Le Collectif des citoyens de Mayotte 2018 a entamé une opération coup de poing ce jeudi 25 février devant les gares maritimes de Mamoudzou et quai Ballou en Petite-Terre. Il pointe du doigt l’organisation du Service des transports maritimes (STM). Les membres du collectif ont incité les usagers piétons à ne pas acheter leurs tickets de barge, en espérant faire réagir le Département.
C’est une bonne surprise qui attendait les usagers piétons de la barge ce jeudi. Ils étaient autorisés à passer sans payer de ticket. Un cadeau du Service des transports maritimes (STM) ? Pas vraiment. Derrière ce laissez-passer, il faut en réalité voir la main des membres du Collectif des citoyens de Mayotte 2018 qui s’inquiètent du non-respect des gestes barrières. « Ils ont baissé la fréquence des barges, les gens se regroupent en faisant la queue pour acheter les tickets ou en attendant la barge et c’est de cette manière qu’on se contamine », dénonce Safina Soula, présidente du Collectif.
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Le nouveau système de portique semble également être arrivé au mauvais moment. Son fonctionnement n’est pas idéal pendant cette crise sanitaire. « Tout le monde touche ces portiques et ils ne sont même pas désinfectés ! » s’indigne la présidente du Collectif. Une accusation démentie par l’un des agents du STM présent sur les lieux. « On les nettoie toutes les demi-heures ! » Les manifestants ont tout de même réussi à faire fermer les portiques et le personnel du STM a été obligé d’ouvrir un autre accès aux passagers. La billetterie a cependant continué son fonctionnement habituel. « On ne peut pas arrêter de vendre si nous n’avons pas d’instructions venant de nos responsables », explique un membre du personnel, partagé entre ses obligations professionnelles et ses convictions.
Une opération soutenue par les usagers
Au-delà de la gratuité, les usagers de la barge soutiennent le mouvement du Collectif. « Je suis d’accord avec leurs revendications. Ces portiques sont remplis de bactéries, mais on est obligés de les toucher », indique Amir, un passager. « Moi, quand je passe par là, j’essaye de toucher avec un mouchoir parce que j’ai peur d’être contaminée en touchant les tourniquets », affirme une autre. Nadufa qui prend régulièrement la barge souhaite que le mouvement soit entendu par les élus. « J’espère que le Département se rendra compte de la dangerosité de cet outil et qu’il prendra les mesures adéquates à cette crise sanitaire. »
Le conseil départemental n’a pour l’instant pas répondu à l’appel du Collectif, mais ce dernier ne manque pas d’idées pour améliorer la situation. « Il faut que la barge soit nettoyée toutes les heures, à chaque voyage. Les portiques doivent également être désinfectés. Ils peuvent mettre des marquages au sol et sur les sièges pour que les gens ne s’agglutinent pas », recommande Safina Soula. La gratuité de la barge n’était valable que pour les piétons, mais le Collectif des citoyens de Mayotte 2018 prévient, si aucune mesure n’est prise rapidement, le ton montera d’un cran…
Ce jeudi matin, trois agents missionnés par la direction des services techniques du Département ont présenté un rapport relatif à la mise en place d’un réseau ferré comme principal moyen de transport d’aujourd’hui et de demain pour les personnes et les marchandises. Si tous les élus sont unanimes sur la problématique de circulation sur l’île, plusieurs inconnues demeurent, comme le coût, la faisabilité, ou encore la complémentarité avec les autres projets d’aménagement en cours. Décryptage.
Et si ? Et si dans un avenir plus ou moins proche, un réseau ferroviaire voyait le jour à Mayotte ? Cette possibilité fait en tout cas son petit bonhomme de chemin après la présentation ce jeudi 25 février par trois agents missionnés par la direction des services techniques du Département du projet « Treni bilé », plus largement appelé le train bleu de l’île aux parfums. Cette réflexion intervient alors que plusieurs indicateurs laissent à penser que les embouteillages risquent de se démultiplier dans les années à venir. En raison notamment de l’évolution démographique : l’institut national de la statistique et des études économiques (Insee) prévoit dans ses projections jusqu’à 700.000 habitants d’ici 30 ans. Soit plus du double de la population officielle recensée aujourd’hui. Sachant que « les entrées sur Mamoudzou dépassent (déjà) 15.000 voitures par jour », introduit Hamada Ali Hadhuri, l’un des trois rapporteurs.
Économie de foncier
Saturé dans la ville chef-lieu, le réseau de transport actuel est en passe d’asphyxier le reste du territoire. Raison pour laquelle la collectivité planche sur un moyen de déplacement secondaire. En ligne de mire donc : un système de traction ferroviaire, qui concentre de nombreux avantages, comme l’explique Razak Inoussa, ancien ingénieur chez Alstom. Une durée de vie d’environ 40 ans, un temps de trajet réduit (compter une vingtaine de minutes pour rejoindre la capitale économique depuis Kani-Kéli), une production d’électricité générée grâce à l’inertie (récupération et stockage), une absence de pollution et un gain d’espace pour installer les deux rails métalliques. Un dernier point convaincant aux yeux de Raïssa Andhum, la 3ème vice-présidente de la collectivité en charge de l’aménagement et du développement durable. « Ce projet a le mérite d’être innovant et de pouvoir mettre en exergue la possibilité d’économiser du foncier. » Une denrée rare sur Mayotte.
En bon géographe de formation, Saïd Saïd Hachim argumente les propos de ses collègues avec une succession de cartes sur lesquelles on peut découvrir deux boucles, au Nord et au Sud, et plusieurs phases pour « équilibrer l’est et l’ouest » et « connecter Grande-Terre et Petite-Terre ». « Ce n’est pas sorti de notre imagination, mais du schéma d’aménagement régional [qui permet d’envisager l’île à l’horizon 2050] », précise-t-il, avant d’évoquer la desserte de tous les établissements du second degré qui réglerait ainsi « le problème du transport scolaire ».
Près d’un milliard d’investissement
« Vous me faites rêver ! Si cela se réalise, chapeau ! Tant mieux pour les Mahorais », s’enflamme Issa Soulaïmana Mhidi. Alors oui, sur le papier, ce projet a de quoi faire saliver. Mais à combien se chiffre-t-il ? 978.510.100 millions d’euros pour être exact ! « On ne peut pas supporter seul ces coûts. Cela suppose de trouver des partenaires », ajoute l’élu dans le canton de Dzaoudzi. Un investissement faramineux qui n’est pas sans rappeler celui de la route du littoral à La Réunion. Et qui pose surtout la question des autres aménagements en cours de réflexion ou de réalisation. À l’instar du Caribus et du contournement de Mamoudzou – deux chantiers évalués à un milliard d’euros – ou encore des quais maritimes et du téléphérique. « Le Département ne doit pas être une boîte à rêves », s’interroge Daniel Zaïdani, conseiller départemental d’opposition. « On doit définir un vrai projet et ne pas assister à une surenchère à chaque session. Sinon, on perd toute crédibilité. Si c’est une réelle intention, annulons les autres projets et allons-y à fond car semaine après semaine, on vient nous présenter des choses pour amuser la galerie ! » Des propos partagés par Nomani Ousséni qui en a ras-le-bol des annonces sur les études de faisabilité et qui encourage « à aller encore plus loin ». « J’invite vivement à ce qu’on prenne ce projet à bras le corps. »
Une opération intéressante économiquement
Face à tous ces doutes, le directeur des services techniques du Département, Mustoihi Mari, assure que tous ces projets rappelés ci-dessus s’inscrivent dans le plan global de transport et de déplacement (PGTD) mis en œuvre en 2016, qui comporte « une feuille de route ». Exemple avec les pôles d’échanges multimodaux de Chirongui et Coconi, respectivement terminés avant le mois d’août et la fin d’année, et ceux de Dzoumogné, de Mamoudzou et de Petite-Terre qui sont en phase de démarrage ou de programmation.
Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à notre sujet du jour et à son impact financier. Pour vendre le réseau « Tréni bilé », Hamada Ali Hadhuri compare les coûts engagés pour ce dernier avec ceux des transports publics (scolaires et maritimes confondus). En 2021, ils s’élèvent à 57 millions d’euros. Un montant qui doit approcher les 148 millions d’euros en 2039. Une évolution exponentielle sur trois mandats, soit 18 ans, alors que le train bleu prévoit « une rentabilité positive » et ne requiert pas « d’investissement supplémentaire dynamique ». En d’autres termes, ce projet est « économiquement intéressant » si l’on se soucie « des comptes de la collectivité ».
« Parmi nous, personne ne le verra »
En résumé : si tous les élus approuvent ce potentiel moyen de transport, la population n’est pas prête de l’utiliser avant une vingtaine d’année entre la phase d’études et le développement du réseau d’une longueur estimée de 132 kilomètres. « Parmi nous, personne ne le verra… Peut-être nos enfants », lâche dans son style bien caractérisé Issoufi Ahamada. Une déclaration qui a de quoi faire sourire, mais qui ramène toute l’assemblée les pieds sur Terre, puisque les Mahorais sont habitués aux retards de livraison lorsqu’il s’agit de projets d’envergure structurants.
Pas de quoi faire vaciller Soibahadine Ibrahim Ramadani, le président du Département, qui croit dur comme fer en cette alternative. « Je suis de ceux qui pensent que c’est un bon schéma en matière de transport et de déplacement, qu’il faut régulièrement améliorer et actualiser. » Ne reste plus qu’à lancer les études d’opportunité et de faisabilité technique en vue de permettre une prise de décision et d’adopter un plan de financement. Et ainsi refiler la patate chaude à la future majorité qui s’installera en juin prochain.
Le 24 février, la famille de Steven, l’adolescent mort en janvier dans les violences qui ont agité la Petite-Terre pendant tout un week-end, a envoyé un puissant témoignage pour démentir certains propos relayés dans les médias à l’époque. Et rendre un dernier hommage.
“Steven, il était comme mon fils. Pourquoi c’est tombé sur lui ?”, interroge inlassablement Antoinette Ernestine, la voix douce et triste. Antoinette, c’est l’aînée de cette fratrie de cinq enfants d’origine malgache. Et depuis un mois, et ce jour fatal du 24 janvier, la famille n’arrive pas à faire son deuil. Si les médias locaux se sont largement fait l’écho des événements tragiques de ce week-end de janvier, où trois personnes, un homme de 36 ans, et deux adolescents de 15 et 14 ans, ont perdu la vie à la suite d’affrontements entre bandes rivales des quartiers Cetam et de la Vigie, en Petite-Terre, les propos relayés ont parfois atteint les proches des victimes. Jusque dans leur chair. Aujourd’hui, la famille de Steven ne demande qu’une chose : “Rétablir la vérité.” “On en a besoin, on n’arrive plus à dormir”, murmure la sœur aînée.
C’est pour cette raison qu’ils ont décidé ensemble d’envoyer aux rédactions un texte vibrant pour réclamer enfin, “vérité et justice pour Steven”. “Des reportages et des articles de presse se font bien sûr l’écho de ces événements tragiques (…). Certains de ces articles nous ont choqués. Plus que cela, ils nous ont meurtris et ont ajouté de la douleur au deuil que nous vivons”, écrivent-ils dans ce plaidoyer relayé sur les réseaux sociaux. “Ne tuez pas Steven une deuxième fois, ne salissez pas sa mémoire !”
“Je n’aurais pas confié mon enfant à un voyou”
“Ces articles faisaient l’amalgame et la famille en parlait beaucoup. Alors là, le 24 février, pour la date anniversaire, et on a tous dit “il faut qu’on envoie quelque chose”’, retrace l’auteur de ces lignes. Plus d’une fois, l’oncle du jeune garçon l’a accueilli chez lui, en Grande-Terre, pour les week-ends ou les vacances scolaires. Serviable, discret, Steven ne rechigne pas à donner un coup de main pour garder le bébé d’un an et demi ou faire un peu de ménage. “Il n’avait rien d’un voyou ! Je n’aurais pas confié mon enfant à un voyou”, poursuit-il.
Un bricoleur né
Un portrait qui corrobore d’ailleurs celui dressé par l’un de ses amis le jour de son enterrement. “J’y crois pas ! Le petit, le génial, qui pensait qu’à s’amuser, qui cherchait jamais les embrouilles ! Il était toujours là à vouloir donner un coup de main pour réparer mon vélo…”, nous avait à l’époque confié Saïd*, un habitant de Labattoir.
“C’est le réparateur de la maison !”, confirme Antoinette Ernestine. Et c’est d’ailleurs ce même caractère “bricoleur”, qui le poussera, en ce dimanche pluvieux de janvier, à affronter les trombes d’eau pour aller récupérer un escabeau près de la mosquée afin de réparer le toit de tôle du banga familial. “Il n’a pas pu récupérer l’escabeau, il a vu la bande de jeunes et il a fait demi-tour… Je ne sais pas pourquoi ils l’ont poursuivi. Il était là au mauvais endroit, au mauvais moment”, retrace sa sœur dans un souffle.
