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Mansour Kamardine : “Il y a aujourd’hui plus de gesticulation que d’action”

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Sur le devant de la scène depuis le début de l’épidémie de Coronavirus pour alerter sur la grande fragilité du territoire, le député Mansour Kamardine revient sur l’action menée par l’État depuis l’apparition du Covid-19 à Mayotte. Et sans grande surprise, déplore que “rien n’est en mesure de [le] rassurer”.

Flash infos : Ce mardi, l’avion présidentiel s’est posé sur la piste de Pamandzi afin d’acheminer du matériel sur le territoire. Dans la foulée, le préfet a évoqué la possibilité d’un pont aérien qui permettrait l’envoi de 32 tonnes de biens nécessaires pour répondre à l’épidémie. Êtes-vous satisfait de ces gestes qui semblent signer le soutien du gouvernement à Mayotte ?

Mansour Kamardine : L’avion présidentiel qui se pose pour acheminer du matériel constitue un symbole fort. Mais à y regarder de plus près, il n’y avait pas grand-chose pour Mayotte. Une grande partie de la cargaison était destinée à La Réunion et ce qui restait pour notre territoire était en grande partie des billets qui ne serviront à rien si la crise fait des ravages. En revanche, 32 tonnes de matériel par semaine seraient une excellente nouvelle à mettre au crédit du gouvernement si cela se concrétise. Et signeraient effectivement enfin une prise en compte et une réponse partielle à la détresse des Mahorais. Il faut cependant aller plus loin. Avec le Mistral par exemple, qui doit absolument être équipé pour venir au secours du département. Car je le répète, nous sommes sous tous les aspects le territoire le plus pauvre de la République. Dans ce cadre, l’État ne peut pas faire l’effort national en oubliant le maillon le plus faible de la chaîne. Ce ne serait pas digne de la République que de sacrifier les plus faibles.

FI : Vous n’êtes donc toujours pas rassurés quant à la gestion de la crise sanitaire s’agissant de Mayotte ?

M. K. : Très honnêtement, quand je regarde ce qu’il se passe, j’ai l’impression que l’on assiste plus à de la gesticulation qu’à de l’action. Alors que la jeunesse de la population, le fait d’être isolés du reste du territoire national, la fragilité sociale de la population, son incapacité à procéder aux gestes barrières, doivent pousser à un engagement très fort de l’État auprès des Mahorais. Mais même si comparaison n’est pas raison, quand je compare ce qu’il se passe ici avec ce qu’il se passe sur le reste du territoire, comme à La Réunion, par exemple, je suis très inquiet. Nous ne sommes pas à Mayotte dans une gestion rationnelle de la crise.

L’exemple du Mistral est à ce titre frappant. L’annonce était forte, mais on ne sait toujours pas quelles seront ses missions ni son équipement alors qu’il pourrait justement être une réponse à l’urgence vitale qui risque de mettre l’île en péril. Tout cela se fait par dessus la jambe et en plus de ça, les autorités s’enfoncent ici dans le déni. Il n’est pas trop tard pour bien faire, mais actuellement, rien n’est en mesure de me rassurer et si la question est de savoir si les mesures sont prises, je réponds franchement non.

Dès le début, j’avais demandé à ce que tous les passagers débarquant à l’aéroport soient contrôlés. Cela n’a pas été fait et nous met aujourd’hui dans une situation de grande vulnérabilité.

FI Que faudrait-il faire selon vous ?

M. K. : D’abord, il faut impérativement du matériel en quantité, car ici nous manquons de tout. Des renforts aussi, car l’ennemi a d’abord attaqué à la tête : les policiers, les pompiers, les médecins sont touchés. C’est notre arsenal qui est attaqué. Mais pourquoi ? Car dès le début, ils n’avaient pas le

matériel pour se protéger et c’est inacceptable. Le Mistral au chevet du territoire en capacité d’accueillir des malades pour soulager le CHM me paraît indispensable. Par ailleurs, je réclame toujours que nous puissions procéder à des tests à grande échelle sur tout le territoire afin de pouvoir circonscrire au mieux les éventuels foyers épidémiques.

Mais au lieu de ça, on est dans une gestion au fil de l’eau et c’est également vrai au niveau national : on tente tous les jours de s’adapter après une nouvelle bataille de perdue. Nous savions ce qui pouvait se passer, nous pouvions analyser les différentes réponses que les premiers pays touchés ont apportées, on savait que si le territoire national serait touché, le risque serait grand pour les Outre-mer. Mais qu’a-t-on fait pour les protéger ? Rien.

La seule chose positive que je pourrais mettre au crédit du gouvernement est d’avoir accepté d’étendre à Mayotte les essais européens sur le traitement proposé par le professeur Raoult. En revanche, il doit être appliqué à temps.

Et les autorités doivent dire ce qu’il se passe. Par exemple, le conseil départemental a commandé 450.000 masques, et l’ARS accompagnée de la préfecture lui a demandé d’allonger la commande de 400.000 masques. Ça veut bien dire que les autorités de tutelle ont abandonné l’administration locale qui doit aujourd’hui demander au Département de pallier les carences de l’État.

FI : Vous pestez également contre la situation que vivent les passagers en provenance de Madagascar qui ont été confinés au RSMA…

M. K. : Ce qu’il se passe à Combani est un véritable scandale qui n’est possible qu’à Mayotte. Les personnes confinées ont pris l’avion sans protection, à leur arrivée, le préfet leur annonce qu’ils vont être enfermés ensemble alors qu’un passager présentait des symptômes suspects. Déjà, cela aurait dû nous alerter. Au lieu de ça, on les enferme dans des conditions d’hygiènes et de proximité qui empêchent l’application des gestes barrières. Un médecin du lot a dû se battre pour que les personnes malades puissent avoir accès à leurs traitements. On ne peut pas laisser passer cela alors qu’à La Réunion, ce même type de passagers sont logés dans des hôtels, chacun dans leur chambre. C’était aussi possible ici, pourquoi cela n’a pas été fait ? Cela renforce mon inquiétude quant à la gestion de la crise.

FI : Au rang des bonnes nouvelles, il y a tout de même la mise en place d’une distribution alimentaire au profit des plus défavorisés qui paient le prix fort du confinement. Qu’en pensez-vous ?

M. K. : J’adhère totalement à la démarche, même si c’est un peu tard. J’étais le premier à dire qu’on ne pouvait pas demander à ceux qui vivent de maigres revenus journaliers de se confiner sans moyen de subsistance. La prise de conscience est désormais là et je m’en réjouis. Il serait insupportable de ne pas porter assistance à ces populations. À plus grande échelle, je serais même heureux que l’État se serve de Mayotte comme base pour venir en aide aux pays voisins qui ne peuvent faire face.

 

L’épineuse question de la prise en charge des corps à Mayotte

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Alors que l’épidémie continue de se propager sur l’île et qu’un premier décès sur une personne fragile est à déplorer, la problématique de la gestion des dépouilles commence à se poser. Entre respect des rites funéraires chez une population encore très attachée à ses coutumes, et précautions indispensables pour limiter la propagation du virus, le bon arbitrage semble difficile à trouver.

“Elles étaient au moins quatre-vingts femmes, réunies à la maison de la défunte, puis à l’arrière de mon camion sur le trajet qui nous menait au cimetière. Et quand j’y suis arrivé, j’ai vu une foule encore plus nombreuse, au moins deux cent personnes…”. Cette description de la cérémonie funéraire pour accompagner le proche décédé jusqu’à sa dernière demeure n’a rien d’étonnant, en temps normal, à Mayotte. Mais cela fait à peine trois semaines que le premier cas de coronavirus a été détecté sur le territoire, et la situation n’est déjà plus tout à fait normale. Jean Lhuillier, qui a longtemps été le seul directeur de pompes funèbres sur l’île, a été appelé lundi pour transporter le corps de cette dame décédée, et suspectée d’avoir été contaminée par le Covid-19. Il raconte cette scène rituelle, en pleine période de confinement : “bien sûr, personne à part moi ne portait de protection et j’ai eu beau leur dire de faire attention, ils n’y faisaient rien. Et à moi seul, sans l’aide de la police, je n’y pouvais pas grand-chose”, soupire le gérant des Pompes Funèbres de Mayotte.

Sur une île où la population est à 95% musulmane, le poids des rites funéraires continue aujourd’hui de se faire sentir. Difficile, parfois, de concilier ces traditions avec les lois républicaines, qui s’appliquent depuis la départementalisation. Mais la question est d’autant plus sensible aujourd’hui, avec l’épidémie de Covid-19. Le bilan s’établit désormais à 101 cas recensés, dont un mort en début de semaine – le patient souffrait aussi d’autres fragilités et une comorbidité n’était toutefois pas à exclure. Problème : les défunts peuvent toujours présenter un risque de contamination note le Haut Conseil de la Santé Publique. Au niveau national, le HCSP a donc émis des recommandations très strictes dès le mois de février sur la prise en charge des corps, avant de les assouplir dans son nouvel avis du 24 mars. Si les toilettes funéraires, rituelles et religieuses sont à nouveau autorisées, le Haut conseil émet toutefois plusieurs recommandations : protection adaptée pour le personnel en charge de la toilette, de l’habillage ou du transfert, possibilité pour les proches de voir le visage de la personne décédée en respectant les mesures barrières, limitation à deux personnes maximum si besoin d’effectuer un rite funéraire ou religieux, aucun acte de thanatopraxie pratiqué, et nettoyage des effets personnels du défunt sont les principales directives émises par l’instance sanitaire. Une mise en bière immédiate est aussi conseillée, et doit être demandée par le médecin. Ces mesures concernent l’ensemble du territoire national.

Les spécificités de Mayotte oubliées ?

C’est donc cet avis qui fait désormais office de ligne directrice. Et ce jusqu’à Mayotte, où, en dépit des spécificités reconnues de l’île aux parfums, aucune adaptation n’a été prévue. Un échange a bien eu lieu entre le CHM et le conseil cadial, lundi 30 mars, mais a abouti aux exactes mêmes recommandations, qui nous ont été communiquées par l’Agence régionale

de santé. Même chose du côté de la préfecture, où le service de la réglementation renvoie directement vers le CHM et l’ARS pour décliner ces mesures de précaution. Et ce sont encore ces mêmes dispositions qui ont été envoyées aux mairies pour leur indiquer la marche à suivre. “Nous avons en effet reçu un mail, mais qui ne prend pas du tout en compte les particularités de Mayotte”, déplore Cécile Hammerer, la directrice générale des services à la mairie de Chirongui. “J’ai donc missionné mes services pour qu’ils réfléchissent à une adaptation de ces textes, qui puisse parler aux familles”.

Car à Mayotte, la question de la prise en charge des corps est en effet toujours délicate, même en dehors des temps de crise. “Ici, les gens décèdent souvent à la maison, où est aussi effectuée la toilette mortuaire. Les corps sont mis dans des linceuls et les sépultures sont faites par les villageois. Nous ne sommes pas du tout calqués sur le modèle de la métropole”, décrit ainsi la responsable de Chirongui. Sans parler des places qui viennent à manquer dans les cimetières, une situation dont la mairie avait déjà notifié la préfecture dès les premiers jours de l’épidémie. Mais encore faut-il que les familles enterrent leurs proches au cimetière… “C’est simple, en métropole, la prise en charge à domicile représente l’activité principale des pompes funèbres. Et ici, c’est une prestation que je n’ai jamais eu à faire”, développe Jean Lhuillier. Ce qui laisse entendre que la pratique d’enterrer le défunt “au fond du jardin, voire au bord de la route”, reste bien d’actualité à Mayotte…

Couacs administratifs et risques de transmission

Pour autant, ce n’est pas là la principale source d’inquiétude du directeur des Pompes Funèbres de Mayotte. Ni trop, non plus, le nombre de places à la morgue – deux au CHM, et 27 dans son propre conteneur frigorifique aménagé au fond de son jardin. Non, s’il y a un sujet “urgent”, d’après Jean Lhuillier, c’est le protocole de l’hôpital en matière administrative. Car pour autoriser le corps à sortir de l’hôpital, il est demandé à la famille de fournir l’acte de décès et le permis d’inhumer, des documents qu’elle doit récupérer à la mairie sur présentation du certificat de décès émis par le médecin. Cette paperasse administrative, c’est plutôt l’opérateur funéraire qui la gère en général, en ce qui concerne la métropole. Et en ces temps de crise, un décret autorise la dématérialisation entre les officiers d’état civil à la mairie, et les opérateurs funéraires. Objectif : “éviter de faire des heures de route pour manipuler du papier”, résume Richard Feret de la CPFM. Et ainsi, donc, fluidifier les démarches et surtout limiter les risques de transmission.

