Le syndicat mixte devait se réunir hier matin pour décider d’une hausse des cotisations demandées aux intercommunalités de l’île. L’annonce a de quoi inquiéter, alors que la mauvaise gestion de ses finances est régulièrement pointée du doigt.
Le SIDEVAM vit-il ses dernières heures ? Le syndicat chargé de la collecte et du traitement des déchets a annoncé envisager une augmentation de 40 % des cotisations des communautés de communes. Mais le conseil syndical réuni ce mercredi matin a finalement décidé de reporter la séance pour “manque d’éléments”, indique Madi Saïd, vice-président en charge de la collecte. “Nous devons retravailler la question des cotisations et des charges que nous avons par rapport à certaines compétences qui nous incombent, et que nous devons réduire”, justifie Assani Saindou Bamcolo, le président du SIDEVAM.
Pour autant, le chiffre de 40 % est toujours sur la table. Une hausse spectaculaire qui risque de faire grincer des dents plus d’un élu, alors que le syndicat est régulièrement la cible des critiques pour la gestion hasardeuse de ses finances et la qualité décriée des services rendus. Déjà en 2018, la chambre régionale des comptes épinglait le SIDEVAM, et signalait sa fragilité financière qui, avec une “capacité d’autofinancement de 0,3 million d’euros en 2017 ne permettait pas à l’établissement de participer au financement de ses investissements”. En cause, une masse salariale importante, un temps de travail légal fluctuant, des cessions de véhicule de collecte réalisées dans des conditions contestables, et un non-respect des principes fondamentaux de commande publique, entre autres travers…
Des besoins d’investissements
Et visiblement, la situation ne s’est pas arrangée. “Nous avons de gros soucis avec les camions, sans parler des investissements que nous devons faire concernant l’aménagement de nos locaux”, justifie Assani Saindou Bamcolo. S’il reconnaît une gestion “délicate” des dépenses, celui qui est aussi maire de Koungou avance plusieurs facteurs qui ont contribué à mettre le syndicat en difficulté : la qualité des voiries qui réduit “la durée de vie d’un camion à trois ans à peu près à Mayotte” ; des retards dans les cotisations des intercommunalités ; la jeunesse du SIDEVAM, né en 2014 de la fusion des cinq structures intercommunales ; ou encore la difficulté du travail qui conduit à un absentéisme chronique des agents, dont beaucoup n’ont pourtant pas l’âge de partir à la retraite. Quant au calcul qui a mené à envisager une hausse des taux de près de la moitié, Bamcolo botte en touche et renvoie à son directeur général adjoint.
S’il n’a pas non plus de “chiffre en tête”, Ibrahim Ahmed-Combo avance quant à lui la nécessité de procéder à des investissements colossaux, pour “mettre aux normes” la structure et enfin “tourner la page” de plusieurs années d’une collecte “faite difficilement”. Pour aller de l’avant, il faut d’abord, selon lui, équiper Mayotte des huit déchetteries annoncées dans le Plan d’élimination des déchets ménagers et assimilés (PEDMA) dont aucune n’est encore opérationnelle. “Nous avons enfin contractualisé avec l’Établissement public foncier d’aménagement de Mayotte (EPFAM) pour régler le problème du foncier, et nous avons identifié trois terrains : un à Hamaha à côté de la décharge de Mamoudzou, un deuxième à côté du quai de transfert de Malamani, et un dernier à Bandrelé”, souligne le responsable. Dans sa liste aussi, la construction d’un garage pour la maintenance des camions. “Ceux en charge de la réparation et de l’entretien, ils travaillent sous le soleil et sous la pluie, aucun maire n’est venu constater la situation, il faut mettre cela aux normes !”, insiste-t-il.
La gestion financière pointée du doigt
Quant aux critiques sur la mauvaise gestion financière, Ahmed-Combo assure mettre les bouchées doubles pour remplir les différentes recommandations adressées en 2018 par la chambre régionale des comptes. Appels d’offres pour dégoter les prestataires les plus compétitifs pour la location des camions, les équipements de protection individuels, les pneumatiques, les pièces détachées… Le SIDEVAM a aussi recours à deux bureaux d’étude pour clarifier la collecte entre les différents acteurs et optimiser la gestion des ressources humaines et des finances. “Ma feuille de route est prête, tous les projets sont sur la table, et je veux qu’on me finance”, lâche le directeur général des services par intérim.
Bon courage, malgré tout, pour faire avaler la pilule aux élus ! Pour certains, ce sont tout de même plus d’un million d’euros qu’il faudrait sortir de leur poche, alors même qu’ils ont déjà voté leurs budgets… Et ce geste, les intercos ne vont sûrement pas le faire de gaieté de cœur. Surtout quand, dans les orientations budgétaires qui leur ont été transmises, les élus remarquent plutôt un déficit de plusieurs millions d’euros et une augmentation inexpliquée de 30 % de la masse salariale. Un contrôle “sévère” de la chambre régionale des comptes serait d’ailleurs en cours, et l’annonce subite d’une hausse de 40 % des cotisations ne risque pas vraiment de plaider en la faveur du SIDEVAM.
Situation épidémiologique, reprise des vols commerciaux, ou encore arrivée de la campagne du second tour des élections municipales et de la période des grands mariages : autant de points abordés hier par la directrice de l’ARS, Dominique Voynet. Revue.
Le nombre de cas positifs de Covid-19 annoncé pour la journée d’hier, de l’aveu même de Dominique Voynet, directrice de l’agence régionale de santé (ARS), rendait finalement peu compte de la situation. En cause : un nombre de tests réalisés la veille assez bas, 72, “le laboratoire privé étant à nouveau en rupture de tests”, a-t-elle expliqué. Une rupture qui n’est pas à imputer au laboratoire en lui-même, mais à la pénurie de matériels du fabricant américain. Une situation pour laquelle Dominique Voynet a déploré qu’il était “épuisant de se battre pour avoir seulement les moyens de la politique qui nous est demandée. Les instances sanitaires nationales sont alertées et nous ont promis leur aide”.
Quoi qu’il en soit, “nous avons toujours du monde hospitalisé : 38 personnes, dont 12 en réanimation.” Un 29ème décès était d’ailleurs constaté hier matin. Des décès qui concernent toujours “des personnes très âgées. Le dernier avait 85 ans, l’avant-dernier 95.” D’une manière générale, nous sommes donc “toujours dans une phase d’attente et d’observation, on ne peut pas se rassurer. Nous ne sommes pas mal placés, nous ne sommes pas inquiets [car nous avons] le soutien du service de santé des armées, (…) mais rien ne nous incite à relâcher notre vigilance.”
Surveillance sur d’éventuels clusters
L’attention de l’ARS se porte en particulier sur d’éventuels clusters, afin de les identifier au plus tôt et de les contenir. La semaine dernière, trois clusters étaient identifiés. Celui de la prison n’a pas eu à connaître de cas grave ou d’hospitalisation ; celui des pompiers de Longoni semble contenu avec toutefois encore “quelques cas actifs” ; et celui du centre de dialyse. Pour ce dernier, le mystère demeure : “le personnel et les locaux ne semblent pas en cause. Nous sommes en train de chercher dans quelles conditions ces personnes, qui sont fragiles, ont pu être contaminées.”
Second tour des municipales : l’interrogation
Dans son avis publié le 8 juin, le conseil scientifique appelle à porter une attention toute particulière au second tour des élections municipales à Mayotte et en Guyane (voir article ci-après). En ce sens se tenait mardi une réunion interministérielle réunissant le premier ministre et les ministres de la Santé, des Outre-mer, de l’Intérieur, et des Armées. Une réunion consacrée à la situation de ces deux territoires ultramarins, encore sujets à la circulation du virus. Y a été “confirmée une unanimité en faveur de la tenue” de ce deuxième tour. Selon toutes vraisemblances, les communes devraient être mobilisées “pour que les choses se passent bien”. Parmi les pistes : une campagne qui se tiendra essentiellement en extérieur et “des maires sensibilisés sur cette question. [Nous sommes] en contact régulier avec les DGS des communes et [nous veillons] à ce que les messages soient rappelés régulièrement en ce qui concerne l’organisation des élections elles-mêmes”.
Autre questionnement : celui du porte-à-porte, base même d’une campagne électorale municipale à Mayotte. “C’est une des occasions de contamination (…). Notre travail est de convaincre que le masque doit être porté, qu’on ne doit pas se serrer la main, et que si on peut avoir un flacon de gel hydroalcoolique dans sa poche, c’est bien”, a expliqué Dominique Voynet, tout en reconnaissant qu’un effort était encore à faire pour sensibiliser au-delà des maires en place. C’est notamment vrai pour les candidats en lice et qui, n’étant pas aux responsabilités, “sont peut-être moins sensibles” à la sensibilisation telle qu’elle est menée actuellement.
Grands mariages : ne pas se relâcher
Inquiétude – ou tout au moins vigilance – également sur la période des grands mariages approchant à grands pas. Des rassemblements de centaines de personnes faits de contacts légitimes, mais susceptibles de soutenir une nouvelle propagation du Covid. Face à ce risque, l’ARS se “prépare à édicter des mesures de vigilance”. Autre point religieux, celui des mosquées. L’organisme de santé travaille avec les autorités religieuses, un travail qualifié de “très utile” par Dominique Voynet. Elle a par ailleurs précisé que “les mosquées ont choisi de privilégier les ablutions à domicile et elles s’emploient au respect des gestes barrières à l’intérieur, avec notamment un marqueur matérialisant l’emplacement des tapis de prière”.
Reprise de l’aérien : le questionnement
C’est l’annonce que beaucoup attendent à Mayotte : la reprise des vols commerciaux de et vers Mayotte. Si une reprise a été annoncée pour les territoires ultramarins par Annick Girardin dans la deuxième partie du mois de juin, quid des solutions à adopter pour Mayotte ? “Sur les vols, on a toujours une difficulté puisqu’on est toujours en zone orange. Il est tout à fait possible d’imaginer reprendre des vols commerciaux qui amèneraient des personnes à Mayotte, mais dans l’autre sens, le risque est d’importer des cas de Covid-19 en métropole”, a-t-elle confié. Une solution a été envisagée pour y remédier : imposer un test à chaque voyageur au départ du 101ème département. Mais de l’aveu même de la directrice de l’ARS, “c’est impraticable pour nous. Faire 250 tests chaque jour sur des voyageurs et des équipages, c’est une charge très lourde pour nos laboratoires, qui auraient alors à choisir entre tester des cas contacts ou des clusters, ou bien tester des personnes qui vont voyager”. Une piste peu envisageable donc, mais “nous avons fait deux propositions : que les passagers soient testés [en arrivant] à Paris en s’engageant à porter le masque et à s’isoler jusqu’à communication des résultats ; et/ou respecter une quatorzaine en arrivant à Paris”. Sur ce dernier point, une expérimentation est actuellement en cours, mais à l’arrivée dans les territoires ultramarins. Pas de certitude pour l’heure donc, mais “des propositions seront faites au premier ministre avant la fin de la semaine pour arbitrage”.
Sur le blocage de l’hélicoptère sanitaire par des habitants de Mtsahara
Mardi, des habitants du village de Mtsahara ont entravé l’atterrissage de l’hélicoptère des secours, venu secourir une personne arrivée en kwassa-kwassa. Un comportement qui s’oppose à toute déontologie médicale, dénoncé par l’ARS sur lequel est revenue Dominique Voynet. “Les arrivées de kwassas sont très inférieures par rapport à avant le confinement. Très peu de ces kwassas transportent des personnes qui ont besoin de soins. Nous avons eu deux situations dans lesquelles les personnes transportées étaient porteuses du Covid-19 et toutes deux sont décédées avant même leur prise en charge : l’une sur la plage, et l’autre en mer.”
Alors que les avocats font leur retour dans les salles d’audience depuis ce lundi, la bâtonnière du barreau de Mayotte, Fatima Ousseni, revient sur l’impact qu’a eu la crise sanitaire sur l’activité des conseils. L’occasion aussi pour l’avocate de livrer son opinion sur la remise en cause du système judiciaire qui s’est faite jour ces dernières semaines. Et appeler à la hauteur comme à l’apaisement.
Flash Infos : Quel a été l’impact de la crise sanitaire sur l’activité des avocats et celle de la justice en général ?
