Pendant la crise sanitaire, le Centre universitaire de formation et de recherche de Mayotte s’est heurté aux situations précaires dans lesquelles se trouve un grand nombre des étudiants mahorais. Sans ordinateur ni d’accès à internet, il est difficile d’assurer une continuité pédagogique. Ce constat mène le directeur du centre, Aurélien Siri, à repenser tout le système de formation.
Flash Infos : Est-ce que le CUFR de Mayotte a contribué d’une manière ou d’une autre à la gestion de la crise ?
Aurélien Siri : L’une de nos actions a été le don de masques, de gel et de gants à l’ARS Mayotte. Ce sont des produits qu’on avait dans nos laboratoires de recherche. Cependant, nos actions ont surtout été ciblées pour nos étudiants. Ils sont souvent dans des situations précaires socialement et numériquement. On a alors mis en place un soutien financier. Une commission a accordé une aide spécifique d’urgence à ceux qui en avaient besoin et qui nous ont sollicités. D’autres étudiants nous ont appelés pour des besoins alimentaires, nous les avons orientés vers La Croix Rouge. Nous avons également mis en place un soutien psychologique avec l’assistante sociale et l’infirmière grâce à une permanence téléphonique.
FI : La crise sanitaire a-t-elle révélé des failles dans le fonctionnement du centre universitaire ?
A. S. : Malheureusement, beaucoup de nos étudiants ne sont pas équipés. Ils n’ont pas accès à internet et ils n’ont pas d’ordinateur. La difficulté a été d’arriver à toucher ces étudiants à distance en leur apportant les cours. Dans une réflexion que l’on doit avoir sur les mois à venir, il faut penser davantage à avoir des moyens pour que tous les étudiants puissent travailler à distance même s’ils sont dans des situations défavorisées. On va travailler avec le rectorat, le conseil départemental, le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation pour qu’on ait des moyens supplémentaires afin d’équiper les étudiants dès qu’ils inscrivent chez nous. On identifiera dès le départ les étudiants qui sont en difficulté sociale et financière pour que l’on puisse apporter le prêt d’un ordinateur le temps de leur scolarité chez nous.
FI : Dans la tribune que vous avez co-signé, vous insistez sur le fait de repenser l’enseignement supérieur. De quelle manière faudrait-il appliquer cela au CUFR de Mayotte ?
A. S. : La tribune incite à repenser la formation de l’enseignement supérieur, mais on ne parle pas des matières. À la rentrée, il faudrait prévoir plus d’enseignements en ligne, plus d’outils numériques, plus de classes virtuelles. C’est-à-dire une hybridation de la formation. Nous devons également prévoir des initiatives de pédagogie numérique avec de la captation de vidéo. Aujourd’hui, l’amphithéâtre bondé n’est peut-être plus la meilleure solution compte tenu de l’épidémie. On pourrait plutôt filmer les cours et les mettre en ligne. Cela sera très bénéfique pour les étudiants, car ils perdent beaucoup de temps dans les transports scolaires et ils sont fatigués.
La tribune invite aussi à mieux considérer les petits établissements qui apportent une valeur ajoutée très forte à leurs territoires, à l’image du CUFR de chez nous. Ce type d’établissements sont importants au développement du territoire.
FI : Comment envisagez-vous la fin de l’année universitaire ainsi que la prochaine rentrée ?
A. S. : Il n’y a plus de cours jusqu’à la rentrée, mais l’établissement reste ouvert pour certaines activités qui ne peuvent pas être pratiquées à distance (activités de recherche, entretien des locaux). On rouvrira aussi pour les inscriptions, nous sommes en train de réfléchir à une organisation. Le CUFR n’a jamais procédé à l’inscription en ligne, mais si on peut le faire on le fera et on aimerait le mettre en place pour les années à venir. Concernant la prochaine année universitaire, on démarrera les cours en présentiel en août et on fera passer les rattrapages en août également en présentiel. En temps normal, cela se fait au mois de juin. Il est important que les rattrapages se fassent en présentiel afin que tous ceux qui n’ont pas pu composer à distance puissent le faire. La crise a entrainé un assouplissement des modalités d’évaluation des étudiants. Cela veut dire qu’on est en droit de remplacer les devoirs sur table par un devoir maison ou le contrôle continu. Cet assouplissement s’est fait en collaboration avec les universités partenaires de l’hexagone et de La Réunion.
FI : N’avez-vous pas peur que cela favorise le discours qui affirme que le niveau des étudiants mahorais n’est pas assez élevé ?
A. S. : Non parce que pendant la crise de 2018, l’établissement était fermé pendant 45 jours, on avait peur qu’à la fin de l’année les résultats des étudiants soient très mauvais, mais finalement le taux d’échec n’était pas très élevé. Il l’était un peu plus que les autres années, mais pas tant que ça. Les étudiants qui sont en deuxième et troisième année et en master ont un niveau suffisant, ils ont un équipement suffisant, ils savent travailler en autonomie, et ils arrivent à s’en sortir. La plus grande difficulté vient des étudiants de première année qui ont besoin d’être plus encadrés et ils sont moins équipés. Donc à mon avis il n’y aura pas de gros écart entre le taux de réussite de l’année dernière et celui de cette année. Et nos étudiants sont traités exactement de la même manière que les étudiants des universités partenaires. Il est important de préciser qu’à Mayotte, l’année universitaire commence plus tôt. Quand on a fermé les établissements en mars, il ne restait plus qu’aux étudiants un mois de cours à Mayotte. Donc l’impact de la crise est moindre parce qu’il y avait eu beaucoup d’enseignements qui avaient été réalisés.
FI : En terme d’équipement êtes-vous prêts à accueillir les étudiants et le personnel tout en respectant les mesures d’hygiène ?
A. S. : Nous avons fait une grosse commande de gel, de gants et de masques pour 30.000 euros. L’objectif est d’équiper le personnel et les étudiants qui n’auront pas de masques. Tout cela est un budget qui n’était pas prévu, il va falloir que le ministère nous accompagne pour prendre en charge ces dépenses supplémentaires. Pour l’instant, nous avons puisé dans le budget de l’établissement, mais on a un budget total de 2 millions d’euros donc 30.000 euros c’est beaucoup pour nous, surtout s’il faut commander une nouvelle fois.
Le CCAS de Tsingoni a entrepris de distribuer les masques de la préfecture aux familles du village de Miréréni, en prévision du déconfinement. Mais dans ces quartiers où les gens connaissent mieux la faim et la dengue, il est parfois difficile de faire entendre l’utilité de ces nouvelles protections.
Il est neuf heures, ce jeudi, au CCAS de Tsingoni. Une foule s’agite à l’ombre, à une dizaine de mètres de l’entrée du local. Un grand homme assez fin apparaît de derrière un poteau : on lui a dit qu’il pouvait obtenir une aide avec la CAF. “C’est bien ici ?” demande-t-il autour de lui. “Oui, attendez de ce côté-ci”, lui répond Soumaila Soula M’madi, le directeur du CCAS. Entre les demandes pour la CAF et les inscriptions sur les listes pour bénéficier des aides, ici, c’est chaque jour la même rengaine. “Ils viennent tous les matins, parfois ce sont des familles que l’on connaît, que l’on a déjà inscrites, et qui reviennent, parce qu’elles n’ont rien eu”, rapporte le directeur.
Et pour cause : une partie des bons alimentaires censés apporter un peu de répit aux foyers démunis depuis le début du confinement n’a pas été distribuée, ou du moins pas d’après la liste établie par le CCAS. Les élus de la mairie ont récupéré cette mission, et certains foyers sont donc toujours sans nouvelle, alors même que le déconfinement approche. Face à ces familles aux bourses vides et aux estomacs creux, les agents n’ont parfois plus de réponse. “Souvent, on doit leur expliquer que l’aide va arriver, que cela ne sert à rien de venir tous les jours se réinscrire, mais à force, les gens ne nous croient plus”, soupire Soumaila Soula M’madi, derrière son masque en tissu.
Une journée pour distribuer 500 masques
Mais pour cet ancien chargé de mission aux politiques de la ville, qui travaille depuis au moins onze ans à Miréréni et ses alentours, pas question pour autant de rester les bras croisés. Lassé par les lenteurs administratives, il s’appuie désormais essentiellement sur les associations, comme le Man-Oi ou Horizon, qui continuent d’effectuer des distributions alimentaires, entre autres missions. “Horizon a fait un très important travail de sensibilisation des populations. Pendant les deux premières semaines, ils n’ont pas arrêté de venir rappeler les gestes barrières, et l’importance de se protéger contre ce nouveau virus”, salue-t-il. Ce matin, il a décidé de se rendre lui-même sur le terrain, pour la deuxième journée consécutive, avec l’aide de deux associations locales. Objectif : distribuer près de 500 masques aux familles des bangas environnants, qui n’ont pas toujours de boîte aux lettres. Au détour du stade qui sépare le centre communal d’action sociale du quartier de “Chajou”, aussi appelé “Petite-Terre” ou “Petite France”, l’équipe se prépare. Sac sur le dos et masques sur le nez, elle entame alors sa mission dans le dédale terreux du bidonville, qui s’étale à perte de vue sur les flancs de la colline et près du lit de la rivière.
Un quartier insalubre en pleine expansion
“Hier, j’y ai passé la matinée, et j’ai à peine fait 1/4 des maisons”, raconte le responsable, un sac de 200 masques pendu au bras. Il faut dire que le travailleur social est plus qu’un simple livreur. À chaque maison en tôle, celui qui a aussi une formation de psychologue prend le temps d’expliquer comment mettre le masque, l’importance de se protéger et de protéger les enfants quand ils iront à l’école. Mais si ces distributions au porte-à-porte prennent du temps, c’est aussi parce que le quartier est en pleine expansion. “Ça a changé depuis la dernière fois que je suis venue”, souffle Faika, de l’association Waparo, ébahie devant les maisons de tôle qui se succèdent sous ses yeux. Des hommes, le casque de chantier vissé sur la tête, en construisent de nouvelles, à côté de la rivière ou dans un champ de bananiers. D’après le dernier recensement, Tsingoni, la commune qui administre le village de Miréréni, a connu l’une des plus fortes croissances de population : +5,9 % entre 2012 et 2017. Et à Chajou, beaucoup de personnes se concentrent autour de la rivière dans des conditions insalubres.
Masques VS. bons
Résultat, la dengue fait déjà des ravages dans ces quartiers enfouis au fond de la jungle, d’après Soumaïla Soula Madi. Difficile d’ailleurs, de le contredire, quand on voit les déchets qui jonchent ici et là les différents points d’eau du village. Un caddie renversé, des emballages plastiques… autant de potentiels gîtes larvaires dans lesquels le moustique tigre peut se reproduire. Au détour d’un chemin, un malade se repose justement au fond de sa case en tôle. “Odi, odi ?”. La réponse, en shimaoré, vient de loin. “Encore une victime de la dengue.” Il est déjà 10h30 passé, et la petite troupe poursuit sa tournée. Malgré le travail de sensibilisation, les familles jettent souvent un regard interrogateur sur ces visiteurs masqués. Mais acceptent quand même le colis de cinq masques en tissus. “Tu le mettras pour être jolie ?”, sourit le directeur à une petite fille, qui s’enfuit en riant. “Moi j’ai déjà eu les masques, je veux les bons !”, s’exclame une jeune femme en train de faire sa lessive en contrebas. À Chajou comme dans beaucoup d’autres quartiers sur l’île, le Covid-19 inquiète moins que la faim…
Les récents actes malveillants à l’encontre des espèces marines et des plages ont poussé les autorités à agir. Le parc naturel marin et les associations habilitées sont à nouveau autorisés à surveiller le lagon même si le confinement n’est pas levé. Cette reprise d’activité marine est aujourd’hui indispensable afin d’atténuer les dégâts de demain.
La nature a repris ses droits pendant le confinement, mais le lagon n’a pas été épargné par la succession d’actes malveillants durant cette période. Le dernier en date a été de trop et les organismes en charge de la surveillance du lagon et des plages ont été autorisés à reprendre leurs activités. Pour rappel, il y a une quinzaine de jours, 29 cadavres de tortues ont été découverts sur la plage de Moya. “Suite à cela, le conseil départemental a remis des agents pour surveiller les plages de Petite-Terre. On a également réussi à convaincre l’Office français de la biodiversité (OFB) de nous autoriser à réactiver les moyens nautiques malgré le confinement”, indique Christophe Fontfreyde, directeur du parc naturel marin de Mayotte. Les agents constatent une succession de braconnage. Mercredi, l’association Oulanga Na Nyamba a découvert deux autres cadavres de tortues sur la plage de Papani en Petite-Terre. Cette plage est assez isolée, par conséquent, elle est idéale pour les braconniers. “Nous faisons une inspection environ deux fois par mois. La dernière date d’il y a 10 jours, et depuis il y a eu deux cas supplémentaires. C’est un peu moins que ce qu’on recense habituellement”, selon Dina, coordinatrice des projets de sensibilisation et de la vie associative de Oulanga Na Nyamba. Elle explique cela par la récente interpellation des deux braconniers. La surveillance des plages est donc indispensable. “Nous nous sommes rendus compte que lorsqu’on ne le fait pas, le taux de braconnage augmente considérablement”, souligne Christophe Fontfreyde.
