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Réouverture des écoles le 11 mai : les maires de Mayotte prêts… à dire non

La réouverture très progressive des classes à partir du 11 mai devra être soumise à un certain nombre de conditions pour assurer la sécurité des personnels et des élèves. En l’absence de garanties à moins de trois semaines de l’échéance, les élus réitèrent leur refus.

Ils sont plus de 100.000 à arpenter les couloirs des établissements scolaires de l’île en temps normal. À Mayotte peut-être un peu plus qu’ailleurs, la réouverture des écoles, collèges et lycées le 11 mai suscite son lot de questionnements et d’inquiétudes, alors que les classes sont d’ordinaire déjà surchargées. Et cette fois-ci, ce sont les maires qui montent au créneau pour demander un “protocole précis élaboré conjointement par le rectorat, l’ARS et les maires (sous la coordination de la préfecture)” pour fixer le calendrier de préparation et l’approvisionnement des communes en matériel et dispositifs de protections sanitaires.

“Nous voyons mal comment nous pouvons envisager un retour à la normale, alors que nos classes sont déjà en surnombre. J’ai huit groupements scolaires, soit 2.200 élèves sur ma commune, avec déjà 90 % de rotation”, s’inquiète Anchya Bamana, l’élue (LR) de Sada, en désignant ce système spécifique à Mayotte qui consiste déjà à dédoubler les classes pour faire venir certains élèves le matin, et d’autres l’après-midi. Pour rappel, le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer a précisé mardi les contours du retour progressif des élèves à l’école : la semaine du 11 mai, seuls les élèves de grande section, de CP et de CM2, zones REP et REP+, retrouveront leurs salles de classe, maximum par groupe de quinze ; la semaine du 18 mai, ce sera au tour des élèves de 6e, de 3e, de 1ère et de terminale ; la semaine du 25, tout le monde pourra reprendre le chemin de l’école, avec un maximum de quinze élèves par classe. Et pour l’instant, c’est aussi le même schéma qui se dessine du côté du rectorat de Mayotte avec une certaine souplesse pour les élèves qui ne pourraient ou ne voudraient pas venir tous les jours.

Sureffectif, savon et gestes barrières

Reste que cette première ébauche de stratégie ne semble pas convenir aux maires, qui assurent la gestion des groupements scolaires – comprenant les classes de maternelle et d’élémentaires, soit les premiers concernés par le déconfinement des écoles. Des questions restent en suspens, comme la gestion des flux des élèves dans les espaces parfois restreints, ou l’organisation des rotations aux points d’eau pour qu’ils se lavent les mains. “À Sada, même si les toilettes sont équipées de savon, cela ne peut suffire : comment voulez-vous, quand vous avez déjà en temps normal 35 élèves par classe, faire en sorte qu’ils ne se touchent pas et respectent les gestes barrières ?”, s’interroge Anchya Bamana. À M’Tsamboro, où avec 1.500 élèves, le problème des sureffectifs se pose moins, le directeur général des services Assadillah Abdourahamani soulève quant à lui une autre question : “s’ils viennent de 7h à midi par exemple, est-ce qu’ils vont manger à l’école et dans ce cas que faut-il prévoir ?”

Réunis en Assemblée générale par visioconférence mercredi, les édiles ont donc fait part de leurs inquiétudes auprès de l’association des maires de Mayotte. “Il y a un consensus sur le fait que nous ne sommes pas prêts pour la réouverture”, assure Toillal Abdourraquib, le directeur de la coordination de l’action intercommunale, malgré une information contradictoire relayée par nos confrères du Journal de Mayotte, selon laquelle tous les édiles n’auraient pas pu y assister. Selon lui, quatre préalables doivent être assurés avant la reprise : la définition d’un protocole commun avec l’ARS et le rectorat pour définir le calendrier des trois semaines à venir ; la question des transports et de la restauration scolaire ; les conditions d’accueil des enfants dans les classes ; et la prise en charge des coûts financiers relatifs à la préparation des établissements. “Vous n’êtes pas sans savoir que les finances des communes ne sont pas toujours en bon état, et l’État doit les accompagner”, glisse-t-il.

Or pour l’instant, toutes “ces garanties n’existent pas aujourd’hui, et probablement pas avant le 11 mai. C’est pour cette raison que les maires de Mayotte n’envisagent pas de donner une suite favorable à l’ouverture des classes”, assène le communiqué de l’association des maires.

Des prestataires assaillis

Dernière source d’inquiétude, d’après les échanges que nous avons pu avoir avec certaines mairies : le sujet des approvisionnements, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre. Gants, masques, savon, gel hydroalcoolique… Les mairies ont eu dû mal à équiper leurs agents pendant le confinement. “À Bandrelé, la situation est d’autant plus sensible que nous avons un foyer identifié de Covid-19, et il concentre pour l’instant l’essentiel de nos forces, puisque nous souhaitons déjà distribuer des masques à la population”, explique Ali Moussa Moussa Ben, le maire (MDM) de la commune. Même préoccupation à M’Tsamboro. “On avait déjà dû mal à se fournir en gel ou en masques au début de la crise…”, soupire le DGS. Sans parler des autres fournitures nécessaires à la remise en état de certains établissements insalubres et à la désinfection des infrastructures. “Tous nos prestataires vont être assaillis de demandes de la part de toutes les communes”, souligne le responsable de M’Tsamboro. Contactée, Mahonet, l’une des entreprises qui travaillent justement avec les collectivités pour fournir vêtements de travail et matériel d’entretien, fait le point : “nous avons pris les devants et nous avons passé des commandes, mais nous sommes tributaires comme tous les Ultramarins de la logistique internationale et surtout avec le confinement nous dépendons fortement des moyens de livraison autorisés (navire/fret aérien, etc.)”, développe Azad Mamodaly, son directeur administratif et financier. Avant de conclure : “Tout n’est pas gagné d’avance”.

 

Geneviève Dennetière, médecin à l’ARS de Mayotte : “Ne pas consulter n’est pas la bonne stratégie

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Dans l’ombre de l’épidémie de Covid-19, celle de la dengue avance à un rythme effréné depuis plusieurs mois. Mais alors, quels sont leurs symptômes respectifs ? Les personnes à risque sont-elles les mêmes ? Et surtout, quels sont les gestes à adopter et ceux à proscrire dès les premiers signes de contamination ? Médecin responsable de la cellule de veille de l’agence régionale de santé, Geneviève Dennetière répond.

Flash Infos : Comment différencier la dengue du Covid-19 ?

Geneviève Dennetière : Les deux pathologies peuvent parfois se ressembler, car elles partagent des signes communs comme la fièvre, les maux de tête ou une fatigue anormale. Néanmoins, pour la dengue – dont la période d’incubation s’étend sur deux à sept jours, parfois jusqu’à dix -, on observe plus de douleurs, articulaires notamment ou derrière les yeux, ainsi qu’une éruption. Pour le Covid, bien que ce ne soit pas systématique, il y a quelques signes respiratoires, de la toux, des symptômes qui se rapprochent plus de la grippe. Là, on parle seulement des formes mineures. Pour les cas plus graves de Coronavirus, on note des difficultés à respirer. Mais globalement, on remarque que les personnes atteintes de la dengue sont plus malades que celles atteintes par le Covid.

FI : Les personnes à risque sont-elles les mêmes ?

G. D. : Oui, on retrouve le même type de profil : les personnes souffrant de comorbidité, c’est-à-dire fragilisées par d’autres pathologies, ainsi que les personnes âgées. Il y a officiellement quatre décès à Mayotte liés à l’épidémie de Coronavirus et 15 décès liés à la dengue depuis le début de l’année et ce sont généralement dans les deux cas des personnes âgées avec un état de santé fragile.

FI : Quels sont les risques pour les porteurs des deux maladies ?

G. D. : On a quelques cas documentés de co-infection depuis l’apparition du Covid sur le territoire. Ce sont deux maladies qui ont des effets sur le corps, donc forcément, contracter les deux en même temps n’améliore pas les choses. Maintenant, on n’a pas encore observé de surmortalité associée à l’existence de ces deux épidémies. Mais évidemment, il faut être en bonne santé pour pouvoir s’en défendre.

FI : Comment réagir lorsque l’un de ces symptômes apparaît ? Quand faut-il se tourner vers un professionnel de santé ?

G. D. : Vu le contexte actuel, il faut appeler un médecin en cas de fièvre ou de troubles respiratoires pour les personnes âgées. Il y a aussi un petit signe qu’on retrouve régulièrement en cas de Covid, c’est la perte soudaine d’odorat. Là, la consigne, c’est d’appeler le 15 qui enverra une équipe faire des prélèvements à domicile. Pour la dengue, il y a aussi des patients asymptomatiques, mais ils sont minoritaires. Pour les autres, c’est surtout une fatigue brutale qui peut durer une semaine voire dix jours qui donne l’alerte. Dans ce cas, il faut appeler un médecin ou un dispensaire. Tous les centres de référence sont équipés de tests rapides et c’est très important de les réaliser, car il peut aussi s’agir d’autres pathologies présentes sur le territoire comme la fièvre typhoïde.

FI : Le ministre de la Santé a rappelé que la prise d’anti-inflammatoires pouvait représenter un facteur d’aggravation en cas de Covid+. Qu’en est-il de la dengue ? D’autres conduites sont-elles à éviter ?

G. D. : Là, c’est simple : les anti-inflammatoires sont interdits et pour le Covid-19 et pour la dengue, pour laquelle ils peuvent favoriser des saignements. Beaucoup de personnes prennent de l’Ibuprofène contre la fièvre, il ne faut absolument pas le faire en ce moment et préférer le paracétamol, qui peut être également utilisé en cas de douleur, pour la dengue comme pour le Covid. Concernant le traitement à la chloroquine, il est très important de rappeler à ceux qui en auraient déjà à la maison qu’il ne faut pas s’auto-médiquer. Les doses thérapeutiques sont très porches des doses mortelles, il ne faut donc en aucun cas en prendre sans l’avis d’un médecin.

FI : Pourtant, par crainte de contaminer les autres ou de s’exposer soi-même à des risques supplémentaires, certaines personnes renoncent à consulter un médecin depuis le début de la crise sanitaire…

G. D. : Ce n’est pas du tout une bonne stratégie ! Au niveau de chaque établissement, il y a des filières qui ont été mises en place pour que les porteurs potentiels de Covid-19 ne soient pas mélangés avec les autres patients. C’est impératif d’aller se faire soigner. Pour ceux qui auraient peur de contaminer les autres, tous les points de consultation mettent des masques à disposition. Et pour les personnes atteintes de maladies chroniques, comme l’hypertension, ce n’est vraiment pas le moment d’arrêter son traitement parce qu’on n’a pas fait renouveler son ordonnance. Aussi, le Covid est une nouvelle maladie, mais ce n’est pas une maladie honteuse. On observe que beaucoup de gens se cachent lorsqu’ils ont des symptômes : il ne faut pas que les voisins soient au courant, certains propriétaires ont même mis des locataires à la rue lorsqu’ils ont appris qu’ils étaient atteints de Coronavirus… Personne ne doit être stigmatisé, c’est un réel danger pour l’ensemble de la communauté.

FI : Une communauté qui est donc déjà particulièrement exposée à la dengue, puisque le nombre de cas bondit depuis plusieurs mois consécutifs. Comment l’expliquer ?

G. D. : On a effectivement une tendance observée depuis le début de l’année : 3.000 cas en 2020, et c’est énorme. La dernière épidémie, en 2014, avait fait un peu plus de 500 cas. Maintenant, on nous en signale plus de 200 par semaine, et ce ne sont que les malades qui consultent, donc il y en a bien plus que nous ne recensons pas. Cette hausse du nombre de cas n’a pas d’explication particulière autre que les déchets, les carcasses de voitures, les pneus, tout ce qui peut être source de collection d’eau… Si on veut en venir à bout, la seule chose à faire c’est de se retrousser les manches, nettoyer chez soi pour débarrasser tous les gîtes potentiels.

FI : Qu’en est-il du nombre de cas de dengue hémorragique, forme aggravée de la pathologie ?

G. D. : Elle n’est pas très rependue à Mayotte, puisqu’environ 8 % des personnes atteintes de la dengue sont hospitalisées, et pas forcément pour des formes graves ou sévères. Elles sont plus fréquentes lorsque la dengue est contractée par une personne qui l’avait déjà eue sous la forme d’un autre sérotype*. Pour la dengue, il en existe quatre et celle qui circule actuellement à Mayotte est de type 1 et de type 2 pour celle de La Réunion. Si quelqu’un contracte deux formes différentes (au cours de sa vie, ndlr), il peut y avoir un risque plus important d’aggravation, comme la forme hémorragique. C’est aussi la raison pour laquelle le laboratoire vérifie à chaque fois les tests, afin de s’assurer que c’est toujours le même sérotype qui circule à Mayotte, et c’est le cas aujourd’hui.

* Un sérotype désigne une catégorie dans laquelle certains virus sont classés en fonction de leurs impacts sur les anticorps.

 

Mayotte territoire pilote d’un dépistage massif ? Avant celle d’O. Véran, les réponses de l’ARS et du CHM

Dans un courrier en date du 23 avril adressé au ministre de la Santé, Olivier Vérant, le député Mansour Kamardine demande que Mayotte soit désignée comme territoire pilote dans le cadre d’une politique de dépistage massive au coronavirus. Si le ministère ne s’est pas encore prononcé sur la question, les directrices du CHM et de l’ARS ont, elles, leur petite idée sur le sujet.

“Je vous demande, Monsieur le Ministre, de bien vouloir envisager de déployer à Mayotte une stratégie de test de masse et de faire de Mayotte un territoire pilote en la matière ainsi qu’en terme d’étude de prévalence indispensable à l’élaboration de stratégie fine de déconfinement”, réclame le député Kamardine. “Si l’on fait davantage de tests, il faudra continuer à les cibler. On va muscler notre labo, bien sûr, mais on va privilégier les personnes fragiles, c’est-à-dire les diabétiques, les obèses, les hypertendus, les insuffisants rénaux, etc. Mais aussi les professions de santé, les personnes qui sont en collectivité un peu forcée comme à la prison, etc. Savoir que des joueurs de foot en parfaite santé sont positifs a finalement moins d’intérêt”, considère pour sa part Dominique Voynet, tout en martelant que “tester tout le monde ne permet de faire qu’une photographie à l’instant “t” qui ne serait déjà plus valable le lendemain”. Selon l’ancienne ministre, il serait ainsi préférable d’élargir la politique de tests, certes, mais surtout de poursuivre celle du contact tracing, c’est-à-dire la recherche des personnes en contact avec un malade dépisté. “Ce qui est important c’est la stratégie et pour nous, c’est de continuer à identifier les personnes, rechercher les patients 0 dans un groupe ou un cluster”, fait-elle ainsi valoir.

Par ailleurs, pour espérer mener une politique de dépistage à grande échelle, il faut bien sûr que le territoire soit équipé pour ce faire. Et force est de constater que, pour l’heure, Mayotte est loin du compte. “Il est clair que si nous faisions plus de tests, nous détecterions plus de contamination. À ce titre, nous avons encore une marge progression en interne pour réaliser plus de tests, mais si l’idée est de passer à un dépistage de grande échelle il faudrait associer d’autres intervenants”, considère ainsi Catherine Barbezieux alors que la demande de remplacement de la machine du CHM n’a pas encore reçu de réponse. Tout comme celle, formulée par le Laboratoire de Mayotte quant à l’approvisionnement en réactifs pour permettre d’utiliser son engin dernière génération, capable de procéder jusqu’à près de 1000 tests par jour. “C’est comme sur tout, nous sommes en attente, car ce sont des choses qui se distribuent au niveau national en fonction des disponibilités et surtout des urgences”, glisse Catherine Barbezieux, laissant peu d’espoir en ce que la demande du député aboutisse.

 

27 avril 1848 : Connaître le passé pour appréhender le présent

Tous les 27 avril, Mayotte célèbre la commémoration de l’abolition de l’esclavage. Une pratique vieille comme le monde. Dans l’histoire de l’humanité, l’esclavage est une blessure, une tragédie dont tous les continents ont été meurtris à travers un abominable commerce entre l’Afrique, les Amériques, l’Europe et l’océan Indien. Un trafic dont il faut se représenter la réalité : des villageois vivant dans la peur, des noirs africains enlevés en masse, privés de leur identité, arrachés à leur culture. Tant d’hommes, de femmes et d’enfants captifs, entassés dans des bateaux où plus d’un sur dix mourait. Ils furent des millions, traqués, enchaînés, battus, déportés d’un continent à l’autre, vendus comme du bétail, asservis, exploités sans pitié ! C’est la littérature qui révèle le mieux à l’esprit cette pratique inqualifiable : “On leur prit tout : leur liberté, leur dignité, leur vie, leurs rêves, leurs espoirs, leurs joies. On leur retira le nom d’Homme. On en fit une chose et de leurs enfants aussi. On prit la peine de les marquer au fer rouge. On se permit de les mettre à mort. Cela dura des siècles. Plusieurs siècles d’un génocide silencieux, à peine ébruité par les cris atroces des mourants.”