Fatima Ousseni : Comme tous les autres secteurs du pays, nous avons été fortement impactés puisque la crise sanitaire et le confinement associé ont interrompu immédiatement l’activité de nos cabinets avec un effet de sidération assez important. Nous n’avons pas pu, pendant toute la durée du confinement, recevoir de clients par exemple. Je rappelle à ce titre que si les choses évoluent ces derniers jours, le confinement n’est toutefois pas officiellement levé. Au début de la crise, nous avons reçu les plans de continuité d’activité élaborés par le ministère de la Justice et adaptés à chaque territoire. Mais à Mayotte, nous nous sommes retrouvés dans une situation qui nous a laissés tout à fait perplexes. Il nous a été demandé de venir aux audiences, pour lesquelles quelques masques étaient fournis à destination des personnels du ministère – et encore – alors que de notre côté, rien n’était mis à notre disposition. Le tout dans un contexte de pénurie nationale de masques. Face à cela, en accord avec le Conseil de l’Ordre des Avocats, nous avons adopté un mouvement de protection pour dire qu’il n’était pas envisageable que les avocats se présentent aux audiences pour y assurer le service public de la défense sans un respect strict de protocole sanitaire. Et puisque celui-ci ne parvenait pas à se mettre en place, notamment du fait de l’absence de mise à disposition de masques, mais pas uniquement, nous avons décidé de suspendre toute participation des avocats à la justice. On ne se sentait pas du tout en sécurité. De mon côté, mes prérogatives de bâtonnière m’ont également imposé d’opérer des choix. Je ne me voyais absolument pas désigner ou commettre des avocats dans le cadre de permanences pénales sans être certaine que je n’envoyais pas ces personnes à la mort. Parce que c’était bien cela dont il était question au début de la crise. Ne connaissant pas l’état de santé de mes confrères, de nombreux risques étaient présents puisque rien n’était mis à notre disposition pour les protéger. Notre activité a alors cessé, ce qui a eu un effet catastrophique pour notre profession d’un point de vue économique, mais ce qui a également soulevé des problématiques juridiques. Sur certaines procédures, il était en effet compliqué de laisser le parquet seul à la manœuvre – puisque son activité n’a pas cessé – sans que nous puissions assurer de défense. À titre personnel j’ai par exemple eu à déplorer le maintien d’une audience en mon absence. J’ai d’ailleurs déposé un pourvoi en cassation contre la décision qui en a résulté puisque à mon sens, fortement attentatoire aux droits de la défense. Et ce, alors même que toutes les juridictions étaient prévenues que nous ne pouvions pas accéder alors aux sites du Palais de Justice, en sécurité. A quelques reprises, on ne s’est pas inquiété de l’absence d’avocats pour rendre une décision, c’est une réalité. Cela reste, heureusement des cas marginaux car bon nombre d’audiences ont été reportées. De manière générale, il n’y a pas eu de mauvaise volonté mais les moyens très limités nous ont imposé de faire des choix pour nous protéger. Cela restait difficile même si certains avocats sont même intervenus avant la levée officielle de la suspension par nos soins. Par exemple cela ne fait que deux ou trois jours date de la reprise progressive que nous avons accès au protocole sanitaire strict est mis en œuvre à la Chambre d’Appel. Lorsque les choses ont un peu évolué et dès que nous avons pu, nous sommes revenus assurer notre mission.; Il n’était pas envisageable de laisser le parquet requérir sans que la défense n’ait la parole. Le débat est essentiel dans la justice.
F. I : Cette période a donc créé un véritable frein dans l’accès au droit pour les justiciables…
F. O : Bien sûr, mais ce n’est pas tellement lié au fait que les avocats étaient présents ou pas. Cette perte d’accès résulte de la crise sanitaire en elle-même, le tribunal n’était pas ouvert, tout
était fermé. Donc évidement dans ce domaine là comme ailleurs il y a eu un temps d’arrêt. Pour le justiciable lambda qui aurait voulu contester une facture quelconque par exemple, il était impossible d’être entendu. C’est déplorable mais c’est à l’image de la crise que nous avons traversée. En revanche, sur le volet pénal, les problématiques étaient plus inquiétantes. Quid d’une personne en détention et qui doit avoir un débat sur sa remise en liberté par exemple ? Cela pose aussi problème pour les personnes déférées en comparution immédiate qui n’ont pas eu droit à une défense optimale. Oui, il y a eu une véritable dégradation de l’activité judiciaire pendant cette période. Mais cela doit nous amener à avoir une réflexion plus large en tirant les conséquences d’un tel événement. Nous devons désormais être conscients que du jour au lendemain, tout peut être perturbé. Aujourd’hui c’était le coronavirus, demain ça peut être autre chose. Ne serait-il donc pas intéressant de mettre en place des soupapes de sécurité dans des domaines aussi importants que celui de la Justice ? Mais pour l’heur, nous n’en sommes pas encore là. Le tribunal reprend seulement depuis lundi son activité alors que nous sommes toujours officiellement en confinement. Ce qui donne d’ailleurs à voir des audiences un peu chaotiques avec des avocats et des magistrats qui ne portent pas toujours les masques, où la distanciation sociale n’est pas toujours respectée etc. Dans ce cadre il faudrait d’abord que nous nous mettions d’accord sur un véritable protocole sanitaire qui nous permette à tous d’exercer en sécurité alors que sur le territoire, l’épidémie n’est pas encore derrière nous.
F. I : Au-delà de cette crise sanitaire, les derniers mois ont donné lieu à une remise en cause de la justice qui s’est à de nombreuses reprises focalisée sur la personne du procureur de la République. Qu’est-ce que le barreau de Mayotte que vous représentez peut dire à ce sujet ?
F. O : Nous sommes tous des avocats. Pas un seul d’entre nous ne peut se lever et dire qu’il est normal qu’un procureur soit invectivé de la sorte et mis en cause de cette manière. C’est proprement inadmissible et nous condamnons évidement tous les propos qui ont pu se tenir en ce sens. De mon côté je n’ai même pas voulu voir le détail de ce qui a pu se dire tellement tout cela a pu me scandaliser et m’indigner. D’autant que la critique de laxisme peut être adressée à tout le monde sauf au procureur. Pour nous avocats, c’est lui notre contradicteur privilégié : c’est parce que le procureur poursuit que nous avons toute cette activité pénale de défense. Qui nous fournit tout ce travail à travers des déferrements massifs ? C’est bien le procureur ! Et au pénal, le tribunal de Mayotte tourne à plein régime. La preuve, même pendant le confinement le procureur a demandé à tenir ses audiences.
Après, il faut bien rappeler que la loi existe, que l’on ne peut pas mettre tout le monde en prison. Il y a des conditions pour cela et ce n’est pas le procureur qui en est maître. Mais pour avoir exercé à Paris et à Mayotte, je peux vous dire qu’ici, nous sommes autrement plus excessivement poursuivis et condamnés qu’à Paris. Nous sommes à l’évidence plus sévèrement réprimés ici. Ce n’est pas le propre fait de ce procureur puisque c’était déjà le cas lorsque ses prédécesseurs étaient présents mais c’est une réalité. Concernant le procureur Miansoni, il est sur le front, notamment du tout venant de la délinquance et je peux vous dire que nous avons parfois du mal à suivre ! Moi qui suis la bâtonnière, je peux vous dire que personne ne veut faire plus que sa part minimale pour les commissions d’office. Tout simplement parce qu’il y a déjà beaucoup trop de dossiers à traiter. Et ces procédures, ce sont les services du parquet qui les présentent. Lequel n’est pas composé que du procureur de la République par ailleurs. Il est d’autres magistrats qui agissent et décident également.
Quant aux attaques, cette stigmatisation contre l’homme, elles sont tout simplement inadmissibles. Car au-delà de la critique du laxisme, c’est bien aux origines congolaises du procureur que l’on s’en est manifestement pris. Et ce alors même que nous sommes sur un territoire où la population a exactement les mêmes origines bantoues. Heureusement que le procureur a lu Frantz Fanon et qu’il comprend quels mécanismes poussent certaines personnes à s’exprimer de cette façon. Je pense que c’est en partie cela qui l’a aidé à rester serein, droit. C’est ça qui lui a permis de comprendre les mécanismes psychologiques qui s’articulaient dans ces attaques. Il sait ce qui est en jeu et ce n’est pas nécessairement ou seulement du racisme.
F. I : Comment expliquez-vous alors que de nombreuses voix se lèvent contre un supposé laxisme, allant jusqu’à prôner une justice populaire ?
F. O : Les gens qui se plaignent aujourd’hui d’un supposé laxisme n’ont pas conscience de ce qui se passe dans les prétoires. On ne cesse de demander aux gens de venir aux audiences pour voir
d’eux-mêmes, tant le nombre d’affaires traitées, que la sévérité avec laquelle elles le sont. Ce n’est seulement là que les personnes comprendront toute l’étendue du travail effectué. Je ne suis pas allée lire ces appels à une justice primitive, car je trouve le procédé qui consiste à publier des messages manifestement incendiaires, caché derrière son écran et un pseudonyme, peu courageux. En plus d’être bien loin des réalités.
D’un autre côté, je ne peux pas dire que je ne comprends pas la colère, voire le désespoir. Moi-même j’ai été victime, mon entourage l’a été encore tout récemment. Oui, l’insécurité existe, il y a de la violence sur ce territoire. Je ne le nie pas. Il ne faut pas une lecture manichéenne de ces expressions. En revanche, je suis intimement convaincue que dans une société qui est évoluée, on ne répond pas à la violence de malfrats, par une violence de malfrats. Justement, ceux qui n’ont pas su faire preuve de respect, on va leur rendre du respect. C’est comme cela que l’on montre comment vivre ensemble, comment on peut faire société. La réponse c’est d’abord d’examiner les faits, essayer de comprendre ce qui s’est passé. C’est le rôle de l’enquête. Leur donner la parole, puis juger et en fonction de tous ces éléments décider de sanctionner ou non, constitue le dispositif qui a pour vocation de permettre à celui qui est puni de réintégrer par la suite le giron social. Le but, ce n’est pas d’écarter et de mettre des personnes en marge toute leur vie. L’objectif c’est de faire en sorte que tous ceux qui se sont trouvés à l’écart du pacte social puissent y revenir. C’est cela la justice que je défends.
Je ne dis pas que c’est parfait, rien ne l’est. Mais d’immenses efforts sont faits. Et l’autre réalité, à Mayotte, c’est que nous sommes dans un microcosme. Toutes les choses subissent l’effet d’un miroir grossissant puisque nous vivons nombreux sur un tout petit territoire. Tout prend rapidement une ampleur considérable. Relativisons, ayons un rapport plus apaisé aux différents événements et nous verrons que pendant ce temps, le travail des acteurs de terrain se poursuit dans la quête de l’intérêt général.
Dans son dernier avis, le conseil scientifique estime que le 101ème département présente des risques “particulièrement élevés associés à la campagne électorale”. Mais alors qu’en théorie, le second tour des élections municipales devrait se dérouler le 28 juin, les candidats sont toujours sur le pied de guerre, pendant que les mairies, elles, s’apprêtent à prendre des dispositions exceptionnelles.
Le sort des élections municipales est, plus que jamais, incertain. Vendredi dernier, l’Assemblée nationale adoptait le projet de loi permettant, notamment, d’annuler la tenue du second tour le 28 juin dans certains territoires où l’épidémie de Covid-19 serait toujours active. Un article modifié ce mercredi par la commission des lois du Sénat, préconise un report du vote dans les clusters actifs uniquement, dans un nombre de communes très limité, sous réserve qu’un décret spécifique soit pris par le conseil des ministres et que de nouvelles élections puissent se tenir avec le 31 octobre prochain.
Mais alors que le texte n’est pas encore entériné, le conseil scientifique pointe du doigt, à travers la publication de sa dernière analyse dévoilée lundi, “l’importance des risques particulièrement élevés associés à la campagne électorale”. “Même si elle est limitée par de strictes mesures sanitaires, et qu’elle bénéficie d’un sens élevé des responsabilités des candidats et de leurs équipes, une campagne électorale est de nature à multiplier les contacts sociaux, voire physiques (démarchage, réunions, marchés, attroupements…).” Des pratiques d’autant plus risquées dans le cas de Mayotte, où les cas sont encore en “forte augmentation”, avec un taux de positivité de 30 % malgré la baisse du nombre de prélèvements. Deux inquiétudes particulières subsistent : “l’ostracisassions des cas”, qui entraîne un frein à l’investigation, et “les rassemblements de population observés à l’occasion de la célébration de la fin du ramadan”. Concernant cette dernière, le conseil scientifique juge d’ailleurs “indispensable de surveiller l’évolution de la situation dans les jours à venir”.
Et si les méthodes de proximité employées pour le rabattage électoral sont au cœur des préoccupations, les candidats au trône de maire n’ont pas prévu de marquer le pas. Dans le chef-lieu, la liste Réussir Ensemble, portée par Ambdilvahedou Soumail, rejoint par M’colo Mainty et Hamidani Magoma, vient même de lancer le départ de sa caravane de campagne, qui sillonnera Mamoudzou, de Kawéni à Tsoundzou en passant par Vahibé jusqu’à la mi-juin. Une sorte de meeting itinérant, le rassemblement physique en moins. “L’idée c’est de ne pas s’arrêter, mais plutôt de circuler dans les villages avec micro, sono et message pré-enregistré sans aller directement au contact de la population, il n’y a pas de rencontres puisqu’ils pourront nous entendre depuis chez eux”, détaille la communication du mouvement. “C’est déjà une forme de geste barrière en soi”. À condition toutefois que l’agitation n’incite pas les gens à sortir, à l’heure où les nombreuses places publiques ont été réinvesties comme si le Coronavirus n’y était jamais passé.
Du côté adverse, Elyassir Manroufou, candidat de la liste Mamoudzou C’est Nous, aurait préféré “que les élections ne se fassent pas maintenant”. Mais pas question d’abandonner à quelques semaines du second tour. Alors, pour “montrer [sa] présence sur le territoire”, l’équipe de campagne, masque au nez et gel hydroalcoolique en main – mains qui ne sont d’ailleurs plus serrées –, a décidé de poursuivre ses opérations de porte-à-porte, en prenant soin de rester à l’extérieur des habitations. Et pour maintenir la proximité avec de potentiels électeurs, Mamoudzou C’est Nous investit par ailleurs les réseaux sociaux. “Mais tout le monde n’a pas accès au numérique”, reconnaît Elyassir Manroufou. Ainsi, une marche d’1,5 kilomètre est prochainement envisagée pour rallier Mamoudzou à Passamaïnty, le tout par groupe de dix personnes maximum. “Nous attendons le prochain avis du conseil scientifique, le 14 juin, pour décider des prochaines opérations”, explique encore le mouvement.
Quid du scrutin ?
Si la date du 14 juin sera effectivement décisive concernant la tenue du scrutin selon les territoires, le conseil scientifique indique qu’à Mayotte et en Guyane, où les risques sanitaires sont particulièrement élevés, “il appartient aux autorités publiques de choisir les dispositions qu’elles décident de mettre en œuvre”. À ce stade, la préfecture s’est prononcée en faveur du maintien du second tour au 28 juin, et mobilise déjà les communes, avec l’aide de l’ARS, pour que les gestes barrières soient strictement observés lors du passage à l’urne. Plusieurs réunions sont ainsi prévues avec les maires dès la fin de semaine pour envisager les aménagements spécifiques à déployer dans chaque bureau de vote.
