Accueil Blog Page 544

Barrages | Reprise de l’activité du port de Longoni

Guidé par « l’impérieuse nécessité de la situation », le préfet de Mayotte a décidé de lever vendredi dernier le barrage de Longoni, débloquant ainsi les précieuses ressources patientant au port depuis plusieurs semaines et un des deux stocks de carburant de l’île. Pour les autres barricades, « on verra en fonction de la situation », a indiqué la préfecture. Du côté du port, l’activité a pu reprendre « à plein régime » pour écouler les quelque 4 500 conteneurs en attente. 

Vendredi a été une journée faste dans l’esprit des habitants de Mayotte. Sur décision du nouveau préfet, Dominique Sorain, le barrage bloquant l’accès au port de Longoni, à la route du nord et à un des stocks en carburant de l’île a été levé vendredi, tôt dans la matinée. Vers 5h du matin, quelque 200 gendarmes, sous la houlette du colonel Leclercq, ont échangé avec les 25 manifestants qui gardaient la barricade et les ont persuadés de quitter les lieux afin que les blindés puissent dégager les axes routiers. Une fois les grévistes partis, les véhicules de la gendarmerie et de la direction de l’Environnement, de l’aménagement et du logement (Deal) ont dégagé la chaussée, en poussant arbres et abattis. 

« Cette opération s’est déroulée sans emploi de la force », s’est félicitée la préfecture qui a précisé les motifs de son intervention par voie de communiqué : « Cette situation a entraîné une gêne considérable pour la population, en particulier une dégradation des conditions sanitaires et l’accès aux établissements scolaires. Ces barrages sont aussi à l’origine de la fragilité économique des entreprises du territoire entraînant entre autres de l’activité partielle. De plus, le barrage installé à la sortie du port de Longoni coupe l’île de tout réapprovisionnement, (ce) qui occasionne depuis une semaine des ruptures importantes dans les magasins d’alimentation et la fermeture de certains. Malgré le dialogue renoué avec l’ensemble des parties prenantes à ce conflit et l’appel unanime tant de l’intersyndicale, du collectif, des élus, des organisations patronales que du grand cadi à la levée des barrages, appel resté sans effet à ce jour, le préfet de Mayotte, délégué du Gouvernement, Dominique Sorain a décidé de procéder, vu l’impérieuse nécessité de la situation, à la levée du barrage de Longoni par la gendarmerie nationale. » Pourtant, le communiqué de presse de l’intersyndicale précisait bien « qu’une majorité de syndicats » était favorable à la levée des barrages lundi, à défaut de l’ensemble de l’intersyndicale, dissension qui a provoqué entre autres le maintien de certaines barricades dès mardi. 

Des agents des forces de l’ordre sont positionnés sur la zone de Longoni afin « de tenir la position » et d’éviter que le barrage ne se reforme, a indiqué vendredi le directeur de cabinet du préfet, qui a précisé qu’une telle levée avait déjà eu lieu depuis le début du mouvement afin de faire passer le ravitaillement en carburant. Interrogé sur l’éventualité de lever d’autres barricades, dont certaines étaient encore en place vendredi, le directeur de cabinet a déclaré : « On verra en fonction de la situation ».

« Il n’y a pas eu de tension », confirme de son côté Maoulida Momed, un des porte-parole du mouvement de lutte contre l’insécurité. « Actuellement, on se concerte pour trouver d’autres modes d’action », a-t-il rappelé.

Une activité qui reprend « à plein régime »

Conséquence de la levée du barrage de Longoni : l’activité du port a pu reprendre « à plein régime » vendredi, indique Jacques-Martial Henry, de la société MCG (délégataire de service public du port).

« Nous disposons sur place de plus de 4 500 conteneurs dont presque 2 000 en transbordement. On n’a pas travaillé depuis le 7 mars », poursuit-il. Seules les embarcations arrivant au port ont pu être déchargées. « L’objectif était d’éviter que les bateaux ne fassent demi-tour ou déposent les conteneurs dans d’autres ports. »

A la clé, des conteneurs de plus en plus nombreux sur le site, qui ont été empilés jusqu’à cinq niveaux. « En temps normal, 80 conteneurs sortent par jour du port. Nous estimons pouvoir en sortir plus du fait qu’on va tourner à plein régime. Il nous faudra presque un mois pour tout écouler », d’autant que « d’autres bateaux vont arriver » pendant ce laps de temps. « On ne connaît pas ce qu’il y a à l’intérieur [des conteneurs]. Ce sont les transitaires eux-mêmes qui le savent, qui vont prendre en priorité les produits périssables, pharmaceutiques et de première nécessité », expose Jacques-Martial Henry.

Le retour à la normale se fera avec la mobilisation des 180 agents de MCG. Des heures supplémentaires vont devoir être payées. « Tout ça va se répercuter sur le consommateur », relève-t-il.

L’afflux de camions de transporteurs risque aussi selon lui de créer des bouchons sur Koungou et Mamoudzou ces prochaines semaines et de ralentir le désengorgement du port. L’afflux de poids lourds sur les axes routiers va aussi dégrader l’état de la chaussée, qui n’a pas pu être entretenue ces dernières semaines, en raison des barrages et par manque d’enrobé pour boucher les nids-de-poule, indiquait mercredi dernier la Deal.

 

Mieux vaut ne pas essayer de recréer le barrage de Longoni

Vendredi matin, suite à la levée du barrage de Longoni, deux personnes ont tenté de le reformer à l’aide de pneus et ce, à deux reprises. Elles ont été déférées devant le parquet et convoquées pour une audience correctionnelle en septembre 2018, a indiqué par voie de communiqué le parquet de Mamoudzou. La qualification retenue est « entrave à la circulation des véhicules sur une voie publique », punie de deux ans d’emprisonnement, pouvant être « portée à 7 ans en cas d’entrave d’un véhicule de secours pour une personne en péril (ambulance, pompiers ou forces de l’ordre en intervention) », rappelle fermement le parquet. Toutefois, « sans antécédents pénaux, les deux individus ont été laissés libres après leur déferrement ». « Le parquet souhaite faire savoir que toute personne qui tentera de reconstituer un barrage levé par les forces de l’ordre s’expose aux mêmes poursuites. Par ailleurs et comme annoncé, des enquêtes sont en cours suite à des plaintes de personnes ayant subi diverses infractions sur ces barrages ou à leur proximité immédiate. »

Le calvaire des lycéens pour réviser le bac

-

Malgré la mise en place de dispositifs pour réviser le bac sur Internet, l’inquiétude des lycéens grandit et leurs révisions stagnent. Un phénomène préoccupant à presque deux mois de l’examen.

« Je voulais devenir ostéopathe. Mais les écoles ne recrutent que les élèves aux meilleurs résultats. Avec presque deux mois sans révisions ni cours, je vais finalement me réorienter pour devenir infirmière ». Face aux difficultés pour préparer le bac, Maïssara a sacrifié ses ambitions sur l’autel de la grève générale. Un problème parmi tant d’autres que le vice-rectorat a tenté de résoudre mi-mars grâce à des cours en ligne. Aujourd’hui, cette méthode semble montrer ses limites.  

Dans un communiqué daté du 18 mars, Nathalie Costantini, le vice-recteur de Mayotte, exposait le partenariat mis en place avec le Centre de documentation pédagogique pour venir en aide aux élèves. Au programme : des cours et un tutoriel d’installation censés permettre aux lycéens de réviser l’examen. Le 3 avril, des chiffres positifs sont avancés quant au dispositif mis en place pour permettre aux élèves de réviser sur Internet : « Nous avons eu plus de 1 000 téléchargements des cours du CNED (Centre national d’enseignement à distance, NDLR) le premier jour d’ouverture de la plateforme », se réjouit le vice-recteur au travers d’un courrier d’encouragement adressés aux enseignants. 

Pourtant, nombreux sont les élèves qui n’ont pas pu bénéficier de cet outil : « Je n’ai pas pu profiter de ce dispositif dans la mesure où, comme de nombreux camarades, je n’ai pas d’ordinateur. Et puis, les cours sont déjà difficiles à comprendre avec un prof en face de nous… Alors sur Internet, c’est encore pire ! », déplore Chantal du lycée de Mamoudzou Nord. Un sentiment partagé par les élèves bénéficiant d’un ordinateur et d’une bonne connexion : « Ce n’est pas facile de réviser sur Internet. On n’y comprend rien ! En l’absence d’explication, on a vite tendance à laisser tomber », explique Nistadhi, 18 ans. Pour Maïssara, ces obstacles sont renforcés par les difficultés des élèves à communiquer avec leurs enseignants : « Certains profs sont à la ramasse niveau informatique. Ne serait-ce que pour ouvrir nos mails, il faut batailler pendant des jours. C’est décourageant. »

Mes journées ? Un enfer !

Face à ces difficultés, le quotidien décrit par les lycéens est parsemé d’ennui et d’angoisse : « Mes journées ? Un enfer ! Je tourne en rond sans savoir quoi faire tout en sachant que le bac arrive à grands pas », décrit Nistadhi. Un sentiment partagé par l’ensemble des lycéennes interrogées : « Je suis très angoissée et mes parents aussi. Je ne dors pas la nuit. Quand j’en parle à mes camarades, elles partagent toutes cette impression », s’alarme Chantal. Malgré les consignes adressées aux professeurs de dispenser des cours dans les établissements les plus proches de leur domicile, nombreux sont les lycéens encore bloqués par les barrages. Leur seul espoir : la levée rapide de ceux-ci pour retourner dans les salles de classe. Une volonté qui se retrouve même chez les lycéens au départ favorables au mouvement social, comme nous l’explique Nistadhi : « J’ai participé aux manifestations dès le début de la grève car l’insécurité est un problème qui nous concerne tous. Mais le mouvement a pris des proportions regrettables. Aujourd’hui, tout ce que je veux, c’est réviser mon bac », résume-t-elle.

 

Grève générale | Encore huit barrages ce mercredi

La base résiste. Alors que les organisateurs de la grève générale avaient appelé à la levée des barrages dès lundi soir, les obstructions routières se sont poursuivies mercredi sur l’île, au grand dam de l’intersyndicale et du collectif.

Longoni, Tsararano, Chirongui, Chiconi, Coconi, Dembéni, Nyambadao et Koungou : huit barrages paralysaient encore l’île mercredi, en fin d’après-midi, selon la préfecture. Celui de Koungou n’était pas tenu par des manifestants en fin de journée. Ces barrages se sont donc multipliés, par rapport à mardi, mais « leurs conditions sont plus permissives », indique la préfecture, précisant qu’ils laissaient passer les piétons et les véhicules sanitaires, de secours et des forces de l’ordre (à l’exception de Longoni, qui ne laisse passer que les piétons).

« On a eu un problème de communication », reconnaît Maoulida Momed, un des leaders du mouvement. « On continue le travail de pédagogie auprès des barragistes », déclare celui qui espère une levée totale des barricades pour vendredi. Désormais, nous apprend-il, les manifestants demandent que la France « accélère le travail diplomatique » avec les Comores et qu’elle confirme « que dès que la crise diplomatique sera résolue, les reconduites à la frontière reprendront ». L’intersyndicale et le collectif devaient faire remonter cette demande auprès du préfet mercredi après-midi, en marge d’une réunion avec le délégué du gouvernement.

Les nombreux points de blocage encore en place ont sans doute compliqué l’action de la Deal (Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement) ce mercredi. La veille, la levée partielle des barrages a permis de « dégager un certain nombre d’axes qui ont été rebloqués pour partie dans la même journée », souligne le chef du service infrastructures. « Nous ne sommes pas là pour lever les barrages. On vient une fois que la préfecture nous en a donné l’ordre à la suite ou en accompagnement des forces de l’ordre pour lever les encombrants qui bloquent la circulation », poursuit-il. « S’il y a des gens sur les barrages, on n’intervient pas. » Parmi les interventions menées mardi sur les routes nationales et départementales, celle sur la RD3 entre Vahibé et Miréréni retient l’attention, puisqu’il y avait « énormément d’arbres tombés ». 

Et le chef du service infrastructures de la Deal d’ajouter : « Des grévistes ont pris le parti de dire qu’ils nous rendent service en coupant des arbres. » La réalité est toute autre. « C’est un vrai souci. Nous, ça nous pose des difficultés au niveau de l’exploitation du réseau routier et sur la problématique de la biodiversité et de la gestion du réseau en eau », affirme-t-on du côté de la Deal.

Par ailleurs, dans ce contexte de multiples obstructions, « on n’est pas en capacité d’assurer le patrouillage et la sécurité des usagers de la route », déplore le chef du service infrastructures. Pire : la Deal manque d’enrobés pour boucher les nids-de-poule, du fait de la fermeture de l’usine de Koungou qui les produit, en raison de la grève. Les trous s’accumulent, notamment sur le réseau départemental.

Le responsable de la Deal indique également que le week-end du 24-25 mars a été marqué par l’effondrement d’un ouvrage hydraulique dans le secteur de Dzoumogné. Et comme « les gros engins sont stockés au parc de Kawéni », impossible de faire une réparation complète. Une solution provisoire a été mise en œuvre. La Deal arrive à « continuer de travailler sur le glissement de Majicavo » qui s’est produit mi-mars mais de nombreux autres travaux ont été retardés. « Pour revenir à la normale, ça va être compliqué ».

Une autre interception de kwassa par des villageois

Un kwassa a été intercepté mercredi en fin de matinée par des villageois à Bouéni, a confirmé la préfecture. Vingt personnes à bord ont été interpellées, majoritairement des Africains originaires du Burundi et du Rwanda, et quelques Comoriens.

 

Entrevue | « Nous sommes arrivés à une vue commune sur beaucoup de sujets »

-

Trois jours après son arrivée à Mayotte, le préfet et délégué du gouvernement, Dominique Sorain, est parvenu à un début de sortie de crise avec un appel des syndicats et du Collectif des citoyens à lever les barrages. Nous l’avons rencontré hier. Extrait de l’entretien, à lire dans son intégralité dès vendredi dans Mayotte Hebdo.

