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Au centre éducatif renforcé de Mayotte, les timides premiers pas des mineurs délinquants vers la réinsertion

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Ils ont entre 13 et 17 ans et sont déjà passés devant le juge pour des faits délictuels ou criminels. Mais pour éviter l’incarcération systématique, et surtout la récidive, la protection judiciaire de la jeunesse a la lourde tâche d’accompagner ces jeunes vers la réinsertion. L’un de ses dispositifs, le centre éducatif renforcé (CER) de Mayotte, accueille certains de ces mineurs repris de justice, pour des sessions de quatre mois intensifs. Reportage.

Sous sa casquette blanche et ses équipements dignes d’un jardinier professionnel, Ibrahim* a un sourire banane. “Aujourd’hui, on s’est levé tôt, on a fait du sport et là, il faut couper les feuilles”, rembobine-t-il la mine satisfaite, pour décrire sa journée déjà bien entamée. Un joli programme… et surtout inhabituel pour le jeune homme de 17 ans, plutôt accoutumé aux grasses matinées et aux longues après-midi d’oisiveté. Scolarisé jusqu’en 3ème, le mineur a atterri au centre éducatif renforcé de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) de Mayotte, après un passage par la case délinquance. Intégré au centre depuis le mois de décembre, il commence, doucement, à se projeter vers l’avenir. “J’aimerais bien faire un stage de cuisine”, poursuit celui qui n’hésite pas à donner un coup de spatule pour “aider la femme qui nous prépare à manger”.

À côté de lui, son acolyte a la langue moins pendue. Assis à l’ombre l’air revêche, Ahmed* débite ses réponses par monosyllabes. “Oui”, “non”, “CM2”, marmonne-t-il à chaque fois qu’on lui tend la perche. “Moi, je veux faire de l’entretien de climatiseur”, lâche enfin le taiseux, poussé par les encouragements de ses éducateurs. “C’est plutôt le premier qui était bavard”, nuance quelques minutes plus tard Erwan Bourhis Humbert, le coordinateur de ce centre géré par Mlézi, association habilitée par l’État et le Département. Sur les six mineurs à sa charge, rares sont ceux qui ont le contact humain facile, surtout avec les adultes.

 

Situation “préoccupante” pour les mineurs privés de liberté

 

Et c’est justement là que le CER entre en jeu. Ce dispositif fait partie de l’arsenal de la PJJ pour accompagner les jeunes vers la réinsertion. Créé en 2019 sur l’île aux parfums, le centre a déjà réalisé six sessions, pour une capacité de huit mineurs maximum. Avec le Dago (l’Établissement de placement éducatif), l’UHD (Unité d’hébergement diversifié), ou encore les centres éducatifs fermés et renforcés de La Réunion, ce sont en moyenne 100 jeunes qui sont placés chaque année depuis 2017 par la PJJ. Objectif : redonner un cadre pour ces mineurs, happés trop tôt par la délinquance… Et éviter leur incarcération systématique, qui peut les embourber encore davantage dans un cycle de violences. Au niveau national, un récent rapport de la contrôleure des lieux de privation de liberté a d’ailleurs jugé la situation des mineurs enfermés “préoccupante” : au 1er janvier 2020, 804 mineurs étaient incarcérés, contre 672 dix ans plus tôt.

 

9% de mineurs non accompagnés

 

Pour éviter les barreaux, le juge des enfants ou d’instruction, sur proposition de l’éducateur de la PJJ, et en fonction du profil et de la gravité de la condamnation, peut donc décider du placement du jeune en centre éducatif renforcé. Là, le mineur – entre 13 et 17 ans – entame un parcours musclé qui va durer quatre mois. La session actuelle court donc jusqu’au 26 avril. À chaque fois, les candidats font l’objet d’un examen minutieux, pour former le groupe. Car il vaut mieux éviter les rivalités de bande… ou encore respecter les interdictions de contact avec des co-auteurs décidées par le tribunal, par exemple. Ceux qui échouent là ont pour la plupart écopé de peines pour des vols avec violence, indique le responsable du CER. Information non négligeable : les mineurs non accompagnés ne représentent que 9% des effectifs suivis par la PJJ. “En cherchant bien, nous trouvons toujours des familles éloignées”, analyse Hugues Makengo, son directeur territorial à Mayotte.

 

Trois phases, de la rupture à la réinsertion

 

Et à peine arrivés, les voilà mis dans le bain. Réveil matin, 6h30, du sport, quatre à cinq heures par jour, une itinérance à Mayotte ou à La Réunion si la situation sanitaire le permet, un accompagnement quasi individualisé et “peu de temps de repos”… Sacré planning ! “On a fait par exemple de la via ferrata à Bouéni, et dans ces situations, ils sont obligés de faire confiance à l’adulte. Cela casse leur fonctionnement habituel”, illustre Erwan Bourhis Humbert. Ce parcours du combattant dure pendant un mois. “C’est la phase de rupture, pour rompre avec leur mode de vie car nous avons souvent affaire à des jeunes très marginalisés avec des horaires nocturnes, des consommations de stupéfiants, une déscolarisation”, explique le coordinateur.

À l’issue de cette première phase, place à la “remobilisation”. De retour au centre, les jeunes (ex ?)-délinquants commencent à travailler leur projet individuel. Ils sont alors accompagnés d’un psychologue et d’un enseignant de l’Éducation nationale pour revoir les bases. Car s’ils parlent tous français en général, ces mineurs montrent des lacunes. À la mi-janvier, les six de la session actuelle ont justement entamé cette phase de montée en compétences, qui peut durer jusqu’à deux mois. “On les aide à faire leur CV, pour trouver un stage”, ajoute une éducatrice. Enfin, en fonction de leur avancée, chacun peut entamer la troisième et dernière phase, celle de la réinsertion vers l’extérieur, qui peut signifier la rescolarisation, l’entrée dans une formation ou encore un stage.

 

Sans suivi, le risque de la récidive

 

Et c’est gagné ! Enfin, pas tout à fait. Car le risque de récidive existe bel et bien, “surtout s’ils ne sont pas suivis”, constate Hugues Makengo. Chiffres à l’appui ? “Non, mais il peut nous arriver de les retrouver entre trois et six mois après leur sortie des dispositifs d’insertion”, acquiesce Erwan Bourhis Humbert. Pour garantir une réinsertion durable, et surtout faire baisser la délinquance à Mayotte, la seule action du CER ne peut suffire. “Souvent, nous récupérons des jeunes entrés en délinquance mais qui relèvent plus de parcours d’enfants maltraités, qui ont faim, qui sont élevés dans des familles élargies”, présente le directeur de la PJJ. D’où la nécessité de renforcer aussi le travail de la protection de l’enfance mené en amont par l’ASE (aide sociale à l’enfance), qui dépend du Département.

Dernier défi et non des moindres : faire reconnaître les compétences acquises pendant le passage du mineur au centre éducatif. Car si, à l’issue de son suivi, le jeune obtient un livret de compétences, il est important de capitaliser par une certification des organismes agrées. “Ici, à Mayotte, les problèmes avec la jeunesse sont tellement importants, en termes de scolarisation, de chômage, qu’il apparaît presque normal que ceux repris de justice ne soient pas priorisés (pour obtenir la certification de leur compétence)”, déplore Hugues Mackengo. Avant de conclure, sous les bruits de la tondeuse en marche dans les mains d’un Ibrahim concentré au-dessus de ses herbes folles : “Même avec tous mes diplômes, je suis incapable de faire ce qu’il fait…”

* les prénoms ont été modifiés

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