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Deux décès en 24h liés aux barrages, selon un médecin

Mayotte s’enfonce dans la crise sanitaire. En 24h, un nourrisson de quatre mois est mort des suites d’une bronchiolite et un homme d’un AV C. Ces deux décès auraient pu être évités si l’île n’était pas paralysée, selon un médecin. Le personnel du SMUR est par ailleurs en droit de retrait mais “il fonctionne”.

La liste des décès suspectés d’être causés par la paralysie de l’île s’allonge. Dans la nuit de lundi à mardi, un enfant est décédé des suites d’une bronchiolite à l’hôpital périphérique de Dzoumogné. “La maman a dit que ça faisait plusieurs jours qu’elle n’osait pas venir au dispensaire car elle risquait d’être refoulée au barrage […] Elle avait peur de se faire molester”, du fait de sa présence en situation irrégulière à Mayotte, rapporte le docteur Durasnel, du centre hospitalier de Mayotte. Vice-président de la commission médicale d’établissement, il s’exprime “à titre personnel” dans nos colonnes. La mort de l’enfant serait ainsi “en rapport avec un retard de prise en charge”. Une autre source médicale confirme anonymement le décès du nourrisson, âgé de quatre mois, “en raison de l’impossibilité de le ramener aux urgences de Mamoudzou à cause des barrages”.

“À Koungou ce [lundi] matin, une ambulance du service départemental d’incendie et de secours a été retardée plusieurs minutes sur un barrage. Cette ambulance transportait une personne victime d’un accident vasculaire cérébral. Cette personne est décédée à son arrivée aux urgences”, indique de son côté la préfecture, par voie de communiqué. Elle ne fait pas de lien de cause à effet entre ces deux événements, tout en déplorant ces “difficultés sanitaires liées aux barrages”. Pour le docteur Durasnel, il n’y a “pas de doute […] Le décès est en rapport avec le retard de prise en charge”. De son côté, l’intersyndicale “refuse cette responsabilité”. D’après elle et plusieurs témoignages d’infirmiers sur place qu’elle aurait recueillis, cette personne n’était “pas récupérable” et “est décédée chez elle”. Elle aurait été “transférée à l’hôpital pour le geste”, a déclaré le syndicaliste Salim Nahouda. “L’ambulance a passé le barrage très rapidement (…) Je n’accepte pas cette désinformation et ces accusations”, ajoute-t-il encore.

Calme suspect en pédiatrie

“Depuis le début du mouvement, quatre décès sont en rapport avec la situation” de la grève générale, affirme le docteur Durasnel. Le médecin avait développé les circonstances des deux autres décès lors d’une conférence de presse, le 14 mars dernier. Un enfant était mort suite à “des problèmes respiratoires […] à domicile. Les parents n’avaient jamais fait appel au Samu. [Ils] nous ont expliqué avoir essayé d’aller au dispensaire et ne pas avoir pu […] à cause des barrages. Il y a un autre enfant qui est décédé à domicile, qu’on n’aurait pas pu aller chercher parce que le chemin était bloqué. Il était décédé au moment de l’appel des parents.” A l’époque, un responsable des pompiers confirmait dans nos colonnes le décès d’un nourrisson de deux mois, à Koungou. Les soldats du feu avaient été ralentis dans leur intervention par un barrage, sans que l’on puisse faire de lien entre la mort de l’enfant et cet élément.

“La crainte qu’on a, c’est qu’il y ait un certain nombre de décès dont on n’est pas informé ou dont on ne sera jamais informé”, indique désormais le docteur Durasnel. “On n’a rien pour l’étayer. À titre d’exemple, il y a une épidémie de bronchiolite” et un service dédié a été mis en place pour la prise en charge de ces jeunes malades, au centre hospitalier. Or, “on est surpris de ne pas recevoir ces enfants qu’on recevait en grand nombre […] Il n’y a plus d’enfants admis pour bronchiolite depuis que les barrages ont commencé à être vraiment hermétiques. On se demande où sont les enfants. On suppose qu’il y a des enfants dans la nature qui vont mal, ou qui sont enterrés en toute discrétion. Un clandestin qui habite dans un “banga” quelque part en brousse, je ne pense pas qu’il aille en mairie” déclarer le décès, ajoute le docteur Durasnel.

Il évoque également “un bébé en réanimation dans un état catastrophique”, placé sous “ventilation artificielle. La famille avait tenté de passer seule les barrages”, sans succès. La prise en charge du nourrisson a été retardée. “Il va peut-être mourir”.

“On soupçonne que le bilan est probablement déjà plus lourd que ce qu’on sait. On ne le saura peut-être jamais. On a des doutes au regard de l’activité actuelle du centre hospitalier, anormalement basse”, s’alarme le médecin. Il précise qu’une “dizaine de fois”, des femmes sur le point d’accoucher “ont été bloquées à des barrages […] Une femme, qui faisait une hémorragie, n’a pas pu être acheminée à la maternité de Mamoudzou” après un “double blocage” de l’ambulance puis du Samu arrivé en renfort. “Elle a accouché dans des conditions périlleuses à Dzoumogné. Elle n’est pas morte […] Elle a eu de la chance.” Le site n’est “pas équipé pour faire des accouchements comme ça […] On est passé près du drame”.

Et d’ajouter : des soins prévus “ne peuvent pas se faire ou [se font] avec beaucoup de retard”, citant en exemple les chimiothérapies et dialyses, du fait de ce manque d’accès aux soins. L’acheminement de produits est compliqué par les barrages. “Des patients qui sont sous oxygène à domicile ont dû arrêter temporairement leur traitement”.

Leptospirose et droits de retrait du SAMU

Pour l’heure, « on ne peut pas faire de lien de causalité entre les retards [de prise en charge] et les décès », réagit François Chièze, le directeur de la veille sécurité sanitaire à l’Agence régionale de santé. Le médecin promet une analyse précise des cas suspects. Le responsable de l’ARS confirme également que le “couloir sanitaire” menant au nord de l’île était non-effectif mardi matin. L’hélicoptère utilisé pour porter secours à la population ne pourra réaliser plus que “10 heures de vol avant révision” selon un document de l’ARS porté à notre connaissance. Le directeur de la veille sanitaire évoque des « réunions interministérielles » pour son « remplacement dans les plus brefs délais ». Selon le document consulté, un patient devant être dialysé était récemment bloqué à Miréréni par des arbres abattus, en situation de “haut risque vital”. Le docteur Chièze indique que ce dernier a pu finalement être pris en charge. Il évoque par ailleurs deux cas de dengue ainsi que des patients atteints de leptospirose.

Selon le document de l’ARS cité, le SMUR est en droit de retrait, suite à un incident récent. Le centre hospitalier de Mayotte (CHM) confirme. “La sécurité des équipes n’est plus assurée dans certaines portions de l’île et le temps d’intervention est allongé. Mais [le SAMU 976] fonctionne”, rassure-t-on du côté du CHM. “Les interventions seront assurées dans tout Mayotte (avec une escorte de gendarmerie et s’il y a atteinte à l’intégrité physique des personnels, les équipes feront demi-tour)”, précise-t-on du côté du centre hospitalier. A noter la mobilisation dès ce mercredi de la réserve sanitaire au CHM , « essentiellement au bloc opératoire », précise François Chièze. Neuf agents sont attendus ce jour. Un nombre qui devrait rapidement être porté à une trentaine, avec d’autres arrivées de personnels soignants dès ce jeudi.

 

Grève générale | Le leader des Grands frères de Guyane conseille les grévistes

« Arrivé à un certain stade, les barrages ne sont plus nécessaires »

C’est ce qu’a assuré dimanche Mickaël Mancée, le leader de l’association des Grands frères de la Guyane, dans une vidéoconférence. Interrogé sur la grève générale à Mayotte, il assure qu’il « ne faut pas mettre de côté » les élus et s’entourer de « sachants » pour élaborer la plateforme revendicative.

Déjà 11 000 vues ce lundi matin. La vidéoconférence organisée dimanche soir par Oustadh Abdel-Malek (son nom Facebook) a enregistré une audience d’ampleur. Il interrogeait Mickaël Mancée, le président de l’association des Grands frères de la Guyane, un mouvement qui rassemble une partie des 500 Frères, mobilisés en mars et avril 2017 lors d’un mouvement social d’ampleur en Guyane.  

Interrogé sur la pertinence de paralyser l’île, cinq semaines après le début de la grève générale, le Guyanais indique : « Barrer un temps pour alerter les autorités, leur montrer notre mécontentement, je ne suis pas contre. Maintenant, quand ça dure trop longtemps, les seuls qui sont punis, c’est nous-mêmes […] Je tiens à préciser que je [donne] mon avis en tant que Mickaël Mancée […] Je ne dis pas « Faites ci ou faites ça » […] La question des barrages a été une grosse question ici [en Guyane]. Quand ça commence à durer trop longtemps, obligatoirement, il y a des frictions. Ça n’est plus nous contre l’État. C’est nous contre nous-mêmes […] Les gens qui ne peuvent pas se déplacer comme ils veulent, qui ne peuvent pas manger comme ils veulent, obligatoirement, ça commence à les gazer. Si on veut garder l’unité, je pense qu’il faut savoir s’arrêter au bon moment », développe-t-il.

« Le combat doit prendre une autre forme »

« Pour moi, arrivé à un certain stade, les barrages ne sont plus nécessaires. Si on veut mettre la pression sur l’État, il faut trouver d’autres moyens […] La vie doit continuer et le combat doit prendre une autre forme. Pour moi, les barrages, ce n’est pas le seul moyen de mobilisation », poursuit Mickaël Mancée.

« S’il faut faire des barrages, il faut que ce soit quelque part où ça gêne l’État, pas la population […] Je ne veux pas punir la population pour laquelle je me bats. Ça n’aurait pas de sens […] Les seuls qui sont lésés, ce sont ceux pour qui on se bat. L’État, il regarde simplement et il attend de voir quand les gens vont se retourner contre nous. Ça n’a pas de sens. […] On a eu des barrages ici […] Pendant un temps, ils comprennent et ils sont d’accord […] Arrivé à un certain stade, on ne peut pas bloquer les gens. Ils ne vont pas adhérer, c’est normal […] Leur liberté de circuler, d’aller et venir est mise à mal […] Il faut réussir à trouver le bon moment pour arrêter ça et passer à autre chose. [Si] certaines personnes doivent retourner travailler […] il faut l’accepter aussi. Il faut que les gens vivent, c’est normal », assure-t-il.

« J’ai compris après, parce que souvent les gens me l’ont répété, que c’était un combat politique  […] Je leur disais : « Mais moi je ne suis pas venu faire de la politique » […] Quand tu prends le temps d’analyser, on vit dans un système et le système a des règles. C’est par la politique qu’on pourra faire avancer les choses […] Il faut faire des dossiers que les politiques vont aller présenter à l’État […] Ça prend du temps de les faire si ça n’a pas déjà été travaillé auparavant […] Il faut faire appel à des experts », témoigne celui qui a démissionné de son poste de policier pour mener le mouvement social en Guyane.

« La tournure du combat, maintenant, doit être politique […] Il va falloir mettre les politiques, en tout cas ici [en Guyane], face à leurs responsabilités […] Normalement, c’est leur taf. On ne devrait même pas avoir à le faire », déplore Mickaël Mancée. « Les politiciens, ils ont un mandat. Ils ont été élus par la population. S’ils ont l’impression que des manifestants sont en opposition avec eux, ils vont se braquer […] Je suis d’avis […] de travailler avec nos élus […] ça ne veut pas dire qu’on ne leur dira pas après leurs quatre vérités s’ils ont fauté […] Ensuite le linge sale se lave en famille […] Pour le moment, on est en grève […] on est ensemble […] il ne faut pas les mettre de côté […] La politique doit servir à mettre en place ce que vous voulez », déclare-t-il, alors que le dialogue semble rompu entre les élus locaux et les organisateurs de la grève générale (voir notre édition de lundi).

« Se demander ce que nous, nous pouvons faire »

« Il faut voir loin, savoir ce qu’on veut, comment on veut le faire […] Il faut des experts, des « sachants », des gens qui connaissent leur domaine […] C’est facile d’aller crier, de se faire voir […] Il faut savoir de quoi on parle […] Je reste perplexe sur le fait que « La France s’en fout de nous » […] Je sais qu’il y en a plein qui sont un peu racistes […] Je suis certain qu’ils ne sont pas tous comme ça […] Je me demande maintenant si tous les moyens ont été utilisés pour faire avancer les choses […] Je n’ai plus envie de me tourner seulement vers l’État […] J’ai envie de regarder aussi ici ce qu’il se passe […] Est-ce qu’on a fait jusqu’à maintenant ce qu’il fallait pour  ne pas se retrouver dans cette situation ? […] On a trop tendance à regarder ailleurs, [à dire] : « C’est l’État qui fait ci, c’est l’État qui ne veut pas ». Je crois qu’il y a d’autres choses aussi », met en garde Mickaël Mancée. « Il faut qu’on cesse d’attendre que les solutions viennent des autres […] Au lieu de toujours dire ce sont les autres qui ne font pas, [il faut] se demander ce que nous, nous pouvons faire ».

« Toutes les démarches que vous allez faire pour demander des mesures adaptées à Mayotte ou peut-être des infrastructures […] il faut être conscient que si c’est une adaptation de la loi, ça va prendre du temps, [idem si] ce sont des infrastructures […] Il va falloir trouver, en attendant, des solutions d’urgence qui vont permettre d’attendre que les choses aillent mieux. » Le leader guyanais fait une métaphore pour compléter son propos : « Si tu vois une maison qui brûle et que tu te dis il va falloir faire une caserne », c’est insuffisant. Et d’ajouter : « Pour moi, le quotidien des Guyanais n’a pas changé […] On demande des infrastructures, des effectifs […] ça va nous prendre entre 12 et 15 ans […] Il nous faut des solutions d’urgence ».