Mayotte Hebdo : Dimanche 2 avril, les discussions menées avec l’intersyndicale et le Collectif des citoyens ont amené à une demande de levée des barrages par ces derniers, actant un début de sortie de crise. Comment s’est déroulée cette rencontre ? 

Dominique Sorain : J’ai souhaité voir l’intersyndicale et le collectif dès samedi, comme d’ailleurs un maximum d’acteurs : les élus, le monde économique, le président du Conseil départemental. Nous nous sommes vus pour nous connaître et voir comment nous pouvions travailler ensemble. J’ai proposé que nous nous voyions dès le lendemain (dimanche 2, NDLR) pour aborder les questions de sécurité, qui représentent le sujet principal de préoccupation avec la lutte contre l’immigration illégale. Nous avons eu une réunion assez longue, 7h30, où nous avons discuté et regardé toutes les possibilités. Je pense que nous sommes arrivés à une vue commune sur beaucoup de sujets, avec bien sûr des pas de temps différents puisque certaines mesures peuvent être mises en place immédiatement, et d’autres nécessitent un peu plus de temps.

Dans les mesures d’application immédiate, il y a le renforcement de la présence de la police et de la gendarmerie de façon générale, annoncé ce week-end, et la mise en œuvre de la surveillance de l’environnement scolaire, qu’il s’agisse de la proximité des établissements ou des transports, dès cette semaine. J’y veillerai personnellement et j’irai moi-même m’assurer que cela fonctionne. Nous avons aussi parlé de l’évolution des effectifs, de celle d’un certain nombre de services, etc. Je pense que nous pouvons travailler en confiance ensemble. C’est la raison pour laquelle je leur ai demandé, en fin de réunion, que la situation redevienne normale à Mayotte.

L’État a tenu ses engagements en matière de sécurité : il y a des renforts de gendarmerie mobile, des renforts en termes d’effectifs qui vont se faire, etc. Un délégué a été nommé, et les discussions sont entamées. Je donne un programme de travail, un certain nombre d’assurances sur un certain nombre de sujets, notamment sur la départementalisation de Mayotte, où il n’y a aucune remise en cause. C’était un des sujets qui était assez présent. Je m’engage en tant que délégué du gouvernement.

Ils voulaient également des assurances sur le fait que leur plateforme revendicative serait prise en compte pour l’élaboration de ce qu’on a baptisé « le plan de développement pour Mayotte ». Bien sûr, ce n’est le seul document. Il y a d’autres propositions qui existent : celles des élus, celles du Conseil départemental, ou celles du monde économique. Ceci dit, elles se recoupent très souvent. 

MH : Les syndicats ont en effet annoncé que les discussions se feraient sur la base de leurs 101 mesures…

DS : Quand je discute avec eux, oui. Mais il y aussi d’autres demandes. Les entreprises portent des demandes spécifiques, par exemple. Quand vous parlez de l’avenir du Conseil départemental, cela concerne le Conseil départemental ; quand on parle des questions relevant des communes, cela concerne les communes. Je prendrai bien en compte l’ensemble des propositions formulées par l’ensemble des parties prenantes ici, à Mayotte.

MH : Tous les syndicats n’étaient pas favorables à la levée des barrages. 

DS : Moi, je les ai tous réunis. Ma porte est toujours ouverte. Je les ai reçus tout de suite, je voulais voir tout le monde. Je sais qu’il y avait débat entre eux, avec des visions un peu divergentes, mais globalement, il s’agissait pour tous de chercher des solutions.

MH : Vous êtes donc plutôt confiant ? 

DS : Il faut toujours être vigilant, prudent. Mais c’est une question de rétablissement de la confiance. Il faut que l’on se batte tous pour l’avenir de Mayotte : État, Département, communes, intercommunalités, syndicats, associations, collectifs, etc. Mais il faut que l’on ait un référentiel commun pour le développement du territoire. C’est absolument essentiel de partager les mêmes objectifs et de ne pas revenir dessus tous les six mois, même si cela peut évoluer en fonction de la situation, bien sûr. Il faut que l’on arrive à ce résultat et qu’à la fin du mois, nous ayons produit un document qui sera approuvé et qui engagera l’État pour Mayotte.

 

 

 

 

 

 

Crise sociale | Le nouveau préfet veut « un plan pour l’avenir de Mayotte »

Ce « référentiel commun » doit être acté d’ici à la fin du mois. Ce ne doit « pas être un énième plan », précise Dominique Sorain, le nouveau préfet de l’île et délégué du gouvernement. Il a longuement échangé avec l’intersyndicale et le collectif à l’origine du mouvement social ce week-end.

Ce vendredi était « plus qu’une prise de fonction du préfet » à Mayotte, a rappelé le principal concerné, Dominique Sorain, lors d’une conférence de presse vendredi, quelques heures après son arrivée sur l’île. « C’est une prise de fonction du délégué du gouvernement qui est entouré ici d’une équipe » chargée pendant un mois de trouver une sortie de crise. Dominique Sorain restera quant à lui en poste plus longtemps. « Le gouvernement a entendu le message des collectifs, des élus, de l’intersyndicale », estime le nouveau préfet. Sa nomination est le gage, selon lui, d’une « méthode renouvelée » pour faire évoluer la situation rapidement. 

Comme délégué du gouvernement, il peut « parler de façon plus directe et plus efficace » à l’exécutif, assure-t-il. « Mayotte sera une priorité dans les semaines qui viennent ». Cela doit « se traduire de façon concrète » avec une « évolution dans la vie quotidienne de nos concitoyens », précise Dominique Sorain.

Des concitoyens qui l’ont accueilli avec entrain au barrage du Four à chaux, vendredi midi. « Il était vraiment à l’écoute », salue une manifestante. Le préfet lui-même s’est dit « très marqué » par ces échanges. « Les gens parlaient avec leurs tripes (…) Ce n’est pas normal qu’on ait peur, qu’on risque d’être attaqués », reconnaît-il.

« Pas de conditions » aux négociations

Il promet avant la fin du mois d’avril un « plan pour l’avenir de Mayotte qui ne doit pas être un énième plan ». D’ici là, au programme : « un travail intense de rencontres, de contacts [à Mayotte] de façon à ce que ça puisse être arbitré au plus haut sommet de l’État (…) Notre ambition serait d’avoir un référentiel commun entre l’État, les élus et les différents partenaires ». Si le préfet n’évoque aucune enveloppe budgétaire spécifique pour Mayotte, il assure : « On n’est pas dans une logique de rabais ». Le représentant de l’État « ne pose pas de conditions » de levée des barrages pour avancer sur ce plan d’actions.

Alors qu’une partie de la presse nationale s’est fait l’écho de l’éventualité d’un changement de statut de l’île, Dominique Sorain se veut rassurant : la départementalisation n’est pas remise en cause. S’il y avait une évolution, « ça ne serait qu’à la demande des élus », poursuit le désormais ex-directeur de cabinet d’Annick Girardin, la ministre des Outre-mer. « C’est moi au cabinet qui suivais depuis plusieurs semaines le dossier mahorais ».

Questionné sur les « décasages » intervenus ces derniers jours, Dominique Sorain souligne que « les habitants n’ont pas à se faire justice eux-mêmes ». Mais « quand des personnes sont en situation irrégulière dans un territoire, elles n’ont pas vocation à y rester », précise-t-il également. « ll faut que le gouvernement comorien réadmette ses ressortissants. La situation n’est pas acceptable ».

Ces mêmes propos ont sans doute été tenus samedi à l’intersyndicale et au collectif à l’origine du mouvement social contre l’insécurité. Le préfet les a rencontrés trois heures. « Même si le collectif et l’intersyndicale reconnaissent la volonté du délégué de dialoguer, rien ne peut aujourd’hui garantir que nos 101 mesures aboutiront. Par conséquent, la population doit rester vigilante concernant la question du statut, de la sécurisation et du développement de Mayotte. Le collectif et l’intersyndicale prendront le temps de la concertation de la base pour convenir de la suite à donner aux actions », informent les organisateurs dans un communiqué, en marge de l’entretien.

Dimanche, une seconde réunion, qui a duré plus de sept heures, s’est tenue entre la délégation du gouvernement, l’intersyndicale et le collectif. « Le dialogue a avancé sur de nombreux sujets notamment la sécurité avec la lutte contre l’immigration clandestine et l’habitat illégal, la création d’un service spécialisé pour lutter contre les réseaux, etc. », a indiqué la préfecture sur sa page Facebook.

« Trop c’est trop »

La réunion s’est sans doute tenue dans une ambiance pesante, alors que dans la nuit de samedi à dimanche, l’un des leaders de la grève générale, Fatihou Ibrahime, a publié un communiqué pessimiste : « Je suis fatigué d’aller et venir à Mamoudzou sans rien de concret et cela me coûte cher en carburant pour rien au final. Je refuse d’entrer dans le système du politiquement correct dans lequel on veut me faire entrer contre mon gré. Je refuse de devenir celui qui comme les autres, tente à chaque fois de noyer le poisson face aux regards parfois inquisiteurs mais ô combien justifiés, de ceux qui sont tout autant fatigués (si ce n’est plus) mais qui ont besoin que les choses changent réellement à Mayotte (…) Demain, il y a intérêt à ce que nos négociations avec le délégué du gouvernement aboutissent, sinon je romps avec le silence de ces derniers jours et je dis tout, comme je le pense. Advienne que pourra car trop c’est trop. »

Le CV du nouveau préfet

Dominique Henri Sorain, né en 1955 à Caudéran (Gironde), est diplômé d’une licence de Droit obtenue à Bordeaux et a été décoré Chevalier de la Légion d’honneur, Officier de l’Ordre national du mérite et Chevalier du Mérite agricole, nous apprend la préfecture de Mayotte. Il a successivement été attaché d’administration centrale au ministère des Finances, administrateur des Affaires maritimes, administrateur civil au ministère de l’Agriculture, directeur départemental de l’agriculture et de la forêt de Dordogne, directeur des pêches maritimes et de l’aquaculture au ministère de l’Alimentation, de la pêche et des affaires rurales puis secrétaire général au ministère de l’Agriculture et de la pêche. En 2009, il devient préfet des Vosges et est titularisé en 2010. En 2011, il devient préfet de l’Eure puis en 2014, préfet de La Réunion. En 2017, il est directeur de cabinet de la ministre des Outre-mer avant d’atterrir en 2018 à Mayotte en tant que préfet et délégué du gouvernement.

Les nouveaux engagements du préfet

Sur la page Facebook de la préfecture de Mayotte, le nouveau préfet détaille les engagements d’ores et déjà pris en termes de sécurité : « Le préfet met en place des mesures d’application immédiate : Renforcement des patrouilles de police et de gendarmerie sur la voie publique ; Patrouilles de police et de gendarmerie aux abords des établissements scolaires les plus sensibles, et dans les transports scolaires ; Application des décisions judiciaires d’expulsion et de destruction de l’habitat illégal dès la fin de la trêve cyclonique le 15 avril prochain ; Création d’un groupe d’enquête spécialisé dans la lutte contre les filières d’immigration clandestine (composé de police, gendarmerie, douanes et finances publiques) ».

 

Des habitants interceptent des clandestins

Une quarantaine d’habitants a retenu jeudi une partie des clandestins qui ont débarqué en kwassa-kwassa sur la plage de M’tsamoudou, au sud de Mayotte. Rapidement dépêchés sur place, les gendarmes ont interpellé la vingtaine de sans-papiers présents. Ils ont obligation de quitter le territoire français. D’autres passagers de l’embarcation ont a priori réussi à prendre la fuite.

Mayotte et moi | Chamsiddine Cham, dit Cousin

-

C’est comme la famille

« Chez Cousin », c’est le snack-bar connu de tous à Mamoudzou. Restauration rapide ou plats mahorais traditionnels accompagnés d’une ambiance chaleureuse : la bonne humeur y est toujours au rendez-vous. Rencontre avec son patron, Cousin, lui aussi connu de tous.

Au début, « Chez Cousin » c’était un camion-bar. Un camion-bar qui sillonnait l’île lors de concerts et autres activités, avec à son bord, entre autres, des paninis et sandwichs chauds. Aujourd’hui, le camion est à l’arrêt et a laissé place à un restaurant-snack installé à Cavani, bien ancré dans le paysage mahorais. 

Cousin, de son vrai nom Chamsiddine Cham, a vécu 12 ans à Marseille et 10 ans en région parisienne. Après avoir travaillé pendant sept ans au sein du groupe Rocher pour l’agencement des boutiques Petit bateau en France et en Europe, il décide de rentrer sur son île natale, avec … aucun projet en tête ! « Quand je suis arrivé à Mayotte, j’étais perdu », avoue Cousin, qui avait quitté son île depuis l’âge de 16 ans sans jamais y revenir. « Quand tu reviens, tu vois tout le changement, rien n’est plus comme avant ». 

Dans un premier temps, il rejoint la société immobilière de Mayotte (Sim) mais il n’y fera pas long feu. Un autre projet trotte dans sa tête : devenir taximan. Un projet  » farfelu » – comme lui faisait ostensiblement remarquer ses proches – pour ce jeune homme qui gagnait bien sa vie dans l’Hexagone. Cousin se justifie : « On se moquait de moi, mais c’était ce que je voulais faire ». Contre toute attente, « le petit projet de taximan » prend vite de l’envergure, Cousin achète alors un minibus de neuf places, appelé Sarah Transport, et procède au ramassage des scolaires en partenariat avec SMTS (ancienne ligne de transport scolaire). Aujourd’hui, Sarah Transport existe toujours, la société compte à son actif deux gros bus. 

Alors que son « business » bat son plein, après mure réflexion, Cousin décide de se lancer dans la restauration, un domaine qu’il ne connait pas encore, bien qu’il ait « tout fait » en métropole. Un souvenir lui revient à l’esprit : celui d’un camion-bar singulier, entrevu à Berlin, lors de ses nombreux déplacements en Europe. L’aventure durera huit ans. 