Dans un premier avis, émis cette fois le 18 mai, le conseil scientifique dressait une série de recommandations à observer en sus des gestes barrières déjà de mise pour minimiser les risques de propagation du virus le 28 juin. Parmi elles, la mise en place d’une file réservée aux personnes à risques du fait de leur âge ou de leur état de santé – il est par ailleurs déconseillé qu’elles soient membres de bureau de vote – ; l’aération régulière des locaux et l’interdiction de manipuler les rideaux des isoloirs, bien qu’aucune marche à suivre ne soit indiquée ; l’installation d’une paroi en plexiglas ou équivalent ; le port du masque pour tous (chirurgicaux et visières de protection pour les membres du bureau et les organisateurs, grand public à minima pour les électeurs) ; la mise à disposition de solution hydroalcoolique ; le nettoyage régulier des machines à voter et l’utilisation d’un stylo strictement personnel. Aussi, “les personnes présentant des symptômes sont supposées être en situation d’isolement au domicile ou dans un lieu adapté”, rappelle le conseil scientifique.
Autant de contraintes auxquelles se prépare déjà, comme beaucoup d’autres, le maire de Bandrélé, l’un des premiers clusters identifiés localement depuis le début de la crise sanitaire. “Nous avons prévu la présence de la police municipale et des associations de prévention”, assure Ali Moussa Moussa Ben. Déjà lors du premier tour, l’édile avait pris ses dispositions : marquage au sol, distribution de gel hydroalcoolique, port du masque pour les membres du bureau… Pour ne pas faire attendre les gens massés dans les locaux, un isoloir supplémentaire avait également été installé. “On avait même anticipé !”, revendique le premier élu de la commune. “Depuis plusieurs années, nous avons scindé nos bureaux de manière à limiter le nombre de personnes. On constatait que parfois, 600 électeurs étaient réunis au même moment et les gens attendaient trop.” Mais, s’il est maintenu, le second tour des élections municipales connaîtra-t-il une telle affluence, alors que beaucoup d’électeurs risqueraient de s’abstenir par peur de s’exposer au virus ? Rien n’est moins sûr.
C’est un bout du patrimoine maritime de Mayotte qui est mis aux enchères. Les barges Salama Djéma I et II ainsi que le S 201 pourraient en effet être vendues le 15 juin prochain, date de la fin des enchères, si toutefois les ventes ont fonctionné. On le souhaite en tout cas, compte tenu des nombreuses possibilités qu’elles offrent. Et si elles servaient à toute autre chose, mais au service du territoire ?
Certains l’ont imaginé plusieurs fois : une ancienne barge réaménagée en bar-restaurant amarrée à quai ou capable de se déplacer en divers points de l’île. Le salon passager inférieur pourrait accueillir un bar et un espace d’exposition et de concert. Le salon supérieur servirait pour sa part de salle de restauration. Quant à la plate-forme mobile, équipée de garde-corps, elle permettrait d’agrandir l’espace, offrant une vue sur le lagon. Charmeur, non ? Et ce n’est là qu’une idée parmi d’autres. Cela sera-t-il possible un jour ? Difficile à dire à l’heure actuelle, mais le conseil départemental de Mayotte a mis en vente aux enchères les Salama Djéma I et II ainsi que le S 201 sur une délibération datant de décembre dernier. Si l’épidémie de Covid-19 les a fait passer inaperçu, lesdites enchères sont toujours en cours… jusqu’au 15 juin à midi. Autant dire que ceux qui sont intéressés doivent rapidement étudier leur projet, ficeler leur dossier, et faire leur proposition.
Construit en 1987, le Salama Djéma I embarque, à l’époque, 319 passagers et 6 véhicules légers. Le navire possède des propulseurs ainsi que des circuits électriques et électroniques neufs. Seule ombre au tableau : des circuits d’incendie et d’assèchement à revoir complètement. Son prix estimé en l’état est de 300.000 euros, sachant que le chantier naval de l’océan Indien prévoyait un devis de 350.000 euros pour finir les travaux, avec un passage en cale sèche de deux semaines.
Son petit frère, le Samala Djéma II, voit lui le jour en 1992 et peut accueillir autant de monde que son aîné. Il exige le remplacement de la ligne d’arbre bâbord, un traitement anticorrosion général et un carénage, mais il ne nécessite pas de permis pour naviguer. Si le navire a besoin d’un bon entretien en profondeur, il est considéré comme simple et efficace, il accuse un taux de panne extrêmement bas et il possède l’avantage de ne pas consommer à outrance. Sa mise à prix est de 250.000 euros. Prendre en considération un passage obligatoire d’un mois au bassin pour réaliser les travaux, pour la modique somme de 150.000 euros, main d’œuvre et fournitures comprises.
Dernier lot : le S 201, dont la construction remonte à 1989. Capable de porter un maximum de 200 tonnes sur le pont, il ne transporte, à l’inverse des deux autres, que 16 personnes. Si le service de transport maritime (STM) considère son état général comme bon, le bateau présente une liste de travaux longue comme le bras, dont le coût oscille aux alentours de 300.000 euros, avec un délai de quatre semaines en cale sèche. Un montant auquel il faut au minimum ajouter 200.000 euros pour se l’accaparer, avec en bonus deux propulseurs hydrauliques neufs en échange de 50.000 euros…
Mais alors pourquoi le Département souhaite-t-il se débarrasser de ces monuments marins ? Tout simplement parce que la collectivité a réussi à moderniser sa flotte, avec les arrivées de Polé et de Karihani. “Ils ne correspondent plus aux types d’exploitation par rapport aux amphidromes actuels. Par exemple, les anciens navires n’avaient qu’une seule porte”, nous précise-t-on. Si vous êtes toujours tenté par cette aventure flottante, il ne vous reste plus que quelques jours pour déposer une offre à la hauteur des attentes du conseil départemental, qui “se réserve le droit de refuser la vente si le montant proposé est trop éloigné de la valeur réelle”. Alors, dépêchez-vous, car selon nos informations, plusieurs clients potentiels se sont déjà présentés pour montrer leur intérêt !
Les habitants de Mramadoudou dans la commune de Chirongui ont érigé un barrage sur la route départementale ce mardi 9 juin afin de faire entendre leur voix. Ils réclament des ralentisseurs suite à un énième accident impliquant un automobiliste et une petite fille. Cette action a porté ses fruits puisque des travaux sont prévus dans les prochains jours.
Ils ont été très matinaux. Les habitants de Mramadoudou n’ont quasiment pas dormi de la nuit. Dès 4h du matin, des poubelles et des grosses pierres jonchaient à l’entrée et à la sortie de la route départementale qui traverse le village. Les hommes et femmes très en colère réclament des ralentisseurs suite à un accident de la route le week-end dernier blessant une fillette âgée d’environ 6 ans. Cet accident est celui de trop pour les villageois qui estiment que la route en question favorise les comportements irresponsables des automobilistes. “Les gens font comme si c’était une autoroute. Ils roulent à 100 km/h en agglomération”, dénonce un manifestant. Une autre qui habite à quelques pas de là le confirme. “Ils roulent tellement vite que je le ressens de chez moi.” Ce barrage est la tentative de la dernière chance puisque leur revendication ne date pas d’aujourd’hui. Il y a déjà deux ans, les habitants ont fait part de leur demande au maire de Chirongui qui avait contacté le conseil départemental, mais aucune action concrète n’a été réalisée. “Nous avions déjà fait la demande, la route devait être aménagée depuis 2019, mais force est de constater que ce n’est toujours pas le cas”, déplore Adinani Mahamouda, porte-parole des habitants de Mramadoudou. Propos confirmés par le maire de Chirongui qui indique que depuis qu’elle est à la tête de la mairie, c’est la troisième fois que les habitants réclament des ralentisseurs.
Contrairement à ce que tout le monde prévoyait, aucun débordement n’a été constaté pendant les quelques heures où les habitants ont bloqué la route. Les leaders ont mis un point d’honneur à donner le bon exemple. “On ne veut pas faire comme à Kahani et mettre le feu. On fait les choses calmement, car nous ne sommes pas violents”, déclare l’un d’eux. En effet, les policiers municipaux et les gendarmes postés à quelques mètres de là n’ont pas eu à intervenir. Les véhicules prioritaires à l’exemple des ambulances, ou ceux des professionnels de santé ont été autorisés à passer sans problème. “Ce mouvement a été bien géré. Il n’y a pas eu de débordement, ça a été une action très pacifique et responsable. Je ne peux que saluer le comportement de ces grévistes qui sont un modèle”, félicite Roukia Lahadji, maire de Chirongui.
Un compromis qui ne peut échouer
Si certains doutaient de l’efficacité du blocage de route pour se faire entendre, les habitants de Mramadoudou ont su tirer leur épingle du jeu. Des négociations ont été entreprises très rapidement entre la délégation des manifestants, deux représentants du conseil départemental, le maire de Chirongui et la DEAL. Dès le début, les habitants ont été catégoriques. Ils ont imposé la date du 15 juin pour débuter les travaux d’installation les ralentisseurs. Cependant, cette date n’a pas fait l’unanimité. “Nous avons proposé de débuter les travaux le 22 juin pour une livraison le 29 juin, mais ils ont refusé. Nous avons donc dû négocier avec Colas”, explique Insya Daoudou, conseillère départementale du canton de Sada et Chirongui. Le calendrier de l’entreprise ne permettait pas d’honorer la date exigée par les manifestants. Mais face au refus catégorique de ces derniers d’obtempérer, et l’implication du maire qui a insisté, la société Colas a chamboulé son agenda pour débuter les travaux le 15 juin. Il ne faut cependant pas crier victoire trop vite, car rien n’est gagné d’avance. “C’est une date provisoire. . Il faut d’abord faire le devis et évaluer l’endroit. Nous devons ensuite demander formellement à la DEAL qui est notre interlocuteur avec Colas de mandater l’entreprise pour le chantier. C’est pour cela qu’on proposait le 22 juin afin d’avoir le temps de faire toutes les démarches, mais Colas nous dit que ça sera possible”, tempère la représentante du conseil départemental. Les habitants ont levé le barrage aussitôt que les négociations ont pris fin en milieu de matinée. Ils restent cependant sur leur garde et menacent de réitérer leur action si les travaux ne débutent pas le 15 juin comme prévu.
Les habitants ont également négocié les transports scolaires pour les lycéens et collégiens de Mramadoudou qui doivent traverser la route nationale et départementale à pied pour aller dans les établissements qui se trouvent à Tsimkoura. Une réunion est prévue le 17 juin afin de solutionner cette autre revendication.
Sécuriser les routes départementales : le nouveau projet du conseil départemental
Une étude a été lancée par le conseil départemental il y a deux mois. L’objectif est de sécuriser toutes les routes départementales qui traversent les agglomérations en installant des ralentisseurs, des panneaux de signalisation, ou en faisant des trottoirs. Au total, neuf agglomérations seront concernées. La date de livraison de l’étude est prévue dans deux mois selon la conseillère départementale du canton de Sada et Chirongui, mais “pour la faisabilité on n’y est pas encore. Je pense qu’on en a pour un à deux ans”.
Si la plupart des entreprises de construction ont repris leurs activités à Mayotte, elles doivent faire face à plusieurs difficultés qui freinent la relance. Particulièrement dans leur viseur, les factures non payées par les collectivités.
Entre les klaxons et le grondement sourd des moteurs, le bruit des perceuses et les cris des ouvriers ont eux aussi réinvesti l’environnement sonore de Mayotte. Signe positif pour la relance économique tant attendue, petits et grands chantiers de l’île, interrompus pendant un temps au début du confinement, ont en effet repris du service. Mais c’est une relance “timide”, depuis deux ou trois semaines, à en croire différents acteurs du secteur. “100 % de nos adhérents ont repris leur activité, mais on est aujourd’hui entre 50 et 70 % de productivité. La fin de l’activité partielle pour la majorité des entreprises devrait se faire d’ici fin juin”, analyse Julian Champiat, le président de la fédération mahoraise du bâtiment et des travaux publics (FMBTP).
Le chômage partiel toujours de mise
En effet, ils sont encore quelques-uns à avoir recours au dispositif de chômage partiel, alors même que les chantiers ont redémarré et que l’État ne prend plus en charge que 85 % de l’indemnité versée aux salariés. “Sur les dix salariés, 50 % sont encore en activité partielle, et cela impacte beaucoup notre activité”, témoigne Soibahadine Dahalani, gérant de SAS BET 976, un bureau d’études basé à Combani. En cause : la mise en place de nouveaux process, qui ont conduit à réorganiser les bureaux pour assurer le respect des gestes barrières. Mais ce n’est pas là la seule raison. “Nous partons du principe que nous allons continuer à demander le chômage partiel, car les collectivités accusent des retards dans le paiement de leurs factures”, explique le responsable d’une société de travaux publics, qui préfère garder l’anonymat. Or le paiement de ces créances constitue “la meilleure solution pour pouvoir relancer l’économie et la dynamique de l’île”, insiste cette même source, qui attend des versements depuis parfois six mois chez certaines collectivités. Pire, pour Soibahadine Dahalani, des factures restent impayées depuis l’année dernière !
Diminution de l’octroi de mer et télétravail
Contactées, certaines mairies confirment rencontrer des difficultés, mais assurent tout faire pour rester dans les clous. “Nous avons pu récupérer un certain nombre de subventions, et nous avons déjà réglé 1,5 million d’euros pendant cette période de la crise”, assure par exemple Assadillah Abdourahamani, le directeur général de services à la mairie de M’Tsamboro. Du côté de Koungou, on avance plusieurs raisons pour expliquer les difficultés rencontrées. “La diminution de l’octroi de mer a fortement impacté les trésoreries des collectivités”, avance Alain Manteau, directeur général des services techniques et directeur général des services par intérim à la mairie. Sans parler du coût de la reprise des chantiers, qui nécessitent des adaptations pour respecter les règles sanitaires. “Cela nous pousse à accepter des avenants assez lourds, de 8 à 10 % par chantier pour des masques, la mobilisation de véhicules supplémentaires, l’installation de barrières par exemple”, poursuit le directeur. En tout, ce sont dix à quinze petits chantiers d’entretien ou de rénovation, et au moins six gros chantiers de bâtiment qu’il faut relancer à Koungou en prenant en compte ces nouveaux et onéreux dispositifs. “De notre côté, nous avons réussi à ne pas tomber dans le rouge, mais c’est vrai que tout cela rend la tâche difficile”, développe le responsable. Outre l’aspect financier, la fermeture de la plupart des services pendant le confinement et la généralisation du télétravail ont aussi pu favoriser des retards dans le traitement des factures. “Mais là, nous avons repris à 100 % et je fais tout pour accélérer les démarches et payer les entreprises au plus vite”, insiste-t-il.