Or, “en donnant le papier aux familles pour qu’elles effectuent elles-mêmes les démarches, l’hôpital contrevient complètement à ce décret”, dénonce pourtant Jean Lhuillier. “J’ai un exemple pas plus tard qu’hier, un homme est passé à la mairie juste après la famille de la personne décédée avec des suspicions de Covid. Il s’est assis sur la même chaise que des potentiels cas contacts, et a pris le même stylo que lui tendait l’agent de mairie !”, s’exclame-t-il. Du côté du CHM, le directeur adjoint de la qualité et des relations avec les usagers Nawaldine Soulaimana assure pourtant que le nouveau décret donne aux familles un mois après la crise sanitaire pour remettre les documents à la mairie. “Des familles avaient entendu que l’état civil de Mamoudzou était ouvert, et s’y sont donc rendues”, explique-t-il. D’après lui, il suffirait donc de fournir la demande de transport faite à l’opérateur funéraire et le certificat de décès pour pouvoir enterrer leurs proches. “Mais ce certificat n’a rien à faire entre leurs mains, il doit rester avec le corps et c’est ensuite à l’opérateur funéraire de faire les démarches dématérialisées. Concernant le décret de Mr le Premier ministre, en aucun

cas il ne fait référence aux familles pour la transmission dématérialisée des éléments nécessaires à l’accomplissement des formalités en mairie”, conteste Jean Lhuillier. “S’ils continuent comme ça, on va tout droit vers la catastrophe”.

 

Des pizzas au goût solidaire

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Si l’intrusion du covid-19 dans notre quotidien modifie radicalement nos habitudes, elle est aussi l’occasion de révéler de belles chaînes de solidarité. Et sur ce point, certaines entreprises sont à la pointe. C’est le cas de l’hôtel Caribou qui, chaque soir, offre des pizzas aux services mobilisés dans le cadre de la lutte contre le virus.

Sur les réseaux sociaux, l’appel a été vu par quelque 500.000 internautes et relayé 2.500 fois à travers le territoire national, en métropole comme en Outre-mer. Cet appel, c’est une courte vidéo réalisée par Bruno Garcia, gérant de l’hôtel Caribou, à Mamoudzou, dans laquelle il invite ses collègues restaurateurs à se montrer solidaires des personnels particulièrement mobilisés en cette période de crise sanitaire. Au centre de l’attention : les soignants, mais aussi les pompiers et les forces de l’ordre. Extrait : “Je suggère de rendre un hommage aux personnes qui nous aident aujourd’hui [en mettant] à disposition une dizaine de pizzas gratuitement pour qu’ils puissent avoir aussi un moment de plaisir. Ils sont là pour nous aider, ils sont là pour nous sauver, pour sauver notre famille, sauver des gens que l’on connait”, y explique-t-il en concluant que “c’est aussi à nous d’être là, d’être présents et de faire quelque chose pour eux. J’en appelle à tous les restaurateurs ouverts en vente à emporter à faire chacun de son côté, un geste de façon que l’on puisse s’en sortir.” Une bonne action à laquelle il participe évidemment lui-même, en plus de mettre à disposition sept des chambres de l’hôtel afin que le personnel de ces mêmes institutions puisse se reposer entre deux gardes ou s’ils ne peuvent rentrer chez eux entre deux journées ou nuits de travail.

Si le personnel du CHM était dans un premier temps les principaux bénéficiaires de ces pizzas, le dispositif solidaire s’est ouvert aux pompiers et forces de l’ordre : “nous changeons chaque soir, mais en privilégiant tout de même le CHM puisque nous leur consacrons des livraisons des pizzas chaque soir par semaine.” Une solidarité à laquelle les clients peuvent aussi participer puisque, inspiré par l’un d’entre eux, le restaurateur a également inauguré le principe de la pizza solidaire. Le client, qui peut d’ailleurs faire connaître son identité s’il le souhaite, peut acheter une – ou plusieurs – pizza au service de son choix, qui est ensuite directement livrée.

Une initiative qui a fait des émules puisque, dans la foulée de la publication, elle s’est propagée à La Réunion, en Guadeloupe, mais aussi en métropole grâce à Internet, mais aussi via des médias plus traditionnels puisque des radios comme “Radio Freedom à La Réunion mais aussi France Bleu en métropole m’ont contacté pour la relayer”. Mais sans aller aussi loin, certains de ses confrères du 101ème département ont aussi repris l’idée. C’est le cas notamment du bar-restaurant Chez Cousin, ou d’une chaîne de pizzéria qui officie dans le sud de l’île. Une satisfaction pour Bruno Garcia : “Le but était que cela accroche, d’encourager cette solidarité. Et cela a pris. Mon objectif avec cet appel était de dire qu’il fallait qu’on s’y mette tous, chacun à notre niveau. Je ne pensais pas que cela serait autant relayé et c’est pourtant le cas, c’est une très bonne chose de voir que cette solidarité prend.”

 

Mayotte dans le spectre d’une pénurie alimentaire

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Les aides alimentaires semblent partir d’une bonne intention. Pourtant, cette initiative pourrait rapidement vider les rayons des magasins et provoquer une pénurie sur l’île, dans quelques semaines, si les acteurs sociaux ne changent pas de stratégie.

Depuis le début du confinement, les communes mettent tout en place pour que les familles défavorisées puissent manger à leur faim. Pour cela, des distributions de denrées alimentaires sont organisées sur l’ensemble de l’île. Mais si aux premiers abords cette stratégie vient en aide à une partie de la population, elle peut également provoquer une pénurie alimentaire dans les magasins. À l’heure actuelle, Mayotte n’en souffre pas, mais si les centres communaux d’action sociale (CCAS) continuent sur cette lancée, les semaines à venir risquent d’être critiques pour les Mahorais. “Les CCAS nous demandent des devis très conséquents, et ils veulent les mêmes produits en grosse quantité”, indique Fahridine Mlanao, le directeur de Sodifram. Les produits concernés sont ceux de première nécessité comme le riz, la farine, l’huile, ou les produits de bébé. “Pour le moment, nous ne sommes pas en pénurie, mais si ça continue ainsi, les familles qui n’ont pas droit à ces aides ne trouveront plus ces produits dans quelques semaines”, ajoute le directeur de la société Sodifram. Pourtant, au début de la crise, les associations affirmaient qu’elles feraient appel aux dons des magasins. Ces derniers donneraient leurs invendus encore comestibles et utilisables. Mais cela ne semble pas suffisant et a priori la politique a changé en cours de route.

“On ne trouve pas ce qu’on veut, quand on veut, dans la quantité qu’on veut”

Fahridine Mlanao affirme qu’ils devront refuser certains devis exorbitants. D’autant plus que les CCAS demandent à être livrés très rapidement. Il conseille plutôt aux centres communaux d’action sociale de distribuer des bons alimentaires. “De cette façon, chacun peut acheter ce dont il a réellement besoin, et on évitera peut-être de créer une crise dans la crise”, explique-t-il.

C’est un fait, la crise du Covid-19 fait tourner le monde au ralenti, et la grande distribution n’est pas épargnée, au contraire. “On peut aussi craindre une pénurie à cause du confinement mondial. Certains fabricants ne produisent plus, ou pas en quantité suffisante. Du point de vue des approvisionnements, on ne trouve donc pas ce qu’on veut, quand on veut, dans la quantité qu’on veut” , déclare Fahridine Mlanao. La situation se complique également car les navires ont du retard puisqu’à l’échelle internationale certains ports sont fermés ou travaillent très peu. Le directeur de Sodifram nous affirme également que les quelques bateaux qui partent de la France hexagonale n’intègrent pas leurs marchandises parce qu’ils sont déjà trop chargés. “Nous avons saisi la préfecture concernant ce problème parce qu’à cause de cela on risque aussi d’être en rupture”, précise-t-il.

Il est donc important que les acteurs sociaux changent leur stratégie d’aides alimentaires, autrement les conséquences se feront sentir pendant le mois de ramadan qui approche à grands pas

 

Matériel sanitaire, liaisons aériennes, Mistral, RSMA, ramadan… le préfet de Mayotte revient sur les dossiers chauds

Les journées sont chargées pour les autorités. Représentant direct de l’État à Mayotte, le préfet Jean-François Colombet nous répond sur crise du Covid-19. Équipement sanitaire, liaisons aériennes, porte-hélicoptères Mistral, confinés du RSMA et ramadan : le haut fonctionnaire fait le point.

Flash Infos : Un avion de la présidence de la République s’est posé hier matin à Mayotte avec du matériel médical pour le CHM. Dans le détail, de quoi s’agit-il ?

Jean-François Colombet : De masques haute protection. Presque une tonne de masques qui étaient très attendus. C’est extrêmement important, car nous en avions besoin. Ils ont immédiatement été remis à l’agence régionale de santé (ARS). Ce vol n’était pas prévu pour cela il y a quatre semaines, mais lorsque la crise est montée en puissance, nous en avons profité pour remplir ses soutes de ce dont nous avions besoin en urgence absolue. Il n’est d’ailleurs pas exclu qu’il refasse un aller-retour depuis La Réunion [ce matin] pour que l’on charge ses soutes à nouveau afin de ramener une dizaine de tonnes de fret sanitaire : masques, gel, etc.

FI : À l’annonce de l’arrêt des liaisons commerciales, la question de l’approvisionnement et surtout de la rotation des matériels pour le CHM, notamment pour les bombonnes d’oxygène, s’est posée. Un pont aérien est-il au programme ?

J-F. C. : Le sujet de l’oxygène est réglé depuis longtemps puisqu’il est à bord du navire de la Marine nationale qui arrive. Concernant le pont aérien, j’ai eu une visioconférence durant deux heures [avant-hier] avec la ministre des Outre-mer, Annick Girardin. Nous avons sollicité deux allers-retours entre La Réunion et Mayotte par semaine, en Dreamliner, pour à la fois amener du personnel qui nous est indispensable, transporter des évacuations sanitaires dans les meilleures conditions, et ramener 16 tonnes de fret à chaque vol. Cela nous amènerait à un potentiel de 32 tonnes de fret par semaine, sanitaire et hors sanitaire. Cette proposition a été arbitrée [hier après-midi] par le premier ministre lors de la cellule “décision” en centre interministériel de crise (CIC). Nous sommes confiants. D’ici à ce que le contrat d’affrètement soit signé, nous avons un vol militaire qui arrive jeudi avec 4 ou 5 tonnes de matériel sanitaire et des personnels, car cet avion, un Casa, peut embarquer les deux.

FI : À propos de l’arrivée prochaine du Mistral à La Réunion, sa mission reste assez floue. Quelle sera-t-elle ? Et Mayotte en bénéficiera-t-elle également ?

J-F. C. : Le président de la République a dit qu’il y aurait deux porte-hélicoptères amphibies de déployés : un entre la Guadeloupe et la Martinique, et un dans l’océan Indien pour desservir Mayotte et La Réunion. Ce navire est polyvalent et peut remplir la mission qu’on lui affecte en fonction de l’armement qu’on lui donne. Aujourd’hui, il est trop tôt pour dire quelles missions il va assurer ici, mais ce qui intéressant, c’est qu’il peut tout à fait transférer des personnels et des patients sous réanimation, par exemple, ou servir à faire venir des choses volumineuses et lourdes, car sa capacité d’emport de fret est phénoménale. Son potentiel est très polyvalent. Il faut donc se réjouir de l’arrivée du Mistral sur zone.

Alors est-ce qu’il sera à La Réunion ou à Mayotte ? Je dirais que ce n’est pas un sujet : il ira là où on aura besoin de lui. Ce bateau est capable de rallier les deux îles en deux jours, il est extrêmement véloce. De quoi nous rendre de grands services et nous être tout à fait utile si nous entrons dans une

phase épidémique. Les Martiniquais et les Guadeloupéens ne sont pas dans ce débat de savoir où sera le Dixmude : le sujet est qu’il soit présent dans la zone, c’est ce qui est important.

FI : Les confinés en quatorzaine au RSMA se sont plaints de leur sort. Quelle est votre réponse ?