L’ordonnance coloniale de mars 1685 qui institue le Code Noir met en place un système tributaire de deux facteurs qui n’en font qu’un : la traite et l’esclavage, deux systèmes complémentaires pour un même crime, l’avilissement de l’homme noir. Du point de vue sociologique, le premier système traduit le monopole et le privilège octroyé à des États de faire un commerce d’humains en les ravalant au rang de bétail. Le second système traduit l’aliénation totale de la liberté de l’individu inféodé à son maître. La traite négrière s’est appuyée sur une idéologie qui en constitue le cadre juridique : “la construction intellectuelle du mépris de l’homme noir pour justifier la vente d’êtres humains comme bien meuble”. La traite négrière restait le grand commerce de l’archipel des Comores à l’époque précoloniale. Elle enrichissait les sultans et satisfaisait les planteurs. Les razzias malgaches par exemple avaient pour objectif la recherche d’esclaves par les planteurs de Bourbon et l’Ile de France. Au cours de ces invasions, Mayotte, ou tout au moins la Grandeterre, fut utilisée comme une tête de pont, une base avancée d’où les Malgaches lançaient les expéditions vers les autres îles et le Mozambique. Les incursions anjouanaises participaient aussi d’une logique de traite négrière et de commerce esclavagiste. De même, il est établi que le sultan Andriantsouli s’adonnait au commerce des esclaves. Les marins anglais et français, rarement d’accord à cette époque, le dépeignent comme “un tyran, un négrier, un éthylique”. Jean Martin cite le révérend Griffith, un pasteur et homme d’affaires mauricien qui, après une tournée de recrutement dans les îles voisines, adresse au sultan une lettre incendiaire, lui reprochant d’avoir réduit en esclavage une partie de la population qu’il avait vendue à deux négriers établis au Mozambique. Avant l’implantation française, Mayotte entretenait la traite négrière, l’île était depuis longtemps un centre actif de ce négoce. Des Noirs, amenés de la côte d’Afrique sur des boutres, y étaient ensuite embarqués à destination des Mascareignes pour fournir la main-d’œuvre aux planteurs sucriers. Les travailleurs étaient le plus souvent des esclaves importés par leurs propriétaires. Qui étaient ces derniers ? Une classe aristocratique d’arabo-persans venus du sultanat d’Oman et de Zanzibar, établis dans l’île et qui y avaient transporté leurs esclaves en majorité africains (M’Rima, Macoua et Mozambique), des Antalaotsy venus ou revenus de Majunga, des autochtones faisant partie de clans semi-féodaux issus de migrations anciennes et métissées bantous, perso-arabes, sakalavas… ou simplement de migrations inter-îles, auxquels on doit ajouter des arrivées plus récentes comme celles de la cour du sultan Andriantsouli.

Mayotte, victime ou initiatrice du trafic ?

Malgré l’empreinte de l’esclavage à Mayotte, deux écoles en contestent l’importance. L’une, formée par des autochtones se réclamant de la tradition arabo-musulmane, soutient que les Mahorais de souche n’ont pas connu l’esclavage. L’autre, formée par des métropolitains qui s’appuient sur des thèses néocolonialistes, affirme que Mayotte n’a connu qu’un “esclavage doux”. Ces deux interprétations méritent qu’on s’y attarde.

L’archéologie fait remonter le peuplement des Comores au 4ème siècle. Très tôt, cet archipel a été un réservoir d’esclaves, sans que l’on sache cependant si les premiers habitants de Mayotte, par exemple, ont été plutôt les initiateurs ou les victimes de ce trafic. C’est cette incertitude qui autorise quelques négationnistes à dire, sans trop y croire, que l’esclavage n’a pas existé à Mayotte. Il est presque certain qu’une île aussi exigüe n’en faisait pas un grand réservoir d’esclaves. Mais il est presque aussi sûr que des commerçants arabes ou swahili, familiers des razzias, aient introduit à Mayotte des nègres enlevés de toutes les tribus de Madagascar et de la côte africaine. Le commerce d’esclaves par les marchands arabo-persans ou antalaotsy semble attesté par les fouilles archéologiques entreprises par le professeur d’histoire Martial Pauly à Acoua. Des sociologues et des linguistes ont noté la permanence des références à l’esclavage dans la langue mahoraise et dans l’imaginaire collectif. Tous les auteurs citent, au demeurant, le récit de l’amiral turc Piri Reis qui dénombrait en 1531 plusieurs centaines d’esclaves chez les nobles mahorais.

Les recherches effectuées par un jeune étudiant mahorais, Inssa Ahamada, pour sa thèse d’histoire consacrée à l’esclavage à Mayotte, écartent certains préjugés. Selon le doctorant, à Mayotte, l’esclavage commence avec le développement du commerce et l’installation d’Arabo-musulmans dans les Comores. Vers le 13ème siècle, une société féodale se met en place avec des valeurs pour chaque classe. Les “Kabaïlas” ne font pas de travaux manuels et ont donc besoin de main d’œuvre, qu’ils font venir d’Arabie ou de la côte est-africaine. En effet, ils se marient avec les filles des chefs de village pour gagner en autorité et ne peuvent pas asservir les populations locales sous peine de perdre leur alliance. Mayotte devient donc un lieu d’asservissement en plus d’être un lieu de traite sur lequel on accueillait des esclaves en transit. On ne sait pas combien ils étaient, mais le développement de cités importantes suppose des ressources financières qui ne le sont pas moins et un commerce florissant. Pour cette période, les sources d’information sont essentiellement orales.

Selon Inssa Ahamada, il y a alors plusieurs catégories d’esclaves qui cohabitent dans l’île. La première, composée des esclaves domestiques, comprend les captifs qui accomplissent des travaux ménagers, les courses extérieures, mais également des hommes de confiance. Ils ne pouvaient que rarement être vendus mais obtenaient parfois la liberté à l’occasion d’un moment de réjouissances, un mariage ou une naissance dans l‘entourage du maître qui le poussaient à l’indulgence.

Les esclaves agricoles, qui forment la deuxième catégorie, mettaient en valeur les terres des maîtres. Les terres étaient souvent éloignées du lieu d’habitation, les maîtres étant majoritairement citadins et fortement regroupés à M’tsapéré. Ces “bêtes de somme” n’obtenaient jamais d’affranchissement et vivaient dans des hameaux particuliers. Cet état de fait leur conférait une certaine liberté de vivre “comme dans leur société d’origine, selon la même organisation et avec les mêmes cultures”. Cela explique la persistance de la musique et de culture venues d’Afrique de l’Est à Mayotte. Troisième catégorie, les marins esclaves étaient eux employés sur les boutres d’un maître commerçant et devaient charger et décharger les cargaisons, mais aussi servir de traducteurs parfois sur la côte africaine.

Enfin, les esclaves d’exportation, venus de la côte est africaine, des ethnies Makoua ou Manya Mwezi, vivaient dans des conditions très difficiles, entassés sur le bateau et dans les hangars dans

lesquels ils étaient débarqués. Ceux-là étaient destinés à être revendus. Du résultat de son étude, Inssa Ahamada tire la conclusion que le silence qui entoure cette partie de l’histoire s’explique à la fois par une part de sacré qui relie l’esclavage à l’islam, et à une empreinte culturelle de l’esclavage arabo-musulman “plus intégrée” à la culture mahoraise. En effet, tout un héritage de cette période est resté. L’organisation de la société mahoraise de l’époque reste encore pertinente à certains égards. Les “Kabaïlas”, dont tout le monde veut être, sont des références sociologiques qui évoquent une certaine aisance, une classe dominante. Viennent ensuite les “Mshendzis”, les esclaves, dont le vocable est resté comme une “insulte” pour désigner quelqu’un qui manquerait de manières, de savoir-vivre. Les “Mgwanas”, autochtones que les Arabes auraient trouvés sur l’île et infiltrés par stratégies matrimoniales, sont des personnes de condition libre. Aujourd’hui, ils désignent des personnes qui ne sont pas étrangères, des natifs du village ou des gens originaires de Mayotte généralement.

En 1841, les Français débarquent et héritent d’un territoire déjà peuplé, contrairement à La Réunion, et avec une société organisée. La question qui se pose alors est celle de leur place sur ce territoire. “La seule façon de prendre le contrôle de l’île, pour eux, était d’abolir l’esclavage et de rendre ainsi caduque l’organisation arabe. Il ne s’agissait pas de philanthropie ! L’idée était de récupérer la main d’œuvre affranchie par les Arabes sous forme “d’engagements”, explique Inssa Ahamada.

Par quelle fantaisie quelques analystes viennent-ils à soutenir, contre toute évidence, que les Mahorais n’ont pas été victimes de l’esclavage ? Cette affirmation péremptoire ressort d’une construction intellectuelle simpliste. La noblesse mahoraise d’antan était elle-même esclavagiste. L’argument se tient, mais il n’évacue pas la question de savoir si cette noblesse n’était pas elle-même issue de descendants d’esclaves ? Même si elle ne correspond pas à l’image idéale d’une ascendance arabe et musulmane quasi-totale portée par les mythes des villages et des grandes familles mahoraises, il semble bien que, dans sa majorité, la population de Mayotte soit d’origine africaine et d’implantation plus récente. En effet, dans la deuxième moitié du 19ème siècle, l’insuffisance de main-d’œuvre imposait de trouver des travailleurs à l’extérieur de Mayotte. Pour satisfaire les besoins des plantations mahoraises, les trois îles comoriennes encore indépendantes allaient fournir, malgré la faiblesse de leur propre démographie, un réservoir de travailleurs “engagés” apparemment inépuisable. Les liens entre les sultanats des Comores et celui de Zanzibar, renforcés par un traité direct entre la France et Mascate, ont permis d’approvisionner régulièrement l’archipel en esclaves razziés au Mozambique et dans le sud tanzanien, et recyclés en engagés comoriens. C’est ainsi que d’anciens villages mahorais de plantations sont encore aujourd’hui regardés comme anjouanais (Vahibé, Koungou, etc.) ou grand-comoriens (Combani, Mramadoudou, etc.) pour avoir été peuplés par des Africains ayant appris en quelques années, voire quelques mois, l’une des langues parlées dans l’archipel. Les similitudes entre Mayotte et le Mozambique ont montré la très grande proximité ethnique mais aussi culturelle entre les deux pays (langue, danses, maquillage, habillement, habitudes alimentaires, etc.).

Selon une interprétation couramment admise, l’esclavage à Mayotte était, a priori, surtout domestique et le régime appliqué, de type patriarcal propre aux pays islamiques, le Coran recommandant au maître la douceur pour ses esclaves et lui faisant un mérite de les affranchir.

L’esclavage arabo-musulman : le Coran d’une main, le couteau à eunuque de l’autre

Commencée lorsque l’émir et général arabe Abdallah Ben Saïd a imposé aux Soudanais un bakht (accord), conclu en 652, les obligeant à livrer annuellement des centaines d’esclaves, la génocidaire traite négrière arabo-musulmane devait s’arrêter officiellement au début du 20ème siècle. L’énorme ponction humaine a duré pendant treize siècles sans interruption. Pour mémoire, la traite

transatlantique a duré quatre siècles. Cela fit dire à Edouard Guillaumet : “Quel malheur pour l’Afrique, le jour où les Arabes ont mis les pieds dans l’intérieur. Car avec eux ont pénétré et leur religion et le mépris du Nègre…”

Derrière un prétexte religieux, les négriers arabes commettaient les crimes les plus abjects et les cruautés les plus atroces. Dans la traite transsaharienne, ce sont les femmes noires qui avaient le plus de valeur. Appréciées pour leurs aptitudes à la vie domestique et aux travaux traditionnels, réputées bonnes cuisinières, elles servaient le plus souvent à l’esclavage sexuel dans les harems. Ces femmes étaient systématiquement violées sur le parcours les ramenant du continent noir. Le but était de les briser moralement et psychologiquement avant de les mettre en vente. Elles étaient ensuite réduites à un état de dépendance et de soumission totale vis-à-vis de leur propriétaire.

Mis à part l’esclavage antique qui avait cours sur la Méditerranée, la conquête musulmane a, au départ, joué un rôle essentiel dans l’expansion de l’esclavage moderne. L’esclavagisme arabe qui s’était inféodé à l’expansion islamique et au commerce procédait comme une maladie sournoise, par razzia et rafles. Il a porté très loin ses prises. Des captifs noirs ont ainsi été trouvés non pas seulement dans le Maghreb mais jusqu’en Inde et en Chine.

L’institution de la castration témoigne des atrocités commises par les négriers arabes. Les captifs transformés en eunuques ont connu les pires sévices qu’un homme puisse endurer. Cette pratique n’est-elle pas le summum de la barbarie ? Châtré, l’esclave perdait ainsi de sa masculinité. Démembré, il était privé de sa capacité à procréer. L’opération confiée à des praticiens “spécialistes” se déroulait dans des ateliers réservés à cet effet. L’ablation des parties génitales est une boucherie contraire à l’islam, mais cette sauvagerie était bien l’œuvre des négriers arabo-musulmans. Les Comores n’ont sans doute pas connu ces mutilations. Les îles ont peut-être échappé à cette abjection. Mais les aspects cruels de l’avilissement résident en principal dans le sentiment d’inhumanité qui torturait l’esprit de chaque esclave meurtri dans sa chair et dans son âme.

Dire qu’à Mayotte, terre africaine et musulmane, il n’a existé qu’un esclavage “doux” ou “ancien”, c’est-à-dire un esclavage dépourvu de ses formes les plus révoltantes, telles qu’elles existaient en Afrique noire ou dans les Antilles, c’est tenter de réserver à cette île un sort singulier, assez enviable somme toute. C’est aussi exonérer de toute faute, les chasseurs de nègres et les bénéficiaires de la battue. “Doux”, “ancien”, “domestique”, “traditionnel” ou “patriarcal”, ces qualificatifs n’ôtent rien à l’essentiel : Mayotte a vécu l’esclavage à l’état pur. La thèse qui vise à hiérarchiser des degrés d’aliénation ne résiste pas à la réalité des souffrances physiques et psychologiques endurées par les esclaves quotidiennement. Ils ont intériorisé l’humiliation tout au long de leur vie comme une souillure indélébile. Lorsqu’il s’agit de la grandeur de l’homme, de sa liberté, de sa dignité, il n’y a pas de spécificité, de particularisme.

En 1812, un Arabe originaire de Mascate introduisit le clou de girofle (produit venant de l’île Bourbon) à Zanzibar. Dans cette région africaine colonisée par les Omanais, rattachée au monde arabo-musulman de l’époque, le sultan employait les captifs qu’il n’exportait pas dans un système esclavagiste local de production de denrées exportables. Ses unités installées à Zanzibar et à Pemba exploitaient de nombreuses plantations. Premier producteur mondial de clous de girofle, Zanzibar produisait aussi du riz, des noix de coco, des patates et de la canne à sucre. Entre 1830 et 1872, plus de sept cent mille esclaves ont servi cette entreprise. Les négriers arabes, qui exploitaient ces ressources, étaient tous financés par des banquiers indiens. Au début du 19ème siècle, ceux qui étaient asservis dans le “task system” (travail à la tâche), vivaient dans des conditions inhumaines et étaient astreints à un certain rendement. Pour les autres cultures, on pratiquait ce que les historiens appellent le “gang labor system” ou travail en équipe, qui était tout aussi pénible. Selon les

estimations, il fallait renouveler chaque année 20 à 30 % de ces malheureux. Neuf à douze mille esclaves mouraient chaque année. Oman fut donc un des marchés les plus florissants de la redistribution de captifs africains. Quantités de bateaux venaient y déverser leurs cargaisons humaines. En treize siècles, et à travers trois traites, les spécialistes font état de 42 millions de captifs africains.

La traite africaine : très ancienne, elle se développe avec les traites orientales et atlantiques. Estimées à 14 millions, ses victimes étaient exploitées par les Africains eux-mêmes, vendues aux négriers arabes et européens. La traite orientale : organisée par des négriers musulmans et certaines tribus islamisées, elle dure du VIIe siècle aux années 1920, à travers le Sahara et sur les côtes de la mer Rouge et de l’océan Indien. On estime ses victimes à 17 millions. La traite atlantique : principalement organisée par les Hollandais, les Britanniques, les Français et les Américains de 1450 à 1860, elle touche surtout la Côte d’Ivoire, le Bénin puis l’Angola, le Sénégal et la Zambie, alimentant surtout les Antilles, le sud des États-Unis et le Brésil. À la fin du 17ème siècle naît le commerce triangulaire : les États donnent des monopoles à des compagnies. Les bateaux quittent les ports européens chargés de marchandises qu’ils échangent en Afrique contre des esclaves, pour vendre ceux-ci en Amérique et rapporter des produits tropicaux en Europe. La traite atlantique aurait fait 11 millions de victimes. La traite orientale, transsaharienne ou arabo-musulmane a bel et bien produit ses effets néfastes y compris aux Comores, et à Mayotte, via le sultanat d’Oman. “L’esclavage doux” est donc une imposture, une hypocrisie qui relève de la mystification et de l’obscurantisme. Le terme est utilisé par des négationnistes pour se donner bonne conscience. Sait-on combien de domestiques sont morts de honte, combien de garçons se sont noyés de chagrin, combien de jeunes filles violées se sont jetées du haut d’une falaise, combien d’adultes se sont suicidés par remords, combien de femmes ont mis une croix sur le bonheur conjugal, combien d’hommes ont banni toute idée de fonder une famille, combien de fuyards révoltés se sont perdus à jamais dans la forêt ?