Selon l’intervieweur, des grands écrans ont été installés sur certains barrages de Mayotte, pour suivre cette intervention en direct. Reste à savoir si les leaders du mouvement social mahorais vont s’imprégner d’une partie des conseils prodigués par Mickaël Mancé.

 

Législative partielle | Ramlati Ali réélue

Malgré les menaces de blocage de l’intersyndicale et du collectif et quelques incidents en début de matinée, le second tour de la législative partielle s’est correctement déroulé dimanche. Dans la soirée, Ramlati Ali a été réélue députée de la première circonscription de Mayotte.

A 9h10 hier, et malgré les menaces de l’intersyndicale et du collectif, les 73 bureaux de la première circonscription étaient bien ouverts et accueillaient dans le calme les citoyens appelés aux urnes. Quelques incidents ont été déplorés dans le nord de l’île mais la situation a rapidement été réglée par les services municipaux des communes concernées et grâce au concours de la gendarmerie. 

En effet, à Acoua, l’équipe municipale a découvert le matin « des portes condamnées et des serrures endommagées », débloquées grâce à l’action de la gendarmerie, a indiqué le directeur général des services (DGS) de la commune. A Koungou, trois bureaux de vote avaient été bloqués « certainement dans la nuit » par « de la glu » et « de la ferraille soudée », a déclaré la DGS. La commune a demandé à la gendarmerie d’encadrer les actions de déblocage des bureaux de vote, des « échanges assez vigoureux » s’étant tenus entre l’équipe municipale et des manifestants rassemblés devant deux des trois bureaux de vote concernés, à Trévani et à Kangani.

Mais exceptés ces incidents, le scrutin s’est déroulé sans encombres et le taux de participation a atteint 41,19%. Le second tour a ainsi beaucoup plus mobilisé que le premier tour, dont le taux de participation avait été chiffré à 30,39%. 

Hier, Ramlati Ali (sans étiquette) est arrivée largement en tête, avec 54,99% des voix (soit 8 279 votes exprimés en sa faveur) tandis que son rival, Elad Chakrina (LR), a remporté 45,01% des suffrages (soit 6 777 voix). Pour rappel, au premier tour de la législative partielle dimanche 18 mars, Ramlati Ali avait remporté 36,15% des voix, devant Elad Chakrina, qui avait obtenu 32,59% des suffrages.

« L’important, c’est que Mayotte avance », a déclaré, bon perdant, Elad Chakrina sur Mayotte la Première dimanche. « Il faut tourner la page, il faut aller de l’avant », a encore affirmé le candidat malheureux. « Cette victoire a démontré que le choix des Mahorais, c’était bien d’avoir Ramlati Ali », s’est réjoui pour sa part l’élue. 

 

Destruction de plusieurs squats au Baobab

Dans le cadre de la lutte contre l’immigration clandestine et l’habitat indigne, les services techniques de la mairie de Mamoudzou ont procédé ce matin à la destruction de plusieurs squats au quartier Baobab à M’tsapéré. Une opération qui a nécessité l’interruption momentanée de la circulation. Cette action intervient trois jours après la signature d’une convention entre le collectif Mamoudzou en sécurité et la mairie de Mamoudzou dans le cadre de la lutte contre l’insécurité. « Plusieurs actions seront menées dans les prochains jours sur l’ensemble de la commune » a indiqué un représentant de la commune chef-lieu.

 

Diplomatie | Les Comores refusent les étrangers expulsés de Mayotte

Mercredi, les Comores ont déclenché une crise diplomatique avec la France, en refusant d’accueillir sur leurs terres les étrangers en situation irrégulière expulsés de Mayotte. Le retour des 96 clandestins sur l’île aux parfums a conduit à de nombreuses tensions jeudi. Les ministères des Affaires étrangères et des Outre-mer travaillent de concert à la résolution de ce conflit.

Rappelons les faits : mercredi, 96 personnes retenues au centre de rétention administrative (CRA) de Mayotte ont été éloignées à Anjouan (Union des Comores). Mais, conformément aux dernières déclarations du ministre des Affaires étrangères comorien, le bateau a été sommé à 19h30 de ne pas faire descendre à terre les clandestins reconduits à la frontière. Ramenés à Dzaoudzi jeudi à 8h du matin, ils ont été pris en charge par les autorités françaises qui les ont « accueillis le plus dignement possible », a insisté le directeur adjoint de la police aux frontières (PAF). Ces personnes ont été menées dans un premier temps dans l’enceinte de l’hôpital de Petite-Terre et toutes ont pu prendre un petit-déjeuner et un déjeuner. « D’un point de vue juridique, on ne peut pas les maintenir au CRA car on estime qu’elles ont déjà fait l’objet d’une procédure d’éloignement. Le seul cadre juridique possible est un placement en zone d’attente (…) pour un maximum de quatre jours », explique le directeur adjoint de la PAF. Ainsi la préfecture de Mayotte a-t-elle décidé de les placer au gymnase de Pamandzi, « en attendant la résolution du conflit diplomatique », indique la police aux frontières.

Refus d’une partie de la population

Cette décision préfectorale a motivé un soulèvement d’une partie de la population de Petite-Terre puisque plus d’une centaine de manifestants protestaient dans l’après-midi aux abords du gymnase de Pamandzi, soutenus dans leur démarche par le conseil municipal. Ce dernier a remis une motion au préfet de Mayotte indiquant « ne pas être favorable à l’accueil des personnes en situation irrégulière » et « recevoir la décision de réquisition du gymnase de Pamandzi (…) comme un affront à la population locale ». La Ville précise qu’elle « se désengage de toute responsabilité concernant l’accueil et la sécurité » des étrangers en situation irrégulière. Joint par téléphone, un conseiller municipal a déclaré « craindre des débordements », surtout lors de l’élection législative partielle de dimanche, et a affirmé que l’ensemble de l’équipe communale avait rallié les manifestants. En outre, il a déclaré avoir peur que les individus hébergés au gymnase en « dégradent le parquet ». Très remonté, ce conseiller municipal s’est emporté : « Que la préfecture les loge au CRA, qu’ils montent des tentes ! (…) Quitte à les relâcher ! » 

Le conseiller départemental de Pamandzi Daniel Zaïdani a aussi exprimé par voie de communiqué sa formelle opposition à la réquisition du gymnase, soulignant qu’il « n’a pas été construit pour héberger des personnes. En effet, le revêtement au sol est d’une très grande sensibilité. Il serait immédiatement et irrémédiablement détérioré si  d’aventure des campements venaient à y être installés ». Il propose que le haut représentant de l’État lui préfère d’autres alternatives telles que le CRA, la préfecture ou les sites du détachement de la légion étrangère de Mayotte (DLEM) ou encore du bataillon du service militaire adapté (BSMA).

Le CRA saturé

D’une capacité totale de 148 places, le centre de rétention administrative accueillait jeudi 147 personnes. Depuis le 15 mars, des actions conjointes de la police aux frontières, de la direction départementale de la sécurité publique et de la gendarmerie ont mené à l’éloignement de quelque 600 personnes (départs volontaires compris), a indiqué la préfecture mercredi soir par voie de communiqué. Les bateaux ramenant les personnes en situation irrégulière aux frontières ne rallient plus pour le moment l’Union des Comores, a confirmé la police aux frontières car « ce n’est plus possible ». Les opérations de lutte contre l’immigration clandestine « ne sont pas arrêtées en totalité » mais baissent en volume. En outre, des mesures administratives d’éloignement sans placement au CRA sont prises. Concernant les 96 personnes refoulées d’Anjouan, des prolongations de rétention peuvent être envisagées, sous contrôle judiciaire, c’est-à-dire sur décision du juge des libertés et de la détention. En tout état de cause, il est impossible de retenir un individu plus de 45 jours. Au-delà de cette limite, il est libéré.

Réaction du Quai d’Orsay

Jeudi, la ministre des Outre-mer tenait une réunion à Matignon avec le Premier ministre et un représentant du Quai d’Orsay. Le ministère des Affaires étrangères a d’ailleurs réagi jeudi : « La France déplore la circulaire du ministre des Transports comorien qui interdit aux compagnies aériennes et maritimes de prendre à bord toute personne considérée par les autorités qui administrent Mayotte comme en situation illégale. Les termes de cette circulaire comme sa portée sont contraires à la relation que nous souhaitons entretenir avec les Comores. Nous avons immédiatement approché les autorités comoriennes pour que cette décision soit rapportée ».

 

Kamardine appelle le gouvernement à bloquer immédiatement la délivrance de visas

Par voie de communiqué, le député Mansour Kamardine appelle « le gouvernement français à bloquer immédiatement toute délivrance de visa et de titre de séjour, à tout ressortissant comorien, dans les ambassades de France à l’étranger et dans les préfectures en France ». Le parlementaire rappelle que « la dernière fois que l’État comorien s’est agité de la sorte, le gouvernement français de l’époque, n’inscrivant pas son action dans l’acceptation de l’envahissement d’une partie du territoire national par les ressortissants d’un État étranger, la question a été réglée sans coup férir et en 48h par la suspension de la délivrance de visa au départ de Moroni. »

 

Réaction de l’intersyndicale : « Une action imminente sur Mamoudzou »

Jeudi, l’intersyndicale à l’origine du mouvement de lutte contre l’insécurité s’est exprimée sur la crise diplomatique en ces termes : « Le bateau ramenant des personnes en situation irrégulière a été contraint de rebrousser son chemin sur Mayotte. Cette actualité légitime la position des Mahorais-ses dans la poursuite du mouvement. En moins d’une semaine, les engagements de la ministre des Outre-mer ont atteint leurs limites. L’intersyndicale et le collectif ont toujours estimé que les mesures de la ministre des Outre-mer n’avaient pas suffisamment pris en compte la complexité de la situation de Mayotte. Les mesures uniquement d’ordre sécuritaire sont insuffisantes pour un traitement à court, moyen et long terme de la situation. En plus des plans de rattrapage, il faudrait une résolution rapide et définitive du contentieux diplomatique entre la France et les Comores sur le cas de Mayotte. L’intersyndicale et le collectif lancent un appel à la population de redoubler leur vigilance, de se positionner sur les barrages et de se préparer à une action imminente sur Mamoudzou. »

Relâchés faute de place

Des policiers ont été contraints de relâcher une trentaine de personnes en situation irrégulière jeudi, faute de place au centre de rétention administrative. Les clandestins avaient été interpellés à Kawéni (Mamoudzou). Ils font l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) sous 30 jours. En clair, s’ils sont à nouveau contrôlés, ils seront placés en garde à vue pour infraction et seront reconduits à la frontière.

 

Un impact considérable sur les soins

Des médicaments peuvent de nouveau sortir du port de Longoni, après un accord conclu avec les organisateurs de la grève générale. Mais la situation sanitaire reste préoccupante sur l’île.

L’Agence régionale de santé craint des décès liés à la paralysie du département.  » On ne peut pas avoir une vigilance sentinelle. On n’a pas de visibilité sur la circulation des maladies infectieuses sur l’île », reconnaît le docteur François Chièze, directeur de la veille sécurité sanitaire à l’Agence régionale de santé (ARS ) Océan Indien, alors que la grève générale contre l’insécurité se poursuit, pour la cinquième semaine consécutive.

L’ARS confirme des décès liés à la paralysie de l’île. Douze barrages étaient encore en place ce mercredi, indique la gendarmerie. « Ce serait très aléatoire de donner un chiffre [de décès, NDLR], on n’a que des bribes d’informations […] On a obligatoirement des situations individuelles à risque ». Des pénuries de médicaments ont été observées et des patients peinent à se rendre dans des structures médicales.

Du mieux au centre hospitalier

Dans ce contexte, l’accord conclu « en début de semaine » avec les organisateurs de la grève générale pour « une transmission de stocks de médicaments à partir du port de Longoni » a permis d’alimenter le centre hospitalier de Mayotte (CHM) et le nord de l’île en oxygène, fluides et médicaments diabétiques : « Les indices sont au vert [au CHM]. Ce n’était pas du tout le cas en fin de semaine dernière », reconnaît le docteur Chièze. « On a réapprovisionné, encore faut-il que les patients viennent se faire diagnostiquer », soulignet- il toutefois. La situation est plus préoccupante au centre et au sud du territoire, où moins de médicaments peuvent être acheminés.

Autre élément positif : l’évacuation depuis « quelques jours » des « déchets médicaux liés aux soins à risque infectieux, qui viennent du CHM, de laboratoires privés et de cabinets médicaux. C’est un élément majeur parce que c’était un risque sanitaire important », indique l’ARS.

« Il y a des endroits où l’accès au soin n’est pas maintenu. Douze cabinets [médicaux] sont ouverts » sur une vingtaine, poursuit le docteur Chièze. Par ailleurs, des infirmières libérales et des kinésithérapeutes ne peuvent plus exercer leur profession. « Le passage des barrages dépend de la profession », affirme-t-il.

Au CHM, « l’activité a fortement diminué du fait du manque de patients et du manque de soignants […] On a une inquiétude à la sortie de crise. Il va y avoir un afflux de patients ». Le risque d’aggravation de maladies chroniques durant la grève est pris au sérieux. Par ailleurs, il y avait des cas de « bronchiolite en quantité avant [la grève générale]. Elle n’a pas disparu du jour au lendemain […] Même chose pour la coqueluche », note le docteur Chièze. Il souligne que l’accumulation des déchets dans les rues de Mayotte – le ramassage des ordures étant à l’arrêt – « présente un risque de diffusion d’infections virales par exemple [ou] de transmission de germes ».