Le lagon est également mis à mal. Le parc naturel marin recense un certains nombre d’actes malveillants et de délits depuis la reprise. 29 embarcations ont été contrôlées en seulement deux jours. Un filet de 140 mètres de long a été intercepté sur la côte à Sada. Leur utilisation est très encadrée et celui-là se trouvait sur une zone non adéquate qui empêchait les tortures de se déplacer. À cela s’ajoute la pêche au fusil qui consiste à pêcher des poissons difficiles à attraper normalement. Cette pratique est strictement interdite dans le lagon.
“On a un lagon qui est encore en bon état, mais chaque année un peu moins qu’avant”
Le parc naturel marin a donc repris son activité de surveillance. Leurs deux bateaux sont de service, les équipes sont sur les chapeaux de roues. Selon le directeur, il faut agir maintenant avant qu’il ne soit trop tard. “On a un lagon qui est encore en bon état, mais chaque année un peu moins qu’avant. C’est dans l’intérêt des Mahorais de le surveiller pour que nos enfants ne mangent pas que des sardines en boîte.” Un acte qui peut paraître anodin aujourd’hui peut avoir de lourdes conséquences à l’avenir. La pêche au fusil vise principalement les poissons reproducteurs, en les capturant c’est toute une espèce qui risque de disparaître. Les tortues ne sont pas en reste. “Une tortue pond une centaine d’œufs et seul un aura la chance d’atteindre l’âge adulte. Si on les tue, les conséquences seront graves dans quelques années”, rappelle Dina de l’association Oulanga Na Nyamba. Selon elle, la surveillance ne peut pas être le seul moyen de dissuasion. “Il faudrait démanteler le circuit, parce que s’il n’y a pas de consommateurs, il n’y aura pas de fournisseurs. Et il faut multiplier les actions des forces de l’ordre qui interpellent les braconniers.” En attendant, si les agents du parc naturel marin de Mayotte interpellent une personne en flagrant délit, cette dernière risque de le payer cher. “On a des inspecteurs de l’environnement sur le bateau. Ils sont habilités à lancer des procédures qui peuvent se finir par une confiscation du matériel, la remise à l’eau des espèces pêchées et ça peut aller jusqu’à la confiscation du bateau. C’est la même chose pour les braconniers avec un passage au
tribunal et même la confiscation du véhicule qui a permis la mise à l’eau du bateau”, prévient Christophe Fontfreyde. Il n’est donc pas raisonnable de prendre tous ces risques pour quelques
À Mayotte, la préfecture a autorisé le maintien des activités de pêche. Une bonne nouvelle pour le secteur, qui se retrouve maintenant confronté à un problème de stockages des produits frais. Les poissonneries et les coopératives sont aujourd’hui les premières à faire les frais du manque de structures adaptées.
Ils nagent en eaux troubles. Alors que les pêcheurs professionnels de Mayotte ont réussi à renégocier leurs autorisations de sortie en mer mi-avril, d’autres acteurs du secteur, eux, n’ont pas eu la chance de pouvoir stabiliser leur activité. Depuis maintenant deux mois, poissonneries et coopératives de pêche tentent d’assurer leur rente, alors que leurs plus gros clients, les hôtels et restaurants, sont, pour la plupart, fermés. Et les commandes suspendues jusqu’à nouvel ordre.
En conséquence, “les palangriers et les gros navires ont stoppé leurs activités”, atteste Michel Goron, chef de l’unité territoriale de de la direction de la mer sud de l’océan Indien (DMSOI). “L’activité de pêche a été préservée dans son inégalité puisqu’à Mayotte, les circuits sont majoritairement très courts. En revanche, pour les plus grosses entreprises, ça devient plus embêtant.” Parmi ces coopératives touchées de plein fouet, celle de Captain Alandor, à Doujani, accuse une réduction de 50 % de son produit de pêche. Pourtant, le poisson est là, les capacités aussi. “Pour sortir les bateaux et ramener du poisson n’est pas vraiment une contrainte”, complète à son tour Régis Masséaux, patron de la société. “Ce qui l’est, c’est qu’il faudrait qu’on puisse stocker les produits en attendant la réouverture des établissements scolaires, des restaurants et compagnie.” D’autant plus que des aides financières existent pour les besoins en entreposages. Mais à Mayotte, aucune structure adaptée n’existe encore.
Les bateaux restent à quai
Et si, mardi dernier, les pêcheurs ont pu se réjouir de l’annonce du prolongement de six mois de l’ensemble des titres professionnels, et ce à compter de la fin de la crise sanitaire ainsi que d’une indemnisation spéciale de l’activité partielle, rien à ce jour n’a encore été annoncé pour les enseignes qui, localement, possèdent leurs propres barques de pêche. “Il y a bien une aide pour les bateaux restés à quai…”, souffle Régis Masséaux. Mais à raison de quelques dizaines d’euros par jour, le dispositif ne suffit pas. Alors, la DMSOI s’est récemment saisie de la question et devrait très prochainement adresser à la direction des pêches maritimes et de l’aquaculture une demande d’aides propres à la commercialisation des produits de pêche. D’ici là, “on va également solliciter le prêt garanti par l’État”, projette le patron de Captain Alandor, dont les marins ont tous été mis en chômage partiel. Ce prêt à faible intérêt qui permet aux entreprises de ne payer la première échéance qu’un an après qu’il ait été versé. De quoi laisser le temps au secteur de se remettre au moins un peu d’aplomb, alors que la saison des alizées gagne doucement le 101ème département, synonyme de baisse des activités de pêche. Déjà la semaine prochaine, les vents empêcheront tout bateau d’aller en mer. Si le début du ramadan a permis de “sauver un peu le mois d’avril”, selon les mots de Régis Masséaux, la suite pourrait bientôt être “catastrophique”.
Quatre personnes ont lancé l’opération Solidarité Mayotte Covid-19 consistant à récolter des dons en ligne pour fournir des masques à la population mahoraise. Si cette initiative n’est pas nouvelle, elle s’inscrit dans une démarche citoyenne, sachant que son port s’annonce prochainement obligatoire, notamment dans les commerces, pour une période plus ou moins longue.
Le nom de l’opération Solidarité Mayotte n’a aucun lien quelconque avec l’association qui vient en aide aux réfugiés. D’où la précision Covid -19 à la suite de l’appellation pour ne pas faire l’amalgame. Lancée lundi, cette initiative a pour but de venir en aide à la population mahoraise, au travers d’une cagnotte mise en ligne*. L’objectif ? Financer l’achat de masques en tissu, lavables et réutilisables, qui seront par la suite distribués gratuitement aux habitants. À sa tête : Asmah Faradji, présidente de l’association Cfam976, Zaina Ibrahim, fondatrice de l’association Mayot’ Together ainsi que Laurie et Abdillah Sousou, couple d’entrepreneurs. “Ce n’est pas la première fois qu’on mène des projets à Mayotte”, souligne la femme du karatéka, qui s’occupe de toute la partie communication de cette démarche “purement citoyenne”. L’idée de mener cette campagne ensemble pour l’île aux parfums ne prend que quelques heures. “Le 101ème département est le dernier confiné et on est en décalage par rapport à la métropole. On ne peut pas rester sans rien faire”, insiste celle, dont la belle-famille habite sur le territoire.
Un objectif de 20.000 masques
Après la création de la page Facebook en deux temps trois mouvements, les quatre mousquetaires se mobilisent pour activer leurs réseaux respectifs et ainsi fédérer autour d’eux. “En quatre jours, on a récolté plus de 900 euros. Une entreprise nous a fait don de 200 masques et on est en pourparlers pour en recevoir 300 autres.” Fort de sa marque de vêtements, Sousou Sportwear, le couple souhaite faire appel à certains de ses fabricants, dont quelques-uns produisent déjà des masques en métropole, pour apporter sa pierre à l’édifice. En ligne de mire : l’espoir suprême d’atteindre la barre des 20.000 protections. Un chiffre qui paraît symbolique comparé aux 450.000 dévoilées lundi par le conseil départemental et la préfecture, mais qui se justifie pour Laurie. “La durée de vie des masques est limitée à environ 25 lavages. Dans tous les cas, il en faudra énormément par habitant si on part sur un port obligatoire oscillant entre six et sept mois.”
Si l’intention séduit sur le papier, quid de la réalité des coûts de production ? Naturellement plus élevés qu’à Madagascar où les autorités ont récemment acheté les leurs… “La situation aujourd’hui fait que les citoyens se tournent vers le local. Ça nous a paru plus logique de solliciter des entreprises françaises qui sont sensibles à notre opération.” Ainsi, les commandes de fabrication seront hebdomadaires en fonction de l’évolution du montant reçu, sachant que la cagnotte se termine le 29 mai. En plus des précieux sésames, le groupe est à la recherche de solutions hydroalcooliques. “J’ai pris contact avec une start-up parisienne qui confectionne des distributeurs de gel sans contact. Ça pourrait être sympa d’en avoir un au niveau de la barge”, espère Laurie.
“Toute aide est la bienvenue”
Se pose alors la question de l’acheminement… Une problématique délicate depuis l’arrêt des vols commerciaux entre l’Hexagone et le territoire. Mais pour Laurie, une solution existe, grâce au soutien d’une entreprise spécialisée dans la communication sur Mayotte et La Réunion qui s’engage à payer le transport. “Les autorités font passer des colis liés à la situation sanitaire. La société qui
s’est portée garante a déjà importé du fret”, souligne-t-elle. “Certes, ça va être compliqué, mais ce n’est pas impossible. On reste confiants.” Sur place, la distribution revient à l’association Mayot’ Together, qui se rapproche actuellement des maires des différentes communes pour connaître les besoins des habitants en termes de masques. D’ici là, les bons samaritains peuvent d’ores et déjà proposer leur aide comme bénévoles, que ce soit pour réaliser du démarchage téléphonique auprès des entreprises ou pour filer un coup de main sur le terrain. “Toute aide est la bienvenue”, conclut Laurie.
Alors que Mayotte était dans l’attente, hier, de l’annonce d’un possible déconfinement dès lundi 18, le Conseil scientifique rendait public son avis sur la question. Et face à un pic épidémique encore non atteint, il s’est prononcé en faveur d’un prolongement du confinement. Détails.
Hier, Mayotte était dans l’attente d’une annonce d’importance : le territoire sera-t-il ou non déconfiné de manière progressive à partir du 18 mai ? À l’heure où nous bouclions ces lignes, aucune réponse n’avait encore été donnée. Une chose est sûre en tout cas, le Conseil scientifique s’est prononcé contre. Pour lui, c’est donc non, le confinement du 101ème département doit se prolonger jusqu’à ce que le pic épidémique, prévu aux alentours du 21 mai, soit passé. Un avis certes non contraignant, mais qui rejoint celui de l’ARS, quelque peu réticente à l’idée d’un retour à la normale.
“Au vu de la dynamique actuelle de l’épidémie de Covid-19, les autorités ont repoussé la date du déconfinement de la population [au 18 mai]”, entame ainsi le document, en poursuivant que “le Conseil scientifique appuie cette décision et recommande le maintien du confinement jusqu’au décours du pic épidémique local” tout en “renforçant la capacité locale à réaliser largement les tests RT-PCR de diagnostic du Covid-19”.
En cause, évidemment, la situation sanitaire du territoire, dernier département à être encore dans le rouge : “Malgré l’interruption du trafic aérien et maritime dès le 20 mars pour les voyages d’agrément, l’épidémie de Covid-19 s’est généralisée à Mayotte. Avec 1.023 cas cumulés le 10 mai, Mayotte est le département d’Outre-mer le plus touché et celui qui connait la plus forte progression du nombre de cas de Covid-19. Classé actuellement en “zone rouge”, c’est le seul département français qui n’a pas encore atteint son plateau épidémique.” Une situation jugée “préoccupante” par le Conseil et “associée à une difficile mise en œuvre du confinement et des mesures de distanciation dans les quartiers les plus pauvres. Bien que sous tension croissante, le centre hospitalier de Mayotte n’a pas été à ce jour débordé par les admissions pour Covid-19. Une cinquantaine de personnes sont actuellement hospitalisées au CHM dont 9 en service de réanimation. Avec 11 décès cumulés depuis le début de l’épidémie, la létalité de l’infection reste faible à Mayotte. La gestion de l’épidémie est toutefois rendue plus complexe par l’épidémie de dengue qui sévit actuellement dans l’océan Indien et qui a entraîné plusieurs décès”.
Et après ?
L’avis du Conseil scientifique recommande également une “limitation stricte du nombre d’arrivants” jusqu’à la fin de ce confinement, ceux-ci devant “se conformer au principe du confinement général”. Des mesures déjà appliquées compte tenu de la suspension des liaisons aériennes commerciales vers Mayotte. Et au-delà ? ”Lorsque l’épidémie régressera et que Mayotte entrera en phase de déconfinement, les modalités d’entrée sur le territoire à appliquer seront celles décrites (…) pour les autres territoires ultramarins, avec une attention particulière pour les arrivants des Comores.”
Dans les faits, “dans ces territoires, il est possible d’envisager la disparition des cas de Covid-19 dans les semaines ou mois à venir. La priorité, en cette période de déconfinement progressif est alors de ne pas relâcher, voire de renforcer, le dispositif sanitaire actuel de dépistage, isolement des malades et suivi actif des personnes contacts, tout comme en métropole. Le Conseil scientifique recommande de n’accroître la fréquence des transports de voyageurs, qu’à partir du mois de juin, en privilégiant les rapprochements familiaux et les déplacements professionnels”. Des recommandations qui, si elles sont retenues, viendront compléter les mesures contenues dans le projet de loi sur la prorogation de
l’état d’urgence jusqu’au 10 juillet, validé lundi 11 mai, et qui impose le maintien d’une quatorzaine pour les personnes arrivant dans les territoires d’Outre-mer.