La question la taraude et revient en boucle selon elle dans le voisinage, qui connaissait Steven, le garçon calme, fan de vêtements Nike – sa sœur lui en ramenait dès qu’elle en avait l’occasion – et qui “faisait beaucoup d’effort pour réussir à l’école”. Difficile de voir en lui une “cible” impliquée dans ces rivalités de bande… Mais bien plus une victime collatérale d’un fléau qui a gangrené le quartier pendant des mois. “Il aimait Mayotte, Mayotte l’avait adopté, et il avait adopté Mayotte”, ajoute son oncle. Mais Mayotte a enterré Steven. L’enquête, elle, se poursuit pour tenter de retrouver les auteurs de ce meurtre. En tout, quatre informations judiciaires ont été ouvertes à la suite de cet épisode de violences. Depuis l’interpellation de huit leaders présumés de la bande de Gotam en date du 25 janvier – un autre avait été interpellé plus tôt, et ce chiffre a sûrement grossi aujourd’hui -, et leur placement en détention provisoire, un calme, fragile, règne sur la Petite-Terre.
Les élèves de Terminale ont jusqu’au 11 mars pour finaliser leur dossier Parcoursup. Mais le confinement complique la tâche à certains, notamment ceux qui n’ont pas d’outils numériques chez eux. La cité scolaire de Bandrélé a mis en place un dispositif qui vise à accueillir sur rendez-vous les élèves de chaque classe. Ainsi, ils ont accès aux ordinateurs et à Internet et peuvent compléter leurs dossiers, accompagnés de leurs professeurs.
Parcoursup, une phase décisive dans la vie scolaire de chaque élève de Terminale. La création des dossiers est complexe, alors la cité scolaire de Bandrélé a décidé d’accueillir ses élèves pour les aider dans leurs démarches. Le dispositif est surtout destiné aux élèves qui surfer sur la toile depuis chez eux. Une initiative grandement appréciée par les principaux concernés. « Je suis venu parce que je n’ai pas Internet à la maison. Ici, je peux finaliser mon dossier et en plus, mes professeurs sont présents pour me guider », souligne Dhoifir M’ssa, élève en Terminale professionnelle.
Si certains sont réellement en manque d’outils numériques chez eux, d’autres ont le matériel nécessaire mais cela ne suffit pas. La présence physique de leur professeur est importante. À l’exemple de Marie Joana, également en Terminale professionnelle. « À la maison, j’arrive à suivre mon dossier Parcoursup car mon frère et ma mère m’aident beaucoup. Mais j’ai besoin de l’avis de mes professeurs. Je veux qu’ils corrigent mes lettres de motivation. » Pour d’autres, le simple fait de retrouver les camarades de classe est une raison valable pour se rendre au rendez-vous hebdomadaire. « On a besoin de se voir. Ensemble, on peut se conseiller, s’inspirer et se soutenir », défend Saïmati. Les jeunes sont clairement ravis de se retrouver, leur complicité reste la même. Et si la présence de leurs enseignants est essentielle, ils n’hésitent pas à s’entraider.
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Les lycéens ont huit jours de plus pour émettre des vœux sur la plateforme.
Un dispositif indispensable pour le suivi des élèves
Au départ, seuls les élèves qui n’ont pas accès à Internet chez eux étaient autorisés à se rendre à la cité scolaire de Bandrélé pour compléter leur dossier Parcoursup. Mais la donne a rapidement changé. « Quand les autres l’ont su, tous les élèves nous ont envoyé des messages pour nous demander s’ils pouvaient bénéficier des mêmes privilèges. Ils voulaient absolument retourner à l’école », raconte Safa Aouam, professeure principale.
Et ce retour était nécessaire car les futurs bacheliers ont encore beaucoup de mal à accomplir certaines tâches. « On aide les élèves sur la partie méthodologique et le suivi. On fait les lettres de motivation avec eux, on les aide à mettre les vœux… On les accompagne jusqu’à la fin du processus », explique l’enseignante. Les lettres de motivation sont la principale difficulté des jeunes. Alors l’accompagnement des professeurs est d’autant plus indispensable. « Ils ont l’habitude de prendre des modèles déjà faits, ils ne remplacent que quelques mots. Notre rôle est d’approfondir ces lettres, les personnaliser et ainsi augmenter leurs chances d’admission », indique Safa Aouam.
Les lycéens de Bandrélé ne sont pas les seuls à pouvoir bénéficier de ce dispositif. Selon le recteur, l’ensemble des lycées ouvrent leurs portes aux lycéens. Cela permet également de faire connaître les formations post-bac présentes sur l’île. « Nous ouvrons à Sada une nouvelle classe préparatoire aux grandes écoles de commerce. Nous avons aussi ouvert un parcours préparatoire pour le professorat des écoles à Tsararano. À la prochaine rentrée, nous aurons 20% de places en plus dans les études supérieures. C’est important que les élèves le sachent pour qu’ils puissent s’inscrire en nombre », détaille Gilles Halbout. Le suivi des lycéens est essentiel, alors les établissements scolaires ouvriront leurs portes même pendant les vacances scolaires. Avis aux retardataires !
35 personnes et 15 tonnes de fret ont atterri ce mercredi à Dzaoudzi avec le détachement de l’Élément de Sécurité civile rapide d’intervention médicalisée (ESCRIM). Objectif : installer les premiers équipements de l’hôpital de Petite-Terre pour apporter un nouveau souffle au CHM, toujours sous-tension face à la seconde vague de Covid-19 à Mayotte.
Odi, odi ? Dans les couloirs vides du nouvel hôpital de Petite-Terre, l’on pourrait presque s’amuser à faire résonner l’écho, tant la bâtisse semble déserte. De rares cartons s’entassent ici et là, quand ils ne servent pas de socle à un écran solitaire et débranché. Sur une porte, un simple morceau de scotch indique “sortie escalier”, écrit au stylo-bille. Tout à coup, au fond de ce dédale bleu et blanc, une âme ! Pas de dossard sur le dos, ni de blouse griffée CHM, mais une casquette d’ouvrier et le pinceau à la main. Imperturbable, l’homme applique une dernière couche de peinture sur son petit pan de mur. Une belle nature (presque) morte !
Pourtant, quelques virages plus tard, c’est un tableau radicalement différent qui s’offre aux yeux des curieux. “Et ça, ça va où ? – Labo !”, crie-t-on entre les bruits de caisses qui glissent et s’entrechoquent. Derrière des portes battantes, une trentaine de personnes s’affairent comme des fourmis à l’arrière du nouvel hôpital. C’est le détachement de l’Élément de Sécurité civile rapide d’intervention médicalisée (ESCRIM), arrivé spécialement en renfort ce mercredi matin pour “soulager le CHM”, précise la préfecture, qui les a accueillis sur le tarmac de l’aéroport quelques heures avant. Pour rappel, c’est cette même Sécurité civile qui était déjà intervenue en Guyane en juin dernier, pour installer un hôpital de campagne face à la propagation rapide du virus chez nos compatriotes ultramarins.
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“Mettre en route l’hôpital de Petite-Terre”
Objectif de leur mission du jour : “mettre en route cet hôpital de Petite-Terre, un petit peu plus tôt que prévu”, annonce le colonel Michel Cherbetian, responsable du détachement. Une mission d’évaluation avait déjà effectué un premier repérage il y a une semaine, pour identifier comment l’ESCRIM pouvait être utile à Mayotte, confrontée à une seconde vague d’une violence inédite. “L’idée c’est de soulager le CHM face au tout-venant [principalement les non-Covid, NDLR], nous pouvons prendre en charge les patients et les traiter sur place, ou bien les trier et, si le cas est grave, décider de les envoyer vers Mamoudzou ou La Réunion”, déroule-t-il. Ces renforts pourront aussi venir en appui pour coordonner les évacuations sanitaires, “si besoin”.
35 personnes et plus de 11 tonnes de fret
En tout, ils sont 35 pompiers issus des six coins de l’Hexagone (Gard, Calvados, Haut-Rhin, Bouches-du-Rhône, Rhône, Haute-Savoie) et membres de la sécurité civile à venir renforcer la première ligne face au Covid-19. Parmi eux, un médecin-chef, quatre médecins urgentistes, un anesthésiste, un pharmacien, des infirmiers et des auxiliaires de soins. Et ils ne sont pas venus les mains vides : “nous avons amené avec nous en urgence un tout petit peu de matériel pour la réanimation, la biologie, l’échographie…”, explique la médecin-chef Isabelle Arnaud. Un “tout petit peu”, mais tout de même “plus de 11 tonnes” de fret. De quoi armer deux lits de réanimation si besoin, et surtout installer les équipements indispensables pour permettre à la nouvelle unité d’atteindre un rythme de croisière. “Nous sommes là pour un mois, avec pour but qu’à notre départ, les partenaires soient en mesure de garder l’hôpital ouvert”, poursuit le colonel Michel Cherbetian.
Des missions partout dans le monde
Dès vendredi matin, l’établissement doit pouvoir accueillir ses premiers patients. Alors pas le temps de souffler ! “Pour l’instant, l’hébergement, ça ne sert à rien de demander, on n’est pas là pour dormir mais pour travailler !”, lance le capitaine Joël Leroy à ses troupes, regroupées autour de lui pour écouter les consignes. “Vous mettez vos gants pour manipuler les caisses, on ne veut pas de blessés ! Et vous pensez à boire, parce qu’il fait chaud !” En quelques heures, le thermomètre a grimpé d’une vingtaine de degrés pour les nouveaux arrivants.
Mais pas de quoi impressionner ces experts de la crise, dont certains sont déjà passés par Haïti, l’Iran, l’Indonésie, la Turquie… Voire même Mayotte ! “Je vous avoue qu’au moment de l’atterrissage, ça m’a fait un petit quelque chose”, sourit avec nostalgie cet ancien infirmier anesthésiste du CHM. Qui redécouvre avec émerveillement l’île qu’il a quittée dix ans auparavant. “Ah ça, ça a bien changé ! Rien que ce bâtiment, il n’y était pas !”, désigne-t-il d’un coup de menton vers le nouveau hôpital. Avant de s’engouffrer dans le labyrinthe, prêt à relever ses manches.
Gilles Halbout s’est rendu ce mercredi au centre de vaccination de M’Gombani. Une piqûre pleine de rebondissements, loin de tout le cérémoniel déployé pour d’autres personnalités de l’île avant lui. Mais qui n’enlève en rien au message qu’il souhaitait faire passer aux personnels de l’Education nationale.
Alors que la campagne de vaccination peine à prendre de l’ampleur dans le 101ème département, l’agence régionale de santé a pu compter ce mercredi sur un invité de choix, en la personne du recteur de Mayotte, Gilles Halbout. Et c’est dans un anonymat presque complet que le responsable de l’académie s’est présenté dans le sas d’accueil du centre de M’Gombani. Comme en témoigne cet enseignant de SVT au lycée des Lumières qui ne l’a pas reconnu. « C’est vrai ? C’est vraiment lui ? », demande-t-il d’un air surpris. Si l’anecdote prête à sourire, celle-ci s’est finalement conclue par un selfie entre les deux hommes.
Direction ensuite la salle principale pour l’entretien avec le médecin. Un échange bref qui a bien failli se terminer par un renvoi pur et simple, sans passer par la case piqûre, en raison de symptômes au Covid-19 lors de son séjour en métropole en début d’année. « J’avais perdu l’odorat », avoue Gilles Halbout, à son interlocuteur. Une confession qui lui a valu plusieurs minutes de flottement, avant que le personnel soignant ne donne son aval. Grand ouf de soulagement !
Martine au centre de vaccination
Étape suivante avec le passage derrière les paravents, à l’abri des regards indiscrets. Nouvelle anecdote – décidément encore une ! -, son infirmière du jour n’est autre qu’une enseignante de Sciences et techniques médico-sociales (STMS) en poste à Bandrélé, qui a décidé de renfiler sa blouse pour l’occasion et pour prêter main forte à la campagne de vaccination, deux à trois fois par semaine. À peine a-t-il eu le temps de relever sa chemisette que l’aiguille entre et ressort aussitôt de son biceps. « Je n’ai rien senti », lâche-t-il d’un ton rassurant, au moment où plusieurs consignes lui sont données par Martine. « Vous risquez d’avoir des douleurs dans l’épaule pendant deux jours et potentiellement de la fièvre et des maux de tête. Buvez beaucoup d’eau et rendez-vous dans quatre semaines pour la seconde injection. »
Cinquantenaire depuis une semaine, Gilles Halbout fait désormais partie du cercle restreint des quelque 5.000 vaccinés de l’île aux parfums. « J’espère que cela va donner envie à d’autres de venir », plaide-t-il. Avec en ligne de mire, les fonctionnaires de l’Éducation nationale. « Sur la base du volontariat, tous les enseignants de moins de 50 ans pourront prochainement se faire vacciner quand il y aura des disponibilités sur certains créneaux car ils ne sont pas prioritaires. » Au détour d’un selfie ?