Chez Cousin, un nouveau tournant 

Aujourd’hui, le point de rendez-vous à Cavani, c’est bel et bien Chez Cousin. Ce snack situé en plein cœur de Mamoudzou connaît un succès fulgurant depuis son ouverture en 2012. Son atout ? Cette proximité et cette simplicité partagées avec les clients, comme à la maison ! 

« Je n’ai jamais demandé d’aide », indique Cousin, qui n’a d’ailleurs jamais suivi de formation poussée ni dans le domaine de la restauration, ni dans un autre, et qui surtout, n’a pas honte de le dire. Le snack est le fruit de ses maigres économies et il en est fier. Nouvelle terrasse avec une nouvelle « déco » et des clients fidèles, qui « se sentent chez eux ». Cousin souligne d’ailleurs un fait : les habitants du sud sont nombreux à effectuer le déplacement jusqu’à Cavani. 

Cousin, c’est aussi l’ami des jeunes mahorais. Un exemple de ténacité sûrement. Un impact auprès de la jeunesse qu’il reconnait avec humilité :  » Les jeunes se souviennent de moi, car à mon retour à Mayotte je jouais au football avec eux au sein du Football Club de M’tsapéré. Aujourd’hui, je les guide dans leurs différents projets. Je leur donne un coup de main, il y a de la place pour tout le monde ». 

Si, aujourd’hui, Cousin est devenu son pseudonyme officiel – on oublie même de l’appeler Chamsiddine -, c’est avec grand plaisir que le patron accepte ce surnom. 

Ma bonne idée pour Mayotte

« Je ne sais pas. Il y a de l’espoir uniquement avec l’aide de la France. Si l’État nous laisse comme on est partis, c’est fini pour nous. Tous les ans c’est de pire en pire. De notre côté, on a tendance à laisser les choses passer en se disant que demain ça ira mieux. Il faut également qu’on réagisse à notre niveau ». 

Mon meilleur souvenir à Mayotte

« La rencontre avec ma femme. Je n’ai pas d’autre réponse. Ma femme et tout ce qui a suivi derrière, mes beaux enfants ». 

Ma photo marquante

« Mon mariage, en 2010. C’était le plus beau jour de ma vie. J’étais stressé comme pas possible, mais c’était le plus beau jour de ma vie, je n’oublierai jamais ». 

Mon endroit favori

« Le village de Combani. C’est chez moi. Il y a une odeur particulière qui n’existe que là-bas. Si tu me fais aller là-bas en me bandant les yeux, je saurais que je suis à Combani ». 

(Crédit photo : Isabelle Bonillo) 

Une nouvelle carte 

De la restauration rapide, à des plats plus traditionnels mahorais, le menu « Chez Cousin » se veut divers à l’image de la clientèle. En outre, depuis le 18 février, le restaurant snack propose des pizzas finement préparées par Souvenir. Une nouveauté gourmande qui marque l’évolution du snack et qui accompagne les nombreux concerts, spectacles et karaokés qui ont lieu tous les vendredis à 20h. 

 

 

Grève générale | Annick Girardin présente sa task force

La ministre des Outre-mer a annoncé mercredi la nomination d’un émissaire du gouvernement à Mayotte. Il est attendu sur l’île d’ici la fin de la semaine et est nommé préfet exceptionnel. Avec sa délégation, il a un mois pour trouver une sortie de crise.

« L’heure est aux réponses concrètes et aux actes forts. Je suis à la fois lucide sur la réalité de Mayotte et déterminée à apporter des solutions à la hauteur des enjeux », a assuré mercredi la ministre des Outre-mer. Annick Girardin s’est exprimée depuis Paris sur la situation tendue dans le 101ème département, en proie à une grève générale contre l’insécurité depuis six semaines.

« Lors de mon passage à Mayotte, j’ai pu mesurer à quel point la confiance s’est brisée entre l’État et les citoyens […] Afin de rétablir cette confiance, et de renforcer significativement la présence de l’État sur place, j’ai proposé au président de la République de nommer M. Dominique Sorain délégué du gouvernement à Mayotte. Dominique Sorain […] est mon actuel directeur de cabinet et il sera, de façon exceptionnelle, nommé préfet du département. Il sera en poste avant la fin de la semaine. Dominique Sorain est un grand serviteur de l’État, un préfet expérimenté, un fin connaisseur des enjeux régionaux de l’océan Indien. C’est en outre une personnalité respectée qui incarne les valeurs de la République », poursuit-elle de façon élogieuse.

Une équipe interministérielle va l’accompagner à Mayotte dans son travail. Elle est composée de Sylvie Especier, sous-préfète et responsable de la cellule nationale de coordination et d’appui à l’action territoriale, qui a déjà été sous-préfète à Mayotte en 2012, Nicolas Clouet, inspecteur de l’administration de première classe, Antoine Poussier, sous-directeur de la protection du ministère de l’Intérieur, Philippe Schmit, inspecteur général de l’administration du Développement durable, Pierre Lussiana, inspecteur général à l’inspection générale de l’Éducation nationale et de la recherche et du docteur Grégory Emery, sous-directeur adjoint performance à la direction générale de l’offre de soins.

Un mois pour sortir de la crise

Les membres de la délégation « couvrent tous les champs prioritaires (logement, santé, éducation, administration, sécurité, transports…) », se félicite la ministre. « Cette équipe sera en lien direct avec les élus, les acteurs du mouvement social et toutes les composantes de la société civile pour présenter, dans un délai d’un mois, un train de mesures sociales et économiques en faveur du développement et du redressement du territoire. » Ils travailleront « sur une sortie de crise durable. Elle prendra appui sur les revendications, les demandes des élus et les contributions des citoyens formulées lors des Assises des Outre-mer », précise la ministre.

« Je coordonnerai l’élaboration de ce plan d’action pour Mayotte et un point d’étape « à mi-parcours » sera fait à Paris au cours de la semaine du 16 avril en présence du Premier ministre, des membres concernés du gouvernement et des élus du territoire. Le président de la République souhaite engager avec les élus du territoire un nouveau modèle de développement. Il s’est engagé à recevoir les élus de Mayotte à l’issue de ces travaux. Il conclura, avec eux, ce nouveau contrat républicain », annonce Annick Girardin.

« Des faits graves passibles de poursuites »

« Depuis plus d’un mois, le blocage des îles de Mayotte par des barrages a aggravé les difficultés préexistantes. La rentrée scolaire n’a pu se tenir de façon satisfaisante, les services publics ont été paralysés, l’accès aux soins et l’approvisionnement en denrées de première nécessité ont été fortement perturbés. Malgré les appels de la préfecture à laisser passer les véhicules prioritaires sur les barrages, les difficultés en matière de transport ont fragilisé davantage les plus vulnérables », déplore Annick Girardin. Elle rappelle que « les Mahorais ont des droits et des devoirs. Même si les revendications des grévistes sont parfaitement légitimes, je dois rappeler ici que les entraves à la circulation, la mise en danger d’autrui, les opérations de justice communautaire, le racket organisé sur certains barrages sont des faits graves passibles de poursuites », met-elle en exergue.

« Par ailleurs, je veux rappeler ici que les élus du territoire sont les premiers interlocuteurs de l’État. C’est la base du pacte républicain. Il est inadmissible que certains élus ayant choisi le dialogue et l’apaisement aient été menacés et traités de traîtres. Je pense ici à la maire de Chirongui et au vice-président du Sénat, Thani Mohamed Soilihi, que je tiens à remercier », précise Annick Girardin, au risque de jeter de l’huile sur le feu, alors que les élus locaux et les organisateurs de la grève générale se sont réconciliés ce mercredi (lire par ailleurs).

 

Immigration | Des enfants français placés au centre de rétention administrative

-

Selon un communiqué du Collectif Migrants Outre-mer, plusieurs  enfants français auraient été placés au centre de rétention administrative (CRA) de Pamandzi ces dernières semaines. Le collectif dénonce également la rétention de parents d’enfants français en possession de documents administratifs prouvant leur identité. Des actes assimilés à une « violation des conventions internationales ».

« Une machine à expulser à plein régime ». Tels sont les mots employés par le Collectif Migrants Outre-mer pour décrire la situation de ces dernières semaines à Mayotte. Par communiqué, le collectif décrit une situation pour le moins préoccupante : « Sont enfermés des parents d’enfants français, des conjoints de Français depuis presque dix ans, des mineurs… qui détenaient souvent au  moment de leur interpellation des documents justifiant leur situation », accuse-t-il en précisant : « Faut-il rappeler que toutes ces personnes sont protégées par la loi contre l’expulsion ? » Le communiqué avance en outre le nombre de « 800 expulsions en 8 jours ». Egalement dénoncée : l’expulsion de nombreux individus du fait de l’expiration de leur titre de séjour « en raison de la fermeture depuis presque un mois du service en charge du renouvellement des titres de séjour de la préfecture de Mayotte ». 

« Violation des conventions internationales »

La semaine dernière, la Cimade confirmait à l’AFP « qu’énormément de personnes ont été éloignées, alors qu’elles sont parents d’enfants français ». Mais selon le Collectif Migrants Outre-mer, des erreurs plus graves encore auraient été commises. Le communiqué indique à la date du 19 mars « l’interpellation d’une mère d’un nourrisson de quatre mois de nationalité française. Pour qu’elle puisse l’allaiter, le nourrisson a dû être amené auprès d’elle dans le centre de rétention administrative ». Le lendemain, le collectif évoque « l’interpellation et le placement en rétention de deux mères de famille accompagnées par leurs enfants français alors même qu’elles disposaient des cartes nationales d’identité française de leurs enfants ». Des actes considérés par le collectif comme une « violation totale des conventions internationales notamment au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant ». Contactée par Flash Infos, la gendarmerie explique « ne pas souhaiter s’exprimer sur le sujet ».  Même son de cloche du côté de la police aux frontières qui précisait la semaine dernière qu’un communiqué de la Préfecture serait prochainement publié. 

 

 

Deux décès en 24h liés aux barrages, selon un médecin

Mayotte s’enfonce dans la crise sanitaire. En 24h, un nourrisson de quatre mois est mort des suites d’une bronchiolite et un homme d’un AV C. Ces deux décès auraient pu être évités si l’île n’était pas paralysée, selon un médecin. Le personnel du SMUR est par ailleurs en droit de retrait mais “il fonctionne”.

La liste des décès suspectés d’être causés par la paralysie de l’île s’allonge. Dans la nuit de lundi à mardi, un enfant est décédé des suites d’une bronchiolite à l’hôpital périphérique de Dzoumogné. “La maman a dit que ça faisait plusieurs jours qu’elle n’osait pas venir au dispensaire car elle risquait d’être refoulée au barrage […] Elle avait peur de se faire molester”, du fait de sa présence en situation irrégulière à Mayotte, rapporte le docteur Durasnel, du centre hospitalier de Mayotte. Vice-président de la commission médicale d’établissement, il s’exprime “à titre personnel” dans nos colonnes. La mort de l’enfant serait ainsi “en rapport avec un retard de prise en charge”. Une autre source médicale confirme anonymement le décès du nourrisson, âgé de quatre mois, “en raison de l’impossibilité de le ramener aux urgences de Mamoudzou à cause des barrages”.

“À Koungou ce [lundi] matin, une ambulance du service départemental d’incendie et de secours a été retardée plusieurs minutes sur un barrage. Cette ambulance transportait une personne victime d’un accident vasculaire cérébral. Cette personne est décédée à son arrivée aux urgences”, indique de son côté la préfecture, par voie de communiqué. Elle ne fait pas de lien de cause à effet entre ces deux événements, tout en déplorant ces “difficultés sanitaires liées aux barrages”. Pour le docteur Durasnel, il n’y a “pas de doute […] Le décès est en rapport avec le retard de prise en charge”. De son côté, l’intersyndicale “refuse cette responsabilité”. D’après elle et plusieurs témoignages d’infirmiers sur place qu’elle aurait recueillis, cette personne n’était “pas récupérable” et “est décédée chez elle”. Elle aurait été “transférée à l’hôpital pour le geste”, a déclaré le syndicaliste Salim Nahouda. “L’ambulance a passé le barrage très rapidement (…) Je n’accepte pas cette désinformation et ces accusations”, ajoute-t-il encore.

Calme suspect en pédiatrie

“Depuis le début du mouvement, quatre décès sont en rapport avec la situation” de la grève générale, affirme le docteur Durasnel. Le médecin avait développé les circonstances des deux autres décès lors d’une conférence de presse, le 14 mars dernier. Un enfant était mort suite à “des problèmes respiratoires […] à domicile. Les parents n’avaient jamais fait appel au Samu. [Ils] nous ont expliqué avoir essayé d’aller au dispensaire et ne pas avoir pu […] à cause des barrages. Il y a un autre enfant qui est décédé à domicile, qu’on n’aurait pas pu aller chercher parce que le chemin était bloqué. Il était décédé au moment de l’appel des parents.” A l’époque, un responsable des pompiers confirmait dans nos colonnes le décès d’un nourrisson de deux mois, à Koungou. Les soldats du feu avaient été ralentis dans leur intervention par un barrage, sans que l’on puisse faire de lien entre la mort de l’enfant et cet élément.

“La crainte qu’on a, c’est qu’il y ait un certain nombre de décès dont on n’est pas informé ou dont on ne sera jamais informé”, indique désormais le docteur Durasnel. “On n’a rien pour l’étayer. À titre d’exemple, il y a une épidémie de bronchiolite” et un service dédié a été mis en place pour la prise en charge de ces jeunes malades, au centre hospitalier. Or, “on est surpris de ne pas recevoir ces enfants qu’on recevait en grand nombre […] Il n’y a plus d’enfants admis pour bronchiolite depuis que les barrages ont commencé à être vraiment hermétiques. On se demande où sont les enfants. On suppose qu’il y a des enfants dans la nature qui vont mal, ou qui sont enterrés en toute discrétion. Un clandestin qui habite dans un “banga” quelque part en brousse, je ne pense pas qu’il aille en mairie” déclarer le décès, ajoute le docteur Durasnel.