Des retards qui coûtent chers
En attendant, pour les entreprises du BTP, elles-mêmes frappées par les coûts liés à la crise sanitaire, ces retards de paiement constituent un frein supplémentaire à la reprise de leur activité. “Cela nous met nous-mêmes en retard, car nous avons des difficultés à payer les fournisseurs, donc parfois nous sommes reçus sur un chantier, mais nous n’avons pas les matières premières”, déroule l’une de ces entreprises. Des difficultés d’approvisionnement, qui s’expliquent aussi par la fermeture de l’aéroport, toujours effective à ce jour. Or les retards risquent de leur coûter cher, en pénalités ou en charges supplémentaires. “Actuellement, on perd 15 à 20 % de notre productivité, particulièrement pour les écoles où les entreprises interviennent une à une sur le chantier, donc ça rallonge considérablement les durées de travaux. Sur une journée de huit heures, on en passe une à la préparation pour les gestes barrières, l’hygiène, le nettoyage, etc. C’est du temps que les ouvriers ne passent pas à produire”, développe Soibahadine Dahalani. Sur la rénovation de l’école élémentaire de Cavani Sud par exemple, à laquelle il participe, seules quatre des dix entreprises peuvent intervenir actuellement. Une situation, qui pourrait prendre du temps à se normaliser : “En étant optimiste, je pense qu’on pourra récupérer les deux mois et demi de retard pris sur les chantiers d’ici un an”, table Julian Champiat. Encore faudra-t-il, pour y parvenir, s’affranchir de certains gestes barrières, envisager des volumes horaires plus importants, et honorer plus rapidement tous les paiements…
On l’appelait Stam. Et l’actualité que connaissent les États-Unis comme la métropole quant aux violences policières faites aux noirs ne peut que faire écho à son histoire. Celle d’un jeune père de famille de Mayotte, tué par balle de la main d’un policier le 23 février à Kawéni.
“Bien sûr que tout ce qu’il se passe me touche beaucoup, mais ce n’est pas vraiment pareil. En Amérique comme en métropole, on parle de violences racistes de blancs envers des noirs. Ici, à Mayotte, même les policiers noirs peuvent être racistes. Le vrai racisme, il est envers les étrangers”, lance Djounaidine. Pour ce jeune homme, dont le grand frère a été tué par balle de la main d’un policier le 23 février dernier, la discrimination est partout présente dans le drame que traverse sa famille. “Si ça c’était passé dans un autre village de Mayotte, si c’était un jeune mahorais qui s’était fait tué, tout le monde aurait été debout pour se révolter, mais comme ça s’est passé à Kawéni où il y a beaucoup de personnes d’origine étrangère et, c’est vrai, de la délinquance, personne n’a bougé. Il y en a même beaucoup qui se sont réjouis”, poursuit-il avec ce sentiment de colère permanente qui ne le quitte pas depuis la fin de ce mois de février. Et le petit frère d’Ousseni, dit Stam, le dossier aurait été traité autrement. “Là on ne fait que nous mettre à l’écart, personne ne nous tient au courant de ce qu’il se passe, on a l’impression d’être méprisé. Et puis à Mayotte, tout le monde se connaît, comment peut-on espérer que les gendarmes ne tentent pas de couvrir celui qui est presque leur collègue ?”, s’interroge le jeune homme depuis la métropole.
“Ils vont tout faire pour se protéger”
Mais Djounaidine ne compte pas baisser les bras face “à la peur que ça s’enfouisse à Mayotte”. “Nous avons contacté des avocats et l’une d’elles nous a conseillé de faire délocaliser le dossier au moins à La Réunion pour que ce soit plus impartial, car ici, tout le monde travaille ensemble. Du coup, je cherche des avocats ailleurs, mais le gros problème c’est le coût, c’est très compliqué pour nous. Malheureusement, nous ne pouvons pas demander un avocat commis d’office, il faut que ce soit quelqu’un qui s’investisse beaucoup, car en face, c’est l’État et ils vont tout faire pour se protéger”, développe celui qui promet cependant “de ne pas lâcher l’affaire”.
La crainte de ne pas voir la justice faire toute la lumière sur le drame est profonde. Une injustice qui s’ajouterait à tant d’autres pour celui qui a perdu “un grand frère exemplaire”. “Nous sommes issus d’une famille pauvre, mais ma mère a toujours tout fait pour que l’on s’en sorte, dès le matin il fallait faire son lit et on n’a jamais trainé dehors. Elle a toujours voulu que l’on soit exemplaire et sa récompense c’était que mon grand frère, qui s’était marié, qui allait avoir un enfant, la retrouve tous les soirs à la sortie du travail pour partager un dessert qu’il lui amenait. Parce que son rêve à elle “c’était de vivre à la française”. Ou au moins que ses fils le fassent. C’est d’ailleurs ce qui était prévu. “Il voulait partir de Mayotte, car il trouvait qu’il y avait trop d’insécurité ici alors avec sa femme ils comptaient aller élever leurs enfants en métropole, ils avaient plein de projets”, raconte avec peine Djounaidine, rappelant que son grand frère “essayait de guider les jeunes du quartier, de montrer que l’on pouvait s’en sortir sans la délinquance”.
À l’origine, une querelle familiale
Un envol donc, qui a brutalement pris fin ce 23 février. Ce jour-là, un policier – passant “par hasard” selon les autorités, récolte le témoignage d’un homme à la suite d’une altercation à Kawéni. Cet homme n’est autre que le propriétaire de la maison qu’occupe sa nièce, la mère de Stam et de Djounaidine. Quelques minutes plus tôt, l’oncle, accompagné de gros bras armés de différents outils s’étaient rendus au domicile qu’il considérait occupé sans droit – ce que conteste la famille de Stam – pour en déloger ses occupants. L’altercation familiale est inévitable au point que l’oncle en vienne à renverser avec sa voiture le père de Djounaidine. Lorsqu’il apprend la nouvelle, Stam qui n’est pas sur les lieux est fou de rage. “Ce qui ne lui était jamais arrivé, mais qu’on s’en prenne à sa maman comme ça aussi injustement l’a fait péter un câble”, considère son petit frère. Selon plusieurs témoignages, Stam aurait appelé la police avant que les choses ne dégénèrent. Mais devant l’absence de réponse alléguée, il file chez lui, attrape une matraque et fonce chez sa mère. Il court vers l’oncle et lui assène un coup sur la tête. “Il était en train de le massacrer”, assurent les premières versions policières. Le procureur de la République a cependant été très clair, un seul coup a été porté, ce qui vaudra deux points de suture à la victime. La première. Car devant cet acte de violence, le policier qui fait face d’à peine quelques mètres à la scène dégaine et tire. Quelques minutes plus tard, la vie de Stam s’envole.
“Que ça n’arrive plus à d’autres”
Les témoignages divergent selon qu’il y ait eu une sommation préalable ou pas. La version policière l’assure, mais “tous les témoins que je connais disent qu’il n’y en a pas eu”, affirme le petit frère de la victime. “De toute façon, il n’avait aucune raison de tirer, il pouvait très bien les séparer, on ne tire pas pour un coup, il y a forcément d’autres manières. Et s’il a paniqué, ce n’est pas une excuse, ces personnes-là sont formées pour faire usage de leur arme, s’ils ne la maitrisent pas c’est grave !”, tempête Djounaidine.
Mais c’est bien la légitime défense d’autrui que plaide la partie policière dans ce dossier où l’auteur du tir a été placé sous le statut de témoin assisté contre l’avis du procureur qui réclamait une mise en examen. Un même dossier qui, pour l’heure, n’avance pas. “Les derniers mois que nous avons traversé n’ont pas aidé, avec la crise sanitaire les services ont tourné au ralenti”, confie une source judiciaire. Toujours est-il que selon d’autres sources, le policier, qualifié de “bon gars” par ses collègues, est toujours en service, avec son arme. L’inspection générale de la police nationale n’a pas non plus été saisie. “Cela sera peut-être fait plus tard, sous forme de commission rogatoire par le juge d’instruction”, livre-t-on.
Un statu quo des plus difficiles pour la famille de la victime. “Ma mère attend son fils tous les soirs, ma petite-sœur fait des cauchemars toutes les nuits et mon père se sent très coupable… C’est très dur”, confie le petit frère de Stam qui, malgré son chagrin, veut profiter de ce tempo au ralenti pour trouver le bon avocat. “Il faut le faire, il faut se battre, car si tout cela peut servir à quelque chose, c’est que ça n’arrive plus à d’autres.”
L’idée est simple, mais comme on dit, il fallait y penser. Et c’est un Mahorais qui l’a fait. À La Réunion, Mikidachi Assoumani a inventé l’Anti-Covid pour faire respecter la distanciation sociale dans les transports en commun. L’initiative saluée a d’ores et déjà convaincu la commune de Saint-André, qui en équipe désormais ses bus.
Notre île est pleine d’idées qui ne demandent qu’à être entendues. En attendant, c’est ailleurs que certains laissent libre cours à leur expression. Mikidachi Assoumani est de ceux-là. À 31 ans, ce Mahorais né à Labattoir et résidant à La Réunion depuis son plus jeune âge a inventé l’Anti-Covid, un dispositif permettant de faire respecter les mesures de distanciations sociales dans les transports en commun. Salué sur l’île Bourbon, le dispositif équipe déjà les transports en commun de Saint-André, commune d’adoption de Mikidachi.
Comme bien souvent, l’idée née d’un constat. Agent de sûreté aéroportuaire et réserviste de la gendarmerie, Mikidachi est mobilisé à ce titre pendant le confinement, pour une mission de 10 jours. Il s’agit de faire respecter les distances de sécurité dans les transports en commun qui fonctionnent toujours en mode réduit. “Nous avons parfois été confrontés à des situations un peu compliquées”, explique-t-il. “Si, par l’autorité que nous confère la tenue de gendarme, les gens nous écoutent, que se passe-t-il quand il s’agit d’un contrôleur ? Et quand bien même ni eux ni nous ne pouvons être dans chaque bus. Alors, comment faire respecter ces mesures ?” En parallèle, il est amené à échanger sur le sujet avec l’un des dirigeants d’une entreprise de transport. Le responsable lui confie alors que la grande crainte des professionnels concerne le déconfinement à venir : “Comment allaient-ils faire lorsque nous ne serons plus mobilisés ? Rien n’était encore prévu.”
Effectivement, lorsque ledit déconfinement arrive, les compagnies utilisent de la rubalise pour condamner un siège sur deux, en complétant par des affiches de sensibilisation. Autant dire que le respect des mesures dépend de la volonté de l’usager : s’il a envie de s’asseoir malgré tout, il le fait. “Il fallait une barrière physique”, commente Mikidachi en poursuivant : “J’ai alors réfléchi à un matériau qui ne serait pas très cher, pas dangereux, qui n’altèrerait pas non plus le siège et qui ne s’enlèverait pas facilement.” Le PVC s’impose et il réalise un premier prototype pour démarcher les transporteurs et leur exposer l’intérêt de l’équipement. Le dispositif, “peu coûteux pour être intéressant pour les transporteurs touchés par la crise”, consiste à fixer une barre transversale en travers du siège pour le rendre inutilisable. Il commente : “Tous ont trouvé que l’idée était excellente, mais les décisions se prennent en comité de direction, donc c’est assez long. J’en ai donc profité pour continuer à démarcher, et je suis allé voir un élu de la commune de Saint-André, président de la communauté intercommunale Réunion Est (Cirest), à qui j’ai expliqué mon idée. Il l’a trouvé bonne et le contrat a commencé pour en équiper les bus de la commune.” C’était il y a deux semaines.
Bientôt à Mayotte ?
Au total, 70 Anti-Covid sont produits pour la commune par Mikidachi lui-même avec l’aide de sa famille. Une démarche encore possible, mais “s’il y a une grosse demande, je serai obligé de sous-traiter la fabrication”. Car le démarchage continue. La médiatisation a donné au dispositif, breveté, une visibilité et une crédibilité. Le jeune entrepreneur ambitionne d’ailleurs de pouvoir en équiper les cinémas de l’île intense, qui rouvrent le 22 juin, mais aussi les transports scolaires de son île natale, Mayotte. “Via la délégation de Mayotte à la Réunion, j’ai pu rentrer en contact avec le conseil départemental pour lui présenter le projet et essayer de le mettre en place avec les transporteurs. Je suis dans l’attente d’une réponse”, explique-t-il, espérant que la collectivité soutienne cette invention mahoraise et que les institutions – Département ou État – puissent l’aider dans l’acheminement des Anti-Covid si le contrat venait à être validé. Et pour cause : “Il y a le transport entre Mayotte et La Réunion. S’il est pris en charge, je pourrais les fournir au même prix qu’à La Réunion. Sinon, je serais obligé de répercuter ce coût sur le prix.” L’occasion est donnée à nos autorités, locales ou nationales, de soutenir une initiative mahoraise qui risque de faire des émules. Une belle image pour le territoire. À considérer, donc, comme un investissement.
Depuis le début de la crise, l’agence régionale de santé se charge du fret médical pour éviter les ruptures de stock au centre hospitalier de Mayotte et dans les pharmacies, mais aussi des va-et-vient de personnels soignants et de professionnels de santé libéraux. Une logistique lourde qui demande de l’anticipation et de l’adaptation pour qu’aucun maillon de la chaîne ne se désarticule.