Réunis dans l’hémicycle Bamana hier, les élus du département ont proposé un prolongement du confinement au 25 mars. « C’est à l’État de trancher », a déclaré Issa Issa Abdou sur Mayotte la 1ère jeudi soir.
Alors que Mayotte demeure dans l’attente de la décision des autorités quant à un possible déconfinement à partir de lundi, celui-ci pourrait être reporté de quelques jours.
« Je crois pouvoir dire que nous n’allons pas être confrontés à un déconfinement lundi, la phase de transition va être plus prudente, plus lente » : alors que la décision des autorités quant à un possible début de déconfinement dès lundi à Mayotte est toujours attendue, la directrice de l’ARS, Dominique Voynet – toutefois elle-même toujours en attente d’une décision officielle–, a laissé entendre lors de son point presse bi-hebdomadaire, tenu ce vendredi 15, qu’il était peu probable qu’un retour à la normale intervienne dès ce lundi.
Alors quand interviendrait-il, si jamais cette décision – qui devrait vraisemblablement tomber d’ici ce soir – était confirmée ? Probablement après le passage de la « vague épidémique », terme préféré par l’ARS à celui de pic. « On reste sur un modèle de vague. On parle de pic par commodité, mais tant qu’on ne l’a pas eu on ne sait pas jusqu’où cela peut monter », a expliqué la directrice. Et de poursuivre : « Jusqu’à présent, nous avons travaillé sur des modèles mathématiques qui prévoyaient le confinement, avec différents scénarios – très bien ou moyennement respecté –, mais pas sur des modèles prévoyant un déconfinement. » Or, « le modèle du confinement bien respecté correspond à ce qu’on a vu jusqu’à fin avril. (…) Le R0 était alors en dessous de 1. [Mais] depuis le 25 avril, on a une augmentation de nombre de cas et un R0 passé à 1,5. L’épidémie augmente donc, à un rythme modéré, mais elle augmente, (…) sans que l’on sache si l’accentuation du déconfinement conduira à une explosion du nombre de cas ou à une croissance plus régulière. »
Dans tous les cas, l’enjeu sanitaire d’un déconfinement reste double a détaillé Dominique Voynet : protéger les personnes les plus vulnérable et « Quelle que soit la décision prise, le déconfinement ne peut pas être rapide et général, il ne peut pas faire l’impasse sur la priorité absolue qu’est le respect des gestes barrières. La distribution de masques à chaque habitant, la volonté d’assurer l’accès à l’eau pour permettre à tout le monde de se laver les mains, et celle de faire respecter les distances physiques, en sont des préalables. »
Deux mois de confinement peuvent en dire long sur un individu, mais ils peuvent également dévoiler les pires et les meilleurs aspects d’une société. La crise sanitaire a mis en évidence les failles de la société mahoraise, partagée entre la conscience de certains et l’irresponsabilité des autres. Le sociologue Combo Abdallah Combo nous explique pourquoi il est urgent de tirer les leçons de ce confinement et essayer de changer la donne.
Flash Infos : Pourquoi selon vous la population à Mayotte a eu beaucoup de mal à respecter le confinement ?
Combo Abdallah Combo : Certains affirment qu’ils ont eu du mal à respecter le confinement parce qu’is vivent dans des conditions précaires. Mais ce n’est pas une raison valable. Le non-respect caractérise le fatalisme mahorais où on arrive toujours à excuser les choses. Les gens sont pauvres donc ils ne peuvent pas respecter le confinement, on est musulmans donc on ne peut pas nous interdire d’aller à la mosquée, etc. On trouve toujours des excuses pour ne pas se sentir responsable. Alors qu’initialement pour pouvoir faire une société il faut qu’il y ait une interdépendance. Chaque individu doit être dépendant et solidaire de l’autre pour que chacun veille sur le bien-être de l’autre. C’est ce qu’on appelle la solidarité organique. Si on n’est pas dans cette optique, on trouvera toujours des excuses pour ne pas respecter les règles.
FI : Peut-on dire que cette solidarité est inexistante dans la société mahoraise ?
C.A.C. : À Mayotte, on n’a pas encore atteint le niveau de maturité sociétale nécessaire pour parler de solidarité organique. Au contraire, chacun de nous est un danger pour l’autre. Tout le monde n’a pas la volonté de former une société ensemble. Le bien-être individuel prime sur le bien-être collectif.
FI : Qu’est-ce que la crise sanitaire a révélé de notre société ?
C.A.C. : La crise a surtout réconforté l’idée que les autorités sont dépassées par cette majorité invisible [les personnes vivant dans des conditions précaires]. Et elles ont fait passer le mauvais message. À partir du moment où le préfet a expliqué que ces gens ont des conditions de vie tellement dures qu’ils ne peuvent pas respecter le confinement, il a légitimé leurs comportements. C’est la même chose pour ceux qui vont à la mosquée. Il fallait les verbaliser, les sanctionner pour faire passer le message aux autres. Les autorités ont eu une énorme responsabilité dans le non-respect du confinement.
FI : Au début du confinement, vous nous aviez dit que la population réaliserait la gravité de la situation lorsqu’il y aura un mort. Aujourd’hui, nous en sommes à plus de 10, pourquoi le comportement des gens n’a pas changé ?
C.A.C. : On vit dans une société communautaire et les communautés n’ont pas le même niveau de valeur. Je pensais que le bon sens allait prendre le dessus et que dès le premier mort, les gens allaient réagir, mais je me suis trompé. Encore une fois, notre société n’a pas cette maturité. Et puis
ici, beaucoup voient la mort comme une évidence, elle est inévitable alors à quoi bon changer les habitudes ? Les gens qui viennent des Comores en kwassa n’ont plus peur de la mort parce qu’ils ont vécu le pire chez eux et ont frôlé la mort en venant ici. Une fois qu’ils arrivent ici sains et saufs, la mort ne leur fait plus peur. Ils ne se préoccupent donc pas du virus et peu importe s’ils mettent en danger les autres. En réalité, ils sont en train de tuer les autres sans en avoir conscience et c’est de l’homicide involontaire. Ils se comportent comme des assassins. Le confinement a révélé la capacité perverse de certains à faire du mal aux autres sans qu’ils ne s’en rendent compte. C’est dur comme propos, mais le message doit être violent pour qu’ils comprennent.
FI : Finalement quelles leçons peut-ont tirer du confinement ?
C.A.C. : Il faut que chacun se regarde dans le miroir, les autorités, chaque membre de la famille, etc. Nous devons prendre conscience que notre société est dysfonctionnelle. Si on continue dans cette spirale et qu’on n’œuvre pas ensemble pour le développement harmonieux de la vie, Mayotte ira de mal en pis. Deuxièmement, on doit réaliser que peu importe nos conditions de vie, on vit tous sur le même territoire et on a le même destin. Si on ne le fait pas, on va arriver à une société hyperciminalisée et les gens vont créer des milices pour assurer leur sécurité et à ce moment-là, on pourra réellement parler de guerre.
Alors que l’épidémie de Covid-19 continue sa propagation à Mayotte et que le flou règne sur la situation sanitaire en Union des Comores, la LIC se poursuit, d’ailleurs amplifiée pour limiter l’impact que pourrait avoir l’importation de nouveaux cas sur le territoire. Pour autant, après une baisse, les arrivées de kwassas tendent à reprendre depuis quelques jours, sans qu’elles ne soient a priori imputables au Covid-19. Le point avec Julien Kerdoncuf, sous-préfet délégué à la lutte contre l’immigration clandestine.
Flash Infos : Après une interruption au début de la crise sanitaire, les arrivées de kwassas ont repris ces derniers temps. Dans quelle proportion ?
Julien Kerdoncuf : C’est assez variable. La semaine dernière par exemple, les échos détectés étaient très faibles. Cela peut être relié aux conditions météo, qui n’étaient pas très favorables avec un vent du sud-est qui rend la traversée depuis Anjouan plus difficile. Entre le 5 et le 10 mai, nous n’avons eu aucun écho détecté.
À compter de cette date et jusqu’à aujourd’hui* en revanche, on a eu une reprise avec cinq échos détectés. Deux kwassas ont été refoulés et trois ont pu passer. Sur ces derniers, un a été détecté trop tardivement et deux ont forcé le passage en prenant énormément de risques. Une partie des passagers a toutefois été récupérée sur la plage grâce aux militaires déployés, pas la totalité.
Mais de manière générale, on constate une diminution du nombre d’échos suspects sur le mois d’avril et le début du mois de mai. Cela peut s’expliquer par plusieurs raisons : un effet dissuasif dû au renforcement de notre dispositif en mer, avec trois à cinq bateaux chaque jour qui patrouillent sur le lagon, 24h/24h ; les conditions de mer pas très bonnes, bien que cette explication ne soit pas très fiable puisque saisonnière ; et l’action des Comoriens sur leur territoire et plages. Je ne suis pas certain qu’elle soit entièrement dédiée à la lutte contre les départs, mais le renforcement de la présence policière et militaire à Anjouan peut avoir un effet.
FI : En pleine crise sanitaire, la crainte de voir arriver illégalement des porteurs du Covid-19 à Mayotte – en plus des malades que le territoire compte déjà – est forte. Quel constat peut-on faire ?
J. K. : Pour l’instant, sur toutes les personnes interceptées, puis dépistées – une soixantaine au total –, aucune n’était porteuse du coronavirus. Certaines avaient des symptômes, mais se sont révélées négatives. Elles sont restées en quatorzaine et n’ont pas présenté de nouveaux symptômes par la suite.
Cela ne veut pas dire qu’aucun porteur du Covid n’est arrivé à Mayotte, puisqu’il y a des kwassa que l’on n’a pas pu intercepter, et dont on n’a par conséquent pas pu dépister les passagers, mais sur ceux pour qui cela a été le cas, aucun n’était porteur. Pour l’instant, donc, nous n’avons pas constaté d’arrivées de kwassas sanitaires liés au Covid-19, et compte tenu des capacités de détection et de suivi des cas Covid aux Comores, il est peu probable qu’on ait des gens ayant conscience de l’avoir qui viendraient pour cela à Mayotte. Il peut y avoir des personnes qui viennent pour tout un tas de raisons et qui sont porteuses du virus, oui, mais sans que cela ne soit leur motivation principale.
FI : Le préfet parlait récemment de kwassas apportant des marchandises de contrebande…
J. K. : On a eu pas mal de produits de contrebande oui. Notamment beaucoup de ballots de cigarettes, des produits pharmaceutiques, du gingembre, etc. On a pu les intercepter pour certains d’entre eux.
FI : Nous parlions des personnes interceptées et placées au centre de rétention administrative (CRA). Il est actuellement placé comme centre de quatorzaine. Quid des reconduites aux frontières à l’issue de ce délai ?
J. K. : Pour des raisons sanitaires, les reconduites sont actuellement suspendues vers l’Union des Comores et Madagascar. C’est une situation que l’on a déjà connue en 2018 pour d’autres raisons (le refus de l’Union des Comores d’accueillir ses ressortissants expulsés depuis Mayotte, NDLR). À l’issue de la quatorzaine, les personnes font donc l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), mais sans placement en rétention faute de perspective de reconduites à courte échéance. Lorsqu’elles seront de nouveau contrôlées, elles auront vocation à être éloignées.
FI : Combien de personnes sont actuellement placées au CRA actuellement* ?
J. K. : Une grosse dizaine.
FI : A-t-on une visibilité quant à une reprise normale des reconduites ?
J. K. : Nous avons eu une visioconférence avec le président de la République la semaine dernière. Après un tour de la situation sanitaire du territoire, cela a été la première question du président : “Où en est-on en matière de reconduites aux Comores ?” Le sujet est très suivi par le gouvernement et l’Élysée. Instruction a été passée au Quai d’Orsay (le ministère des Affaires étrangères, NDLR) de reprendre langue avec les autorités comoriennes pour une reprise dans les meilleurs délais des reconduites de ressortissants comoriens en situation irrégulière à Mayotte. L’ambassadrice de France aux Comores est donc intervenue auprès des autorités locales pour poser les bases de cette reprise. Nous n’avons pas encore de retour très tangible de la démarche, mais elle a en tout cas été initiée. C’est un objectif prioritaire du gouvernement.
FI : Toujours à propos des autorités comoriennes, un accord avec la France a été signé l’été dernier, justement pour un meilleur contrôle des flux migratoires entre les îles. Le préfet soulignait il y a quelques semaines un possible relâchement du côté comorien. Qu’en est-il ?
J. K. : L’accord, bilatéral et signé par les deux ministres des Affaires étrangères, tient évidemment toujours. Il fait donc loi et doit être appliqué par les deux parties. Une vigilance particulière doit être observée sur l’application de ce que les autorités comoriennes appellent la “sauvegarde des vies en mer”, c’est-à-dire la prévention des départs de kwassas, en particulier vers Mayotte. On a des discussions en cours sur le plan technique pour déterminer comment nous pouvons mieux organiser la circulation d’informations afin que l’on soit au moins informés des départs de kwassas, à défaut de pouvoir les empêcher de partir.
Nous avions également un levier financier développé dans le cadre de cet accord, dont une partie prévoyait que des fonds ne soient versés que si les résultats étaient satisfaisants en termes de lutte contre les départs. Sur ce point, ils ne sont pas encore suffisants pour justifier le déblocage des crédits. Si la baisse du nombre de détections sur le mois écoulé est bien là, il est difficile de dire si elle est liée à l’action des autorités comoriennes ou au contexte particulier de la crise du Covid-19.