Il évoque également “un bébé en réanimation dans un état catastrophique”, placé sous “ventilation artificielle. La famille avait tenté de passer seule les barrages”, sans succès. La prise en charge du nourrisson a été retardée. “Il va peut-être mourir”.

“On soupçonne que le bilan est probablement déjà plus lourd que ce qu’on sait. On ne le saura peut-être jamais. On a des doutes au regard de l’activité actuelle du centre hospitalier, anormalement basse”, s’alarme le médecin. Il précise qu’une “dizaine de fois”, des femmes sur le point d’accoucher “ont été bloquées à des barrages […] Une femme, qui faisait une hémorragie, n’a pas pu être acheminée à la maternité de Mamoudzou” après un “double blocage” de l’ambulance puis du Samu arrivé en renfort. “Elle a accouché dans des conditions périlleuses à Dzoumogné. Elle n’est pas morte […] Elle a eu de la chance.” Le site n’est “pas équipé pour faire des accouchements comme ça […] On est passé près du drame”.

Et d’ajouter : des soins prévus “ne peuvent pas se faire ou [se font] avec beaucoup de retard”, citant en exemple les chimiothérapies et dialyses, du fait de ce manque d’accès aux soins. L’acheminement de produits est compliqué par les barrages. “Des patients qui sont sous oxygène à domicile ont dû arrêter temporairement leur traitement”.

Leptospirose et droits de retrait du SAMU

Pour l’heure, « on ne peut pas faire de lien de causalité entre les retards [de prise en charge] et les décès », réagit François Chièze, le directeur de la veille sécurité sanitaire à l’Agence régionale de santé. Le médecin promet une analyse précise des cas suspects. Le responsable de l’ARS confirme également que le “couloir sanitaire” menant au nord de l’île était non-effectif mardi matin. L’hélicoptère utilisé pour porter secours à la population ne pourra réaliser plus que “10 heures de vol avant révision” selon un document de l’ARS porté à notre connaissance. Le directeur de la veille sanitaire évoque des « réunions interministérielles » pour son « remplacement dans les plus brefs délais ». Selon le document consulté, un patient devant être dialysé était récemment bloqué à Miréréni par des arbres abattus, en situation de “haut risque vital”. Le docteur Chièze indique que ce dernier a pu finalement être pris en charge. Il évoque par ailleurs deux cas de dengue ainsi que des patients atteints de leptospirose.

Selon le document de l’ARS cité, le SMUR est en droit de retrait, suite à un incident récent. Le centre hospitalier de Mayotte (CHM) confirme. “La sécurité des équipes n’est plus assurée dans certaines portions de l’île et le temps d’intervention est allongé. Mais [le SAMU 976] fonctionne”, rassure-t-on du côté du CHM. “Les interventions seront assurées dans tout Mayotte (avec une escorte de gendarmerie et s’il y a atteinte à l’intégrité physique des personnels, les équipes feront demi-tour)”, précise-t-on du côté du centre hospitalier. A noter la mobilisation dès ce mercredi de la réserve sanitaire au CHM , « essentiellement au bloc opératoire », précise François Chièze. Neuf agents sont attendus ce jour. Un nombre qui devrait rapidement être porté à une trentaine, avec d’autres arrivées de personnels soignants dès ce jeudi.

 

Grève générale | Le leader des Grands frères de Guyane conseille les grévistes

« Arrivé à un certain stade, les barrages ne sont plus nécessaires »

C’est ce qu’a assuré dimanche Mickaël Mancée, le leader de l’association des Grands frères de la Guyane, dans une vidéoconférence. Interrogé sur la grève générale à Mayotte, il assure qu’il « ne faut pas mettre de côté » les élus et s’entourer de « sachants » pour élaborer la plateforme revendicative.

Déjà 11 000 vues ce lundi matin. La vidéoconférence organisée dimanche soir par Oustadh Abdel-Malek (son nom Facebook) a enregistré une audience d’ampleur. Il interrogeait Mickaël Mancée, le président de l’association des Grands frères de la Guyane, un mouvement qui rassemble une partie des 500 Frères, mobilisés en mars et avril 2017 lors d’un mouvement social d’ampleur en Guyane.  

Interrogé sur la pertinence de paralyser l’île, cinq semaines après le début de la grève générale, le Guyanais indique : « Barrer un temps pour alerter les autorités, leur montrer notre mécontentement, je ne suis pas contre. Maintenant, quand ça dure trop longtemps, les seuls qui sont punis, c’est nous-mêmes […] Je tiens à préciser que je [donne] mon avis en tant que Mickaël Mancée […] Je ne dis pas « Faites ci ou faites ça » […] La question des barrages a été une grosse question ici [en Guyane]. Quand ça commence à durer trop longtemps, obligatoirement, il y a des frictions. Ça n’est plus nous contre l’État. C’est nous contre nous-mêmes […] Les gens qui ne peuvent pas se déplacer comme ils veulent, qui ne peuvent pas manger comme ils veulent, obligatoirement, ça commence à les gazer. Si on veut garder l’unité, je pense qu’il faut savoir s’arrêter au bon moment », développe-t-il.

« Le combat doit prendre une autre forme »

« Pour moi, arrivé à un certain stade, les barrages ne sont plus nécessaires. Si on veut mettre la pression sur l’État, il faut trouver d’autres moyens […] La vie doit continuer et le combat doit prendre une autre forme. Pour moi, les barrages, ce n’est pas le seul moyen de mobilisation », poursuit Mickaël Mancée.

« S’il faut faire des barrages, il faut que ce soit quelque part où ça gêne l’État, pas la population […] Je ne veux pas punir la population pour laquelle je me bats. Ça n’aurait pas de sens […] Les seuls qui sont lésés, ce sont ceux pour qui on se bat. L’État, il regarde simplement et il attend de voir quand les gens vont se retourner contre nous. Ça n’a pas de sens. […] On a eu des barrages ici […] Pendant un temps, ils comprennent et ils sont d’accord […] Arrivé à un certain stade, on ne peut pas bloquer les gens. Ils ne vont pas adhérer, c’est normal […] Leur liberté de circuler, d’aller et venir est mise à mal […] Il faut réussir à trouver le bon moment pour arrêter ça et passer à autre chose. [Si] certaines personnes doivent retourner travailler […] il faut l’accepter aussi. Il faut que les gens vivent, c’est normal », assure-t-il.

« J’ai compris après, parce que souvent les gens me l’ont répété, que c’était un combat politique  […] Je leur disais : « Mais moi je ne suis pas venu faire de la politique » […] Quand tu prends le temps d’analyser, on vit dans un système et le système a des règles. C’est par la politique qu’on pourra faire avancer les choses […] Il faut faire des dossiers que les politiques vont aller présenter à l’État […] Ça prend du temps de les faire si ça n’a pas déjà été travaillé auparavant […] Il faut faire appel à des experts », témoigne celui qui a démissionné de son poste de policier pour mener le mouvement social en Guyane.

« La tournure du combat, maintenant, doit être politique […] Il va falloir mettre les politiques, en tout cas ici [en Guyane], face à leurs responsabilités […] Normalement, c’est leur taf. On ne devrait même pas avoir à le faire », déplore Mickaël Mancée. « Les politiciens, ils ont un mandat. Ils ont été élus par la population. S’ils ont l’impression que des manifestants sont en opposition avec eux, ils vont se braquer […] Je suis d’avis […] de travailler avec nos élus […] ça ne veut pas dire qu’on ne leur dira pas après leurs quatre vérités s’ils ont fauté […] Ensuite le linge sale se lave en famille […] Pour le moment, on est en grève […] on est ensemble […] il ne faut pas les mettre de côté […] La politique doit servir à mettre en place ce que vous voulez », déclare-t-il, alors que le dialogue semble rompu entre les élus locaux et les organisateurs de la grève générale (voir notre édition de lundi).

« Se demander ce que nous, nous pouvons faire »

« Il faut voir loin, savoir ce qu’on veut, comment on veut le faire […] Il faut des experts, des « sachants », des gens qui connaissent leur domaine […] C’est facile d’aller crier, de se faire voir […] Il faut savoir de quoi on parle […] Je reste perplexe sur le fait que « La France s’en fout de nous » […] Je sais qu’il y en a plein qui sont un peu racistes […] Je suis certain qu’ils ne sont pas tous comme ça […] Je me demande maintenant si tous les moyens ont été utilisés pour faire avancer les choses […] Je n’ai plus envie de me tourner seulement vers l’État […] J’ai envie de regarder aussi ici ce qu’il se passe […] Est-ce qu’on a fait jusqu’à maintenant ce qu’il fallait pour  ne pas se retrouver dans cette situation ? […] On a trop tendance à regarder ailleurs, [à dire] : « C’est l’État qui fait ci, c’est l’État qui ne veut pas ». Je crois qu’il y a d’autres choses aussi », met en garde Mickaël Mancée. « Il faut qu’on cesse d’attendre que les solutions viennent des autres […] Au lieu de toujours dire ce sont les autres qui ne font pas, [il faut] se demander ce que nous, nous pouvons faire ».

« Toutes les démarches que vous allez faire pour demander des mesures adaptées à Mayotte ou peut-être des infrastructures […] il faut être conscient que si c’est une adaptation de la loi, ça va prendre du temps, [idem si] ce sont des infrastructures […] Il va falloir trouver, en attendant, des solutions d’urgence qui vont permettre d’attendre que les choses aillent mieux. » Le leader guyanais fait une métaphore pour compléter son propos : « Si tu vois une maison qui brûle et que tu te dis il va falloir faire une caserne », c’est insuffisant. Et d’ajouter : « Pour moi, le quotidien des Guyanais n’a pas changé […] On demande des infrastructures, des effectifs […] ça va nous prendre entre 12 et 15 ans […] Il nous faut des solutions d’urgence ».

Selon l’intervieweur, des grands écrans ont été installés sur certains barrages de Mayotte, pour suivre cette intervention en direct. Reste à savoir si les leaders du mouvement social mahorais vont s’imprégner d’une partie des conseils prodigués par Mickaël Mancé.

 

Législative partielle | Ramlati Ali réélue

Malgré les menaces de blocage de l’intersyndicale et du collectif et quelques incidents en début de matinée, le second tour de la législative partielle s’est correctement déroulé dimanche. Dans la soirée, Ramlati Ali a été réélue députée de la première circonscription de Mayotte.

A 9h10 hier, et malgré les menaces de l’intersyndicale et du collectif, les 73 bureaux de la première circonscription étaient bien ouverts et accueillaient dans le calme les citoyens appelés aux urnes. Quelques incidents ont été déplorés dans le nord de l’île mais la situation a rapidement été réglée par les services municipaux des communes concernées et grâce au concours de la gendarmerie. 

En effet, à Acoua, l’équipe municipale a découvert le matin « des portes condamnées et des serrures endommagées », débloquées grâce à l’action de la gendarmerie, a indiqué le directeur général des services (DGS) de la commune. A Koungou, trois bureaux de vote avaient été bloqués « certainement dans la nuit » par « de la glu » et « de la ferraille soudée », a déclaré la DGS. La commune a demandé à la gendarmerie d’encadrer les actions de déblocage des bureaux de vote, des « échanges assez vigoureux » s’étant tenus entre l’équipe municipale et des manifestants rassemblés devant deux des trois bureaux de vote concernés, à Trévani et à Kangani.

Mais exceptés ces incidents, le scrutin s’est déroulé sans encombres et le taux de participation a atteint 41,19%. Le second tour a ainsi beaucoup plus mobilisé que le premier tour, dont le taux de participation avait été chiffré à 30,39%. 

Hier, Ramlati Ali (sans étiquette) est arrivée largement en tête, avec 54,99% des voix (soit 8 279 votes exprimés en sa faveur) tandis que son rival, Elad Chakrina (LR), a remporté 45,01% des suffrages (soit 6 777 voix). Pour rappel, au premier tour de la législative partielle dimanche 18 mars, Ramlati Ali avait remporté 36,15% des voix, devant Elad Chakrina, qui avait obtenu 32,59% des suffrages.

« L’important, c’est que Mayotte avance », a déclaré, bon perdant, Elad Chakrina sur Mayotte la Première dimanche. « Il faut tourner la page, il faut aller de l’avant », a encore affirmé le candidat malheureux. « Cette victoire a démontré que le choix des Mahorais, c’était bien d’avoir Ramlati Ali », s’est réjoui pour sa part l’élue. 

 

Destruction de plusieurs squats au Baobab

Dans le cadre de la lutte contre l’immigration clandestine et l’habitat indigne, les services techniques de la mairie de Mamoudzou ont procédé ce matin à la destruction de plusieurs squats au quartier Baobab à M’tsapéré. Une opération qui a nécessité l’interruption momentanée de la circulation. Cette action intervient trois jours après la signature d’une convention entre le collectif Mamoudzou en sécurité et la mairie de Mamoudzou dans le cadre de la lutte contre l’insécurité. « Plusieurs actions seront menées dans les prochains jours sur l’ensemble de la commune » a indiqué un représentant de la commune chef-lieu.

 

Diplomatie | Les Comores refusent les étrangers expulsés de Mayotte

Mercredi, les Comores ont déclenché une crise diplomatique avec la France, en refusant d’accueillir sur leurs terres les étrangers en situation irrégulière expulsés de Mayotte. Le retour des 96 clandestins sur l’île aux parfums a conduit à de nombreuses tensions jeudi. Les ministères des Affaires étrangères et des Outre-mer travaillent de concert à la résolution de ce conflit.