J-F. C. : Déjà, je comprends que les gens qui sont obligés d’être confinés au RSMA éprouvent soit de la colère, soit des difficultés à y rester. C’est humain. En même temps, je ne peux pas accepter toutes les critiques. On me dit que les gens qui reviennent de cette région de Madagascar sont sains parce que cette zone ne connaitrait pas la circulation du virus. Mais il est difficile de l’établir objectivement, je n’ai pas d’autorité sanitaire capable de me l’assurer. Sont-ils restés dans cette région ? Ont-ils fréquenté des Malgaches qui, eux-mêmes, étaient contaminés en venant d’autres régions ? Je ne le sais pas.

Ce que je sais en revanche, c’est qu’on ne peut pas me dire à la fois que ces gens ne présentent pas de danger sanitaire et dans le même temps invoquer l’explosion d’une bombe virale. Cela n’est pas cohérent. Cette mesure de confinement contrôlé que j’ai mise en œuvre sur instruction écrite du gouvernement, à La Réunion les élus – et quels que soient les partis politiques – se sont tous mobilisés pour l’obtenir. Aujourd’hui, 600 personnes y arrivent chaque semaine et vont être confinées pendant 14 jours dans des gymnases, etc. : là où ils seront sous le contrôle des autorités.

Il y a donc une approche de ce sujet qui me fascine, bien que je sache d’où vient le trouble. On sait bien qu’une personne, par ailleurs très paisible au quotidien me dit-on, a des relations dans la presse et dans la politique. Il crée le trouble et menace de porter plainte contre le préfet. Moi, j’ai pris cette décision et je l’assume complètement, car je l’ai fait pour protéger les Mahorais. Je suis convaincu que, s’il y avait dans ce groupe des gens contaminés et qu’on les lâche dans la nature, nous prendrions un risque inconsidéré. C’est ce qu’on appelle le principe de précaution : on n’est pas certain que le risque puisse arriver, mais comme cela peut être le cas et créer des dégâts considérables, on prend la précaution de garder les gens 14 jours. Ce n’est pas la mer à boire.

FI : Un des reproches formulés est le fait de partager des chambres à plusieurs alors que distanciation sociale est le mot d’ordre…

J-F. C. : Oui, et il y a même un élu qui a soutenu – avant de vérifier – qu’ils étaient 15 par chambre. Elles font 42 mètres carrés ces chambres, et ils sont quatre dedans. Dans la plupart des bangas où vivent aussi des Mahorais, des gens sont beaucoup plus condensés qu’ils ne le sont au RSMA. C’est inacceptable de dire ça. Les choses ont été faites sérieusement par des militaires. Ces confinés n’ont pas été confiés à n’importe qui, mais au colonel Jardin, dont chacun sait qu’il est parfaitement à la hauteur de cette affaire. Les familles ont été regroupées dans leur propre chambre et les gens isolés l’on été à quatre par chambre. S’ils veulent mettre en œuvre les gestes barrières et se protéger, ils peuvent le faire sans aucun problème. Cela relève de leur responsabilité personnelle d’appliquer les directives que nous appliquons ici depuis déjà trois semaines, et qu’ils n’appliquaient sans doute pas à Madagascar pour certains d’entre eux, bien que leur statut aurait dû les conduire à être attentif à la situation.

Je suis convaincu en mon âme et conscience d’avoir pris la bonne décision, tout simplement parce que c’est celle dont j’ai reçu instruction par le gouvernement et que c’est mon métier de les faire appliquer. Par ailleurs – et alors que nous n’avions que 12h pour l’organiser –, je pense l’avoir fait dans des conditions optimales et avec une assistance sanitaire permanente. Si quelqu’un venait à être en danger, l’ARS me l’indiquerait immédiatement et je ne mettrai pas 1h pour décider d’extraire la personne. Ce que nous avons d’ailleurs fait pour une dame diabétique dès le samedi soir.

Je maintiendrai donc ma décision, car je suis convaincu que c’est en faisant cela que je protège les Mahorais. J’exerce mes responsabilités, je les prends et je les assume. Si l’individu en question considère qu’il est en danger, il peut faire un référé liberté : cela sera jugé dans les 8 heures maximum et si le juge le décide, il le libèrera.

Enfin, pour ceux qui se plaindraient du confort, je rappelle qu’il y a 600 jeunes Mahorais qui passent, chaque année, plusieurs mois dans ces locaux. Ils en retiennent les valeurs qu’ils ont retenues et les métiers qu’ils ont appris, et non de l’état des chambres. Donc exprimons un tout petit peu de pudeur, prenons notre mal en patience et soyons raisonnables en ne mettant pas en danger la communauté mahoraise. Mais de manière générale, l’esprit du groupe n’est pas celui qui est relaté ici ou là.

FI : Il se pourrait que le confinement soit de nouveau prolongé à l’issue de celui en cours. Or, une question commence à se poser, celle du ramadan. Avez-vous commencé à étudier la question avec les autorités religieuses et donnerez-vous des consignes strictes pour cette période ?

J-F. C. : Le ramadan est un sujet majeur pour moi. Cette période est extrêmement importante pour ceux qui pratiquent le culte que nous retrouvons majoritairement à Mayotte. Or, nous avons une équation à résoudre : une pratique du ramadan égale à une non-prolifération du Covid-19. Pour y répondre, je vais constituer dès [aujourd’hui] un groupe que je souhaite composé uniquement de Mahorais, de pratiquants hommes et femmes. Je compte faire appel à des responsables comme les parlementaires, quelques maires, le grand cadi, le président de l’Union des familles de Mayotte, etc. En somme, des personnes qui pourront réfléchir au sujet et formuler dans une semaine des propositions pour répondre à cette question : comment conjuguer la fête du ramadan et la protection individuelle de chacun contre le virus ? Une semaine pour avoir des solutions cohérentes, bien adaptées au territoire, bien adaptées à la pratique locale et qui permettent tout à la fois de pratiquer le culte et de protéger la communauté.

Le sujet est sensible, il faut donc naturellement qu’il soit porté par ceux qui le connaissent réellement et qui connaissent ce qu’il implique dans les familles. Je compte beaucoup sur ce groupe pour avoir des pistes intéressantes à mettre en œuvre et pour convaincre les Mahorais de les emprunter.

 

Une pétition en ligne pour alerter sur la situation à Mayotte

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Étudiant en droit international à Bordeaux, Soilihi Mascati a lancé une pétition en ligne* le week-end dernier pour réclamer aux autorités l’armement médical du porte-hélicoptère amphibien Mistral qui doit venir en aide à Mayotte et à La Réunion. Le jeune homme dénonce notamment le mépris du gouvernement à l’égard de la population.

“Je suis inquiet par ce qu’il se passe à Mayotte !” Du haut de ses 25 ans, Soilihi Mascati ne cache pas son anxiété face à la propagation du Coronavirus. Depuis son appartement situé à Bordeaux où il suit un master en droit international, le jeune homme n’oublie pas pour autant son île natale. “Ma mère vit avec l’un de mes grands frères qui est handicapé. Je suis très préoccupé par rapport à eux, je dors mal depuis une semaine… Je prie pour qu’ils ne soient pas atteints par le virus, sinon ce serait catastrophique”, confie-t-il d’une voix tremblante. Si la technologie d’aujourd’hui lui permet de prendre quotidiennement des nouvelles de sa famille, il ne peut s’assurer que celle-ci applique les gestes barrières et respecte le confinement imposé par l’État. Pour ne pas tomber dans la paranoïa, il repose alors tous ses espoirs sur la religion. “J’espère au moins qu’ils se lavent les mains pendant les heures de prière”, imagine la boule au ventre Soilihi Mascati, dont le nom fait tout simplement référence à la capitale d’Oman.

Et c’est sa situation familiale qui le pousse, le week-end dernier, à lancer une pétition en ligne, adressée à Édouard Philippe et Emmanuel Macron. “Il est primordial que des efforts supplémentaires soient mobilisés à Mayotte pour pallier une insuffisance structurelle et personnelle en matière hospitalière : avec seulement 16 lits en réanimation pour un peuplement de près d’un demi-million d’habitants, dont 84 % vit sous le seuil de pauvreté, 54 % dans une habitation indigne et 29 % n’a pas accès l’eau courante dans son logement”, énumère-t-il solennellement. Avant d’ajouter : “Ici, vous l’aurez compris, le confinement paraît complexe et impossible à mettre en place pour la majorité des concernés : il faut donc armer médicalement le Mistral.” Son appel reçoit notamment dans les premières heures le soutien du député LR Mansour Kamardine, qui n’hésite pas à le relayer sur sa page Facebook pour apporter du poids à ce pavé jeté dans la marre.

“Je voulais me sentir utile pour mon île”

Mais en plus de son message de détresse, l’étudiant met également en porte à faux les politiques menées ces dernières années, pointant ainsi du doigt “le mépris ou le manque de volonté du gouvernement à l’égard de notre population, qui a du mal à obtenir ses droits”. De ce fait, Soilihi Mascati espère de la jeune génération, bercée depuis sa plus tendre enfance par la devise Ra Hachiri, un sursaut d’orgueil. “Il faut que nous soyons capables de contredire les autorités et de proposer ce qui sera meilleur pour notre avenir, sinon on continuera de nous imposer une vision qui n’est pas la nôtre”, s’alarme-t-il.

Malgré la distance qui sépare la métropole de Mayotte, Soilihi Mascati souhaite faire entendre sa voix. “Je voulais me sentir utile pour mon île”, admet-il. Et selon lui, il est de son devoir de rappeler l’existence du 101ème département dans la République française. Fait qu’il rabâche dans sa pétition : “Il serait inhumain, inconcevable, sadique, voire criminelle de laisser des milliers de Mahorais mourir. […] Dans cette guerre, ne laissant aucun homme indifférent, reconnaissons aux Mahorais leur dignité dans leur francité.” Et visiblement, son discours séduit puisqu’il a déjà recueilli plus de 350 signatures sur les 500 espérées. Une fois cet objectif atteint, le site change.org lui offre la possibilité d’adresser son courrier aux destinataires visés, à savoir le premier ministre et le président de la République.

*https://www.change.org/p/edouard-philippe-mistralsavemayotte?recruiter=528708896&utm_source=share_petition&utm_medium=facebook&utm_campaign=share_petition&recruited_by_id=ad5bad30-055e-11e6-be1b-01b0320d7ccc&utm_content=starter_fb_share_content_fr-fr%3Av2 

 

L’inquiétude des pêcheurs mahorais face au confinement

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S’ils le vivent différemment, pêcheurs professionnels comme informels subissent tous les effets du confinement. Aléas économiques et force des choses pour les uns, contrôles des forces de l’ordre pour les autres, ils sont de plus en plus nombreux à devoir laisser leur bateau au rivage. Avec un risque de pénurie de poissons pour les ménages, alors que le ramadan approche.

“C’est de plus en plus difficile, pour vendre mais aussi pour se nourrir. Hier encore, les policiers sont venus pour nous dire de rentrer chez nous, et nous n’avons pas pu aller pêcher. Même pour nourrir mes cinq enfants, je ne peux plus y aller. Je ne sais pas quoi faire, je ne connais que ce métier…”. Une voix douce de femme traduit du shimaoré en français ce témoignage d’un pêcheur de Nyambadao, couvert par les cris de ses enfants à l’arrière du combiné. En temps normal, de 15h à 6h du matin, Mohammed sillonne chaque jour les eaux du lagon pour se nourrir et pour vendre directement le fruit de sa pêche à son retour, ou par le bouche-à-oreille. Mais depuis la mise en place du confinement, sa tâche est rendue chaque jour plus ardue. Jusqu’à ce dimanche, et l’intervention des forces de l’ordre. “Depuis hier (dimanche), personne n’est parti à la pêche”, raconte-t-il.

Vendredi 20 mars, le préfet de Mayotte Jean-François Colombet a en effet signé un arrêté préfectoral portant interdiction de tout accès aux plages du littoral et plans d’eau et aux sentiers qui y mènent, effectif au moins jusqu’au 15 avril. Face aux regroupements de personnes constatés par les forces de l’ordre, cet arrêté est venu renforcer le confinement décrété dès le mardi 17 mars pour lutter contre l’épidémie de coronavirus. Mais les pêcheurs sont normalement encore autorisés à exercer, car “c’est une activité économique et cela doit continuer”, précise la préfecture. Le problème : les pêcheurs informels, qui représentent encore une part importante de ce secteur économique à Mayotte – toutes activités confondues, les entreprises informelles constituent les deux tiers des entreprises marchandes, d’après un rapport de l’INSEE de 2015 – ne peuvent bénéficier de dérogation que sur la base d’une carte professionnelle.

