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Quand les makis sont là, les rats dansent sur l’îlot Mbouzi

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Les rats pullulent sur l’îlot Mbouzi et détruisent la biodiversité sur leur passage. Introduits dans cet écosystème par l’homme, ils rongent la biodiversité native de l’îlot en face de Mamoudzou et risquent de faire disparaître certaines espèces. Pendant trois ans, une étude de faisabilité concernant la dératisation de cette réserve naturelle a été menée. Celle-ci y voit un obstacle, la présence des makis, l’espèce emblématique de l’île.

Oeufs de paille-en-queue, couleuvres de Mayotte, vanille, écorce d’ébènes des Comores… Les rats dévorent tout sur l’îlot Mbouzi. « Même les graines des plantes, ce qui empêche leur renouvellement. On ne voit plus fleurir la vanille endémique », donne comme exemple de dégâts Louis Maigné, le conservateur de la réserve naturelle nationale de l’îlot Mbouzi, situé au large de Mamoudzou. « On a vu un rat attaquer un crabe de mangrove. C’est extraordinaire d’agressivité et de capacité de prédation », constate de son côté Paul Defillion.
Ce dernier est arrivé depuis la Polynésie française sur le territoire mahorais il y a trois ans, pour se charger du projet de restauration des écosystèmes insulaires de l’océan Indien à Mayotte (Recim), mené par l’association Les Naturalistes, qui a la gestion de la réserve de Mbouzi. Le but du scientifique était de mener une étude de faisabilité concernant l’éradication du rat sur l’îlot. Cette opération fait partie d’un programme plus vaste de lutte contre les espèces exotiques envahissantes (EEE), piloté par les Terres australes et antarctiques françaises (Taaf).
Les espèces exotiques sont celles amenées par l’homme sur un territoire où elles n’auraient pas pu aller par leurs propres moyens. On parle d’espèces exotiques envahissantes dès lors que leur croissance met en danger la subsistance des espèces endémiques (indigènes). Les EEE n’ont généralement pas de prédateur dans leur écosystème d’accueil, et les espèces locales ne sont pas armées pour faire face à la prédation ou compétition imposée par cet envahisseur. « Aujourd’hui, à l’échelle de la biodiversité de la planète, on est dans la sixième extinction de masse. Les espèces exotiques envahissantes en sont la deuxième cause, après la destruction de l’habitat. Et à l’échelle des îles, c’est la première cause de disparition des espèces endémiques », alerte Paul Defillion.

7.700 individus en saison humide

Introduit par la navigation et les pêcheurs, le rat est une EEE qui ravage l’écosystème de l’îlot Mbouzi. Le nourrissage, pendant un temps, des makis qui y ont été amenés au début des années 2000, a permis aux rats, qui se sont régalés, de proliférer, même si aujourd’hui, leur nombre s’est stabilisé. Estimer le nombre de rongeurs, c’était d’ailleurs une des premières étapes de la mission de Paul Defillion. « On a capturé des individus, on les a marqués, puis relâchés, puis re-capturés un certain nombre de fois en notant le numéro qu’on leur avait attribué », détaille le chargé de projet, qui a ainsi pu estimer le nombre de rats à environ 7.700 en saison humide et 3.500 en saison sèche.

La technique généralement utilisée pour dératiser une île est l’épandage par hélicoptère d’appâts avec du brodifacoum, un rodenticide (produit qui a la propriété de tuer les rongeurs). Pour voir si cette technique était applicable sur l’îlot, Paul Defillion et l’équipe de la réserve ont fait des tests sur six hectares. Avec des appâts neutres contenant un marqueur fluorescent, sans anticoagulant, ils voulaient voir si les rats, mais aussi les autres espèces, les mangeraient. « La totalité des rats en ont mangé. Donc c’était très positif », raconte le chargé de projet. Les oiseaux ne s’y intéressaient pas, les roussettes ne se nourrissent pas au sol, les reptiles ne sont pas sensibles à cet anticoagulant… Tous les feux semblaient au vert. « Mais des makis en ont mangé », tranche le scientifique. Or, bien qu’il soit exotique à Mayotte et présent que depuis très récemment sur l’îlot, le maki est une espèce protégée. Paul Defillion a alors fait venir de Nouvelle-Zélande des appâts avec un agent amérisant devant repousser les herbivores : « Avec l’absence de pluie qu’il y a eu cette année-là et le manque de nourriture, les makis se sont quand-même jetés dessus ». Impossible donc d’empoisonner les rats sans prendre le risque d’empoisonner certains des 190 makis présents dans la réserve.

Les primates compliquent l’équation

« Techniquement, il est donc possible de dératiser l’îlot. Mais nous ne le ferons pas, en tous cas pas avec de l’épandage d’appâts depuis les airs », conclut Paul Defillion. Si le brodifacoum ne peut pas être dispersé par hélicoptère selon les lois européennes, il reste possible d’obtenir une dérogation. Mais avec les makis dans l’équation, même s’ils ne sont pas endémiques de Mayotte, c’est peine perdue. « Éthiquement, les makis restent des primates. Donc quand on évoque devant les gens, qui les voient comme des peluches, le risque d’un impact sur les makis, c’est immédiatement inacceptable », explique-t-il.
Et si on déplaçait les makis le temps de la dératisation ? « Il y a plus de risque de tuer des makis en faisant cela qu’en épandant les appâts par hélicoptère », explique Louis Maigné, conservateur de la réserve naturelle. Cela les stresserait, et s’ils s’endorment dans un arbre après avoir reçu une fléchette anesthésiante, ils peuvent tomber et mourir.
Mais la réserve n’a pas dit son dernier mot. Si Paul Defillion a achevé son séjour à Mayotte avec la rédaction de son rapport sur cette étude de faisabilité, les protecteurs de l’îlot Mbouzi vont continuer à lutter contre les rats. Au lieu d’être dispersés par hélicoptère, les appâts seront placés dans des boîtes d’appâtage et posés à la main tous les vingt mètres environ. « On va devoir faire une grille sur tout l’îlot. Ça va être un travail titanesque », prévient le gardien de l’îlot, qui espère que cette opération pourra commencer à la saison sèche 2025, durant laquelle les rongeurs seront moins nombreux. « Nous allons devoir fabriquer 1.500 boîtes et les répartir sur tout l’îlot, y compris au niveau des falaises. » Une méthode moins efficace, car tous les rongeurs ne veulent pas entrer dans ces boîtes, mais qui permettra de ne cibler qu’eux.
Si une éradication totale n’a jamais été obtenue avec cette technique, elle devrait au moins permettre un contrôle de la population de rats, et, peut-être, à la biodiversité de l’îlot de retrouver un état qu’elle n’a pas connu depuis longtemps.

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