Du côté du syndicat des pharmaciens de Mayotte, on signale « des ruptures sur des produits très importants », comme des anticancéreux et quelques antidiabétiques. Avec les barrages, « on est bien loin des onze livraisons hebdomadaires.

Les camions circulent quand ils peuvent circuler. On a régulièrement des ruptures d’insuline. Sur le lait infantile, beaucoup de pharmacies sont en rupture. On est en rupture de la pilule contraceptive la plus utilisée sur l’île », qui peut être donnée à des personnes en surpoids ou diabétiques. « On va avoir un boom des natalités ».

Jean-Marc Roussin, le président du syndicat des médecins de Mayotte reconnaît « qu’on n’a plus les moyens logistiques de fonctionner […] Des médecins ne peuvent pas franchir les barrages […] Il y a déjà des problèmes majeurs de santé à l’état normal. Ça ne fait qu’amplifier les problèmes. » Lui-même a fermé son cabinet médical lundi.

« La grève nous tue »

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A la cinquième semaine du mouvement de contestation qui paralyse l’île, les entreprises sont aux abois. La présidente du Medef local, Carla Baltus, appelle « à un retour à la normale, qu’on se mette à la table des négociations avec l’État, qu’on arrête de sacrifier les entreprises, les enfants, les malades ».

Cinq semaines maintenant que les Mahorais subissent de graves entraves à la liberté de circuler. Les nombreux barrages paralysant en grande partie le flux des véhicules et des piétons impactent durablement l’économie de l’île. Par conséquent, les entreprises mahoraises commencent à déposer de nombreuses demandes de chômage partiel auprès de la direction du Travail de Mayotte (Dieccte), notamment sur la période de mars à juin, note Alain Gueydan, directeur de l’administration. Cette activité partielle couvre jusqu’à 1 000 heures par an et par salarié maximum. A ce jour, ces demandes représenteraient près de 2,6 millions d’euros d’indemnités potentielles réparties sur une centaine d’entreprises, indique encore la direction du Travail qui précise : « Ce chiffre change chaque jour, puisque nous recevons entre 10 et 15 demandes quotidiennes ». Car de fait, la masse salariale représente à Mayotte un peu de moins de 20 millions d’euros à débloquer chaque mois, pour les quelque 10 000 salariés du secteur privé.

De cruels défauts de trésorerie

Selon le Medef de Mayotte, 80 de ses adhérents ont d’ores et déjà déposé une demande de chômage partiel qui implique environ 2 000 salariés du secteur privé. L’organisation patronale explique que l’État prend ainsi en charge 5,40 euros par heure et par employé, le reste étant dû par l’employeur. Mais « si la grève continue, cette activité partielle deviendra du chômage, c’est mathématique », craint Carla Baltus, la présidente du Medef local, qui s’attend à des plans de licenciement massifs et à un accroissement soudain du taux de chômage. Pour rappel, suite au mouvement de 2011, ce sont plus de 3 000 personnes qui ont perdu leur emploi. Cependant, pour bénéficier du dispositif d’activité partielle, les entreprises doivent avancer les salaires ; le dispositif de chômage partiel fonctionnant sur un principe de remboursement. Or, le tissu économique de l’île est fragile : la très grande majorité des entreprises de l’île sont des TPE (seules 300 des 9 000 entreprises de l’île ont plus de 10 salariés, comptabilise le Medef local). Ainsi, ces très petites entreprises disposent de peu de trésorerie, ce qui ne leur permet pas d’avancer des salaires alors qu’elles n’ont plus ou peu d’activité. Ne plus payer ses salariés ? Quelques solutions sont évoquées par le Medef local : se rapprocher des banques pour tenter d’obtenir, au cas par cas, des facilités de découverts ou des reports de prélèvements, ne payer que les salariés présents au sein de l’entreprise durant la « grève générale » ou enclencher une procédure de « lock out », c’est-à-dire une fermeture temporaire de la société pendant laquelle aucun salaire n’est versé. Durant cette période, les contrats sont suspendus et les employés « peuvent se rapprocher de leurs syndicats » afin de trouver des solutions concernant leur situation financière. « C’est une forme de grève de l’entreprise », résume Carla Baltus. Toutefois, si ce dispositif existe de fait, il ne figure pas dans le code du travail, avertit la Dieccte qui ajoute : « Dans sa mise en œuvre, il mène souvent les entreprises devant les tribunaux ».

« Responsabilité sans faute »

Le code du travail ne prévoit pas de rémunération lorsqu’il n’y a pas de travail effectif ; en d’autres termes, il n’existe pas dans le code du travail de cas de force majeure qui dédouane un salarié de se rendre sur son lieu de travail. Ainsi, si la prestation de travail n’est pas fournie, la rémunération n’est pas due. Les travailleurs de Mayotte se retrouvent donc dans les mêmes conditions que les habitants de l’Hexagone qui ne peuvent se rendre au travail en raison de grèves des transports. « On n’a pas suffisamment communiqué sur le fait que les salaires n’allaient pas être payés », reconnaît-on du côté de la Dieccte. Outre des demandes de chômage partiel ou le « lock out », le Medef local conseille aux entreprises de Mayotte de demander un moratoire sur les échéances sociales et fiscales à venir en se rapprochant respectivement de la Caisse de sécurité sociale de Mayotte et de la direction générale des finances publiques. L’organisation patronale précise qu’elle a d’ores et déjà sollicité l’État pour des fonds d’urgence, que le gouvernement peut débloquer en cas de force majeure et à titre exceptionnel, comme pour les inondations en Île-de-France en 2016. Les entreprises peuvent également enclencher une procédure de sauvegarde judiciaire auprès du tribunal du commerce, mais cette démarche est onéreuse puisqu’il faut s’offrir les services d’un cabinet de conseil. Toutes ces mesures constituent un pis-aller, « du bricolage », pour la patronne des patrons qui estime que « ce n’est pas ça qui va résoudre le problème » et qui entend négocier avec la ministre des Outre-mer d’autres types d’aides.

Un dynamisme tué dans l’œuf

L’impact de cette « grève générale » désole d’autant plus la présidente du Medef local, Carla Baltus, que Mayotte représentait en 2017 le département « qui avait le plus embauché [en France], proportionnellement », avec 1 700 emplois créés. « Ces emplois, on est en train de les perdre », se désole la présidente, rapportant des propos de ses adhérents lui expliquant qu’ils avaient déjà dû résilier des CDI en période d’essai. Sans parler du secteur du tourisme, qui subit une pluie d’annulations de séjours jusqu’en juin, selon la présidente du Medef local. Pour Carla Baltus, « on se remet déjà difficilement de 2011 (…) et du passage aux 35 heures, véritable coup de massue (…) La grève nous tue », déclaret-elle douloureusement. « Mayotte, ça ne donne plus envie, ça fait peur », continue la présidente du Medef local qui s’emporte : « Pourquoi ne laisse-t-on pas les enfants aller à l’école ? On veut des élites mais comment former des élites si la jeunesse de Mayotte ne peut pas aller en cours ? » La patronne des patrons appelle « à un retour à la normale, qu’on se mette à la table des négociations avec l’État, qu’on arrête de sacrifier les entreprises, les enfants, les malades ». 

Les élèves, victimes collatérales de la grève générale

Pour cette deuxième semaine de rentrée scolaire, les quelque 94 000 élèves de Mayotte (selon les chiffres de 2016) pâtissent toujours des barrages routiers et du climat de grève générale qui hypothèque de plus en plus leur scolarité.

 » Bouche-trou », « garderie »… Certains professeurs des établissements du second degré de Mayotte goûtent peu les conséquences de la grève générale – des élèves en grande majorité absents – ainsi que les mesures prises par le vice-rectorat pour pallier ce problème. En effet, depuis la rentrée des classes du 12 mars, un « fonctionnement par établissement de proximité », non contraignant, a été mis en place, consistant à demander aux enseignants et aux élèves de rallier l’établissement scolaire le plus proche de leur domicile, indépendamment de leur affectation. Un non-sens pédagogique et un dispositif compliqué pour des questions d’assurance pour les syndicats, notamment la CGT Educ’action. « Pour moi, assurer une mission de service public, ce n’est pas faire de la garderie », avait déclaré mercredi dernier le vice-recteur Nathalie Costantini en réaction aux critiques. Elle se félicite que cela permette aux élèves de ne « pas être pris à partie » par les manifestants et aux enseignants « de dispenser des cours et de s’attarder sur des points importants avec les élèves durant ces séquences ».

Pour la plupart des professeurs interrogés, la situation est toutefois « catastrophique » d’un point de vue pédagogique, comme pour cet enseignant de Sada : « Je ne vois pas comment cette année scolaire pourrait être rattrapée, surtout pour les classes à examens », se désole-t-il, comptabilisant en moyenne 200 élèves présents sur les 1 200 scolarisés dans ce collège de l’ouest de l’île. En outre, rapporte ce pédagogue, les parents refusent d’envoyer leurs enfants en cours et certains de ses collègues ne prennent plus la peine de se déplacer.

« Tous les établissements du secondaire sont ouverts, mais ne fonctionnement pas comme à l’ordinaire », reconnaît-on du côté du vice-rectorat. « Depuis une semaine, les taux de présence sont variables, nous avons eu un nombre important de personnels en poste. Aujourd’hui, les pourcentages sont en baisse au vu des difficultés d’accès et de la pénurie d’essence qui commencent à les impacter. La prise en charge d’un petit nombre d’élèves permet de continuer à assurer un accompagnement, les jeunes ne doivent pas être pénalisés », indique-t-on du côté du vice-rectorat.

Dans le détail, 83% des enseignants du second degré étaient présents lundi 12 mars, contre seulement 56% vendredi 16 mars. Côté élèves, la tendance est nettement moins bonne, avec 4% de présence lundi 12 mars dans les collèges ; un chiffre qui a atteint 14% vendredi 16 mars. Au lycée, c’est à peine mieux : 7% de présence lundi 12 mars, contre 12% vendredi 16 mars. « Nous avons conclu un partenariat avec le CNED (Centre national d’enseignement à distance) […] pour que tous les élèves des classes de première et terminale aient la possibilité de recourir à des cours en ligne en mathématiques, français, philosophie et histoire-géographie », a fait savoir dimanche, par courrier, le vice-recteur aux personnels des établissements scolaires. « Si le travail en distanciel ne remplacera jamais votre action, son utilisation circonstanciée est de nature à aider tous les élèves du territoire ».

Premier degré : absence quasiment générale des élèves

Seulement 108 élèves se sont rendus lundi 12 mars en classe, pour la rentrée scolaire, dans le premier degré. Ils n’étaient guère plus nombreux vendredi 16 mars (216 élèves à travers l’île). Le vice-rectorat ne communique aucun pourcentage et pour cause… Avec environ 52 000 élèves inscrits dans le premier degré (chiffres de 2016-2017), le taux de présence des élèves avoisine les 0%. Pour rappel, lundi 12 mars, la ministre des Outremer, Annick Girardin, avait annoncé que « 2 000 professeurs étaient présents pour 2 500 élèves » le jour de la rentrée, mélangeant les données des premier et second degrés. « J’ai bien conscience que ce n’est pas satisfaisant », avait poursuivi la ministre, sans s’attarder sur ces chiffres stupéfiants dans le premier degré. Des chiffres à mettre en relief avec la consigne donnée par les organisateurs de la grève générale de ne pas envoyer les enfants à l’école. Du côté du vice-rectorat, on met en exergue que, depuis la rentrée, « dans le 1er degré, les enseignants ont subi des pressions et ont été mis en difficulté (écoles cadenassées). »

Immigration | Le spectre des opérations de « décasage »

La tension monte dans le nord de l’île : des étrangers en situation irrégulière se présentent spontanément à la gendarmerie « par peur des violences » et un « collectif des habitants du Nord » s’est créé afin « de démanteler les groupes d’étrangers, Comoriens et Africains » présumés en situation irrégulière sur le territoire. 

La gendarmerie a démenti vendredi matin les rumeurs d’opérations de « décasage » du côté de Mtsamboro, dans le nord de l’île, même si « la limite est ténue » entre décasage et incitations menaçantes à quitter le territoire. Plusieurs villageois auraient « invité » des étrangers en situation irrégulière, vivant dans des cases en tôle, à quitter le département. Côté gendarmerie, on note des « présentations spontanées d’étrangers en situation irrégulière qui veulent rentrer à Anjouan (…) par peur des violences ». Une vingtaine le jeudi, une cinquantaine déjà à la mi-journée du vendredi, selon une source proche du dossier, auraient été dans ce cas de figure. Le maire de la commune, Harouna Colo, a déclaré avoir eu écho d’un « groupe de jeunes de la commune qui ont tenté de sécuriser leur village ou essayer de faire sortir des étrangers. Je suis encore en train d’essayer de comprendre ce qu’il se passe », livre-t-il vendredi. « J’ai peur qu’une partie de la population puisse se lever et aller faire des décasages ». Seule certitude, pour le premier magistrat de la commune : jeudi soir, « une personne qui travaille à La Poste » a pris la fuite, à la vue de coupeurs de route. « Ils ont essayé de l’attraper », munis semble-t-il d’un chombo. Une centaine d’habitants a, une partie de la nuit, mené des opérations de recherche pour retrouver la victime, localisée à 2h du matin sur une plage. « On craignait le pire », reconnaît le maire de Mtsamboro, qui était en lien avec le procureur de la République durant les recherches, appuyées par la gendarmerie.

