Soibahadine Ibrahim Ramadani : « Nous n’avons pas à rougir de ce qui a été fait pour Mayotte »

À trois jours du second tour des élections départementales, synonyme de la fin de son mandat, le président du Département, Soibahadine Ibrahim Ramadani, a accepté de revenir en exclusivité pour Flash Infos sur le scrutin actuel, sur son bilan et plus largement sur sa carrière politique. Et d’adresser un message fort à la jeunesse mahoraise. Entretien.

Flash Infos : Vous entamez votre dernière semaine comme président du conseil départemental. Comment l’appréhendez-vous ? Allez-vous garder votre rythme de croisière quotidien ? Ou bien allez-vous plutôt profiter de vos derniers instants en faisant le tour des services pour remercier individuellement les agents ?

Soibahadine Ibrahim Ramadani : J’ai dit lors de mes vœux que je comptais bien exercer mes fonctions jusqu’au dernier jour de la mandature, ainsi que le prévoient les textes et comme j’en ai pris l’engagement. J’ai adressé des remerciements particuliers aux élus, de tous horizons, lors de la dernière commission permanente du 25 mai dernier. Et j’ai organisé une petite réception, simple et émouvante, pour remercier les agents du conseil départemental de leur investissement le 27 juin dernier. Je réponds aux sollicitations des uns et des autres et j’exerce mes prérogatives liées à mes fonctions jusqu’au dernier jour, le 1er juillet, où sera installé(e) celui ou celle qui me succédera. Je m’entretiendrai bien entendu avec le futur président une fois celui-ci connu, soucieux d’une passation républicaine et sereine à l’image de ce mandat.

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FI : Vos collègues de la majorité actuelle qui se sont représentés ont connu des résultats divers : Issa Issa Abdou et Ben Issa Ousseni sont en ballotage favorable tandis que Fatima Souffou et Mariame Said ont pris la porte. Quel regard portez-vous sur ce premier tour ? Est-ce selon vous un désaveu de votre mandature ou l’émergence de candidats plus en phase avec la réalité du terrain ?

S. I. R. : Le scrutin départemental n’est pas un scrutin de liste. Chaque binôme porte une réalité et une identité bien spécifiques sur des territoires distincts. Il n’y a pas, comme aux municipales, un chef de file commun et cela rend difficile une analyse globale. Il faut regarder canton par canton. Ben Issa Ousseni, Issa Issa Abdou et Ali Debré Combo sont qualifiés et dans des ballottages favorables. Je pense que les candidats de la majorité ont plutôt bien défendu leurs candidatures et je n’ai entendu, de la part d’aucun candidat, de désaveu du bilan de cette mandature, même s’il est logique qu’il y ait des propositions différentes, des critiques et des impatiences. Au terme d’un mandat de six ans, marqué, qui plus est, par deux ans de crise sanitaire, il n’est pas forcément si simple de faire face à des candidats qui n’ont pas nécessairement « gouverné ».

FI : Sur le canton de Dzaoudzi-Labattoir, on a vu l’émergence et la victoire d’un duo jeune et novice en politique. Comment expliquer ce choix ?

S. I. R. : Il s’agissait d’un duel qui annonçait forcément (ou presque) des vainqueurs au premier tour. J’observe que Fatima Souffou, qui fut ma 1ère vice-présidente, et son colistier ont mieux que résisté. Je félicite le binôme Ali Omar et Maymounati Moussa Ahamadi pour leur succès et leur entrée au sein de la future assemblée départementale. L’aspiration au renouvellement est une chose tout à fait légitime dans notre processus démocratique.

FI : En parlant de jeunesse justement, celle-ci semble s’être complètement désintéressée de la politique et des urnes. Comment analysez-vous ce boycott sachant que le département est le jeune de France ?

soibahadine-ibrahim-ramadani-interview (1)S. I. R. : La participation électorale est déjà bien supérieure à Mayotte de ce qu’elle est en France métropolitaine, pour des élections locales et nous devons nous en féliciter. S’agissant des jeunes, ce phénomène de fossé qui s’établit entre la jeune génération et le monde politique n’est, pour le coup, pas spécifique à notre territoire. Et nous voyons que la présence de jeunes candidats ne suffit pas nécessairement à dynamiser la participation de ces mêmes jeunes. C’est un phénomène qui nécessite un travail dans la durée pour construire une offre de réponses plus fortes encore aux questions qui préoccupent les jeunes comme l’emploi, l’habitat, l’insertion, la culture, le sport… Mais je vois aussi tous les jours de jeunes mahorais qui s’investissent autrement, et souvent brillamment, dans de multiples disciplines et c’est aussi quelque chose d’important. Cessons de voir la jeunesse comme un problème alors que c’est une richesse….

FI : Au cours de votre mandat, nous retiendrons deux points positifs : le dégagement de bénéfices et la réduction des effectifs. Des choix politiques qui ne sont peut-être pas assez spectaculaires aux yeux des administrés. Quel bilan tirez-vous de ces six années ? Et si vous pouviez revenir en arrière, que changeriez-vous ? Regrettez-vous par exemple le fait de ne pas vous être déplacé plus régulièrement et d’être plus visible aux yeux de la population, laissant ce champ d’action à vos vice-présidents ?