Après un retoquage, lundi, par le Conseil constitutionnel, le projet de loi prorogeant jusqu’au 10 juillet l’état d’urgence sanitaire a finalement été validé. Pour les Outre-mer, cela signifie le maintien du placement en quatorzaine pour les voyageurs arrivant sur ces territoires, mais avec la possibilité de l’effectuer à domicile.
À l’heure du déconfinement, le flou demeurait encore quelque peu quant aux conditions de déplacement entre la métropole et les Outre-mer. En cause : le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet, que le Conseil constitutionnel a jugé trop réducteur en termes de liberté, notamment en ce qui concerne les mesures d’isolement prises pour les arrivées dans les territoires ultramarins. Toutefois, il a aussi “reconn[u] que le principe de quatorzaine est justifié pour protéger nos territoires”, s’est félicitée la ministre des Outre-mer, Annick Girardin, lors de son discours. En conséquence, la quatorzaine déjà mise en place se poursuivra pour les arrivées, mais dans des conditions plus souples. “Le gouvernement prendra dans les prochains jours les décrets permettant de mettre en œuvre les mesures de quarantaine prévues par la loi du 12 mai”, a précisé la ministre, ce afin d’encadrer les mesures censurées du projet de loi. Bien, mais dans les faits, que va-t-il se passer ?
Pour les personnes déjà placées en quatorzaine dans un Outre-mer, pas grand-chose : “Concrètement, pour ceux qui sont actuellement en quatorzaine, des sites d’hébergement collectifs sont ouverts : plusieurs centaines de personnes ont d’ores et déjà suivi des quatorzaines dans ces sites.” En revanche, “les nouveaux arrivants dans les territoires d’Outre-mer dans les prochains jours devront signer un contrat d’engagement à respecter une quatorzaine stricte en site dédié ou à leur domicile”, a expliqué Annick Girardin. Des mesures reposant donc sur la responsabilité de chacun : “J’en appelle à leur civisme [aux Ultramarins] pour qu’ils appliquent scrupuleusement ce qui leur est proposé dans chaque territoire.”
Et quid de l’inverse ? Des voyageurs au départ des Outre-mer et en destination de l’Hexagone ? Contacté hier, le ministère des Outre-mer nous l’a précisé : “À ce stade, il n’est pas prévu de quatorzaine pour les personnes arrivant d’Outre-mer vers l’Hexagone.”
Quant aux conditions de déplacement, aucun changement : l’interdiction d’entrée dans les territoires demeure, et “seuls les motifs impérieux pour voyager, qui sont d’ordre familial, de santé ou professionnel sont justifiés”.
Le retour des étudiants
Une confirmation de quatorzaine qui intervient en parallèle d’une autre : le retour des étudiants ultramarins actuellement en métropole peuvent désormais rentrer s’ils le souhaitent, à condition toutefois de s’être fait recensés sur la plate-forme de la Délégation pour l’égalité des chances des Français d’Outre-mer et la visibilité des Outre-mer (DIECVI). “L’ensemble des étudiants concernés ont reçu un message du ministère pour leur indiquer la démarche à suivre. Celles et ceux qui ont des questions au sujet de leur retour peuvent désormais contacter une cellule d’accompagnement dédiée. Activée dès ce mardi 12 mai, cette cellule* leur permettra d’échanger avec une référente territoriale”, précise un communiqué.
Si les collèges et les lycées ne devraient pas rouvrir leurs portes avant juin avec un feu vert de la carte de tension épidémique, il en est tout autrement dans le premier degré. Ainsi, rectorat, mairies et directeurs d’écoles s’organisent pour une reprise à partir du 18 ou du 25 mai selon la date de déconfinement qui doit être décidée ce jour. Entre impératifs sanitaires et une reprise jugée nécessaire, une “ligne de crête” est à trouver. Voici ses premiers contours.
Quelles écoles ouvriront leurs portes ?
Pour le rectorat, l’objectif est clair : “à partir du moment où on déconfine, on commence à ouvrir les écoles.” Pourtant, nombre de maires sont encore frileux sur la question, soit par manque de moyens, soit par peur de se voir désigné responsable en cas de problème sanitaire. Raison pour laquelle Gilles Halbout explique “travailler au cas par cas avec les différents maires pour lever les différents points de blocage”. Un travail qui nécessite plus ou moins de temps selon les communes. “Certaines écoles ont tout ce qu’il faut et pourraient ouvrir demain s’il le fallait, pour d’autres, plus de temps est nécessaire”, fait ainsi valoir le recteur. Dans ce cadre, “il m’est pour l’heure impossible de dire quelles écoles ouvriront”, admet le recteur. Pour deux raisons : “d’abord parce que l’on ne connaît pas encore la date de déconfinement. Si l’on part sur le 25, il y aura nécessairement plus d’écoles prêtes que pour le 18.” Par ailleurs, “le travail se fait au cas par cas, au jour le jour, la situation est donc en constante évolution”. Quoi qu’il en soit, les écoles de Mamoudzou ne devraient pas rouvrir leurs portes le 18. Selon nos informations, les élus du conseil municipal réunis dans la matinée de ce mercredi ont voté à l’unanimité contre l’ouverture des écoles. “C’est très compliqué à gérer, toutes les conditions du protocole sanitaire ne sont pas réunies”, glisse un élu. Un retournement de situation alors que Nassuf Eddine Daroueche, adjoint en charge de la sécurité, assurait dans nos colonnes lundi dernier que la ville chef-lieu était prête à accueillir ses élèves à partir de la semaine prochaine.
Qui reprendra les cours ?
Il est pour l’heure quasiment certain que les élèves du secondaire ne reprendront pas le chemin de l’école avant juin. Mais pour l’élémentaire, tout un travail d’organisation est mené afin de permettre à la fois de minimiser le nombre d’élèves présents en même temps à l’école et de maximiser les chances pour chacun des élèves d’avoir accès à l’école. Dans cette équation, le recteur espère, “à un rythme de croisière, faire en sorte que tout élève puisse avoir au moins une demi-journée de cours par semaine”. Dans ce cadre, les CP puis les CE1 seront prioritaires dans le retour “car déjà dédoublés” et pourraient même espérer retrouver un emploi du temps quasi normal. “Ensuite, on s’adaptera par roulement, en commençant par les CM2 car c’est une année charnière”, explique le recteur.
Quid des élèves qui ne pourront pas être en classe ?
“À partir du moment où l’on est déconfiné, mieux vaut être à l’école que dans la rue”, considère le recteur. Pour autant, les différentes adaptations nécessaires rendent impossible d’accueillir l’ensemble des élèves de manière normale. Raison pour laquelle “nous travaillons sur un large dispositif périscolaire en partenariat avec la DJSCS, la DAC et des associations afin de pouvoir organiser un grand nombre d’activités sportives et culturelles dans le respect des mesures sanitaires”, assure Gilles Halbout.
Comment s’organisera le temps scolaire ?
“Afin d’assurer au mieux le respect du protocole sanitaire, nous devons au maximum éviter le brassage des élèves”, explique le recteur. En pratique, cela signifie que les élèves, quand ils seront à l’école, retrouveront un confinement en classe. Pas de récré et pas de collation en commun (s’il y en a, elle se prendra en classe), mais plutôt une séance de trois heures. Là encore, le travail pédagogique est en cours pour ne pas assommer les élèves. “Il y aura du temps d’écoute pour renouer le contact avec les élèves et repérer ceux qui se trouvent en difficulté, un temps d’éducation sanitaire pour bien faire intégrer les différents gestes barrières ainsi qu’un temps de reprise pédagogique. En trois heures en petits groupes, c’est possible”, indique Gilles Halbout.
Quelles assurances sur le volet sanitaire ?
“Sur les masques, c’est ceinture et bretelles”, veut rassurer le recteur. En plus des masques distribués actuellement par la préfecture, chaque personnel devra recevoir deux masques jetables par jour travaillé. “On a des commandes gigantesques”, assure encore le recteur. Une organisation en petits groupes d’élèves doit par ailleurs permettre d’assurer la distanciation sociale. Concernant le lavage de main, “il revient sur ce point aux mairies de mettre de l’eau et du savon à disposition ou du gel hydroalcoolique en quantité suffisante, mais lorsqu’il y a un problème sur ce point, nous aiderons à la fourniture en gel”. Là encore, le rectorat promet que “tout est déjà là. On ne va pas mettre le gel en avance, mais nous sommes prêts”. Autre point, le respect de la distanciation sociale aux abords des écoles. “Nous allons mettre le paquet avec les services civiques, nous en avons recruté une centaine rien que pour cela et les EMS qui ne seront pas en poste pour les établissements du second degré. Ils seront présents de manière massive pour veiller à ce qu’il n’y ait pas d’attroupement”, explique Gilles Halbout.
Enfin, puisque l’on promet le respect du protocole sanitaire établi au niveau national, un nettoyage régulier des surfaces et une désinfection quotidienne des écoles sont à réaliser. Si cette lourde tâche revient aux mairies, le responsable de l’Éducation nationale indique que l’État prendra à sa charge l’excédent que cela peut représenter en terme de coûts pour les communes.
De manière générale, des équipes de l’ARS délivreront une formation à l’ensemble du personnel afin de s’assurer de la bonne intégration du protocole sanitaire.
Quelles réponses face à l’inquiétude du personnel ?
La protection sanitaire, d’abord. Le rectorat assure ainsi du strict respect du protocole sanitaire et des moyens associés. “Je préfère retarder l’ouverture d’une école plutôt que de prendre le moindre risque”, soutient ainsi Gilles Halbout. “Il ne s’agit pas d’ouvrir coûte que coûte, mais de permettre une reprise progressive et sereine.” Promesse est également faite aux parents que s’ils retournent à l’école, leurs enfants seront pris en charge au même titre que ceux des soignants ou des forces de l’ordre. Enfin, “nous appliquons le principe de bienveillance pour tout le personnel, que ce soit pour a garde d’enfant, une condition de santé fragile ou la vie avec une personne fragile, nous permettons à ceux qui le souhaitent de se mettre en télétravail et nous nous baserons sur la confiance sans demander de certificat”.
Les maires pourraient-ils refuser d’ouvrir les écoles ?
À travers une circulaire en date du 6 mai à destination des préfets, le premier ministre indique que : “la situation particulière conduit à rechercher systématiquement l’accord des maires et à ne pas envisager l’ouverture d’une école en cas d’opposition de celui-ci. Lorsqu’un maire veut prendre une décision de fermeture dont vous ne partagez pas le bien-fondé, vous privilégierez le dialogue et la conviction, plutôt que l’utilisation des voies de droit.” En clair, les maires ne seront pas obligés d’ouvrir leurs écoles. En revanche, leur position doit être soutenue par des arguments matériels concrets justifiant l’impossibilité d’accueillir les élèves dans les conditions prévues par le protocole sanitaire. En cas de blocage, il est enjoint aux préfets “d’engager un dialogue avec les maires concernés pour que soit précisément évaluée l’impossibilité d’accueillir dans des locaux de la commune un nombre même très réduit d’élèves, soit à raison, par exemple, de la configuration des locaux scolaires, soit à raison de l’impossibilité de réaliser dans les délais les opérations préalables de nettoyage ou d’assurer l’entretien régulier des locaux”. Autant de points que le rectorat s’attelle actuellement à lever “au cas par cas”.
La baisse de l’activité due aux mesures du confinement atteint 18% à Mayotte, soit deux fois moins qu’au niveau national. Mais avec un taux de chômage qui restait à 30% en début d’année, le 101ème département et ses demandeurs d’emploi risquent bien d’en sentir les effets sur le plus long terme.
Quatre. C’est le nombre de salariés du Caribou Hôtel dont le contrat est arrivé à terme pendant le confinement et qui n’ont pas été renouvelés. Certes, c’est peu face aux quelques 22.500 chômeurs à Mayotte au sens du Bureau international du travail (BIT), au second trimestre 2019. Avec 30% de taux de chômage, le 101ème département continuait, au début de l’année, de défier les statistiques nationales. Or, la crise liée aux mesures de confinement pour prévenir la propagation du coronavirus ne risque pas d’arranger les choses. “La personne qui ose vous dire qu’elle compte garder ses CDD, c’est Pinocchio ! Non, c’est malheureux, mais les entreprises aujourd’hui ne peuvent pas se permettre de refaire des contrats, alors que nous n’avons pas de visibilité à deux jours”, grince Bruno Garcia, le gérant de l’hôtel bien connu de la place Mariage.
Pourtant, une note de l’Insee publiée le 7 mai dernier aurait pu rassurer sur l’impact économique immédiat de la crise du Covid-19 à Mayotte. D’après l’institut statistique, la chute de l’activité sur l’île a été limitée à 18%, contre 33% au niveau national. Une “bonne” nouvelle, qui s’explique surtout par la place de l’emploi public dans les administrations, encore prépondérant à ce jour. “Le fait que le secteur public soit aussi important n’est pas une bonne chose en soi, cela signifie surtout que le secteur privé, lui, est encore peu développé”, tempère Jamel Mekkaoui, le chef de service Insee à Mayotte. Le secteur public, plutôt épargné en temps de crise, brouille donc un peu les chiffres. Alors qu’en se concentrant sur le secteur marchand, les conséquences de la crise dans notre bout de pays rejoint la situation nationale. Ainsi, deux secteurs très porteurs subissent de plein fouet la crise : le bâtiment, qui représente à lui seul un quart de la chute d’activité, et le commerce non-alimentaire.