Assis autour d’une table de la cafétéria de l’agence régionale de santé, Philippe Lemoine, venu en renfort comme responsable de la plateforme logistique durant la crise, ne quitte jamais du regard son téléphone. Son rôle ? S’assurer du bon déroulement des allées et venues des professionnels de santé, que ce soient les libéraux du territoire ou le personnel soignant du centre hospitalier de Mayotte. Et surtout jongler entre les fins de contrat des uns et les prises de poste des autres. Sachant qu’il faut prendre en compte la question du logement dans le cadre de ce turn-over. “Il faut tout coordonner pour qu’il n’y ait pas de manque ou d’étranglement”, glisse celui qui est directeur du comité régional olympique et sportif (Cros) en temps normal.
Entre le 7 avril et le 31 mai, il dénombre 323 arrivées – 122 pour le compte de l’ARS (31 professionnels de santé et 91 issus de la réserve sanitaire) et 201 au CHM – et 238 départs – 106 de l’ARS et 132 du CHM. Soit la gestion de 561 personnes en un peu moins de deux mois. Indépendamment des plannings, rentre en ligne de compte l’épineux dossier du pont aérien. Un schmilblick à moitié résolu avec la mise en place de deux vols hebdomadaires en provenance de Paris… pour un seul retour depuis Mayotte ! “Nous avons été obligés d’affréter des avions militaires pour faire repartir le personnel. Mais sur un Casa, nous ne pouvions faire monter que neuf personnes. Heureusement, nous avons bénéficié de vols en A400M”, précise Philippe Lemoine, pris de court dans son explication par un appel de la plus haute importance.
Toute la coordination logistique
Et face à l’urgence sanitaire sur le territoire, les avions dits “commerciaux” ne débarquent évidemment pas les mains vides. En soute, entre 4 et 5 tonnes de fret sanitaire, notamment des équipements de protection et des médicaments, sur les 8 tonnes transportées au total. C’est là qu’intervient Florine Clavier, pharmacienne de profession, en renfort à l’ARS depuis début avril, pour prioriser les besoins de l’île aux parfums. Pour cette partie-là, la jeune femme se charge des remontées du terrain, “qui sont plus ou moins volumineuses et urgentes”, des acteurs locaux et du CHM ainsi que des envois décidés à l’échelle nationale, en fonction des décrets, des demandes de la direction générale de la santé et de la stratégie appliquée sur le territoire. Mais son job ne s’arrête pas là. Elle suit l’acheminement de A à Z : du suivi jusqu’à l’aéroport Charles de Gaulle au transport aérien en lien avec la préfecture, en passant par la livraison des transitaires… “Si un seul maillon de cette chaîne se désarticule, nous avons très rapidement des ruptures.” Une autre particularité se dessine en cette période de crise : pour éviter que les pharmacies libérales ne traitent individuellement avec les laboratoires de leur choix, l’ARS préfère, pour un souci logistique, que les deux grossistes répartiteurs, à savoir Copharmay et Ubipharm, prennent les demandes en médicaments de chacun et les délivrent directement.
Ruptures et flux tendu
Si l’organisation semble réglée comme du papier à musique, plusieurs complications peuvent enrayer la mécanique. À l’instar d’une pénurie de certains produits, qui de facto n’existent plus ou se retrouvent limités sur le marché. C’est actuellement le cas avec les équipements de protection
individuel, tels que les surblouses. Pour cela, l’ARS “essaie d’avoir le plus de stock possible dans la mesure du raisonnable”, tout en gardant en tête que “ce n’est pas non plus la peine de nous asseoir sur une montagne de matériel que nous n’allons pas utiliser”. Toujours est-il que Florine Clavier concède “des ruptures de réactif au laboratoire privé” et “de grosses menaces de rupture pour le CHM” à un certain moment de la crise. Idem pour les masques, pour lesquels “nous avons été en flux tendu”. Concernant les médicaments, la donne est sensiblement similaire : “les difficultés sont que les formes fournies par l’État ne sont pas adaptées à la prise en charge des patients. Actuellement, nous travaillons plus avec des petites doses, ce qui est très embêtant pour le personnel de santé.”
Avec le retour annoncé des liaisons aériennes commerciales entre la métropole et l’île aux parfums, la pharmacienne de profession souligne que toutes ces problématiques ne seront plus qu’un lointain souvenir. Toutefois, un autre souci risque bien de prendre la relève : l’augmentation du prix du fret. “Et à ce moment-là, c’est celui qui met le plus d’argent sur la table qui va transporter ses kilos. Or, il n’est pas envisageable pour la sécurité de l’île, surtout en période épidémique, que cela se passe de cette manière. Nous pensons souhaitable de pouvoir argumenter qu’une palette de médicaments sauve plus de vies qu’une palette de fromages !” Alors que la “guerre” contre le Covid-19 n’est pas encore terminée, une autre se prépare déjà…
Alors qu’une surveillante du lycée de Sada a été contrôlée positive au Coronavirus, le rectorat et l’ARS ont décidé de maintenir l’établissement ouvert. Si l’employée n’avait passé que quelques heures dans la cour de l’établissement avant même que celui-ci ne rouvre, la CGT estime que la reprise des cours s’est décidée prématurément.
“Faudra-t-il attendre un nouveau cluster pour agir ?” Voilà la question posée par la CGT Éduc’action, après avoir appris qu’un personnel du lycée professionnel de Sada avait été dépisté positif au Coronavirus jeudi dernier. Deux jours plus tôt, cette même personne avait participé à une réunion avec ses collègues au sein même de l’établissement. Mais selon l’organisation syndicale, aucune mesure n’a été prise depuis pour protéger élèves et effectifs. Et pour cause : “Il n’y a pas eu de comportement à risque”, promet le recteur.
Retour au mardi 2 juin. Le lycée de Sada doit rouvrir le lendemain, pour les élèves de terminale en filière professionnelle uniquement. Tous les effectifs de l’établissement sont conviés, de 8h à 13h, à une réunion préparatoire. Une quarantaine de personnes répondent à l’appel, toutes prennent place dehors, sur les bancs de la cour, séparées d’un mètre de distance. Parmi les têtes masquées, une surveillante chargée de la vie scolaire, celle-là même qui s’avérera porteuse de la covid 48 heures plus tard. Entre temps, cette personne n’a eu aucun contact avec ses collègues, et n’a pas croisé ne serait-ce qu’un seul élève, puisqu’elle n’est pas revenue au lycée depuis le jour de la réunion, selon les affirmations de Gilles Halbout et du principal.
Lorsque les résultats de son dépistage tombent, l’agence régionale de santé retrace tous les possibles cas contact, dans la sphère privée comme professionnelle. La liste de tous les personnels présents mardi matin est transmise à l’ARS. Finalement, le verdict tombe samedi : “aucun des agents cités n’a besoin d’être placé en quatorzaine”, tranche l’agence, estimant que les gestes barrières ont pu être strictement observé. Du côté de la CGT, qui n’a été prévenue de la situation que dans le week-end, c’est l’incompréhension. Un dépistage systématique, ou à défaut une quatorzaine de tous les collègues avant la rentrée, est demandée au rectorat, avant d’être balayée d’un revers de la main, l’ARS ne l’estimant pas nécessaire.
Une rentrée des classes “prématurée” ?
Pourtant, selon Quentin Sades, secrétaire général de la CGT Éduc’action de Mayotte, plusieurs entraves aux gestes barrières ont été observées les jours suivants, notamment concernant le port du masque des élèves. D’autres font encore état de conseils de classe organisés dans “de tout petits bureaux”. Concernant le lycée de Sada, le proviseur aurait décidé que lundi, les élèves de terminal ne viendraient pas. Mais si les professeurs en ont été avertis, plusieurs lycéens, ne le sachant pas, se seraient bel et bien présentés aux portes de l’établissement, à l’heure où les rassemblements de plus de dix personnes sont toujours proscrits. “C’est encore un cafouillage assez inquiétant”, souffle Quentin Sedes. “Cette rentrée des classes est prématurée. D’autant plus qu’en lycée professionnel, les élèves viennent de toute l’île, et ça favorise encore les risques de propagation du virus. Qu’est-ce qui se passe dans le bus, ou lorsque les élèves arrivent devant l’établissement ? Respectent-ils vraiment les gestes barrières ? Avec toutes ces inquiétudes, on craint une remontée rapide du nombre d’infections…”
Le recteur, lui, se veut plus rassurant. “Tous les cas contacts ont été identifiés. Si la personne s’était baladée dans tout l’établissement ou avait eu des contacts avec des élèves ou ses collègues, nous
aurions évidemment fermé l’école. Mais au regard de la situation, cela n’est pas justifié.” Ainsi, lorsqu’un cas positif avait été détecté deux semaines plus tôt dans un autre établissement, le rectorat avait choisi de fermer l’enceinte concernée en attendant le feu vert de l’ARS. Et si plusieurs professeurs ont récemment décidé, inquiets, de demander une autorisation d’absence, Gilles Halbout rappelle qu’aucun personnel en milieu scolaire n’est à ce jour obligé de répondre présent à son poste.
Alors que le retour des compétences natives de l’île est un défi majeur pour son développement sur le long terme, la crise sanitaire liée au Covid-19 pourrait compliquer une tâche déjà peu aisée. Face aux failles observées sur le département, certains mahopolitains, pourtant désireux de revenir, hésitent désormais à le faire. Pourtant, leurs ambitions pour l’île ne sont pas profondément remises en cause.
L’enjeu est de taille, et pour cause : envisager un développement à long terme de Mayotte induit de faire revenir les compétences natives de l’île installées ailleurs, en particulier dans l’Hexagone ou à La Réunion. Un dossier déterminant dont tâchent de se saisir les institutions locales, conseil départemental en tête à travers ses antennes métropolitaine et réunionnaise. Une volonté qui pourrait toutefois être entravée par la crise sanitaire mondiale dont Mayotte, par rapport à la métropole, se sera sortie en dernier.
C’est le cas pour Yasmine, diplômée l’année dernière en psychologie. Si son retour n’était de toute façon pas prévu pour tout de suite, il pourrait bien être, en revanche, reporté. “De manière générale, j’hésite à rentrer à Mayotte, car je souhaite accumuler des expériences professionnelles en métropole pour prendre plus d’assurance et suivre des formations complémentaires. Je comptais rester encore un an ou deux en métropole avant de revenir”, explique-t-elle. Mais elle le concède : “Effectivement, au vu de la situation à Mayotte et au Covid-19, je préfère rester deux ans au minimum, le temps que la situation s’apaise et qu’elle devienne plus contrôlable. Travaillant dans les secteurs de la santé, c’est important pour moi.” Parmi les inquiétudes : l’isolement de l’île et une potentielle deuxième vague épidémique à venir, “qui se révèlerait à nouveau incontrôlable” à Mayotte. Mais au fond, la crise sanitaire est-elle réellement rédhibitoire pour un retour à Mayotte ? Elle n’en est en tout cas pas la seule cause. Ce que confirme Yasmine en nuançant son propos : “Si j’avais la possibilité d’effectuer mes formations à Mayotte, je serais peut-être passée outre mes craintes.” On le voit ici : les difficultés structurelles à une réinstallation pèsent toujours dans la balance.
C’est ce que constate aussi Mohamed Zoubert, directeur de la délégation de Mayotte à Paris. Parmi les missions de l’organisme, antenne du conseil départemental dans l’Hexagone, rendre Mayotte attractive, en particulier pour les cadres mahorais installés là-bas ou à l’étranger, “qui peuvent, demain, aider l’île à se relever et qui hésitent à revenir pour différentes raisons, familiales, personnelles, ou parce qu’ils ont un cadre de vie agréable”. Son constat sur la problématique du moment ? Il va falloir rassurer, oui, mais il ne perçoit pas de remise en question profonde pour ceux qui sont sûrs de leur projet. Il l’explique : “La crise a pris tout le monde de court, partout dans le monde. Il faut donc rassurer les gens, dire que cela va passer, rouvrir les perspectives ici. Il faut donc, oui, relancer ce travail. Pour autant, je ne pense pas que les personnes convaincues et déterminées remettent leur projet en question. Nous avons rencontré énormément d’étudiants qui, justement, veulent rentrer à Mayotte pour créer leur entreprise et nous demandent de les y aider. Peut-être vont-ils repousser leur projet de six mois ou d’un an à cause du Covid-19 pour voir comment elle évolue, oui, mais pas pour l’annuler. En tout cas, nous n’avons rencontré personne qui l’envisageait.” Plutôt encourageant.
Le bon moment pour rentrer ?
Et à l’inverse, certains se disent même qu’il est peut-être temps de revenir. “Pourquoi fuir Mayotte”, se demande ainsi Safi, étudiante en métropole, qui relativise : “Un amoureux de son île reste chez soi quoi qu’il s’y passe. La vie est faite de haut et de bas, alors pourquoi fuir dès qu’il y a un souci ? Autant le régler pour continuer à être fier de Mayotte.” Psychologue en métropole, proches de ceux
qu’on appelle les “Mahopolitains” par le travail qu’elle y mène, Rozette Yssouf observe elle aussi cette tendance. Elle la détaille : “Les jeunes qui vont être diplômés cette année ne semblent pas forcément hésiter à rentrer travailler chez eux. Bien au contraire.” Une explication à cela : “Cette crise sanitaire inédite et planétaire a été révélatrice de nombreuses choses, et surtout que nous avons un système sanitaire défaillant qu’il faut absolument revoir, que ça soit dans l’Hexagone ou dans les Outre-mer, en particulier à Mayotte, l’un de ses départements ultramarins, avec la Guyane, à rester en zone orange et où le confinement fut particulièrement difficile. Tout cela démontre plus que jamais que Mayotte a besoin de ses jeunes diplômés, qu’elle a besoin encore plus de “matière grise” pour réfléchir à comment aider l’île à se relever de ses différentes problématiques, aussi bien sociales qu’économiques, politiques, sécuritaires et même psychologiques. L’union de tous, et de tous les professionnels de spécialités différentes, ne pourra que faire un grand bien à cette île si belle et si fragile.” Et de conclure : “La jeune génération, comme j’ai pu le constater lors de mes rencontres avec elle, souhaite le retour au “pays natal”. Ce qui la freine, c’est [qu’elle a l’impression] qu’il n’y a rien qui est mis en place pour la motiver à revenir, et aussi la peur de ne pas trouver un emploi sur place.”