Ce jeudi 25 février, le centre de formation DAESA devait envoyer 11 jeunes au Kenya et au Rwanda pour un stage entreprise d’une durée de 3 mois. Mais à la veille du départ, la structure a appris le véto du Département, principal financeur, en raison de la situation sanitaire. Un argument que ne peut pas accepter Tafara Houssaini , le directeur commercial associé, qui ne mâche pas ses mots face à cette décision prise unilatéralement par la collectivité sans réfléchir aux moyens mobilisés.
Flash Infos : Pas moins de 11 jeunes mahorais devaient s’envoler pour le Kenya et le Rwanda ce jeudi pour effectuer un stage en entreprise dans les métiers de l’informatique et du numérique. Une mobilité à l’international qui existe depuis maintenant 4 ans. Mais à la veille du départ, le conseil départemental a opposé son véto. Pour quelles raisons ?
Assani Tafara : Motif de précaution m’a-t-on dit… Plus sérieusement, m’informer à 24 heures du départ qu’on annule tout alors que cela fait plusieurs mois que l’on bosse sur ce projet et que l’on a des partenaires qui nous attendent sur place, c’est affligeant ! Tout cela à cause du directeur de la direction de l’apprentissage, de la formation professionnelle et de l’insertion au Département, en poste par le passé à l’agence de l’Outre-mer pour la mobilité (Ladom), qui bizarrement arrive toujours à envoyer des jeunes à La Réunion, à Maurice ou en métrople sans aucun souci…Le principe de précaution ne vaut-il que pour nos jeunes ? Il a monté la tête à tous. Ce dernier a convaincu les élus, qui ont pris peur et qui ont changé d’avis, de la nécessité de reporter notre voyage au vu de la situation sanitaire, une décision prise sans prendre en compte les démarches et les actions du centre qui a sécurisé tout le parcours, dans le respect des exigences du moment. Cette mobilité est financée par le conseil départemental dans le cadre des fonds européens Interreg (programme de coopération interregionale). Cela m’a complètement fait sortir de mes gonds. Aujourd’hui, on nous demande de reporter les stages, qui sont d’une durée de 3 mois, d’au moins 3 semaines alors que les examens sont prévus dans 4 mois. Sauf qu’à quelques heures heures du départ, nos marges de manœuvre sont limitées.
FI : Plus concrètement, de quoi ont-ils peur alors que vous avez fait vos preuves au cours des dernières années ?
A. T. : Avec la crise sanitaire, ils ont sorti l’actualité des Mahorais bloqués à l’extérieur du territoire. De fait, ils ont peur que ces jeunes vivent la même situation et qu’ils soient obligés de rentrer à l’improvisite. Mais il faut savoir que selon l’agence Reuters, les taux d’incidence (nombre de cas pour 100.000 habitants) pour ces deux pays sont de 2 pour le Rwanda et de 5 pour le Kenya. Sans parler de l’excuse du confinement à Mayotte. Je ne comprends absolument pas les arguments remontés. Nos partenaires sont sérieux et nous maîtrisons les circuits. On envoie chaque année 50 jeunes pour des stages de mobilité à l’internationale (Nairobi, Maltes, Londres, etc.) et tous, sans exception, vont jusqu’au bout des parcours. Quelle crédibilité renvoie-t-on à nos parttenaires et à notre public ? Durant notre escale dans la capitale, nous avions prévu des visites auprès du ministère des Outre-mer et de la délégation de Mayotte à Paris.
Dans 10 jours, on a un autre contingent qui part à Malte (cette fois-ci via un financement sur le programme Erasmus+). On a apporté exactement les mêmes garanties et l’Union européenne a validé sans soucis! Au moins, on est pris au sérieux. Par contre, dès qu’il s’agit du Département, c’est toute de suite plus compliqué : on a toujours des personnes qui viennent imposer leurs manières de faire ! Au sein de la collectivité, certains agents sont encore plus royalistes que les rois et nous sortent des règles à dormir debout. Ils font tout pour que ça ne marche pas. Et le pire c’est que ce sont des Mahorais écoutés et mis en avant qui bloquent, ce ne sont pas des Wazungus comme on peut l’entendre ici et là. Et après, ils viennent nous expliquer que ce n’est pas de leur faute, mais celle de leurs supérieurs et des conseillers départementaux. Il faut qu’ils sachent qu’on est en contact aussi avec ses mêmes élus.
FI : À vous entendre, il faut se lever de bonne heure pour que les projets aboutissent…
A. T. : Tout est fait d’une manière tellement méprisante… On n’est pas que des simples prestataires de formation, on est des acteurs du monde économique et social, on a un réel impact sur les jeunes accompagnés mais aussi auprès des familles qui s’impliquent dans la réussite de leurs enfants. On leur donne tous les moyens pour qu’ils deviennent des adultes responsables. Pour cette mobilité, on a avancé 20.000 euros pour l’hébergement, le transport et la restauration. On nous propose un remboursement des frais engagés, mais cerise sur le gâteau, on n’a reçu aucun paiement du CD sur nos prestations de formation depuis d’août 2020. Je vous laisse imaginer les jonglages que l’on doit faire pour maintenir les emplois et permettre aux jeunes de suivre les formations dans les meilleures conditions. Le Département nous doit toujours 210.000 euros. Et c’est la même chose pour les autres centres de formation de Mayotte. Mais c’est un peu facile de nous faire la morale sur la gestion de nos entreprises… On est partenaires, mais ces gens-là tuent l’économie locale. Tout simplement. Dans quel monde vit-on pour agir de la sorte alors qu’on doit accélérer et innover pour rattraper notre retard ? On les laisse prendre les colliers de fleurs et les louanges, mais qu’on nous laisse travailler !
On va nous dire qu’on arrête pas de râler, mais depuis le début de l’année, c’est le deuxième dossier avec la collectivité pour lequel des personnes bouleversent les règles du jeu alors qu’on a déjà engagé les dépenses. Au vu de la pertinence du projet, la préfecture nous a octroyé 100.000 euros pour le projet. Les élus ont délibéré dans ce sens et un simple agent du conseil départemental a changé les montants attribués pour qu’on finisse à 80.000 euros… On a l’impression que chacun fait ce qu’il veut, quand il veut. Ils oublient juste qu’il y a des chefs d’entreprise qui ont sacrifié leurs vies de famille et leurs loisirs pour porter des projets et pour accompagner notre jeunesse à s’émanciper et à répondre aux enjeux du développement du terrioitre. Ici, contrairement à ce qu’il se dit, on ne manque pas d’ingénierie, on a un concentré de personnes qui sont prêts à bloquer des projets quand ça ne vient pas d’eux ou d’une personne de leur famille.
Dans la nuit de lundi à mardi, la commune d’Acoua a été violemment frappée par un orage, qui a provoqué inondations et coulées de boue. Des scènes impressionnantes qui ont notamment poussé l’évacuation de plusieurs habitations. Si une chaîne de solidarité s’est rapidement mise en place, cette nouvelle catastrophe naturelle pose la question de la résilience urbaine.
Une nuit de terreur qui aurait pu se finir en drame. Vers 1h du matin mardi, un orage d’une rare violence s’est abattu sur Acoua. « On pensait que c’était une simple pluie comme on en vit depuis quelques semaines déjà avec le Kashkazy. Mais c’était vraiment inhabituel, ça dégueulait de partout ! Heureusement que ça n’a duré que 1h30 sinon ça aurait pu très mal finir », rembobine Fofana, le rédacteur en chef du site web d’informations, Acoua info. En à peine quelques minutes, la grande majorité des quartiers, particulièrement ceux en contrebas, se sont retrouvés envahis par les eaux et surtout par les coulées de boue. « Jusqu’aux genoux », dessine d’un geste Zouhourya, venue immédiatement prêter main forte à sa famille. « Certains habitants ont tout perdu (électroménagers, ustensiles de cuisine, vêtements, etc.) et se retrouvent en très grande difficulté. »
Une catastrophe naturelle qui n’est pas sans rappeler le cyclone de 2014. « Même Hellen était moins pire », ajoute Fofana. qui évoque le pont de Mroni Popo, comme point névralgique des inondations et des glissements de terrain. « Et encore, il n’y avait pas de grande marée », précise Nafissa Bacar, la gérante de La Marine, au moment de remettre en ordre son restaurant. « Je remercie le bon Dieu, je n’ai perdu que deux ou trois chaises. » D’autres n’ont pas été aussi chanceux, comme cette voisine d’origine malgache qui gère une petite boutique dans le quartier. « Il y a tout à mettre à la poubelle, elle est dans une détresse pas possible, elle est sous le choc », raconte encore la restauratrice.
« Il ne faut pas que ce soit dans 50 ans »
Une fois n’est pas coutume, la nouvelle a fait réagir en haut lieu, dès les premières lueurs du jour. Le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, a indiqué via Facebook que « les services de l’État » étaient « mobilisés auprès des sinistrés » et préparaient « le dossier de catastrophe naturelle ». Même son de cloche du côté de la préfecture qui a annoncé le lancement, dès la finalisation des études de diagnostic nécessaires et avec le soutien financier de l’État, de travaux visant à renforcer les infrastructures de la commune afin de mieux prévenir le risque d’inondation et la requalification du site et le déplacement des habitations les plus exposées au risque d’inondation. Reste à savoir combien de temps cela prendra. « Le projet est sur la table depuis un petit moment… Encore une fois, on nous en parle, mais il ne faut pas que ce soit dans 50 ans », prévient Zouhourya.
Un mouvement de solidarité s’est tout naturellement mis en place tout au long de cette effroyable journée. « Toute la population a apporté sa contribution », souligne Said, dont l’habitation située plus en hauteur a été épargnée. « Je suis rentré dans certaines maisons pour essayer de sauver ce que je pouvais. J’ai fait de mon mieux… » Une paire de bras parmi tant d’autres. À l’image de l’envoi de 40 militaires du Détachement de la légion étrangère de Mayotte et d’une équipe du Régiment du service militaire adapté en fin de matinée pour déblayer les routes. Un renfort de poids qui s’est greffé aux services techniques des communes d’Acoua, de M’Tsangamouji et de M’Tsamboro.
Pas d’infrastructures adaptées pour reloger
Entre les voitures encastrées les unes contre les autres se pose la question du devenir de cette centaine de familles sans toit. « Il n’y a pas de relogement d’urgence. Les opérations de nettoyage font que les habitants n’ont pas souhaité aller vivre ailleurs. Soit ils restent dans leur maison, soit ils se rendent chez des proches. Contrairement à ce qu’on aurait pu craindre ce matin, il n’y a pas eu de demandes d’évacuation en masse », déroule Laurence Carval, la directrice de cabinet du préfet, sur les lieux dès 8h avec le délégué du gouvernement. Un mal pour un bien puisque la ville ne compte pas « d’infrastructures adaptées pour répondre à un tel événement, comme un gymnase », souligne Fofana.
Malgré tout, un appel aux dons a été lancé sur Internet (au moment où nous écrivions ces lignes, la cagnotte comptabilisait près de 1.000 euros). « Les familles ont tout perdu », se désole Zouhourya. Pour les épauler une cellule de crise a été installée à la mairie dans le bureau du centre communal d’action sociale pour répertorier tous les dégâts. « Même si aujourd’hui, on arrive à dégager le maximum, ça va prendre du temps pour tout nettoyer à fond. » De simples dégâts matériels qui relèvent d’un miracle à la vue des vidéos.
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La résilience urbaine, l’une des priorités de la commune d’Acoua
À la suite du passage du cyclone Hellen en 2014, Acoua décidait d’intégrer dans son plan d’action 2017-2020 la notion de résilience urbaine pour ses habitants et ses biens. Une décision matérialisée par la signature en février 2019 avec l’établissement public foncier et d’aménagement de Mayotte. Deux ans plus tard, où en est-on ? « 2020 a mis du plomb dans l’aile [à sa concrétisation] entre le Covid et l’entre deux-tours des élections municipales », confie Clément Guillermin, directeur de la stratégie et des opérations à l’EPFAM. « Nous espérions finir cette réflexion l’an dernier, mais au final, nous la terminons seulement maintenant. » L’idée majeure est de définir avec les élus en poste le schéma d’ensemble pour les 15 ans à venir grâce à une série de fiches projets et d’identifier les actions opérationnelles qui peuvent être exposées aux risques naturels.