Chômage partiel et contrats courts
Pour évaluer l’impact de cette baisse d’activité sur l’emploi, et donc sur le nombre de chômeurs à terme, c’est une autre paire de manche. “Il y a la conséquence à court terme, que l’on peut mesurer avec le recours au chômage partiel, et les conséquences à moyen et long terme, qui dépendront de la reprise de l’activité”, poursuit Jamel Mekkaoui. Or, ce sont déjà 12.500 salariés qui ont été placés sous ce dispositif… Mais il n’est pas certain qu’ils puissent tous rester en poste longtemps après la crise. “Ces chiffres ne représentent pas vraiment la réalité car des personnes peuvent avoir vu leur contrat se terminer sans qu’on leur propose de renouvellement à cause de la crise”, précise le responsable. Et si l’on se base sur les chiffres de l’Acoss (Agence centrale des organismes de sécurité sociale),
publiés dans une étude de la Dieccte en mai 2019, sur l’ensemble du marché du travail, les CDD représentaient 72% des embauches en 2017. Le gérant du Caribou Hôtel pourrait bien ne pas être le seul à avoir renoncé à renouveler ces contrats.
Pour déterminer l’impact à long terme, il faudra néanmoins attendre les résultats de l’enquête en cours de l’Insee, qui permettra d’analyser l’évolution du taux de chômage rétrospectivement. Côté BTP, secteur porteur pour l’île, on sauve en tout cas les meubles, pour l’instant. “Nous avons pu maintenir l’emploi grâce à l’activité partielle”, assure Julian Champiat, le président de la FMBTP, la Fédération mahoraise du bâtiment et travaux publics. “Aujourd’hui, grâce au guide de bonnes pratiques sur les chantiers, environ 40% de nos entreprises ont pu reprendre de l’activité, avec 50% d’efficience”. Mais même si aucun adhérent n’a pour l’instant évoqué de licenciements, “il faut revenir vite à 80% d’efficience pour éviter que des salariés ou des intérimaires souffrent de la crise”, développe-t-il.
Baisse des inscriptions à Pôle Emploi
Jean-Christophe Baklouti, le directeur régional de Pôle Emploi à Mayotte, partage son analyse : “Certes, le BTP, par exemple, a pas mal souffert de la crise, mais on peut espérer que le chômage partiel a bien fonctionné”. Pour l’instant, d’ailleurs, le nombre d’inscriptions à Pôle Emploi a plutôt chuté ces dernières semaines, à l’en croire. Une situation qui s’explique avant tout par la fermeture des agences sur l’île, qui ne réouvriront qu’une semaine minimum après la date officielle du déconfinement (l’accueil se fera uniquement sur rendez-vous). “Nos services sont dématérialisés, or le taux de pénétration d’Internet dans les foyers mahorais est d’à peine 35%”, analyse-t-il. “On s’attend donc à une hausse des inscriptions après le confinement, auxquelles s’ajouteront peut-être les inscriptions liées à l’impact économique : fermetures d’entreprises, plan de licenciement, etc.”. S’il faudra attendre quelques mois pour tirer des conclusions pour le chômage, un autre indicateur peut toutefois illustrer la tendance sur le marché du travail : “nous avons constaté que bon nombre d’offres d’emploi qui avaient été déposées avant le confinement ont depuis été retirées par les recruteurs”, signale Jean-Christophe Baklouti.
À quelques jours du possible déconfinement de Mayotte, le député Mansour Kamardine doute sérieusement de la pertinence de cette prolongation. Et la juge même dangereuse. En cause, selon lui : les mesures imposées n’ont pas été accompagnées de moyens pour circonscrire l’épidémie.
Flash Infos : La semaine dernière, vous demandiez au gouvernement que Mayotte soit déconfinée en même temps que la métropole. Cela n’est finalement pas le cas et ledit déconfinement est prévu pour le 18 mai. Le département vous semble-t-il vraiment prêt pour cela alors que le pic épidémique annoncé n’est pas encore atteint ?
Mansour Kamardine : De l’analyse que je fais, je pense qu’on a pris une semaine de retard dans le déconfinement. Il tue au moins autant que le virus. On n’a pas encore mesuré aujourd’hui ses conséquences, mais deux mois de confinement, cela a été trop long. À cela s’ajoute qu’à la vue de ce qu’on observe à l’international, il n’est pas l’unique solution pour combattre l’épidémie. En Corée du sud par exemple, ou en Allemagne, en Suède, des pays où le confinement n’a pas été fait, on constate qu’il y a à peu près le même nombre de morts par million d’habitant que dans les pays qui l’ont appliqué. On peut donc avoir des doutes sur sa pertinence. Par ailleurs – et je parle là de manière générale, y compris à Mayotte –, le confinement a été un échec : il n’a pas empêché le virus de circuler.
FI : Mais on peut imaginer que cela aurait été pire sans ces mesures…
MK : Ce qui est pire, c’est que Mayotte n’a pas été dotée des moyens nécessaires pour assurer le succès du confinement. Lorsqu’on confine des populations, sans moyen pour tester tous ceux qui sont susceptibles d’être des porteurs potentiels du virus, et qu’on met deux mois avant d’avoir une timide réaction, il est normal que le virus prenne l’avantage. Un exemple : j’ai été personnellement touché par le Covid-19. Le 2 avril, les médecins m’annoncent que je suis positif. Déjà, cela veut dire que j’étais porteur depuis plusieurs jours. On me demande alors quels sont les gens que j’ai pu fréquenter avec proximité. J’en cite quatre et donne leurs numéros de téléphone. Pour qu’elles soient testées toutes les quatre, il a fallu attendre que certaines d’entre elles tombent malades 15 jours plus tard. Et encore, il a fallu que je les amène à Kahani pour imposer qu’elles le soient. On voit bien que les moyens ont manqué. On dit aux gens de rester chez eux s’ils ont des symptômes, de surveiller leur température et d’appeler le Samu en cas de difficultés respiratoires uniquement. Un médecin qui doit dire à quelqu’un de malade qu’il ne peut pas le traiter et qu’il doit rester chez lui, c’est un cas unique ! Or, si on les prenait en charge tout de suite, si on contrôlait directement l’environnement, on n’aurait sans doute pas propagé la maladie. On voit bien
que confiner sans permettre les mesures d’accompagnement nécessaires, n’a aucun intérêt. C’est ce qui me fait dire que la solution n’est pas dans le confinement : le virus est en grande circulation.
FI : Quelles solutions alors, selon-vous ?
MK : La solution réside dans les tests, pour commencer. Ensuite, il faut donner des masques à tout le monde. Et puis il faut soigner. Lorsqu’on est testé positif, même asymptomatique, il faut être traité car on est alors susceptible de transmettre le Covid-19. C’est ce qui me fait dire qu’il faut désormais déconfiner sous ses conditions, dès l’instant où cela est fait de manière responsable et stricte.
En réalité, comme le gouvernement n’avait pas préparé cette situation, il s’est retrouvé pris au dépourvu et a donné la priorité aux régions où le virus était en grande circulation au détriment d’un territoire comme Mayotte. Tester 30 personnes par jour, c’était manifestement insuffisant. D’ailleurs, on le constate depuis à peu près une semaine : après que la tension a baissé en métropole, on a pu dégager quelques moyens et tester 200 à 300 personnes par jour ici. Cette augmentation importante, avec une forte hausse du nombre de cas positifs, montre que le virus a déjà pris beaucoup d’avance par rapport aux moyens de lutte. Ce n’est pas une surprise, c’est le constat d’une situation que personne ne pouvait ignorer. Durant plusieurs semaines, le virus a emprunté des autoroutes sans rien pour le freiner. Il faut maintenant en tirer les conséquences : je demande qu’on arrive à plus d’un millier de tests par jour ; à ce que soient distribués des masques à l’ensemble de la population ; à soigner tout le monde ; et que soient contrôlées les frontières afin que plus personne ne rentre à Mayotte alors que nous n’avons déjà pas les moyens de faire face à la situation actuelle.
FI : De manière générale, les mesures prises pour préparer le déconfinement du 18 mai vous paraissent-elles suffisantes ?
MK : Ou bien on prend les mesures que je propose, quitte à les amplifier, ou bien le déconfinement ne pourra pas se faire. Aussi longtemps qu’on continuera à traiter Mayotte comme on l’a fait, on ne déconfinera jamais. Or, le confinement est en train de tout tuer, l’économie en tête. D’ailleurs, s’il n’a pas fonctionné, c’est que nous n’avons jamais été en mesure de confiner tout le monde, notamment toute cette partie de la population qui n’a pas de véritables logements, qui n’a pas de quoi manger ni d’accès à l’eau, etc. Et non seulement il a été impossible de les confiner, mais on s’est rendu compte aussi que les frontières de Mayotte n’étaient pas totalement étanches. Du coup, les Mahorais se sont dit qu’on leur demandait de rester enfermés alors que d’autres étaient en circulation, et ils sont sortis aussi. Cela a été un échec. Il faut donc mettre les moyens, sinon on ne réussira pas ce déconfinement, ni demain, ni après-demain.
FI : Vous parliez de masques pour le déconfinement. Des commandes ont tout de même été passées et sont en cours d’acheminement, voire même déjà arrivées sur le territoire…
MK : J’espère que la préparation est solide et que les masques seront tous bien là. Mon sentiment est que le confinement a été prolongé à Mayotte parce qu’on n’était pas prêt en termes de moyens, et non parce que le virus circule. Plusieurs personnes ont demandé à pouvoir importer des masques, et c’est le seul produit soumis à autorisation. Pourquoi freiner ces initiatives ? Des jeunes mahorais sont en mesure d’en faire venir, mais ils ne reçoivent pas les autorisations ; des personnes à Madagascar – là où d’ailleurs ont déjà été commandés des masques – sont prêtes à en fabriquer tout de suite, mais tout cela est verrouillé pour des raisons que j’ignore. Nous sommes pourtant là dans le commerce normal, pas dans des masques FFP2 ou chirurgicaux, juste des masques grands publics. Il faut, je crois, sortir de toutes ces autorisations administratives qui nous étouffent pour permettre à tous ceux qui peuvent en importer de le faire. Car le masque est la solution de base, la condition sine qua non du déconfinement.
FI : Vous abordiez la question de l’économie. Avez-vous déjà réfléchi à des propositions pour soutenir sa reprise à Mayotte, où l’on sait qu’elle est déjà bien fragile ?
MK : Ce qu’il nous faut, ce sont des activités permettant de créer des emplois durables. Il faut lancer des grands chantiers structurants, permettant aux entreprises de remplir leurs carnets de commandes et ainsi recruter des salariés. Or, en l’état, l’actuel contrat de convergence ne parle pas beaucoup à Mayotte. Un exemple : a-t-on le moindre commencement de travaux pour la construction des écoles, pourtant signée il y a un peu moins d’un an ? Non, il n’y a rien encore parce que tout est centralisé à la Deal. Or, celle-ci n’a pas les moyens techniques pour assurer la maîtrise d’œuvre de ces projets. On a une Deal qui a les yeux plus gros que le ventre, comme disait La Fontaine. Du coup, rien ne sort. Il faut permettre aux maires de s’en charger. Je plaide pour la mise en place d’une commission d’attribution des écoles au sein de laquelle on réunit les maires pour leur en confier la responsabilité. Les autorités d’équipement y joueraient un rôle de contrôle en tant que service de l’État pour s’assurer que le projet corresponde aux attentes. Mais en mettant les communes sous tutelle, on ne s’en sortira jamais. Voilà le type d’actions qu’on pourrait mener dans le cadre du contrat de convergence et qui ne se fait pas. Il prend fin en 2022, et sur le 1,6 milliard d’inscrit, on en aura utilisé que 30, 40 ou 50 millions.
FI : Des grands projets existent pourtant, comme la piste longue par exemple, notamment dans le cadre du contrat de convergence. Craignez-vous que la crise économique, qui pourrait sévir à la suite de la crise mondiale du Covid-19, ne les freine ?
MK : Le contrat de convergence ne prévoit pas le financement de la piste longue. Il prévoit de financer des études à hauteur de 1,5 ou 2 millions d’euros, mais c’est tout. Et on s’est rendu compte lors d’une première réunion, en janvier, que cette dotation était insuffisante. Il a même été demandé au Conseil départemental de mettre la main à la poche pour la compléter. Au-delà, le contrat ne prévoit pas non plus ce que j’appelle des « grands travaux » : quai de Longoni, contournement de Mamoudzou, agrandissement de l’université, etc. Pour en revenir à la question, il faudra effectivement que nous fassions attention. D’ailleurs je relève que le premier ministre nous a annoncé en octobre 2018, à Matignon, le lancement d’une opération d’intérêt national à Mayotte. Cela fait deux ans et on ne voit toujours rien venir. Je ne serai donc pas
surpris que l’on invoque la crise, demain, pour justifier la non-réalisation des projets. La situation justifie pourtant amplement que ce contrat de convergence soit non seulement conduit à son terme, mais qu’il soit aussi amplifié.
Les coiffeurs et les esthéticiennes sont parmi les professionnels qui ont le plus manqués pendant le confinement. Mais avant de retrouver leurs clients, ils doivent opérer un certain nombre de changements dans leurs instituts et repenser leurs méthodes de travail. Une obligation pour ces métiers de contacts physique.