Le 8 juin était la journée mondiale de l’Océan. L’occasion de faire l’état des lieux sur le lagon de Mayotte. Le constat est sans appel, celui de l’île aux parfums est toujours aussi riche, mais les comportements malveillants et le réchauffement climatique ont des conséquences dramatiques sur la mer.
Ce n’est un secret pour personne, le lagon de Mayotte est l’un des plus beaux et le plus grand lagon fermé au monde. Il regorge d’espèces rares et extraordinaires qui en font sa richesse. Mais son état se détériore d’année en année. Selon un communiqué du comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), ces espèces rares sont “sous pression”. Alors qu’à La Réunion, 15 % d’entre elles sont menacés, à Mayotte, le chiffre s’élève à 12 %. Cette dégradation est due à de nombreux facteurs, parmi lesquels le comportement des habitants de l’île qui a de réelles conséquences. “Les Mahorais doivent bien avoir en tête que le lagon de Mayotte est extraordinaire et il faut faire les choses correctement pour qu’il [le] reste. On retrouve du plastique dans la mer, les poissons [le] mangent et finalement, on le retrouve dans nos assiettes”, explique Christophe Frontfreyde, directeur du parc marin de Mayotte. Ce dernier alerte sur la détérioration fulgurante du lagon. “Il était en très bon état il y a 25 ans, il était en bon état il y a 10 ans et aujourd’hui il est dans un état moyen.”
La qualité de la mer à Mayotte est également touchée par d’autres fléaux qui accélèrent sa dégradation. “Pour Mayotte, c’est la double peine. Il y a cet impact du développement de la population sur le lagon, mais le réchauffement climatique blanchit les coraux. Cette année, on a eu de la chance, les températures ne sont pas restées aussi élevées que ce qui était prévu, mais le blanchissement modifie la composition du corail ainsi que toute la chaîne alimentaire”, indique Christophe Frontfreyde. À cela s’ajoutent la montée des eaux et le volcan qui provoque un affaissement de l’île.
Opération sauver le lagon de Mayotte
Rien n’est perdu, il est encore possible de sauver le lagon de Mayotte. Pour cela, le parc marin a mis en place un plan de gestion qu’il faudra suivre à la lettre. “On veut améliorer la qualité de la mer et pour cela on mène des actions terrestres. On fait de la science pour expliquer aux gens ce qu’il se passe. On essaye de mesurer la réalité et une fois qu’on l’a, on essaye de voir avec l’ensemble des membres du conseil de gestion comment faire pour qu’il y ait moins de plastiques dans le lagon”, selon le directeur du parc marin. D’autres solutions sont également à l’étude comme le développement de la pêche en dehors du lagon afin de le soulager et protéger les ressources internes. Cependant, il est nécessaire de sensibiliser les habitants qui sont les premiers acteurs dans cette mission de sauvetage. “On veut aider les Mahorais à accéder au lagon parce qu’il y a beaucoup de gens qui ne le connaissent pas et on a envie qu’ils le connaissent pour qu’ils en voient la beauté et qu’ils aient envie de le protéger.”
Les agents du parc marin de Mayotte font également office de police de la mer. Il n’est pas rare de tomber sur des pêcheurs en infraction. En cas de flagrant délit, le parc marin confisque le matériel puis le détruit, et remet les espèces marines à l’eau.
Mayotte a certes un lagon extraordinaire, cependant il lui manque un aspect crucial. Malheureusement, les scientifiques ne se bousculent pas aux portes pour s’installer ici et étudier en profondeur ses richesses. “Ils ne viennent pas parce que les recherches ne sont pas assez
conséquentes et elles ne le sont pas parce que les chercheurs ne viennent pas. Il faut que l’on sorte de ce cercle. Nous allons créer un centre d’excellence et de suivi en matière science marine”, annonce Christophe Frontfreyde. L’objectif est d’attirer les scientifiques du monde entier, mais surtout les étudiants mahorais spécialisés dans le domaine en créant des bourses maritimes. Serait-ce la stratégie payante pour donner un nouveau souffle au lagon de Mayotte ? Le temps nous le dira.
De nouveaux chiffres viennent rappeler l’ampleur des défrichements à Mayotte, et la nécessité de déployer davantage de moyens pour protéger l’environnement du 101ème département. Or, les deux derniers mois de confinement n’ont sûrement pas arrangé les choses, s’inquiètent les associations.
Le constat est alarmant : avec 6,7 % de défrichement du couvert boisé entre 2011 et 2016, Mayotte est le département français qui subit le plus fort taux de déforestation. Un niveau qui se rapproche même de ceux constatés en Argentine ou en Indonésie ! Pour parvenir à ce chiffre, le comité français du l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a eu recours aux données disponibles sur le site de l’Observatoire de Mayotte et mises à disposition par la direction de l’agriculture de l’alimentation et de la forêt (DAAF) et la direction de l’environnement de l’aménagement et du logement (DEAL). Grâce à la photographie aérienne, l’Observatoire montre l’évolution du statut des sols. “Et là, quand on regarde l’évolution des parcelles boisées, le changement est considérable”, décrit Grégoire Savourey, chargé de mission biodiversité, océan indien au comité français de l’UICN à Mayotte, qui a réalisé les calculs. Parmi les zones les plus touchées, les parcelles privées représentent 95 % de la surface déforestée, soit 1.422 hectares. Une situation qui rappelle la difficulté de sensibiliser, de responsabiliser voire même de verbaliser les propriétaires. “Nous avons souvent du mal à remonter aux donneurs d’ordre ou bien à savoir si l’exploitation de la parcelle s’est faite à leur insu ou non”, explique Cannelle Phillipps du service des ressources forestières du Département.
Surtout, ces chiffres de 2016 inquiètent les associations et les organismes défenseurs de la forêt et de la biodiversité, alors que Mayotte vient de passer plus de deux mois en confinement. Si les données chiffrées ne sont pas encore disponibles pour l’année 2020, le bilan risque d’être lourd. “Là, il s’agit plutôt de constats de terrain, formulés par l’ONF, les associations ou le Département : c’est comme pour le braconnage des tortues, pendant le confinement, l’absence de passages ou d’agents verbalisateurs a pu favoriser certaines pratiques”, poursuit Grégoire Savourey. Et plus particulièrement les brûlis à des fins agricoles illégales, une pratique répandue et difficile à appréhender à Mayotte. “Entre 2017 et 2020, nos constats de terrain ne font que confirmer ces chiffres de 2016”, souligne Cannelle Phillipps. “À ce rythme-là, dans cinquante ans, il n’y aura plus de forêt à Mayotte”, ajoute Grégoire Savourey.
Plus de moyens pour Mayotte
Face à l’urgence de la situation, l’UICN s’est donc fendue d’un courrier, adressé au gouvernement, aux services de l’État à Mayotte et aux collectivités locales. Objectif : obtenir davantage de moyens pour mieux contrôler les dérives et pour soutenir les initiatives. L’UICN demande notamment une clarification de code forestier à Mayotte ; un ratio d’agents plus élevé par hectare ; la mise en place de fourrière pour les animaux d’élevage ; une meilleure protection des surfaces forestières dans les documents de planification et d’urbanisme ; une diminution de la surface minimale de 25 hectares à 4 hectares pour l’obligation de réaliser un document de gestion durable, compte tenu du morcellement des bois et des forêts ; une adaptation des modalités de développement de l’agroforesterie ; une généralisation des opérations de reforestation.
“Que ce soit pour des actions de sensibilisation, ou pour encourager les bonnes volontés dans le sens de l’agroforesterie, il faudra des moyens techniques, financiers et humains”, insiste Grégoire Savourey qui estime par exemple les besoins du territoire à un agent tous les 100 hectares
pour les forêts publiques et dix fois plus d’agents pour les forêts privées. En tout, Mayotte compte un peu plus d’une vingtaine de personnes dédiées à la protection des forêts – une quinzaine pour le Département, environ cinq pour l’ONF, et peu ou prou le même nombre pour la DAAF, chargée plus particulièrement de la surveillance des parcelles privées. Car même sur sa propre parcelle, il faut une dérogation particulière pour déraciner un arbre. “Mais des ambiguïtés dans le code forestier conduisent à un certain laxisme”, déplore le responsable de l’UICN.
Les limites du reboisement
Bien sûr, le tableau n’est pas tout noir. D’après lui, la faible proportion des forêts publiques touchées par le phénomène de déforestation dans les données de 2011-2016 prouve l’utilité des agents répartis sur le territoire. L’action des associations locales directement sur le terrain constitue aussi un levier d’action important, notamment auprès des propriétaires privées – à condition d’être dotées de moyens. L’une d’elles, les Jardins de Mtsangamouji, travaille justement sur un projet de reboisement sur le bassin versant de la rivière. En allant au contact directement des propriétaires, les quelque trente bénévoles de l’association espèrent bien les convaincre de planter certaines plantes aux abords du cours d’eau. Mais le projet n’a pas encore pu voir le jour. “Nous avons besoin de partenaires pour nous fournir les plantes, car souvent les propriétaires n’acceptent pas n’importe lesquelles, ils veulent des arbres fruitiers”, développe Moussa Nassim, le président de l’association, qui constate par ailleurs une recrudescence des brûlis depuis la fin du confinement.
Malheureusement, ces opérations de reboisement n’en sont qu’à leurs balbutiements. “À ma connaissance, il y a eu en 2019 peut-être 100 hectares de reforestation, contre 400 hectares partis en fumée dans l’année”, chiffre Michel Charpentier, le président des Naturalistes de Mayotte qui dénonce l’absence de politique de biodiversité sur l’île. Pour lui, il y a donc urgence à créer la réserve naturelle des forêts de Mayotte : “Ce projet, en chantier depuis trois ans, permettrait de donner des moyens en personnels et en financements pour faire une véritable politique de préservation.” La mise en place d’une surveillance accrue via une police de l’environnement est aussi essentielle afin de poursuivre et de sanctionner les dérives. Or, “pour l’instant, les moyens n’y sont pas”, déplore-t-il. Sans parler du confinement, qui a encore un peu plus allégé la surveillance en matière de biodiversité et de protection de l’environnement, comme en attestent les nombreux constats de braconnages établis par l’association ces dernières semaines. Mais “confinement ou pas, la déforestation bat son plein à Mayotte”, soupire Michel Charpentier.
Méconnue du grand public, Santé Publique France regroupe quatre épidémiologistes à Mayotte, dont la mission principale est l’observation de l’état de santé, la surveillance et la veille épidémiologique. Dans le cadre de la crise, l’équipe en poste tient un rôle important dans la mise en place de la plateforme d’investigation autour des cas positifs et du contact tracing. Mais elle s’emploie aussi à produire des données à destination des autorités pour orienter la décision en matière de mesures de gestion et ainsi dénicher la meilleure stratégie à aborder dans le but de lutter contre la propagation du virus. Rencontre avec Marion Subiros.
Flash Infos : Santé Publique France joue sa partition dans tout le travail d’enquêtes auprès des cas positifs et des cas contacts. Quel est l’intérêt de suivre de près ces recherches fastidieuses ?
Marion Subiros : Sur les investigations, il y a deux volets. Une fois que les annonces ont été faites, soit par l’équipe médicale de l’ARS, soit par les médecins du territoire, nous récupérons le dossier au niveau de la plateforme. La première étape est d’enquêter auprès du cas confirmé pour comprendre l’origine de sa contamination, avant de dresser dans un second temps la liste des personnes qu’il a croisé dans sa phase de contagiosité, pour ensuite attaquer tout le contact tracing. L’objectif est de mettre en évidence des chaînes de transmission. Plus nous aurons de cas prévenus et avertis de leur état, plus nous aurons des chances de contrôler l’épidémie. Toutes ces informations sont centralisées dans une grande base de données qui sert à la gestion des cas, mais aussi à l’exploitation de ces informations pour comprendre la dynamique de l’épidémie. Tout cela nous permet de réaliser des cartographies quand nous avons le village de résidence des cas, mais aussi de comprendre quelles tranches d’âge sont touchées pour décrire le profil des patients.
L’idée est d’essayer d’avoir de l’information réactive et précise pour pouvoir mettre en place des mesures de lutte ciblées, en complément de toute la stratégie de prévention mise en place par l’ARS aussi bien sur le terrain que dans sa communication.
FI : Comment s’établit la stratégie de Santé Publique France en termes de dépistage ? Et comment vous y êtes-vous pris lors de l’apparition du cluster au centre pénitencier de Majicavo ?
M. S. : Depuis le début, la stratégie de dépistage est clairement adaptée à nos capacités. Nous avons essayé d’aller le plus loin possible, mais il est vrai qu’en termes de matériel, de logistique et de ressources humaines, il y a des limites que nous ne pouvons pas franchir. Donc, nous sommes partis sur une stratégie qui se base sur 300 tests par jour, répartis entre le privé et l’hôpital. Nous ne prélevons que des personnes qui répondent à un tableau clinique évocateur. En fonction de ce que nous avons observé dans la littérature chinoise ou italienne, et en analogie avec d’autres pathologies infectieuses respiratoires, nous avons dressé un outil d’aide aux prescripteurs.