En premier lieu : la protection des populations les plus gravement atteintes, dans les secteurs situés en bas de la commune. « Ce sont des zones où les rivières débordent. » Pour éviter un drame, il apparaît essentiel d’envisager le déplacement de certains habitants ou l’adaptation de certaines constructions pour les prémunir contre les catastrophes. Autre réflexion : la réduction de l’ampleur des phénomènes. Pour cela, il semble indispensable s’intéresser aux dégradations réalisées dans le haut d’Acoua pour le compte de l’agriculture vivrière. « Le déboisement sur le bassin versant participe à l’accélération de l’érosion des sols. Ce n’est pas uniquement la faute des caniveaux et des bouches d’égoûts. Cela se joue aussi en amont. Il y a des sites à renaturer. »
Nasrane Bacar s’affirme au sommet de l’athlétisme français. Dans sa distance de prédilection, le 60 mètres, la sprinteuse mahoraise de l’US Talence a remporté le titre de vice-championne de France Élite en salle : le troisième podium de sa carrière en Élite, après notamment son titre de championne de France en salle 2019.
Flash Infos : Nasrane Bacar, comme en 2020, vous faites médaille d’argent au championnat de France Élite indoor, derrière la Martiniquaise Cynthia Leduc. Quelle saveur vous procure ce statut de deuxième meilleure sprinteuse de France ?
Nasrane Bacar : Surtout beaucoup de soulagement, car avant cette compétition, je n’avais connu que des contre-performances sur les précédentes courses auxquelles j’avais participé. Je ne savais plus trop où j’en étais en termes de niveau. Donc très soulagée de voir que je peux rivaliser au niveau national.
FI : Quelle analyse faites-vous de votre course, après coup ?
N. B. : J’étais très en forme ! Durant les séries, j’ai réalisé 7″37 à un petit centième de mon record personnel, et ce malgré les deux faux départs et mes grosses fautes techniques. Une nouvelle fois en finale, il y a eu deux faux départs. J’avais plus pour objectif d’être absolument sur le podium que de battre mon record.
FI : Selon vous, quel impact a eu votre participation au meeting de La Réunion, en décembre dernier sous les couleurs de Mayotte, sur votre performance de dimanche à Miramas ?
N. B. : Sincèrement aucune, ces deux échéances sont trop éloignées pour faire un quelconque rapprochement.
« À présent, je veux ma médaille en plein air sur 100 mètres »
FI : Cela fait trois ans successifs que vous montez sur le podium d’un championnat de France Élite. À qui avez-vous pensé lors du protocole de remise des médailles, en grimpant sur cette nouvelle marche ?
N. B. : On s’habitue vite ! Je suis heureuse, mais je n’espérais pas moins. À présent, je veux ma médaille en plein air sur 100 mètres.
Nasrane Bacar (à droite) est depuis dimanche, vice-championne de France Élite en salle 2021. C’est la treizième médaille nationale de la Mahoraise, la troisième dans un championnat de France Élite.
FI : Qu’y a-t-il de différent, pour vous, pour votre coach, pour votre club, dans la façon d’aborder une grande compétition dans le contexte de la crise sanitaire ?
N. B. : À part qu’il faut effectuer un test covid avant chaque compétition, nous avons plutôt vécu la saison normalement.
FI : Le championnat de France Élite en salle 2021 passé, vers quel objectif vous tournez-vous à présent ?
N. B. : Sans trop vouloir m’avancer, je veux courir beaucoup plus vite sur 100 mètres, et la suite suivra naturellement.
FI : En parallèle de votre statut d’athlète, vous avez entamé une carrière de coach sportive. Comment se porte votre nouvelle activité ?
N. B. : Je suis coach depuis trois ans maintenant donc « entamé » n’est pas forcément le bon terme. Par contre, je suis en auto-entreprise depuis janvier 2020. La première phase de confinement m’a, je pense, ralenti dans ma progression. Mais au final, je rentre dans les objectifs que je m’étais fixée et tout va bien. Mais ce n’est pas fini !
285. C’est le nombre de victimes d’agression sexuelle admises aux urgences du centre hospitalier de Mayotte entre septembre 2017 et août 2020, fait état l’ARS. Parmi elles, 133 enfants, âgés de 6 mois à 16 ans. De 2018 à 2020, cette fois, le service de médecine légale de l’hôpital en recensait 207. Référentes pour les agressions sexuelles au service des urgences les docteures Florence Greco et Louise Lavillauroy témoignent.
Flash Infos : Dans quelle mesure une personne victime de violences sexuelles est admise aux urgences plutôt qu’en médecine légale ?
Florence Greco : Il a été décidé que les urgences ne prendraient en charge que les agressions sexuelles de moins de 72 heures. Au-delà, les patients peuvent évidemment toujours venir consulter au CHM, mais ils seront redirigés vers la médecine légale car à ce stade, il est trop tard pour que les prélèvements soient faits aux urgences. Il n’y a pas que le CHM vers qui se tourner lorsque l’on est victime d’agression sexuelle. On peut en parler à son infirmière scolaire, à sa sage-femme, à son médecin traitant, se rendre dans un dispensaire, un centre médical de référence, etc., qui peuvent accompagner le patient dans son parcours jusqu’à la médecine légale.
FI : Quel est le profil des victimes ? Certaines tranches d’âge ou catégories sociales sont-elles plus touchées que d’autres ?
Louise Lavillauroy : Les victimes que l’on rencontre aux urgences, au CHM ou de façon générale sont issues de toutes les catégories sociales, de tous les âges – du bébé jusqu’à la personne âgée –, ça peut aussi toucher les hommes, des personnes riches, des personnes pauvres… Cela peut tomber sur n’importe qui, à n’importe quel moment. Tout ce que l’on peut dire, c’est que depuis le début de l’année aux urgences, nous avons une à deux admissions par jour de personnes victimes d’agression sexuelle.
F. G. : Mais tout le monde ne consulte pas, et tout le monde ne consulte pas aux urgences, il y a certaines victimes qu’on ne voit pas. Ensuite, certains certificats sont faits pour des symptômes dues à l’anxiété par exemple, ce qui minimise les chiffres.
FI : Quel est le parcours d’une personne victime de violences sexuelles prises en charge aux urgences ?
F. G. : Si la personne se présente moins de 72 heures après les faits, on l’installe seule, puis on cherche dans un premier temps à savoir ce qui s’est passé et quelle est la nature de l’agression. Selon l’endroit où elle s’est produite, on fait appel soit à la police nationale soit à la gendarmerie. Parfois, certaines personnes prennent d’abord contact avec les forces de l’ordre avant d’aller consulter, et c’est aussi quelque chose qu’on doit savoir. On a ensuite ce que l’on appelle une réquisition qui permet de constater les lésions : elles peuvent être physiques, mais également psychologiques.
L. L. : Dès lors que l’on fait une réquisition, tout ce qu’on fera après sur le plan médical sera recevable devant un tribunal. Alors que si l’on fait les prélèvements ou les examens avant cette réquisition, cela ne le sera pas !
F. G. : Une fois qu’on a reçu la réquisition, on procède à l’examen clinique de la victime et on s’assure de son statut vaccinal : est-elle vaccinée contre l’hépatite B ? Utilise-t-elle un moyen de contraception ? Y a-t-il un risque de grossesse ? Est-elle déjà enceinte ? Puis, on fait des prélèvements pour rechercher d’éventuelles maladies sexuellement transmissibles. Ce n’est qu’après tout ça que le gynécologue procède à un examen, là encore sur réquisition, pour voir s’il y a des lésions génitales qui montrent qu’il y a eu une agression sexuelle. Il faut savoir que les examens réalisés avant cette étape ne permettent pas de dire s’il y a eu agression ou non.
Une fois que tout cela a été fait, on procède au vaccin si besoin, s’il s’agit d’une femme qui n’a pas de contraception, on va lui donner la pilule du lendemain et on délivre la trithérapie anti VIH de façon systématique, pour trois jours.
L. L. : Et le circuit du patient se termine par un entretien avec la cellule de crise des psychologues et psychiatres. La personne peut aussi y récupérer les coordonnées qu’il faut si elle souhaite poursuivre ce suivi. Pour les mineurs et les adultes en situation de handicap notamment, il faut aussi déclarer la situation de danger.
FI : Êtes-vous tenues d’alerter les autorités en cas d’agression avérée ?
L. L. : Lorsque l’on pratique ces examens, les victimes ne sont souvent pas encore dans la démarche de vouloir porter plainte, puisque les faits viennent de se dérouler. Certaines sont traumatisées par ce qui leur arrive, donc beaucoup d’entre elles n’y pensent pas à ce stade.
F. G. : D’où l’importance de la réquisition. Sans elle, si la victime ne va jamais porter plainte, les forces de l’ordre ne seront jamais informées de ce qui s’est passé. Alors que si l’on contacte nous-mêmes les forces de l’ordre, avec évidemment l’accord des parents ou de la victime, l’enquête peut déjà commencer et la procédure peut être ouverte. Ce qui, encore une fois, doit être fait même si la victime ne porte pas plainte instantanément.
Au moment de l’examen gynécologique, les prélèvements permettent de voir s’il y a des traces de sperme et sur réquisition, la police peut les récupérer pour faire une recherche ADN par exemple.
FI : À Mayotte particulièrement, le sujet de la sexualité est tabou. Et souvent, les agressions et viols y sont passés sous silence, car l’entourage de la victime craint pour sa réputation. Comment cette composante influe-t-elle sur votre travail ?
F. G. : C’est effectivement particulièrement délicat lorsqu’en face de nous, il y a des membres de la famille qui considèrent que leur honneur est bafoué. Lorsque les victimes sont des enfants qui viennent accompagnés de leurs mamans, on sent qu’elles n’affrontent pas la situation de façon frontale ou nous disent qu’elles ne veulent “pas voir”. Et souvent, leur première question est de savoir si leur fille est toujours vierge…
L. L. : Un autre problème se pose lorsque l’on a besoin d’un traducteur en shimaoré pour traduire les propos du patient. Certains mots, certaines choses ne se traduisent pas dans cette langue, et il devient plus difficile de comprendre ce que nous dit la personne.
F. G. : Il faut garder à l’esprit que le terme d’agression sexuelle ne désigne pas uniquement le viol. Toucher le sein, les fesses, enlever un vêtement, c’est aussi une agression sexuelle. Même chez les professionnels de santé, certaines notions ne sont pas encore assimilées. Ou peut-être qu’il y a une part de déni…
Propos recueillis par Solène Peillard
Retrouvez l’intégralité de notre dossier consacré aux violences sexuelles dans le dernier numéro de Mayotte Hebdo, sur notre site www.mayottehebdo.com.
Que faire en cas d’agression sexuelle ?
“La première chose à faire c’est de consulter le plus rapidement possible”, souligne le docteur Greco. “Certaines personnes vont d’abord se tourner vers les forces de l’ordre, et se dire qu’elles n’ont plus le courage d’aller voir des professionnels de santé”, complète à son tour le docteur Lavillauroy. Pourtant, faire constater ses blessures (physiques et psychologiques) est le premier réflexe à avoir, pour que les réponses nécessaires soient apportées à temps. En cas de viol notamment, une prise en charge médicale rapide est la seule façon de prévenir un risque d’IST ou de grossesse. Certaines structures, comme l’Acfav, proposent un accompagnement aux victimes de violences, via notamment des solutions d’hébergement d’urgence jusqu’à 21 jours, ou de stabilisation, allant jusqu’à trois mois. L’association compte également des psychologues et des juristes qui peuvent épauler les victimes dans leurs démarches médicales et judiciaires.
Que dit la loi ?
Aux yeux du Code pénal, « constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ». Une définition qui inclut les caresses et attouchements de nature sexuelle. En l’absence de pénétration, ces attouchements constituent un délit passible de cinq ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende. Ces peines peuvent être plus lourdes, notamment si l’agression a entraîné une blessure, si elle a été commise par un ascendant et/ou sur une personne mineures, par plusieurs personnes ou par un conjoint. Le viol, en revanche, est une agression sexuelle caractérisée par l’acte de pénétration, la volonté de porter atteinte et l’absence de consentement de la victime. S’agissant cette fois d’un crime, il est jugé devant une Cour d’assises. Les auteurs reconnus coupables de viol encourent 15 ans de réclusion criminelle, porté à 20 en cas de circonstances aggravantes et jusqu’à 30 ans s’il a entraîné la mort de la victime. La réclusion criminelle a perpétuité peut également être prononcée si les faits sont précédés, suivis ou accomapgnés d’actes de tortue ou de barbarie.
La deuxième édition du festival d’écriture appelé Reska ni Kalamu vient de s’achever. L’événement est destiné aux jeunes qui veulent s’exprimer à travers la poésie. Quatre élèves du collège Ali Halidi de Chiconi se sont démarqués et ont été primés. Leurs textes seront assemblés dans un recueil de poèmes en vue d’être publiés.