Rappelons les faits : mercredi, 96 personnes retenues au centre de rétention administrative (CRA) de Mayotte ont été éloignées à Anjouan (Union des Comores). Mais, conformément aux dernières déclarations du ministre des Affaires étrangères comorien, le bateau a été sommé à 19h30 de ne pas faire descendre à terre les clandestins reconduits à la frontière. Ramenés à Dzaoudzi jeudi à 8h du matin, ils ont été pris en charge par les autorités françaises qui les ont « accueillis le plus dignement possible », a insisté le directeur adjoint de la police aux frontières (PAF). Ces personnes ont été menées dans un premier temps dans l’enceinte de l’hôpital de Petite-Terre et toutes ont pu prendre un petit-déjeuner et un déjeuner. « D’un point de vue juridique, on ne peut pas les maintenir au CRA car on estime qu’elles ont déjà fait l’objet d’une procédure d’éloignement. Le seul cadre juridique possible est un placement en zone d’attente (…) pour un maximum de quatre jours », explique le directeur adjoint de la PAF. Ainsi la préfecture de Mayotte a-t-elle décidé de les placer au gymnase de Pamandzi, « en attendant la résolution du conflit diplomatique », indique la police aux frontières.

Refus d’une partie de la population

Cette décision préfectorale a motivé un soulèvement d’une partie de la population de Petite-Terre puisque plus d’une centaine de manifestants protestaient dans l’après-midi aux abords du gymnase de Pamandzi, soutenus dans leur démarche par le conseil municipal. Ce dernier a remis une motion au préfet de Mayotte indiquant « ne pas être favorable à l’accueil des personnes en situation irrégulière » et « recevoir la décision de réquisition du gymnase de Pamandzi (…) comme un affront à la population locale ». La Ville précise qu’elle « se désengage de toute responsabilité concernant l’accueil et la sécurité » des étrangers en situation irrégulière. Joint par téléphone, un conseiller municipal a déclaré « craindre des débordements », surtout lors de l’élection législative partielle de dimanche, et a affirmé que l’ensemble de l’équipe communale avait rallié les manifestants. En outre, il a déclaré avoir peur que les individus hébergés au gymnase en « dégradent le parquet ». Très remonté, ce conseiller municipal s’est emporté : « Que la préfecture les loge au CRA, qu’ils montent des tentes ! (…) Quitte à les relâcher ! » 

Le conseiller départemental de Pamandzi Daniel Zaïdani a aussi exprimé par voie de communiqué sa formelle opposition à la réquisition du gymnase, soulignant qu’il « n’a pas été construit pour héberger des personnes. En effet, le revêtement au sol est d’une très grande sensibilité. Il serait immédiatement et irrémédiablement détérioré si  d’aventure des campements venaient à y être installés ». Il propose que le haut représentant de l’État lui préfère d’autres alternatives telles que le CRA, la préfecture ou les sites du détachement de la légion étrangère de Mayotte (DLEM) ou encore du bataillon du service militaire adapté (BSMA).

Le CRA saturé

D’une capacité totale de 148 places, le centre de rétention administrative accueillait jeudi 147 personnes. Depuis le 15 mars, des actions conjointes de la police aux frontières, de la direction départementale de la sécurité publique et de la gendarmerie ont mené à l’éloignement de quelque 600 personnes (départs volontaires compris), a indiqué la préfecture mercredi soir par voie de communiqué. Les bateaux ramenant les personnes en situation irrégulière aux frontières ne rallient plus pour le moment l’Union des Comores, a confirmé la police aux frontières car « ce n’est plus possible ». Les opérations de lutte contre l’immigration clandestine « ne sont pas arrêtées en totalité » mais baissent en volume. En outre, des mesures administratives d’éloignement sans placement au CRA sont prises. Concernant les 96 personnes refoulées d’Anjouan, des prolongations de rétention peuvent être envisagées, sous contrôle judiciaire, c’est-à-dire sur décision du juge des libertés et de la détention. En tout état de cause, il est impossible de retenir un individu plus de 45 jours. Au-delà de cette limite, il est libéré.

Réaction du Quai d’Orsay

Jeudi, la ministre des Outre-mer tenait une réunion à Matignon avec le Premier ministre et un représentant du Quai d’Orsay. Le ministère des Affaires étrangères a d’ailleurs réagi jeudi : « La France déplore la circulaire du ministre des Transports comorien qui interdit aux compagnies aériennes et maritimes de prendre à bord toute personne considérée par les autorités qui administrent Mayotte comme en situation illégale. Les termes de cette circulaire comme sa portée sont contraires à la relation que nous souhaitons entretenir avec les Comores. Nous avons immédiatement approché les autorités comoriennes pour que cette décision soit rapportée ».

 

Kamardine appelle le gouvernement à bloquer immédiatement la délivrance de visas

Par voie de communiqué, le député Mansour Kamardine appelle « le gouvernement français à bloquer immédiatement toute délivrance de visa et de titre de séjour, à tout ressortissant comorien, dans les ambassades de France à l’étranger et dans les préfectures en France ». Le parlementaire rappelle que « la dernière fois que l’État comorien s’est agité de la sorte, le gouvernement français de l’époque, n’inscrivant pas son action dans l’acceptation de l’envahissement d’une partie du territoire national par les ressortissants d’un État étranger, la question a été réglée sans coup férir et en 48h par la suspension de la délivrance de visa au départ de Moroni. »

 

Réaction de l’intersyndicale : « Une action imminente sur Mamoudzou »

Jeudi, l’intersyndicale à l’origine du mouvement de lutte contre l’insécurité s’est exprimée sur la crise diplomatique en ces termes : « Le bateau ramenant des personnes en situation irrégulière a été contraint de rebrousser son chemin sur Mayotte. Cette actualité légitime la position des Mahorais-ses dans la poursuite du mouvement. En moins d’une semaine, les engagements de la ministre des Outre-mer ont atteint leurs limites. L’intersyndicale et le collectif ont toujours estimé que les mesures de la ministre des Outre-mer n’avaient pas suffisamment pris en compte la complexité de la situation de Mayotte. Les mesures uniquement d’ordre sécuritaire sont insuffisantes pour un traitement à court, moyen et long terme de la situation. En plus des plans de rattrapage, il faudrait une résolution rapide et définitive du contentieux diplomatique entre la France et les Comores sur le cas de Mayotte. L’intersyndicale et le collectif lancent un appel à la population de redoubler leur vigilance, de se positionner sur les barrages et de se préparer à une action imminente sur Mamoudzou. »

Relâchés faute de place

Des policiers ont été contraints de relâcher une trentaine de personnes en situation irrégulière jeudi, faute de place au centre de rétention administrative. Les clandestins avaient été interpellés à Kawéni (Mamoudzou). Ils font l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) sous 30 jours. En clair, s’ils sont à nouveau contrôlés, ils seront placés en garde à vue pour infraction et seront reconduits à la frontière.

 

Un impact considérable sur les soins

Des médicaments peuvent de nouveau sortir du port de Longoni, après un accord conclu avec les organisateurs de la grève générale. Mais la situation sanitaire reste préoccupante sur l’île.

L’Agence régionale de santé craint des décès liés à la paralysie du département.  » On ne peut pas avoir une vigilance sentinelle. On n’a pas de visibilité sur la circulation des maladies infectieuses sur l’île », reconnaît le docteur François Chièze, directeur de la veille sécurité sanitaire à l’Agence régionale de santé (ARS ) Océan Indien, alors que la grève générale contre l’insécurité se poursuit, pour la cinquième semaine consécutive.

L’ARS confirme des décès liés à la paralysie de l’île. Douze barrages étaient encore en place ce mercredi, indique la gendarmerie. « Ce serait très aléatoire de donner un chiffre [de décès, NDLR], on n’a que des bribes d’informations […] On a obligatoirement des situations individuelles à risque ». Des pénuries de médicaments ont été observées et des patients peinent à se rendre dans des structures médicales.

Du mieux au centre hospitalier

Dans ce contexte, l’accord conclu « en début de semaine » avec les organisateurs de la grève générale pour « une transmission de stocks de médicaments à partir du port de Longoni » a permis d’alimenter le centre hospitalier de Mayotte (CHM) et le nord de l’île en oxygène, fluides et médicaments diabétiques : « Les indices sont au vert [au CHM]. Ce n’était pas du tout le cas en fin de semaine dernière », reconnaît le docteur Chièze. « On a réapprovisionné, encore faut-il que les patients viennent se faire diagnostiquer », soulignet- il toutefois. La situation est plus préoccupante au centre et au sud du territoire, où moins de médicaments peuvent être acheminés.

Autre élément positif : l’évacuation depuis « quelques jours » des « déchets médicaux liés aux soins à risque infectieux, qui viennent du CHM, de laboratoires privés et de cabinets médicaux. C’est un élément majeur parce que c’était un risque sanitaire important », indique l’ARS.

« Il y a des endroits où l’accès au soin n’est pas maintenu. Douze cabinets [médicaux] sont ouverts » sur une vingtaine, poursuit le docteur Chièze. Par ailleurs, des infirmières libérales et des kinésithérapeutes ne peuvent plus exercer leur profession. « Le passage des barrages dépend de la profession », affirme-t-il.

Au CHM, « l’activité a fortement diminué du fait du manque de patients et du manque de soignants […] On a une inquiétude à la sortie de crise. Il va y avoir un afflux de patients ». Le risque d’aggravation de maladies chroniques durant la grève est pris au sérieux. Par ailleurs, il y avait des cas de « bronchiolite en quantité avant [la grève générale]. Elle n’a pas disparu du jour au lendemain […] Même chose pour la coqueluche », note le docteur Chièze. Il souligne que l’accumulation des déchets dans les rues de Mayotte – le ramassage des ordures étant à l’arrêt – « présente un risque de diffusion d’infections virales par exemple [ou] de transmission de germes ».

Du côté du syndicat des pharmaciens de Mayotte, on signale « des ruptures sur des produits très importants », comme des anticancéreux et quelques antidiabétiques. Avec les barrages, « on est bien loin des onze livraisons hebdomadaires.

Les camions circulent quand ils peuvent circuler. On a régulièrement des ruptures d’insuline. Sur le lait infantile, beaucoup de pharmacies sont en rupture. On est en rupture de la pilule contraceptive la plus utilisée sur l’île », qui peut être donnée à des personnes en surpoids ou diabétiques. « On va avoir un boom des natalités ».

Jean-Marc Roussin, le président du syndicat des médecins de Mayotte reconnaît « qu’on n’a plus les moyens logistiques de fonctionner […] Des médecins ne peuvent pas franchir les barrages […] Il y a déjà des problèmes majeurs de santé à l’état normal. Ça ne fait qu’amplifier les problèmes. » Lui-même a fermé son cabinet médical lundi.

« La grève nous tue »

-

A la cinquième semaine du mouvement de contestation qui paralyse l’île, les entreprises sont aux abois. La présidente du Medef local, Carla Baltus, appelle « à un retour à la normale, qu’on se mette à la table des négociations avec l’État, qu’on arrête de sacrifier les entreprises, les enfants, les malades ».

Cinq semaines maintenant que les Mahorais subissent de graves entraves à la liberté de circuler. Les nombreux barrages paralysant en grande partie le flux des véhicules et des piétons impactent durablement l’économie de l’île. Par conséquent, les entreprises mahoraises commencent à déposer de nombreuses demandes de chômage partiel auprès de la direction du Travail de Mayotte (Dieccte), notamment sur la période de mars à juin, note Alain Gueydan, directeur de l’administration. Cette activité partielle couvre jusqu’à 1 000 heures par an et par salarié maximum. A ce jour, ces demandes représenteraient près de 2,6 millions d’euros d’indemnités potentielles réparties sur une centaine d’entreprises, indique encore la direction du Travail qui précise : « Ce chiffre change chaque jour, puisque nous recevons entre 10 et 15 demandes quotidiennes ». Car de fait, la masse salariale représente à Mayotte un peu de moins de 20 millions d’euros à débloquer chaque mois, pour les quelque 10 000 salariés du secteur privé.

De cruels défauts de trésorerie

Selon le Medef de Mayotte, 80 de ses adhérents ont d’ores et déjà déposé une demande de chômage partiel qui implique environ 2 000 salariés du secteur privé. L’organisation patronale explique que l’État prend ainsi en charge 5,40 euros par heure et par employé, le reste étant dû par l’employeur. Mais « si la grève continue, cette activité partielle deviendra du chômage, c’est mathématique », craint Carla Baltus, la présidente du Medef local, qui s’attend à des plans de licenciement massifs et à un accroissement soudain du taux de chômage. Pour rappel, suite au mouvement de 2011, ce sont plus de 3 000 personnes qui ont perdu leur emploi. Cependant, pour bénéficier du dispositif d’activité partielle, les entreprises doivent avancer les salaires ; le dispositif de chômage partiel fonctionnant sur un principe de remboursement. Or, le tissu économique de l’île est fragile : la très grande majorité des entreprises de l’île sont des TPE (seules 300 des 9 000 entreprises de l’île ont plus de 10 salariés, comptabilise le Medef local). Ainsi, ces très petites entreprises disposent de peu de trésorerie, ce qui ne leur permet pas d’avancer des salaires alors qu’elles n’ont plus ou peu d’activité. Ne plus payer ses salariés ? Quelques solutions sont évoquées par le Medef local : se rapprocher des banques pour tenter d’obtenir, au cas par cas, des facilités de découverts ou des reports de prélèvements, ne payer que les salariés présents au sein de l’entreprise durant la « grève générale » ou enclencher une procédure de « lock out », c’est-à-dire une fermeture temporaire de la société pendant laquelle aucun salaire n’est versé. Durant cette période, les contrats sont suspendus et les employés « peuvent se rapprocher de leurs syndicats » afin de trouver des solutions concernant leur situation financière. « C’est une forme de grève de l’entreprise », résume Carla Baltus. Toutefois, si ce dispositif existe de fait, il ne figure pas dans le code du travail, avertit la Dieccte qui ajoute : « Dans sa mise en œuvre, il mène souvent les entreprises devant les tribunaux ».