La deuxième indication est quand nous avons besoin d’explorer une situation un peu étrange ou problématique qui survient sur une population vulnérable, que ce soit socialement ou médicalement. Dans ce cas de risque d’explosion du cluster, nous nous réunissons avec l’ARS pour décider s’il est pertinent ou pas de déclencher une opération de dépistage. Par exemple, la prison fait partie typiquement des situations à risque où nous n’avons pas envie que cela dégénère, donc nous avons suivi l’évolution de très près dès l’apparition des premiers cas. Nous avons testé tous les détenus et surveillants pour regarder ce qu’il en ressortait. Et c’est là que ça devient intéressant, car sur une population en milieu carcéral, nous pouvons nous rendre compte des taux de positifs et d’asymptomatiques.
FI : Y a-t-il eu une évolution de cette stratégie au fil de l’avancée de l’épidémie à Mayotte ?
M. S. : Il n’y a pas eu de grands chambardements. La seule évolution est sur le tableau clinique en fonction des données de la littérature qui arrivaient et des épidémies dans d’autres pays. Par exemple, nous avons très rapidement mis en évidence l’anosmie (perte d’odorat) et l’agueusie (perte de goût). À l’origine, nous ne prélevions pas ceux qui présentaient ces symptômes s’ils n’avaient pas de fièvre. Quand nous avons compris qu’il s’agissait d’un signe très typique de la maladie, nous l’avons intégré. Et nous avons aussi fait évoluer la définition de cas que SPF met à jour très régulièrement. Par contre, nous ne prélevons pas de manière systématique les cas contacts comme cela peut se faire en métropole.
En matière de surveillance, nous avons mis le paquet sur tous les axes possibles. La surveillance des cas confirmés biologiquement est exhaustive. Après, concernant les cas probables, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas forcément une PCR positive à cause du pourcentage de faux négatif ou ceux qui ont une symptomatologie respiratoire évocatrice lors d’un scanner, nous les prenons en charge comme des cas positifs parce qu’ils répondent à la définition d’un cas de covid. Nous les avons récupérés récemment pour les “tracer”. La surveillance des cas hospitalisés, notamment en réanimation et en médecine, donne également une bonne idée de la dynamique épidémique. Sans oublier la surveillance de la mortalité sur des cas qui ont un diagnostic de covid.
À la différence de la métropole, la surveillance des cas confirmés et les investigations autour d’eux n’ont jamais cessé à Mayotte. C’est vraiment un atout parce que nous avons toujours contribué à limiter ces chaînes de transmission en appelant la majorité de leurs contacts.
Sur la stratégie de prélèvements, il y a eu une grosse mobilisation, notamment de l’hôpital et de ses équipes mobiles. La mise en place de ces dernières était indispensable pour aller au contact des populations qui n’ont pas recours aux soins. Cette activité de prélèvements à domicile représente 30 % des dépistages au mois de mai. C’est doublement utile, car d’une part, nous allons chercher des cas que nous n’aurions pas trouvés et d’autre part, nous évitons qu’ils se déplacent par le biais de moyens de transport collectif.
FI : Vous attendiez-vous à une telle propagation du virus à Mayotte ? Et comment expliquer que le profil de la majorité des cas positifs ne soit pas le même qu’en métropole ?
M. S. : Nous nous attendions à une dynamique épidémique compte tenu des milieux de vie, de l’environnement, ou encore de l’accès à l’eau très limité à Mayotte. Ceci dit, nous pensions devoir gérer plus de cas de formes sévères, sachant que nous avons une très forte prévalence des maladies cardiovasculaires, du diabète, d’hypertension ou d’obésité qui constituent des facteurs de risque avéré. Nous pensions avoir plus d’hospitalisation en lien avec ces patients-là. Et finalement, nous n’avons pas énormément d’admissions en médecine et en réanimation en comparaison aux nombres de cas dépistés. Encore une fois, le nombre de cas diagnostiqués sur le territoire est fortement sous-estimé de par la forte proportion de personnes asymptomatiques.
À ce stade, la plupart de nos patients hospitalisés qui ont des comorbidités assez lourdes se trouvent dans la tranche d’âge 15-44 ans. Et plus les patients vieillissent, plus ils ont tendance à les cumuler. À
Mayotte, nous voyons bien que les 50 % de la population âgée de moins de 18 ans nous sauvent dans la dynamique épidémique. Il faut aussi retenir que les comorbidités sont un facteur de risques de formes sévères, mais cela ne veut pas forcément dire qu’un comorbide va développer une forme sévère.
FI : Aurait-il été plus judicieux de prendre le parti de procéder à un dépistage massif à Mayotte ? Ou au moins de dépister tous les cas contacts ?
M. S. : Il faut bien garder à l’esprit le “pourquoi nous testons ?”. Cela ne sert à rien de tester pour tester et de dépister toute la population. Quand nous tenons compte des délais d’incubation et du risque de propagation, il faudrait tester tous les habitants chaque semaine jusqu’au moment où nous arrivons à un certain seuil d’immunité. À mes yeux, cela n’a pas trop de sens… Par contre, la stratégie de prélèvement et de dépistage doit être ciblée autour des cas. Et c’est sûr que nous aurions envie de le faire beaucoup plus systématiquement pour limiter la propagation.
Ensuite, dépister tous les cas contacts autour d’une personne positive n’aurait pas pu être systématisé. Et surtout, l’énergie déployée pour mettre en place ces mesures n’aurait pas été payante. Alors que lorsque nous investissons des clusters professionnels, nous pouvons endiguer la propagation.
Dès le début de l’épidémie, dès que nous avons eu des clusters géographiques ou professionnels, nous sommes allés les explorer. Je pense par exemple au cluster de Bandrélé ou à ceux au sein de la police nationale et des sapeurs-pompiers. Dans ces deux derniers types de foyer, il s’agit de personnes qui sont au contact de la population et qui peuvent être vectrices. Dans ces cas-là, il y a vraiment urgence de dresser un état des lieux de positivité du groupe, d’isoler les malades et de mettre en quatorzaine les contacts étroits.
Nous avons eu aussi la chance d’avoir un semblant de confinement et un semblant respect de la quatorzaine. Aujourd’hui, c’est différent, car nous devons faire à une épidémie dans un environnement déconfiné. Donc il faut adapter les mesures et cibler les situations prioritaires, ce que nous appelons les super spreader events, c’est-à-dire des événements connus qui sont sources de contamination et de propagation du virus. Par exemple, des rassemblements, où les gens sont nombreux et proches. D’ailleurs, à ce sujet-là, j’ai été choquée par la marche contre l’insécurité en Petite-Terre.
FI : Comment voyez-vous la suite avec ce déconfinement progressif ?
M. S. : Sur l’apparente stabilisation, voire diminution, de ces dernières semaines, il faut rester très prudent avec ces données. La surveillance subit énormément de biais, liés à un certain nombre d’incertitudes, que ce soit en matière de stratégie de prélèvements ou de diagnostics. Les prochaines semaines seront décisives : l’arrivée de l’hiver austral, avec un petit changement de température, peut peut-être avoir un impact. Et les futurs événements à cette période de l’année, comme les manzarakas, ainsi que le second tour des élections municipales seront très propices à la création de clusters et à une dynamisation de la circulation virale.
Plusieurs centaines de personnes ont participé dimanche à la marche blanche organisée à Kahani en soutien aux soignants de la commune, cibles récurrentes d’agressions. Si la manifestation avait été interdite par la préfecture, les participants, eux, entendent bien renouveler l’événement, qui s’est par ailleurs déroulé sans accroc.
Ils ont marché contre l’insécurité. Dimanche matin, 300 personnes, selon les forces de l’ordre, sont venues afficher leur soutien aux soignants du dispensaire de Kahani, en droit de retrait depuis deux semaines pour dénoncer les faits de violence dont ils sont régulièrement la cible, ainsi qu’aux sapeurs-pompiers et aux effectifs du lycée professionnel, eux aussi régulièrement pris à partie. Une marche blanche organisée par le collectif des citoyens, rejoint par différents syndicats, qui avait été pourtant interdite par le préfet, les rassemblements de plus de dix personnes n’étant toujours pas autorisés. Le délégué du gouvernement avait alors appelé la population “au civisme” après avoir expliqué que les gestes barrières ne pourraient pas strictement être observés en pleine manifestation, craignant ainsi qu’un nouveau foyer de contamination ne se forme.
Ils ont pourtant été nombreux à arborer fièrement leur masque tout au long des dix kilomètres parcourus par le cortège entre Kahani et Coconi. Autour des manifestants – et plus largement, du village –, plusieurs escadrons de gendarmerie et deux blindés. “On voulait absolument éviter qu’il y ait des barrages qui se forment en marge de l’événement”, commente le lieutenant-colonel Bisquert, soulagé de voir que la matinée s’est finalement avérée “très calme”.
Réunion d’urgence ce mercredi
Parmi les manifestants, le docteur Lahalle, chef de service de Kahani et secrétaire général du syndicat des praticiens hospitaliers de Mayotte, regarde les forces de l’ordre qui cerclent le secteur. “Au vu du nombre de gendarmes mobilisés, on peut imaginer qu’on est vraiment dans une zone dangereuse et qu’on peut en mobiliser un peu plus pour notre sécurité au quotidien.” Une revendication qui sera, parmi d’autres, évoquée mercredi, lors d’une réunion instiguée par la préfecture à laquelle sont conviés les différents acteurs de la marche blanche afin d’évoquer la question de la sécurité.
Si les invitations n’ont toutefois pas encore été envoyées, Salim Nahouda, secrétaire général de la CGT Mayotte, espère vivement pouvoir participer à cette table ronde, après être intervenu lors du rassemblement de Kahani. “L’État ne nous protège pas et la justice est laxiste, ils ont laissé des bandes de délinquants s’installer, maintenant, il faut qu’ils les assument, les Mahorais sont obligés de se défendre eux-mêmes. Il faut qu’on ait les moyens de condamner les personnes jugées, sans les libérer au bout de quelques mois !”, résume-t-il. Afin d’interpeller davantage les pouvoirs publics, l’ensemble des manifestants a décidé de renouvelé cette marche blanche dans des villages différents tous les dimanches – à l’exception du second tour des élections municipales, le 28 juin. Le prochain rendez-vous est donné à Acoua.
Déconfinement oblige, la formation aux gestes barrières doit désormais se faire en masse. L’ARS, en partenariat avec les autres structures de l’État ont organisé vendredi dernier une formation aux gestes barrières, place de la République à Mamoudzou. 120 personnes ont répondu présentes. Elles devront par la suite à leur tour former la population.
Du savon, de l’eau, des masques, distance d’un mètre respectée… La place de la République de Mamoudzou a été transformée en centre de formation aux gestes barrières contre le Covid-19 le temps d’une matinée. Les agents de l’association pour le développement du sauvetage et du secourisme (ADSS) de Mayotte étaient mobilisés pour l’occasion par l’ARS en tant que formateurs. Les membres des nombreuses associations présentes sur le territoire étaient conviés à prendre part à cette formation. 120 personnes étaient présentes, mais l’objectif est d’en former 1.200 en deux semaines. “Ces personnes formées vont par la suite en former d’autres au sein des associations et auprès de la population. Ce sont les 1.200 soldats qui vont aller sur le territoire pour expliquer aux gens ce que sont ces fameux gestes barrières. C’est une initiative que nous prenons pour mieux ancrer dans l’état d’esprit de chacun ce qu’il faut faire pour se protéger”, explique Jean-François Colombet, le préfet qui était également présent. Le mode d’emploi est simple, les agents illustrent tous les gestes barrières, puis chaque apprenti le répète sous le regard avisé du formateur. Tous les connaissent de manière générale, mais des précisions sont de rigueur. “La plupart des gens comprennent l’importance du masque, mais ne savent pas le mettre ou le retirer correctement par exemple”, rapporte Abdou Anli, président de l’ADSS. Les questions fusent, les apprentis ont tous rangé leurs portables et écoutent attentivement les explications. Cette formation n’est pas seulement ludique, elle est plus que nécessaire dans la lutte contre la propagation du virus à Mayotte. “Je suis venu pour apprendre les gestes barrières afin de pouvoir mieux accompagner et sensibiliser notre public. À Koungou, le besoin est réel, car nous sommes dans un village où les conditions de vie sont très difficiles. On constate que finalement très peu de gens respectent les gestes barrières à Koungou”, révèle Abdallah Alilou, participant et coordinateur de la régie de quartier à Koungou. Pour d’autres, la formation chamboule leur comportement envers les autres. “Aujourd’hui, j’ai appris de quelle manière je dois me comporter avec les personnes qui sont considérées à risques. Maintenant, je vais appliquer cela aux enfants et j’ai hâte”, sourit Nadia Bourahima, participante et membre de l’association Action coup de pouce.
Les professionnels et l’aéroport sensibilisés
La formation aux gestes barrières ne s’arrête pas aux associations. L’ARS, la préfecture et les différents partenaires souhaitent sensibiliser le maximum de personnes en passant par tous les moyens. “Nous allons aller plus loin puisque quand les premiers vols arriveront, les passagers bénéficieront également de cette formation”, annonce le préfet. Elle ne durera pas une heure et demie comme pour les associations, il s’agira plutôt d’un récapitulatif de 5 à 10 minutes à l’arrivée des passagers pour leur expliquer les gestes barrières. On va également la faire en direction des professionnels des taxis et des restaurateurs pour qu’au-delà de la communication institutionnelle on ait vraiment une explication pour chaque Mahorais sur l’intérêt des gestes barrières” ajoute Jean-François Colombet. Sur le long terme, d’autres professions seront sensibilisées, ainsi que les clubs de sport.
Les agents de l’ARS mobilisés sur la cellule Covid-19 ne chôment pas. L’équipe de prévention chargée de partager les messages sur les gestes barrières est particulièrement sollicitée. Elle travaille en étroite collaboration avec les associations qui sont formées à ces gestes et qui à leur tour doivent transmettre le message à la population.