De la colonisation à l’abolition

Le décret abolitionniste du 27 avril 1848 : Et les chaînes tombèrent… Dès la prise de possession de Mayotte par la France, en 1841, l’introduction des esclaves dans l’île y est interdite en vertu des lois prohibitives de la traite des noirs. Les autorités qui procèdent au premier recensement répartissent la population de la façon suivante : — Sakalaves (600), Arabes (700), Mahorais (500), Esclaves (1500). Total : 3300 habitants.

Les esclaves, tous issus de la tribu des Macouas, vivant en Afrique orientale sur les côtes du Mozambique, dans les terres comprises entre le cap Delgado et la rivière Goillé ou Anghoza, constituaient presque la moitié de la population globale. On dénombre 1800 habitants libres, parmi lesquels 500 seulement sont de “purs mahorais”. Mayotte avait donc une densité humaine dérisoire que la présence coloniale allait très rapidement accroître grâce à une mise en valeur économique “très poussée”, qui devait stimuler des immigrations importantes. Depuis 1843, des mouvements de population se sont successivement produits dans l’île. En quelques années, douze usines sucrières surgirent de la brousse nécessitant des investissements de capitaux qui atteignirent, pour une seule entreprise, plus d’un million de franc-or en cinq ans. Une importation de main d’œuvre devait s’ensuivre et des milliers de travailleurs furent recrutés d’urgence à l’extérieur. Des primes sont accordées aux recruteurs. Des avantages en nature sont offerts à tous ceux qui s’engagent au service des exploitations. Nombreux sont ceux qu’allèchent des salaires inconnus jusqu’alors. Une publicité remarquablement bien faite et favorisée par les circonstances devait créer un courant d’immigration particulièrement important. Ainsi, le recensement de février 1846 fixe le nombre d’esclaves à 2.733 individus des deux sexes et de tout âge, dont une majorité de noirs originaires du Mozambique. Après le rattachement à la France, d’autres bras viennent remplacer la force de travail

gratuite qui servait de fondement à toute l’économie coloniale. L’autre forme d’asservissement qui sévit longtemps après l’affranchissement, est constituée par les contrats d’engagement.

D’un usage courant à partir de 1635 dans les trois îles que possédait la France dans la mer des Caraïbes (la Martinique, la Guadeloupe et Saint-Domingue) où les engagés étaient des Européens, régulièrement rémunérés ou dédommagés de certains frais, les contrats d’engagement, exhumés après deux siècles, sont introduits à Mayotte par deux arrêtés du 16 mars 1846. Deux articles rédigés par le commandant Passot précisent le régime applicable aux engagés. La durée de la journée de tâche est fixée à dix heures, avec une pause de deux heures à midi. La ration journalière doit comprendre 1.200 gr de riz blanc, 22 gr de sel et 1,100 kg de bois de chauffe. De plus, le concessionnaire doit assurer à chaque travailleur un logement et une marmite. Ces mesures salutaires ne furent jamais appliquées, les engagés travaillant parfois treize heures, voire davantage. Les planteurs n’en tiennent pas compte et distribuent généralement du riz non décortiqué que les femmes doivent piler chaque soir. Deux arrêtés sont pris pour mettre fin aux abus sur la distribution de vivres et le versement des salaires. Les textes, assortis d’aucune sanction, restent sans effet.

Selon la version officielle, la France marque son souci de faire régner l’ordre et la justice dans l’île en abolissant l’esclavage par une ordonnance royale du 9 décembre 1846. Il ressort toutefois du rapport Mackau, ministre de la Marine et des Colonies, que l’abolition est dictée aussi par des raisons d’ordre économique. Ce dernier souhaite faire de Mayotte une colonie modèle, un centre économique florissant doté d’un port franc, développement incompatible avec la survivance de l’esclavage. L’ordonnance signée par Louis Philippe, Roi des Français, indique dans son préambule : “L’extinction de l’esclavage est une des premières conséquences qui résultent de l’occupation de cette île, le régime immédiat du travail libre aura pour effet d’y rendre plus facile l’introduction d’autres travailleurs libres et volontairement engagés”.

À cette fin, l’ordonnance prescrit l’ouverture au ministre secrétaire d’État de la Marine et des Colonies, au chapitre subvention à divers établissements coloniaux, un crédit extraordinaire de 461.000 francs. Le texte conclut : — “Cette somme sera répartie entre les habitants indigènes de l’île de Mayotte, actuellement possesseurs d’esclaves, à raison de la libération des dits esclaves, lesquels, à dater de leur affranchissement, resteront soumis envers l’État à un engagement de travail de cinq années”. L’ordonnance royale est promulguée le 1er juillet 1847, avec un grand retard parce que l’administration craignait une soudaine baisse de l’effectif des esclaves, au cas où la nouvelle de leur prochaine libération, avec indemnisation des propriétaires, venait à se répandre. Aucune publicité n’a été faite dans l’immédiat. Dorénavant, les esclaves sont automatiquement affranchis en s’installant à Mayotte, mais ne peuvent y demeurer qu’à la condition de se conformer au régime des engagements. Séduites par les récits enjolivés des boutriers comoriens, tourmentés d’autre part par des sultans avides, les populations des autres îles, notamment les captifs noirs africains recyclés en engagés volontaires, ne devaient pas tarder à se ruer par groupes sur “l’île heureuse”. Ile heureuse, en effet, puisque l’esclavage venait d’y être aboli. Cette importante mesure devait avoir dans l’archipel des répercussions démographiques opposées.

Libres à Mayotte alors qu’ils étaient opprimés à Anjouan, Mohéli et la Grande Comore, les habitants de ces dernières îles devaient rechercher eux aussi à conquérir une liberté que depuis longtemps déjà ils convoitaient. Aussi les émissaires des usiniers de Mayotte trouvèrent-ils dans ces îles un terrain favorable et purent-ils en peu de temps drainer vers Mayotte un nombre important d’individus, d’adultes mâles notamment. Des anciens esclaves de Mayotte, beaucoup continuèrent, après affranchissement, à travailler pour le compte de leur ancien maître ; d’autres changèrent sans doute d’employeurs ; nombreux furent ceux qui se lièrent par contrat comme travailleurs de divers établissements sucriers, sous le contrôle du gouvernement local. D’autres enfin se fixèrent à Mayotte

comme cultivateurs. L’administration locale, de son côté, voulant répondre aux besoins pressants des employeurs fit venir de Madagascar, sur des bâtiments de l’État, quelques centaines de Sakalaves qui se mêlèrent aux habitants de l’île dont beaucoup étaient de même origine. Des circulaires du capitaine Passot, communiqués aux gouverneurs des îles Mascareignes, provoquèrent la venue de Maurice et de Bourbon d’un contingent important de travailleurs spécialisés dans l’usinage du sucre. Des facilités furent enfin accordées aux immigrants contrôlés par le gouvernement local, sous forme de “permis d’établir et de cultiver” que les Mohéliens, Anjouanais et Grands-Comoriens obtinrent sans difficultés. L’amour du sol devait attacher à Mayotte de nombreuses familles de ces immigrants. Cette immigration massive compensa l’émigration qui avait dépeuplé l’île à l’arrivée de la France. Car l’abolition de l’esclavage n’eut pas que des répercussions démographiques heureuses.

Les opérations d’affranchissement commencent le 19 juillet 1847. Après la convocation du Conseil d’administration de Mayotte pour délibérer sur les modalités d’application de l’ordonnance de 1846, les possesseurs d’esclaves les plus influents, notamment les Antalaotsy, ayant l’assurance d’être suivis par leurs esclaves noirs africains, affrètent un boutre à Dzaoudzi pour les transporter dans les possessions portugaises d’Afrique. Malgré la possibilité du dédommagement, c’est-à-dire le rachat par l’État de leurs esclaves, ils s’en allèrent avec les captifs qui, entre leur condition servile héréditaire et l’aventure des engagements obligatoires pour des Blancs, avaient opté pour la première solution. Des trois gros propriétaires indigènes d’origine anjouanaise — Ahamadi Bakari, Ousséni Akiba et Mohamed Ben Ahamadi —, seul le dernier reste à Mayotte. Les Sakalavas d’Andriantsouli ne partent pas. Les planteurs blancs, qui avaient affiché leur projet de quitter l’île se ravisèrent, rassurés par la compensation financière promise et la venue annoncée d’une main-d’œuvre de remplacement, les “engagés volontaires”, également appelés “travailleurs libres”.

Une commission d’évaluation des esclaves affranchis réunie du 15 juillet au 2 septembre 1847 constate que sur 2.012 esclaves ayant comparu, 1.227 avaient opté pour leur départ et 527 avaient exprimé leur volonté de rester.

L’originalité de Mayotte réside dans le fait que l’émancipation des esclaves, présentée comme la suite naturelle et logique du traité de cession de l’île, intervient deux ans avant l’adoption des décrets de Victor Schœlcher qui, les 4 mars et 27 avril 1848, généralisent l’abolition à toutes les colonies françaises : l’affranchissement des esclaves n’est réalisé dans les trois autres îles des Comores qu’en 1891 et 1904.

Le décret libérateur de 1848 est l’aboutissement d’une longue évolution. Les historiens aiment à rappeler que c’est “le réalisme qui a permis aux Anglais d’être la première nation d’Europe à la penser”. Au cours du 18ème siècle déjà, les fondateurs de la “Société des amis des Noirs” condamnaient ceux qui se livraient au commerce du “bois d’ébène”. Des hommes d’église intrépides, tels que l’Abbé Grégoire, s’élevaient contre le sort des Noirs. L’Abbé Raynal publie, dès 1770, une condamnation vigoureuse de l’esclavagisme. En avance sur son temps, cet illustre philosophe des Lumières aborde dans ses écrits l’égalité de tous devant la justice, les droits de la femme, le droit au bonheur… etc. Son plaidoyer contre la colonisation tient en une phrase indélébile : “Parmi tant de mouvements et de tumulte, il s’élève un cri de la nature : “L’homme est né libre !””

La première abolition n’intervient cependant que le 4 février 1794 lorsque la Convention Nationale déclare : “L’esclavage des Nègres dans toutes les Colonies est aboli” ; en conséquence, elle décrète que “tous les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens français, et jouiront de tous les droits assurés par la constitution”.

Il s’agit ici de la première étape sur la route encore longue menant à la disparition de l’esclavage. Bonaparte le rétablira dans les colonies en 1801. Comment des consciences éclairées par les Lumières ont pu supporter si longtemps cette barbarie ?

Le rétablissement de l’esclavage ne trouva pas seulement sa justification dans l’intérêt économique, dans l’appât du gain. Ce qui rend la traite et l’esclavage insupportable, c’est que ces systèmes ont trouvé leur justification intellectuelle et morale dans l’idée de race inférieure. Où a conduit ce préjugé ? À donner un prix, une valeur marchande à la vie humaine. Dès lors, le sentiment de la fraternité humaine s’effaçait derrière la comptabilité. Le maître ne partageait pas plus la souffrance de l’esclave que le négrier. Il se sentait dans son bon droit. Il logeait et il nourrissait l’esclave en échange de son travail et il était convaincu que celui-ci ne pouvait travailler que sous le fouet. Des hommes de grande valeur se sont levés tôt pour dénoncer cette conception absurde. Ces sentiments humanistes étaient ceux de Condorcet, Musset, Brissot, Schœlcher, Guizot et bien d’autres républicains.

Un fléau qui a longtemps désolé l’Afrique, dégradé l’Europe et affligé l’humanité

De fait, les premiers à combattre l’esclavage furent les esclaves eux-mêmes. Les révoltes étaient fréquentes, elles étaient sévèrement réprimées. Mais les esclaves qui s’étaient libérés par les armes avaient définitivement perdu leur “âme d’esclave”. Très tôt, une prise de conscience avait germé. Vint la Révolution française. Quelques-uns parmi les Européens, ceux qui avaient l’esprit républicain, firent de l’émancipation leur combat. La République réveilla dans la pensée endormie des esclaves asphyxiés l’idée étouffée de liberté. C’est dans ce moment décisif que parut des héros noirs. Le commandant Delgrès, soldat de l’armée républicaine, proclama le 10 mai 1802 qu’il voulait “vivre libre ou mourir “. La mulâtresse Solitude, Cimendef et Dimitile, figures emblématiques des “marrons”, montrèrent le chemin aux esclaves fugitifs. Ces noms, ces destins hors du commun, souvent tragiques, trop peu de Français les connaissent. Pourtant, ils font bien partie de l’histoire de France. Que dire de Toussaint-Louverture, qui créa les conditions de l’indépendance de Saint-Domingue, devenu Haïti. Avec des esclaves, il forgea une armée. Avec cette armée, il fit un État. Châteaubriand l’appela “Le Napoléon noir”. Lamartine disait de lui : “Cet homme fut une Nation”. Face aux Espagnols, aux Anglais, à Leclerc, dans la paix comme dans la guerre, dans l’administration comme dans la conquête, sans y avoir été préparé, sans avoir été éduqué, formé, il fit preuve des plus belles qualités d’intelligence, de caractère et de courage qui sont un démenti jeté violemment à la face de ceux qui voulaient croire à l’infériorité d’une race éternellement vouée à l’esclavage. Il mourut au fond d’un cachot. Mais le peuple que Toussaint avait réveillé et qui avait préféré risquer l’anéantissement en se battant jusqu’à l’extrême limite de ses forces plutôt que de redevenir esclave, avait pris goût pour toujours à la liberté. Le 1er juillet 1804, ce peuple libre proclama la République d’Haïti. Il voulait en faire “la patrie des Africains du nouveau monde et de leurs descendants”.

L’émancipation s’était faite dans la souffrance de l’esclave. Elle s’est faite contre le préjugé de supériorité culturel qui fut aussi un préjugé racial. C’est cette grande faute de l’Occident, qui a été la cause d’une blessure profonde, ineffaçable, c’est cette faute inexpiable que les abolitionnistes européens ont tenté de réparer, contre leurs États esclavagistes.

Commémoration et devoir de mémoire

Commémorer l’abolition, se souvenir, est nécessaire et souhaitable. Partie intégrante de la France, la patrie des droits de l’homme, berceau de l’ingérence humanitaire, Mayotte ne saurait rester à l’écart d’un vaste mouvement national qui se situe à l’avant-garde de la lutte contre toutes les formes d’esclavage. Comme disent les sociologues, les pratiques caractéristiques de l’esclavage moderne sont couvertes par le non-dit, le silence, le mutisme et la peur de la remise en cause de l’ordre social.

Ce phénomène cache les multiples travers d’une société pervertie ou en voie de l’être. Les tabous qui couvrent la dénonciation des faits ont pour conséquence de nous rendre tous, à des degrés divers, complices d’une abomination, celle qui consiste à maintenir l’opprimé emmuré dans une réalité qui mutile l’individu et le brime dans son désir de liberté. Ainsi que l’affirme l’Unesco : — “Les principes de la déclaration universelle (des droits de l’homme) ne pourront être traduits dans la réalité de la vie de chacun qu’après avoir été profondément enracinés dans les consciences, étant donné la profondeur des égoïsmes qu’ils combattent, la force des préjugés, des traditions et des principes qu’ils bouleversent”.

En définitive, nous sommes tous concernés. Les conférences ont le mérite de nous en convaincre, de susciter des vocations d’abolitionnistes des temps modernes. L’histoire de l’esclavage reste encore méconnue à Mayotte. Les jeunes mahorais, Français de nationalité, grandiraient à s’en imprégner. Ceux qui ont tourné le dos à l’Afrique s’enrichiraient humainement, intellectuellement et moralement. Savent-ils seulement d’où viennent leurs ancêtres ? De quelle aire géographique ils se rapportent ? Sur quel arbre généalogique s’accrocher ? “Apprendre sans oublier” : c’est la parole sage et le conseil que livre Cheikh Hamidou Kane. Selon l’écrivain sénégalais, Sondât Keita, l’icône de la société mandingue, a été dès le 13ème siècle un précurseur et un modèle dont on souhaiterait que s’inspirent les dirigeants actuels de l’Afrique. Il a substitué l’unité à la division ; il a codifié et promulgué les principaux principes de la loi fondamentale connue sous le nom de Charte du Mandé. Les textes fondateurs établissent une véritable citoyenneté de l’empire permettant la libre circulation des biens et des personnes. Ils garantissent aussi la sauvegarde de la vie, l’intégrité physique, l’honneur et la propriété de chaque sujet. On y trouve des dispositifs relatifs aux biens, à la manière licite de les acquérir, à la gouvernance. Comme Cheikh Hamidou Kane, posons alors la question d’actualité : s’il était donc ainsi établi que l’Afrique médiévale avait su tirer de sa culture et de ses valeurs les règles d’existence et de gouvernance les plus adéquates, pourquoi les élites dirigeantes de l’Afrique moderne doivent-elles, dans leur œuvre d’édification et de modernisation, aller chercher leur modèle ailleurs ? “C’est, dit Joseph Ki-Zerbo, que beaucoup de cadres africains ont tourné le dos à cet héritage, (…) accordant plus de crédit à ce qu’ils ont appris et mal retenu de leur initiation aux sciences modernes.”