Ils s’appellent Anrafati, Fatima, Kaniza-Hafifa et Ali-Fahir-Ben. Ils ont entre 12 et 14 ans et sont les heureux lauréats du festival Reska ni kalamu, comprenez “le cri de la plume”. Le festival organisé par l’association du même nom, basée à Chiconi, permet aux enfants dès l’école primaire jusqu’au lycée de démontrer leur talent d’écrivain. Anrafati, 12 ans, a obtenu le premier prix. « Je ne pensais pas du tout remporter le premier prix parce que je me disais qu’il y avait meilleur que moi », s’étonne-t-elle encore, des étoiles dans les yeux.
Meilleur qu’elle, pas sûr, mais tous les gagnants ont indéniablement un talent pour l’écriture. Cette année, le thème imposé est « l’esprit », et chacun a su le tourner à sa manière à travers des poèmes. Anrafati a choisi de mettre à l’honneur la mer, Ali-Fahir-Ben parle de l’esprit des oiseaux, Kaniza-Hafifa a quant à elle décidé de décrire l’esprit du regard. Les textes sont différents, mais tous reflètent, d’une manière ou d’une autre, les émotions de ces adolescents. « L’écriture me permet de me vider l’esprit. L’écriture, c’est la liberté ! », s’exclame Ali-Fahir-Ben, 14 ans. Et Fatima d’ajouter, « quand j’écris je me sens tellement libre. Si je ne peux pas m’exprimer, je le fais à travers l’écriture et c’est différent. »
Pour certains, à l’exemple de Kaniza-Hafifa, 14 ans, les mots sont comme une évidence. « La phase d’écriture s’est plutôt bien passée. Les vers me sont venus assez facilement parce que je me suis inspirée de mes différents sentiments », explique la jeune fille. Mais malgré leur aisance à l’écrit, leur amour pour l’écriture en général et la poésie en particulier, ces écrivains en herbe ne pensent pas en faire leur métier. « Je veux le garder comme un hobbie », confie Kaniza-Hafifa. « J’aime écrire mais je ne sais pas encore si je veux en faire mon métier », renchérit Anrafati.
Un recueil de poèmes en vue
Ces élèves du collège Ali Halidi de Chiconi ont été suivis par leur professeure de lettres, Maria-Daniela Dina. Une mentor agréablement surprise aujourd’hui. « Il y a eu un mois de travail passionnant et passionné autour de la poésie. Je suis fière de leur travail, je ne m’attendais pas à des textes d’aussi bonne qualité. Je suis surprise, mais fière d’eux. » Raison pour laquelle elle a pris l’initiative de rassembler ces textes pour en faire un recueil de poèmes intitulé « Esprit et surtout espoir ». « Nous l’avons appelé ainsi car ces jeunes sont l’espoir de demain. Ce sont eux qui vont chanter notre île aux parfums », sourit-elle, un brin lyrique. Son ambition ? Pouvoir ensuite publier cette œuvre dans une maison d’édition.
Le festival Reska ni Kalamu a pour objectif de repérer et dévoiler les nouvelles pépites, ces jeunes qui ignorent qu’ils ont un talent pour l’écriture. « Nous l’avons mis en place pour mettre en valeur les jeunes qui ont envie de se lancer dans l’écriture de la poésie. Parce qu’on a remarqué que beaucoup font du hip-hop et ils ne savent même pas que c’est de l’art qu’on peut valoriser », soutient Mariama Mariata Madjani, membre de l’association Reskani Kalamu. Avec ce recueil, les participants pourront voir leur travail valorisé. L’association prévoit également d’en faire un deuxième pour tous les écrivains en herbe qui ne sont pas scolarisés au collège de Chiconi. Alors, à vos plumes !
La crise sanitaire chez nos voisins réunionnais se complique de plus en plus. Les lits en réanimation arrivent à saturation, et cela pourrait avoir un impact sur la situation déjà très tendue au centre hospitalier de Mayotte. L’autorité sanitaire réunionnaise pourrait être amenée à refuser les patients évacués depuis le 101ème département. Éclaircissement avec Dominique Voynet, la directrice générale de l’agence régionale de santé sur l’île aux parfums.
Flash Infos : Est-ce que l’agence régionale de santé de La Réunion a réellement limité à 48 les patients mahorais évacués sur l’île ?
Dominique Voynet : J’en ai entendu parler, mais pour le moment la décision n’a été prise par qui que ce soit. Je dirais que l’agence régionale de santé a plutôt essayé d’évaluer ses capacités d’accueil compte tenu de ses propres besoins. L’épidémie est en train de se réveiller à La Réunion, qui recense de plus en plus de variants sud-africains. Au début, on entendait par-ci par-là que c’était à cause des Mahorais alors que ce n’est pas du tout le cas. Nous n’envoyons que des patients qui vont en réanimation, avec des conditions d’hygiène absolument parfaites !
Donc c’est plutôt les dizaines de milliers de personnes qui ont pendulé dans l’océan Indien pendant les vacances de Noël qui ont ramené le virus chez eux… Et maintenant, ils ont tous les types de variant. Si la situation se dégrade à La Réunion, il est clair qu’ils seront moins à l’aise pour prendre en charge nos patients. D’où l’idée d’avoir en complément un avion qui viendrait chercher des malades qui satureraient les services de réanimation de La Réunion et de Mayotte pour les emmener en métropole.
FI : À partir de quand cette évacuation sanitaire grandeur nature vers l’Hexagone pourrait-elle être mise en place ?
D. V. : Cela dépend de la dynamique. Les équipes du Samu de Paris coordonnent l’opération. Ils travaillent sur l’hypothèse d’un avion gros porteur pour chercher un nombre significatif de patients. Concernant ceux de Mayotte, ils ne viendraient pas directement d’ici, ils s’agiraient plutôt de malades qui occupent les lits de réanimation de La Réunion. Ils sont intubés, ils sont ventilés, et ils sont sous sédation, donc ils ne sauront même pas qu’ils ont été transférés… C’est plus sûr de transférer ces malades qui sont déjà mis en condition plutôt que d‘autres qui peuvent s’aggraver pendant le voyage.
FI : Au cours des dernières semaines, le nombre de cas du variant sud-africain a littéralement explosé. Il représente aujourd’hui plus de 70% des positifs au Covid-19. De nombreuses voix s’élèvent sur le lien de cause à effet avec l’immigration clandestine. Que répondez-vous à ces accusations ?
D. V. : Certains accusent les kwassas d’avoir ramené le variant sud-africain chez nous ? Ce n’est absolument pas vrai. Si c’était le cas, je vous le dirais ! La plupart des cas sud-africains que nous avons diagnostiqué viennent de personnes qui sont entrées sur le territoire par avion ou par bateau.
Le 48ème patient mahorais envoyé ce lundi à La Réunion
Si la réanimation tient encore debout à Mayotte, c’est en grande partie grâce aux transferts de patients vers La Réunion. « Sans les evasan, nous sommes saturés en 24 heures », indiquait vendredi dernier, Renaud Blondé, le chef de service. À la lecture des déclarations de la directrice générale de l’agence régionale de santé de l’île Bourbon, le 101ème département retient donc son souffle… D’autant plus que le territoire a envoyé son 48ème patient ce lundi après-midi. Réponse donc ce mardi pour savoir si de nouvelles entrées seront autorisés. Toutefois, ce chiffre reste à relativiser puisque depuis le début des évacuations sanitaires, certains malades sont sortis de l’hopital. « Cela m’étonnerait qu’ils stoppent, c’est toujours facile de mettre un chiffre en avant. Mais après, il faut l’assumer devant le facteur humain, et ça, c’est plus difficile… », confie une source proche du dossier. Toujours est-il, « aucune limitation écrite ne nous a été notifiée », précise Christophe Caralp, le chef du pôle Ursec au CHM, qui note une trentaine de patients actuellement en réanimation à La Réunion. De quoi gagner un peu de temps en attendant l’évacuation sanitaire massive vers la métropole.
Les caillassages des ambulances sur l’axe Dzoumogné-Mamoudzou semblent devenir monnaie courante. Samedi soir, le conducteur d’un de ces véhicules de secours a pris une pierre en pleine figure, poussant le personnel soignant à exercer un droit de retrait ce lundi.
Chamou a trente ans de métier dans les guiboles. Et ce lundi 21 février, l’ambulancier de Dzoumogné n’hésite pas à le dire : “Je veux changer de poste. Qu’ils me mettent à un autre poste dans l’hôpital, je sais pas, peu importe, jardinier, ou alors je peux ramasser les papiers par terre.” Tout sauf continuer à conduire les patients du centre médical de référence (CMR) à Mamoudzou en pleine nuit, la peur au ventre.
Difficile de lui en vouloir : samedi soir, Chamou a pris un caillou dans la figure alors qu’il transportait une sage-femme et une dame sur le point d’accoucher. Alors qu’il passe devant la pharmacie à Koungou, une pierre traverse le parebrise et l’atteint à la tempe. Le sang coule. L’homme met sa main et exerce une pression sur la blessure. De l’autre, il tapote sur son téléphone pour joindre le 15. “Personne n’est venu, donc j’ai continué tout seul jusqu’à l’hôpital de Mamoudzou”, souffle l’agent, encore sous le choc. “Aujourd’hui, ça ne saigne plus, mais j’ai mal, j’ai du mal à bloquer mes dents pour manger.”
Huit agressions à Dzoumogné
En tout, ils sont déjà quatre ambulanciers à avoir vécu des situations similaires depuis le début de l’année 2021. Des caillassages sans raison apparente qui prennent pour cible leur véhicule de secours, alors même qu’ils transportent des patients. “J’ai déjà deux collègues qui se sont mis en arrêt, parce que psychologiquement, ça ne va plus”, raconte Zarouki, lui-même victime d’un jet de pierre fin janvier, tandis qu’il filait vers la commune chef-lieu pour une urgence.
Résultat, ce lundi, le personnel soignant du centre médical de référence de Dzoumogné exerçait son droit de retrait à l’appel du syndicat SUD Santé Sociaux Mayotte, rejoint par la CFDT santé et Force ouvrière. Un peu plus d’une soixantaine d’agents dont une quinzaine d’ambulanciers ont rejoint le mouvement en solidarité avec les victimes, selon Mouayad Madjidi, délégué syndical SUD. “C’est la huitième agression faite aux agents de Dzoumogné depuis le début de l’année !”, tempête le représentant. En plus des ambulanciers, deux médecins et une sage-femme auraient eux aussi fait les frais des délinquants qui rôdent autour du CMR. Sans compter les locaux, eux-mêmes attaqués.
Un premier protocole à moitié réalisé
Or, si la situation semble s’exacerber ces dernières semaines, elle n’est en réalité pas nouvelle. Déjà, l’année dernière, le syndicat avait recensé cinq agressions, qui avaient poussé le personnel soignant du centre périphérique de Dzoumogné à exercer un premier droit de retrait. Et tous les points du protocole de sortie de crise n’ont, depuis, pas été remplis, fait valoir Mouayad Madjidi. La mise en conformité de l’éclairage à l’intérieur du site ? “Faite à moitié”. Le rehaussement des clôtures ? Pas terminé. Les caméras de surveillance ? “Elles ont bien été installées, mais impossible de savoir si elles enregistrent quelque chose”, déblatère-t-il.
Plus de moyens de protection
Alors le syndicaliste entend bien poursuivre le mouvement tant que la direction n’aura pas apporté de moyens suffisants pour garantir la sécurité des agents. La directrice du CHM s’est rendue sur les lieux ce lundi, pour écouter les propositions des personnels mobilisés. Parmi leurs revendications du jour : la sécurisation des ambulances avec des grilles, un casque de protection pour tous les passagers, une prime de risque comme pour les agents du SMUR, ou encore la garantie d’une escorte de la gendarmerie en cas d’intervention nocturne. Un accompagnement qui a visiblement fait défaut samedi soir, alors même que le conducteur rechignait à effectuer seul ce trajet dangereux, qui lui aurait été “imposé”. “J’ai dit que j’avais peur, j’avais déjà été caillassé une première fois sans blessure, et personne n’avait réagi…”, déplore Chamou, l’ambulancier attaqué samedi soir. “Nous attendons des réponses lors d’une prochaine réunion du CHSCT, qui pourrait se tenir demain [ce mardi NDLR ]”, met en garde Mouayad Madjidi.
Le pire, pour ces agents ? Même en portant plainte, rien ne change. “À la gendarmerie, on m’a dit qu’il fallait aussi que le CHM porte plainte, car il s’agissait de leur véhicule. J’en ai averti immédiatement le cadre d’astreinte. Quinze jours plus tard, je n’ai toujours pas de nouvelle !”, s’exclame Zarouki, lui-même habitant de Dzoumogné et qui était allé jusqu’à retrouver les jeunes responsables de son caillassage pour les dénoncer aux autorités. Sans succès. De quoi remettre en cause sa vocation ? Pas pour l’instant. Mais, “moi, demain, si je suis de garde, je mets mon casque de moto…”, lance l’ambulancier de 43 ans. Paré pour la bataille.