Un membre du collectif s’exprime 

Un « collectif des habitants du Nord » a été créé de manière informelle lundi suite à l’agression d’un villageois par des coupeurs de route dans la nuit de dimanche à lundi entre Mtsahara et Handréma, et regroupe six villages du Nord de l’île : Acoua, Mtsangadoua, Mtsamboro, Hamjago, Mtsahara et Handréma, nous indique un membre de ce groupe, qui se serait effectivement renforcé suite à l’agression du postier relaté par le maire de Mtsamboro. « Nous effectuons des rondes depuis mardi soir afin de démanteler les groupes d’étrangers, Comoriens et Africains » présumés en situation irrégulière sur le territoire, déclare un habitant du Nord ayant participé à ces actions. Le collectif a diffusé un tract en fin de semaine, montrant des individus cagoulés, et énumérant ses objectifs en de tels termes : « ratisser les zones suspectes à toutes activités illégales, monter les gardes afin d’appréhender les coupeurs de nos routes, anéantir les constructions de bangas sauvages, et surveiller les entrées des kwassa-kwassa ». Une centaine de personnes auraient déjà été livrées aux forces de l’ordre, selon le collectif. « On ne veut pas d’affrontements, pas de tabassages, pas de coups », précise-t-il, affirmant qu’il n’y a pas de résistance de la part des clandestins présumés lors de ces exactions. Le modus operandi serait bien moins violent qu’en 2016 lors de « la crise des décasages », selon les dires d’un membre de ce groupe : « Nous avertissons les gens et leur donnons un délai pour faire leurs bagages et partir (…) Sinon, nous les emmenons en fourgonnette à la brigade ». Cet habitant assure qu’aucune habitation n’a été brûlée. Seule une embarcation – qui aurait été interceptée mercredi avec à son bord 5 personnes menées manu militari à la gendarmerie – aurait été détruite par les habitants. 

Contrôles routiers sauvages

 « Nous faisons partir ceux que nous ne connaissons pas, qui n’ont pas d’attache au village », livre encore ce villageois. Ainsi, les étrangers mariés avec des gens de la commune sont-ils épargnés, de même que leurs enfants. Le collectif prétend également « fouiller les voitures inconnues qui rentrent » dans les villages du Nord et travailler à l’identification de passeurs. 

« La gendarmerie collabore avec nous », a encore avancé le membre de ce nouveau collectif, alléguant que les forces de l’ordre de la zone se seraient déjà rendues sur les lieux où vivent les clandestins présumés, afin d’encadrer les actions, « pour qu’il n’y ait pas de débordement ». Déclaration formellement démentie par la gendarmerie : « C’est absolument faux, on ne va pas assister les pseudo-milices qui expulsent des personnes en situation irrégulière. On agit dans un État de droit ». Le collectif prévoyait samedi de continuer à « faire de la prévention » dans les prochains jours, c’est-à-dire à se rendre au domicile des personnes suspectées d’être clandestinement sur le territoire et « à décaser » admet-il. « On attend le feu vert de la gendarmerie pour décaser car il n’y a plus de place pour accueillir tout le monde à la brigade », énonce ce membre qui croit savoir que la capacité d’accueil de la brigade est de 30 personnes. « On continue jusqu’à ce que tout se mette en ordre », conclut-il. 

Responsable mais pas coupable 

En parallèle, un tract circulait en fin de semaine sur les réseaux sociaux dressant « une liste non exhaustive des habitants de Sada (…) qui hébergent des personnes en situation irrégulière ». De plus, précise le document, « une autre liste de personnes qui emploient des clandestins fera aussi l’objet de dénonciation ». Sous ces déclarations, les noms et prénoms et éventuellement localisation d’habitants de cette commune de l’Ouest de l’île. 

Foumo Silahi, l’un des porte-parole des organisateurs de la grève générale, n’est pas surpris par les soupçons de « décasage ». « Nous savions à un moment donné que ça risquait d’arriver », regrette-t-il. « Ça n’est pas dans notre logique de demander à des gens d’aller faire du « décasage » […] Il ne faut pas confondre le collectif avec ces choses-là […] Le collectif parle de sécurité, de tout ce qui aurait dû être fait par l’État. Cela fait des mois que nous alertons l’État. Il n’y avait pas eu d’écoute jusqu’à maintenant », selon lui. 

Samedi, près de deux cent Anjouanais ont marché de Doujani au rond-point du Baobab (Mamoudzou) afin de protester contre les stigmatisations dont ils sont la cible. 

Contactée par l’Agence France-Presse, la ministre des Outre-mer a rappelé « ses engagements en termes de sécurité » et a « invité les habitants à laisser les forces de l’ordre faire leur travail. Ce genre de pratique, ça n’existe pas dans un département », a-t-elle encore fermement dénoncé.

 

Chimique : Ton univers impitoyable

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Elle est une cause non négligeable de la délinquance à Mayotte. Depuis son apparition dans l’archipel, la chimique ne cesse de provoquer des ravages : hospitalisations, décès, violences, apparition de « zombies » dans nos ruelles, etc. Derrière ce drame sanitaire et social se cache un business juteux accessible en quelques clics, et une course-poursuite perdue d’avance entre l’arsenal judiciaire et les drogues de synthèse. Enquête dans un univers impitoyable où la raison semble être partie en fumée.

Une aspiration, quelques secondes d’attente, et l’effet vous envahi. D’emblée, le cœur s’emballe. À chaque palpitation, la vision change de perspective. Les veines se gonflent, les yeux s’écarquillent, votre corps s’affaisse. Soudain, un éclair vous traverse. C’est le black-out. Où êtes-vous ? Avec qui ? Comment quitter cet état ? Autant de questions qui resteront sans réponse pendant une vingtaine de minutes. Vous n’êtes ni jovial, ni apaisé et encore moins détendu. Une « petite mort » pour seulement cinq euros. Entre l’index et le majeur, le joint ne bouge pas. Il attend patiemment d’embrasser à nouveau vos lèvres, votre cerveau, votre organisme : un baiser de la mort, celui de la chimique. Une drogue de synthèse dévastatrice qui ne cesse de provoquer des ravages depuis son apparition au début des années 2010 dans l’île.

Un monstre à plusieurs visages

« Je préfère vous prévenir d’emblée : je ne sais pas si je pourrais répondre à vos questions. Quand je fume, je ne garde aucun souvenir de mes actes ». Regard timide et cernes sous les yeux, Rachid* évoque douloureusement ses six années d’addiction. À 33 ans cette dépendance a bien failli lui être fatale. Mais fort du soutien de ses proches et des menaces de divorce de sa femme, la chimique n’a pas eu raison de lui. Ce qui est loin d’être le cas de l’ensemble de la jeunesse mahoraise.

La composition de cette drogue ? Un dérivé de cannabinoïde surpuissant dilué dans de l’alcool à 90°. Le tout imbibé dans du tabac à rouler. En l’absence de cette substance de synthèse, les remplaçants ne manquent pas : antidépresseurs, anxiolytiques, produits industriels, produits pharmaceutiques, anesthésiant pour chevaux, etc. La chimique est un monstre à plusieurs visages, capable de laisser des séquelles irrémédiables sur le vôtre.


©Geoffroy Vauthier

Quand cette drogue débarque à Mayotte, Rachid est encore aux Comores, sa terre d’origine : « Mes amis fumaient quotidiennement tout en m’interdisant d’en consommer. Un jour, l’un d’entre eux m’a confié son joint avant de partir aux toilettes. Je me suis dit « pourquoi pas moi ? » Et j’ai fumé dessus ». En une aspiration, l’homme de 27 ans à l’époque met le doigt dans un engrenage dangereux. Une expérience dramatique qui annonce la couleur dès ses premières impressions : « J’ai eu une hallucination, je pensais qu’on m’avait coupé les jambes. C’était la panique. Mes amis m’ont rassuré le temps que les effets se dissipent », se souvient-il. Débarqué à Mayotte en compagnie d’autres toxicomanes, il renouvelle l’expérience « sous l’effet de la pression du groupe ». Il poursuit : « On fumait tous les jours, quasiment sans interruption. À trois, on dépensait plus de 100 euros quotidiennement. C’était de la folie. »

Cette « folie », le docteur Ali Mohamed Youssouf, du service d’addictologie au Centre hospitalier de Mayotte (CHM), l’observe quotidiennement. « Au travers de nos consultations, on constate depuis 2015 que la chimique a détrôné l’usage du cannabis », indique-t-il tout en précisant que « toutes les tranches d’âge et les classes sociales sont touchées. Même si le phénomène est particulièrement présent chez les hommes de moins de 25 ans ayant déjà testé le cannabis ». Spécialisé dans la prise en charge des individus souffrant d’addiction (alcool, cannabis, drogues de synthèse, etc.), le spécialiste connaît les conséquences sanitaires de la chimique sur le bout des doigts. « En termes de dégâts sur la santé, cela peut se traduire par des crises d’épilepsie, des convulsions, des troubles cardiaques, des maux digestifs, ainsi que des crises de tétanie, voire de démence. » Si l’effet recherché est avant tout un état de somnolence, le docteur Youssouf insiste : « les effets sont multiples selon les individus. Cela peut provoquer des troubles du comportement, une agitation, ou encore de l’agressivité. » Pour Rachid, le phénomène se résume ainsi : « Quand on consomme, on dort, et quand on est en manque, on s’agite. »

La police se « casse les dents »

D’aspect, une dose de chimique ressemble à s’y méprendre à une simple boulette de tabac à rouler. À la différence que celle-ci est imbibée de drogue de synthèse, ou d’autres substances tout aussi nocives. Vendu cinq euros dans un papier cylindrique, le produit une fois déballé est difficilement identifiable, même pour un observateur aguerri. « C’est un produit qui n’a pas d’odeur ni d’aspect particulier. On travaille par supposition… et souvent on se casse les dents ! La chimique, c’est un caméléon. Et les agents ne sont pas formés pour la repérer », déplore Thierry Lizola, chargé de communication du syndicat Alliance Police Nationale CFE-CGC Mayotte, au nom duquel il s’exprime.

©Geoffroy Vauthier

À l’heure où Mayotte se soulève contre l’insécurité, ce « caméléon » est étonnement absent des débats. Pourtant, son rôle dans le développement de la violence n’est plus à prouver pour Alliance Police Nationale. « Une partie de la délinquance est liée au phénomène de la chimique, notamment en ce qui concerne les agressions gratuites », remarque-t-il. Un phénomène constaté également dans les affrontements entre bandes rivales pour le contrôle d’un trafic. Pour le syndicat majoritaire des forces de l’ordre, s’attaquer au phénomène est quasi impossible du fait du manque de moyens. « Chez Alliance Police Nationale, on déplore l’absence de structure dédiée à la lutte contre les stupéfiants à Mayotte. Une filière serait identifiée que nous aurions difficilement les moyens de la remonter », regrette le chargé de communication.

Du côté de la gendarmerie, la lutte contre les stupéfiants est l’affaire de la « section de recherches ». Pour autant, les agents de cette dernière peuvent transiter d’une priorité à l’autre sans qu’un groupe soit exclusivement dédié à la lutte contre le trafic de drogue. En termes de prévention, la police comme la gendarmerie disposent d’un personnel d’intervention dans les établissements scolaires pour sensibiliser la jeunesse aux ravages de cette drogue. Mais pour ce qui est de la répression, le combat contre la drogue passe souvent au second plan : « Les problèmes sont tels à Mayotte que s’attaquer à ce phénomène se ferait au détriment d’autres priorités telles que les cambriolages », admet Thierry Lizola avant de conclure « tant que vous n’avez pas assez de personnel spécialisé, vous ne pourrez que cacher la misère. »

Se fournir : un jeu d’enfant accessible en quelques clics

« Oh putain ! Ils ont augmenté les prix ! » Les yeux rivés sur l’écran de son smartphone, Ali* se connecte à son « site préféré ». Pendant deux ans, cet ancien dealer de chimique s’y fournissait tous les mois. Ici, pas de darknet ou de bitcoin. Un simple mot-clé sur Google et une carte bleue lui ont permis de commander plusieurs centaines de grammes dans le plus grand des calmes. « Maintenant on peut même commander un kilo ! À mon époque ce n’était pas possible », s’étonne-t-il.

Hébergé dans la ville de Derbyshire en Angleterre, le site se présente comme un fournisseur en « produits chimiques » pour la « recherche en laboratoire ». Il affirme proposer des produits de « haute pureté » tout en garantissant à ses clients une totale « confidentialité ». Naturellement, le site récuse toute responsabilité en cas de différend législatif avec les pays où sont exportées les commandes, et précise « ne pas encourager à la consommation de drogues illégales ».

Il suffit pourtant de quelques clics dans l’onglet « Cannabinoïde » pour tomber sur l’une des substances de synthèse les plus utilisées dans la fabrication de la chimique : la MMB Chiminaca. Comble de l’absurde, le site explique que ses effets sur l’homme n’ont pas été analysés en profondeur, tout en indiquant que de nombreux consommateurs l’emploient à des fins « récréatives » plutôt que pour de la « recherche ». En guise d’avertissement, quelques lignes préviennent que ces produits ne sont que des « échantillons non destinés à la consommation humaine ». Pour 2 500 dollars, les internautes peuvent néanmoins commander un modeste « échantillon » de 1 000 grammes de MMB Chiminaca. « À l’époque, je commandais 100 grammes pour 650 euros. Une fois vendu, cela représentait 10 000 euros dans ma poche », se souvient Ali.