Voici une image du génie africain que les jeunes scolaires mahorais ne connaissent pas. Savent-ils seulement que l’esclavage, qui a permis l’enrichissement et le décollage économique de l’Europe ainsi que l’édification de la puissance nord-américaine, a par ailleurs provoqué le déséquilibre et l’appauvrissement de l’Afrique. La traite négrière, entreprise de déshumanisation du peuple africain institutionnalisée par le Code noir, impose un devoir de mémoire (connaître le passé pour appréhender le présent). Certes, nous ne sommes plus à l’époque des articles du Code Noir (1685-1848), cette infamie juridique instituant et systématisant l’animalisation de l’homme — et de la femme — noir. Certes, l’égalité des droits a été proclamée en France en 1946, avec l’avènement du statut de DOM qui offre le choix, aux peuples colonisés, entre assimilation et intégration, sous couvert de la tutelle républicaine. Mais le temps n’a pas fait son œuvre de cicatrisation des blessures profondes et des plaies béantes que nos grands-parents s’efforcent, l’âme en peine, d’oublier individuellement et collectivement. Il importe donc pour les descendants d’esclaves (sang-mêlé, nègre marron, mulâtre d’Afrique et d’ailleurs), enfants des générations postcoloniales (métis, créole, black, croisés d’Amérique ou de l’océan Indien) de perpétuer la tradition de l’anniversaire, de continuer de deviser sur les formes nouvelles de l’exploitation humaine et de l’esclavage moderne. Injustice, inégalité, exclusion, dépendance, privation de droits, confiscation des libertés, et surtout racisme… autant de perversions qui montrent — et le phénomène Le Pen en France métropolitaine en est une parfaite illustration — que l’émancipation (proclamée par le décret du 27 avril 1848 qui libère les esclaves pour les transformer en prolétaires colonisés) a aujourd’hui encore un goût

d’inachevé. Il n’est pas rare en effet que dans les îles et en métropole, des personnages qui détiennent une parcelle de pouvoir politique, administratif, économique ou financier répandent, à la télévision, dans la presse écrite ou sur Internet, des propos inacceptables relevant d’un racisme absolu.

Ce délire xénophobe se révèle souvent dans les entreprises, par le comportement outrancier de petits patrons vis-à-vis des salariés, qui laisse croire à du mépris et à de la ségrégation sociale et économique. Ceux qui évoquent, publiquement ou en privé, “les bons côtés de l’esclavage” ou le “rôle positif de la colonisation” doivent être combattus, avec la plus grande fermeté. Commémorer l’abolition, c’est une manière de condamner à l’avance les propos scandaleux des négationnistes qui défendent l’indéfendable. L’indéfendable, c’est d’oublier que l’esclavage a nourri le racisme. C’est lorsqu’il s’est agi de justifier l’injustifiable que l’on a échafaudé des théories racistes. C’est-à-dire l’affirmation révoltante qu’il existerait des races par nature inférieures aux autres. Le racisme, d’où qu’il vienne, est un crime du cœur et de l’esprit. Il abaisse, il salit, il détruit. Le racisme, c’est l’une des raisons pour lesquelles la mémoire de l’esclavage est une plaie encore vive pour nombre de nos concitoyens.

Un devoir citoyen reste à faire. Il reste aux générations actuelles à accomplir au moins une abolition : abolir le non-dit, le ressentiment et la frustration. Il leur reste aussi à accomplir au moins une émancipation : s’émanciper des séquelles, des traumatismes et du refoulement.

Il ne faut pas pardonner. Il ne faut pas oublier. Il faut rester éveillé, vigilant, attentif, la conscience en alerte. Car la liberté, c’est le Droit qui la garantit. L’égalité, c’est la raison qui l’exige. La fraternité, c’est le cœur qui l’appelle. Le Droit, la Raison et le Coeur, voilà par quoi nous pouvons donner un sens à un avenir commun. La formule s’adresse tout particulièrement aux jeunes mahorais.

 

Ramadan à Mayotte : Un mois sacré sous le signe du confinement

Ce soir se déroule la “nuit du doute” pour les fidèles musulmans. Traditionnellement, si le croissant de la nouvelle lune est observé, alors débute le mois du ramadan. Une période avant tout sacrée pour les musulmans, mais aussi ponctuée de festivités quotidiennes, rupture du jeûne en tête. Cette année toutefois, c’est un ramadan confiné qui aura lieu. De quoi bouleverser les habitudes.

La priorité ? Continuer à contenir la propagation du Covid-19 sur le territoire. Les consignes ont donc été données la semaine dernière par les responsables religieux, après concertation avec les autorités. Et répétées par les cadis lors de passages dans les médias : il n’y aura, pour le ramadan, pas d’exception pour les règles de confinement en cours. Point de prières dans les mosquées, pas plus que de grands rassemblements pour la rupture du jeûne, le foutari. C’est donc un ramadan quelque peu chamboulé par rapport à la coutume qui doit débuter, si toutefois le croissant de lune est observé ce soir, durant la “nuit du doute.”

Pour Younoussa Abaine, à la tête de la direction départementale de la cohésion sociale, dont dépendent les cadis, ce ramadan confiné est “un mal pour un bien”, une invitation à renouer avec une certaine vision de la foi. “Habituellement, les gens travaillent durant le ramadan. Or, là, la plupart seront chez eux, au sein de leurs familles”, argumente-t-il. L’intérêt pour les croyants ? “Se consacrer à la prière et lire le coran, comme cela est recommandé, mais aussi passer du temps avec sa famille, ses enfants. Ce sont des valeurs importantes, en parfait accord avec le sens du ramadan. Ce que les croyants vont perdre d’un côté à cause du confinement, ils vont le gagner d’un autre.”

Pour Zalihata, cuisinière à Mamoudzou, les règles de confinement ne vont pas changer grand-chose. Comme chaque année, sa petite affaire sera fermée durant le mois sacré, et comme chaque année, elle le fera en cercle réduit. Toutefois, elle le concède : “Ce ramadan sera particulier. Je ferai les prières à la maison, et pour les foutaris (la rupture du jeûne, NDLR), nous le faisons en général juste avec mon mari, hormis lors de quelques soirées. J’avais prévu d’inviter ma belle-famille à la maison autour d’un foutari, mais je ne prendrai pas le risque. Ça ne sera pas possible cette année, tant pis.” Et de rigoler : “Pour ce qui de la nourriture, j’ai la chance de posséder un jardin dans lequel je fais pousser des bananes, papayes, feuilles de thé et autres : en somme, ce que l’on mange tout au long du ramadan, alors le confinement ne va pas trop changer nos habitudes de ce côté-là.”

En revanche, pour d’autres, ce ramadan très spécial est regrettable, même s’il ne s’agit pas de prendre le moindre risque dans le contexte de crise sanitaire actuel. Shabani, 20 ans, est de ceux-là. Le plus dommageable pour lui ? La fermeture des mosquées. “Habituellement durant le ramadan, tout le monde va à la mosquée lorsque le muezzin appelle à la prière, même ceux qui, le reste de l’année, n’y vont pas. C’est important, car ce sont aussi des moments où nous sommes ensemble, en particulier pour la tarawih (une prière du soir exécutée quotidiennement pendant le mois de jeûne, NDLR), que l’on fait en groupe. Malheureusement, cela ne sera pas possible cette année.” Alors, pour s’adapter aux conditions, le jeune homme effectuera ses prières à domicile, seulement entouré des quelques personnes, elles aussi confinées, du foyer, “une façon de maintenir tout de même l’esprit du ramadan, qui est un moment unique pour nous”, espère-t-il. Un esprit qui sera toutefois forcément différent et qui laisse présumer, selon le jeune fidèle, de quelques difficultés, notamment lors de la rupture du jeûne, “puisqu’on invite souvent des proches qui n’ont pas beaucoup de moyens pour qu’eux aussi en profitent. Là, ça ne sera pas possible, c’est sûr”.

Et puis, en ce qui concerne les habituelles réjouissances de l’Aïd – qui pourrait être confinée en cas de prolongation des mesures sanitaires –, elles devraient, elles aussi, passer à la trappe. Zalihata nous l’explique : “Du côté de l’embellissement de la maison, il n’y aura rien cette année. Comme la plupart des Mahoraises, j’ai l’habitude de changer la peinture, de redécorer l’intérieur de la maison pour pouvoir accueillir les invités qui viendront le jour de l’Aïd, mais cette fois, ça tombe à l’eau.”

Un “effort particulier” pour limiter les risques

Si le message est admis comme évident par la plupart, il s’agit tout de même de s’assurer que d’autres ne s’affranchissent pas des règles de distanciation sociale du moment. Du côté de la préfecture, on explique donc que “pour la période du ramadan, les dispositifs de contrôles et de sécurisation de la police et de la gendarmerie nationales seront adaptés pour répondre aux spécificités de la période”. Et notamment avec “un effort particulier porté sur les créneaux nocturnes, à la fois pour faire respecter les gestes barrières et prévenir les comportements à risque sur le plan épidémique, mais également pour assurer une surveillance générale permettant de garantir la quiétude des habitants pendant cette période sacrée. Les contours du dispositif sont en cours de finalisation. Un travail partenarial avec les communes et les autorités religieuses est conduit pour limiter les situations propices à la propagation du virus”.

 

Le tribunal judiciaire de Mayotte se prépare à avoir “la gueule de bois”

Le confinement a largement ralenti la vie au tribunal, où seules les affaires urgentes continuent d’être jugées depuis le 16 mars. Mais chez les magistrats comme chez les avocats, l’on s’inquiète déjà pour l’après-Coronavirus.

Deux mois de grève des avocats, suivis par bientôt deux mois de confinement… Décidément, la justice enchaîne les tuiles depuis le début de l’année. Et vu le nombre d’affaires qui ont été renvoyées à cause de ces fâcheux aléas, ni les magistrats, ni les greffiers, ni les avocats, ni même les agents de sécurité ne vont pouvoir souffler dans les mois à venir. En cause : les nombreux retards qui ne vont pas manquer d’embouteiller les salles d’audiences après le déconfinement. “Tout cela a mis le tribunal dans un état… Nous allons avoir la gueule de bois, c’est sûr”, soupire Laurent Ben Kemoun le président du tribunal judiciaire de Mamoudzou.

Pourtant, tout n’est pas à l’arrêt derrière les grilles fermées du bâtiment de Kawéni. Depuis le 16 mars, le procureur de la République et les magistrats continuent à s’y rendre, pour traiter les affaires dites “urgentes”. Car le confinement n’a pas mis fin aux actes de violence ou de délinquance sur l’île, tant s’en faut. Caillassages, vols à l’arraché, rixes entre bandes… Trois après-midi par semaine, les lundi, mercredi, et vendredi, les juges s’attachent à traiter, en matière pénale, ces délits du quotidien. “Il y en a suffisamment pour occuper quelques heures dans la journée”, souligne le président. Même chose du côté des juges d’instruction qui ne traitent plus que les urgences, mandats d’arrêt ou mises en examen en cas de crimes, mais remettent à plus tard les convocations pour les dossiers déjà ouverts.

À ces quelques cas s’ajoutent les urgences non pénales, pour des demandes d’ordonnance de protection par exemple, ou des affaires commerciales. Si, en théorie, les gens peuvent venir déposer leurs demandes au tribunal – système d qui consiste ces temps-ci à glisser leur courrier aux agents de sécurité à travers les grilles, pour les transmettre aux magistrats, nous décrit Laurent Ben Kemoun -, en pratique, peu de gens se sont présentés aux portes de la juridiction. “J’ai dû faire deux trois ordonnances de protection depuis le début du confinement, aucun référé, rien en matière commerciale non plus”, énonce-t-il.

Le poids du coronavirus dans la décision

Toutes les autres affaires font l’objet de renvois. Mais pour certaines dont les audiences doivent avoir lieu pendant le confinement, il faut parfois statuer sur le maintien ou non du prévenu en détention. Et pour rendre leur jugement, les magistrats ont un nouveau paramètre à prendre en compte : le Coronavirus. Si personne pour l’heure, n’a contracté le virus à la prison de Majicavo, la précaution est de mise. Pour les délits les moins graves, et en l’absence de récidive par exemple, les prévenus peuvent donc être remis en liberté, sous contrôle judiciaire ou non. Et ce, alors même qu’ils n’ont guère d’avocat pour appuyer leur défense.

En effet, les robes noires ont plutôt déserté les allées du tribunal, à en croire Laurent Ben Kemoun. “Il y a un risque de contact et de propagation du virus, mais l’ordre nous a plutôt dit que c’était à nous de décider pour les permanences”, justifie Maître Élodie Gibello-Autran, qui n’a pour sa part pas d’astreinte avant fin mai. Malgré tout, leur absence peut parfois poser problème. Pour les personnes majeures, les magistrats peuvent se passer d’elles pour décider du renvoi de l’affaire et du choix du maintien en rétention. Mais pour les personnes mineures, aucune dérogation n’est possible. La

présence de l’avocat est obligatoire. Et face à leur permanence résolument vide, les mineurs reçus depuis le 16 mars ont été remis en liberté et leur audience renvoyée.

Les avocats dans la tourmente

Côté avocats, on aborde aussi les mois à venir avec une certaine inquiétude. Une enquête publiée récemment par le Conseil national des barreaux montrait en effet que plus de 27.000 avocats pourraient quitter la profession dans les mois à venir en raison de la crise sanitaire liée au Coronavirus, soit près de 40 % des conseils. Car les difficultés économiques risquent de frapper les cabinets, déjà mis à rude épreuve avec la grève des retraites. “En temps normal, je tourne à environ dix ou quinze nouveaux dossiers par mois. Le mois dernier, j’en ai eu trois et ce mois-ci seulement un” , souffle Elodie Gibello-Autran. Une situation difficile, dont les impacts économiques risquent de se faire sentir à plus long terme, notamment car l’avocate facture au mois. L’aide de l’État de 1.500 euros ne pourrait donc pas suffire à couvrir ses frais. Sans compter les charges qui font pour l’instant l’objet d’un simple report et non d’une annulation.

“C’est clair que pour un jeune qui s’installe, la situation n’est pas rose”, acquiesce Maître Luc Bazzanella. “Même si à Mayotte, je pense que nous sommes un peu épargnés, et que les jeunes sont sécurisés, en étant collaborateurs”, poursuit-il. L’avocat, qui est aussi délégué à la réforme des retraites à l’Ordre, a aussi d’autres préoccupations pour la suite : les retraites et la pile de dossiers qu’il va falloir traiter après le déconfinement. “On profite de ces quelques jours de répit”. Avant la tempête qui s’annonce, aurait-il pu ajouter.

250 téléconsultations médicales avec examen clinique réalisées en trois semaines à Mayotte

Si le Coronavirus obnubile, il ne faut pas pour autant oublier la prise en charge de toutes les pathologies aiguës et chroniques. L’association Ensemble pour votre santé, avec le soutien de l’agence régionale de santé, a mis en place un dispositif de téléconsultation médicale avec examen clinique aux quatre coins de l’île. Sa présidente, le docteur Martine Eutrope, loue son efficacité et la coordination entre tous les professionnels de santé.

L’histoire de la consultation médicale à distance débute en octobre 2019. Porté par l’association Ensemble pour votre santé et financé par l’agence régionale de santé, le projet consiste à proposer de la téléexpertise sur un territoire, qui manque cruellement de spécialistes. Crise du Coronavirus oblige, les deux structures continuent de mettre à disposition des habitants cette technologie, cette fois-ci pour réaliser des téléconsultations avec examen clinique. “En cette période, la population hésite à se rendre chez le médecin pour éviter d’être en contact avec des gens potentiellement atteints du Covid+, bien que tous les professionnels de santé aient pris des mesures pour ne mettre aucun patient en danger”, souligne le docteur Martine Eutrope. “L’idée était de mettre en place une continuité des soins, pour continuer à prendre en charge toutes les pathologies aiguës et chroniques. Nous avons donc procédé à un maillage territorial”, renchérit Patrick Boutie, adjoint au directeur de l’offre de soins et de l’autonomie à l’ARS.