Les personnes ayant reçu les premières doses du vaccin Pfizer à Mayotte ont répondu à l’appel de la deuxième injection ce lundi à la MJC de M’gombani. Parmi elles, le docteur Martial Henry, un éternel convaincu des bienfaits de la vaccination.
Le 25 janvier dernier, on lui administrait sa première dose de vaccin, sous les regards curieux et quelques fois admiratifs des médias. Quatre semaines plus tard, le docteur Martial Henry est revenu tout sourire au centre de vaccination de M’Gombani à Mamoudzou pour recevoir la deuxième injection nécessaire au développement de la défense immunitaire contre le Covid-19. À 89 ans, il est encore en pleine forme et balaye du revers de la main toutes les spéculations autour du vaccin. “Il y a toujours des effets secondaires, mais ce n’est rien par rapport au bénéficie de l’immunité qui permettrait de vaincre la pandémie. Il n’y a pas plus d’effets que pour les vaccins contre la coqueluche, la rougeole ou le tétanos utilisés tous les jours dans nos PMI (protection maternelle et infantile).”
De son côté, il dit n’avoir souffert d’aucun effet secondaire, raison pour laquelle il se montre encore plus serein. Pis encore, il se moque même des rumeurs à son encontre affirmant qu’il était souffrant après s’être fait vacciner. Cependant, le docteur Martial Henry comprend les réticences de la population. “Tout nouveau traitement est craint, c’est normal. Et en plus, les rumeurs empirent les choses.” Il insiste donc sur le fait de sensibiliser davantage les personnes âgées qui sont susceptibles d’avoir des informations erronées. “Il ne faut pas se laisser entraîner dans la peur par les “je-sais-tout” des réseaux sociaux”, conseille-t-il.
“La campagne ne prend pas d’ampleur”
Si l’administration des deuxièmes doses du vaccin a débuté ce lundi, les personnes qui veulent recevoir les premières sont toujours accueillies dans les centres de vaccination. À M’Gombani, elles étaient nombreuses, même si très peu de personnes âgées ont fait le déplacement. “La campagne ne prend pas d’ampleur. Les habitants qui ont envie de se faire vacciner ne correspondent pas aux indications prioritaires de l’État”, admet Dominique Voynet, la directrice de l’agence régionale de santé à Mayotte. Pourtant les vaccins sont bien là. Le territoire devrait réceptionner 30.000 nouvelles doses en l’espace de plusieurs semaines. Cela multiplie par quatre les vaccins reçus par semaine.
Alors le profil de la personne prioritaire est quelque peu adaptée au territoire. “Souvent, les gens de 65 ans à Mayotte sont dans le même état que ceux de 75 ans en métropole, parce que sur le plan sanitaire, ils sont pris en charge beaucoup plus tard. D’où l’importance de vacciner des personnes un peu plus jeunes, ainsi que les professionnels de santé et les personnels d’entreprises stratégiques quelque soit leur âge”, indique l’ancienne ministre. À l’exemple des employés d’EDM, de la SMAE, des équipes de l’aéroport ou encore du port de Longoni. Cela permettrait d’assurer la continuité de ces services essentiels au bon fonctionnement de l’île. Elle pourrait également pousser une partie de la population à se faire vacciner. Pour le moment, selon la directrice de l’ARS Mayotte, toutes les “sottises colportées par les réseaux sociaux” polluent la stratégie de vaccination. Piqué !
En réanimation, la tension est à son comble. Avec une durée d’hospitalisation pouvant varier de 3 à 6 semaines, les patients atteints du Covid-19 concentrent à eux seuls la majeure partie des lits du service. À ce jour, les évacuations sanitaires quotidiennes sont l’unique moyen de garder la tête hors de l’eau. Pour combien de temps encore…
Bip… Bip… Bip… Vendredi. 10h. Dans le couloir principal de la réanimation, le fond sonore omniprésent des machines rythme les va-et-vient des personnels soignants en tunique bleue, presque toujours le regard tourné vers les écrans. Quelques minutes seulement après l’envoi de quatre nouveaux patients Covid vers La Réunion. Une petite bouffée d’oxygène, devenue quotidienne depuis quelques jours, qui permet, ce jour-là, de repasser à 27 lits occupés sur les 32 disponibles (contre 16 habituellement). « Nous sommes à flux tendu, nous avons l’impression d’être face à un mur », analyse Renaud Blondé, le chef de service, au moment de montrer l’évolution de la courbe épidémique. Pas de doute, la marge de manœuvre est infime. Et est surtout mise à rude épreuve depuis l’arrivée du variant sud-africain sur le territoire, après une accalmie au mois de janvier. « C’est une vague violente qui n’a rien à voir avec la première. »
Mono-défaillance respiratoire
Cette flambée du nombre de cas, conjuguée à des taux d’incidence et de positivité records, affole les esprits des autorités, qui craignent le pire pour le 101ème département, déjà soumis à une forte tension hospitalière en temps normal. D’où l’envoi par le gouvernement du service de santé des armées pour épauler les équipes mahoraises sur le qui-vive. « L’objectif est de nous occuper de 10 lits de manière autonome afin de décharger le CHM, qui nous fournit la pharmacie et des consommables médicaux », détaille Philippe, le médecin principal, dont la durée de la mission dépend de la “cinétique”.
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Une augmentation des capacités, à laquelle il faut ajouter 6 lits supplémentaires en lieu et place de la salle de réveil. Une transformation possible en raison de la déprogrammation d’une grande partie des opérations chirurgicales. « Les blocs sont réservés pour les urgences vitales », précise Renaud Blondé. Mais à cause d’un manque d’espace, ces deux unités temporaires ne suivent que des cas de mono-défaillance respiratoire et laissent par exemple à la charge du service polyvalent les 30% des positifs atteints en plus d’insuffisance rénale.
« Un petit miracle »
Si ce dispositif permet de garder la tête hors de l’eau, le recours aux évacuations sanitaires est indispensable pour ne pas sombrer dans le chaos. Mais là encore, la stratégie peut s’avérer périlleuse. « La place idéale d’un patient de réanimation est de ne pas quitter sa chambre. Si nous le transférons, c’est que nous n’avons pas le choix », martèle le chef de service, bien conscient du facteur risque que cela implique, entre la mise sur brancard, le transport en barge ou en hélicoptère, le décollage et l’atterrissage, la perte de 10 points de saturation en raison de l’altitude… « À chaque manipulation, le cathéter peut s’arracher. […] C’est un petit miracle que sur les 37 patients évasanés, il n’y ait pas eu de casse », poursuit Renaud Blondé, qui demande toujours l’accord des familles avant de donner le go pour un déplacement de 8 heures porte à porte.
Il faut dire que les critères d’éligibilités pour un départ sont des plus stricts. Ce sont des patients dits lourds, c’est-à-dire intubés-ventilés et sédatés, qui ont une stabilité respiratoire depuis au moins 24 heures et qui n’ont pas été mis sur le ventre au cours des 12 dernières heures. Autre précaution : le taux d’oxygène ne doit pas être supérieur à 60%. « Il peut se passer beaucoup de choses durant le trajet. Il faut anticiper une dégradation, c’est la raison pour laquelle nous avons changé une dizaine de fois les profils retenus. » En parallèle, des discussions sont toujours en cours pour tenter d’installer une troisième civière dans l’appareil. Tandis que des évacuations avec un Boeing 777 vers la métropole sont dans les petits papiers. Seul problème, un transfert sanitaire d’une telle distance « ne s’est jamais fait en moyen aéroporté ».
Une quatrième unité de réanimation
Toutes les options sont envisagées, car le temps presse ! Selon Renaud Blondé, de nombreux malades actuellement en médecine auraient déjà dû intégrer son service. « Nous les prenons malheureusement au dernier moment, mais nous allons contrôler leur état deux fois par jour pour voir s’il y a une aggravation… » D’autant plus que les conditions d’accès en réanimation ont été revues à la hausse : « Nous sommes passés d’un besoin de 6 litres d’oxygène par minute à 10-12 litres. » L’idée d’ouvrir une quatrième unité, située trois étages plus bas, est également sur la table. Mais cette éventualité serait à la fois « très dangereuse pour les patients et les infirmières ». « Nous n’aimerions pas arriver à cette extrémité mais nous nous y préparons. Ce serait vraiment du dégradé de chez dégradé… »
C’est la raison pour laquelle tout le personnel soignant attend impatiemment le pic épidémique, prévu pour le début du mois de mars. Dans le cas contraire, il faudrait « mettre des gens intubés ventilés aux urgences », prévient Alain, médecin chef du service de santé des armées. « Nous flirtons avec la rupture. » Si Renaud Blondé entrevoit un semblant de stabilisation, il reste très prudent sur la lecture des chiffres. « Heureusement qu’il y a les militaires, la réserve sanitaire et la solidarité avec La Réunion, sinon cela ferait déjà un mois qu’il y aurait des dizaines de morts », résume-t-il, pour faire comprendre de la gravité de la situation. « Sans les evasan, nous sommes saturés en 24 heures ! » Ne reste plus qu’à prier que la propagation du virus sur l’île Bourbon ne soit pas aussi brutale qu’à Mayotte…
Une semaine après l’opération de destruction de 120 cases en tôle lancée lundi par la préfecture, une trentaine de familles se retrouvaient sans abri. D’après elles, leurs maisons ne figuraient pas dans les plans délimités par l’arrêté. Explications.
À Mohogoni, quartier de Dzoumogné, les coups de marteau résonnent le long de la rivière. Derrière les murs d’enceinte érigés à la va-vite, une vingtaine d’hommes s’affairent ce dimanche autour des bouts de bois et des morceaux de tôle, pour tenter de remettre un toit au-dessus de leur tête. “Vendredi encore, certains dormaient autour d’un feu, sous la pluie”, témoigne un habitant du village. Cela fait bientôt une semaine que les camions de la Colas envoyés par la préfecture sont venus raser la parcelle et ses quelque 120 cases, sur la base d’un arrêté loi Élan pris le 6 janvier. Une opération dans les clous, donc, et annoncée de longue date, avec enquêtes sociales et propositions d’hébergement, comme le prévoit la loi. Problème : cette fois-ci, les tractopelles auraient râtissé un peu large… C’est du moins ce qu’affirment une trentaine de familles, photos et vidéos à l’appui.
Au milieu des débris et des chantiers, une seule maison, en dur celle-là, tient encore debout. “S’ils ne l’ont pas rasée, c’est parce que nous nous sommes mis en travers du bulldozer”, lâche avec amertume la mère de ce foyer, qui y a tout de même perdu quelques plumes. La maison de ses voisins, elle, n’a pas survécu. “Dedans, il y avait une pièce dans laquelle mes parents rangeaient des affaires, des marmites, des assiettes…”, témoigne Soumette, son fils de 21 ans. Et le compteur électrique a été arraché, montre-t-il d’un coup de menton. Son père, qui assure être le propriétaire du terrain, a bien l’intention de porter plainte.
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L’ASE et l’Acfav prévenues ce week-end
Comme Soumette et les siens, ils sont au moins 33 foyers à assurer n’avoir fait l’objet d’aucune enquête sociale ou proposition d’hébergement en amont de l’opération. La raison est simple : leurs habitations n’étaient en réalité pas prévues dans le plan délimité par l’agence régionale de santé et annexé à l’arrêté de la préfecture. Parmi ces familles, des femmes enceintes ou des mères avec enfants. L’une d’entre elles, parent de deux jumelles prématurées dont l’une tout juste sortie de couveuse jeudi, a finalement obtenu en urgence un hébergement, sous l’impulsion de l’aide sociale à l’enfance et de l’Acfav, dépêchées sur les lieux ce dimanche.
“J’ai appris hier [samedi] que d’autres destructions avaient eu lieu en plus de l’opération de la préfecture, et que les familles n’avaient donc pas été prévenues, et n’étaient pas préparées”, retrace Abdou-Lihariti Antoissi, le directeur de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) qui a immédiatement prévenu l’Acfav pour trouver des hébergements. Ce dimanche, il a recensé une cinquantaine d’enfants à reloger dans des familles d’accueil. De son côté, l’Acfav a listé, en plus de la mère des jumelles, une mère d’un enfant en bas âge et trois femmes enceintes à reloger dans des hébergements d’urgence (dès qu’une place se libère). Soit 21 jours dans un premier temps, puis six mois maximum en hébergement de stabilisation après évaluation sociale, si les personnes sont en situation régulière et correspondent aux critères de ressources.