À l’origine, rien ne destinait l’homme à devenir un dealer de chimique. Lorsqu’il entend parler d’un site permettant de commander de la drogue sur internet, le jeune homme pense d’emblée à ses proches. « Un membre de ma famille claquait toute sa paye en chimique. Sa femme le menaçait de rupture. Je savais que, quoi qu’il arrive, il n’arrêterait pas sa consommation. Je lui ai donc proposé de me confier une somme d’argent pour qu’il puisse se fournir sans se ruiner », rembobine-t-il. « Au final, j’ai commencé à vendre de petites doses à des amis à un prix bradé. Mes potes étaient sûrs de la qualité du produit, et satisfaits de ne pas devoir se déplacer dans des quartiers chauds. Quant à moi, je pouvais bien arrondir mes fins de mois », poursuit-il.

©Geoffroy Vauthier

Après plusieurs fins de mois largement « arrondies », Ali décide cependant d’arrêter son business. En cause : une prise de conscience des autorités qui commencent à s’attaquer au trafic de drogue de synthèse. « Ça commençait à être vraiment chaud avec les flics. Et puis il y avait aussi les conflits avec les autres dealers. Moi j’avais déjà un boulot, ce n’était pas la peine de prendre autant de risques. » Le dealer repenti évoque aussi un « cas de conscience ». « Un soir, j’ai vu une fille complètement défoncée. Elle était en crise et n’arrêtait pas de hurler et de se tordre dans tous les sens. Je me suis dit : « si ça se trouve, c’est à cause de mon produit qu’elle est dans cet état. » Alors j’ai arrêté. La chimique, c’est une saloperie ».

Quand la drogue prend de vitesse la loi

Contrairement aux drogues « traditionnelles » telles que le cannabis, l’héroïne ou la cocaïne, les drogues de synthèse ont une particularité qui leur permet de contourner la loi : « Les fournisseurs sont malins. Il leur suffit de modifier légèrement la molécule pour que la drogue change d’appellation. Résultat, le temps qu’une loi soit mise en place, dix nouvelles drogues sont sur le marché », résume Ali. Un phénomène bien connu des forces de l’ordre : « La chimique n’est législativement répréhensible que depuis un an. Si certains produits sont reconnus pénalement selon des critères précis, les délinquants ne tombent pas sous le coup de la loi en utilisant des nouvelles substances et de nouveaux moyens de fabrication », reconnaît amèrement Thierry Lizola. Pour contrecarrer le phénomène, les forces de l’ordre peuvent toutefois évoquer le « trafic de substances médicamenteuses ». Mais en l’absence de réel dispositif majeur pour lutter contre les drogues de synthèse, le travail des agents s’apparente à des pansements sur une jambe de bois. Un procédé qui montre rapidement ses limites, comme nous l’explique Ali.

« Ma commande était livrée par colis à Paris », introduit l’ex-dealer pour expliquer la logistique de son trafic. « Je m’arrangeais ensuite pour que ma famille me la transmette par colis postal express. Il m’arrivait parfois d’aller la chercher moi-même. Ça fonctionnait bien. Comment voulez-vous qu’un chien reconnaisse des substances sans odeur, et perpétuellement renouvelées ? » Loin d’être inquiété par les agents de la douane, Ali s’inquiétait surtout des employés des services postaux « qui trouvent parfois le moyen de voler la marchandise ». Une impunité remarquable qui génère des scènes pour le moins incongrues entre trafiquants et forces de l’ordre : « Un jour, la douane m’a contacté pour me demander la nature du produit que j’avais commandé. Ils voulaient tout savoir: son nom, son poids, son prix, etc. J’ai carrément recopié les informations du site tout en précisant qu’il s’agissait d’un produit agricole. Quelques jours plus tard, mon téléphone sonne. C’était le service de livraison : “Bonjour, un colis vous attend”. Je pensais que c’était un piège, mais même pas ! Quand j’ai déballé mon paquet, ils avaient en effet prélevé un échantillon. Mais le reste m’a été livré sans problème ». Après une investigation, Ali comprend ce qui a attiré l’attention des forces de l’ordre : « C’est la faute au membre de ma famille qui m’a envoyé le colis. Il avait mal rédigé la fiche de renseignement. La douane a donc voulu savoir de quoi il s’agissait, tout simplement. Pour le reste, je n’ai jamais eu de poursuites judiciaires ».

Pour Thierry Lizola, ce genre de scène est malheureusement « normale » au vu des lacunes judiciaires autour de la chimique. « En France, explique-t- il, il n’y a pas de crime ou de délit qui ne soit pas explicitement écrit. Ce qui n’est pas prévu par la loi n’est donc pas répréhensible. C’est aussi simple que cela. ».

Du côté du docteur Ali Mohamed Youssouf, spécialiste en addictologie, ce genre de scène n’a également rien de surprenant : « Autrefois, la drogue transitait via les voies aériennes ou les passagers. Aujourd’hui, nous pensons que cela fonctionne à travers des livraisons postales. Ce qui est cohérent dans la mesure où le produit est discret et inodore, contrairement au cannabis qui est plus encombrant et moins rentable ». Retard législatif, manque d’effectif au sein des forces de l’ordre, et difficultés pour contrôler l’ensemble des colis livrés sur l’île : un cocktail détonnant qui fait les beaux jours de trafiquant de chimique à Mayotte.

Un métropolitain à l’origine de l’arrivée de la chimique ?

À écouter le discours des manifestants contre la délinquance à Mayotte, la cause de cette dernière serait majoritairement due aux immigrés comoriens. Mais concernant la chimique, qui demeure une cause importante de la violence sur l’île, ce serait un métropolitain travaillant au sein d’une institution qui aurait initié ce vaste trafic. C’est en tout cas la piste privilégiée par les enquêteurs en 2014.

Cette année-là, près de deux kilos de drogue de synthèse sont saisis à son domicile. L’homme est mis en examen puis écroué pour trafic de stupéfiants, contrebande de marchandise dangereuse pour la santé, mais aussi pour exercice illégal de la profession de pharmacien. Pour l’avocat général, le suspect assurait le ravitaillement de toute l’île de Mayotte via un réseau de complices. Au cœur de son trafic : une société créée en auto-entrepreneuriat basée en Alsace, d’où l’homme est originaire. Sur l’annuaire en ligne de La Poste, sa société est toujours référencée comme « grossiste en produit chimique ».

À l’époque de son arrestation, les enquêteurs estiment qu’il aurait importé près de six kilos de ce produit au cours des deux années précédant son interpellation. Mais il se défend en prétextant que le produit importé n’était pas illégal : « Je n’ai jamais eu de revendeur et je ne possède pas non plus de richesses. J’avais un chiffre d’affaires de 40 000 euros, dont 22 000 euros de bénéfice. J’ai une vie modeste, une maison normale. Je n’ai pas de grosse voiture et je ne voyage pas particulièrement », avance-t-il lors de son procès (1). Pas de quoi satisfaire l’avocat général : « Six kilos pour les uns, dix pour les autres. C’est énorme ! On est bien au-delà de la consommation personnelle”, accuse-t-il. Pour autant, les suites judiciaires de ce dossier seront bien maigres. Ceci s’expliquant notamment par le « changement brutal de juge d’instruction à l’époque », selon l’ancien procureur Joël Garrigue (2), qui reconnaît que « la plupart [des suspects] ont été remis en liberté ». Un temps sous contrôle judiciaire, la tête supposée du réseau le sera également.

Presque quatre ans après cet épisode judiciaire, force est de constater que la chimique est toujours solidement ancrée sur le territoire mahorais. Malgré un renforcement législatif et une prise en main du phénomène par les autorités, les trafiquants redoublent d’inventivité. La méthode la plus simple consistant à produire et à écouler de la chimique en remplaçant sa drogue de synthèse par des produits légaux (médicaments, détergents, etc.). « Même si j’ai arrêté de vendre, je me renseigne toujours sur l’état du marché. Ces derniers temps, les potes m’expliquent que le produit est de plus en plus dégueulasse. Ils mélangent ça avec n’importe quoi maintenant ».

Pour Ali, ce phénomène est plus grave d’un point de vue sanitaire : « Moi au moins je vendais de la qualité », plaide-t-il. En guise d’exemple, l’homme cite l’un des faits divers les plus emblématiques de ce risque sur la santé : « Il y a quelques années, des jeunes ont cambriolé une clinique vétérinaire. Un garçon a fumé un comprimé entier d’anesthésiant pour cheval. Il l’a consommé tout seul en se filmant sur internet. Résultat ? Il est mort sur le coup ».

©Geoffroy Vauthier

Quelles solutions ?

Le fonctionnement législatif étant ce qu’il est, difficile d’imaginer une rapide disparition de la chimique à Mayotte. Pourtant, des solutions existent pour endiguer le trafic et la consommation de chimique. Un travail qui commence avec la multiplication des missions de communication à destination des toxicomanes. « Il faut que le consommateur qui souhaite s’arrêter comprenne qu’il n’est pas seul. Au CHM, une équipe pluridisciplinaire est là pour accompagner les individus dans leur processus de changement. Mais des structures existent également dans les dispensaires ou via des associations », insiste le docteur Youssouf. En termes de répression, le renforcement des effectifs de police et de leurs moyens apparaît comme une condition sine qua non à l’endiguement des drogues de synthèse à Mayotte. « Ce que le syndicat Alliance Police Nationale réclame, c’est la création d’une cellule spécialement dédiée à la lutte contre les trafics », martèle Thierry Lizola. Le syndicaliste plaide également pour une coordination entre les agents de prévention et le secteur associatif. Ce dernier étant l’un des acteurs les plus investis dans le combat contre la chimique.

Ce combat, une poignée de bénévoles le mène depuis deux ans sur les hauteurs du quartier de La Convalescence, à Mamoudzou, auprès des enfants en difficulté. L’objectif de cette École du civisme Frédéric d’Achery ? « Travailler en amont pour éviter que les enfants ne sombrent dans la délinquance ». Fondé par le capitaine de police nationale Chaharoumani Chamassi, ce dispositif est, selon lui, l’une des meilleures solutions pour éviter que les jeunes ne soient tentés par la drogue. « Il faut commencer jeune », martèle l’officier. « Nous accueillons des enfants qui sont tentés par cette drogue, car ils baignent dans un univers précaire. Ils en parlent très clairement avec moi. L’objectif est de leur proposer un cadre, des enseignements, et une occupation pour limiter cette tentation », explique-t-il. Du lundi au vendredi, 16 élèves sont en classe de 18h à 20h pour assister à des cours de français, de mathématiques, d’informatique, d’histoire, etc. Des activités théâtrales, ainsi que des sorties dans le quartier pour le nettoyer de ses détritus, sont également programmées. « Si je n’étais pas en cours, je serais sûrement dans la rue », explique ainsi l’élève le plus âgé de la classe. Conscient de la nécessité d’étendre son dispositif, le capitaine Chamassi donne sa méthode pour détourner les jeunes de la chimique : « Il faut prendre du temps et ne pas se décourager, même si la personne vous insulte. N’hésitez pas à l’approcher plusieurs fois en lui disant simplement qu’il n’est pas seul. Il y a souvent un sentiment de honte qu’il faut dépasser. Personnellement, je valorise ces jeunes en leur donnant des responsabilités. Ils se rendent ainsi compte qu’ils sont plus utiles à la société en étant conscients que drogués », explique celui que l’on surnomme « l’infatigable ».

Un état d’esprit que partage Rachid, le consommateur. Six ans après son premier joint de chimique aux Comores, l’homme affirme avoir totalement décroché. Les hallucinations sur ses jambes soi-disant coupées ? « C’est du passé ! », affirme-t-il. « Quand ma femme m’a menacé de divorcer, j’ai compris que je n’avais plus le choix. Elle avait raison, la chimique m’a causé trop de mal dans ma vie ». Sa technique ? « Il faut tenir quatre jours », répète-t-il inlassablement. « Cette drogue permet de dormir. Dès qu’on l’arrête, il est impossible de trouver le sommeil. Pendant quatre jours, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Les programmes nocturnes à la télévision ? Je les connais par cœur ! Mais si on tient quatre jours, alors le reste n’est qu’une question de volonté ». Après quelques kilos perdus, et quelques neurones partis en fumée, Rachid tire un bilan sans nuance : « Mon message à la jeunesse ? Ne touchez jamais cette merde. On n’a jamais vu d’artiste développer son potentiel créatif avec cette drogue. La chimique n’a rien à vous apporter, si ce n’est de la souffrance ». Paroles de connaisseur.

*Les prénoms ont été modifiés.

(1) Journal de l’île de La Réunion, août 2016.

(2)Journal de Mayotte, février 2016.