Par le biais d’un appareillage médical (un charriot fixe ou une mallette mobile), un professionnel de santé met en lien grâce à un système de visio-conférence le patient et le médecin. Pour cela, rien de plus simple. La prise de rendez-vous se fait par un secrétariat, via un numéro unique (06.92.03.98.17). Ce premier échange permet de définir le secteur géographique d’habitation et surtout si le malade peut se déplacer ou non. En fonction de cette dernière réponse, soit il se rend sur un point fixe à proximité de chez lui, soit un infirmier libéral lui rend visite à son domicile. “Nous avons un pool de quatorze médecins avec un agenda partagé sur lequel nous écrivons nos disponibilités. Avant de nous connecter, nous avons déjà pris connaissance de la fiche du patient, qui recense la température, le poids, la taille et le motif de la consultation”, précise le docteur Martine Eutrope. Le matériel permet d’ausculter le cœur et les poumons, d’examiner les tympans et de procéder à un électrocardiogramme. Seule différence avec un examen “classique”, la durée. Celui par téléconsultation s’avère un peu plus long, environ vingt minutes, en raison des consignes données par le médecin posté derrière son écran et des écueils informatiques.

Réflexion en cours sur l’après-confinement

Commencée il y a maintenant trois semaines, la consultation médicale à distance démontre toute son efficacité et sa pertinence. Rien que sur Petite-Terre, Mamoudzou et Koungou, le docteur Martine Eutrope en recense près de 250. “La cadence est bien soutenue”, confirme Patrick Boutie. D’où l’étendue du dispositif ce lundi au cabinet médical de Hamjago et ce jour à la pharmacie des Tortues de Bandrélé, grâce à la mise à disposition d’un appareil fixe par la MGEN (mutuelle générale de l’Éducation nationale) pour cette dernière commune. Indépendamment du nombre élevé de patients, la présidente de l’association loue la coordination entre les personnels de santé à l’échelle départementale. “La crise sanitaire nous rapproche et nous invite à mieux travailler ensemble. Tout le monde s’implique énormément, c’est très agréable.” Au point de voir cette pratique se marginaliser à l’issue du confinement ? Il semble encore trop tôt pour le certifier. “Nous reprendrons la téléexpertise, mais nous essaierons de nous organiser pour faire de la téléconsultation dans les parties de l’île dépourvues de médecins. Cette période nous prouve que ce dispositif fonctionne bien !” Et surtout, son prix est identique à celui d’une consultation normale et est remboursé à 100 %. “La logistique pour équiper les médecins en ordinateur, la maintenance informatique, le fonctionnement de l’association et l’investissement dans les machines (une valise mobile coûte environ 15.000 euros, ndlr.) sont pris en charge par l’ARS”, dévoile Patrick Boutie. Cerise sur le gâteau : le patient voit son ordonnance être directement envoyée à la pharmacie de son choix.

 

Les méthodes de travail des facteurs mahorais réadaptées pendant le confinement

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Les facteurs sont constamment en contact avec les habitants, mais depuis le début du confinement, ils doivent revoir leurs méthodes de travail et garder leurs distances. Ils doivent intégrer de nouveaux gestes et de nouveaux outils dans l’exercice de leur mission. À l’exemple de la nouvelle application CertiRemis, expressément créée pour permettre aux postiers de respecter les mesures de sécurité.

Chaque postier a un secteur affecté. Dès son arrivée au centre de tri, le postier doit trier les courriers selon les rues. Cela lui permet d’organiser et d’optimiser son temps épandant la distribution.

La direction de la poste a instauré des nouvelles mesures depuis le début de la crise sanitaire. Tous les matins, chaque facteur se voit attribué du gel hydro-alcoolique, un masque, du savon, et une bouteille d’eau afin de respecter les règles d’hygiène. Ikram applique le gel hydro-alcoolique à chaque étape de sa mission.

La Poste a mis en place une application qui permet aux facteurs de remettre les colis et les lettres recommandées sans jamais être en contact physique avec les clients. Il doit prendre en photo le colis et le déposer devant le domicile ou mettre la lettre dans la boîte aux lettres. En temps normal, les colis ainsi que les lettres recommandées nécessitent une signature du client. « Cela nous permet en effet de garder nos distances mais nous perdons également trop de temps dans toutes ces procédures », explique Ikram le postier.

Les facteurs se retrouvent confrontés à de nouvelles difficultés. Mes courriers adressés aux écoles et aux mairies repartent souvent au centre de tri car il n’y a aucune permanence. Ils laissent donc un avis de passage.

Recteur de Mayotte : “Si des écoles ne sont pas en état de marche le 11 mai, nous repousserons leur ouverture”

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L’annonce de la réouverture des établissements scolaires d’ici trois semaines fait jaser. Alors que les syndicats estiment que le département sera “dans l’impossibilité technique” de faire respecter les gestes barrières et mesures de sécurité dans ses écoles, ils ont rencontré hier matin le recteur de l’académie pour faire part de leurs inquiétudes. Gilles Halbout de son côté devrait élaborer, d’ici deux semaines, un protocole en partenariat avec l’agence régionale de santé.

La question est encore loin d’être réglée : les écoles mahoraises rouvriront-elles leurs portes le 11 mai ? Seulement quelques jours après l’annonce faite par le ministre de l’Éducation nationale, syndicats et rectorat multiplient les échanges. Mercredi matin, tous ont pris part – à distance bien sûr – à un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Pour Gilles Halbout, l’enjeu était d’abord de recenser les questions et inquiétudes des différentes organisations pour pouvoir, dans un deuxième temps, co-construire un plan de réouverture avec l’agence régionale de santé, et ce d’ici deux semaines. Un procédé méthodique, dont dépendra le retour ou non des enseignants et des jeunes dans leurs établissements respectifs.

Si “tout un tas de sujets est encore en chantier”, selon Henri Nouri, co-secrétaire départemental du Snes-FSU, le syndicat majoritaire du second degré estime déjà que le département sera dans l’impossibilité technique” d’organiser un retour en classe d’ici moins de trois semaines. “Pour le moment, nous n’avons pas les conditions pour reprendre les cours.” Et pour cause, les mesures à prendre concernant la désinfection des écoles, la distribution de masques, le dépistage massif, ou le respect des gestes barrières, notamment lors de la récréation, de la restauration scolaire ou des cours d’éducation physique et sportive sont encore en attente de concertations supplémentaires entre les différentes institutions concernées. Seule certitude pour l’instant : “Si des écoles ne sont pas en état de marche le 11 mai ou si nous n’avons pas eu le temps de nous organiser, on repoussera leur ouverture”, promet le recteur, pendant que la CGT Educ’action estimait dès le début de semaine que les conséquences d’un déconfinement progressif des scolaires à cette date risquait de contribuer à une vague de contamination, sur un territoire “particulièrement propice”, du fait notamment des lieux de vie précaire et des établissements surchargés. D’autant plus que Mayotte a été frappée plus tard que la métropole par l’arrivée de Covid-19, ce qui présume que le pic de l’épidémie arrivera, lui aussi, plus tard.

Sur la base du volontariat

Selon les premiers éléments dévoilés par le rectorat, les élèves eux-mêmes ne seront pas obligatoirement tenus de revenir en classe, puisque ceux qui présentent des risques ou des craintes particulières seront autorisés à poursuivre le travail à la maison, à l’instar des professeurs. “Et si certains ne peuvent venir qu’un jour sur trois, ou même qu’un jour sur cinq, cela sera possible”, rassure Gilles Halbout. “Mais il y a des élèves qui sont en train de décrocher, et nous devons empêcher ça.”

Concrètement, la reprise des cours se fera progressivement, via un calendrier étalé sur trois semaines. Ainsi, grandes sections, CP, CM2, zones REP et REP+ seront les premières à rejoindre l’école le 11 mai, suivies des 6èmes, 3èmes, 1ères, terminales et des ateliers industriels en lycée professionnel la semaine suivante. Viendront enfin, le 25, l’ensemble des effectifs restant.

Les classes seront divisées en groupe d’une douzaine à une quinzaine d’élèves, qui alterneront une semaine de présence à l’école puis une semaine de travail à la maison. “Je ne vois aucun point bloquant, mais un gros travail nous attend”, reconnaît encore l’académie. De leurs côtés, les syndicats qui plaident également pour un retour en classe le plus rapide possible à condition que les mesures de sécurité et de protection soient réellement mises en place ne partagent pas tout à fait cet optimisme. “On aimerait bien entendre les maires, mais on n’a peur qu’ils prennent la fuite”, souffle Rivo, secrétaire départemental de SNUipp-FSU. Car les élèves et les professeurs ne seront pas les seuls à être déconfinés, les écoles embauchant également des employés communaux. Là-dessus, l’académie qui se sent toute de même “bien accompagnée” regrette une certaine politisation de ce sujet pourtant d’intérêt public.

 

À Tsararano, les patients reprennent le chemin de l’école

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Depuis la semaine dernière, l’internat du lycée de Tsararano a rouvert ses portes. Non pas pour préparer une éventuelle rentrée scolaire le 11 mai, mais pour accueillir des patients atteints du Coronavirus qui ne peuvent s’isoler chez eux et protéger leur entourage. Pour l’heure, le centre d’hébergement compte quatre hôtes et pourrait en recevoir 80.

Bureau du CPE transformé en quartier général des infirmières, masques sur les visages et gel hydroalcoolique sur les tables… Seule la sonnerie du lycée qui continue à retentir vient rappeler que c’est bien dans un établissement scolaire que le centre d’hébergement social est venu s’installer. Et remplacer ainsi les 110 élèves que comptait encore l’internat avant les dernières vacances par des patients atteints du Coronavirus. Au nombre de quatre, ce mardi. De quoi expliquer le pesant silence qui s’installe dans les couloirs quand le tocsin scolaire se tait.

“Nous avons misé sur une capacité de 80 places pour ne pas mettre plus de deux personnes dans les chambres, bien respecter les gestes barrières et de distanciation sociale, etc.”, explique Mathilde Hangard, responsable de la planification de crise sanitaire liée au Covid à l’ARS. “L’idée était que ces centres puissent permettre un isolement de la personne lorsque cet isolement n’est pas possible à domicile pour différentes raisons. Pour l’instant, nous avons privilégié cette stratégie même si dans un futur proche d’autres solutions seront peut-être à envisager. Lorsque l’on a visité l’internat, on a eu un bon échange avec le personnel et on s’est dit que le lieu correspondait bien à nos besoins”, poursuit-elle en arpentant des locaux propres comme un sou neuf. Il faut dire que les équipes de nettoyage passent deux fois par jour dans un protocole des plus strict. Deux fois aussi, pour les infirmières et une visite médicale pour chaque patient. En tout, ils sont une quinzaine à intervenir quotidiennement et pour diverses tâches dans le centre.

Pallier l’ennui des journées confinées

De quoi rythmer la vie des hôtes, même s’“il y a forcément un peu d’ennui, car ce sont des personnes qui ont tellement l’habitude de vivre avec leur famille, en collectivité qu’ici c’est forcément un peu plus compliqué, car c’est une tout autre dynamique, il n’y a que quatre patients”, confie une responsable de la Croix-Rouge qui déploie deux travailleurs sociaux – des éducateurs — dans le centre. Petit à petit, les professionnels s’adaptent pour répondre au mieux aux besoins des personnes hébergées et tenter de rendre leur séjour, qui rime avec séparation, moins douloureux. Entre les repas, des jeux de société, des projections de films, des temps de parole sont ou seront ainsi organisés pour pallier l’ennui des journées confinées.

Rappelons que cette mise à l’écart “se fait sur la base du volontariat”, comme le souligne Mathilde Hangard. “On a préféré pour des raisons sanitaires ne mettre que des patients qui ont été testés positivement. Lorsqu’un patient suspect se présente dans un centre de référence, il est diagnostiqué et ce n’est qu’après, si le test est positif que les équipes sociales du CHM entrent en jeu pour vérifier si la personne a les conditions pour s’isoler à domicile ou non. Et si ce n’est pas le cas, lui proposer un hébergement en centre. Si celle-ci est d’accord sur le principe, elle vient visiter le centre et est accueillie par des travailleurs sociaux de la Croix-Rouge et une infirmière qui ont un entretien avec la personne afin de vérifier que celle-ci est bien d’accord pour rester ici jusqu’à la disparition des symptômes. On lui explique comment se déroule la vie au centre, la prise des repas, etc. À partir de là, le choix définitif se fait”, déroule la représentante de l’agence régionale de santé.

Dispositif novateur

Un choix qui peut, au-delà des conditions de vie, être guidé par un aspect plus social de la santé. “Il y a aussi à Mayotte toute la problématique de l’acceptation de la maladie, qui n’est pas forcément évidente, on ne connait pas cette maladie, elle fait donc forcément peur et des personnes peuvent se retrouver stigmatisées. Donc pour se protéger socialement elles comme leur entourage, préféreront venir se mettre à l’abri ici”, estime encore Mathilde Hangard.

Dans le centre, si la stigmatisation est évidemment proscrite, les barrières sont quant à elles bien matérialisées. Vert ou orange, chaque couloir, chaque secteur est identifié en fonction de son public. En secteur orange, donc, les équipements de protection sont de rigueur quand en zone verte, les infirmières peuvent tirer leurs masques pour discuter entre elles. Après une petite semaine d’ouverture, les mouvements commencent à se rôder, la vie du centre se fluidifie peu à peu. Tout comme la communication entre les différents partenaires. “C’est aussi un dispositif qui est lourd au niveau institutionnel et qui pour chaque petite question demande souvent que le lien soit fait entre différentes personnes. C’est quelque chose qui est nécessairement un peu compliqué au départ, mais qui devient plus naturel au fur et à mesure”, avoue la responsable de planification à l’ARS, plaidant toutefois que “c’est normal, c’est tout nouveau, c’est une première”. Une première, qui on l’espère, n’aura pas vocation à se multiplier.

 

Attaquée de toutes parts à Mayotte, Panima tente de riposter

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Entre la polémique sur la qualité des repas livrés aux confinés du RSMA, et la mise à l’arrêt d’une partie importante de son activité à cause du confinement, l’entreprise de restauration collective est sur tous les fronts. Mais face à ces multiples coups durs, son directeur, Gilles Rouinvy, ne baisse pas les bras et répond aux critiques. Entretien.

Flash Infos : Le nom de Panima revient régulièrement sur le devant de la scène, qu’il s’agisse des aides alimentaires, ou du RSMA. Panima est la première entreprise de restauration collective à Mayotte, et vous fournissez aussi, en temps normal, le centre universitaire de formation et de recherche, Air Austral, les écoles… Quel impact a le confinement sur votre activité ?

Gilles Rouinvy : Cette situation met l’entreprise en difficulté. Pour vous donnez une idée, ce sont 50.000 collations par jour que l’on ne distribue plus aujourd’hui. Désormais, nous ne fournissons plus que le RSMA et le CHM. Et un petit peu les points chauds de l’île, à qui nous livrons du pain minute trois jours par semaine. Tout le reste a été interrompu. Le CUFR de Dembéni est à l’arrêt, le CRA également, la cafétéria de la Deal, et bien sûr la restauration scolaire. Normalement, nous avons des contrats sur un ou deux ans avec nos partenaires, mais comme il s’agit d’un cas de force majeure, nous n’avons plus de bons de commande. Et nous ne sommes pas les seuls à en souffrir ! Nous devons être quatre ou cinq prestataires dans la même situation depuis le 16 mars. Sans parler de nos fournisseurs. Je pense par exemple à Ovoma pour les œufs ou la Laiterie de Mayotte pour les yaourts. En tout, ce sont 80.000 produits par semaine pour la Laiterie et 50.000 œufs par semaine pour Ovoma que nous n’utilisons plus pour ces collations dont nous avons dû interrompre la production. Pour ces entreprises mahoraises, il ne reste guère que la grande distribution comme débouché… C’est regrettable, d’autant que j’ai pris la direction de Panima depuis trois ans pour développer des filières d’approvisionnement locales. Nous devions en faire de même pour les fruits et légumes, et ce chantier-là est maintenant, lui aussi, remis à plus tard. Je déplore cette situation, alors que Panima est une entreprise qui doit justement, de par sa taille, porter le développement de Mayotte.

FI : Combien de salariés se rendent désormais sur le site ? Comment avez-vous réparti vos forces ?

G.R. : Sur les 200 personnes qui travaillent chez nous, ils ne sont plus qu’une cinquantaine. Et leur activité se concentre sur la préparation des repas pour le RSMA et le CHM. Plus exactement, nous en avons 40 qui travaillent au sein de l’entreprise et cinq au CHM contre six avant le confinement. Pour les autres, nous avons d’abord misé sur les congés payés, avec pour but de préserver au maximum les salaires. Mais une fois cette cartouche épuisée, nous avons dû avoir recours à l’activité partielle pour une partie importante de nos salariés : 80 % des agents sont en activité partielle aujourd’hui. Mon objectif ? Qu’ils reviennent le plus vite possible, pour ramener leur rémunération à leur niveau d’origine. Et nous pouvons y arriver. En effet, j’attends des nouvelles du commandant pour la réouverture du centre de rétention (CRA) transformé en centre d’hébergement pour les quatorzaines. Dès que son activité va redémarrer, je vais pouvoir y envoyer six salariés, aujourd’hui au chômage technique. Ensuite, cette dernière semaine, exceptionnellement, j’ai pu mobiliser vingt salariés de plus grâce à la mairie de Koungou, qui a relancé les aides alimentaires dans plusieurs écoles de la commune. Si toutes les mairies de l’île s’y mettaient elles aussi, nous pourrions même retrouver 100 % de nos forces vives.