On attend leur réouverture avec beaucoup d’impatience. Les coiffeurs et les esthéticiennes de l’île savent d’ores et déjà qu’ils seront pris d’assaut à l’instant où le confinement sera levé. Cependant, pour se faire choyer dans les instituts de beauté, il faudra se plier à certaines nouvelles règles. Au salon de coiffure May Salon, Ibrahim, le propriétaire, a déjà pris ses précautions. “Les coiffeurs vont porter des masques en tissu avec filtre et des gants. Les clients aussi devront porter leur masque, ils ne pourront l’enlever que lorsqu’ils seront assis sur la chaise pendant la prestation pour que l’on puisse les coiffer.” Les premiers jours seront plus indulgents. L’équipe de May Salon tolérera les clients qui n’auront pas de masque, mais ils devront très vite prendre l’habitude. Le gérant a également réaménagé l’espace de travail des coiffeurs. “Nous avons enlevé une chaise sur deux et les avons mis dans une autre pièce pour faire respecter la distance d’un mètre. L’espace coiffure est désormais étalé sur deux étages alors qu’avant, tous les coiffeurs étaient au même endroit”, indique Ibrahim. Un espace sera également aménagé à l’extérieur du salon de coiffure pour les accompagnateurs. Ces derniers n’auront plus le droit de patienter à l’intérieur.
La réorganisation s’opère également au niveau du planning. Chez Mawa Coiffure, en temps normal, les clients peuvent être reçus sans rendez-vous, mais là encore les règles ont changé. Désormais, tous devront en prendre un à l’avance afin d’éviter la cohue. “Ce qui va être difficile cela sera de dire non parce que mes clients sont habitués à venir sans rendez-vous”, indique David, coiffeur et gérant de Mawa Coiffure. La gestion du temps ne lui facilitera pas la tâche. “Chaque coiffeur devra désinfecter tout son poste de coiffage entre chaque client. On perdra donc plus de temps, le flux sera moins dense.”
Ces changements sont indispensables, mais ils ont un coût financier. David a alors décidé d’augmenter les prix des prestations. “ Au niveau national les tarifs ont augmenté de 10%, mais je ne rajouterai qu’un euro à chaque prestation. Cela n’est pas beaucoup plus rentable mais c’est mieux que rien.”
Les salons d’esthétique ne sont pas en reste
Les habitudes devront également changer dans les salons d’esthétique. Djayda, esthéticienne et propriétaire de Sublime Mayotte a reçu une fiche sanitaire envoyée par les syndicats du métier. Cette fiche énumère toutes les règles d’hygiène et de sécurité à suivre. “Je fais de la médecine esthétique donc je dois déjà respecter des normes très strictes. Mais c’est vrai que dans notre métier il est très difficile de respecter la distance d’un mètre”, affirme-t-elle. Alors la professionnelle a pris des mesures drastiques afin d’éviter tout risque de contamination. “Pour les soins du visage, les clientes n’auront pas le droit de parler et je ne le ferai pas non plus pour éviter les postillons”, annonce Djayda. En dehors des prestations du visage, les clientes auront l’obligation de porter un masque dès qu’elles franchiront le pas de la porte de l’institut. Et si certains salons demandent à chacun d’emmener son masque, la gérante de Sublime Mayotte préfère procéder autrement. “Je fournirai les masques afin d’être sûre qu’ils ont bien été nettoyés.” Les clientes seront également invitées à retirer leurs chaussures à l’entrée et un espace est aménagé pour qu’elles puissent laisser leurs affaires. Le plus gros changement réside cependant dans le choix des prestations que le salon propose. Certaines sont supprimées pour une durée illimitée. “Nous n’avons plus le droit de faire de l’épilation roll-on car c’est directement en contact avec la peau et il est difficile de le désinfecter. Nous ne pourrons pas non plus épiler certaines parties intimes du corps”, explique l’esthéticienne.
Une reprise fortement attendue
Si Mayotte est déconfinée le 18 mai, les professionnels, qui ont perdu 100% de leur chiffre d’affaire, pourront se refaire une beauté grâce à l’aïd. Il s’agit d’une période cruciale pour eux. “La semaine qui précède l’aïd est très importante. On fait l’un des plus gros chiffres d’affaires de l’année. J’ai donc très peur que le déconfinement soit encore reporté parce qu’on perdrait des jours très importants de l’année”, raconte Ibrahim de May Salon. Les clients, de leur côté, sont déjà prêts à se faire beaux puisque le calendrier des rendez-vous est déjà complet. Même son de cloche pour Djayda l’esthéticienne. “Je profite de ces derniers jours pour me reposer parce que mon planning est déjà rempli. Mes clientes sont impatientes de revenir, elles en ont besoin.”
Les acteurs mahorais du spectacle restent dans la tourmente : alors que le gouvernement a déployé des aides aux intermittents lésés par l’annulation des événements culturels, leurs homologues locaux ne pourront pas y prétendre, ce statut juridique n’existant pas au sein du 101ème département.
Même rengaine pour les professionnels de la culture mahoraise. Mi-avril, les pouvoirs publics promulguaient un décret exceptionnel afin de soutenir les intermittents du spectacle, dont l’activité est laissée en suspens depuis le début de la crise sanitaire. Prolongation des droits à l’assurance chômage, allongement de la période de base servant à la durée de l’indemnisation et inclusion des périodes de suspension du contrat de travail pour la détermination de l’affiliation : de quoi éponger, en petite partie, la perte de plusieurs milliards d’euros provoquée par l’annulation des événements culturels*. Un semblant de bonne nouvelle dont ne profitera pas Mayotte, où le statut juridique d’intermittent du spectacle n’existe tout simplement pas.
Alors, depuis le début de l’épidémie de Covid-19 sur l’île, le collectif des Arts Confondus – constitué par plusieurs associations locales pour défendre les professionnels du spectacle à Mayotte – avait décidé, dès le mois de mars, de recenser les acteurs touchés et les pertes causées par la crise sanitaire à l’échelle locale, dans l’espoir de faire réagir le ministère de la Culture. Ainsi, sur la période du 16 mars au 31 mai, 21 structures privées ou publiques ont répondu à cette enquête. Elles représentent au total 74 emplois, dont 49 permanents et 25 CDD qui ne pourront être ni conclus ni renouvelés. Ce sont ainsi plus de 3 000 heures d’ateliers artistiques qui n’ont pas pu être réalisées sur cette même période, et 78 spectacles, qui, annulés, n’ont pu rencontrer leur public. Du côté des associations et entreprises, seules celles qui comptent moins de 10 salariés peuvent prétendre à une aide exceptionnelle de 1 500 euros. Ce qui exclue d’office la plupart des structures locales.
Jusqu’alors, le manque à gagner du secteur culturel demeurait difficile à déterminer. Mais les récentes estimations du collectif des Arts Confondus font désormais état de quelque 314 400 euros de pertes de recettes et chiffres d’affaires, auxquels s’ajoutent près de 95 000 euros de pertes indirectes liées aux prestations extérieures comme le transport, la restauration ou l’hébergement. Coup dur inédit pour le milieu artistique qui, déjà en temps normal, n’attire que rarement l’attention de la scène politique. Toutefois, grâce à la mobilisation des associations et de la direction des affaires culturelles (Dac) du département, une première mesure avait pu être prise, à savoir le maintien des subventions accordées avant ou pendant le confinement, et ce même pour les appels à projet qui n’ont finalement pas pu voir le jour. Une bonne nouvelle, certes, mais largement insuffisante : « Cette mesure concerne surtout des ateliers d’éducation artistique », commente Sophie Huvet, directrice de l’association Hip-Hop Évolution et porte-parole du collectif des Arts Confondus. « Autrement dit, ça touche moins les artistes qui avaient des dates à Mayotte ou devaient se produire à l’extérieur. Pour eux, il n’y a pas de compensation pour le moment, alors que certains ne vivent que par les concerts. »
Le ministère devrait bientôt statuer
Mais la tendance pourrait rapidement s’inverser. Grâce à l’enquête instiguée par le collectif, la Dac a finalement réussi à interpeller Paris. « Nous faisons remonter chaque semaine un état des lieux de ce qui se passe ici », explique Florence Gendrier, directrice des affaires culturelles. « Le ministère a pris acte de la situation particulière de Mayotte, et d’ici une quinzaine de jours, une demande de dotations spécifique sera présentée au cabinet. Sur le principe, le ministre est déjà d’accord, mais il reste à identifier les besoins chiffrés. » Car, par-delà les événements déjà annulés, se pose aussi le problème de ceux qui ne pourront être organisés même après le déconfinement de l’île, la tenue des scènes grand public ayant été reportée par le gouvernement au mois de septembre, à minima. « L’enjeu, c’est de faire en sorte que le secteur culturel ressorte vivant et entier de la crise », souffle Florence Gendrier, qui a, de facto, demandé au collectif de
produire une nouvelle enquête, couvrant cette fois la période de mai à août.
« Au-delà de la crise, l’absence de cadre juridique et social nous handicape deux fois plus », s’alarme à son tour Sophie Huvet. Et pour cause. En métropole, tout artiste ou technicien des arts de la scène peut prétendre au statut d’intermittent du spectacle et par conséquence, accéder à des droits et des régimes sociaux conçus selon les spécificités du métier. Un dispositif qui encadre également l’accès à la formation ou à des congés spéciaux, selon une convention nationale décidée avant que l’île ne bascule sous le régime de la départementalisation. Depuis plusieurs années, les professionnels des arts vivants à Mayotte militent pour qu’enfin, le territoire soit intégré dans ces textes. Problème : « Pour ça, il faut rouvrir des négociations avec les syndicats nationaux, », résume Sophie Huvet. Une démarche qui pourrait potentiellement permettre au gouvernement de se rétracter concernant certains acquis. « Nous, ce qu’on propose, c’est de simplement rajouter Mayotte sans nouvelles négociations, mais même si on le faisait, notre accès à la Sécurité sociale ou à Pôle Emploi ne serait pas le même », ces structures étant localement à leurs balbutiements.
* Selon une étude récente dirigée par Emmanuel Négrier, directeur de recherche au centre d’études politiques de l’Europe latine à l’université de Montpellier, l’annulation d’au moins 4 000 événements à l’échelle nationale pourraient entraîner, à minima, entre 2,3 et 2,6 milliards d’euros de perte pour le secteur culturel.
Depuis samedi dernier, Kahani est le théâtre de scènes de violence à répétition. Un accident de la route impliquant un automobiliste est une fillette de 5 ans en serait l’origine. Barrages, caillassages et cambriolages rythment le quotidien des habitants depuis trois jours malgré la présence des forces de l’ordre.
“La goutte d’eau qui a fait déborder le vase” : le maire de Ouangani, Ahmed Combo Ali, ne trouve pas d’autres mots pour qualifier la situation dans laquelle se trouve le village de Kahani, dans la commune de Ouangani, depuis le week-end dernier.
Samedi dans la matinée, en effet, un automobiliste percute une petite fille de 5 ans. Cette dernière, grièvement blessée, est amenée par les secours, mais l’évènement met le feu aux poudres. Les habitants du village érigent aussitôt un barrage sur la route départementale qui relie Kahani à Chiconi. Du vieux mobilier, de l’électroménager, des poubelles et des carcasses de voitures jonchent alors la route dans le seul objectif de faire entendre les revendications des habitants. Ils réclament des bandes ralentisseurs ou un dos d’âne sur cet axe car les automobilistes roulent trop vite et des accidents sont déjà survenus au même endroit par le passé. “Il y avait des ralentisseurs sur cette route, mais le Conseil départemental l’a rénovée l’année dernière et il n’a pas remis les bandes ralentisseurs. Je l’ai signalé et on m’a dit qu’ils allaient les remettre. Cela fait un an mais ils me disent toujours que c’est en cours”, explique le maire de la commune. S’il dit comprendre la colère des habitants le jour de l’accident – “c’était compréhensif” indique-t-il – la suite des événements dégénère rapidement. La gendarmerie intervient et dégage la route, mais les barrages sont réinstallés dans la soirée de samedi et des individus y mettent le feu. Le climat dans le village se détériore d’heure en heure, mettant en opposition les habitants et les gendarmes. Ces derniers doivent faire usage de bombes lacrymogènes pour disperser les individus.
Dimanche en fin d’après-midi, le blocage de la route reprend de plus belle et la gendarmerie déploie les grands moyens afin de maîtriser la situation. Entre 30 et 80 gendarmes sont engagés sur les lieux. Un hélicoptère survole également la zone. “L’opération a duré jusqu’à lundi matin puisqu’il y a eu d’autres affrontements dans la nuit de dimanche à lundi. Cinq individus ont été interpellés et mis en garde à vue”, annonce le général Philippe Leclercq, commandant de la gendarmerie de Mayotte. Parmi eux, un mineur et quatre jeunes majeurs. Le secteur restera sous haute surveillance durant plusieurs jours. De son côté, la municipalité affirme “avoir fait son travail”. Désormais, seul le Département pourrait calmer la colère des habitants de Kahani. Selon le maire, “la solution à long terme est de mettre des bandes ralentisseurs sur cette route départementale. Et c’est le Département qui doit le faire.”
La caserne de pompiers de Kahani vandalisée
Cette recrudescence de violence ne s’est pas arrêtée aux barrages et affrontements entre les habitants et la gendarmerie. Dans la nuit de dimanche à lundi, la caserne de pompiers qui se trouve à quelques mètres du tronçon de route en question a été visitée par une cinquantaine d’individus alors que les soldats du feu se trouvaient sur les lieux. “Les pompiers ont clairement été pris pour cible. Des véhicules d’intervention ont été pillés et vandalisés. Il y a eu des jets de pierres sur les pare-brises, le petit magasin a également été pillé”, affirme le syndicat des pompiers, SNSPP-PATS. Les malfaiteurs ont emporté un groupe électrogène et une multitude de matériels. Fort heureusement, aucun blessé n’est à déplorer, mais les dommages psychologiques sont bien
présents et les pompiers pointent du doigt leur direction. “Les collègues sont presque anéantis car le service ne fait rien pour la sécurisation des lieux. L’intrusion s’est faite par le portail car celui-ci ne ferme pas à clé. Pour eux, ce n’est que du mépris. Cet évènement engendre un état d’esprit de méfiance envers la direction”, explique le syndicat des pompiers, SNSPP-PATS.
