Ramadan : « Les Mahorais sont attachés aux moments de convivialité »

Le chercheur et linguiste mahorais, Mlaïli Condro, nous livre son analyse sur les divers changements constatés au fil du temps quant à la pratique du ramadan à Mayotte. Lorsqu’on parle du Mayotte d’avant, la nostalgie prend souvent le dessus. De nombreux croyants évoquent la convivialité, la solidarité, l’entraide, le partage et la sérénité qui régnaient alors pendant cette période si importante pour les musulmans.

 

                        

Flash Infos : Quels sont les changements que vous avez pu constater ces dernières années concernant la pratique du ramadan à Mayotte ?

Mlaïli Condro : Le Ramadan reste l’un des cinq piliers de l’Islam, sur ce point là il n’y pas de changement. Il faut suivre les rites : ne pas manger, ne pas boire, respecter les horaires de prise de repas entre le début de la journée et la fin de journée. Éviter de faire des choses interdites pendant ce mois, considérées comme des péchés. Le musulman en a fait un moment de convivialité. Partager le repas en famille, entre voisins et même avec des étrangers. Aider son prochain plus qu’à l’accoutumée, faire bonne œuvre en multipliant les bonnes actions. C’est un moment de fête pour les Mahorais avec des festivités et des activités. Le Mourengué – la boxe traditionnelle mahoraise au son des tambours  – par exemple, fait partie de ces activités festives qui rythment le mois de ramadan. Il est désormais question de les interdire. La commune de Chirongui le fait déjà pour éviter les troubles à l’ordre public. Par ailleurs, on remarque aussi une tendance à un mouvement austère de la religion porté par certains religieux. Ces « djaoulat« , qui veulent une application stricte de la religion, sont opposés à ces formes de réjouissances. Cela prive les Mahorais de ces moments de convivialité auxquels ils tiennent beaucoup.

FI : Qu’en est-il de la rupture du jeûne ?

MC : Le changement que l’on constate également, est qu’avec la transformation de l’habitat mahorais à la fin des années 1970 et le début des années 1980, le moment de partage du repas et sa préparation ont évolué. L’ancien habitat mahorais, qui suscite beaucoup de nostalgie aujourd’hui, disposait d’une grande cour, souvent e de manière à communiquer avec celle des voisins. Les gens se côtoyaient, participaient ensemble aux préparatifs du grand repas de rupture du jeûne : l’iftar (ou foutari). Les voisins se retrouvaient pour piller le riz ensemble par exemple. Ils retrouvaient le soir pour manger, boire, échanger, discuter et partager des moments de vie. La reconfiguration de l’habitat a donc aussi transformé ces repas. Le nombre de convives a considérablement diminué.  Aujourd’hui il y a un retour, mais pas sous la même forme. C’est le fameux « foutari géant » qui se fait entre collègues de travail, dans le quartier, au sein des associations ou bien avec les grandes familles mahoraises qui ont leurs membres éparpillés aux quatre coins de l’île. Il y a de la convivialité, mais cette nouvelle tendance vise plus à afficher les positions sociales des uns et des autres, en transformant les grands moments du foutari.  La société de consommation a aussi contribué à faire évoluer les choses.

FI : La pratique a-t-elle tendance à s’uniformiser ou conserve-t-elle ses spécificités ?

MC : Auparavant, il n’y avait pas école pendant le mois de ramadan dans les années 1980. Dans les années 1990, on a commencé à réduire les heures cours dans les établissements scolaires. C’est une réelle prise en compte de cet aspect de la part de l’État à Mayotte. Parmi les tentatives de changement, il y a aussi ces religieux qui veulent purifier ce mois en éliminant les éléments qu’ils considèrent comme païens. L’islam, arrivé par le soufisme à Mayotte, se manifeste par une forme de joie. C’est un rapport avec la religion assez singulier. La mondialisation apporte un autre rapport à la religion. Une remise en cause qui s’accompagne de changements positifs, mais aussi négatifs. On réévalue nos pratiques à l’aune des leurs (…) Il convient de définir la culture mahoraise comme une culture de mélanges, du point de vue d’une personne extérieure qui y verra du syncrétisme. Les Mahorais se considèrent comme musulmans, y compris dans les pratiques animistes. C’est le « vrai » monothéisme. On prend le risque de vouloir purifier les choses, d’enlever des choses, c’est le risque de les remplacer par d’autres également. Certains vont dire qu’il faut les enlever, alors que c’est comme ça que l’islam est venu à nous au départ. 

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