FI : Quel rôle jouez-vous dans les aides alimentaires ? Certaines mairies ou associations préfèrent le système des bons, plutôt que les distributions, dont certaines ont dû être annulées à cause des craintes d’attroupements…

G.R. : En effet, cela a été le cas le 3 avril dernier, où nous étions mobilisés pour fournir les 30.000 collations de la PARS, dont la gestion de la distribution a été remise à la dernière minute par la préfecture aux mairies et CCAS. Mais cela s’est relativement bien passé. En ce qui concerne les bons alimentaires, je ne sais pas très bien quel mécanisme peut permettre de faire passer la PARS en bons et ce n’est pas vraiment de mon ressort. Ce que je sais, c’est qu’ils sont justement en pleine réflexion au rectorat pour définir la meilleure méthode pour fournir ces aides. Nous avions initié une première mouture avec les établissements, mais c’est tombé à l’eau à cause des craintes liées aux attroupements lors de la distribution. Désormais, la préfecture a mis en place un guide des bonnes pratiques. Et l’action que nous menons avec la mairie de Koungou prouve que ces distributions peuvent se passer dans l’ordre. Nous avons pu relancer les collations par le biais de la PARS et constitué pour chaque élève un colis de 33 jours de collations. Toute cette semaine, nos camions vont dans les écoles de la commune. Lundi, nous avons donc livré 700 colis, mardi c’était 500, aujourd’hui (mercredi) 1.300 et jeudi 500, soit plus de 3.000 colis. Il ne s’agit que de denrées non périssables, des collations sèches, sans problème de conservation.

FI : La polémique enfle sur la situation au RSMA. Les confinés se plaignent de la qualité des repas. Lundi soir, certains ont assuré avoir ressenti des maux de ventre après avoir consommé un repas périmé et mardi matin, ils ont entamé une grève de la faim (voir encadré). Que répondez-vous ?

G.R. : Pour les quarante personnes qui viennent travailler tous les matins à Dembéni, ces nouvelles ont de quoi leur plomber le moral. Nous nous faisons attaquer de toutes parts et la presse n’est pas toujours très tendre, cela a un impact sur nos agents qui préparent ces repas. Je tiens là dessus à rappeler que nous livrons 300 repas au RSMA et les critiques n’émanent que des 61 confinés. Les militaires de la caserne, mais aussi les agents hospitaliers du CHM, et même les salariés de Panima et moi-même, nous mangeons tous la même chose : nous ne préparons pas 50 recettes différentes ! Alors nous avons toutefois été amenés à changer un peu le menu, après les critiques. Depuis lundi, à la place d’un plateau “entrée-plat-dessert”, les confinés ont maintenant un plateau “entrée améliorée — plat — fromage — fruit — dessert”. Donc les nouvelles critiques, lundi soir, je ne les comprends pas. Peut-être s’agit-il d’une question de réchauffe, le goût des plats change lorsqu’on utilise un micro-onde par exemple. Quant aux repas périmés, c’est tout simplement faux : ils ont été préparés vendredi pour le lundi, donc ils ont été consommés le jour de la date limite de consommation. Je ne dis pas que tout est parfait à Panima, mais nous vivons une période compliquée et je ne pense pas que ce soit le bon moment pour polémiquer.

 

Les conséquences du confinement sur la santé mentale des Mahorais

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Il est évident que le confinement n’est pas vécu de la même façon par tout le monde. Les conditions de vie, et la santé psychologique de chacun d’entre nous ont leur rôle à jouer. Mais une chose est sûre, cette situation vient bouleverser notre quotidien, et cela n’est pas sans conséquences.

“Tous les matins, je me demande si c’est réel. J’ai l’impression qu’on est en train de vivre un cauchemar.” Iman, 26 ans, essaye encore de comprendre la crise sanitaire qui touche le monde entier. La jeune femme de nature joviale et positive a l’impression d’être prisonnière d’une situation qui lui échappe. “Comment en est-on arrivés là ? Tout est arrivé si vite. Du jour au lendemain, on nous demande de tout arrêter, ce n’est pas facile à assimiler pour moi”, confesse-t-elle. Iman n’est pas la seule à se poser une multitude de questions. Delaïde, 24 ans et mère d’un enfant, a dû apprendre à gérer ses émotions seule alors qu’en temps normal, elle est aidée par une psychologue. “Je me suis retrouvée face à mes émotions, à des blessures… Alors je me suis posée pour y réfléchir. Je suis arrivée à un stade où ma psy me manquait, j’avais besoin d’elle, mais j’ai fait autrement”, explique-t-elle. Tous ces questionnements sont le fruit du confinement qui nous accorde plus de temps. Certains en profitent pour faire de nouvelles activités et d’autres se posent des questions existentielles. “Chacun va réagir différemment face à la situation. Si la personne est touchée par une certaine fragilité, cela peut éveiller certaines choses chez elle”, informe Lucie Bouflet, psychologue à l’Acfav, association qui lutte contre tous types de violences. Raison pour laquelle tous les professionnels de la santé mentale insistent sur le fait de ne pas s’isoler complètement et de rester en contact avec son entourage. Et ceux qui vivent en famille doivent appliquer certaines règles pour que la cohabitation ne devienne pas un supplice. “Il est important de faire des activités en famille, mais c’est également nécessaire que chacun ait son espace et qu’il puisse faire ce qu’il veut”, avertit la psychologue. “J’aime mon mari, mais j’ai aussi besoin de me retrouver seule sans mari, sans enfant, juste moi”, déclare Delaïde. Cela peut en effet éviter les disputes avec les conjoints et les enfants. Ces derniers ont d’ailleurs besoin de plus d’attention en ce moment, même si certains parents s’arrachent les cheveux lors des devoirs. “Cette situation suscite beaucoup de questions chez eux. Ils sont déréglés, il y a un changement dans leur quotidien, ils ne vont plus à l’école. Mais si l’enfant est épanoui dans sa famille, le confinement se passera plutôt bien. Si en revanche il a des difficultés avec l’entourage familial, cela peut être très difficile à vivre pour lui”, note la professionnelle.

Nouvelle forme de pression sociale

Certains se sont découvert une passion ou un talent en mettant à profit le temps libre octroyé par le confinement. Mais cela entraîne également une forme de culpabilité et de pression chez les autres qui préfèrent ne rien faire. “Depuis le confinement, je suis frustrée et les idées ne sont pas claires dans mon esprit. Je pense que c’est dû à cette pression sociale qui veut qu’on fasse constamment des choses qu’on ne fait pas en temps normal”, souligne Maria, 30 ans. D’autres culpabilisent de ne pas pouvoir offrir à leur famille le confort absolu, à l’image de Mia, mère de deux enfants en bas âge. “Nous vivons dans un 50m2 avec mes deux enfants et mon mari. En tant que parents, on culpabilise énormément, car les enfants sont enfermés, on n’a pas de jardin pour qu’ils puissent jouer à l’extérieur et ils ne font plus d’activités extrascolaires. Ils se lassent vite et ce n’est pas facile.”

Les populations qui vivent dans des situations précaires subissent également une forme de pression sociale. Ces personnes doivent respecter les règles du confinement afin de ne pas mettre les autres en danger, mais il est difficile de rester confiné dans une case en tôle où les conditions de vie sont loin d’être idéales. “D’un point de vue psychologique je comprends que certains continuent à sortir. C’est difficile d’être confiné quand sa maison ne le permet et qu’on vit dans des conditions difficiles. Ces personnes ont un peu plus de mal à comprendre le confinement et c’est normal”, analyse la psychologue Lucie Bouflet. Malgré tous les conseils des professionnels, il n’existe finalement pas de mode d’emploi pour vivre le confinement. Alors chacun gère la situation comme il le peut afin de ne pas y laisser des plumes.

 

Catherine Barbezieux, directrice du centre hospitalier de Mayotte : “Relâcher la pression serait une erreur”

Point d’étape pour Catherine Barbezieux, la directrice du centre hospitalier de Mayotte qui profite d’une stabilisation des entrées à l’hôpital des patients souffrant du coronavirus pour faire le bilan des différentes réorganisations que le CHM a mises en place pour parer à l’épidémie. La directrice revient également sur les chantiers en cours, comme l’hospitalisation à domicile, sur la mécanique à l’œuvre avec les autres institutions, ou encore sur l’état physique et moral du personnel soignant. 

Flash infos : Le CHM est régulièrement montré comme étant un foyer de contamination. Qu’en est-il et comment s’organise-t-il pour mieux se protéger ? 

Catherine Barbezieux : Il y a effectivement eu une communication sur le fait que de nombreux agents ont été infectés, ce qui a d’ailleurs pu générer de la crainte dans la population et l’empêcher de venir à l’hôpital. Pour autant, lorsque l’on regarde les chiffres, on voit que nous sommes en deçà d’un grand nombre d’hôpitaux dans le pourcentage d’infection. Toujours est-il qu’il y a eu des contaminations, tant par des cas contacts extérieurs qu’à l’intérieur. Santé publique France établit chaque semaine des statistiques sur les personnes infectées et nous constatons à travers ces chiffres qu’il y a eu, en tout début de crise, un certain nombre de contaminations à l’hôpital. Pour cette raison, nous avons mis en place rapidement plusieurs dispositifs sous la houlette de la présidente du comité de lutte contre les infections nosocomiales. Il y a eu un affichage sur les mesures et les équipements de sécurité et leur bonne utilisation. Nous avons également mis en place un protocole en fonction de chaque métier et de ses particularités sur les équipements. Cela a été fait très vite. Et contrairement à ce qui s’est passé en métropole où beaucoup de professionnels ne portaient pas de masques, souvent du fait de manque, j’ai pris la décision d’équiper l’ensemble des personnels qui sont en contact avec les services de soin de masques chirurgicaux. Nous avons mis cela en place en une semaine alors qu’au niveau national les directives étaient encore de réserver les masques aux services de réanimation, ceux des urgences et ceux des services accueillant des patients contaminés. On a fait beaucoup plus. À partir de là, l’ensemble du personnel a eu accès aux masques et aux gels hydroalcooliques. 

Par ailleurs, nous avons mis rapidement sur pied un protocole d’accès à l’hôpital. Notamment avec un poste médical avancé qui permet que les patients suspects ne rentrent pas directement dans les services ou encore un point d’accueil et tri à l’entrée de l’hôpital. On ne rentre plus au CHM comme cela se faisait avant et l’idée est encore une fois d’éviter la contamination venue de l’extérieur. 

Enfin, puisque l’affichage ne suffit pas, nous avons mis en place des formations sur site. Nous avons donc développé ces sessions avec des infirmiers hygiénistes pour montrer les bons gestes et éviter une mauvaise utilisation des matériels de protection. Cela s’est vraiment structuré depuis 15 jours et nous allons pouvoir encore intensifier l’effort grâce aux renforts de la réserve sanitaire qui comprend des infirmiers hygiénistes, car il faut faire le tour de tous les services. 

FI : Les contaminations internes suscitent-elles de l’inquiétude au sein du personnel ou de leur entourage ? 

C. B. : Le personnel que j’ai pu visiter, y compris dans les unités Covid où l’on pourrait penser que l’inquiétude est au rendez-vous, montre une vrai prise en compte des bons gestes et surtout une fierté de participer à cet effort collectif de lutte contre le virus. Je pense qu’ils ont besoin de reconnaissance et qu’il est important qu’on leur dise que nous sommes reconnaissants à leur égard. Leur place n’est pas toujours évidente, ils sont à la fois en première ligne et parfois ostracisés quand ils rentrent chez eux, car on craint qu’ils contaminent l’entourage. À cet égard, je tiens à rappeler qu’avec nos mesures de sécurité, le risque de contamination est bien inférieur à ce que l’on peut voir dans la rue avec des attroupements réguliers. Il est bien moins dangereux de travailler à l’hôpital et même de s’y rendre que de ne pas respecter la distanciation sociale. 

FI : En interne, les tensions étaient relativement vives avant la crise, se sont-elles apaisées ? 

C. B. : Les syndicats jouent leur rôle. Nous maintenons les CHSCT pour discuter même si nous le faisons dans un cadre réduit pour prévenir les risques. De mon côté, je les rencontre vendredi. Ce sont des choses importantes et globalement, il y a une vraie volonté de s’informer et d’être force de proposition. Cela se passe plutôt bien. 

FI : On a pour autant entendu des cris d’alarme quant à un supposé manque de matériel. Qu’en est-il ? 

C. B. : Il n’y a pas du tout eu de rupture de stock. J’ai entendu certaines voix se lever pour dire l’inverse, mais c’est faux, il n’y a jamais eu de manque de matériel de protection. En revanche, j’ai mis en place des mesures drastiques quant à leur accès. Pourquoi ? Tout simplement, car dès la première semaine nous avons eu énormément de vols. Plusieurs dizaines de milliers de masques ont disparu ! Il ne s’agit pas là d’un vol habituel pour se protéger à la maison, mais bien d’une action de grande ampleur. Il a donc fallu mettre en place un système sécurisé de distribution via les cadres. Nous distribuons ainsi la quantité journalière nécessaire à chaque agent. Cela nous a permis d’arrêter l’hémorragie qui, pour le coup, aurait pu nous mettre en difficulté. On s’est dit “si ça continue sur cette lancée, nous n’avons plus de masques d’ici quinze jours”… Tout le monde a donc joué le jeu ce qui permet que nous soyons tous protégés de manière correcte.

FI : Du côté des moyens humains, vous avez fait appel à la réserve sanitaire, comment cela s’est déroulé ? 

C. B. : J’ai rédigé un courrier à l’attention de la directrice de l’ARS pour demander un certain nombre de renforts. Elle-même avait déjà identifié certains besoins et nous avons obtenu avec l’appui de Santé publique France 20 réservistes, ce qui est beaucoup et qui sont arrivés la semaine dernière. L’impression que j’ai est que l’écoute est de plus en plus forte au niveau national des besoins de Mayotte. Quand le gouvernement évoque les Outre-mer, les besoins de Mayotte ne sont plus noyés dans la masse. 

FI : En termes de matériel, non pas de protection, mais médical cette-fois, il vous faut aussi plaider votre cause. Êtes-vous entendue ? 

C. B. : Nous avons fait connaître nos besoins, nous attendons encore des respirateurs pour anticiper, mais rappelons que nous sommes dans une gestion nationale de crise. Les moyens sont partagés en fonction des besoins par secteur géographique. Mais ce qui est rassurant ici c’est que les interlocuteurs semblent être dans une logique de prévention plutôt que de réaction. Ils pourraient très bien nous rétorquer que nous n’avons que quatre cas en réanimation et que les besoins que nous faisons remonter sont donc démesurés. Or ce n’est pas le cas. Pour l’instant en tout cas, car je ne peux pas prédire de l’évolution des choses. 

FI : Avez-vous estimé le point critique à partir duquel le CHM ne pourrait plus faire face à une éventuelle vague épidémique ? 

C. B. : Oui, nous avons fait ce travail, notamment à l’occasion de la transformation de lits pour la réanimation. Nous avons pu évaluer l’ensemble de nos capacités pour faire face à un afflux. Il nous reste encore une bonne marge de manœuvre et des structures se dressent pour nous aider. C’est le cas de l’internat de Tsararano qui nous permet de ne pas garder des patients qui n’ont pas besoin de soins, mais qui ne pourraient pas rentrer chez eux, car leur situation ne permet pas de protéger leur entourage. Cela permet de libérer des lits. C’est aussi l’intérêt de l’hospitalisation à domicile. Après, bien sûr que si l’épidémie prenait une très grande ampleur comme ce que l’on a pu observer dans certaines régions, il est évident que nous aurions besoin d’un appui supplémentaire. 

Pour l’heure, chacun fait ce qu’il peut en fonction des éléments dont nous disposons, il n’y a pas de jugement à avoir. Il faut plutôt se baser sur les chiffres. Je ne parle pas là des tests, car il est clair que si nous faisions plus de tests, nous détecterions plus de contamination. À ce titre, nous avons encore une marge de progression en interne pour réaliser plus de tests, mais si l’idée est de passer à un dépistage de grande échelle, il faudrait associer d’autres intervenants. Mais pour estimer la tendance, je me fie plutôt à la courbe, tant des hospitalisations que des entrées en réanimation qui, elle, n’évolue pas. Ces indicateurs montrent pour l’instant une stabilisation, mais il ne faut pas pour autant relâcher la pression, ce serait une erreur. C’est dans ce cadre que nous travaillons, nous nous organisons au mieux pour parer à différentes éventualités tout en veillant sur les patients chroniques. À chacun aussi de prendre ses responsabilités en faisant passer les bons messages et en les appliquant. 

FI : Globalement, comment le CHM s’est organisé pour faire face et quelle marge de manœuvre lui reste-t-il ? 