Quand ils ne font pas l’objet de contrôles, ces pêcheurs non professionnels continuent toutefois tant bien que mal d’exercer leur activité. Sur le remblai de Mtsapéré, aux abords de la mangrove, ils sont encore au moins une vingtaine à alpaguer les rares clients pour leur vendre leur pêche du jour. Entassés dans les bacs réfrigérants, des mérous, des rougets et des thons de toutes tailles attendent d’être vendus, ou mangés par les pêcheurs eux-mêmes. “On s’en sort, mais c’est difficile en ce moment”, confirme le vendeur en posant un gros mérou rouge sur la balance, pendant que ces congénères tentent de lui faire concurrence en criant leurs prix. “Six euros le kilo !”

Des pêcheurs professionnels en panne d’essence

Du côté de la Copemay à Mamoudzou, c’est plutôt le manque de pêcheurs qui pose problème. Ils sont chaque jour de moins en moins nombreux à aller sur l’eau et à ramener leurs produits jusqu’à la coopérative. Car même les professionnels ont du mal à pêcher, ces temps-ci. “Nous sommes tous un peu bloqués”, confirme Abdallah Issouffi, vice-président de la chambre de l’agriculture, de la pêche et de l’aquaculture de Mayotte (CAPAM), en charge de la pêche. En cause, principalement : le ravitaillement en essence. Les pêcheurs munis de leur carte peuvent normalement bénéficier d’un carburant détaxé, qui s’élève ce mois-ci à 0,80 euro le litre contre 1,45 euro sans la décote, d’après le responsable de la CAPAM – sur le site de la préfecture, les prix maximums pour le mois de mars s’élèvent à 1,01 euro le litre du mélange détaxé contre 1,54 euro le super sans plomb. Pour obtenir cette essence à bas coût, les pêcheurs de Mayotte se rendent d’habitude à la station des Hauts-Vallons, qui possède un guichet sécurisé dans lequel ils peuvent payer en espèces. Or, avec leconfinement et face aux risques de propagation du virus, les pêcheurs ont été invités à payer en carte bleue à la station de Petite-Terre. Mais “la plupart d’entre eux n’ont pas de carte”, poursuit Abdallah Issouffi. Jusqu’à présent, il leur restait de l’essence qu’ils avaient achetée pour le mois. “Désormais, ils vont devoir demander à des amis de payer pour eux.”

Une situation à laquelle est déjà confronté Assoumani, un pêcheur professionnel de Petite-Terre. “Tous les bateaux sont arrêtés et il n’y a plus que le mien sur l’eau actuellement”, décrit-il. “La plupart n’ont pas de carte et me demandent de prendre de l’essence pour eux, mais je ne peux pas, car toutes ces dépenses entrent dans ma comptabilité et dans les impôts que je paie”. Or si les bateaux ne sortent plus, la pénurie de poisson risque vite de se faire sentir. Djeb, qui détient une poissonnerie en Petite-Terre en ressent déjà les effets. “Aujourd’hui, je suis fermé, j’ai déjà vendu tout mon stock, qui n’est pas renouvelé, car les bateaux ne sortent pas”, déplore-t-il lui aussi. Et à quelques semaines du ramadan, ce manque risque aussi de peser dans le panier des ménages, en poussant les prix à la hausse. “J’ai déjà des centaines d’appels de gens qui me demandent où trouver du poisson ! Que voulez-vous, quand un produit manque, ça devient de l’or”, conclut Abdallah Issouffi

 

“J’ai dû mentir sur ma fièvre pour être pris en charge”, un policier malade témoigne

Un policier, hospitalisé depuis ce lundi au CHM après avoir contracté le Coronavirus regrette la prise en charge dont il a été l’objet jusqu’à présent. Selon son témoignage, ce père de famille aurait été conduit à mentir sur son état pour, qu’enfin, un dépistage lui soit proposé.

“Je ne vais pas pouvoir vous parler longtemps, car je suis très essoufflé.” Au téléphone, la voix d’Antoine* est faible, à son image. Depuis ce lundi, le policier atteint par le Coronavirus est hospitalisé au centre hospitalier de Mayotte. Ce qui ne l’empêche, entre deux quintes de toux, de pester contre la prise en charge dont il a été l’objet depuis les premiers signes de la maladie. Lesquels sont apparus vendredi 20 mars selon son témoignage. “J’ai ressenti les mêmes effets que ce qui est décrit partout à la télé et à la radio”, raconte le fonctionnaire de police. Le jour même, il adopte la démarche à laquelle les autorités invitent : appeler le 15 en cas de suspicion de Covid-19. “J’ai eu une dame qui m’a expliqué que ça n’avait pas l’air trop sérieux, que ce n’était sans doute ni la dengue ni le Coronavirus”, confie faiblement Antoine. Le père de famille laisse alors passer le week-end, sans que son état ne s’arrange. Le lundi, il pose un arrêt de travail. Et contacte à nouveau le 15. L’échange est sensiblement le même que celui de vendredi. Mais dès le lendemain, la situation devient trop critique pour que le policier accepte l’immobilisme. “Mon état s’était aggravé et surtout, je voyais ma femme et mes enfants tomber malade un par un, je ne pouvais pas rester les bras croisés”, témoigne encore Antoine de sa faible voix résonnant dans la chambre d’hôpital qu’il occupe.

“Comme j’avais peur qu’il ne se passe toujours rien, j’ai décidé de mentir sur ma température et ils nous ont finalement dit de venir au CHM”, souffle le policier. La petite famille malade embarque donc vers le centre hospitalier où ils seront dépistés positifs au Coronavirus. Pas vraiment une surprise pour Antoine, mais celui-ci espère dorénavant que la prise en charge sera efficace. Il déchante rapidement. “Je ne comprends pas, nous n’avons eu aucun suivi, on nous a simplement donné deux numéros à appeler si l’on voyait que les signes s’aggravaient.” Selon le policier, l’un de ces numéros, pourtant national, ne serait accessible qu’à travers un abonnement chez le fournisseur Only. “C’est l’ARS qui m’a expliqué ça ensuite et j’ai vérifié, ça ne marche pas avec mon téléphone et mon forfait Bouygues Télécom, mais avec celui de ma femme qui est chez Only ça fonctionne”, assure encore le fonctionnaire.

Suivi opéré par le médecin de famille

C’en est trop pour le père de famille, qui décide alors de passer, malgré sa petite forme, un coup de gueule sur les ondes de la 1ère. Il témoigne alors, dans une émission en direct le vendredi 28 de la prise en charge plus que “magnéné” dont a bénéficié sa famille jusqu’alors. Un discours peu audible par les représentants de l’agence régionale de santé également présents à l’antenne. Mais Antoine persiste et signe. “Et comme par hasard, juste après avoir raccroché, on [Antoine ne se souvient plus s’il s’agit de l’ARS ou de Santé publique France] m’a appelé pour me proposer des gants, du gel et des masques.”

Depuis, c’est sur le médecin de famille que le patriarche compte pour suivre l’évolution de toute la troupe. Lequel médecin fait éventuellement le lien avec d’autres si besoin. Pour la femme et les enfants d’Antoine, cette nécessité ne s’est pas fait sentir. “Ils ont été mal pendant 48 h et depuis ça se calme petit à petit”, détaille le policier. En revanche, le médecin traitant a dû intervenir ce lundi. “Il m’a appelé dans la matinée pour faire le point, je toussais beaucoup, j’avais du mal à respirer, je n’ai même pas pu vraiment aller au bout de la conversation”, se souvient Antoine. Devant l’urgence, le médecin alerte le Samu pour qu’Antoine soit hospitalisé. C’est désormais chose faite depuis celundi soir, “après un scanner qui n’était pas bon”. Mardi après-midi, le policier se sentait déjà un peu mieux et se disait confiant dans les équipes qui l’entourent au CHM. Nous lui souhaitons un prompt rétablissement.

 * le prénom a été modifié

 

Une carte sur le nombre de décès à Mayotte qui trompe énormément

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Depuis hier, une carte publiée par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) fait largement parler d’elle. En cause : elle met en avant le nombre de décès par jour et par département par rapport à la même période l’année dernière. Une initiative destinée à apporter un éclairage journalier sur les conséquences de l’épidémie de Covid-19 en termes de mortalité. Problème : Mayotte y apparaît comme le département où cette hausse est la plus forte, avec une augmentation de 40 % sur la période du 1er au 16 mars. Rien de moins. De quoi exciter les esprits et faire dire qu’on nous cache quelque chose ! La réalité est toutefois beaucoup plus simple. “L’Insee a décidé de mettre en place un dispositif renforcé du suivi des décès en essayant de donner l’information la plus fraîche possible sur cette donnée”, explique le chef régional de l’institut, Jamel Mekkaoui qui concède toutefois que cette carte est, pour ce qui concerne Mayotte en tout cas, “un peu ennuyeuse”. Car si “sur cette publication, on peut en effet remarquer des éléments de surmortalité pour le Haut-Rhin ou la Picardie par exemple (qui étaient parmi les premiers foyers de Covid-19 en métropole, NDLR), la forte augmentation du nombre de décès chez nous n’a rien à voir du tout avec le virus.”

Et pour cause : non seulement le document recense les décès toutes causes confondues, mais le premier cas avéré de personne porteuse du virus chez nous n’a eu lieu que le 14 mars, et le premier décès potentiellement lié au Covid-19 n’a été à déplorer que lundi 30. Aussi, les raisons de cette augmentation sont à chercher ailleurs. “La dengue, qui demeure pour le moment l’épidémie qui fait le plus de mal au territoire, pourrait être une hypothèse. En l’ajoutant à l’aléa statistique, nous serions dans les clous”, remarque prudemment Jamel Mekkaoui. Et de rappeler, quoi qu’il en soit, que ces 40 % de hausse correspondent à 12 décès supplémentaires pour le 17 mars par rapport à l’an dernier. Soit 43 décès contre 31 en 2019 : des chiffres assez petits et donc “très peu significatifs”.

 

À Mayotte, les deux chantiers prioritaires qui occupent Dominique Voynet

Ce lundi, la directrice générale de l’agence régionale de santé, Dominique Voynet, a dressé le bilan bihebdomadaire de la situation sanitaire à Mayotte. Elle est longuement revenue sur les cas avérés au Coronavirus avant de s’attarder sur la suppression des vols et la préparation à la phase épidémique. Dernière information à prendre avec des pincettes : hospitalisé pour des problèmes pulmonaires, un homme, testé positif au Covid-19, est décédé hier matin.

La barre symbolique des 100 cas avérés se rapproche à grands pas. Avec 82 personnes testées positives ce lundi au Covid-19, Dominique Voynet, la directrice générale de l’agence régionale de santé, a évoqué une dispersion du virus sur le territoire et non pas une circulation à proprement parler (il faut atteindre 30 cas pour 100.000 habitants). “Cela devient un peu plus difficile de comptabiliser, car certains ont une double identité”, a-t-elle relaté, précisant que le centre hospitalier de Mayotte recensait 579 tests dimanche. “Beaucoup de personnes présentent des signes cliniques, mais nous observons un grand nombre de viroses saisonnières.” Entre 8 et 10 malades sont considérés comme viraux. Et sur les 10 patients hospitalisés, trois se trouvaient en réanimation, dont deux dans un état stable. Le dernier, un homme âgé d’une petite cinquantaine d’années, a été admis dimanche soir et est décédé ce lundi matin. Il était arrivé à l’hôpital pour des signes pulmonaires modérés et avait été testé positif à son entrée. “La cause première de sa mort pourrait ne pas être le Coronavirus, la liste de ses pathologies suffit à expliquer son décès. Nous allons analyser son cas avant de confirmer quoi que ce soit. Mais si nous considérons qu’il s’agit vraiment du Covid-19, nous le dirons sans sourciller”, a-t-elle souligné pour rappeler son souci de transparence à l’égard de la population.