« Responsabilité sans faute »

Le code du travail ne prévoit pas de rémunération lorsqu’il n’y a pas de travail effectif ; en d’autres termes, il n’existe pas dans le code du travail de cas de force majeure qui dédouane un salarié de se rendre sur son lieu de travail. Ainsi, si la prestation de travail n’est pas fournie, la rémunération n’est pas due. Les travailleurs de Mayotte se retrouvent donc dans les mêmes conditions que les habitants de l’Hexagone qui ne peuvent se rendre au travail en raison de grèves des transports. « On n’a pas suffisamment communiqué sur le fait que les salaires n’allaient pas être payés », reconnaît-on du côté de la Dieccte. Outre des demandes de chômage partiel ou le « lock out », le Medef local conseille aux entreprises de Mayotte de demander un moratoire sur les échéances sociales et fiscales à venir en se rapprochant respectivement de la Caisse de sécurité sociale de Mayotte et de la direction générale des finances publiques. L’organisation patronale précise qu’elle a d’ores et déjà sollicité l’État pour des fonds d’urgence, que le gouvernement peut débloquer en cas de force majeure et à titre exceptionnel, comme pour les inondations en Île-de-France en 2016. Les entreprises peuvent également enclencher une procédure de sauvegarde judiciaire auprès du tribunal du commerce, mais cette démarche est onéreuse puisqu’il faut s’offrir les services d’un cabinet de conseil. Toutes ces mesures constituent un pis-aller, « du bricolage », pour la patronne des patrons qui estime que « ce n’est pas ça qui va résoudre le problème » et qui entend négocier avec la ministre des Outre-mer d’autres types d’aides.

Un dynamisme tué dans l’œuf

L’impact de cette « grève générale » désole d’autant plus la présidente du Medef local, Carla Baltus, que Mayotte représentait en 2017 le département « qui avait le plus embauché [en France], proportionnellement », avec 1 700 emplois créés. « Ces emplois, on est en train de les perdre », se désole la présidente, rapportant des propos de ses adhérents lui expliquant qu’ils avaient déjà dû résilier des CDI en période d’essai. Sans parler du secteur du tourisme, qui subit une pluie d’annulations de séjours jusqu’en juin, selon la présidente du Medef local. Pour Carla Baltus, « on se remet déjà difficilement de 2011 (…) et du passage aux 35 heures, véritable coup de massue (…) La grève nous tue », déclaret-elle douloureusement. « Mayotte, ça ne donne plus envie, ça fait peur », continue la présidente du Medef local qui s’emporte : « Pourquoi ne laisse-t-on pas les enfants aller à l’école ? On veut des élites mais comment former des élites si la jeunesse de Mayotte ne peut pas aller en cours ? » La patronne des patrons appelle « à un retour à la normale, qu’on se mette à la table des négociations avec l’État, qu’on arrête de sacrifier les entreprises, les enfants, les malades ». 

Les élèves, victimes collatérales de la grève générale

Pour cette deuxième semaine de rentrée scolaire, les quelque 94 000 élèves de Mayotte (selon les chiffres de 2016) pâtissent toujours des barrages routiers et du climat de grève générale qui hypothèque de plus en plus leur scolarité.

 » Bouche-trou », « garderie »… Certains professeurs des établissements du second degré de Mayotte goûtent peu les conséquences de la grève générale – des élèves en grande majorité absents – ainsi que les mesures prises par le vice-rectorat pour pallier ce problème. En effet, depuis la rentrée des classes du 12 mars, un « fonctionnement par établissement de proximité », non contraignant, a été mis en place, consistant à demander aux enseignants et aux élèves de rallier l’établissement scolaire le plus proche de leur domicile, indépendamment de leur affectation. Un non-sens pédagogique et un dispositif compliqué pour des questions d’assurance pour les syndicats, notamment la CGT Educ’action. « Pour moi, assurer une mission de service public, ce n’est pas faire de la garderie », avait déclaré mercredi dernier le vice-recteur Nathalie Costantini en réaction aux critiques. Elle se félicite que cela permette aux élèves de ne « pas être pris à partie » par les manifestants et aux enseignants « de dispenser des cours et de s’attarder sur des points importants avec les élèves durant ces séquences ».

Pour la plupart des professeurs interrogés, la situation est toutefois « catastrophique » d’un point de vue pédagogique, comme pour cet enseignant de Sada : « Je ne vois pas comment cette année scolaire pourrait être rattrapée, surtout pour les classes à examens », se désole-t-il, comptabilisant en moyenne 200 élèves présents sur les 1 200 scolarisés dans ce collège de l’ouest de l’île. En outre, rapporte ce pédagogue, les parents refusent d’envoyer leurs enfants en cours et certains de ses collègues ne prennent plus la peine de se déplacer.

« Tous les établissements du secondaire sont ouverts, mais ne fonctionnement pas comme à l’ordinaire », reconnaît-on du côté du vice-rectorat. « Depuis une semaine, les taux de présence sont variables, nous avons eu un nombre important de personnels en poste. Aujourd’hui, les pourcentages sont en baisse au vu des difficultés d’accès et de la pénurie d’essence qui commencent à les impacter. La prise en charge d’un petit nombre d’élèves permet de continuer à assurer un accompagnement, les jeunes ne doivent pas être pénalisés », indique-t-on du côté du vice-rectorat.

Dans le détail, 83% des enseignants du second degré étaient présents lundi 12 mars, contre seulement 56% vendredi 16 mars. Côté élèves, la tendance est nettement moins bonne, avec 4% de présence lundi 12 mars dans les collèges ; un chiffre qui a atteint 14% vendredi 16 mars. Au lycée, c’est à peine mieux : 7% de présence lundi 12 mars, contre 12% vendredi 16 mars. « Nous avons conclu un partenariat avec le CNED (Centre national d’enseignement à distance) […] pour que tous les élèves des classes de première et terminale aient la possibilité de recourir à des cours en ligne en mathématiques, français, philosophie et histoire-géographie », a fait savoir dimanche, par courrier, le vice-recteur aux personnels des établissements scolaires. « Si le travail en distanciel ne remplacera jamais votre action, son utilisation circonstanciée est de nature à aider tous les élèves du territoire ».

Premier degré : absence quasiment générale des élèves

Seulement 108 élèves se sont rendus lundi 12 mars en classe, pour la rentrée scolaire, dans le premier degré. Ils n’étaient guère plus nombreux vendredi 16 mars (216 élèves à travers l’île). Le vice-rectorat ne communique aucun pourcentage et pour cause… Avec environ 52 000 élèves inscrits dans le premier degré (chiffres de 2016-2017), le taux de présence des élèves avoisine les 0%. Pour rappel, lundi 12 mars, la ministre des Outremer, Annick Girardin, avait annoncé que « 2 000 professeurs étaient présents pour 2 500 élèves » le jour de la rentrée, mélangeant les données des premier et second degrés. « J’ai bien conscience que ce n’est pas satisfaisant », avait poursuivi la ministre, sans s’attarder sur ces chiffres stupéfiants dans le premier degré. Des chiffres à mettre en relief avec la consigne donnée par les organisateurs de la grève générale de ne pas envoyer les enfants à l’école. Du côté du vice-rectorat, on met en exergue que, depuis la rentrée, « dans le 1er degré, les enseignants ont subi des pressions et ont été mis en difficulté (écoles cadenassées). »

Immigration | Le spectre des opérations de « décasage »

La tension monte dans le nord de l’île : des étrangers en situation irrégulière se présentent spontanément à la gendarmerie « par peur des violences » et un « collectif des habitants du Nord » s’est créé afin « de démanteler les groupes d’étrangers, Comoriens et Africains » présumés en situation irrégulière sur le territoire. 

La gendarmerie a démenti vendredi matin les rumeurs d’opérations de « décasage » du côté de Mtsamboro, dans le nord de l’île, même si « la limite est ténue » entre décasage et incitations menaçantes à quitter le territoire. Plusieurs villageois auraient « invité » des étrangers en situation irrégulière, vivant dans des cases en tôle, à quitter le département. Côté gendarmerie, on note des « présentations spontanées d’étrangers en situation irrégulière qui veulent rentrer à Anjouan (…) par peur des violences ». Une vingtaine le jeudi, une cinquantaine déjà à la mi-journée du vendredi, selon une source proche du dossier, auraient été dans ce cas de figure. Le maire de la commune, Harouna Colo, a déclaré avoir eu écho d’un « groupe de jeunes de la commune qui ont tenté de sécuriser leur village ou essayer de faire sortir des étrangers. Je suis encore en train d’essayer de comprendre ce qu’il se passe », livre-t-il vendredi. « J’ai peur qu’une partie de la population puisse se lever et aller faire des décasages ». Seule certitude, pour le premier magistrat de la commune : jeudi soir, « une personne qui travaille à La Poste » a pris la fuite, à la vue de coupeurs de route. « Ils ont essayé de l’attraper », munis semble-t-il d’un chombo. Une centaine d’habitants a, une partie de la nuit, mené des opérations de recherche pour retrouver la victime, localisée à 2h du matin sur une plage. « On craignait le pire », reconnaît le maire de Mtsamboro, qui était en lien avec le procureur de la République durant les recherches, appuyées par la gendarmerie.

Un membre du collectif s’exprime 

Un « collectif des habitants du Nord » a été créé de manière informelle lundi suite à l’agression d’un villageois par des coupeurs de route dans la nuit de dimanche à lundi entre Mtsahara et Handréma, et regroupe six villages du Nord de l’île : Acoua, Mtsangadoua, Mtsamboro, Hamjago, Mtsahara et Handréma, nous indique un membre de ce groupe, qui se serait effectivement renforcé suite à l’agression du postier relaté par le maire de Mtsamboro. « Nous effectuons des rondes depuis mardi soir afin de démanteler les groupes d’étrangers, Comoriens et Africains » présumés en situation irrégulière sur le territoire, déclare un habitant du Nord ayant participé à ces actions. Le collectif a diffusé un tract en fin de semaine, montrant des individus cagoulés, et énumérant ses objectifs en de tels termes : « ratisser les zones suspectes à toutes activités illégales, monter les gardes afin d’appréhender les coupeurs de nos routes, anéantir les constructions de bangas sauvages, et surveiller les entrées des kwassa-kwassa ». Une centaine de personnes auraient déjà été livrées aux forces de l’ordre, selon le collectif. « On ne veut pas d’affrontements, pas de tabassages, pas de coups », précise-t-il, affirmant qu’il n’y a pas de résistance de la part des clandestins présumés lors de ces exactions. Le modus operandi serait bien moins violent qu’en 2016 lors de « la crise des décasages », selon les dires d’un membre de ce groupe : « Nous avertissons les gens et leur donnons un délai pour faire leurs bagages et partir (…) Sinon, nous les emmenons en fourgonnette à la brigade ». Cet habitant assure qu’aucune habitation n’a été brûlée. Seule une embarcation – qui aurait été interceptée mercredi avec à son bord 5 personnes menées manu militari à la gendarmerie – aurait été détruite par les habitants. 

Contrôles routiers sauvages

 « Nous faisons partir ceux que nous ne connaissons pas, qui n’ont pas d’attache au village », livre encore ce villageois. Ainsi, les étrangers mariés avec des gens de la commune sont-ils épargnés, de même que leurs enfants. Le collectif prétend également « fouiller les voitures inconnues qui rentrent » dans les villages du Nord et travailler à l’identification de passeurs. 

« La gendarmerie collabore avec nous », a encore avancé le membre de ce nouveau collectif, alléguant que les forces de l’ordre de la zone se seraient déjà rendues sur les lieux où vivent les clandestins présumés, afin d’encadrer les actions, « pour qu’il n’y ait pas de débordement ». Déclaration formellement démentie par la gendarmerie : « C’est absolument faux, on ne va pas assister les pseudo-milices qui expulsent des personnes en situation irrégulière. On agit dans un État de droit ». Le collectif prévoyait samedi de continuer à « faire de la prévention » dans les prochains jours, c’est-à-dire à se rendre au domicile des personnes suspectées d’être clandestinement sur le territoire et « à décaser » admet-il. « On attend le feu vert de la gendarmerie pour décaser car il n’y a plus de place pour accueillir tout le monde à la brigade », énonce ce membre qui croit savoir que la capacité d’accueil de la brigade est de 30 personnes. « On continue jusqu’à ce que tout se mette en ordre », conclut-il. 

Responsable mais pas coupable 

En parallèle, un tract circulait en fin de semaine sur les réseaux sociaux dressant « une liste non exhaustive des habitants de Sada (…) qui hébergent des personnes en situation irrégulière ». De plus, précise le document, « une autre liste de personnes qui emploient des clandestins fera aussi l’objet de dénonciation ». Sous ces déclarations, les noms et prénoms et éventuellement localisation d’habitants de cette commune de l’Ouest de l’île. 

Foumo Silahi, l’un des porte-parole des organisateurs de la grève générale, n’est pas surpris par les soupçons de « décasage ». « Nous savions à un moment donné que ça risquait d’arriver », regrette-t-il. « Ça n’est pas dans notre logique de demander à des gens d’aller faire du « décasage » […] Il ne faut pas confondre le collectif avec ces choses-là […] Le collectif parle de sécurité, de tout ce qui aurait dû être fait par l’État. Cela fait des mois que nous alertons l’État. Il n’y avait pas eu d’écoute jusqu’à maintenant », selon lui. 

Samedi, près de deux cent Anjouanais ont marché de Doujani au rond-point du Baobab (Mamoudzou) afin de protester contre les stigmatisations dont ils sont la cible. 

Contactée par l’Agence France-Presse, la ministre des Outre-mer a rappelé « ses engagements en termes de sécurité » et a « invité les habitants à laisser les forces de l’ordre faire leur travail. Ce genre de pratique, ça n’existe pas dans un département », a-t-elle encore fermement dénoncé.

 

Chimique : Ton univers impitoyable

-

Elle est une cause non négligeable de la délinquance à Mayotte. Depuis son apparition dans l’archipel, la chimique ne cesse de provoquer des ravages : hospitalisations, décès, violences, apparition de « zombies » dans nos ruelles, etc. Derrière ce drame sanitaire et social se cache un business juteux accessible en quelques clics, et une course-poursuite perdue d’avance entre l’arsenal judiciaire et les drogues de synthèse. Enquête dans un univers impitoyable où la raison semble être partie en fumée.