Alors que le nombre de nouveaux cas continue de grimper, l’Agence régionale de santé mise sur les évacuations sanitaires pour soulager les équipes médicales de Mayotte. Et se préparer à faire face à la vague.
Mayotte arbore toujours cette couleur rouge vif sur la carte et risque bien de la garder. Alors que le 101ème département est de ceux qui restent sous cloche cette semaine, le nombre de nouveaux cas poursuit sa triste ascension : 38 de plus ce lundi, pour un total de 1061 personnes contaminées par le Covid-19 sur l’île. Un nouveau décès est à déplorer, et le bilan s’établit désormais à 12 morts. En outre, 50 patients sont hospitalisés au CHM, dont 10 en réanimation et 29 en médecine. “Pour rappel, il y a de cela trois semaines, nous étions à une vingtaine de personnes hospitalisées en médecine, là nous approchons des trente, et cette situation est préoccupante”, souligne Dominique Voynet, la directrice de l’ARS, lors du point bi-hebdomadaire de l’autorité sanitaire.
À part le seuil symbolique des 1000 cas franchi ce weekend, la situation reste sensiblement similaire à celle de la semaine dernière, note toutefois l’ARS. Le virus circule toujours activement sur l’île et aucune zone n’est épargnée. “Il y a beaucoup de cas dans tous les villages de Mamoudzou, et l’on constate l’apparition de nouveaux cas dans d’autres villages”, ajoute Dominique Voynet. Pas de répit pour l’ARS donc, qui continue de s’armer pour faire face à la “vague”. Le pic épidémique, lui, est toujours prévu autour du 20 mai.
Des premiers patients Covid évacués
En attendant, l’ARS ne compte pas rester les bras croisés. “Nous sommes en train de réorganiser le système de santé”, développe la responsable. Objectif : avoir suffisamment de place à l’hôpital pour accueillir cette vague. “La mécanique des évacuations sanitaires est en train de monter en puissance”. En clair, il faut se préparer à manquer de lits. Pour rappel, la colorisation des départements en vue du déconfinement dépend de trois indicateurs : la circulation active du virus, la tension hospitalière sur les capacités en réanimation, et la couverture des besoins en tests estimés. À Mayotte, deux au moins de ces critères peuvent être remplis.
C’est pourquoi le 101ème département compte sur son voisin, plutôt épargné en comparaison : La Réunion. Les évacuations sanitaires ont repris à un bon rythme. Si elles concernaient d’abord des patients non-Covidpour soulager les services de médecine et de réanimation, depuis vendredi, même les patients atteints du virus peuvent y être envoyés. “Avant le confinement, on tournait à environ 150 personnes évacuées par mois : nous voudrions atteindre ce chiffre-là, ce qui nous permettra d’être plus à l’aise”, précise
Dominique Voynet, qui annonçait jeudi dernier avoir envoyé sept patients non-Covid à La Réunion. Elle en annonce ce lundi cinq autres, ceux-là positifs au coronavirus et transférés vendredi.
Un nouvel avion sanitaire en vue
Équipées pour faire face à une épidémie de Covid-19, qui s’est révélée moins sévère que celle que nous connaissons à Mayotte, les équipes médicales à La Réunion ont “encore plus de moyens” que d’habitude pour assurer leur rôle de soutien à leurs confrères mahorais du CHM. Toutes les précautions sont d’ailleurs prises pour éviter une propagation du virus : désinfection des avions, des ambulances, tests des patients au départ et 48h plus tard, etc. Pour l’instant, les avions d’Air Austral assurent ces évacuations, ainsi qu’un avion privé qui a été affrété pour les cas Covid ou les urgences. Mais ils devraient être bientôt rejoints par un avion sanitaire, dont la directrice de l’ARS espère passer commande cette semaine, annonce-t-elle. “Cette commande, c’est une procédure accélérée rendue possible par l’état d’urgence sanitaire, qui nous permet d’obtenir l’avion pour trois mois à Mayotte. À partir de là, nous pourrons faire des statistiques, évaluer les coûts que cela représente, pour peut-être pérenniser son usage après la crise”, détaille l’ancienne ministre. Un hélicoptère sanitaire, affrété sur le Mistral la semaine dernière, est quant à lui sur le point d’arriver à Mayotte, “pour nous aider à faire face au pic”.
Mayotte en manque de bras
Mais tout ce matériel ne remplacera jamais les forces vives qui soignent tous les jours les patients au CHM. Preuve en est avec l’installation d’un hôpital de campagne militaire – celui-là même qui était venu en renfort dans le Haut-Rhin – qui devrait bientôt prendre ses quartiers dans un service du CHM. “Je suis embêtée, nous avions prévu ces espaces pour autre chose”, s’inquiète Dominique Voynet, qui rappelle aussi que “nous n’avions pas demandé cet hôpital, nous avons demandé des renforts en personnel”. La réserve sanitaire ne semble pas suffire pour renouveler les équipes de médecins et infirmiers urgentistes et réanimateurs, et le laboratoire commence lui aussi à manquer de bras pour effectuer tous les tests demandés. La directrice de l’ARS compte aborder le sujet avec son ministère de tutelle, et insister sur l’importance de “renouveler les personnels déjà en poste”. “Il serait anormal d’avoir un service de réanimation épuisé et un service militaire bien doté et qui mobilise des efforts hospitaliers”. Tant que tout ce beau monde ne se marche pas sur les pieds ni sur les fils des respirateurs…
Ce lundi, le Mistral accostait à Mayotte pour la deuxième fois. C’est au port de Longoni qu’il a déchargé ses 500 tonnes de fret alimentaire, sanitaire, et de fournitures diverses. Un déchargement qui s’est déroulé sous les yeux du préfet, Jean-François Colombet.
Cinq-cents : c’est le poids, en tonnes, du fret déchargé par le porte-hélicoptères Mistral, hier, au port de Longoni. Pour sa deuxième rotation à Mayotte, le navire a donc plus que doublé sa cargaison, la première, le mois dernier, ayant ramené 233 tonnes de matériels divers. Au programme, cette fois : 300 tonnes de denrées alimentaires, 30 tonnes de produits sanitaires, mais aussi 90 tonnes de fournitures diverses – matériel de chantiers, pièces électriques et industrielles, etc. –, « indispensables à la reprise économique », a expliqué le préfet Jean-François Colombet, présent lors de l’opération de déchargement. Également ramené sur le 101ème département : un hélicoptère loué à une entreprise privée réunionnaise et destiné à assurer les transports d’urgence entre les centres médicaux de référence du territoire et le CHM, à Mamoudzou.
La présence du Mistral a également été l’occasion pour le haut fonctionnaire de mettre en lumière la chaîne logistique mise en place lors de cette crise sanitaire : « Les lignes aériennes commerciales ont été fermées et le transport international maritime est très désorganisé en ce moment, les compagnies n’ont pas le même rendement que d’habitude. (…) S’il ne manque pas grand-chose dans les rayons aujourd’hui, c’est parce que cette chaîne fonctionne bien et est performante », a-t-il mis en avant, rappelant que plus de 1 000 tonnes de fret ont été débarquées depuis lancement du pont maritime, que complète le pont aérien et les 140 tonnes de fret que ce dernier a amené sur le territoire.
Au niveau national, les enfants reprennent officiellement le chemin de l’école à partir d’aujourd’hui. Chez nous, la rentrée a été repoussée au 18 mai, date potentielle du déconfinement. Les plus petits seront les premiers à ouvrir le bal si leurs parents acceptent de les envoyer puisque la décision définitive leur revient. Mais l’ouverture des établissements scolaires ne dépend uniquement que du bon vouloir des maires. Pour le moment, une très grande majorité d’entre eux affirme ne pas être capable de recevoir les élèves, principalement par manque de moyens. Votre commune sera-t-elle prête à ouvrir les écoles dans une semaine ? Réponses des 17 maires.
Mamoudzou
“Mamoudzou est prêt ! Nous avons commandé 1.500 litres de gel hydroalcoolique uniquement pour la rentrée, des masques. La Cadema a également commandé 20.000 masques et une partie reviendra aux écoles et aux agents municipaux. Nous avons multiplié les points d’eau, les désinfections des écoles sont en cours. Si l’ARS nous dit que l’on peut ouvrir le 18 mai alors on ouvrira les écoles.” Nassuf Eddine Daroueche, adjoint au maire, délégué à la sécurité.
Koungou
“Pour le moment, à Koungou nous ne sommes pas sûrs d’ouvrir les écoles le 18 mai, mais je n’ai pas encore pris la décision définitive. Nous sommes une grosse commune avec beaucoup d’enfants. On a des classes qui sont en rotation et on sera perdus dans l’organisation. Mais on est en train d’y travailler. Cependant, je pense qu’il serait plus judicieux de reporter la rentrée à septembre. Entre temps, il faudra trouver une solution pour occuper les enfants. On est d’ailleurs en train de réfléchir à une alternative s’ils ne retournent pas à l’école.” Assani Saindou Bamcolo, maire de Koungou.
Dzaoudzi-Labattoir
“Je n’ouvrirai pas parce que le protocole sanitaire envoyé exige des conditions que je ne peux pas mettre en œuvre. Par exemple, tous les matins la famille doit prendre la température de leur enfant avant de l’envoyer à l’école. Comment puis-je vérifier cela ? Pourquoi ne met-on pas un endroit avec des agents de l’ARS qui prennent la température des enfants avant qu’ils n’entrent en classe ? En tant que maire, je dois assurer la sécurité de tous mes agents parce que s’ils sont contaminés je serai le seul responsable. De plus, il va falloir faire des travaux supplémentaires dans les écoles pour être en conformité avec le protocole. Mais tout cela génère des dépenses supplémentaires pour les mairies. Le recteur nous dit que l’État va prendre en charge la moitié des dépenses exceptionnelles. Mais compte tenu de l’état de nos finances dans les communes, l’État doit nous donner une dotation spéciale Covid-19 pour la rentrée scolaire. On parle d’ouverture des écoles, mais pour l’instant nous n’avons rien. Donc au regard des avantages et des inconvénients, je préfère ne pas ouvrir les écoles. Je préfère un report de la rentrée en septembre. Je comprends qu’il y a des enfants en décrochage scolaire, mais je ne peux pas mettre la population en danger.” Said Omar Oili, maire de Dzaoudzi-Labattoir.
Pamandzi
“Si ça ne tenait qu’à moi, je n’ouvrirais pas les écoles. Je n’ai pas tous les moyens nécessaires pour le faire, notamment en terme de masques. J’ai des classes de 34 élèves, si on les dédouble cela fait 17 par enseignant alors qu’on nous dit qu’il faut qu’il y ait au maximum 15 élèves dans une classe. Comment dois-je gérer les 4 qui restent ? J’ai échangé avec quelques élus de la commune et ils sont d’avis à ne pas ouvrir les écoles tant que les conditions de protection ne seront pas toutes réunies. J’attends la réunion avec le conseil municipal le 13 mai pour prendre une décision définitive.” Siaka Hamidou, maire de Pamandzi.
Acoua
“On est encore en train d’y réfléchir. Selon les statistiques de l’ARS la situation ne s’améliore pas, on s’enfonce tous les jours. Si on est vraiment rationnel, on tâchera de temporiser un peu parce que nous allons dans le sens contraire de ce que préconise l’ARS. Si on regroupe des enfants au même endroit, on aura du mal à faire respecter les gestes barrières. On nous parle aussi d’aide pour le matériel, mais je n’ai rien de concret jusqu’à présent, on ne fait que parler. Et puis pour pouvoir enseigner il faut être prêt psychologiquement à le faire, mais les enseignants ne le sont pas. Et même certains parents affirment qu’ils n’enverront pas leurs enfants à l’école. En prenant en compte tous ces critères, je fais plutôt partie de ceux qui recommandent la rentrée en septembre. Il ne reste qu’un mois de cours.” Ahmed Darouechi, maire d’Acoua.
Bandrélé
“On s’est mis à travailler sur le sujet pour savoir ce que l’on peut faire. Nous revoyons nos installations, ce qu’il manque, etc. Mais Bandrélé fait partie des foyers du virus alors notre position actuelle est de ne pas ouvrir les écoles en l’état. Évidemment rien n’est figé, nous sommes encore en train d’étudier la question, mais on ne voit pas clair, il y a des questions qui restent sans réponses, donc pour le moment nous ne sommes pas prêts à accueillir les élèves.” Ali Moussa Moussa Ben, maire de Bandrélé.
Kani-Kéli
“On y travaille, mais on n’est pas prêts à ouvrir à tous les niveaux. On a entamé des discussions avec les parents et ils nous disent qu’ils n’enverront pas leurs enfants à l’école. Pour le moment nous ne sommes pas certains de reprendre le 18, mais nous n’avons pas encore choisi de date ultérieure pour une potentielle reprise.”, Fatima Saindou, adjointe au maire, chargée de la sécurité.