Dominique Voynet est également revenue sur la prolifération des cas groupés, à l’image des 17 soignants, ou encore de ceux liés à l’élection municipale dans le sud de l’île. Idem au sein même des familles où une personne a contaminé l’ensemble de ses proches. Face à ce constat, la directrice de l’ARS a décidé de prendre le taureau par les cornes. “Certains positifs ont du mal à se tenir à l’écart à la maison. C’est la raison pour laquelle l’équipement d’infrastructures non médicales remonte au-dessus de la pile des projets à aboutir rapidement.” Autre exemple probant ? Celui d’un agent dans un service de sécurité qui n’aurait respecté aucunes règles de distanciation sociale. “La décision a été prise d’isoler totalement cette unité pour rassurer. Aucun ne présente un état de santé préoccupant.”

Quid du fret et du rapatriement du personnel de santé ?

En parallèle de la propagation du virus, Dominique Voynet s’est attardée sur les annonces du week-end. En ligne de mire : la gestion des conséquences de la suppression des vols depuis Paris et la fermeture du trafic aérien. “Je suis préoccupée par la nécessité d’acheminer tout le fret en souffrance au CHM dans lequel il y a du matériel important et urgent.” Relatant ainsi le remplissage des bouteilles d’oxygène vides ou les analyses complexes de diagnostic prénatal. Toutefois, elle a tenu à rassurer sur le stock conséquent dont disposait l’établissement, en raison des délais d’acheminent relativement longs en temps normal… Mais ce n’est pas sa seule problématique. Il y a aussi le rapatriement des professionnels de santé qui sont en métropole ou à La Réunion, comme les équipes qui accompagnement les évacuations sanitaires ou les personnels de renfort et de relais qui sont recrutés depuis déjà plusieurs semaines. “Des infirmières de blocs opératoires, des médecins et des pharmaciens libéraux se retrouvent le bec dans l’eau”, a-t-elle détaillé.

Craignant un pic épidémiologique plus tard que prévu – sous-entendant un confinement prolongé à Mayotte par rapport à la métropole —, la directrice de l’ARS a dévoilé les chantiers en cours de préparation, comme le renforcement des relations avec le réseau des libéraux et la mobilisation des ressources communautaires (associations sportives, entreprises, etc.) pour diffuser les bons gestes, car “certains ne les comprennent toujours pas” tandis que d’autres “ont des réticences ou des rejets”. Concernant la réorganisation de l’hôpital, elle s’est montrée relativement confiante sur la capacité de l’établissement. “Actuellement, nous avons 16 lits de réanimation autorisés. Notre objectif est de monter à 50, sachant que nous avons 80 respirateurs pour les équiper.” Seul bémol : le matériel en question évolue selon sa provenance (anesthésie, urgences, transport, pédiatrie, etc.). “Pour qu’il soit fonctionnel, il nous faut des valves, des raccords, des produits pour le désinfecter…” De ce fait, Dominique Voynet a profité de la commande publique auprès de Air Liquide pour alerter les autorités compétentes sur la situation sanitaire à Mayotte. “L’ambition est de bénéficier du stock national pour nous aider en cas de panne, même si des régions comme le Grand Est et l’Île-de-France sont prioritaires. Mais une cellule Outre-mer anticipe nos besoins en fonction des délais d’acheminement. Nous ne sommes pas abandonnés à notre sort”, a-t-elle conclu, reprenant ainsi les mots d’Annick Girardin, la ministre des Outre-mer, qui a certifié que l’État ne délaissera pas les populations fragiles.

 

« Ne pas ajouter une crise alimentaire à la crise sanitaire mahoraise »

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Sur une île aux nombreuses problématiques sociales, la crise sanitaire a tôt fait d’être doublée d’une crise alimentaire. Pour l’éviter, une vaste distribution de denrées alimentaires débutera vendredi. Jérôme millet, sous-préfet à la cohésion sociale, détaille l’opération.

Flash Infos : À compter de vendredi se tient une opération de soutien alimentaire à destination des plus démunis. Comment va-t-elle s’organiser ?

Jérôme Millet : Avec le concours des forces armées, en particulier du département de la Légion étrangère de Mayotte (DLEM), parce qu’ils savent le faire, ils en ont l’expertise. Ils ont en effet déjà procédé à des distributions de denrées alimentaires dans certains pays. Nous nous appuyons donc sur leur savoir-faire.

Pour cette distribution, nous nous sommes basés avec le préfet sur une étude de l’Insee* qui a distingué différents types de quartiers à Mayotte. Dans toutes ces distinctions ressortent une demi-douzaine de zones où sont concentrées les plages de pauvreté : taux de chômage élevé, part des moins de 20 ans beaucoup plus importante qu’ailleurs, idem pour la part des ménages de cinq personnes et plus, etc. Nous nous sommes donc appuyés sur cette étude objective et scientifique pour identifier les quartiers qui doivent bénéficier d’un soutien alimentaire. Parce qu’en effet, le respect du confinement et les restrictions à la liberté d’aller et venir font qu’une partie de la population a des difficultés à trouver des moyens de subsistance. Il faut donc mettre en place cette distribution de denrées pour ne pas ajouter une crise alimentaire à une crise sanitaire.

L’État, le rectorat et les communes achètent à l’entreprise Panima des collations. On va utiliser une partie de ce qui aurait dû être distribué – mais pas seulement – dans les écoles depuis le début de la période de confinement, pour constituer des sachets. Vendredi matin, 30.000 d’entre eux, soit potentiellement 30.000 bénéficiaires, seront distribués. Nous allons y joindre – en fonction de ce que nous récupérerons – du savon, absolument indispensable pour se laver les mains et retarder la diffusion du virus. Nous allons commencer dès vendredi matin, avec toutefois une contrainte supplémentaire par rapport aux distributions alimentaires classiques : faire respecter les distances d’un mètre entre chacun des jeunes bénéficiaires de cette distribution. L’objectif est ensuite de procéder à une distribution tous les deux jours à compter de la semaine prochaine.

FI : Elle sera organisée via des points de distribution ?

J. M. : C’est cela. Nous allons nous appuyer, en lien avec le rectorat, sur les établissements scolaires, aux abords desquels elle aura lieu, car c’est plus pratique pour les militaires. D’ailleurs, nous allons aussi recourir aux citoyens volontaires qui se sont déclarés sur la plateforme jeveuxaider.gouv – plus de 1.000 à Mayotte à ce jour. Ils nous donneront un coup de main pour l’encadrement.

FI : Il est aussi question de collecte via la grande distribution et le don de particuliers…

J. M. : Oui, car cette distribution alimentaire est complémentaire des actions qui sont menées quotidiennement par les CCAS et les associations. Nous allons très certainement mettre en place un système de bons au profit des plus nécessiteux. Ils leur permettront d’aller dans les supermarchés pour retirer des produits alimentaires. Cela évite des distributions compliquées à mettre en application. Nous allons là toucher un public différent par rapport à la distribution alimentaire. Les bons sont plutôt utilisés par des mères de famille, par exemple. Mais il n’y a pas de hiérarchie dans les actions, tout est nécessaire et se conjugue.

*Les 36 quartiers prioritaires de la politique de la ville à Mayotte (juillet 2017).

 

Distribution alimentaire à Mayotte : un défi complexe mais indispensable

Alors que la faim se fait plus que jamais sentir dans les quartiers informels du fait du confinement et de l’impossibilité pour les parents de subvenir par leurs travaux journaliers aux besoins de leur famille, les institutions disent avoir pris conscience de l’urgence. Et annoncent la mise en place de différentes actions, dont la distribution des repas précédemment livrés dans les écoles.

“J’ai peur, j’ai vraiment peur. Il faut que mes enfants aient quelque chose à manger, il ne faut pas qu’ils meurent de faim”. Sur les hauteurs de Kawéni, Echati, entourée de ses cinq enfants ne peut contenir sa détresse. Comme des milliers de personnes depuis le début du confinement, chaque jour est une lutte pour la survie. “Avant, je pouvais aller au marché de Mamoudzou pour vendre mes produits, mais depuis que la maladie est arrivée, je ne peux plus bouger et je n’ai donc plus rien pour acheter de quoi manger. Nous n’avons plus de bananes, plus de riz et même l’eau est compliquée à se procurer”, se désole la mère de famille. Sur ses genoux ou à ses côtés sur le maigre banc, les bambins, eux gardent le sourire. Malgré la faim qui les tiraille. “Avec ce que je gagnais au marché, c’est aussi comme ça que je pouvais payer le goûter des enfants à l’école”, explique encore Echati. Une collation qui pour de nombreux élèves de ce quartier informel constituait le seul repas de la journée. Avant le confinement.

Face à cette situation des plus alarmantes, “j’ai l’impression qu’il y a une certaine prise de conscience des institutions, on nous appelle pour savoir si l’on serait d’accord pour participer à une distribution alimentaire”, indique une responsable d’ONG. “L’envie semble être là, mais on a du mal à voir comment elle va se concrétiser”, poursuit-elle, dubitative, mais satisfaite que les différents cris d’alarmes lancés par les associations depuis la mise en place du confinement soient enfin entendus. Une prise de conscience entérinée par différentes communications parues ce jour. Celle de la préfecture, d’abord, qui annonce, dès le 3 avril, la mise en place d’une distribution des repas précédemment délivrés dans les écoles auprès des “six poches de pauvreté les plus précaires identifiées par l’Insee”. Elle autorise également “toutes les associations, même si elles ne sont pas habilitées au titre de l’aide alimentaire, à mettre en œuvre des actions de soutien alimentaire”.

“Il ne faut surtout pas que ce soit un effet d’annonce”

Le conseil départemental, lui aussi, annonce être au rendez-vous, avec “la distribution de colis alimentaires dans plus de 5.000 foyers”. De son côté, Dominique Voynet rejoint plusieurs associations plaidant pour la mise en place de rampes d’eau. Et assure que la gratuité des bornes-fontaines est imminente alors que des habitants de La Vigie en Petite-Terre ont crié leur colère ce lundi matin contre le dysfonctionnement de l’une d’elles. “Mon travail est de préparer, donc je me prépare à toutes les situations pour réduire l’épidémie et l’impact sur les populations les plus vulnérables. Si au plus fort de la crise et à quelques jours du ramadan, nous ne leur sommes pas venus en aide, nous ne pourrons pas leur demander de rester confinés et de respecter les gestes barrière”, fait encore valoir la directrice de l’ARS.

“Il ne faut surtout pas que ce soit [la distribution alimentaire] un effet d’annonce comme ce qu’il s’est passé avec le porte-hélicoptère”, répond la responsable de l’ONG interrogée sur ce point. “Il va falloir que tout cela soit très bien réfléchi, car qui dit distribution dit rassemblements et là ça va être très compliqué de faire respecter les gestes barrières, etc. Il va falloir que l’organisation soit exemplaire”, prévient-elle encore. Et rapide. Car déjà, des groupes d’enfants se pressent près des grilles des écoles pour obtenir de quoi manger comme en témoignent des personnels de l’Éducation nationale. Annonçant, avec eux, le début de la faim.

 

« On est en train de créer une bombe virale » au RMSA de Mayotte

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Ce week-end, une centaine de personnes atterrissaient à Mayotte depuis Madagascar, rapatriées in extremis en vue d’être confinées, ensemble, au RSMA pendant quatorze jours. Parmi elles, un médecin coincé dans la caserne tire la sonnette d’alarme quant au risque d’une contamination générale au sein du bâtiment, où aucun geste barrière ne peut être respecté. Le risque est tel que ces confinés promettent de porter plainte contre la préfecture.

Mesure de précaution ou irresponsabilité de l’État ? Samedi, 104 résidents mahorais “bloqués” à Madagascar ont atterri, à bord d’avions spécialement affrétés pour eux, sur le tarmac du 101ème département, où ils ont ensuite été placés en quatorzaine au RSMA de Combani. Une décision censée éviter de renforcer la propagation du Covid-19 à Mayotte, mais qui pourrait finalement avoir tout l’effet inverse.

“On est confinés par quatre ou cinq personnes par chambre”, alerte le docteur Alexandre Devieux, lui aussi bloqué entre les murs de la caserne militaire. “On touche les mêmes poignées de porte à longueur de journée, on utilise les mêmes savons, les mêmes douches, les mêmes toilettes.” Autrement dit, la centaine de personnes vit, depuis près de trois jours, sans ne jamais pouvoir respecter les mesures préventives. D’autant plus que ces 104 hommes et femmes sont tenus de nettoyer eux-mêmes les lieux qu’ils occupent. “Il y a une méconnaissance du préfet des gestes barrières”, souffle Alexandre Devieux. Des gestes que le général du RSMA a toutefois tenu à rappeler aux “résidents” par le biais d’une lettre qu’il leur adressera régulièrement, les prévenant par la même qu’il limiterait au maximum les ustensiles susceptibles d’être utilisés par le plus grand nombre. À titre d’exemple, les cafetières ont ainsi été interdites, et leur absence palliée par des nourrices.