 

Témoignage « Drogué à mon insu »

À Mayotte, les fumeurs de bangué ont une règle à ne contourner sous aucun prétexte : ne jamais fumer sur le joint d’un inconnu. Parfois, il peut s’agir d’un piège pour vous droguer à la chimique, puis vous dépouiller. Baptiste a bien failli en payer les frais. « J’étais parti chercher du bangué avec un pote à Cavani, quand un jeune m’a abordé. Après avoir donné mon argent au dealer, ce type a commencé à sympathiser. Il semblait cool au début. Quand il m’a proposé de tirer sur son joint, j’ai refusé. Mais il a insisté en me rassurant : « Ce n’est pas de la chimique », répétait-il. J’ai tiré une barre, rien. Deux barres, pareil. Soudain, tout a tourné autour de moi. J’ai eu des hallucinations et je n’arrivais plus à marcher. Même inconscient, j’ai compris la situation. Ce mec m’avait drogué. Heureusement que je n’étais pas seul. Ça aurait pu être très dangereux. Mon pote m’a presque porté jusqu’à la maison. Une fois remis de mes émotions, nous sommes retournés voir le dealer car celui-ci ne m’avait pas donné mon bangué. Il a essayé de me la faire à l’envers, mais après de longues négociations, j’ai eu ce que je voulais. Cette expérience m’a confirmé deux choses que je savais déjà : la chimique est une drogue horrible à éviter. Et fumer sur les joints des inconnus, c’est vraiment une idée de merde. »

Chronologie

2011 : apparition pour la première fois de la « chimique » à Mayotte

2012 : première prise en charge de cas d’usage de chimique au CHM

2013 : premier pic d’usage de la « chimique »

2014 : interpellations et procès d’envergure

2015 : deuxième pic de consommation. Expansion de la chimique chez les lycéens et collégiens

2016 : Régression des cas d’admission aux urgences et service d’Addictologie

2017 : Renforcement de l’arsenal judiciaire autour des drogues de synthèse

Source : « Chimiques à Mayotte », Dr Youssouf Ali, Centre hospitalier de Mayotte

 

Une élection sous un ciel orageux

Avec respectivement 36,15% et 32,59%, Ramlati Ali et Elad Chakrina sont les deux candidats en ballotage, à l’issue du premier tour de l’élection législative partielle de la première circonscription. Emaillé d’incidents, ce scrutin s’est tenu dimanche dans un climat étrange et sous un ciel orageux. Reportage.

Malgré la demande de report de l’élection législative partielle formulée par les maires – à l’exception de celui de Mamoudzou – pour des « raisons de sécurité », le scrutin a bien eu lieu ce dimanche 18 mars et a qualifié Ramlati Ali et Elad Chakrina pour le second tour. « Je leur ai solennellement dit que les élections se tiendraient. Mayotte, c’est la République. La République, c’est la démocratie. La démocratie, ce sont les citoyens qui s’expriment dans les urnes. En votant. Le droit de vote est sacré. L’État prendra toutes les dispositions pour assurer le bon déroulement du scrutin », a déclaré le préfet de Mayotte suite à son entrevue avec les élus.

De leur côté, les organisateurs de la grève générale avaient appelé les Mahorais à ne pas se rendre aux urnes ce dimanche. La consigne a semble-t-il été suivie par une partie des électeurs. La participation a atteint 30,39% à la fermeture des bureaux de vote, en nette baisse par rapport à la précédente. En juin dernier, pour cette même élection, elle affichait 42,28% pour le premier tour. Dès le matin, au bureau centralisateur de Mamoudzou, où remontent participations et résultats, la présidente, Sitti-Raouzat Soilihi, constatait « un taux très faible de participation à 10h à 4% contre 10% habituellement » à la même heure.

Parmi les électeurs matinaux, Mouhamadi Houssam, 26 ans. Cet employé de la Colas est opposé à la grève générale qui « fait baisser l’économie », et n’a donc pas tenu compte des consignes des organisateurs du mouvement de contestation. « Voter, c’est un droit », a-t-il déclaré solennellement en sortant d’un des 176 bureaux de vote du territoire.

Alain Khodidas, quant à lui, a glissé un bulletin dans l’urne « par devoir. Je suis de tout coeur avec eux [les grévistes] », indique ce commerçant. « L’insécurité est partout en ce moment mais on ne peut pas abîmer ça, la liberté, l’égalité, la fraternité. » Marie, qui est venue voter avec sa maman, a été « révoltée » par les fraudes qui ont conduit à l’invalidation de la précédente élection législative. A Mayotte, selon elle, « certains se sont installés comme s’ils étaient dans une monarchie. Si la situation est chaotique, c’est parce qu’il y en a depuis longtemps qui se sont attribués les postes, sous peine de défavoriser le développement social et économique ».

Incidents en cascade

Le scrutin de ce dimanche ne s’est pas déroulé sans incidents. Dans les bureaux de vote du Nord, un nouveau candidat s’est invité : le bulletin noté « Sécurité ». Le matin même, toujours dans le nord de l’île, une dizaine de bureaux de vote auraient été bloqués, selon nos informations, dont « trois ou quatre » à Acoua, nous indique le directeur général des services de la commune. Ils ont cependant rapidement rouvert, notamment grâce à l’action des services municipaux. L’élection s’est déroulée « dans de bonnes conditions », s’est félicité le DGS. Dans certains bureaux de vote du chef-lieu, les bulletins du candidat Boina Dinouraini ont rapidement manqué, en raison d’un nombre insuffisant mis à disposition. « L’essentiel pour moi était de faire passer mon message », philosophe le candidat, interrogé dans un bureau de vote de Kawéni. A Longoni, l’intersyndicale a improvisé un bureau de vote fantoche, très fréquenté par les grévistes mais sans aucune valeur officielle.

La catastrophe a été frôlée dans l’après-midi lors du vol temporaire de deux urnes dans la commune de Mtsamboro, par deux individus, a confirmé le maire. « Le vol a duré cinq minutes », explique Harouna Colo, le maire de Mtsamboro. « Elles ont été brièvement volées, quelques secondes », confirme la préfecture de Mayotte qui atteste qu’elles n’ont « pas été violées » et que, par conséquent, cet incident n’est pas de nature à invalider le scrutin.

 

Renforcement des barrages

Suite à une réunion dimanche soir, l’intersyndicale et le collectif ont annoncé « durcir le mouvement » avec un « renforcement des barrages » à partir d’aujourd’hui. Dans une volonté de bloquer la deuxième semaine de la rentrée scolaire et dans l’attente d’un « émissaire apte à négocier, avec un mandat », l’intersyndicale ne multipliera pas les barricades mais les renforcera, ne laissant plus passer le ravitaillement alimentaire.

Le président du Conseil départemental demande à « renouer le dialogue »

Le président du Conseil départemental a exprimé son sentiment vis-à-vis de la situation actuelle. Par voie de communiqué, il explique regretter que « les discussions menées le 13 mars entre le collectif, l’intersyndicale et les élus de Mayotte avec Madame la ministre des Outre-mer n’ont pu finalement aboutir à une suspension du mouvement de grève générale ». Le Président demande ainsi aux parties prenantes de « renouer le dialogue dans les plus brefs délais, dans l’intérêt supérieur de Mayotte ». Il en appelle enfin au gouvernement pour « prendre toute mesure à même de rassurer la population sur sa sécurité en approuvant dès à présent l’ensemble des doléances portées par le mouvement dans ce domaine ».

«Situation critique» au centre hospitalier

Manque de médicaments et d’oxygène, arrêt des évacuations sanitaires, difficultés d’intervention du Samu avec les barrages : le centre hospitalier de Mayotte tire la sonnette d’alarme, alors que la grève générale a progressivement paralysé l’île, depuis le 20 février.

«La situation est critique d’un certain point de vue», affirme Philippe Durasnel, le vice-président de la commission médicale d’établissement au centre hospitalier de Mayotte (CHM). La grève générale, et les nombreux barrages qui l’accompagnent, ont une incidence notable sur le fonctionnement du CHM. «L’hôpital est déjà en rupture de stock sur certains médicaments essentiels, notamment certains antibiotiques», détaille le médecin. Un temps, «on n’avait plus de tenues, des problèmes de draps, plus de couches-culottes pour les enfants hospitalisés en pédiatrie». Il y a «des problèmes d’approvisionnement en oxygène» sur certains centres de référence de l’hôpital, hors Mamoudzou.

EVACUATIONS SANITAIRES STOPPÉES

«C’est une situation qui est déjà arrivée à plusieurs reprises», rappelle la directrice de l’établissement, Catherine Barbezieux. L’équivalent de trois mois de stocks existe bien sur l’île, mais l’essentiel se trouve au port de Longoni, inaccessible en raison des points de blocage routier. «Tous les matins, il y a une cellule de crise», informe la directrice du CHM. «On est en très grande tension mais pour l’instant, on a toujours réussi à ne pas tomber en rupture», soulignet- elle, ce mercredi. L’insularité fait qu’on «n’a pas la possibilité de demander de l’aide à qui que ce soit, en dehors de la voie aérienne […] On est vraiment très fragile». D’autant que les barges fonctionnent au ralenti. Dans ce contexte, les évacuations sanitaires ont été stoppées, dès la troisième semaine du mouvement social. En cas d’extrême urgence, le dispositif serait réactivé pour un patient.

Côté barrages, les organisateurs de la grève générale ont donné l’ordre de laisser passer les secouristes. «Quand les points de contrôle sont non contrôlés sur des points de blocage qui sont sauvages, les véhicules [de secours] ne passent pas. Le Samu a été à plusieurs reprises bloqué. Il y a des barrages où les gens vérifient l’identité des gens transportés dans l’ambulance. Si quelqu’un n’est pas de nationalité française, il est refoulé. Les équipages ont été pris à partie sur certains barrages. On craint pour l’intégrité physique de certains de nos personnels», déplore Philippe Durasnel.

SECOURS RALENTIS SUR DES URGENCES

«Il y a eu depuis le début [de la grève générale] deux décès d’enfants, de près ou de loin en rapport avec la situation», ajoute-t-il. Le premier, «pour des problèmes respiratoires, qui est mort à domicile. Les parents n’avaient jamais fait appel au Samu. [Ils] nous ont expliqué avoir essayé d’aller au dispensaire et ne pas avoir pu […] à cause des barrages. Il y a un autre enfant qui est décédé à domicile, qu’on n’aurait pas pu aller chercher parce que le chemin était bloqué. Il était décédé au moment de l’appel des parents. » Un responsable des pompiers confirme de son côté le décès d’un nourrisson de deux mois, en début de semaine à Koungou. Les soldats du feu ont été ralentis dans leur intervention par un barrage, sans que l’on puisse faire de lien entre la mort de l’enfant et cet élément.

La directrice, Catherine Barbezieux, rappelle en parallèle qu’en cas d’urgence vitale, « le Samu n’est pas paralysé. Il y a aussi la possibilité de faire appel à l’hélicoptère de la gendarmerie. C’est arrivé à plusieurs reprises », mais ce dernier ne peut pas voler de nuit. Par ailleurs, « environ 200 agents par jour » ne peuvent pas rejoindre leur poste au centre hospitalier, du fait des barricades dressées sur les axes. D’autres personnels « se lèvent à 3h du matin ou marchent pendant une, deux ou trois heures pour rejoindre leur poste », salue la directrice. « On a mis en place des navettes maritimes. On va chercher certains personnels avec des bateaux. On ne peut le faire qu’au nord ». Les agents peuvent aussi se rendre dans un centre de référence du CHM plus proche de chez eux. Des logements ont été réquisitionnés pour certains. Par ailleurs, il a été constaté une affluence conséquente au centre hospitalier de Mayotte à l’issue des précédents mouvements sociaux. « Les problèmes nous arrivent après. On s’attend à être débordés », anticipe Philippe Durasnel. « On est en train de faire appel à la réserve sanitaire pour venir épauler les équipes », annonce Catherine Barbezieux.

Côté pompiers, « il y a eu quelques difficultés à deux ou trois reprises » à hauteur des barrages, indique un responsable. « On a de grosses difficultés pour mettre le personnel de garde dans les casernes […] Les gens ne nous laissent pas forcément passer en civil […] Les agents sont contraints de faire [des gardes] de 24, 36 ou 48 heures » pour assurer le fonctionnement du centre de traitement des appels et des cinq casernes. Ces dernières nécessitent la présence de 5 à 16 pompiers en permanence.

«ON EST DES TRAÎTRESSES, ON DONNE NAISSANCE À DE FUTURS DÉLINQUANTS»

« Depuis le début de la grève, on a beaucoup d’accouchements à domicile (…) On a même eu une femme qui a accouché dans un centre de consultation périphérique, ce qui n’est évidemment pas adéquat », témoigne Mélanie*, sage-femme au centre hospitalier de Mayotte. « Une femme avec de gros antécédents, qui aurait dû accoucher sous supervision médicale, a dû donner naissance dans l’ambulance en raison des rotations difficiles qui prennent beaucoup plus de temps, avec seulement une sage-femme pour l’accompagner. L’enfant est né en état de mort apparente et, heureusement, a pu être réanimé », poursuit-elle encore. Pour le personnel aussi, la situation est extrêmement épuisante et déstabilise complètement l’organisation du CHM : le week-end dernier, les chambres ont été triplées en raison de l’impossibilité du transfert des patientes vers des maternités périphériques ; tous les jours, des sages-femmes sont obligées de passer les barrages à pied, d’autres partent plus tôt pour être sûres d’avoir une barge, certaines changent de poste selon les besoins – « Aujourd’hui, je suis auxiliaire de puériculture et aide-soignante », explique encore Mélanie. « On a des difficultés à passer les barrages car on est des traîtresses, on donne naissance à de futurs délinquants », déplore-telle. « Ca va être le chaos quand on va reprendre, il n’y a pas eu de suivi de nombreuses patientes, pas d’échographie non plus… ».

*le prénom a été changé

Le mouvement continue

Malgré la réunion mardi soir avec la ministre des Outre-mer, l’intersyndicale et les collectifs ont décidé mercredi de maintenir la grève générale et les barrages routiers.

L’intersyndicale avait appelé la population à se rassembler mercredi matin place de la République (Mamoudzou) afin de décider de la poursuite ou non du mouvement, suite à l’ultime réunion avec la ministre des Outre-mer mardi jusque très tard le soir.

