enfance a alors lancé une campagne de communication pour que chacun ait le réflexe d’appeler le 119 dans le moindre doute.
C’est un déferlement de violence auquel ont fait face les forces de l’ordre durant la nuit de samedi à dimanche. Des centaines de jeunes rassemblés autour de quatre mourengué ont convergé, principalement à Tsoundzou pour mener une véritable “guerre” selon les mots de policiers.
“Ils veulent tuer un flic, c’est ça l’objectif et ils n’arrêteront pas de sitôt.” Bacar est abasourdi. Devant un Somaco dévasté, le policier municipal observe le ballet de tractopelles et autres souffleuses appelés pour redonner un semblant de propre à la route nationale qui traverse Tsoundzou 1. Rien à faire cependant ; le goudron encore fumant portera longtemps les stigmates de la veille. “C’était la guerre, vraiment, c’était un déferlement de violence inouïe”, se souvient un policier présent durant les quelques sept heures qu’ont duré les émeutes. Mais ce samedi soir, les forces de l’ordre savaient à quoi s’attendre. Enfin plus ou moins.
“On a eu une information dans la journée selon laquelle il y aurait quatre mourengué différents et simultanés dans la soirée sur Mamoudzou avec la possibilité que les différents groupes se retrouvent”, explique ce même policier. “Nous avons alors décidé de monter une opération dans la plus grande discrétion”, expose-t-il encore, considérant que le préfet, le général de gendarmerie et le directeur territorial de la police nationale “avaient la volonté de frapper fort, de garder le terrain et d’empêcher de rentrer dans une démarche instaurée de bocage de l’île”. Envoyer un message aussi, aux organisateurs de mourengué qui virent désormais quasi systématiquement à l’émeute.
Tenir le terrain, à tout prix
Samedi soir n’a donc, comme prévu, pas dérogé à la règle. Rond-point Baobab, Doujani, mais surtout Tsoundzou, marqué par le pillage acharné du Somaco, ont ainsi été le théâtre d’affrontements menés par des centaines de jeunes. Une présence massive d’émeutiers qui n’aura cependant pas fait reculer les quelques trois escadrons de gendarmes mobilisés pour l’opération, assistés par des policiers privés pour certains de leur jour de repos. “Nous avons fait face”, martèle l’un d’eux, non moins choqué par les évènements qui lui rappellent ceux auxquels il a pu assister sur l’île en 2011. “Nous avons répondu, mais ça n’a pas plus”, ajoute-t-il. Il faut dire que les forces de l’ordre, avec quelque 400 grenades tirées, ont eu la main lourde dans la riposte. Tenir le terrain, à tout prix, l’ordre était clair et le directeur de la police nationale sur le territoire en a fait les frais. Une pierre est venue le blesser à la jambe ce qui lui a valu un aller pour les urgences afin de se faire recoudre. Neuf gendarmes ont également été légèrement blessés. Dans le camp d’en face, le bilan médical n’est évidemment pas connu, mais une interpellation est à noter. “D’autres doivent suivre, les investigations sont en cours”, assure la police. Devant le magasin saccagé de Tsoundzou, ce dimanche, ils étaient peu à croire que le cycle de violence aurait pris fin avec le pic de la veille. “C’est comme un virus”, marmonnait ainsi Bacar derrière son masque.
La semaine dernière, deux hommes, pris sur le fait, avouaient avoir massacré une tortue en Petite-Terre pour revendre sa chair. Pourtant, ils ont tous les deux étés relâchés pour vice de procédure. Pendant ce temps-là, le nombre de tortues tuées ne cesse de grimper depuis le début du confinement.
Regrettable retournement de situation. Mercredi matin, deux hommes comparaissaient devant le tribunal de Mamoudzou pour braconnage d’espèce protégée. La veille, ils avaient été interpellés à leur descente de la barge, après que plusieurs agents du STM aient remarqué l’odeur de putréfaction qui se dégageait de leurs lourds sacs. En cause : la soixantaine de kilos de chair de tortue qu’ils transportaient avec eux, découverts plus tard par les policiers de l’office de la biodiversité. À raison de cinquante à soixante euros le kilo vendu dans les circuits clandestins, cette viande aurait pu leur rapporter plus de trois mille euros.