À leur arrivée à l’aéroport de Dzaoudzi, tous ont été soumis à un contrôle sanitaire “minimaliste”, selon les mots du médecin qui exerce dans le Sud : “On n’a même pas pris notre température ! On nous a mis un masque sur le nez, alors que nous aurions dû l’avoir avant même de monter dans l’avion pour ne pas nous contaminer les uns les autres pendant le vol.” Ainsi, sur 104 passagers, seule une jeune fille âgée de huit ans qui présentait des symptômes suspects – fièvre et nez qui coule selon l’agence régionale de santé – a été dépistée au Covid-19, auquel elle s’est révélée être négative, avant de pouvoir retrouver le domicile familial.

Alors que les autres voyageurs n’avaient encore pas la moindre idée de ce qui allait se passer ensuite, les autorités leur présentent finalement un document qui leur notifie leur transfert immédiat au RSMA. “J’ai refusé de le signer, mais on m’a fait comprendre que je n’avais pas le choix”, témoigne encore Alexandre Devieux. “Si les gens avaient su qu’ils seraient bloqués comme ça, ils seraient restés à Madagascar où on ne nous laissait pas rentrer dans un magasin sans qu’on prenne notre température”.

Une réaction en chaîne inéluctable ?

Entre les rangs de ces 104 personnes, plusieurs retraités, un nourrisson de trois mois encore exposé aux risques d’infection prénatale, et des malades atteints de diverses pathologies. Tous privés de leurs effets personnels, médicaments compris. Au bout de quelques heures de confinement, le docteur Devieux signale plusieurs cas de diabète, d’hypertension, “des enfants qui toussent, qui crachent, enfermés dans des chambres de quatre”, ou encore un homme porteur d’un abcès, situation qui peut, si elle n’est pas traitée, nécessiter une intervention.

Finalement, le lendemain, des infirmières sont dépêchées sur les lieux. Deux professionnelles qui travaillaient au contact d’un médecin généraliste fraîchement dépisté positif au Covid-19. Dans la foulée, des pompiers sont également envoyés pour évacuer du RSMA une femme atteinte de diabète, après plusieurs heures d’appel. Pour les autres confinés, les ordonnances devraient converger vers une pharmacie privée pour que, dès mardi (aujourd’hui ndlr), les premiers médicaments manquants soient livrés. 72 heures après. “Il ne faut vraiment pas souhaiter de choses graves ici”, déplore Alexandre Devieux qui tempère tout de même : “Pour l’instant, personne parmi nous ne présente de cas suspects.” Mais que se passera-t-il si l’une des 104 personnes confinées dans les mêmes lieux venait à présenter les symptômes du Covid-19 ? Et quid des porteurs asymptomatiques qui demeurent contagieux ? “Là, le risque de tomber malade est nettement supérieur par rapport à un confinement strict à domicile”, assure le médecin. “On est en train de créer une bombe virale, et nous sommes potentiellement en train de tous nous contaminer entre nous. Dans 14 jours, on ne sera pas beaucoup plus sûrs de ne pas avoir contracté la maladie.”

Interrogée à ce sujet, la préfecture semble s’étonner des conditions de vie des personnes qu’elle a placées là, conformément aux directives du ministère de l’Intérieur. “Nous nous sommes assurées que l’espace dans les chambres était suffisant pour garantir le respect des gestes barrières”, promet l’autorité, occultant tout risque de propagation du virus par les surfaces touchées ou par voie aérienne. Toujours est-il qu’“on ne laissera aucun porteur du Covid sortir du RSMA dans 14 jours”, assure la préfecture. Pourtant, “on ne procédera pas à des dépistages automatiques en l’absence de symptômes suspects”, annonce de son côté l’agence régionale de santé, qui reconnaît elle aussi que la situation présente un haut niveau de risque. En effet, si une personne au sein du RSMA est contaminée et que commence une vaste réaction en chaîne étalée sur 14 jours, certains en sortiront inévitablement pendant leur période d’incubation. Sans symptômes, donc sans contrôle.

En attendant, une infirmière rend visite aux confinés chaque matin. “Mais pour voir tout le monde en une seule fois, il lui faudrait une semaine”, déplore le docteur Alexandre Devieux. Et de conclure : “En cherchant à protéger la population, en pensant faire quelque chose de bien, on est train de faire tout l’inverse.” Ainsi, une vingtaine de personnes enfermées au RSMA ont d’ores et déjà décidé d’intenter une action en justice contre la préfecture pour mise en danger de la vie d’autrui, alors que le délégué du gouvernement, Jean-François Colombet, et Dominique Voynet, directrice de l’ARS, doivent s’entretenir sur cette situation dans les prochains jours.

 

À Mayotte, coup de pression chez Sodifram

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Les salariés de l’entrepôt du groupe Sodifram ont exercé leur droit de retrait hier matin. Ils dénoncent des conditions de travail inadéquates à la crise sanitaire dont nous faisons face. Leurs revendications tournent autour de trois points essentiels. Une première rencontre avec la direction a eu lieu, mais rien n’est joué.

Ils ont peur pour leur santé et celle de leurs familles. C’est la raison pour laquelle la centaine de salariés de la société Sodifram a arrêté toute activité ce lundi 30 mars dans la matinée. Depuis le début de la crise Covid-19 à Mayotte, leurs conditions de travail sont restées les mêmes. “En magasin, on côtoie les clients, mais rien n’est mis en place pour notre sécurité. Les chariots ne sont même pas désinfectés. L’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger ses salariés et on constate que rien n’est fait en ce sens”, dénonce Archidine Keldi, secrétaire du CSE et trésorier adjoint Force ouvrière Mayotte. Les employés demandent des masques, des gants, et des gels hydroalcooliques afin d’assurer un minium leur sécurité.

Les revendications concernent également la prime qu’a annoncée le président de la République. Il invite les entreprises qui le peuvent à verser aux salariés qui travaillent une prime exceptionnelle allant jusqu’à 1.000 euros pendant la période de confinement. Or, la direction de Sodifram propose des modalités de distribution qui ne conviennent pas aux employés. Dans un courrier qui leur est adressé, datant du 27 mars, il est indiqué qu’une prime de 100 euros par semaine sera versée “à tout salarié ayant fait l‘effort de se rendre au travail (sur le terrain) et ayant effectué au moins son temps de travail hebdomadaire et contractuel”, soit au moins 35 heures. Elle est valable à compter du 23 mars. Mais, à moins que le confinement dure dix semaines, les 1.000 euros ne seront pas atteints dans ces conditions. “On estime que 100 euros c’est peu par rapport à la taille de l’entreprise. Elle a les moyens de payer plus. On aimerait avoir les 1.000 euros, mais on peut s’arranger pour un montant avoisinant 800 euros pendant la durée du confinement”, indique Archidine Keldi avant le début des négociations. Les salariés exigent également que la prime prenne effet depuis le début du confinement et qu’elle n’impose pas aux employés de travailler 35 heures. D’autant plus qu’il leur est difficile de se rendre sur leur lieu de travail. Les taxis se font rares et ceux qui circulent n’ont pas les moyens de faire respecter les mesures de sécurité et d’hygiène. “On veut qu’ils mettent en place un transport pour ramasser les salariés. On propose un grand bus qui ferait le tour de l’île. Il nous récupérerait et déposerait à des points précis”, explique le représentant du personnel.

La menace d’un droit de retrait sur le long terme

“Les discussions sont très tendues, ils n’ont pas envie de céder, surtout pour la prime”, nous souffle Archidine Keldi, pendant la réunion. Mais à l’issu de celle-ci, les salariés se disent “satisfaits pour le moment”. Certaines de leurs revendications ont été entendues. “Ils ont accepté de faire reculer d’une semaine la prime et de la rendre effective depuis le début du confinement, soit le 16 mars. Ils ont également enlevé la clause des 35 heures”, annonce le secrétaire du CSE. Cependant, le montant de 100 euros par semaine reste inchangé.

Concernant les moyens de transport, aucune solution n’a été trouvée. La direction de Sodifram évoque une grande difficulté à établir une liaison qui sera satisfaisante au vu de la complexité des plannings et des lieux de vie des salariés. “Elle préconise en premier le covoiturage entre nous et il y aura peut-être une indemnisation”, précise Archidine Keldi.

Quant au matériel de protection, qui représentait leur principale source de préoccupation, le problème n’est pas encore totalement résolu. “Ils nous ont annoncé l’arrivée d’un avion-cargo avec du matériel qui arrivera sous peu. Donc on veut bien attendre, mais si on voit que la situation des salariés n’est toujours pas prise en compte on exercera notre droit de retrait”, prévient le représentant du personnel. La continuité du service ne tient donc qu’à une promesse qui, on l’espère tous, sera tenue. Autrement, les magasins de l’île risquent de rapidement se retrouver sans approvisionnements.

 

« Des familles mahoraises avec enfants nous appellent parce qu’elles ne peuvent plus se nourrir »

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Avec le problème de la santé publique, vient celui de la faim. Premières touchées, les familles les plus vulnérables en appellent par dizaines aux associations du territoire afin de solliciter une aide alimentaire. En réaction, plusieurs structures s’organisent pour leur venir en aide.

La crise sanitaire n’est pas la seule à frapper Mayotte et le reste du monde. Avec elle, ce sont aussi des bouleversements économiques et sociaux profonds qui s’amorcent déjà, et qui ici prennent une résonance toute particulière. Alors que 84 % de la population locale vit sous le seuil de pauvreté, le confinement creuse encore un peu plus la précarité des publics et des familles les plus vulnérables, dont beaucoup dépendent du travail au noir notamment, et ne pourront pas prétendre au chômage partiel. Pis, avec la fermeture des écoles, de nombreux enfants se retrouvent privés de collation, qui pour certains, constituait le seul repas de la journée.

Ainsi, seulement deux semaines après l’arrivée du premier cas de Covid-19 sur le territoire, les associations croulent déjà sous les appels au secours de ces populations. « Sur la seule journée de samedi, près de 60 familles avec enfants nous ont appelés parce qu’elles ne pouvaient plus se nourrir », déplore, la voix tremblante, Christine Raharijaona, présidente du mouvement pour une alternative non violente (MAN) à Mayotte. « Je suis vraiment inquiète face au nombre de demandes. » En réponse, la structure, comme plusieurs autres, a décidé de mettre en place une aide alimentaire la plus large possible. Dès le week-end passé, les bénévoles du MAN ont commencé à récolter quelques denrées dans les supermarchés à la façon d’un « cadi solidaire », où chaque personne venue faire ses courses est invitée à donner des produits non périssables, qui seront, par la suite, redistribués aux familles qui ont sollicité l’aide du mouvement. « C’est triste de devoir dire ça, mais la priorité sera donnée aux familles avec enfants », détaille encore Christine Raharijaona. Un dispositif déployé avec le soutien des centres communaux d’action sociale (CCAS) qui permettent d’identifier les publics les plus précaires, et le tout, évidemment, dans le respect des gestes barrières.

Cette même distanciation sociale que Yes We Can Nette a également mis un point d’honneur à respecter. La semaine dernière, les équipes de l’association étaient au pied d’œuvre pour réadapter leurs locaux, fermés depuis le début du confinement. Mais grâce à l’aménagement d’un sas, l’épicerie solidaire de la structure peut rouvrir ses portes dès aujourd’hui, et proposer des produits alimentaires à très bas coût et sans aucun contact physique, aux publics précaires déjà habitués de l’association, soit 90 familles réparties sur Petite-Terre et Grande-Terre. Mais cette fois, pas question de devoir apporter des canettes pour profiter du dispositif comme à l’accoutumé. « On ne veut pas compliquer les choses, le maître-mot c’est la sécurité », témoigne Laurent Beaumont, président de Yes We Can Nette. « On a constitué un stock alimentaire en conséquence, on ne sait pas combien de temps il pourra tenir mais on va faire le maximum pour que les plus démunis puissent se réapprovisionner. »

Défendre les plus démunis et combattre les inégalités est également le fer de lance de la Croix-Rouge française. À Mayotte, la délégation de l’association, déjà mobilisée en temps normal dans la distribution de bons alimentaires, voit son nombre de bénéficiaires augmenter progressivement Elles étaient ainsi 311 familles, toutes orientées par les travailleurs sociaux des différents services, a profiter du dispositif sur la seule semaine passée, à travers les 12 sites de distributions habituels. « On s’attend à en recevoir encore plus. Pour l’instant, nous n’avons pas de limite », projette Yassine Boinali, président de l’antenne locale de la Croix-Rouge Française, qui reçoit désormais ce public dans une limite maximale de dix personnes, afin de, là encore, limiter le risque de propagation du virus.