S. I. R. : C’est une question qui nécessiterait une réponse longue ! Vous parlez du redressement des finances, de la réduction des effectifs, mais on pourrait ajouter aisément le déploiement de la coopération régionale, la normalisation des relations avec l’État, la montée en compétence des services et des directions départementales… La réorganisation des services, la gestion des prestations sociales avec le régime indemnitaire, les tickets restaurants (3.000 bénéficiaires), l’indexation salariale passée de 20 à 40%, les mutuelles pour tous, sont à souligner.

Le conseil départemental s’est aussi tenu aux côtés des communes, des intercommunalités et de leurs élus, pour la réalisation de leurs projets : l’effort financier exceptionnel consenti de 2015 à 2020 s’est élevé à près de 106 millions d’euros ! C’est aussi un mandat dont chacun doit mesurer qu’il jette les bases de l’avenir, qu’il s’agisse des grands projets (Jeux des Îles 2027, réseau ferré, piste longue, coopération internationale, schéma d’aménagement régional…) mais aussi de la vie quotidienne – les PMI, la MDPH, les routes en sont un bon exemple. Un chiffre : 95% des routes, soit 140 km, sont en bon état. Les transports scolaires ont été juridiquement sécurisés. La collectivité a débloqué une enveloppe de 80 millions d’investissement pour la piste longue et les travaux du quai n°1 du port de Longoni sont engagés. Alors, oui, nous avons un bilan, oui, je ne suis pas un homme d’esbroufe, mais je crois que nous n’avons pas à rougir de ce qui a été fait pour Mayotte et sa population. Et si c’était à refaire, peut-être que nous renforcerions davantage la pédagogie et l’explication !

FI : Vous mettez un terme à une carrière politique de plus de 20 ans. Que retiendrez-vous de toutes ces années ? Et surtout qu’aimeriez-vous que la population retienne de votre engagement pour Mayotte ?

S. I. R. : Je ne suis pas fasciné par la trace ou l’empreinte que je laisse, je n’ai pas cette prétention. Nous sommes de passage ! Ce qui a guidé tout mon engagement, c’est d’agir pour le développement dont Mayotte a besoin, d’essayer de trouver des réponses aux attentes des Mahorais. Il me semble que c’est le sens de tout engagement politique ou citoyen. Comme président du SMIAM (syndicat mixte d’investissement pour l’aménagement de Mayotte), j’ai ainsi contribué à la construction de 400 salles de classes, à la réhabilitation d’écoles, ou à la création d’équipements sportifs (plateaux polyvalents).

Et en tant que sénateur, j’ai notamment œuvré pour le déplafonnement des allocations familiales, l’extension à Mayotte de l’allocation de rentrée scolaire et pour l’intervention de l’ANRU (agence nationale pour la rénovation urbaine) au bénéfice de la restructuration du quartier de M’Gombani à Mamoudzou. Mais, plus largement, défendre les valeurs qui nous sont chères, comme la solidarité et l’équité, agir pour la convergence des droits, porter les enjeux liés au positionnement de Mayotte… Voilà rapidement ce qui m’a mobilisé tout au long de mes différents mandats.

FI : Avec votre expérience, comment imaginez-vous Mayotte dans 10, 20, 30 ans ? Que faudrait-il faire pour que Mayotte puisse définitivement prendre son envol et soit respectée à sa juste valeur par Paris ?

S. I. R. : Des progrès se sont faits tous les jours. La voix de Mayotte est désormais mieux entendue, même s’il reste beaucoup à faire pour tendre vers l’égalité réelle. La future loi Mayotte marquera, je l’espère, de nouvelles avancées. Dans la contribution du conseil départemental à ce texte, la vision que je propose s’articule en trois volets : le traitement des sujets nécessitant rattrapage sur une période de 10 ans, la projection du territoire à l’échelle de 30 ans, soit la période du prochain schéma d’aménagement régional (SAR) de Mayotte et deux sujets « focus » de préoccupation, à savoir la jeunesse et la protection civile.

Au titre du renforcement des capacités institutionnelles et financières du Département, il conviendrait d’achever et de parfaire le processus institutionnel engagé depuis (les lois de 2009, 2010 et le référendum de 2009) pour aboutir au statut de collectivité unique siégeant en configuration régionale et départementale et de donner ainsi à cette institution tous les leviers nécessaires à son développement. Dans le schéma d’aménagement régional, nous dessinons les grandes lignes d’un développement à 30 ans et c’est important, car demain se joue vraiment aujourd’hui ! Un point me semble important pour ne pas dire essentiel : aucun véritable développement ne pourra se faire sans une sécurité retrouvée. Nos efforts doivent converger en ce sens.

FI : Dernière question : comment allez-vous occuper vos journées une fois cette page de votre vie tournée ?

S. I. R. : La vie ne s’arrête pas avec l’engagement politique, fort heureusement. D’autres manières de rester actifs existent, dans les associations par exemple. Pour l’heure, j’aspire à retrouver le chemin d’une vie familiale bien méritée.

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