L’État “pas responsable”
Mais comment diable a-t-on pu en arriver à un tel imbroglio ? D’après la préfecture, si l’opération s’est bien étalée sur deux jours et demi (jusqu’à mercredi, donc), toutes les cases détruites figuraient dans les plans. D’ailleurs, difficile de se tromper. “Nous marquons à la bombe celles qui doivent faire l’objet des destructions et nous faisons une reconnaissance du site avec l’entreprise missionnée”, décrit le sous-préfet, Jérôme Millet, présent sur les lieux les trois jours. Impossible, donc, que les engins, de la Colas en l’occurrence, aient pu détruire au-delà du périmètre. “S’il y a eu des destructions de cases en dehors, ce n’est pas du tout l’État qui en est responsable”, insiste-t-il.
Des maisons détruites par leurs propriétaires ?
Une version qui colle à peu près avec les témoignages recueillis sur place. D’après les habitants, c’est en réalité l’adjoint au maire en charge de la police municipale, Soudjaye Daoud, qui aurait décidé de raser au-delà de la parcelle initiale… et aurait menacé les plus récalcitrants. Joint par téléphone, le principal intéressé dément toute implication. “Tous les bangas démolis sur l’autre parcelle, cela ne nous concerne en rien, ni la Colas, ni la mairie, ni moi-même”, martèle-t-il.
D’après l’élu, les propriétaires des cases auraient eux-mêmes détruit leur maison pour les reconstruire plus loin, par crainte de voir les machines écraser la tôle. “Ils n’ont pas pris les bons renseignements, et viennent nous accuser ensuite !”, grogne Soudjaye Daoud. Sur le terrain, en tout cas le résultat est le même : rares sont les bangas à tenir encore debout. La différence ? À gauche de la route, les débris s’entassent tel un champ de ruines. Côté forage, et donc dans la zone “légale”, pas un bout de tôle ne dépasse. “C’est le désert, c’est comme s’il n’y avait rien eu”, résume un passant.
Le syndicat Jeunes agriculteurs existe en France depuis plus de 60 ans. Sa mission, à Mayotte comme ailleurs, est de renouveler les générations puisque la population agricole est de plus en plus vieillissante. Mais depuis le début du confinement sur l’île, le syndicat doit pallier aux pertes considérables qu’enregistrent les agriculteurs, en mettant à disposition leurs produits en ligne.
C’est un fait, la profession d’agriculteur n’attire plus. La jeune génération ne rêve plus de cultiver les terres ou d’élever des animaux. À Mayotte, “la moitié de la population agricole encore active aurait dû prendre sa retraite”, indique Guillaume Meric, coordinateur du syndicat Jeunes agriculteurs de Mayotte. Et pourtant, les plus jeunes ne se bousculent pas pour prendre la relève, alors le syndicat se démène pour les attirer.
Sa principale mission ? Faciliter la procédure d’implantation des nouveaux arrivants. “Les installations se font en moyenne autour de 28-30 ans. Nous accompagnons les adhérents dans leurs démarches administratives, notamment pour obtenir toutes les aides financières auxquelles ils ont droit”, explique Soulaimana Moeva, président du syndicat. Un accompagnement nécessaire puisque la procédure est souvent complexe et les principaux concernés ne savent pas toujours vers qui se tourner.
Malgré ce coup de pouce, les installations officielles ne sont pas nombreuses dans le 101ème département. Une situation qui s’explique par le manque de considération de la profession. “Ici, tout le monde a un champs et chacun devient agriculteur le week-end, donc le métier n’est pas assez pris au sérieux. Mais nous poussons les plus jeunes à se professionnaliser dans ce domaine”, souligne Guillaume Meric. Cela se concrétise par de la sensibilisation dans les établissements scolaires et par des journées portes ouvertes au sein des exploitations pour découvrir le métier. Dans le futur, le syndicat souhaite développer l’agrotourisme, qui peut être un atout majeur pour les professionnels.
De la vente en ligne au plus près des agriculteurs
Depuis le début de ce deuxième confinement à Mayotte, le syndicat s’est vu attribuer un nouvel objectif : aider les producteurs à écouler leurs marchandises qui ne trouvent plus preneur. “Nous avons mis en place les ventes en ligne. Nous mettons à disposition les produits disponibles chez les agriculteurs sur notre page Facebook et les clients peuvent passer leurs commandes. Nous constituons des paniers et chacun va retirer le sien au point de retrait à Cavani”, détaille Soulaimana Moeva, président des Jeunes agriculteurs de Mayotte. Le système semble porter ses fruits puisque les commandent se multiplient.
Le syndicat veut pérenniser ce dispositif en créant un site web où l’on pourra contacter directement les professionnels. Un dispositif qui permet également de lutter contre l’économie informelle. “Quand les marchés sont fermés, les gens ont encore plus tendance à aller vers les marchés informels. Nous voulons fidéliser les clients pour lutter contre cela. Ils connaîtront ainsi l’origine des produits et sauront ce qu’ils mangent”, selon Soulaimana Moeva.
Sur le long terme, le syndicat aimerait inciter les exploitants à recevoir les consommateurs dans leurs champs pour que ces derniers puissent cueillir et choisir eux-mêmes leurs produits. Mais le chemin sera long puisque les terrains sont difficile d’accès, particulièrement en saison de pluie où les routes sont sinueuses. Même si les exploitations manquent d’infrastructures, le syndicat ne perd pas espoir. La vente en ligne est une grande innovation pour la profession à Mayotte, alors tout le reste est également possible.
90% des victimes d’agression sexuelle prises en charge par les urgences du CHM sont féminines. Alors, différents chantiers ont été déployés pour mener des actions de prévention et de sensibilisation contre les violences faites aux femmes auprès d’un public toujours plus large. Entre tabou, méconnaissance du phénomène, et libération de la parole, Taslima Soulaimana, directrice régionale aux droits des femmes, fait le point. Et un pari sur l’avenir.
Mayotte Hebdo : Que savons-nous des violences sexuelles et de l’ampleur du phénomène à Mayotte ?
Taslima Soulaimana : Nous n’avons pas encore de données chiffrées globales et officielles sur les violences faites aux femmes à Mayotte. Pour y remédier et améliorer la connaissance du phénomène, je travaille en partenariat avec l’Observatoire régionale de santé de l’océan Indien (ORS OI) pour établir un tableau de bord sur les violences à partir des données recueillies auprès des différents partenaires tels que la police, la gendarmerie, les associations, les établissements de santé. L’objectif étant de déterminer des indicateurs communs, puisqu’aujourd’hui chaque partenaire tient des statistiques selon une méthodologie ou un outil qui leur sont propres, ce qui empêche de dégager une véritable vue d’ensemble à l’échelle de l’île. La détermination de ce tableau de bord par l’ORS permettra ainsi de rassembler toutes les données sous forme d’indicateurs qui pourront être actualisés tous les ans. Le projet final serait de mettre en place un observatoire des violences faites aux femmes, ce qui impliquera un recensement de toutes les formes de violences, y compris les violences sexuelles.
MH : Comment conduire une politique publique de lutte contre les violences sexuelles si l’on ne parvient pas à mesurer l’ampleur des agressions à l’échelle de l’île ?
T. S. : Effectivement, le fait de ne pas encore disposer de ces données globales invisibilise le phénomène des violences, ce qui n’est pas satisfaisant. Cependant, nous allons commencer cette année à communiquer sur les chiffres qui existent, comme ceux de la gendarmerie ou de l’ACFAV (Association pour la condition féminine et l’aide aux victimes), même si nous n’avons pas encore d’indicateurs définitifs. À noter, recueillir des données implique également, pour l’ORS, d’accompagner les structures (associations, collectivités, institutions, etc.) dans cette démarche en harmonisant les approches, pour une meilleure exploitation des données recueillies.
En attendant, nous continuons la sensibilisation en élargissant les champs d’actions. Jusqu’à maintenant, nous parlions de violences faites aux femmes de façon générale, or il est important d’adapter les approches selon le public cible. En effet, les violences sexistes ou sexuelles peuvent prendre différentes formes selon qu’elles ont lieu en famille, au travail ou dans une pratique sportive.
Pour répondre à cet enjeu, je travaille en partenariat avec l’Association profession sport et loisirs (APSL), depuis l’année dernière, sur un projet de lutte contre les violences faites aux femmes dans le milieu sportif. Ce projet a pour objectif de former et de sensibiliser les professionnels du sport sur les violences ainsi que les sportifs, à travers des formations à destination des coachs et dirigeants sportifs dans les différentes ligues ou des interventions dans des séquences sportives. Le Comité régional olympique et sportif (CROS) est ainsi mobilisé pour mener à bien le projet.
Pour le milieu professionnel, nous avons financé un projet de sensibilisation sur les violences sexistes et sexuelles au travail à l’ACFAV. Cette dernière a produit des brochures à destination des professionnels et entreprises, prêtes à être diffusées au plus grand nombre. Des ateliers sont également prévus en 2021 pour faire des animations autour de ces brochures.
Toujours dans cette optique d’élargir le champ, j’ai entamé une démarche de sensibilisation pour les personnes handicapées, souvent oubliées dans les campagnes. À ce titre, j’ai pris contact avec l’ADSM (Association pour les déficients sensoriels de Mayotte) l’année dernière pour une action de sensibilisation pour leur public et les parents, avec le concours de la Brigade de prévention de la délinquance juvénile (BPDJ) de la gendarmerie. L’intervention de cette dernière sera retranscrite en langage des signes par les interfaces de communication de l’association. Malheureusement, le projet n’a pas encore pu voir le jour en raison du contexte particulier de la crise sanitaire.
Pour le reste, nous continuons avec les différents partenaires, notamment le Conseil départemental de l’accès aux droits (CDAD), les actions de formation auprès des professionnels, de plus en plus nombreux à se mobiliser sur les questions des violences faites aux femmes. Il est donc important d’accompagner au mieux les professionnels qui sont en contact avec les victimes. Je pense en particulier aux sages-femmes et aux infirmiers, avec qui il est question d’insister sur l’importance de produire des attestations lorsqu’ils reçoivent des victimes. En effet, ces attestations sont des éléments de preuve essentiels dans le cadre d’une procédure judiciaire.
MH : La réponse peut aussi faire défaut du côté de l’entourage de la victime : à Mayotte particulièrement, une agression sexuelle peut être vue comme un déshonneur pour la famille de celui ou celle qui en a été la cible. Ces opérations de sensibilisation suffiront-elles à faire évoluer les mentalités ?
T. S. : Nous vivons dans une société très communautaire, où l’individualité n’a pas sa place. De ce fait, dénoncer son agresseur est difficile par peur du regard des autres. Cela peut aller très loin, au point qu’un homme qui commet des violences est parfois traité comme une victime, et la femme comme étant celle qui souhaite porter gratuitement préjudice à l’auteur. Autre paradoxe, le contexte d’insularité a pour conséquence que tout ce qui arrive est souvent su et connu par tout le monde, très rapidement. C’est le phénomène contraire qui se produit lorsqu’il est question de violences, considérant que c’est du domaine privé et que nous préférons garder les faits secrets. Or, tout acte, y compris de nature sexuelle, commis sans consentement est une violence, peu importe le lien entre les deux personnes, et doit être dénoncé.
Il est aujourd’hui encore difficile de changer les mentalités, mais nous continuons à y travailler avec les partenaires. Cela est d’autant plus important lorsqu’il s’agit de faits de violences commis sur des enfants. L’un des enjeux est donc de sensibiliser les parents pour mieux protéger leurs enfants, particulièrement en cas d’inceste. Sur ce sujet, un groupe de travail composé de plusieurs partenaires mène actuellement des réflexions. En attendant, les actions de sensibilisation continuent dans les établissements scolaires (collèges), avec l’ACFAV ou la BPDJ, pour faire comprendre aux enfants comment agir et se protéger en cas de violences.
MH : Il est aussi courant d’entendre, qu’en cas de viol, un mariage est parfois arrangé entre l’agresseur et la victime pour cacher la poussière sous le tapis et étouffer l’affaire…
T. S. : Tout à fait, c’est malheureusement une réalité encore aujourd’hui. Sur cette question, je me suis rapprochée du Grand cadi l’année dernière puisqu’il s’agit de mariages religieux contractés souvent devant les cadis. Ainsi, je lui ai demandé de travailler ensemble sur le sujet des violences faites aux femmes, mais aussi de ces mariages arrangés. En réponse, il a désigné le cadi d’Acoua, Mr Lihadji Yahaya, comme référent, pour travailler en partenariat. En faisant appel à cette autorité religieuse locale, j’espère pouvoir faire évoluer les choses, et surtout en veillant à ce que nos discours ne s’opposent pas. Reste maintenant à sensibiliser les 16 cadis de Mayotte restants sur ces questions avec l’aide du cadi référent, pour qu’ils refusent de sceller ces mariages et signalent les faits au Procureur.