Un rendez-vous qui a fait flop, la place de la République étant absolument vide hier matin et les barrages toujours fermement tenus par des manifestants peu enclins à les quitter. Hier, la gendarmerie de Mayotte en dénombrait encore onze sur le territoire, les mêmes que la veille. En fin de matinée, l’intersyndicale et les différents collectifs membres du mouvement étaient réunis à Tsingoni, notamment afin de jurer sur le Coran « qu’ils ne trahiront pas le mouvement ». Serment tenu puisqu’ils ont annoncé mercredi en fin d’après-midi « maintenir la grève générale », à l’issue d’une entrevue à laquelle ont également participé des représentants de chaque barrage. « On s’est déjà fait avoir avec l’État et ses promesses », tempête Maoulida Momed, un des porte-parole. Certains syndicalistes ont, en outre, très mal reçu le communiqué apaisant que la ministre des Outre-mer, Annick Girardin, a envoyé dans la nuit de mardi à mercredi, se félicitant de « l’accord de principe entre l’État, les élus, les syndicats et les collectifs », ainsi que des « engagements au nom du gouvernement pour renforcer la sécurité, la lutte contre la délinquance et la lutte contre l’immigration clandestine » mais surtout de l’engagement de l’intersyndicale et des collectifs à lever les barrages. « Nous l’avons perçu comme une trahison », explique Saïd Hachim, membre du mouvement, qui indique avoir reçu des « menaces et des invectives » de la part des manifestants. En effet, pour les leaders, la levée des barrages devait d’abord être discutée avec la population. « Ils [les manifestants] seront les seuls à décider [de la levée des barrages] », commentait Fatihou Ibrahim, un des représentants du mouvement social, à la sortie de la réunion avec la ministre des Outremer mardi. « Mais nous, intersyndicale et Comité des citoyens de Mayotte, aurons cette responsabilité de tenter de leur expliquer l’intérêt de suspendre le mouvement (…) le temps de vérifier que les paroles que nous a données l’État sont des paroles fiables. Nous avons demandé toutes les garanties pour pouvoir juger de cela. » Le porte-parole demande désormais des réponses urgentes, portant uniquement sur la sécurité dans un premier temps. Cependant, le syndicaliste Salim Nahouda a indiqué que l’intersyndicale et les collectifs n’étaient pas opposés à rencontrer deux des personnalités de la délégation ministérielle qui leur en ont fait la demande, à savoir le général Lambert Lucas, commandant de la gendarmerie Outre-mer, et Jean- Jacques Brot, ancien préfet de Mayotte. Avec le conseiller d’État Jean Courtial, ces trois personnes ont été chargées par Annick Girardin de travailler durant un mois maximum à la mise en place des engagements que la ministre a pris mardi avec l’intersyndicale, les élus et les collectifs.

Mouvement social | Appel à la suspension de la mobilisation

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À l’issue d’une réunion entre la ministre des Outre-mer, Annick Girardin, plusieurs élus de Mayotte et des représentants de l’intersyndicale et du Collectif des citoyens inquiets de Mayotte, les différentes parties se sont accordées sur une suspension d’un mois de la mobilisation. Une suspension qui ne signifie pas pour autant la fin du mouvement social.

« Confiance » : c’est le mot d’ordre qui régnait à l’issue d’une réunion entre la ministre des Outre-mer, Annick Girardin, plusieurs élus du territoire*, et des représentants de l’intersyndicale et du Collectif des citoyens inquiets de Mayotte. Cinq heures d’échanges pour parvenir à un consensus : la suspension du mouvement social qui paralyse l’île depuis trois semaines. Pour autant, ni protocole, ni accord formel n’ont été signés. Les leaders du mouvement doivent d’ailleurs tenir une réunion ce matin, place de La République à Mamoudzou, pour consulter et tâcher de convaincre les manifestants de lever les barrages durant ce qui peut être qualifié de période d’essai. Car c’est bien de cela qu’il s’agit.

« Ils [les manifestants] seront les seuls à décider [de la levée des barrages], commentait ainsi Ibrahim Fatihou, un des représentants du mouvement social, mais nous, intersyndicale et Comité des citoyens de Mayotte, aurons cette responsabilité de tenter de leur expliquer l’intérêt de suspendre le mouvement (…) le temps de vérifier que les paroles que nous a données l’État sont des paroles fiables. Nous avons demandé toutes les garanties pour pouvoir juger de cela. »

Parmi elles, et outre les mesures de sécurisation des établissements, des transports scolaires et l’arrivée d’effectifs supplémentaires de forces de l’ordre, de nouvelles mesures concédées par le gouvernement. Quinze, en plusieurs axes : le démantèlement des bandes « de criminels semant le chaos sur le territoire » ; la lutte contre les attestations d’hébergement de complaisance et les reconnaissances frauduleuses de paternité ; la mise en place de navires supplémentaires pour lutter contre l’immigration clandestine ; mais aussi la reconnaissance des acteurs associatifs luttant contre l’insécurité, qui seront associés au travail mené par l’État durant ce mois à venir. De même, l’intersyndicale et le Comité des citoyens seront parties prenantes des décisions qui seront prises durant cette période. Un des points de revendication importants. « Cela a été des discussions difficiles, a expliqué Ibrahim Fatihou. Il a fallu qu’on se comprenne, qu’on se mette sur la même longueur d’onde avec le gouvernement, qu’on comprenne que les souffrances de Mayotte sont réelles, que ses besoins sont réels, que ses difficultés seraient inacceptables partout dans la République, et il a fallu que les membres de l’intersyndicale et du gouvernement parlent avec leur cœur. (…) Il me semble qu’au terme de ces discussions, nous avons des avancées réelles. »

« L’État se renforcera »

Avant de s’envoler immédiatement pour la métropole où se tient ce matin le conseil des ministres, Annick Girardin s’est elle aussi félicitée de cet accord de principe validant sa méthode, notamment l’envoi de trois émissaires pour évaluer les besoins du territoire et déterminer des pistes d’actions : « Les Mahorais et les Mahoraises ne peuvent plus attendre (…) La première des choses que je veux dire est que, sur ce territoire, l’État se renforcera, sera davantage présent, jouera davantage son rôle sur l’ensemble des questions qui lui ont été posées. (…) Dans un mois, nous rendrons notre travail collectif pour qu’il soit ensuite approuvé. (…) J’ai aussi répondu à une quinzaine de demandes du Collectif et des élus, qui vont toutes dans le même sens : plus de sécurité, plus de lutte contre l’immigration illégale, plus de présence de l’État. Un mieux d’État, un véritable accompagnement de l’État à tous les niveaux et sur tous les sujets (…). C’est aujourd’hui un message d’un retour de l’État, ici, sur ce territoire, que je suis venue délivrer. » Et d’ajouter souhaiter, sur la décision qui sera prise aujourd’hui de lever les barrages ou non, « le retour au calme le plus vite possible, puisque nous avons devant nous un court mois de travail pour aboutir sur un ensemble de réponses à apporter sur le territoire. »

À considérer que la levée des barrages soit acceptée par les manifestants, une nouvelle réunion aura donc lieu mi-avril, à Mayotte ou dans l’Hexagone, puisque « rien n’interdit qu’une mission vienne sur Paris », a conclu la ministre.

*Parmi lesquels les maires de Mamoudzou, de Mtsamboro, Bandrélé, Bandraboua, Tsingoni, Dzaoudzi-Labattoir, le sénateur Thani Mohamed Soilihi, le député Mansour Kamardine ou encore les élus du Département Issa Abdou et Fatima Souffou.

 

Un dénouement imprévu ?

L’annonce d’une suspension du mouvement social n’était pas évidente, à la vue de l’arrivée de la délégation de l’intersyndicale et du Comité des citoyens inquiets. Estimant que la ministre des Outre-mer, Annick Girardin, avait « manqué de respect aux Mahorais », Ibrahim Fatihou déclarait à son arrivée, et à propos de la ministre qualifiée de « boîte aux lettres » : « Nous sommes venus [lui] remettre un document pour demander au gouvernement un véritable interlocuteur. » Rien ne laissait donc envisager un pas vers une sortie de crise, d’autant que le leader expliquait que « nous, syndicat et Collectif, avons initié ce mouvement parce que nous avons entendu la souffrance de nos compatriotes de Mayotte. Comme nous l’avons toujours dit, ce mouvement peut dépasser le cadre des syndicats et du Collectif parce que les gens souffrent. Personne ne l’accepterait [cette situation], alors pourquoi le gouvernement insiste pour nous la faire accepter ? Nous ne pouvons pas. Et même s’il a l’intention de nous dicter comment faire, car apparemment il se croit encore en colonie, nous aurons toujours la force de dire non, karivendze. »

 

 

Un nourrisson de deux mois décède à Koungou

La grève contre l’insécurité aura fait une victime. En effet hier en début de soirée une mère de famille appelle les secours pour une prise en charge rapide de son bébé. Arrivés devant l’impressionnant barrage érigé par les manifestants, devant la pointe Koungou, les agents du Smur mettront plusieurs minutes avant de parvenir à se frayer un passage. Une fois sur place, ils contastatent que le nourrisson est en insuffisance respiratoire. Ils tenteront un massage cardiaque mais le bébé fini par succomber.

Visite ministerielle | Des mesures qui n’apaisent pas l’intersyndicale

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La ministre des Outre-mer est arrivée hier dans la matinée pour tenter de convaincre les Mahorais que l’État ne les abandonne pas. Une mission difficile qui se heurte à la méfiance de la population locale, comme de l’intersyndicale. Pour autant, Annick Girardin a annoncé une série de mesures en termes de sécurité et de lutte contre l’immigration clandestine.

 » Vous nous avez abandonnés, madame la Ministre ». Malgré les brimades des Mahorais, Annick Girardin a tenu à démontrer que le gouvernement se mobilise pour leur sécurité. Parmi les mesures annoncées : « le maintien jusqu’à la fin de l’année scolaire de 60 gendarmes » parmi ceux débarqués récemment pour sécuriser la rentrée scolaire. La ministre a également confirmé la création d’une brigade de gendarmerie nationale à Koungou ainsi qu’annoncé « l’augmentation de 50% des effectifs de la réserve territoriale de la gendarmerie » actuellement estimée à 60 réservistes. Annick Girardin a précisé que d’autres effectifs de police viendront prochainement sur le territoire dans le cadre de la création d’une nouvelle « brigade de prévention de la délinquance juvénile ». Enfin, une « police du quotidien » sera mise en place composée de 10 policiers et 20 gendarmes supplémentaires. En matière de lutte contre l’immigration clandestine, la ministre a déclaré qu’un Etat-major opérationnel de lutte contre l’immigration clandestine serait créé. L’envoi d’un navire patrouilleur militaire ainsi que l’accroissement des capacités d’appui aérien en hélicoptères sont également prévus. Enfin, Annick Girardin a précisé qu’il serait prochainement nommé un « officier de liaison au sein du ministère de l’Intérieur comorien afin d’améliorer le dispositif de lutte contre l’immigration clandestine ». Des « sous-mesures d’urgence qui ne résoudront rien sur le long terme », estime le syndicaliste Salim Nahouda.

« La ministre sème la zizanie »

Débarquée en Petite-Terre tôt dans la matinée, la ministre des Outre-mer a tenté d’établir un dialogue avec les Mahorais. Une mission difficile qui s’est heurtée d’emblée à la défiance de l’intersyndicale et à des barrages routiers érigés par plus d’une centaine de manifestants, notamment sur le rond-point du Four à Chaux. « Des élus qui étaient au départ solidaires du mouvement ont finalement décidé d’ouvrir leurs établissements scolaires pour accueillir la ministre », s’enrage Foumo Silahi, l’un des porte-parole de l’intersyndicale. Pour le militant, la ministre « sème la zizanie au sein du mouvement social en le divisant ». Résultat : deux réunions étaient organisées hier, l’une regroupant des élus, le préfet et la ministre, et une autre réunissant l’intersyndicale « et les élus qui sont restés solidaires du mouvement », précise Silahi. Si l’intersyndicale reconnaît « un début d’investissement » chez le gouvernement, les mesures annoncées ne sont pas suffisantes : « Il faut renforcer davantage les effectifs de police et s’occuper des mineurs isolés. Et n’oublions pas l’école, qui reste un problème majeur à Mayotte », martèle Salim Nahouda de l’intersyndicale. Par voie de communiqué, celui-ci ne tempère pas sa colère : « Nous ne cautionnons pas le mépris avec lequel madame la Ministre continue de traiter toute la population de Mayotte ». Il conclut pourtant : « Nous demeurons néanmoins ouverts à de véritables négociations ». Alors que la ministre a annoncé rester quelques jours supplémentaires à Mayotte, ce souhait pourrait bien se réaliser prochainement, ou pas. Quoi qu’il en soit, la ministre a d’ores et déjà promis de revenir « très vite » pour une troisième visite sur l’Ile aux Parfums.