Dembeni
“Nous n’ouvrirons pas les écoles c’est sûr. 60 à 70 % de nos élèves vivent dans des habitats précaires, on mettrait donc tout leur entourage en danger si on les accueillait à l’école. On peut demander aux adultes de respecter les gestes barrières, de mettre du gel, des masques, mais ça sera difficile d’appliquer ces consignes sur les enfants. Nous n’avons pas non plus le matériel nécessaire qui permettra d’assurer la rentrée. Et puis comment choisir les 15 enfants qui seront autorisés à aller à l’école ? Tous les parents voudront envoyer leurs enfants pour pouvoir faire être chose.” Ambdi Hamada Jouwawo, maire de Dembeni.
M’tsangamouji
“Nous avons la capacité d’accueillir les élèves dans les écoles au regard du nombre d’élèves que nous avons. Nos classes sont déjà dédoublées en primaire donc c’est possible. J’ai 6 adultes pour 30 élèves, je pense qu’ils pourront s’occuper des enfants et assurer les gestes barrières. Concernant l’hygiène, on a fait le choix de ne pas utiliser de gel. On privilégie le lavage des mains. Si jamais il y a une ouverture, les enfants iront à l’école seulement trois heures par jour, donc nos agents pourront nettoyer les salles après leur départ. Mais en terme de matériel, on n’a pas les moyens. Et ma plus grande crainte reste la responsabilité pénale parce qu’on ne sait pas comment sont les enfants chez eux. Si l’un d’entre eux contamine les autres alors je serai le responsable. Les choses sont compliquées à mettre en place. On organise des rencontres avec l’ensemble des partenaires afin de récolter l’avis de chacun et évaluer la faisabilité ou pas. L’avis des parents d’élèves est primordial, s’ils refusent l’ouverture des établissements scolaires alors je ne les ouvrirai pas. Mais c’est jouable avec la volonté de tout le monde.” Said Maanrifa Ibrahima, maire de Mtsangamouji.
Ouangani
“On n’ouvrira pas. Les conditions ne le permettent pas, nous ne sommes pas encore prêts. L’épidémie progresse en permanence à Mayotte, ça ne serait pas raisonnable. Et le manque de matériel pose problème. Le recteur nous parle d’aide, mais il n’y a rien du tout. On doit avancer les frais et ils ne remboursent que 50 %… De notre côté, nous avions déjà commandé du gel, du savon, des serviettes, etc., mais rien de tout cela n’est arrivé à cause de la restriction des vols. On les aura peut-être mi-juin et ça sera trop tard. Nous avons également multiplié les points d’eau, mais il nous sera impossible de tout faire et tout avoir dans les prochains jours. Je préfère donc reporter la rentrée en septembre. J’ai demandé aux familles et toutes me disent qu’elles n’enverront pas leurs enfants à l’école. Ce n’est donc pas une décision que j’ai prise seul, mais elle a été discutée en groupe.” Ali Ahmed Combo, maire de Ouangani.
Chiconi
“Nous ne sommes pas au point. Nous n’avons pas le matériel nécessaire pour équiper le personnel. On attend les masques qui doivent être fournis par la préfecture. On a sollicité des entreprises pour désinfecter les bâtiments, mais jusqu’à maintenant ça n’a pas encore été fait. Le délai est trop court pour organiser de manière sereine le retour des élèves en classe. Quoi qu’il en soit, on se prépare pour ouvrir les établissements, mais on ne pourra pas accueillir les enfants le 18 mai. De plus, il nous manque certaines précisions. On ne sait toujours pas qui enverra son enfant à l’école, et on a besoin de cette information pour nous organiser. Et on nous dit qu’il faut privilégier les enfants prioritaires, mais comment est-ce qu’on les définit ? Nous n’avons aucune information et on ne préfère pas s’aventurer de manière hasardeuse.” Madi Ousseni Mohamadi, maire de Chiconi.
M’tsamboro
“Nous ne sommes pas contre le principe de la reprise des cours, mais nous estimons que nous ne serons pas prêts pour la date du 18 mai. Nous devons opérer un certain nombre d’aménagements pour respecter les gestes barrières (multiplication des points d’eau, commande de matériel de
protection pour les agents et autres produits.) On s’organise pour ouvrir, mais je sais déjà que pour notre commune, le 18 mai ne sera pas possible. On réfléchit plutôt à une ouverture fin mai ou début juin.” Assadillah Abdourahamani, directeur général des services à la mairie de Mtsamboro
Chirongui
“C’est sûr qu’on n’ouvrira pas le 18 mai. La France est entrée en confinement parce que le nombre de cas ne cessait d’augmenter et les écoles ont été les premières à être fermées. Aujourd’hui, Mayotte se retrouve dans le même cas et je ne comprends pas pourquoi on nous demande ici d’envoyer nos enfants à l’école alors que la pandémie progresse. J’ai donc décidé de ne pas ouvrir les établissements scolaires à Chirongui au moins jusqu’à fin mai. On attend que le pic de l’épidémie prévu vers le 20 mai soit passé. À la fin du mois, nous demanderons l’avis des spécialistes pour savoir si on peut ouvrir progressivement tout en sécurisant l’enfant, les parents et les enseignants, mais cela ne garantit pas la rentrée chez nous. Elle aura lieu à condition que la pandémie recule. On attend également le retour d’expérience. D’ici là, on aura eu le retour des autres territoires qui sont retournés à l’école et on pourra en tirer des leçons. Nous préparons cependant les écoles, il faut que tout le monde soit équipé. Pour le moment nous ne sommes pas encore prêts, mais on y travaille. Je regrette néanmoins le manque de moyens. On attend encore les masques et les gels. On doit aussi multiplier les points d’eau. On est en train de faire le diagnostic de tout cela.” Roukia Lahadji, maire de Chirongui.
Boueni
“À l’heure actuelle nous ne pouvons pas savoir si nous serons capables d’ouvrir ou pas. Nous sommes toujours en train d’étudier la situation. On a réuni tous les partenaires. On en saura plus dans quelques jours, mais pour le moment on ne peut pas se prononcer parce que nous n’avons pas l’ensemble des éléments.”, Inzou Ahmed Sélémani, directeur général des services à la mairie de Boueni.
Tsingoni
“On a pris la décision de ne pas ouvrir les écoles tout simplement parce qu’on n’a pas les moyens, les conditions ne sont pas réunies chez nous.” Mohamed Bacar, maire de Tsingoni.
Bandraboua
“Nous ne pouvons pas encore donner de réponse puisqu’aucune décision n’a été prise pour l’instant. Nous attendons la réunion avec le conseil municipal pour en débattre. Ce n’est qu’après cela que l’on pourra prendre des décisions.” Mohamaedi Toumbou-Dani, chargé de communication à la mairie de Bandraboua.
Sada
Malgré nos multiples sollicitations, le maire n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Rectorat : “On trouvera les enveloppes qu’il faut, mais on accompagnera les communes”
Malgré les réticences des uns, et le refus catégorique des autres, le rectorat de Mayotte maintient la réouverture des établissements scolaires au 18 mai. Pour se faire, il affirme accompagner les communes dans leurs démarches à travers différentes aides.
Une grande majorité des maires semble être réticente à l’idée d’ouvrir les écoles le 18 mai. Tous évoquent le manque de moyens qui ne leur permet d’assurer la sécurité des élèves, du corps enseignant et des agents qui seront mobilisés. Pourtant Gilles Halbout, le recteur de Mayotte se veut rassurant. “On leur a dit qu’on est là pour les aider. On trouvera les enveloppes qu’il faut, mais on accompagnera les communes.” Des professionnels du rectorat continuent à faire la tournée des écoles afin d’établir l’inventaire de ce qu’il manque. L’objectif principal du recteur est que tout soit prêt pour le 14 mai afin que la rentrée se passe dans de bonnes conditions. Pour l’heure, 15.000 masques “grand public” sont en stock et chaque travailleur en recevra deux. Des gels, des lingettes, du savon devraient également arriver sous peu. “Toute cette question du matériel est anticipée. Pour l’instant nous n’avons pas de signaux alarmants”, assure le recteur. Même si des maires ont manifesté leur volonté de ne pas ouvrir les établissements scolaires, l’État maintient son planning. “L’objectif c’est que le 25 mai toutes les écoles soient ouvertes à Mayotte. Mais nous sommes lucides, il y a un certain nombre de communes qui trainent des pieds et qui sont dans l’attente”, admet Gilles Halbout.
“On nous a dit au niveau national que les petits étaient moins contagieux que les grands et que l’on prend moins de risques avec eux”, explique le recteur de Mayotte. Raison pour laquelle les classes de maternelles, CP et CE1 seront les premières à retourner à l’école. Cependant, sur l’île un nombre conséquent d’élèves n’ont pas accès à internet et il est difficile d’assurer la continuité pédagogique dans ces conditions. Il est donc nécessaire que les classes de troisième, première et terminale soient suivies de manière plus assidue. “Avec le préfet nous avons demandé à faire rentrer les grands tout en mettant en place des mesures de précaution extrêmes. Par exemple, les lycées qui accueillent plus de 1.000 élèves n’en recevront plus que 200 ou 300 à la fois”, précise le recteur. Toutes ces mesures seront bien évidemment effectives uniquement si la date du déconfinement à Mayotte n’est pas repoussée.
Fernand Keisler, jeune pilote mahorais de la compagnie Ewa Air, profite du confinement pour réviser en vue de ses épreuves de routine. Quand il ne reprend pas les manettes pour des rapatriements, des évacuations sanitaires ou quelques vols d’entretien.
Y a-t-il un pilote dans l’avion ? À Mayotte, tous les vols commerciaux ont été annulés depuis le début du confinement, et c’est à se demander ce que peuvent bien devenir nos pilotes de ligne. Mais dans le 101e département, des avions continuent de sillonner régulièrement le ciel. Réapprovisionnement par fret aérien, rapatriements, ou évacuations sanitaires, les deux compagnies de l’île, Air Austral et Ewa Air, ont toujours du pain sur la planche. “On le sait, Mayotte est complètement dépendante des airs, que ce soit pour le transport de personnes, comme de marchandises ou de matériel”, souligne Fernand Keisler. “Au moment où je vous parle, on vient justement de m’avertir que je devais effectuer une évacuation sanitaire demain à destination de La Réunion.” Heureusement, le jeune commandant d’Ewa Air n’a pas eu le temps de se rouiller, grâce à ces vols réguliers qu’il continue d’effectuer pour l’ARS, le CHM ou la préfecture.
Mais malgré ces quelques virées dans les airs, le pilote confiné commence, lui aussi, à trouver le temps long. Déjà parce qu’il a quand même dû réduire son activité, au moins de moitié, depuis le 17 mars. “D’habitude, je suis engagé douze jours par mois, là je suis engagé une fois tous les sept jours, plus quelques vols non programmés comme les evasan, qui s’ajoutent à mon planning”, détaille-t-il. Ensuite, parce qu’il a déjà été mis en quatorzaine à deux reprises, après des vols de rapatriement de Madagascar, et des Comores. Enfin, parce que les activités sur le sol ferme sont devenues limitées, au grand dam de cet amoureux du lagon. “Normalement, j’aurais profité de ces moments avec ma famille pour emmener le petit à la plage, se mettre du sable plein les orteils, et nager dans le lagon”, soupire le père de famille, réduit à quelques parties de UNO ou d’Anti-Monopoly. Continuité pédagogique oblige, Fernand Keisler en profite aussi pour donner des cours de maths ou de physique à sa belle-sœur de treize ans.
Vols de routine et révisions
Le reste de son temps, il l’occupe à ses propres révisions, en vue d’une épreuve de simulateur. Dans dix jours, le pilote de ligne s’envolera pour Paris Charles de Gaulle, où il passera le contrôle de routine qu’il doit effectuer tous les six mois. “La moitié de mon travail se passe désormais à la maison, au niveau intellectuel. Je dois réviser les règles de transport, les procédures d’urgence”, décrit Fernand Keisler. “Quand je serai dans le simulateur, je serai confronté à des situations graves, comme la perte d’un moteur au décollage, un décrochage, une dépressurisation, un feu… On teste notre capacité à réagir.” Grâce à une documentation réactualisée tous les mois ou toutes les deux semaines sur un iPad fourni par sa compagnie, l’as des manettes peut donc continuer à se préparer pour ses ECP, ses entraînements en contrôle périodique, malgré le confinement. Et contrairement à d’autres pilotes cloués au sol, lui a la chance de ne pas perdre en compétences techniques grâce aux vols qu’il continue d’effectuer. “Sinon, si on ne pilote pas pendant 90 jours, il faut refaire une formation, soit avec un instructeur, soit par simulateur”, explique-t-il.
De son côté, en plus de ses vols effectués pour les besoins de l’île, Fernand Keisler est aussi amené à reprendre l’uniforme pour les vols d’entretien d’Ewa Air. La compagnie a fait le choix de ne pas mettre ses aéronefs en arrêt complet. “Les avions ne peuvent pas rester trop longtemps au sol sans voler, sinon cela prend plus de temps après pour les faire redécoller”, développe-t-il. Résultat, les deux ATR (avions de transport régional) de la compagnie mahoraise s’envolent encore au moins une
fois tous les 20 jours, pour des vols d’une trentaine de minutes. “La semaine dernière, j’ai ainsi pu survoler le lagon, on est allé jusqu’à l’îlot de sable blanc, puis demi-tour, juste un petit vol de 35 minutes”, déroule le pilote, déjà nostalgique. Comme tout le monde, Fernand Keisler attend avec impatience le jour du déconfinement. Plus que prêt pour le décollage.