Parallèlement, alors que l’association travaille conjointement avec la direction de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale du département afin de distribuer, elle aussi, des denrées alimentaires aux plus précaires, le rectorat envisage de mobiliser les établissements scolaires fermés pour y organiser des opérations du même genre. Mais à ce stade, « ça n’est ni confirmé, ni affirmé », dévoile Gilles Halbout. « Des réunions sont en cours avec la préfecture et le détachement de la légion étrangère à Mayotte pour chercher une solution, mais tout est encore à l’étude et rien ne commencera avant la fin de la semaine ».

[Encadré] Pour aider les associations

L’association Yes We Can Nette et le Mouvement pour une alternative non violente dans l’océan Indien acceptent les dons spontanées de denrées alimentaires non périssables. Si vous souhaitez leur en offrir, veuillez, par mesure de sécurité, prendre attache avec les structures par téléphone dans un premier temps, respectivement au 0639 40 76 48 et au 0639 26 09 90. Vous pouvez également les joindre via leurs pages Facebook.

 

 

Saison terminée pour les sportifs mahorais

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Les fédérations nationales tranchent les unes après les autres : les compétitions amateurs 2019/2020, jusque-là suspendues pour cause de Coronavirus sont définitivement interrompues. La saison est donc terminée pour le basket-ball, le handball, le rugby et le volley-ball mahorais. La Fédération française de football temporise encore…

« Ayant toujours eu pour objectif de préserver la santé de ses licenciés, la Fédération a pris la décision d’arrêter l’ensemble de ses championnats (départementaux, régionaux et nationaux) et Coupes (Coupe de France notamment) pour la saison en cours. » C’est le dernier communiqué d’envergure. Il provient de la Fédération française de basket-ball et a été publié ce dimanche sur son site internet et la page Facebook. En moins de quatre heures, la publication comptabilisait plus de 6 000 partages ! Ce communiqué est le dernier d’une série d’annonces de la part des fédérations sportives nationales, pour annoncer l’interruption définitive de la saison 2019/2020 et la non-attribution de titres de champion.

Le virus Covid-19 a donc eu raison du sport amateur. Dans une lettre adressée hier après-midi au rugby amateur, Bernard Laporte, président de la Fédération française de rugby considère que « la suspension de toutes les activités sportives depuis le 13 mars dernier ; la durée présumée de cette crise ; les risques de prolongement d’interdiction de pratiques collectives et de rassemblement au-delà de la période de confinement ; la nécessaire phase de remobilisation athlétique de 3 à 4 semaines… sont autant de facteurs objectifs qui ne pouvaient nous faire espérer une reprise avant la fin mai ou le début du mois de juin. » À Mayotte, les interruptions définitives concernent pour le moment les ligues de basket-ball, de handball, de volley-ball et le comité de rugby, dont les saisons sportives sont programmées selon le calendrier scolaire.

« Le sport est bien secondaire par les temps qui courent »

Une décision somme toute logique pour le président du Basket Club M’tsapéré, Daoulab Ali Charif, dont les équipes premières dominent pourtant leur championnat respectif – leader de la saison régulière en Nationales Masculine 3, co-leader en NF3. « Je m’y attendais ! Je ne vois pas comment on peut reprendre sachant que la saison administrative s’arrête fin mai », explique le président du BCM. Bien parties pour reconquérir un titre de champion cédé aux Kavaniennes de Fuz’ellipse en 2019, les M’tsapéroises doivent ainsi faire avec cette décision fédérale. « Sportivement, c’est un peu dur. Je pense surtout aux filles. Elles étaient sur une très bonne lancée. Elles venaient de battre Fuz’ellipse et Golden Force de Chiconi. Mais la santé prime : le sport est bien secondaire par les temps qui courent », estime le dirigeant.

Le choix des fédérations sportives d’arrêter les championnats ne fait pas totalement l’unanimité. Les handballeurs de Tsimkoura courrent derrière un titre de champion de Mayotte depuis quatre ans et étaient à un match d’y arriver après une saison quasi-parfaite (19 matchs : 17 victoires et une seule défaite). Il suffisait aux coéquipiers de Moussa Daniel de remporter l’un des trois derniers matchs du championnat. « Le contexte au niveau national n’est pas le même que dans les Outre-mer. Dans l’hexagone, il reste pas moins d’une dizaine de matchs si on compte les barrages pour les meilleures équipes, tandis qu’ici, il n’en reste que trois. En sachant que la saison sportive 2018/2019 s’était achevée fin juin, je pense sincèrement que les décisions pouvaient être adaptées selon les régions. Pour Mayotte, la fédération aurait pu attendre encore un peu », regrette le capitaine de l’AJH Tsimkoura avant de conclure : « On est dégoûté. »

Pas d’arrêt des championnats amateur en football

En lien par visioconférence avec la Fédération française de handball, la Ligue régionale de handball de Mayotte tente d’en savoir davantage sur les modalités de fin de saison : les relégations, les promotions en division supérieure, voire les fameux titres de champion. En effet, des textes spécifiques pourraient être rédigés en fonction des ligues, selon l’avancée de leurs championnats. D’une manière générale, les fédérations prévoient de n’attribuer aucun titre de champion au vu de l’interruption des championnats en cours, et de ne rétrograder aucune équipe. Elles envisagent en revanche d’attribuer les accessions en division supérieure aux différents leaders. Quid de la saison de football ?

Pour l’heure, la FFF n’a pas communiqué sur un éventuel arrêt des championnats amateur, et s’en tient à la suspension de la saison en attendant le rétablissement de la situation. La Ligue mahoraise de football prévoit ainsi de relancer la compétition aussitôt que la situation sanitaire le permettra. En attendant, la LMF reste active d’un point de vue administratif, relançant les clubs sur la régularisation des licences et le chevauchement des rencontres pour les clubs évoluant sur le même terrain

 

 

Malgré le confinement, la prise en charge des personnes âgées mahoraises s’organise

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Alors que l’épidémie de Covid-19 progresse peu à peu à Mayotte, la question des séniors, population particulièrement sensible au virus, se pose. Du coté des acteurs du secteur, on se prépare en tout cas du mieux possible.

Jeudi 26, à l’occasion de sa conférence de presse bi-hebdomadaire, la directrice de l’Agence régionale de santé (ARS), Dominique Voynet, soulevait un « atout énorme » de Mayotte au moment où il semble « hautement improbable » que l’île échappe à un pic épidémiologique : « seul 4% de la population a plus de 60 ans. Cela n’est pas comme en Alsace, où cette tranche d’âge représente la moitié de la population. Le nombre de leurs cas graves est donc très élevé. Mais nous on peut espérer, si on protège les anciens (…), avoir une vague moins haute. »

Car la population des séniors est en effet particulièrement sensible aux conséquences du Covid-19. Or, occidentalisation de la société oblige, les personnes âgées connaissent, depuis quelques années, un isolement de plus en plus grand. Travail quotidien des enfants qui ne peuvent de fait plus occuper ou mobilité vers la métropole ou La Réunion : nos anciens se retrouvent seuls. Et l’absence de structure d’accueil sur le département rend la problématique plus forte encore. Alors, comment vivent-ils la situation ?

« C’est mitigé », constate Abdallah Mirhane, directeur de Dagoni Services, organisme qui oeuvre dans le service à la personne auprès de quelque 250 personnes âgées. L’homme détaille : « Certains sont inquiets, d’autres sont fatalistes et invoquent la volonté divine. » Pour autant, hors de questions bien évidemment de les laisser à leur sort. « On sensibilise les membres de leur famille, notamment les enfants et les petits enfants, en leur demandant d’éviter de leur rendre visite pour ne pas leur transmettre le virus », reprend le responsable. Car, du côté des acteurs associatifs, on tâche de s’adapter à la situation. « Les familles ont peur, c’est normal », remarque à son tour Inoussa El Fat, directeur de 976 Allo Saad, autre association de service à la personne.

Des masques très attendus

Principal questionnement jusqu’ici ? Celui des protections. « Nous poursuivons nos interventions à domicile, mais ce n’est pas évident car certaines familles demandent à ce que nos auxiliaires de vie portent un masque, ce qui est normal », explique-t-il. Leurs visites sont pourtant indispensables à la dignité des personnes, mais aussi parce que « nous travaillons aussi avec les infirmiers libéraux. C’est complémentaire. Faire la toilette aux anciens, cela leur permet ensuite de travailler dans de bonnes conditions. » Même inquiétude pour Dagoni Services, qui a effectué la semaine dernière une demande de masques pour protéger ses quelque 120 auxiliaires de vie, mais aussi les personnes âgées, parfois inquiètes lorsqu’elles voient arriver des personnes sans masque. « Certaines nous ont même demandé de suspendre les interventions jusqu’à nouvel ordre », a constaté Abdallah Mirhane. Or, « pour certaines personnes qui peuvent se passer de certaines aides, comme du ménage par exemple, on suspend. Mais pour les personnes qui sont dans le besoin, que l’on doit nécessairement aider pour leur toilette, il nous faut bien du matériel de protection. »

Des demandes d’équipement qui ont trouvé écho. Vendredi, à l’heure où nous les contactions, ces deux acteurs du secteur avaient été approchés par l’ARS « pour savoir combien nous avions d’auxiliaires de vie et de bénéficiaires, raconte Inoussa El Fat. Une solution devrait être trouvée ces jours-ci. Nous avons aussi demandé à avoir des produits hydroalcooliques. L’ARS a été très réceptive à nos demandes. » Et de préciser que le conseil départemental aussi les avait contactés afin de « connaître le nombre de personnes âgées vraiment isolées, car il faut leur envoyer quelqu’un ».

Même constat pour Abdallah Mirhane, de Dagoni Services. « Dominique Voynet m’a confirmé qu’ils avaient reçu des masques et que nous allions en recevoir aujourd’hui même [vendredi 27, NDLR]. Au moins pour que l’on puisse agir chez des personnes âgées complètement isolées et qui ont besoin qu’une aide à domicile passe les voir au quotidien », confirme-t-il.

La prise en charge des personnes âgées s’organise donc peu à peu à Mayotte en vue du pic de l’épidémie de Covid-19 avec, tout de même, un point positif pour nos anciens : « Maintenant que tout le monde est confiné, certains de leurs enfants s’en occupent plus souvent. Certains ont même, au début de l’épidémie, fait déménager leurs parents chez eux, afin qu’ils soient confinés ensemble. » Un bon geste à condition, rappelons-le encore une fois, que chacun respecte les consignes.

 

Suspension des vols : le centre hospitalier de Mayotte devra attendre ses renforts

La décision de suspendre les vols de et vers Mayotte met le CHM en difficulté et illustre le décalage existant parfois entre les besoins des équipes sur le terrain et des décisions prises sans consultation.

C’est une décision qualifiée de brutale au centre hospitalier de Mayotte. La fermeture de l’espace aérien, décidée par le gouvernent en lien avec la préfecture dans la journée de samedi a mis les équipes du CHM au pied du mur. « Cela nous met en grande difficulté sur certains points, nous avons réussis à nous débrouiller avec nos moyens internes pour permettre aux évacuations sanitaires de se poursuivre mais c’est compliqué », explique ainsi un médecin. Surtout, l’interdiction de vols met les équipes médicales en difficulté sur un autre point : l’arrivée de renforts en médecins et en infirmières prévue pour les prochains jours ou encore l’acheminement de matériel.

« Nous espérons que ça va se décanter rapidement mais il va falloir trouver une solution », indique encore le médecin. C’est en tout cas ce que laisse entendre le communiqué délivré par le ministère des Outre-mer à ce sujet. Celui-ci indique en effet que « le gouvernement va mettre en place une continuité minimale des liaisons aériennes entre Mayotte et La Réunion de manière à avitailler Mayotte en produits sanitaires et alimentaire, à permettre les rapatriements et les évacuations sanitaires urgentes, ainsi que des renforts de personnel soignant ».