Immédiatement placés en garde à vue, les deux suspects reconnaissent avoir massacré, la veille, une tortue verte venue pondre sur la plage de Papani, en Petite-Terre. Dépecée sur place, la dépouille de l’animal a ensuite passé la nuit dans un sac dissimulé dans un champs, afin d’être récupéré le lendemain. Alors que les enquêteurs soupçonnent l’existence de deux complices, les braconniers assurent avoir agi seuls et sont appelés à comparaître quelques heures plus tard. Une bonne nouvelle pour les associations environnementales qui se sont constituées partie civile, alors que depuis le début du confinement, les audiences ont été limitées.
Les témoignages sont là, les preuves aussi, pourtant, les deux braconniers présumés seront relaxés pour vice de procédure. En cause, l’absence d’un avocat pendant leur garde à vue. Un “quiproquo” selon Camille Miansoni, procureur de la République, qui pointe du doigt la suspension des activités du barreau pendant la crise sanitaire. En effet, il y a encore une dizaine de jours, “les avocats avaient suspendu toute participation à l’activité judiciaire”, rappelle le magistrat. “Or, vendredi 24 avril, la bâtonnière nous a indiqué qu’à compter de cette semaine, le barreau envisageait de reprendre.” Problème : le tableau des permanences avait été diffusé la veille, avec la mention de la suspension des activités des avocats. En conséquence, l’enquêteur en charge n’a pas reçu l’information à temps, l’officier de police judiciaire n’a pas fait la démarche de contacter l’avocat une fois les deux individus placés en garde à vue.
“On ne s’est en aperçu qu’à la fin de la garde à vue, mais entre-temps, les deux intéressés avaient reconnu les faits”, retrace encore le procureur. “La question de la garde à vue a été soulevée lors de l’audience, elle a donc été annulée”, et avec elle, toutes les auditions faites précédemment. Les aveux ne valent plus rien, le tribunal ne peut plus les utiliser. Sur conseil de leurs avocats, les jugés gardent le silence tout au long de l’audience. Dès lors, plus rien ne peut leur être reproché. Le parquet décide de faire appel, pendant que l’avocat de la partie civile suggère de nouvelles poursuites pour recel. “Ce n’est pas sans complication juridique”, répond Camille Mianosni. “Il faudrait déduire le délai de la garde à vue déjà effectuée, et vu qu’elles sont limitées à deux fois 24 heures, ça serait un peu hasardeux. Mais nous sommes aussi désolés que les associations face à l’issue de cette affaire.”
“Un permis de braconner en toute impunité”
Au sortir du tribunal, les Naturalistes de Mayotte, l’organisation Oulanga Na Nyamba et Mayotte Nature Environnement dénoncent “un permis de braconner en toute impunité”, alors que chaque condamnation pour des faits similaires dissuade, au moins pendant quelques mois, les autres braconniers d’agir. D’autant plus que depuis le début du confinement et donc la désertion des plages, la recrudescence des massacres de tortues s’observe à l’échelle de tout le département. Uniquement sur Petite-Terre, 40 de ces animaux ont été braconnés en seulement cinq semaines, dont 28 à Moya. Une plage qui, habituellement, ne compte “que” trois ou quatre braconnages à l’année, a confirmé le Remat, réseau d’échouage mahorais de mammifères marins et de tortues marines, chargé de recenser les cadavres. Et si les dépouilles qui se dévoilent à ciel ouvert sont particulièrement nombreuses sur cette plage de Petite-Terre, c’est en partie dû au retrait des agents départementaux chargés des patrouilles depuis la crise sanitaire. Mais face aux récents chiffres, la collectivité territoriale les a redéployées sur certains sites de pontes depuis le 24 avril. Ils étaient d’ailleurs présents la nuit du braconnage, mais sur une autre plage. “Il y a une vraie difficulté à couvrir l’ensemble des sites”, reconnaît le monde associatif. Pour l’heure, seules Moya et Saziley font l’objet d’une surveillance institutionnelle, pendant que les associations environnementales sont tenues de suspendre leur activité