Une aspiration, quelques secondes d’attente, et l’effet vous envahi. D’emblée, le cœur s’emballe. À chaque palpitation, la vision change de perspective. Les veines se gonflent, les yeux s’écarquillent, votre corps s’affaisse. Soudain, un éclair vous traverse. C’est le black-out. Où êtes-vous ? Avec qui ? Comment quitter cet état ? Autant de questions qui resteront sans réponse pendant une vingtaine de minutes. Vous n’êtes ni jovial, ni apaisé et encore moins détendu. Une « petite mort » pour seulement cinq euros. Entre l’index et le majeur, le joint ne bouge pas. Il attend patiemment d’embrasser à nouveau vos lèvres, votre cerveau, votre organisme : un baiser de la mort, celui de la chimique. Une drogue de synthèse dévastatrice qui ne cesse de provoquer des ravages depuis son apparition au début des années 2010 dans l’île.

Un monstre à plusieurs visages

« Je préfère vous prévenir d’emblée : je ne sais pas si je pourrais répondre à vos questions. Quand je fume, je ne garde aucun souvenir de mes actes ». Regard timide et cernes sous les yeux, Rachid* évoque douloureusement ses six années d’addiction. À 33 ans cette dépendance a bien failli lui être fatale. Mais fort du soutien de ses proches et des menaces de divorce de sa femme, la chimique n’a pas eu raison de lui. Ce qui est loin d’être le cas de l’ensemble de la jeunesse mahoraise.

La composition de cette drogue ? Un dérivé de cannabinoïde surpuissant dilué dans de l’alcool à 90°. Le tout imbibé dans du tabac à rouler. En l’absence de cette substance de synthèse, les remplaçants ne manquent pas : antidépresseurs, anxiolytiques, produits industriels, produits pharmaceutiques, anesthésiant pour chevaux, etc. La chimique est un monstre à plusieurs visages, capable de laisser des séquelles irrémédiables sur le vôtre.


©Geoffroy Vauthier

Quand cette drogue débarque à Mayotte, Rachid est encore aux Comores, sa terre d’origine : « Mes amis fumaient quotidiennement tout en m’interdisant d’en consommer. Un jour, l’un d’entre eux m’a confié son joint avant de partir aux toilettes. Je me suis dit « pourquoi pas moi ? » Et j’ai fumé dessus ». En une aspiration, l’homme de 27 ans à l’époque met le doigt dans un engrenage dangereux. Une expérience dramatique qui annonce la couleur dès ses premières impressions : « J’ai eu une hallucination, je pensais qu’on m’avait coupé les jambes. C’était la panique. Mes amis m’ont rassuré le temps que les effets se dissipent », se souvient-il. Débarqué à Mayotte en compagnie d’autres toxicomanes, il renouvelle l’expérience « sous l’effet de la pression du groupe ». Il poursuit : « On fumait tous les jours, quasiment sans interruption. À trois, on dépensait plus de 100 euros quotidiennement. C’était de la folie. »

Cette « folie », le docteur Ali Mohamed Youssouf, du service d’addictologie au Centre hospitalier de Mayotte (CHM), l’observe quotidiennement. « Au travers de nos consultations, on constate depuis 2015 que la chimique a détrôné l’usage du cannabis », indique-t-il tout en précisant que « toutes les tranches d’âge et les classes sociales sont touchées. Même si le phénomène est particulièrement présent chez les hommes de moins de 25 ans ayant déjà testé le cannabis ». Spécialisé dans la prise en charge des individus souffrant d’addiction (alcool, cannabis, drogues de synthèse, etc.), le spécialiste connaît les conséquences sanitaires de la chimique sur le bout des doigts. « En termes de dégâts sur la santé, cela peut se traduire par des crises d’épilepsie, des convulsions, des troubles cardiaques, des maux digestifs, ainsi que des crises de tétanie, voire de démence. » Si l’effet recherché est avant tout un état de somnolence, le docteur Youssouf insiste : « les effets sont multiples selon les individus. Cela peut provoquer des troubles du comportement, une agitation, ou encore de l’agressivité. » Pour Rachid, le phénomène se résume ainsi : « Quand on consomme, on dort, et quand on est en manque, on s’agite. »

La police se « casse les dents »

D’aspect, une dose de chimique ressemble à s’y méprendre à une simple boulette de tabac à rouler. À la différence que celle-ci est imbibée de drogue de synthèse, ou d’autres substances tout aussi nocives. Vendu cinq euros dans un papier cylindrique, le produit une fois déballé est difficilement identifiable, même pour un observateur aguerri. « C’est un produit qui n’a pas d’odeur ni d’aspect particulier. On travaille par supposition… et souvent on se casse les dents ! La chimique, c’est un caméléon. Et les agents ne sont pas formés pour la repérer », déplore Thierry Lizola, chargé de communication du syndicat Alliance Police Nationale CFE-CGC Mayotte, au nom duquel il s’exprime.

©Geoffroy Vauthier

À l’heure où Mayotte se soulève contre l’insécurité, ce « caméléon » est étonnement absent des débats. Pourtant, son rôle dans le développement de la violence n’est plus à prouver pour Alliance Police Nationale. « Une partie de la délinquance est liée au phénomène de la chimique, notamment en ce qui concerne les agressions gratuites », remarque-t-il. Un phénomène constaté également dans les affrontements entre bandes rivales pour le contrôle d’un trafic. Pour le syndicat majoritaire des forces de l’ordre, s’attaquer au phénomène est quasi impossible du fait du manque de moyens. « Chez Alliance Police Nationale, on déplore l’absence de structure dédiée à la lutte contre les stupéfiants à Mayotte. Une filière serait identifiée que nous aurions difficilement les moyens de la remonter », regrette le chargé de communication.

Du côté de la gendarmerie, la lutte contre les stupéfiants est l’affaire de la « section de recherches ». Pour autant, les agents de cette dernière peuvent transiter d’une priorité à l’autre sans qu’un groupe soit exclusivement dédié à la lutte contre le trafic de drogue. En termes de prévention, la police comme la gendarmerie disposent d’un personnel d’intervention dans les établissements scolaires pour sensibiliser la jeunesse aux ravages de cette drogue. Mais pour ce qui est de la répression, le combat contre la drogue passe souvent au second plan : « Les problèmes sont tels à Mayotte que s’attaquer à ce phénomène se ferait au détriment d’autres priorités telles que les cambriolages », admet Thierry Lizola avant de conclure « tant que vous n’avez pas assez de personnel spécialisé, vous ne pourrez que cacher la misère. »

Se fournir : un jeu d’enfant accessible en quelques clics

« Oh putain ! Ils ont augmenté les prix ! » Les yeux rivés sur l’écran de son smartphone, Ali* se connecte à son « site préféré ». Pendant deux ans, cet ancien dealer de chimique s’y fournissait tous les mois. Ici, pas de darknet ou de bitcoin. Un simple mot-clé sur Google et une carte bleue lui ont permis de commander plusieurs centaines de grammes dans le plus grand des calmes. « Maintenant on peut même commander un kilo ! À mon époque ce n’était pas possible », s’étonne-t-il.

Hébergé dans la ville de Derbyshire en Angleterre, le site se présente comme un fournisseur en « produits chimiques » pour la « recherche en laboratoire ». Il affirme proposer des produits de « haute pureté » tout en garantissant à ses clients une totale « confidentialité ». Naturellement, le site récuse toute responsabilité en cas de différend législatif avec les pays où sont exportées les commandes, et précise « ne pas encourager à la consommation de drogues illégales ».

Il suffit pourtant de quelques clics dans l’onglet « Cannabinoïde » pour tomber sur l’une des substances de synthèse les plus utilisées dans la fabrication de la chimique : la MMB Chiminaca. Comble de l’absurde, le site explique que ses effets sur l’homme n’ont pas été analysés en profondeur, tout en indiquant que de nombreux consommateurs l’emploient à des fins « récréatives » plutôt que pour de la « recherche ». En guise d’avertissement, quelques lignes préviennent que ces produits ne sont que des « échantillons non destinés à la consommation humaine ». Pour 2 500 dollars, les internautes peuvent néanmoins commander un modeste « échantillon » de 1 000 grammes de MMB Chiminaca. « À l’époque, je commandais 100 grammes pour 650 euros. Une fois vendu, cela représentait 10 000 euros dans ma poche », se souvient Ali.

À l’origine, rien ne destinait l’homme à devenir un dealer de chimique. Lorsqu’il entend parler d’un site permettant de commander de la drogue sur internet, le jeune homme pense d’emblée à ses proches. « Un membre de ma famille claquait toute sa paye en chimique. Sa femme le menaçait de rupture. Je savais que, quoi qu’il arrive, il n’arrêterait pas sa consommation. Je lui ai donc proposé de me confier une somme d’argent pour qu’il puisse se fournir sans se ruiner », rembobine-t-il. « Au final, j’ai commencé à vendre de petites doses à des amis à un prix bradé. Mes potes étaient sûrs de la qualité du produit, et satisfaits de ne pas devoir se déplacer dans des quartiers chauds. Quant à moi, je pouvais bien arrondir mes fins de mois », poursuit-il.

©Geoffroy Vauthier

Après plusieurs fins de mois largement « arrondies », Ali décide cependant d’arrêter son business. En cause : une prise de conscience des autorités qui commencent à s’attaquer au trafic de drogue de synthèse. « Ça commençait à être vraiment chaud avec les flics. Et puis il y avait aussi les conflits avec les autres dealers. Moi j’avais déjà un boulot, ce n’était pas la peine de prendre autant de risques. » Le dealer repenti évoque aussi un « cas de conscience ». « Un soir, j’ai vu une fille complètement défoncée. Elle était en crise et n’arrêtait pas de hurler et de se tordre dans tous les sens. Je me suis dit : « si ça se trouve, c’est à cause de mon produit qu’elle est dans cet état. » Alors j’ai arrêté. La chimique, c’est une saloperie ».

Quand la drogue prend de vitesse la loi

Contrairement aux drogues « traditionnelles » telles que le cannabis, l’héroïne ou la cocaïne, les drogues de synthèse ont une particularité qui leur permet de contourner la loi : « Les fournisseurs sont malins. Il leur suffit de modifier légèrement la molécule pour que la drogue change d’appellation. Résultat, le temps qu’une loi soit mise en place, dix nouvelles drogues sont sur le marché », résume Ali. Un phénomène bien connu des forces de l’ordre : « La chimique n’est législativement répréhensible que depuis un an. Si certains produits sont reconnus pénalement selon des critères précis, les délinquants ne tombent pas sous le coup de la loi en utilisant des nouvelles substances et de nouveaux moyens de fabrication », reconnaît amèrement Thierry Lizola. Pour contrecarrer le phénomène, les forces de l’ordre peuvent toutefois évoquer le « trafic de substances médicamenteuses ». Mais en l’absence de réel dispositif majeur pour lutter contre les drogues de synthèse, le travail des agents s’apparente à des pansements sur une jambe de bois. Un procédé qui montre rapidement ses limites, comme nous l’explique Ali.

« Ma commande était livrée par colis à Paris », introduit l’ex-dealer pour expliquer la logistique de son trafic. « Je m’arrangeais ensuite pour que ma famille me la transmette par colis postal express. Il m’arrivait parfois d’aller la chercher moi-même. Ça fonctionnait bien. Comment voulez-vous qu’un chien reconnaisse des substances sans odeur, et perpétuellement renouvelées ? » Loin d’être inquiété par les agents de la douane, Ali s’inquiétait surtout des employés des services postaux « qui trouvent parfois le moyen de voler la marchandise ». Une impunité remarquable qui génère des scènes pour le moins incongrues entre trafiquants et forces de l’ordre : « Un jour, la douane m’a contacté pour me demander la nature du produit que j’avais commandé. Ils voulaient tout savoir: son nom, son poids, son prix, etc. J’ai carrément recopié les informations du site tout en précisant qu’il s’agissait d’un produit agricole. Quelques jours plus tard, mon téléphone sonne. C’était le service de livraison : “Bonjour, un colis vous attend”. Je pensais que c’était un piège, mais même pas ! Quand j’ai déballé mon paquet, ils avaient en effet prélevé un échantillon. Mais le reste m’a été livré sans problème ». Après une investigation, Ali comprend ce qui a attiré l’attention des forces de l’ordre : « C’est la faute au membre de ma famille qui m’a envoyé le colis. Il avait mal rédigé la fiche de renseignement. La douane a donc voulu savoir de quoi il s’agissait, tout simplement. Pour le reste, je n’ai jamais eu de poursuites judiciaires ».

Pour Thierry Lizola, ce genre de scène est malheureusement « normale » au vu des lacunes judiciaires autour de la chimique. « En France, explique-t- il, il n’y a pas de crime ou de délit qui ne soit pas explicitement écrit. Ce qui n’est pas prévu par la loi n’est donc pas répréhensible. C’est aussi simple que cela. ».

Du côté du docteur Ali Mohamed Youssouf, spécialiste en addictologie, ce genre de scène n’a également rien de surprenant : « Autrefois, la drogue transitait via les voies aériennes ou les passagers. Aujourd’hui, nous pensons que cela fonctionne à travers des livraisons postales. Ce qui est cohérent dans la mesure où le produit est discret et inodore, contrairement au cannabis qui est plus encombrant et moins rentable ». Retard législatif, manque d’effectif au sein des forces de l’ordre, et difficultés pour contrôler l’ensemble des colis livrés sur l’île : un cocktail détonnant qui fait les beaux jours de trafiquant de chimique à Mayotte.

Un métropolitain à l’origine de l’arrivée de la chimique ?