Programme de la ministre et manifestation

Arrivée lundi peu avant 10h, la ministre a tenu à rencontrer directement les manifestants sur les barricades de Petite-Terre. Ces barrages n’étaient pas les seuls puisque la préfecture en a dénombré douze rien qu’en Grande-Terre pour la journée de lundi, et a rapporté des caillassages en matinée sur celui de Koungou. Assise dans l’herbe, Annick Girardin a échangé un temps avec les manifestants. Puis, elle s’est rendue vers 13h place de la République, à Mamoudzou, pour un autre temps d’échange populaire. Si elle a reçu un salouva et un accueil chaleureux d’une habitante, la ministre s’est fait huer à plusieurs reprises et a été « accueillie » par une poignée de manifestantes remontées, brandissant des banderoles sur lesquelles il était marqué « Gouvernement assassin ». Puis, elle s’est rendue au sein de l’hémicycle du Conseil départemental et a discuté avec des citoyennes, dont la Femme leader Faouzia Kordjee. Après un stop à la Maison des entreprises, elle a tenu une conférence de presse puis s’est entretenue avec des élus en Petite-Terre. A l’heure où nous bouclons, le programme de la ministre pour ce mardi n’était toujours pas connu. En revanche, l’intersyndicale a confirmé que la manifestation populaire prévue aujourd’hui était maintenue, avec un rendez-vous à 8h, place de la République, à Mamoudzou.

 

 

Mouvement social | Les manifestants préparent « la seconde étape du mouvement »

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Satisfaits que la situation de Mayotte résonne jusqu’en métropole via les médias nationaux, les manifestants sont sur le pied de guerre pour préparer « la seconde étape du mouvement » : mobiliser l’exécutif. En attendant, les grèves et les barrages se poursuivent. L’une des conséquences : la fermeture du service de consultations externes du Centre hospitalier de Mayotte, hier. 

Ce jeudi 8 mars, neuf barrages étaient dressés sur les routes mahoraises, à Chiconi, Chirongui, Coconi, Bandrélé, Kahani, Bouyouni, Longoni, Koungou, Tsararano. La mobilisation sociale ne montre aucun signe d’affaiblissement. D’autant plus au regard de l’intérêt soudain de la presse nationale et de l’opinion publique par-delà les frontières de l’île : « Nous avons réussi notre première étape consistant à mobiliser la métropole au travers de la presse. Maintenant, il est temps de passer à la seconde étape : faire réagir l’exécutif », explique Foumo Silahi, l’un des porte-parole du mouvement. Malgré cette « petite victoire » pour le mouvement social, les grèves et les barrages comptent bien redoubler d’intensité. L’un des stigmates de ce phénomène : la fermeture du service des consultations externes du Centre hospitalier de Mayotte (CHM), faute de « personnel disponible ». « Depuis le début des grèves, c’est la première fois qu’un service est fermé », constate-t-on du côté du service communication du CHM. En guise de remède temporaire, le CHM répartit actuellement ses effectifs dans les centres de référence (dispensaires, par exemple) les plus proches des domiciles respectifs des personnels médical et soignant.  

La crainte de ne plus maîtriser les barrages

A l’entrée du barrage de Tsararano, femmes, enfants et pères de famille sont réunis autour d’un barrage de pneus et de bambous. Si les manifestants sont satisfaits que la métropole se saisisse des problématiques mahoraises par l’intermédiaire des journalistes, la défiance à l’égard de ces derniers reste présente : « Nous avons parfois été déçus par le traitement du mouvement social », lance d’emblée un manifestant. « Beaucoup de journalistes se focalisent sur les débordements au lieu de se concentrer sur notre message de fond : la lutte pour plus de sécurité ». Les tensions désamorcées, certains manifestants font part d’un événement ayant provoqué leur colère plus tôt dans la matinée : « Deux camions de CRS ont foncé dans le barrage vers 4h du matin. C’est scandaleux ! « , dénonce un manifestant. Une information formellement démentie par la gendarmerie qui explique que les camions auraient circulé alors que les barrages n’étaient pas encore érigés.

Pour les usagers de la route, passer le barrage de Tsararano relève du parcours du combattant : « A part les ambulances et les personnes âgées, personne ne passe ! », entend-on sur la barricade alors qu’un taxi transportant des personnes en situation de handicap file entre les pneus temporairement dégagés pour laisser passer le véhicule. Pour les piétons, un petit sentier boueux est libéré afin de contourner le barrage. « Nous avons installé une certaine discipline avec l’obligation de laisser passer les travailleurs du secteur médical et social », explique Foumo Silahi. Mais certains événements tels que la fermeture du service des consultations externes du CHM témoignent de la liberté d’appréciation de ces « obligations » selon les manifestants. « Nous ne sommes pas des chefs, mais plutôt des médiateurs », justifie M. Silahi. L’une de ses craintes : « ne plus maîtriser les barrages et les manifestations si jamais l’Etat n’apporte pas de réponse forte ». Pour motiver ce dernier à agir rapidement, ce porte-parole martèle son projet de « multiplier les actions ». « Nous allons poursuivre les blocages en nous rapprochant progressivement de Mamoudzou. Et nous irons jusqu’à l’aéroport si nécessaire », ambitionne-t-il. Etape suivante : la venue de la ministre des Outre-mer à Mayotte annoncée « prochainement » par le porte-parole du gouvernement. Un événement qui sera décisif dans l’évolution de ce mouvement social qui s’annonce déjà historique.

 

Contestation sociale | Très forte mobilisation des habitants de Mayotte

La rue gronde et ne faiblit pas. Ils étaient 3 000 selon la police, entre 10 000 et 15 000 selon les organisateurs, à avoir manifesté hier contre l’insécurité, devant les caméras nationales. Le soir même, les barrages routiers ont repris.

L’ambiance était particulière ce mercredi matin, à Mamoudzou. Les barges ne circulaient quasiment pas, la plupart des commerces étaient fermés, et à la station-service de Kawéni, plusieurs dizaines de personnes patientaient, aux côtés d’une file colorée de bidons en plastique qui attendaient qu’on veuille bien les remplir. Bloqués depuis plusieurs jours, une partie des habitants de Mayotte n’a en effet pas pu s’approvisionner en essence ces derniers temps. La levée temporaire des barrages à l’occasion de la marche contre l’insécurité fut l’occasion pour ces habitants coupés du monde de se ravitailler fissa. 

Du côté de la pointe Mahabou, le cortège s’organisait et a démarré peu après 9h. Les élus en ont pris la tête, dont plusieurs maires et conseillers départementaux arborant l’écharpe tricolore, et portant une banderole où l’on pouvait lire « Terroristes, coupeurs de route, voleurs, violeurs, cambrioleurs, occupants illégaux de terres, trafiquants, faussaires… Toutes les formes de violence, subir et se taire ! Non ! Kari pvendzeee ! (On ne veut pas, en shimaoré, NDLR) » Et malgré une pluie battante, les habitants de Mayotte, joyeusement menés sous les intempéries par le son du shengué, ont défilé de la pointe Mahabou au rond-point Méga, faisant danser les drapeaux français, ces derniers ayant remplacé les signes syndicaux. A ce giratoire, la foule a marqué l’arrêt et a entonné une vibrante Marseillaise. 

Les chiffres divergent évidemment mais de toutes parts, on reconnaît que le mouvement a mobilisé, 3 000 personnes selon la police, entre 10 000 et 15 000 personnes selon les organisateurs. Ces derniers d’ailleurs ne comptent pas en rester là. Leur demande principale n’étant toujours pas satisfaite (la venue du président de la République, du Premier ministre ou du ministre de l’Intérieur), ils ont remis en place les barrages routiers dès le milieu de l’après-midi. Ces barrages étaient étanches, laissant passer les manifestants dans le sens « Paris-province » afin qu’ils puissent rentrer chez eux suite à la marche, mais faisant obstacle aux habitants voulant rallier le chef-lieu. A 16h30, la gendarmerie en dénombrait trois : à Bandrélé, Chirongui et Chiconi mais les leaders du mouvement promettaient de tous les ériger avant la tombée de la nuit.

 

Mansour Kamardine parle de « non-assistance à île en danger »

Suite à la marche de mercredi, le député Mansour Kamardine (LR) a réagi par un communiqué intitulé : « Mayotte : non-assistance à île en danger et discrédit de la ministre ». L’élu se félicite de « la réussite de la grande marche pour la paix ayant réuni plusieurs milliers de personnes, arborant des drapeaux tricolores et chantant la Marseillaise », ce qui « marque la détermination de l’ensemble des forces vives du 101ème département français à se battre pour la paix et le développement économique et social de Mayotte ». Mais le parlementaire est également colère : « Chaque jour qui passe sans réponse du gouvernement nous rapproche du chaos dans le département le plus pauvre de France. Le gouvernement le sait, il joue avec le feu et il le fait avec les plus faibles. Cette volonté manifeste et méprisante face à un mouvement unitaire sans précédent est ressentie comme de la « non-assistance à île en danger ». Les déclarations de la ministre des Outre-mer, hier (mardi, NDLR), à l’Assemblée Nationale, ont fini de saper sa crédibilité. Les élus, maires, conseillers départementaux et parlementaires de Mayotte se sont concertés ces dernières heures. Ils considèrent que le seul interlocuteur crédible est désormais le Premier ministre, à défaut le ministre de l’Intérieur dont ils demandent la venue en urgence à Mayotte. Nos concitoyens savent ce qu’ils veulent, que Mayotte retrouve sa sérénité et qu’une mise à niveau soit lancée en termes de politique de lutte contre l’immigration clandestine, de sécurité, d’équipements, d’accès aux services de base, de traitements sociaux et de politique éducative. Tout est sur la table, point besoin d’une conférence organisée dans plusieurs mois. Il n’y a plus qu’à définir un agenda de mise à niveau des infrastructures, des services et  politiques publiques. »

 

Grève générale | Opération « île morte », acte II

12ème jour de manifestation à Mayotte contre l’insécurité. Une semaine après la première opération « île morte », les organisateurs renouvellent l’action. Elle va s’accompagner d’une marche dans les rues de Mamoudzou.

Pas de barrages ce mercredi : le mouvement social contre l’insécurité regagne Mamoudzou, pour le 12ème jour de manifestation. Une marche est prévue dès 9h dans les rues du chef-lieu. Le départ s’effectuera au rond-point Mahabou, avec un passage par Kawéni, avant que les manifestants ne se dirigent vers la place de la République. Les drapeaux syndicaux sont proscrits dans le cortège, au profit des drapeaux français. « Quatre ou cinq victimes prendront la parole place de la République : des victimes d’occupation illégale de terrain, de coupeurs de route ou d’agressions sur les routes », détaille Foumo Silahi, l’un des porte-parole du Collectif des citoyens de Mayotte. Mardi 27 février, une marche similaire avait rassemblé plus d’un millier de personnes, selon la police.

Le cortège défilera dans le cadre d’une deuxième opération « île morte », une semaine tout pile après la première. Entreprises et commerces sont invités à baisser le rideau toute la journée. La Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) et la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) rejoignent le mouvement de contestation, affirme le porte-parole du Collectif des citoyens de Mayotte. Selon lui, le Medef a adopté la même position. Jointe mardi, la nouvelle présidente de ce syndicat patronal, Carla Baltus, a indiqué qu’une réunion d’urgence devait encore se tenir dans l’après-midi, pour prendre une décision sur le sujet.

Des élus vont également venir gonfler les rangs du cortège. Par voie de communiqué, l’association des maires de Mayotte a rappelé que « les parlementaires, les maires et les élus départementaux de Mayotte se sont constitués en Comité pour rejoindre le mouvement de l’intersyndicale et du Collectif des citoyens de Mayotte contre l’insécurité et pour le développement de Mayotte. En solidarité avec ce mouvement, les collectivités locales seront fermées jusqu’à nouvel ordre. »

Une plateforme revendicative commune aux élus, à l’intersyndicale, au Collectif des citoyens de Mayotte et au patronat est en cours de rédaction. « On va essayer de faire une synthèse des différentes revendications. Ce document commun permettra de parler d’une seule et même voix », souligne Foumo Silahi. Le texte pourrait être révélé dès jeudi, lors d’une conférence de presse.

Ce sujet – tout comme l’organisation de l’opération « île morte » – était à l’ordre du jour d’une réunion, mardi, au Conseil départemental. Elle aurait rassemblé une trentaine de personnes : des membres de l’intersyndicale, du Collectif des citoyens, les maires de Sada et de Bouéni (porte-voix des élus), et des représentants de la CPME et de la Capeb pour le patronat. Invité par un participant, notre média a été tenu à l’écart des échanges.

Il y a peut-être été question d’un incident rencontré le matin même, sur l’un des barrages en place. Une femme enceinte, qui avait a priori un rendez-vous médical, aurait été empêchée de franchir les obstacles en place. Les faits sont confirmés par le porte-parole du collectif, qui assure que les manifestants ont ensuite « appelé les services concernés pour prendre en charge cette femme ».

Ce mardi, conducteurs et piétons ont rencontré en chemin quasiment les mêmes barrages que les jours précédents. Des barrières ont été érigées à Tsararano, Chirongui, Chiconi, Bandrélé, Coconi et Longoni. Ce dernier s’est davantage rapproché du port, sans pour autant le bloquer, indique-t-on du côté de la gendarmerie. En milieu d’après-midi, aucun incident n’avait été constaté par les militaires.

Comme les jours précédents, les barges ont fonctionné au ralenti, par manque de personnel, avec un seul point de départ, à l’amphidrome, côté Grande-Terre.

En déplacement jusqu’à ce soir à Mayotte, Laurent Wauquiez, le président du parti Les Républicains (LR), s’est rendu ce mardi matin sur le barrage de Tsararano, à la rencontre des manifestants. S’il a échangé avec ces derniers, il n’a en revanche pas pu s’entretenir avec les représentants de l’intersyndicale et du Collectif des habitants de Mayotte, qui ne « veulent pas marquer une préférence politique », explique Foumo Silahi. Le patron de la droite est en visite dans le 101ème département à l’approche de l’élection législative partielle des 18 et 25 mars, à laquelle participera un candidat LR.

Mayotte Hebdo de la semaine

Mayotte Hebdo n°1116

Le journal des jeunes