Toujours est-il que du côté de CHM, on déplore un certain décalage entre les décisions et le terrain, et que ce dernier ne soit pas toujours consulté quand il s’agit de prendre ces premières. Pour l’illustrer, on s’interroge par exemple sur la non-représentation du Samu au sein du centre opérationnel départemental, l’organe territorial en charge de la gestion de la crise. Et ce alors même que les autres services de sécurité et de secours, potentiellement moins impactés par la question, à l’image du Sdis, y sont représentés.

On se sent donc un peu seul au centre hospitalier, pourtant en première ligne face à cette crise. Mais jamais prêt à baisser les bras. « Nous n’avons pas attendu pour nous organiser », confie-t-on en ce sens, déplorant au passage un manque de communication. Tout en relativisant : « cette crise est inédite, tout le monde est pris de court et les décideurs les premiers. Ils font ce qu’ils peuvent », excuse ainsi le médecin. Sans toutefois oublier de passer un message : « il ne faut pas céder à la panique. C’est vrai du côté de la population, mais aussi des responsables. Il faut garder la tête froide et prendre les décisions en bonne intelligence collective sinon tout se désorganisera et ça deviendra ingérable ». À bon entendeur…

 

À Chirongui, on “bricole” comme on peut pour faire face au coronavirus

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La mairie de Chirongui continue tant bien que mal d’assurer ses missions de service public. Ses agents mobilisés sillonnent les routes pour aider et sensibiliser la population. Et pour leur garantir un minimum de protection, en pleine pénurie de masques, la DGS a même fait appel aux services d’une couturière du coin.

C’est calme, ce vendredi après-midi, à Chirongui. Il n’y a (presque) pas un chat dans les rues. Ici, trois ou quatre jeunes sont assis sur un trottoir à l’ombre, en train de réparer un vélo. Là, des poules caquettent en trémoussant leurs plumes devant les maisonnées endormies. Mais c’est sans compter la chansonnette entêtante et reconnaissable qui précède l’arrivée du Duster de la police municipale. Munie d’un mégaphone, la brigade de l’après-midi sillonne les ruelles en répétant le même message : “Alerte coronavirus. Pour se protéger et protéger les autres, respectez les gestes barrières”. Quelques secondes plus tard, la voiture apparaît dans le tournant, fait fuir les poules et s’arrête juste devant la petite bande de jeunes. S’ensuit alors une discussion tranquille : les agents cherchent ici à sensibiliser la population sur la lutte contre la propagation du Corovanirus, davantage qu’à verbaliser. Après une rapide vérification de l’autorisation de déplacements dérogatoire, les badauds qu’ils croisent sont tous invités à rentrer chez eux.

“Nous sommes habilités à verbaliser si les gens ne présentent pas leur attestation, mais nous laissons plutôt la gendarmerie s’en occuper. Nous pouvons ainsi nous concentrer davantage sur notre rôle d’agents de proximité, à savoir avertir, alerter, informer”, explique Laoumi, le responsable adjoint du pôle sécurité de Chirongui. Pour y parvenir, la mairie a donc mis en place ces brigades tournantes, et tous les jours, une équipe parcourt les différents villages avec ce mégaphone, qui énonce le même message en trois langues différentes. “Ici, c’est un quartier à majorité malgache, donc on met le message dans leur langue ; ensuite nous allons aller dans un quartier avec beaucoup de mzoungous, donc le message sera en français”, développe Laoumi. Mais là où ce dispositif est sans doute le plus utile, c’est vers le village de Mramadoudou un peu plus au nord. Là-bas vit une forte densité de population étrangère, pauvre et éloignée des circuits de diffusion de l’information. “Souvent ils n’ont pas d’adresse, et vivent au jour le jour pour aller s’acheter à manger, donc verbaliser n’est pas forcément la solution”, décrit le responsable de la brigade. “On essaie alors surtout de leur faire passer le message, de limiter les sorties à deux jours par semaine”. Une action qui se double aussi d’un contact régulier avec les mosquées, invitées à rappeler les consignes après la prière.

“Au niveau de la protection, nous sommes en manque de tout”

Dans les quartiers à majorité malgache ou métropolitaine, en tout cas, leur action semble porter ses fruits. Les passants se font rares, et la plupart retournent vite d’où ils viennent une fois s’être entretenu avec les policiers. Tant qu’ils le peuvent, les trois fonctionnaires restent quant à eux dans la voiture, pour respecter au maximum les règles de distanciation sociale. Et quand ils sortent, ils veillent à respecter le mètre de distance. Car ils ne sont pas spécialement équipés contre les risques de transmission du virus. Le peu de matériel qu’ils ont s’est réduit à peau de chagrin depuis le début du confinement. “Il doit nous rester deux

boites de gants et trois gels hyrdoalcooliques, et nous n’avons pas de masque depuis le début. Clairement au niveau de la protection, nous sommes en manque de tout”, atteste le chef de la brigade.

Pourtant ce n’est pas faute d’avoir demandé. La mairie n’a eu de cesse d’interpeler les services de l’Etat, rappelle la Directrice générale des services, Cécile Hammerer. Dans un courrier du jeudi 26 mars adressé au préfet, elle a d’ailleurs réitéré cette demande : “nos agents étant tous les jours en contact direct avec la population, nous manquons de moyens de protection et notamment de masques, gants et gels hydroalcooliques. L’ARS réservant ses stocks aux soignants, je vous serai reconnaissante de bien vouloir solliciter auprès de l’Etat central, des moyens de protection pour les équipes qui accomplissent des missions essentielles au fonctionnement de la Nation”. Car il est hors de question de ne pas assurer la continuité du service public. En tout, 80 agents sont encore mobilisés sur le terrain, pour la collecte des déchets, la sécurité, l’aide à domicile, l’aide sociale d’urgence…

La couturière a travaillé sans relâche

Pour l’instant, malheureusement, son appel est resté lettre morte. Alors, on fait comme on peut. Plus de gel hydroalcoolique ? La mairie fournit à ses agents de l’eau, du savon, ou de l’alcool à 70 degrés. Les écoles sont fermées ? Ils impriment 900 copies à distribuer aux enfants. Et pour les masques, là encore, Cécile Hammerer a dû “bricoler”. Une chance, elle connaît justement une couturière, la même qui avait déjà travaillé avec la mairie de Chirongui pour fabriquer les rideaux du Pôle culturel. “Je l’ai mise en contact avec ma soeur, elle-même couturière à la Réunion, et toutes les trois, nous avons planché sur des patrons fournis par le CHU de Grenoble”, raconte la DGS. La commande de cent masques, passée il y a moins d’une semaine, doit permettre de protéger ses agents, en première ligne face au coronavirus. Les masques sont équipés d’une poche intérieure, dans laquelle ils pourront glisser des lingettes anti-poussières à renouveler toutes les trois heures. Cinquante sont déjà arrivés. “Dès lundi, on devrait avoir les nôtres”, sourit Laoumi, visiblement soulagé.

Car à quelques kilomètres de là, Antuia ne chôme pas. Cette éducatrice dans une association double ses journées de travail depuis une semaine. Après sa première journée en télétravail, qui s’étale de 7h à 15h, la jeune femme rejoint son atelier, une pièce attenante à la maison dans laquelle elle vit avec son époux. C’est ici, au milieu des tissus en wax africains et à quelques mètres du ressac paisible de la baie de Bouéni, que la jeune femme a travaillé sans relâche de jour comme de nuit pour finir les cent masques commandés. “J’en ai encore mal à la main !”, souffle la belle couturière, apprêtée dans ses créations. Chaque masque représente environ trente minutes de travail, ce à quoi il faut rajouter le temps de réflexion pour le choix du patron, et les retouches. “À la base, on avait choisi des attaches en élastique, mais ça ne tenait pas bien au visage, donc j’ai dû les refaire en coton”, raconte-t-elle. Elle vient juste de finir les cinquante masques restants, qu’elle a roulés et empaquetés dans un sac en attendant le coursier de la mairie. Roses, vertes, orange, ses confections aux couleurs chatoyantes orneront donc bientôt les visages de Laoumi et de ses hommes.

 

Les femmes mahoraises battues en plus grande insécurité pendant le confinement

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Le confinement met à mal un bon nombre d’entreprises, et les associations ne sont pas en reste. À l’exemple de l’ACFAV qui vient en aide aux personnes victimes de violences, notamment de violences conjugales. Les professionnels redoutent les dégâts physiques et psychologiques que peuvent causer ces semaines de confinement.

Malika Bouti, conseillère conjugale et familiale à l’ACFAV s’inquiète du sort des femmes victimes de violences domestiques durant cette période. Elle pense que la situation de celles qui vivent avec leurs bourreaux va s’aggraver. “Le confinement exacerbe tout et cela va augmenter la violence dans les foyers”, se désole-t-elle, démunie. Depuis bientôt deux semaines, l’ACFAV a été contraint de réorganiser la prise en charge des femmes battues, et de tout faire à distance. Une méthode de travail incompatible avec les situations délicates dans lesquelles se trouvent ces femmes. Le téléphone est le seul lien qu’elles ont avec les professionnels de l’association. “On sent qu’elles ne disent pas tout parce qu’elles ont peur qu’on les entende. Et l’accompagnement est très compliqué. Si elles pleurent on ne peut même pas leur proposer un mouchoir ou un verre d’eau. Et des fois, nous n’arrivons pas à joindre certaines parce que c’est le mari qui a le téléphone”, explique Djamael Djalalaine, directeur de l’ACFAV. Et Malika Bouti d’ajouter, “Le confinement leur fait peur. Elles ont peur du lendemain, peur de leur agresseur, peur de la mort.” Ces femmes qui vivent constamment dans la crainte voyaient leurs rendez-vous avec les professionnels de l’ACFAV comme une échappatoire. Elles y allaient toutes les semaines, et cela leur permettait de se reposer, de se ressourcer, en participant à des ateliers ou seulement en discutant avec les autres. Désormais, le président de l’ACFAV demande à ses collaborateurs de les appeler quotidiennement. “Il est primordial de maintenir un lien avec elles. On les appelle le matin pour qu’elles nous racontent comment s’est passée la soirée, et en fin de journée pour qu’elles nous disent comment a été la journée”, indique Djamael Djalalaine.

Un manque de moyens criant

L’ACFAV dispose 225 places d’hébergement, et seulement 14 sont accordés aux femmes victimes de violences conjugales. Un chiffre qui est nettement inférieur aux réels besoins du territoire. Et le confinement détériore d’avantage cette situation critique. “Pendant cette période, nous ne sommes pas autorisés à sortir les femmes qui occupent les logements. Mais on continue à recevoir des nouvelles. Nous sommes arrivés à saturation et avons dépassé les 225 places. Alors on essaye de transformer les places de stabilisation en placement d’urgence”, informe le directeur de l’ACFAV. Mais des éléments extérieurs viennent compliquer la mission. Selon l’association, l’État a réquisitionné des appartements afin de loger des personnes pendant le confinement.

Les victimes prises en charge par l’ACFAV ont droit à des bons alimentaires. Cependant, durant cette crise, ces derniers ne semblent plus être la meilleure option. “Il est préférable que ça soit l’agent qui apporte le colis alimentaire parce que ces femmes ne peuvent plus emmener leurs enfants faire les courses mais elles n’ont souvent personne pour les garder”, affirme Malika Bouti, la conseillère conjugale.

Depuis la fermeture de l’accueil du jour de l’ACFAV, son directeur regrette la coupure radicale du lien physique entre les professionnels et ces femmes battues. Il aurait souhaité une solution alternative. “L’idéal serait que l’on puisse se rendre à domicile. Mais c’est compliqué parce qu’il faut être équipé de masques et de gants. On a fait la demande auprès de l’ARS et de la préfecture mais ils nous ont répondu qu’on ne fait pas partie des prioritaires donc nous n’aurons pas de masques.” L’association a cependant reçu des gants, mais ce n’est pas suffisant. Alors dans l’attente d’autres solutions, les professionnels devront se contenter des appels téléphoniques.

Si vous êtes victimes de violences conjugales ou autres, ou si vous connaissez une personne dans cette situation, veuillez contacter le 55 55. Ce numéro est gratuit.

 

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