C. B. : L’organisation comprend tout l’aspect logistique qui consiste à travers un gros travail quotidien à identifier les besoins, de prioriser les commandes, etc. Sur la gestion de la crise elle-même, les choses se sont faites en trois étapes : dans un premier temps, la logique était de se dire “puisque nous avons des capacités très limitées, si nous sommes confrontés à une flambée épidémique, comment faire face à un afflux de patients ?” Dans ce cadre, nous avons mis en place le plan blanc le 16 mars, nous avons réorganisé l’accueil à l’hôpital avec de nouveaux circuits pour éviter que les patients Covid ne croisent les autres, etc. Tout ce travail s’est fait à travers nos capacités existantes. Mais il nous fallait faire plus contre une éventuelle vague. Il nous a alors fallu préparer l’hôpital, et je rends hommage à toutes les équipes qui se sont fortement mobilisées en ce sens pour accomplir une véritable prouesse : en quelques jours, nous avons fait en sorte qu’au-delà de nos 16 lits de réanimation, nous puissions atteindre une quarantaine de lits équipés de respirateurs. Nous avons également isolé dans le service de médecine et de chirurgie ambulatoire des secteurs Covid fermés avec des accès dédiés. 

Il se trouve qu’aujourd’hui, quand on regarde l’activité, on voit que les choses sont relativement stables avec quatre patients en réanimation à ce jour. On ne peut donc pas dire qu’il y ait une flambée d’activité. Nous avons tout de même travaillé sur le niveau suivant avec la possibilité d’ouvrir une deuxième unité d’urgence séparée géographiquement avec un circuit indépendant. Aujourd’hui, nous ne l’avons pas activée, car les besoins ne sont pas là, mais s’il se passe quoi que ce soit nous sommes en mesure d’appuyer sur le bouton.

FI : Vous avez évoqué une hospitalisation à domicile, qu’en est-il pour les patients chroniques qui semblent avoir été écartés du système de soin face à l’urgence ? 

C. B. : Nous avons été faibles sur la communication, mais nous avons dès le début pensé aux patients chroniques. Le problème de cette situation d’urgence est que l’on organise les services en fonction d’une éventuelle arrivée massive au détriment des patients qui ont un besoin de suivi régulier. Pour cela, nous avons fermé les petits dispensaires pour pouvoir mieux déployer le personnel. Et dans les centres de référence, nous avons créé trois filières : la première pour les suspicions de Coronavirus, une autre pour les consultations de médecine générale et une filière pour la prise en charge des patients chroniques avec la possibilité de rendez-vous. Je dois l’avouer, je ne suis pas certaine que l’information ait bien circulé sur ce point. Ce qui s’ajoute à un problème avéré : le fait que beaucoup de patients ne veulent pas se rendre à l’hôpital de peur de contracter le virus ou simplement de se faire dépister avec d’éventuelles conséquences sociales. 

Toutes ces méconnaissances nous mènent à une situation qui interpelle. Et pour laquelle il faut absolument trouver des solutions plus adaptées. Dans ce cadre, l’ARS et le CHM travaillent pour faire face à cet enjeu de santé publique. Nous sommes tombés d’accord sur le fait qu’il fallait mettre en place un dispositif pour prendre en charge les patients chroniques à leur domicile. Nous connaissons ces patients en file active, ce qui nous permet de mettre en place un dispositif mobile qui devrait vite se mettre en place. J’espère que nous serons aussi rapides et efficaces que pour les autres réorganisations.  

FI : Le lien semble étroit avec l’ARS, comment se passe cette collaboration dans le cadre de la gestion de crise ? 

C. B. : Nous tenons des réunions de façon régulière en fonction des différents sujets. Ce qui nous permet de nous coordonner tant sur les orientations nationales qui passent par l’ARS que sur les informations dont nous disposons au niveau du terrain. Il y a forcément des sujets sur lesquels nous ne sommes pas toujours d’accord, mais c’est tout à fait normal et chacun fait valoir ses arguments, y compris nous, à travers notre connaissance du terrain, de manière à ce que nous puissions arriver à un consensus. 

Il n’y a pour l’instant pas de conflit. Nous sommes un tout petit territoire, il faut rester vigilants sur certains points, mais nous ne pouvons pas nous permettre de nous faire la guerre permanente.

Le lien est donc quotidien entre nos équipes respectives. Par exemple sur la logistique ou l’acheminement du personnel. Depuis la mise en place du pont aérien, un dispositif a été mis en place afin que nous puissions faire remonter nos besoins logistiques, de personnel et sur les évacuations sanitaires. Nous avons dans ce cadre un correspondant permanent auprès de l’ARS, mais aussi de la préfecture.

FI : La mécanique semble désormais rodée, cela n’a pourtant pas toujours été le cas…

C. B. : Effectivement, il y a eu besoin d’un petit temps d’adaptation. La fermeture de l’espace aérien s’est passée un week-end et effectivement nous avions des professionnels à acheminer pendant ces jours lors de vols qui ont été annulés par la force des choses et donc le temps de pouvoir nous retourner certains professionnels ont dû attendre, mais c’est désormais du passé. Le système est bien rôdé, nous établissons une liste quotidienne en fonction des vols de la métropole vers La Réunion puis de La Réunion à Mayotte et même chose dans le sens inverse. Désormais, ces choses sont plus fluides.

 

Déconfinement à Mayotte : et si le 11 mai arrivait un peu trop tôt ?

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Les signes d’un ralentissement de la propagation du virus à La Réunion et à Mayotte ne sont déjà plus aussi encourageants que la semaine dernière et l’ARS préfère miser sur la prudence, à quelques semaines du déconfinement du 11 mai annoncé au niveau national.

Le week-end dernier, ils n’étaient que quatre cas à venir rejoindre les rangs des personnes contaminées par le Covid-19 à Mayotte. Ce week-end, ce sont 17 nouveaux patients qui ont été testés positifs, portant à 271 le nombre total de cas sur l’île aux parfums. Un bilan en hausse donc, qui garde l’ARS en alerte. “Par rapport à la semaine dernière, où un semblant de ralentissement des contaminations pouvait nous amener à nous réjouir, ces résultats prouvent au contraire que le virus poursuit une installation à bas bruit”, souligne Dominique Voynet, sa directrice.

À bas bruit, mais bien réelle donc. Certes, la situation n’est pas exponentielle, et les patients n’affluent pas en masse aux urgences, justement réorganisées en unités séparées en prévision de la vague. “On a presque une surabondance de moyens par rapport au nombre de patients”, note ainsi l’ancienne ministre. Mais l’agence régionale de santé s’inquiète de la circulation du virus notamment chez des patients asymptomatiques. Des tests réalisés sur l’entourage d’une personne hospitalisée, qui avait très peu de contacts avec l’extérieur, ont ainsi montré que les quatre personnes de son foyer étaient positives au coronavirus, sans pour autant présenter de symptômes.

Muscler les tests en vue du déconfinement

Une situation qui rappelle l’importance de mener une politique de tests à plus grande échelle. “Nous ne renonçons pas à faire des tests, à la moindre suspicion de Covid, et nous testons également les patients chez qui nous ne nous expliquons pas l’origine de la contamination, à l’image du patient évoqué”, insiste Dominique Voynet. Pour l’heure, plus de 1850 tests ont été réalisés par le laboratoire du CHM. Mais ce n’est rien en comparaison du volume qu’il faudra analyser au moment du déconfinement. Comme en métropole, Mayotte va devoir tester davantage, alors que la machine tourne déjà presque à plein régime. Rien que pour monter à 200 tests par jour, cela ne sera donc pas une mince affaire : “j’ai demandé au CHM de revoir la chaîne de prélèvements et d’analyses et nous avons soutenu la demande du laboratoire privé pour accéder à ses réactifs” – en effet, le seul laboratoire d’analyses privé de Mayotte est équipé d’une machine différente du CHM. Mais même cette réorganisation doublée d’une action conjointe privée/public ne permettra pas d’atteindre le rythme de 1.000 tests par jour. Pour cela, “il va nous falloir une équipe mobile et le matériel nécessaire. Nous avons demandé il y a un mois et demi de remplacer la machine du CHM, qui fonctionne mais est déjà ancienne ; et nous avons aussi demandé la livraison d’un appareil d’une plus grande capacité qui doit venir avec une équipe de techniciens dédiée”, développe Dominique Voynet.

La crainte d’une explosion

Or l’heure tourne, et la date fatidique du 11 mai approche à grand pas. Sur ce dossier du déconfinement, justement, l’ARS mise pour l’instant sur la prudence. Car Mayotte a entre trois et six semaines de décalage avec la métropole. Au vu de ce décalage, l’ARS serait donc plutôt d’avis de reporter la date du déconfinement à la fin du mois de mai. Mais en proposant alors une formule de confinement plus adaptée et allégée. Car, “empêcher des jeunes gens d’aller au terrain de football après une journée passée dans un bidonville chaud comme un four, ce n’est pas tenable”, reconnaît Dominique Voynet, qui suggère par exemple d’autoriser des balades ou des virées plages, de garantir l’accès à l’eau et au pétrole lampant, et de rouvrir les marchés, pour ce confinement revisité à la sauce mahoraise.

Sans cela, l’ARS craint l’explosion à partir du 11 mai avec “un risque de contacts de personnes âgées et fragiles”. La principale source d’inquiétude ? La rentrée scolaire, alors qu’une centaine d’enseignants ont été bloqués en dehors du territoire à leur retour de vacances au mois de mars, et potentiellement dans des zones à risques. La réouverture des vols commerciaux, et l’arrivée de ces professeurs sur le territoire et dans les classes, peut donc représenter un risque. Si le déconfinement est confirmé, il faudra les soumettre à des tests systématiques, régler la question de la quarantaine, et les équiper de protections, ainsi que leurs élèves. Sans compter les questions de transport, de restauration scolaire, ou encore d’absence de points d’eau dans certains établissements scolaires. Bref, la liste des préparatifs est longue pour un déconfinement prévu dans seulement trois semaines… À ce sujet, le Recteur Gilles Halbout tient toutefois à apporter une précision : “si la situation sanitaire n’est pas contrôlée sur l’île, et qu’il faut envisager un report de la date, cela concernera tout le monde, et pas juste l’Education nationale. Si le déconfinement a lieu le 11 mai comme prévu, nous serons de notre côté prêt à prendre les mesures nécessaires pour limiter au maximum les risques”.

 

Mayotte : Un mourengué à Kawéni qui défit toutes les règles

À Kaweni ce week-end, une centaine de jeunes se sont réunis autour d’un mourengué, un match de combat local bien connu par les Mahorais, défiant le confinement ainsi que toutes les mesures de sécurité prises pendant cette période crise.

Le confinement et le couvre-feu étaient loin des préoccupations des jeunes de Kaweni ce week-end. Samedi soir, aux alentours de 21h, ils se sont regroupés dans un quartier du village, autour d’un mourengué. En temps normal, ce sport de combat est organisé sur l’ensemble de l’île pendant le mois de ramadan. Cette année, les Mahorais s’étaient résignés à faire une croix sur cette manifestation qui fait partie de la culture locale, au vu de la crise sanitaire. Mais c’était sans compter sur certains jeunes de Kawéni qui, contre toute attente, ont diffusé en direct sur le réseau social Facebook, des combats de mourengué, samedi et dimanche soir. La scène peut paraître surréaliste en cette période de confinement où les rassemblements sont interdits. Mais ces jeunes passent outre toutes les interdictions et ne craignent pas la présence du Covid-19 à Mayotte. “On n’a pas peur parce qu’on se voit tous les jours et on sait qu’on n’est pas malade. On se fait confiance”, racontait un de ces jeunes à nos confrères de Mayotte la 1ère. Dans la deuxième vidéo, on peut également entendre l’auteur proclamer que “vous pouvez rester à la maison et avoir le virus. C’est Dieu qui décide si on l’aura ou pas”. Ou encore : “Arrêtez de me parler de confinement car personne ne le respecte à Mayotte. On s’amuse et ça fait du bien.” Et si un bon nombre d’internautes déplorent ces images, une grande partie les encourage et les incite à recommencer. “D’autres jouent au foot à Cavani et M’tsapéré et personne ne dit rien, alors continuez le mourengué”, peut-on lire dans les commentaires. Les combats se sont donc déroulés et ont été diffusés en direct sur Facebook pendant presque deux heures, au rythme de la musique traditionnelle, sans aucune intervention des forces de l’ordre.

Où sont passées les forces de l’ordre ?

La commune de Mamoudzou s’est mobilisée pour sensibiliser ces jeunes, en vain. “Je suis allé les voir, j’ai discuté avec eux, j’ai essayé d’apporter des éléments nécessaires pour leur faire comprendre qu’ils se mettent en danger et mettent en danger la population. Ils m’ont dit qu’ils avaient compris, mais ils ont recommencé dans la nuit”, indique Sidi Nadjayedine, adjoint au maire de Mamoudzou. Ce dernier précise par ailleurs que c’est la police nationale qui est chargée de faire respecter le couvre-feu le soir à partir de 20h et non la police municipale. Mais la commune collabore avec tous les acteurs sociaux afin que de tels évènements ne se reproduisent plus. Des actions sont menées sur le terrain par des associations afin de sensibiliser ces jeunes en question. “Nous sommes allés les voir pour faire de la médiation. Ils nous ont dit qu’ils organisent les mourengué parce qu’ils s’ennuient et qu’ils ont faim. On n’a pas vraiment compris le rapport avec la faim”, déclare Omar Said, directeur de l’association Wenka Culture. Cependant, ils leur ont donné des bons alimentaires “pour les calmer”.

L’adjoint au maire affirme également qu’il a réuni des parents, les associations et des personnalités locales. “L’objectif est de sensibiliser les parents pour qu’ils accomplissent leur rôle. Ils sont la clé motrice. Il ne faut pas y aller de manière frontale avec ces jeunes car cela peut dégénérer.”

La préfecture quant à elle informe qu’“un équipage de police s’est rendu sur place pour y mettre fin, ce qui a permis de suspendre cet évènement illicite. Pour autant, au départ de la patrouille, l’attroupement a repris” Elle précise également que “dans un contexte de renforcement de la présence aux environs des cambriolages de commerces alimentaires et de résidence de particulier, les efforts des forces de l’ordre ne peuvent se concentrer exclusivement sur ces rassemblements qui font courir aux participants ainsi qu’à leurs familles des risques en matière de santé publique. La lutte contre la propagation du virus repose avant tout sur la responsabilité des citoyens.”

À l’heure où nous écrivons ces lignes, les deux premières vidéos ont comptabilisé respectivement 13.000 et 11.000 vues. De quoi les encourager à récidiver. “On sera là tous les soirs ne vous inquiétez pas”, a promis l’auteur des vidéos.

 

Mayotte : son grand-père testé positif, il s’inquiète pour le reste de sa famille

Alors que son grand-père a été contaminé au Covid-19, puis placé en réanimation en fin de semaine dernière, Ahmed* regrette que les autorités sanitaires n’aient pas dépisté les cas contacts. Il redoute que plusieurs membres de sa famille soient testés positifs dans les prochains jours.

“Mon grand-père n’arrivait plus à respirer, donc nous avons appelé le 15 pour venir le chercher. Au début, nous pensions que c’était la dengue… Il a été admis au CHM en fin de semaine dernière où il a été testé positif au Covid-19 avant d’être placé sous surveillance.” Au bout du fil, Ahmed, son petit-fils, retrace péniblement cet épisode douloureux. “Le lendemain, son état s’est dégradé. Et il a été transféré en réanimation sous assistance respiratoire.” Une véritable onde de choc s’abat alors sur l’ensemble de la famille. “Même si c’est une personne très fatiguée qui a besoin d’assistance pour manger et faire sa toilette, il marchait tous les jours entre son domicile et le mien. À plus de 70 ans, il n’avait jamais été hospitalisé”, relate-t-il. Alors que le chagrin le gagne, l’incompréhension prend rapidement le dessus. En cause : l’absence de dépistage des cas contacts du bacoco, tels que sa femme et ses enfants, qui se relayaient pour prendre régulièrement de ses nouvelles. “On nous a dit de rester confinés, en attendant de développer des symptômes. J’ai été révolté par la réponse apportée, je trouve cela aberrant.” Pourtant, cette réponse est identique pour tous depuis plus d’un mois maintenant. À savoir la mise en quatorzaine au domicile et le respect strict des consignes. Pas franchement convaincu, il décide ce lundi matin d’appeler le numéro vert de l’agence régionale de santé ainsi que le centre hospitalier de Mayotte pour recueillir de plus amples informations. Le premier échange ne lui donne pas satisfaction. À la différence du second qui lui apporte quelques précisions. “Le médecin m’a certifié qu’il n’y avait pas d’inquiétude particulière à avoir et m’a dit qu’on allait nous appeler tous les jours.” Relativement rassuré par les explications du professionnel de santé, Ahmed pointe tout de même du doigt certaines ambivalences, malgré l’annonce du Premier ministre de procéder à des tests massifs. “Va-t-on nous laisser tomber malade pour réagir”, s’interroge-t-il, désemparé par cet immobilisme. Avant de reprendre quelque peu ses esprits : “C’est comme ça que ça se passe, car les moyens actuels ne permettent pas de faire autrement.”