Depuis le début de la crise sanitaire, l’ARS de Mayotte a fait un appel massif à la trentaine d’associations partenaires afin de travailler ensemble sur la diffusion des messages de santé liés au Coronavirus. “Ce sont des associations qui travaillent sur différents domaines, mais tout le monde s’est mobilisé sur la pandémie. L’objectif est de faire comprendre la maladie, respecter les gestes barrières et répéter inlassablement les messages avec tous types de populations et tous milieux de vie”, indique Julie Durand, chargée de prévention santé environnementale à l’ARS. Ces associations ainsi que les professionnels de santé de l’ARS répondent aux demandes des entreprises ou des autres associations qui souhaitent former leurs collaborateurs. Le déconfinement progressif accélère le travail, et les formateurs sont très sollicités. “On forme au maximum les structures qui vont reprendre les activités pour qu’elles facilitent le respect des gestes barrières et fassent en sorte que ça dure pendant des mois parce que ces gestes vont devenir une normalité pour l’ensemble des citoyens”, selon Julie Durand. Cette dernière le confirme, la présence des associations sur le terrain a permis de sonder la population sur leurs aprioris et leurs doutes. Un partenariat qui a permis d’adapter les messages pour mieux répondre aux questionnements de la population. “Elle a été très réceptive et curieuse de comprendre la maladie. Encore aujourd’hui, on se rend compte qu’il y a plein de gens qui ne l’ont pas cernée. Mais dès qu’on leur explique, ils comprennent, c’est pour cela qu’il ne faut absolument pas baisser les bras malgré la fatigue et continuer à mobiliser tout le monde”, soutient Barbara Massez, infirmière hygiéniste à l’ARS. Cette sensibilisation dure depuis presque trois mois et elle continuera jusqu’en août au moins, selon l’évolution de la pandémie sur l’île. L’équipe de l’ARS forme une dizaine de structures par semaine. Les professionnels affirment ne pas avoir d’objectif particulier si ce n’est de répondre à toutes les sollicitations.
Sensibiliser autrement à plus grande échelle
Les associations et les professionnels ne sont pas les seuls à être formés. Afin de toucher le plus grand nombre de personnes, les mosquées sont mises à contribution. “Les imams font appel à nous. On les aide à sécuriser les mosquées ou même les madrassas pour que la vie reprenne. On essaye de fournir un minimum de matériel parce qu’on n’est pas dotés de manière infinie et le nombre de mosquées à Mayotte est énorme et il faut que les gens se responsabilisent. On sait qu’une santé 100 % gratuite n’est pas efficace”, indique Barbara Massez, l’infirmière hygiéniste. Un énième projet est également mis en place avec les grands distributeurs. “On les a approchés pour la mise en place de ces mesures au sein de leurs sites. On sollicite également les organisations comme la chambre de commerce parce qu’elles ont un réseau et grâce cela, on peut démultiplier les messages”, précise Nassim Guy, adjointe au service prévention à l’ARS. L’équipe affirme ne pas rencontrer de difficultés particulières puisque sa méthode de travail consiste à s’adapter à chaque situation. “Nous ne venons pas avec des solutions toutes prêtes. On essaye de co-construire des réponses adaptées avec les associations et les autres structures et c’est ainsi que les difficultés sont rapidement levées.” Il existe cependant un public compliqué à sensibiliser, mais il est difficile de définir facilement un profil. Et si les adolescents sont moins réceptifs aux messages, “les 8-12 ans sont nos meilleurs alliés sur le terrain. Ce sont de très bons messagers, ils comprennent rapidement et transmettent à leur tour les messages de prévention, ils font même office de police sanitaire”, raconte Julie Durand. Finalement, l’ARS a cerné la particularité de Mayotte et en a fait un atout. Ici, le bouche-à-oreille est plus efficace que n’importe quel média, et l’équipe de prévention contre le Covid-19 compte bien jouer sur cela pour parvenir à ses fins.
Déjà téléchargée par plus de 600.000 personnes d’après le gouvernement, l’app, qui doit permettre de rompre les chaînes de transmission, n’est pas encore active à Mayotte. Explications.
“Ça ne vous dérange pas d’être à la même table que d’autres clients ?” Pas du tout, au contraire. Justement, au fond de mon sac à dos, l’application StopCovid et mon smartphone branché en mode Bluetooth n’attendent qu’une chose : pouvoir repérer d’autres utilisateurs aux alentours. Un peu comme une application de rencontre, mais pour le Covid-19. Pour fonctionner, l’app du gouvernement doit être à proximité d’une personne positive au Coronavirus et qui a elle-même téléchargé l’application, pendant au moins quinze minutes. Après une heure passée en terrasse, à côté d’au moins cinq personnes, force est de constater que mon nouveau gadget ne m’enverra pas de notification. Même bilan des courses rue du Commerce et au supermarché Baobab, où les files d’attente ne permettent pas vraiment de rester aussi longtemps à côté des clients.
Une application décriée
Pour rappel, cette application, développée en grande pompe par le gouvernement au temps fort du confinement, et défendue à plusieurs reprises par le secrétaire d’État au numérique Cédric O, doit permettre de “contribuer au travail des médecins et de l’Assurance maladie, pour alerter au plus vite les personnes ayant été en contact avec les personnes malades du Covid-19, et ainsi casser la chaîne de transmission”, est-il précisé sur le site du ministère de l’Économie. Fortement décrié par les défenseurs de libertés individuelles et de la protection des données personnelles, ce dispositif a toutefois fait l’objet d’un avis favorable de la CNIL. En effet, l’app, gratuite et uniquement basée sur le volontariat, fonctionne avec le Bluetooth, et non la géolocalisation du téléphone. Elle ne brasse par ailleurs pas beaucoup de données personnelles : nom, numéro de téléphone, adresse e-mail… Aucune de ces informations permettant d’identifier l’utilisateur ne sont demandées à l’activation. De plus, l’identification des cas contacts positifs au Covid, pseudonymisée, ne doit en théorie être stockée sur le serveur que pendant 14 jours. Un patient testé positif au Covid reçoit désormais, en même temps que le résultat de son test, un code généré de façon aléatoire, qu’il peut renseigner dans l’application.
Voilà pour le principe. Disponible pour iOS et Androïd depuis mardi, pour accompagner l’étape 2 du déconfinement, StopCovid aurait été téléchargée déjà plus de 600.000 fois. Aujourd’hui encore, elle arrive en première position dans le Top 1 des téléchargements gratuits sur l’App Store en France. Mais sans surprise, le dispositif risque fort de passer à la trappe à Mayotte, alors que le 101ème département entame lui aussi depuis mardi son déconfinement progressif. Première raison évidente : l’application n’est disponible qu’en français. Ensuite, difficile d’imaginer des légions de volontaires pour activer StopCovid à Mayotte, alors que de nombreux patients ont plutôt manifesté leur peur d’être marginalisés en cas de résultat positif…
Une autre plateforme de contact tracing à Mayotte
En réalité, même les administrations du département ne semblent pas miser sur l’application pour leur stratégie de déconfinement. Un patient, testé récemment positif au Covid-19, assure d’ailleurs qu’il n’a reçu aucun code destiné à StopCovid. “Le dispositif n’est pas encore actif de notre côté. À confirmer auprès de l’ARS aussi”, nous signale-t-on du côté du CHM. Contactée, l’ARS assure n’avoir pas reçu d’information de la part du gouvernement sur le déploiement de cet outil à Mayotte. “On doit être quatre à l’avoir téléchargé, et déjà on n’arrive pas tous à l’activer sur notre téléphone. Mais même si l’on pouvait, cette application se base sur un QR code, disponible à partir de la base de données alimentée par le réseau Sidep, qui ne fonctionne pas à Mayotte”, nous explique-t-on. Ce “service intégré de dépistage et de prévention système” constitue en effet une base nominative qui doit permettre de recenser l’intégralité des tests PCR réalisés depuis le 11 mai. Mais faute d’y avoir accès sur l’île aux parfums, les équipes de l’ARS doivent se résoudre à un recensement bien plus manuel, aidées seulement d’un tableur Excel.
Censée venir en appui au travail des médecins et de l’Assurance maladie, l’application n’est pas non plus l’affaire de la CSSM, qui planche plutôt sur son propre dispositif. “L’assurance maladie (donc la CSSM) ne gère pas cette application. À différencier de la plateforme contact tracing déployée par le réseau Assurance maladie et l’ARS. La CSSM communiquera prochainement sur ce dispositif”, nous indique-t-on à la caisse de sécurité sociale. D’après l’agence régionale de santé, cette plateforme d’appel devra permettre de soulager le personnel de l’ARS en dédiant une équipe de la CSSM à ce suivi chronophage des cas contacts. En clair, cette nouvelle arme du gouvernement, déjà contestée sur son efficacité et ses coûts de fonctionnement (elle a été développée bénévolement et n’a donc au moins pas coûté cher à produire) en métropole, ne servira pas beaucoup à Mayotte…
Au quotidien, médecins de l’équipe médicale de suivi et enquêteurs de la brigade de contact tracing de l’agence régionale de santé s’activent pour retrouver les cas contacts des habitants positifs au Covid-19. Une démarche qui demande de la patience et de la persuasion, tant la maladie n’est pas systématiquement prise au sérieux par une partie de la population.
“Bonjour […]. La recherche du covid est revenue positive : vous êtes porteur du Coronavirus.” Chaque jour, pendant une vingtaine de minutes, c’est le même refrain pour Maxime Jean, infectiologue au CHM, et Salimata Diall, médecin de santé publique au réseau périnatal, tous deux détachés de leurs postes respectifs pendant la crise sanitaire pour renforcer l’équipe médicale de l’agence régionale de santé. Au moment de dévoiler le verdict du dépistage, l’un comme l’autre parcourt tout un questionnaire pour mettre à l’aise l’interlocuteur au bout du fil et surtout mieux connaître son environnement pour savoir si un isolement au domicile est possible. “Quand nous annonçons le résultat, nous le faisons en douceur, car il espère, bien évidemment, qu’il sera négatif.” L’empathie est alors le mot d’ordre ! Après avoir instauré une relation de confiance, s’ensuit une avalanche de préconisations comme les risques pour l’entourage, notamment les personnes âgées, celles qui présentent des comorbidités, c’est-à-dire des pathologies chroniques, ou les femmes enceintes. “Nous lui demandons de rester au maximum en dehors du cercle familial et de porter un masque dès qu’il sort de sa chambre.”
Au troisième, tout comme au septième jour, un nouveau contact s’établit pour évaluer une détérioration ou une amélioration de l’état de santé. “Les habitants se sentent abandonnés par le CHM et l’ARS alors que nous suivons les réglementations nationales du ministère de la Santé. Mais il faut insister sur l’auto-surveillance car il s’agit d’une maladie qui se guérit facilement en temps normal”, développe Maxime, qui regrette les attaques incessantes à l’égard des deux institutions sanitaires de l’île. Même si le Covid-19 est semblable, pour une grande majorité, à une grippe saisonnière, il est possible de développer des formes graves, qui nécessitent une hospitalisation. Et en cas de complication, à l’instar d’un essoufflement ou des difficultés respiratoires, les deux collègues recommandent d’appeler le 15 sans plus tarder et non pas l’ARS comme beaucoup le pensent. “Il ne faut pas attendre”, martèle Salimata, qui qualifie son “job” de télémédecine.
Mettre le grappin sur les cas contacts
Mais cet échange régulier a aussi et surtout pour objectif de traquer les cas contacts, qui oscillent entre 5 et 20 pour un cas positif… “Ils nous intéressent pour deux raisons : la première est qu’ils sont susceptibles d’avoir reçu le virus et qu’ils sont en phase d’incubation avec un risque de contracter une forme sévère ; la seconde est que lorsqu’ils développent des symptômes le 25 du mois par exemple, ils vont être transmetteurs ou contaminants à partir du 23”, détaille Maxime. Ainsi, le but du jeu est de leur mettre la main dessus pour bloquer la chaîne de transmission. “Nous passons un temps fou à leur faire comprendre qu’ils participent à la diffusion du virus. Nous nous en fichons de savoir s’ils ont rompu le confinement !”
Justement, pour mettre le grappin sur ces individus, l’équipe médicale de suivi peut compter sur le soutien de la brigade de contact tracing qui regroupe une dizaine d’enquêteurs métropolitains et mahorais. Un mix indispensable pour régler les éventuels problèmes linguistiques, comme cela a pu se présenter au milieu de l’épidémie lorsqu’une majorité des cas ne parlaient pas ou peu le français… Indépendamment de la barrière de la langue, plusieurs autres obstacles se mettent en travers de leur route. En effet, quelques-uns ne répondent pas au téléphone. La raison ? “Il y a beaucoup d’erreurs de numéros alors qu’une confirmation est demandée lors du prélèvement. La proportion de personnes injoignables s’élève à environ 10 %. Si nous essayons de passer par le bureau des entrées du CHM pour les retracer, un certain nombre de dossiers sont classés sans suite”, révèle le docteur Genneviève Dennetière, responsable du service de veille et de sécurité sanitaire. D’autres refusent de divulguer des informations. “Pour eux, le Covid est une maladie honteuse. Ils préfèrent nier son existence”, explique-t-elle. “Les gens ont du mal à dire avec qui ils vivent et où ils travaillent. Ils ont peur du regard de leur voisinage ou de leur famille. Nous avons même rencontré certains d’entre eux à l’extérieur du village pour ne pas montrer la voiture de l’ARS.”
Depuis le 13 mars, les enquêteurs issus des différents services sont sur le qui-vive et s’emploient sept jours sur sept à “éduquer” la population aux risques de contamination. Et leur abnégation commence à payer au regard de l’évolution de la courbe de ces derniers jours selon Genneviève Dennetière. “Nous espérons arriver à la fin d’une circulation massive et ainsi uniquement gérer les clusters et la survenue de cas groupés.” En tout cas, l’ARS va pouvoir envisager un retour à la “normale” dès les prochains jours grâce au recrutement d’une quinzaine de personnes par l’assurance maladie pour continuer le contact tracing. Un bol d’air synonyme de reprise progressive ? L’avenir nous le dira…