À écouter le discours des manifestants contre la délinquance à Mayotte, la cause de cette dernière serait majoritairement due aux immigrés comoriens. Mais concernant la chimique, qui demeure une cause importante de la violence sur l’île, ce serait un métropolitain travaillant au sein d’une institution qui aurait initié ce vaste trafic. C’est en tout cas la piste privilégiée par les enquêteurs en 2014.

Cette année-là, près de deux kilos de drogue de synthèse sont saisis à son domicile. L’homme est mis en examen puis écroué pour trafic de stupéfiants, contrebande de marchandise dangereuse pour la santé, mais aussi pour exercice illégal de la profession de pharmacien. Pour l’avocat général, le suspect assurait le ravitaillement de toute l’île de Mayotte via un réseau de complices. Au cœur de son trafic : une société créée en auto-entrepreneuriat basée en Alsace, d’où l’homme est originaire. Sur l’annuaire en ligne de La Poste, sa société est toujours référencée comme « grossiste en produit chimique ».

À l’époque de son arrestation, les enquêteurs estiment qu’il aurait importé près de six kilos de ce produit au cours des deux années précédant son interpellation. Mais il se défend en prétextant que le produit importé n’était pas illégal : « Je n’ai jamais eu de revendeur et je ne possède pas non plus de richesses. J’avais un chiffre d’affaires de 40 000 euros, dont 22 000 euros de bénéfice. J’ai une vie modeste, une maison normale. Je n’ai pas de grosse voiture et je ne voyage pas particulièrement », avance-t-il lors de son procès (1). Pas de quoi satisfaire l’avocat général : « Six kilos pour les uns, dix pour les autres. C’est énorme ! On est bien au-delà de la consommation personnelle”, accuse-t-il. Pour autant, les suites judiciaires de ce dossier seront bien maigres. Ceci s’expliquant notamment par le « changement brutal de juge d’instruction à l’époque », selon l’ancien procureur Joël Garrigue (2), qui reconnaît que « la plupart [des suspects] ont été remis en liberté ». Un temps sous contrôle judiciaire, la tête supposée du réseau le sera également.

Presque quatre ans après cet épisode judiciaire, force est de constater que la chimique est toujours solidement ancrée sur le territoire mahorais. Malgré un renforcement législatif et une prise en main du phénomène par les autorités, les trafiquants redoublent d’inventivité. La méthode la plus simple consistant à produire et à écouler de la chimique en remplaçant sa drogue de synthèse par des produits légaux (médicaments, détergents, etc.). « Même si j’ai arrêté de vendre, je me renseigne toujours sur l’état du marché. Ces derniers temps, les potes m’expliquent que le produit est de plus en plus dégueulasse. Ils mélangent ça avec n’importe quoi maintenant ».

Pour Ali, ce phénomène est plus grave d’un point de vue sanitaire : « Moi au moins je vendais de la qualité », plaide-t-il. En guise d’exemple, l’homme cite l’un des faits divers les plus emblématiques de ce risque sur la santé : « Il y a quelques années, des jeunes ont cambriolé une clinique vétérinaire. Un garçon a fumé un comprimé entier d’anesthésiant pour cheval. Il l’a consommé tout seul en se filmant sur internet. Résultat ? Il est mort sur le coup ».

©Geoffroy Vauthier

Quelles solutions ?

Le fonctionnement législatif étant ce qu’il est, difficile d’imaginer une rapide disparition de la chimique à Mayotte. Pourtant, des solutions existent pour endiguer le trafic et la consommation de chimique. Un travail qui commence avec la multiplication des missions de communication à destination des toxicomanes. « Il faut que le consommateur qui souhaite s’arrêter comprenne qu’il n’est pas seul. Au CHM, une équipe pluridisciplinaire est là pour accompagner les individus dans leur processus de changement. Mais des structures existent également dans les dispensaires ou via des associations », insiste le docteur Youssouf. En termes de répression, le renforcement des effectifs de police et de leurs moyens apparaît comme une condition sine qua non à l’endiguement des drogues de synthèse à Mayotte. « Ce que le syndicat Alliance Police Nationale réclame, c’est la création d’une cellule spécialement dédiée à la lutte contre les trafics », martèle Thierry Lizola. Le syndicaliste plaide également pour une coordination entre les agents de prévention et le secteur associatif. Ce dernier étant l’un des acteurs les plus investis dans le combat contre la chimique.

Ce combat, une poignée de bénévoles le mène depuis deux ans sur les hauteurs du quartier de La Convalescence, à Mamoudzou, auprès des enfants en difficulté. L’objectif de cette École du civisme Frédéric d’Achery ? « Travailler en amont pour éviter que les enfants ne sombrent dans la délinquance ». Fondé par le capitaine de police nationale Chaharoumani Chamassi, ce dispositif est, selon lui, l’une des meilleures solutions pour éviter que les jeunes ne soient tentés par la drogue. « Il faut commencer jeune », martèle l’officier. « Nous accueillons des enfants qui sont tentés par cette drogue, car ils baignent dans un univers précaire. Ils en parlent très clairement avec moi. L’objectif est de leur proposer un cadre, des enseignements, et une occupation pour limiter cette tentation », explique-t-il. Du lundi au vendredi, 16 élèves sont en classe de 18h à 20h pour assister à des cours de français, de mathématiques, d’informatique, d’histoire, etc. Des activités théâtrales, ainsi que des sorties dans le quartier pour le nettoyer de ses détritus, sont également programmées. « Si je n’étais pas en cours, je serais sûrement dans la rue », explique ainsi l’élève le plus âgé de la classe. Conscient de la nécessité d’étendre son dispositif, le capitaine Chamassi donne sa méthode pour détourner les jeunes de la chimique : « Il faut prendre du temps et ne pas se décourager, même si la personne vous insulte. N’hésitez pas à l’approcher plusieurs fois en lui disant simplement qu’il n’est pas seul. Il y a souvent un sentiment de honte qu’il faut dépasser. Personnellement, je valorise ces jeunes en leur donnant des responsabilités. Ils se rendent ainsi compte qu’ils sont plus utiles à la société en étant conscients que drogués », explique celui que l’on surnomme « l’infatigable ».

Un état d’esprit que partage Rachid, le consommateur. Six ans après son premier joint de chimique aux Comores, l’homme affirme avoir totalement décroché. Les hallucinations sur ses jambes soi-disant coupées ? « C’est du passé ! », affirme-t-il. « Quand ma femme m’a menacé de divorcer, j’ai compris que je n’avais plus le choix. Elle avait raison, la chimique m’a causé trop de mal dans ma vie ». Sa technique ? « Il faut tenir quatre jours », répète-t-il inlassablement. « Cette drogue permet de dormir. Dès qu’on l’arrête, il est impossible de trouver le sommeil. Pendant quatre jours, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Les programmes nocturnes à la télévision ? Je les connais par cœur ! Mais si on tient quatre jours, alors le reste n’est qu’une question de volonté ». Après quelques kilos perdus, et quelques neurones partis en fumée, Rachid tire un bilan sans nuance : « Mon message à la jeunesse ? Ne touchez jamais cette merde. On n’a jamais vu d’artiste développer son potentiel créatif avec cette drogue. La chimique n’a rien à vous apporter, si ce n’est de la souffrance ». Paroles de connaisseur.

*Les prénoms ont été modifiés.

(1) Journal de l’île de La Réunion, août 2016.

(2)Journal de Mayotte, février 2016.

 

Témoignage « Drogué à mon insu »

À Mayotte, les fumeurs de bangué ont une règle à ne contourner sous aucun prétexte : ne jamais fumer sur le joint d’un inconnu. Parfois, il peut s’agir d’un piège pour vous droguer à la chimique, puis vous dépouiller. Baptiste a bien failli en payer les frais. « J’étais parti chercher du bangué avec un pote à Cavani, quand un jeune m’a abordé. Après avoir donné mon argent au dealer, ce type a commencé à sympathiser. Il semblait cool au début. Quand il m’a proposé de tirer sur son joint, j’ai refusé. Mais il a insisté en me rassurant : « Ce n’est pas de la chimique », répétait-il. J’ai tiré une barre, rien. Deux barres, pareil. Soudain, tout a tourné autour de moi. J’ai eu des hallucinations et je n’arrivais plus à marcher. Même inconscient, j’ai compris la situation. Ce mec m’avait drogué. Heureusement que je n’étais pas seul. Ça aurait pu être très dangereux. Mon pote m’a presque porté jusqu’à la maison. Une fois remis de mes émotions, nous sommes retournés voir le dealer car celui-ci ne m’avait pas donné mon bangué. Il a essayé de me la faire à l’envers, mais après de longues négociations, j’ai eu ce que je voulais. Cette expérience m’a confirmé deux choses que je savais déjà : la chimique est une drogue horrible à éviter. Et fumer sur les joints des inconnus, c’est vraiment une idée de merde. »

Chronologie

2011 : apparition pour la première fois de la « chimique » à Mayotte

2012 : première prise en charge de cas d’usage de chimique au CHM

2013 : premier pic d’usage de la « chimique »

2014 : interpellations et procès d’envergure

2015 : deuxième pic de consommation. Expansion de la chimique chez les lycéens et collégiens

2016 : Régression des cas d’admission aux urgences et service d’Addictologie

2017 : Renforcement de l’arsenal judiciaire autour des drogues de synthèse

Source : « Chimiques à Mayotte », Dr Youssouf Ali, Centre hospitalier de Mayotte

 

Une élection sous un ciel orageux

Avec respectivement 36,15% et 32,59%, Ramlati Ali et Elad Chakrina sont les deux candidats en ballotage, à l’issue du premier tour de l’élection législative partielle de la première circonscription. Emaillé d’incidents, ce scrutin s’est tenu dimanche dans un climat étrange et sous un ciel orageux. Reportage.

Malgré la demande de report de l’élection législative partielle formulée par les maires – à l’exception de celui de Mamoudzou – pour des « raisons de sécurité », le scrutin a bien eu lieu ce dimanche 18 mars et a qualifié Ramlati Ali et Elad Chakrina pour le second tour. « Je leur ai solennellement dit que les élections se tiendraient. Mayotte, c’est la République. La République, c’est la démocratie. La démocratie, ce sont les citoyens qui s’expriment dans les urnes. En votant. Le droit de vote est sacré. L’État prendra toutes les dispositions pour assurer le bon déroulement du scrutin », a déclaré le préfet de Mayotte suite à son entrevue avec les élus.

De leur côté, les organisateurs de la grève générale avaient appelé les Mahorais à ne pas se rendre aux urnes ce dimanche. La consigne a semble-t-il été suivie par une partie des électeurs. La participation a atteint 30,39% à la fermeture des bureaux de vote, en nette baisse par rapport à la précédente. En juin dernier, pour cette même élection, elle affichait 42,28% pour le premier tour. Dès le matin, au bureau centralisateur de Mamoudzou, où remontent participations et résultats, la présidente, Sitti-Raouzat Soilihi, constatait « un taux très faible de participation à 10h à 4% contre 10% habituellement » à la même heure.

Parmi les électeurs matinaux, Mouhamadi Houssam, 26 ans. Cet employé de la Colas est opposé à la grève générale qui « fait baisser l’économie », et n’a donc pas tenu compte des consignes des organisateurs du mouvement de contestation. « Voter, c’est un droit », a-t-il déclaré solennellement en sortant d’un des 176 bureaux de vote du territoire.

Alain Khodidas, quant à lui, a glissé un bulletin dans l’urne « par devoir. Je suis de tout coeur avec eux [les grévistes] », indique ce commerçant. « L’insécurité est partout en ce moment mais on ne peut pas abîmer ça, la liberté, l’égalité, la fraternité. » Marie, qui est venue voter avec sa maman, a été « révoltée » par les fraudes qui ont conduit à l’invalidation de la précédente élection législative. A Mayotte, selon elle, « certains se sont installés comme s’ils étaient dans une monarchie. Si la situation est chaotique, c’est parce qu’il y en a depuis longtemps qui se sont attribués les postes, sous peine de défavoriser le développement social et économique ».

Incidents en cascade

Le scrutin de ce dimanche ne s’est pas déroulé sans incidents. Dans les bureaux de vote du Nord, un nouveau candidat s’est invité : le bulletin noté « Sécurité ». Le matin même, toujours dans le nord de l’île, une dizaine de bureaux de vote auraient été bloqués, selon nos informations, dont « trois ou quatre » à Acoua, nous indique le directeur général des services de la commune. Ils ont cependant rapidement rouvert, notamment grâce à l’action des services municipaux. L’élection s’est déroulée « dans de bonnes conditions », s’est félicité le DGS. Dans certains bureaux de vote du chef-lieu, les bulletins du candidat Boina Dinouraini ont rapidement manqué, en raison d’un nombre insuffisant mis à disposition. « L’essentiel pour moi était de faire passer mon message », philosophe le candidat, interrogé dans un bureau de vote de Kawéni. A Longoni, l’intersyndicale a improvisé un bureau de vote fantoche, très fréquenté par les grévistes mais sans aucune valeur officielle.

La catastrophe a été frôlée dans l’après-midi lors du vol temporaire de deux urnes dans la commune de Mtsamboro, par deux individus, a confirmé le maire. « Le vol a duré cinq minutes », explique Harouna Colo, le maire de Mtsamboro. « Elles ont été brièvement volées, quelques secondes », confirme la préfecture de Mayotte qui atteste qu’elles n’ont « pas été violées » et que, par conséquent, cet incident n’est pas de nature à invalider le scrutin.

 

Renforcement des barrages

Suite à une réunion dimanche soir, l’intersyndicale et le collectif ont annoncé « durcir le mouvement » avec un « renforcement des barrages » à partir d’aujourd’hui. Dans une volonté de bloquer la deuxième semaine de la rentrée scolaire et dans l’attente d’un « émissaire apte à négocier, avec un mandat », l’intersyndicale ne multipliera pas les barricades mais les renforcera, ne laissant plus passer le ravitaillement alimentaire.

Mayotte Hebdo de la semaine

Mayotte Hebdo n°1116

Le journal des jeunes