Inquiet pour les membres de sa famille, Ahmed craint un effet boule de neige. “On ne sait pas qui est potentiellement atteint. On prie Dieu que ce soit négatif. On a des pathologies chroniques, comme l’asthme.” C’est la raison pour laquelle il ne sort de chez lui qu’en cas de nécessité, pour aller faire des courses par exemple. Lui-même est en arrêt de travail sur conseil de son médecin pour éviter de s’exposer sur son lieu de travail. Surveillant pénitencier, il rapporte un cas de Covid-19 dans la maison civile de Majicavo, après qu’un détenu ait obtenu une permission pour aller voter au premier tour des élections municipales. “Je faisais en sorte de me doucher et de me changer là-bas pour ne pas prendre de risque avec ma femme et mes trois enfants”, souligne-t-il. Aujourd’hui, il redoute une explosion du nombre de cas. “Les habitants sont en train de banaliser la situation alors que ça peut rapidement tourner au vinaigre. Tout le monde sort…” Une mise en garde qu’il répète inlassablement. Car pour lui, c’est le non-respect du confinement, qui explique la contamination de son grand-père. “Les anciens ont du mal à rester chez eux”, conclut-il, visiblement attaché à ce que l’erreur ne se reproduise pas deux fois.

* le prénom a été modifié

 

Après les résidents du RSMA, certains militaires montent au créneau

Ce week-end encore, les rapatriés des Comores placés en confinement au RSMA pointaient du doigt leurs conditions de vie. Pendant ce temps, des effectifs de la caserne où ils sont maintenus depuis le début de la crise sanitaire, accusent des traitements injustes de la part de la hiérarchie à leur encontre.

Les confinés rapatriés de Madagascar et, plus récemment, des Comores ne sont pas les seuls à se plaindre des conditions de vie au RSMA. Depuis le début de la crise sanitaire, certains personnels de la caserne du régiment du service militaire adaptée de Combani dénoncent un traitement à leur égard qu’ils considèrent comme injuste et moralement très éprouvant.

Sous couvert d’anonymat, plusieurs jeunes militaires expliquent être bloqués au sein de l’enceinte, depuis l’arrivée des premiers confinés trois semaines plus tôt, sans pouvoir, depuis, rejoindre leurs familles ou proches, parfois gravement malades. Pendant ce temps, certains cadres ont eux, pu regagner leur domicile, voire parfois la métropole. Mais alors que certains accusent un traitement de faveur, le lieutenant-colonel Frédéric Jardin, chef de corps du RSMA, tient à corriger le tir : un mois plus tôt, l’ensemble des 136 volontaires techniciens disponibles a été rappelé puis placé en quatorzaine en vue d’accueillir la centaine de rapatriés de l’île intense. Mais les militaires enceintes ou dont les femmes venaient d’accoucher, dont un proche présente un risque de comorbidité ou ceux qui ne parviennent pas à faire garder leur enfant ont tous été renvoyés à domicile. Idem pour ceux qui ont à leur charge un proche dépendant ou non autonome.

Dans ce contexte, des cadres ont effectivement été renvoyés chez eux jusqu’au déconfinement, ou à la reprise du pont aérien pour ceux qui ont pu rejoindre l’Hexagone, confirme encore le lieutenant-colonel, dans la mesure où ceux-ci ne logent pas au sein même du régiment ou à proximité, alors que les volontaires techniciens, ont eux, la caserne pour lieu de résidence. Face aux directives dues à la quatorzaine des militaires dans le cadre de l’opération Résilience, deux volontaires techniciens ont pris la décision de déserter le RSMA pour aller se confiner auprès de leur famille. Mais en aucun cas – sauf dérogations exceptionnelles – “[les personnels d’encadrement] restés sur place ne sont autorisés à quitter le régiment”, atteste Frédéric Jardin, qui nie en bloc les accusations d’allers-retours injustifiés portés par d’autres recrues.

Une escapade la nuit qui tourne mal

Parmi ces bruits de couloirs, la sortie nocturne d’un caporal-chef fait particulièrement jaser. Dans les premières semaines du confinement, ce gradé aurait, selon les rumeurs, utilisé son véhicule pour quitter le RSMA à la nuit tombée afin de s’accorder un peu de bon temps. Or, en chemin, l’homme a été victime de caillassage et aurait, pour dissimuler son méfait, volontairement abîmé sa voiture une fois de retour à Combani afin de faire porter le chapeau à un tiers. Interrogé quant à l’événement, le lieutenant-colonel Frédéric Jardin ne cache pas sa surprise, et livre un tout autre scénario. Ce soir-là, un caporal-chef a effectivement été autorisé à quitter la caserne pour “régler des affaires personnelles”. À son retour, son véhicule a effectivement été touché par des jets de pierre, fait que le principal intéressé n’a jamais caché aux yeux de sa hiérarchie.

Face à ces accusations, le chef de corps a ainsi pris la décision de convoquer ses troupes, lundi matin, pour leur rappeler qu’elles étaient soumises à un statut militaire et de fait, contraintes de se plier aux injonctions formulées par le président de la République. Un rappel à l’ordre qui n’a pas été du goût de tout le monde, puisque, confinés loin de leurs proches, “plusieurs collègues menacent de se barrer”, avoue un militaire sur place

 

Un retour après quatorzaine des étudiants mahorais en métropole ?

Alors que les étudiants mahorais de métropole s’inquiètent quant aux modalités de leur retour sur l’île, le ministère des Outre-mer lance un grand recensement des étudiants ultramarins afin d’anticiper celui-ci.

“Il ne s’agit pas de faire courir un risque à Mayotte. Alors, nous en avons discuté et certaines réflexions sont intéressantes. Nous savons par exemple que nous n’avons pas encore, à Mayotte, suffisamment de structures pour gérer correctement les choses en cas de grosse épidémie, notamment en termes de mise en quatorzaine” : dans notre édition d’hier, un étudiant mahorais de métropole, également très engagé dans le secteur associatif, Antoissi Aiman M’Dallas, mettait en avant l’inquiétude qui se pose quant au déconfinement à venir et aux conditions dans lesquelles lui et ses camarades pourraient revenir à Mayotte, alors que l’épidémie de Covid-19 et les mesures de confinement bouleversent tous les déplacements. Parmi les pistes de réflexion exposées, “certains ont soulevé l’idée d’utiliser, ici en métropole, des auberges de jeunesse ou des petits hôtels qui sont de toute façon tous vides actuellement, pour effectuer cette quatorzaine avant notre départ, avant de faire un test pour pouvoir prendre l’avion”, confiait-il. Cette idée a-t-elle aussi germé dans les bureaux de la rue Oudinot ?

Difficile de dire si l’idée sera retenue, mais une chose est sûre : le ministère des Outre-mer planche d’ores et déjà sur le retour des étudiants ultramarins sur leur territoire, sous condition de mise en quatorzaine préalable. Un arrêté est ainsi paru le 17 avril dernier* et, s’il n’aborde pas encore de solutions pour répondre à la nécessité d’un isolement préventif, il lui est préalable. C’est en effet “un traitement automatisé de données à caractère personnel” qu’autorise le document dont la finalité est “d’évaluer et d’organiser les besoins en termes de quarantaine (sic) des étudiants ultramarins en mobilité dans l’Hexagone dans la perspective de leur retour sur leur territoire”. La plateforme prévue pour recueillir les informations est accessible depuis le dimanche 19 avril et jusqu’au 2 mai à tous les étudiants concernés sur le site internet www.outremersolidaires.gouv.fr.

“Anticiper les besoins”

Dans un communiqué de presse publié hier, le ministère explique la démarche : “Afin de préparer le retour des étudiants dans leur territoire en toute sécurité pour eux et pour leurs proches, il est nécessaire de connaître le nombre d’étudiants qui envisagent de rentrer sur chaque territoire et à quelle échéance au regard des modalités d’examen fixées par les établissements scolaires ou universitaires.” Des informations, est-il indiqué, destinées à permettre à l’État d’anticiper “les besoins et les modalités de mise en quatorzaine, en lien avec les territoires et en partenariat avec la délégation interministérielle à l’égalité des chances des Français d’Outre-mer et la visibilité des Outre-mer (Diecvi), les Crous et l’Agence de l’Outre-mer pour la mobilité (Ladom).”

En parallèle, le ministère lance un appel à projets** en soutien aux étudiants ultramarins, “pour renforcer l’action d’accompagnement social réalisé par les associations au profit des étudiants dans quatre domaines” : réalisation des démarches administratives en vue d’obtenir des aides auprès des différentes institutions, soutien pour lutter contre l’isolement, soutien pour l’obtention d’aides alimentaires et soutien pour la mise en œuvre de tutorat.

*Arrêté du 17 avril 2020 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel afin d’évaluer et d’organiser les besoins en termes de quarantaine des étudiants ultramarins en mobilité dans l’Hexagone dans la perspective de leur retour sur leur territoire.

**Consultable sur www.outre-mer.gouv.fr/lancement-dun-appel-projets-renforcer-laccompagnement-des-acteurs-associatifs-pour-les-etudiants.

 

À Koungou, le personnel du collège retrousse ses manches contre la précarité alimentaire

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Après Passamaïnty et Majicavo, ce sont désormais les effectifs du collège Frédéric D’Achéry de Koungoui qui ont décidé de monter une cagnotte afin de distribuer des bons alimentaires aux familles les plus démunies. À l’échelle du seul établissement scolaire, ils seraient déjà plus de 1.000 jeunes à vivre dans des situations précaires.

Ils ont récolté 2.000 euros en seulement 24 heures. Depuis jeudi, une collecte de dons en ligne* propose de venir en aide aux familles les plus démunies de Koungou. Derrière l’initiative, un collectif de personnel éducatif du collège de la deuxième commune du département. “En tant que fonctionnaires, on sait qu’on fait partie des privilégiés sur cette île, et encore plus à Koungou”, souffle Alexis Boutin Lucien, conseiller principal d’éducation du collège Frédéric D’Achery, et instigateur de l’initiative.

Concrètement, les fonds récoltés – parfois jusqu’en métropole – seront convertis en bons alimentaires avant d’être distribués dans un maximum de quartiers possibles aux familles identifiés par l’assistante sociale de l’établissement scolaire. “On privilégie les familles du collège dans un premier temps”, explique encore Alexis Boutin Lucien. Et pour cause : selon le CPE, 80 % des élèves de Frédéric D’Achery vivent en situation de précarité plus ou moins avancée. À raison de 1.900 inscrits, cela représente un public de plus de 1.500 jeunes, alors que la semaine dernière, la préfecture n’avait pu distribuer “que” 500 bons alimentaires aux familles les plus vulnérables de Koungou. Un petit pas, certes, encourageant, mais encore bien insuffisant.

“On n’a pas la prétention de dire qu’on va pouvoir aider tout le monde”, avoue le conseiller principal d’éducation. “Mais il faut que tout le monde prenne la mesure de la situation : tous ceux qui ont les moyens d’agir, même à petite échelle, ne doivent pas hésiter à donner ou à remplir un sac de courses.” Côté bénévoles, les forces vives ne manquent pas, puisque la majorité du personnel du collège s’est déjà mobilisé, en sus des citoyens qui ont rejoint la réserve citoyenne.

Quid de la distribution ?

Mais alors que les scènes d’émeutes se sont multipliées depuis les dernières semaines lors des distribuons de bons alimentaires, la logistique n’est pas prise à la légère par le collectif du collège. “On est en pleine réflexion, on envisage toutes les solutions”, commente Alexis Boutin Lucien, qui semble privilégier le porte-à-porte plutôt qu’une distribution collective en un point fixe. “On envisage de travailler avec les associations locales, qui connaissent mieux les quartiers.” L’idée serait, dès lors, de distribuer les précieux coupons par groupe de quatre bénévoles directement au domicile des familles identifiées, et ce, évidemment, dans le respect des gestes barrières.

Concernant les besoins humains, le collectif du collège estime déjà compter suffisamment de bénévoles pour accomplir la tâche qui l’attend. En revanche, la cagnotte est elle toujours en ligne et chaque don demeure le bienvenu. “Même si on ne peut rien donner, rien que la partager peut faire un effet tâche d’huile !”, sourit le CPE. D’autres initiatives du même genre ont également germé à Passamaïnty et Majicavo notamment.

*https://www.helloasso.com/associations/l-amicoko/formulaires/1?fbclid=IwAR0yTHS4zbAIqh8TViVcCawVT5CMAsXLgoYhXXfFuByv8hiEJq0tReLlIXU

Le parcours du combattant des voyageurs bloqués à Mayotte

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La fermeture des frontières a été réclamée par les Mahorais dès le début de la crise sanitaire. Cependant, elle n’a pas fait que des heureux. De nombreux voyageurs qui séjournaient temporairement à Mayotte n’ont pas pu rentrer chez eux à temps. Ils se retrouvent aujourd’hui bloqués sur l’île, désemparés.

“J’étais venu deux semaines pour rendre visiter à ma fille, et depuis impossible de rentrer chez moi.” Frédéric est arrivé à Mayotte le 16 mars. Le soir même, le président de la République annonçait le confinement total et les mesures qui en découlaient. Même si le pays était déjà en pleine crise à ce moment-là, Frédéric ne pensait pas que la situation aurait été aussi critique au point de ne pas pouvoir retourner en métropole. Selon lui, “il n’y avait pas de problème, d’ailleurs l’aéroport de Dzaoudzi est resté ouvert pendant presque deux semaines après le début du confinement”. Depuis, c’est le parcours du combattant pour ce père de famille qui fait tout pour pouvoir rejoindre sa femme et ses autres enfants restés dans l’hexagone. “Dès les premiers jours, je suis allé à la préfecture et on m’a dit que seul le deuil est considéré comme motif familial impératif. J’ai été très étonné parce que je demande un regroupement familial. Ma femme a besoin d’aide avec les enfants. Et je dois aussi rentrer pour des raisons professionnelles”, explique-t-il. Frédéric est informaticien indépendant. Il est dans l’impossibilité de pratiquer le télétravail, car il se déplace chez les clients. Il est loin d’être un cas isolé. Suite à une publication sur les réseaux sociaux, des dizaines de voyageurs se trouvant dans la même situation se sont manifestés. Ensemble, ils ont créé un collectif et comptent réunir leurs forces afin de se faire entendre par la préfecture.

D’autres vivent la situation avec philosophie et préfèrent attendre la sortie de la crise afin de rentrer chez eux, à l’image de Tom qui est venu à Mayotte trois jours avant le début du confinement. “Je comprends tout à fait cette situation. C’est regrettable, mais je le vis bien. Je suis avec ma petite amie, c’est mieux que d’être seul en région parisienne.” Comme tous les voyageurs, Tom a dû reporter son voyage à plusieurs reprises. “Air Austral m’a envoyé un message expliquant que mon vol était annulé. J’ai dû donc les appeler à nouveau pour changer mon billet. J’ai eu une place pour le 2 mai, mais suite à la dernière décision du président de prolonger le confinement le billet a été à nouveau annulé.” Désormais, il préfère attendre la fin du confinement avant de demander une nouvelle date. Contrairement à Frédéric qui a souhaité partir le plus tôt possible. L’aéroport de Dzaoudzi est supposé ouvrir le 18 mai, alors il s’est inscrit sur un vol du 19 mai. Mais rien ne lui garantit son départ ce jour-là. “Beaucoup de clients nous ont demandé de les positionner le plus tôt possible dans les vols programmés. On se fixe des dates pour avoir un cadre, mais cela ne veut pas dire qu’elles seront confirmées. On procède étape par étape au vu de la situation évolutive”, prévient Stéphanie Bégert, directrice de communication de la compagnie Air Austral.

Quel rôle joue la préfecture ?

Les voyageurs s’accordent tous à dire qu’ils ont bien été pris en charge par Air Austral dans la mesure du possible, même s’il a été difficile de joindre le service client au début. En revanche, une grande partie déplore la gestion de la crise par la préfecture. “Un service a été expressément créé pour s’occuper des situations des gens comme nous. J’ai envoyé quatre mails à l’adresse communiquée et je n’ai eu qu’un accusé réception. Je n’ai aucune information depuis trois semaines. La préfecture ne répond pas et ne donne aucune explication”, s’inquiète Frédéric. En effet, une cellule de coordination de vols a été lancée pour l’occasion. Et selon la préfecture “des efforts sont en cours pour permettre le retour en métropole des personnes qui le souhaitent via un transfert sans quatorzaine à La Réunion. La cellule de coordination des vols est chargée de recenser les demandes et de les prioriser”. Elle nous affirme que la situation devrait s’améliorer cette semaine et la semaine prochaine. Pour le moment, la préfecture n’a pas souhaité communiquer sur les modalités de retours de ces voyageurs, ce sera fait lorsqu’elles “seront stabilisées”.

En attendant, les voyageurs se débrouillent comme ils peuvent. Fréderic a même songé à aller aux Comores lorsque cela était encore possible. “J’ai pensé à prendre un bateau pour [y] aller parce que là-bas on a plus de chances d’être entendus puisque les Français qui [y] sont sont rapatriés. Mais il n’y a même plus de bateau”, dit-il avec un pincement au cœur en pensant à sa famille.

 

Mayotte Hebdo de la semaine

Mayotte Hebdo n°1116

Le journal des jeunes