MH : L’inceste est également une réalité à Mayotte, comme l’a rappelé, début février, le viol commis sur un nourrisson de onze mois à Kahani et dont l’agresseur serait son frère…
T. S. : L’inceste est effectivement un phénomène très présent à Mayotte, mais encore trop tabou. Là encore, nous n’avons pas encore de chiffres officiels. L’année dernière, une jeune Mahoraise victime d’inceste a ouvert une page Facebook, « Osons libérer la parole » pour témoigner sur le phénomène. Suite à cela et afin de capitaliser sur tous les témoignages reçus sur sa page, nous avons convenu qu’elle les recense. En un mois et demi, elle a reçu environ 70 témoignages de femmes, mais aussi de quelques hommes. C’est énorme ! Ce sont des victimes qui sont adultes aujourd’hui et évoquent des faits qui remontent à leur enfance. De ce fait, il y a un véritable travail à mener avec ces jeunes adultes, notamment de reconstruction. Mais nous devons aussi continuer de protéger les mineurs en sensibilisant leurs entourages familiales, scolaires…
MH : Avez-vous réellement le sentiment que la parole est en train de se libérer à Mayotte, que la honte change de camp ?
T. S. : Oui, j’ai le sentiment que les choses évoluent. De plus en plus de femmes dénoncent leur agresseur et entament des démarches. D’ailleurs, parfois elles m’interpellent pour me dire qu’elles ont osé dénoncer les violences subies et porter plainte, preuve que le message est en train de passer. Il n’empêche que le processus peut parfois être long, entre le moment où elle décide d’en parler et celui de déposer plainte, mais il est important de respecter leur temporalité. Et en tant qu’acteur dans ce combat, nous devons les accompagner selon leurs besoins, en les orientant vers les professionnels adaptés, comme les psychologues. Aujourd’hui, nous avons à Mayotte trois psychologues mahorais qui parlent notre langue et qui peuvent écouter les victimes qui ne savent pas parler français. J’espère que ce nombre évoluera parce que le recueil de la parole des victimes, dans leur reconstruction, nécessite une écoute par un professionnel.
Le chantier reste encore important pour que la parole se libère, particulièrement sur les violences sexuelles. Les actions de sensibilisation doivent continuer pour que la société prenne conscience que tout acte sexuelle commis sans consentement, peu importe la relation entre les personnes, est une violence. Ces violences peuvent toucher toutes les femmes, peu importe leurs origines sociales, riche ou pauvre.
Retrouvez l’intégralité de notre nouveau dossier consacré aux violences sexuelles sur notre site, www.mayottehebdo.com, ou en cliquant ici.
La communauté mahoraise est très présente sur l’île de La Réunion et son quotidien n’est pas tout rose. Les conflits entre Réunionnais et Mahorais sont bien réels, et les relations entre les deux communautés sont électriques. Bon nombre de Mahorais qui ont habité sur l’île ou qui y sont encore tiennent le même discours : ils ne sont pas les bienvenus chez nos voisins.
Amina Lihadji Djoumoi a quitté Mayotte, son île natale, alors qu’elle n’avait que 15 ans. Comme beaucoup de personnes de sa génération, ses parents l’ont envoyée à La Réunion afin qu’elle ait une meilleure scolarité. Presque 30 ans plus tard, Amina, n’est jamais rentrée définitivement chez elle. Elle passera toute sa vie d’adulte sur cette île qu’elle considère également comme chez elle. Elle y a eu ses enfants, y travaille et a tout fait pour s’intégrer… Mais la mère de famille est consciente que cela ne suffit pas. “On dit souvent que les Mahorais ne sont pas intégrés, alors que la plupart des gens de ma génération le sont parfaitement. Et malgré, cela il y a encore beaucoup de racisme contre nous. Tous les jours, quand je passe devant un bar, je me fais insulter”, dénonce-t-elle. Dans sa famille, Amina n’est pas la seule à subir de telles agressions. Sa fille a dû démissionner de son travail à La Poste car elle ne supportait plus la pression quotidienne. “C’est une jeune femme moderne, elle ne porte même pas le foulard et pourtant, elle se faisait insulter tous les jours parce qu’elle est Mahoraise. Elle me disait qu’il y avait trop de racistes”, affirme la mère.
La vidéo de la collégienne qui se fait agresser par un groupe de jeunes filles identifiées comme des Mahoraises n’a fait qu’empirer les choses. Conséquence : toute la communauté a été pointée du doigt. “Cet événement a été une occasion pour les Réunionnais de pouvoir exprimer toute la haine qu’ils ont envers les Mahorais”, selon Annabelle, une Mahoraise qui a vécu quelques années sur l’île où elle dit ne plus vouloir y retourner. Elle y a passé deux ans, lors de ses études supérieures, et en garde de terribles souvenirs… “C’était une mauvaise expérience pour moi. On ne m’a jamais agressée personnellement parce que physiquement je ressemble à une Réunionnaise, mais je ne peux pas supporter leur mentalité”, fait-elle savoir. Annabelle aurait assisté à des scènes qui l’ont choquée et qu’elle n’arrive toujours pas à comprendre. “À plusieurs reprises, des Réunionnais insultaient des Mahorais devant moi. Ça a été le cas par exemple avec la mère de mon ancien compagnon, ou même dans la rue.” La jeune femme a particulièrement mal vécu ses années à La Réunion car elle était également rejetée par les Mahorais qui la croyaient Réunionnaise. “C’était la double peine pour moi, et j’étais seule. Les étudiants mahorais ne voulaient pas me parler. J’ai dû montrer ma pièce d’identité pour qu’ils me fassent un peu plus confiance”, raconte-t-elle.
Les origines du malaise
Ce conflit entre Mahorais et Réunionnais n’est pas récent, et Amina Lihadji Djoumoi qui est également porte-parole du collectif Ré-MaA (Résistance Réunion/Mayotte en Action) explique cela par l’afflux de Mahorais qui se rendent chez nos voisins pour bénéficier des minima sociaux. “Ils disent que nous venons pour la CAF et autres avantages sociaux. Oui c’est vrai, parce qu’on n’a pas droit à tout cela chez nous. Mais ce n’est pas une raison pour nous traiter comme ils le font. On n’est pas des immigrés, on est aussi Français”, clame-t-elle. Le comportement des Mahorais serait également source de conflit. Ces derniers commettraient des délits, et ne respecteraient pas l’île dans laquelle ils sont accueillis. Baliverne, assure la porte-parole du collectif. “Tout ça, ce sont des faux débats parce que dans toutes les communautés, il y a des brebis galeuses et des gens bien élevés, y compris chez les Créoles.”
Selon Annabelle, le fait que les Mahorais ne s’adaptent pas à la culture réunionnaise joue également en leur défaveur. “Je voyais dans le bus, dans les rues, des femmes habillées avec un salouva et leur msindzano. Elles étaient les seules à être habillées de la sorte, donc forcément, tout le monde les regardaient mal. On a beau dire que c’est la France, mais on n’est pas chez nous là-bas.” Les conditions dans lesquelles vivent les Mahorais à La Réunion font étrangement penser à ce qu’il se passe à Mayotte. “Là-bas, les Mahorais se comportent comme les Comoriens d’ici”, constate Annabelle. Un point de vue partagé par Amina Lihadji Djoumoi. “Il est vrai qu’il y a des familles mahoraises qui laissent leurs enfants traîner dans les rues comme les Comoriens à Mayotte. Tout cela parce qu’elles vivent dans des situations précaires, dans des petits appartements qui ne sont pas adaptés à leurs familles nombreuses.” Malgré tout, Amina n’a pas l’intention de rentrer à Mayotte. “J’y retournerai si j’en ai réellement envie, pas parce que certains racistes me poussent à le faire !”, soutient-elle.
Une table ronde a réuni ce jeudi plusieurs acteurs clés du logement dans le 101ème département, confronté à de lourds défis en la matière. Alors que les besoins se chiffrent à plus de 80.000 habitats supplémentaires à l’horizon 2050, un deuxième bailleur pourrait apporter sa pierre. Une solution qui ne doit pas cacher les autres problèmes de la filière, juge la Société immobilière de Mayotte.
Une nouvelle tête à côté de la Société Immobilière de Mayotte ? La question n’est pas nouvelle, certes. Mais elle a à nouveau animé le débat lors d’une table ronde du Sénat ce jeudi. Dans le cadre de l’étude sur le logement dans les Outre-mer, les rapporteurs Guillaume Gontard (sénateur d’Isère), Micheline Jacques (Saint-Barthélémy) et Victorin Lurel (Guadeloupe) étaient amenés à poser leurs questions à plusieurs acteurs du logement et représentants politiques de Mayotte.
Parmi les VIP du jour, pour parler du cas du 101ème département, les sénateurs, Thani Mohamed Soilihi et Abdallah Hassani, la vice-présidente du conseil départemental en charge de l’aménagement et du développement durable, Raissa Andhum, le directeur général de la SIM, Ali Mondroha, ou encore des représentants de la Cadema, de l’Epfam, de la DEAL ou d’Action logement.
“Il ne faut pas créer une coquille vide”
“Est-ce qu’il nous faut un autre bailleur ? Oui, bien sûr, car nous n’arrivons pas à répondre aux besoins de la population mahoraise”, a tranché la vice-présidente du Département, Raissa Andhum, à cette question presque rhétorique. Déjà, en 2019, le Plan Logement Outre-mer pour la période 2019-2022, préconisait dans ses mesures de “favoriser l’arrivée d’un deuxième opérateur”. Mais là où le PLOM misait sur une “stimulation de la concurrence et une montée en puissance du nombre d’opérations conduites”, les discussions de cette table ronde ont plutôt fait émerger le besoin d’un opérateur complémentaire, pas nécessairement axé sur le logement social.
“Il ne faut pas juste créer une coquille vide, il faut préciser l’objet social de cet opérateur qui pourrait être de favoriser l’accession sociale à la propriété”, a signalé Nizar Assani Hanaffi, président du comité territorial d’Action Logement, en invitant à mieux définir la cible du nouvel entrant. Comme par exemple les jeunes actifs qui souhaitent devenir propriétaires.
Une solution qui ne lève pas tous les freins
“Un deuxième opérateur, certes, mais si nous ne réglons pas les problèmes en amont, cela ne règlera pas le problème”, a rétorqué le directeur général de la SIM, Ahmed Ali Mondroha. À savoir, le frein des ressources humaines d’une part – il ne faudrait pas que le nouvel arrivant sur le marché vienne “débaucher” les profils chassés avec pugnacité par son aîné ; et d’autre part, le manque d’entreprises structurées dans la filière BTP pour mener les plus gros chantiers.
Sans parler des coûts des construction, entre 10 et 20% plus élevés que ceux constatés à La Réunion, voire 30% pour la métropole… La relance de la filière de la brique de terre compressée, BTC, sur laquelle la SIM avait “définitivement levé le pied” depuis 2012 car aucun assureur sur place n’acceptait d’assurer ce produit, pourrait à ce propos apporter une première pierre à l’édifice.
80.000 logements supplémentaires au minimum d’ici 2050
De quoi se passer de la concurrence ? Pas sûr. Car il faut dire que les missions qui incombent à la seule Société immobilière de Mayotte sont de taille : alors que la croissance des bidonvilles ne faiblit pas – les cases en tôle représentent toujours quatre habitats sur dix -, la demande pourrait exploser dans les années à venir. À l’horizon 2050, ces besoins devraient atteindre 80.000 logements supplémentaires “auxquels il faut rajouter la résorption de l’habitat insalubre, 25.000 cases en tôles et 13.000 logements insalubres que nous avons pu recenser grâce à notre questionnaire”, a rappelé le directeur général de l’Epfam, Yves-Michel Daunar.
Et la politique dynamique de destruction de cases en tôle, menée par la préfecture sous l’impulsion volontariste de l’État, ne risque pas de faire baisser la jauge… Une actualité qui a d’ailleurs fait réagir la rapporteure Micheline Jacques. “Les solutions sont-elles satisfaisantes dans le cas des destructions, et au-delà de l’urgence, quelles solutions pérennes peuvent être trouvées ?”, a-t-elle interrogé sans parvenir à obtenir une réponse claire dans les trois heures de temps dédiées à cette réunion. Un constat toutefois : certaines familles pourraient rentrer dans du logement social classique, selon Ali Mondroha. “Mais le gros du contingent, la plupart de ceux qui sortent de ces opérations de décasement, sont soit des clandestins soit ceux qui ont des titres de séjours qui ne permettent pas de rentrer dans les dispositifs qui existent actuellement”, a-t-il admis.
Quoi qu’il en soit, la réponse ne pourra pas venir du seul planning de construction de la SIM, qui a d’ailleurs accusé une baisse dans ses livraisons en 2019. “Comment remédier à cette baisse préoccupante alors que les besoins sont estimés à 1.200 logements sociaux par an ?”, a demandé le co-rapporteur Victorin Lurel. L’objectif du premier bailleur de l’île de livrer 500 logements par an dès l’année prochaine peut être une première réponse… Mais qui reste ténue au vu des projections pour 2050 !