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L’état des stocks de poissons : « une priorité » pour le Parc marin

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Le premier diagnostic de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) sur les stocks de poissons en outre-mer, rendu la semaine dernière, révélait la difficulté d’évaluer scientifiquement l’état des populations de poissons côtières et récifales – comprenez : les poissons du lagon. Nous avons interrogé Christophe Fontfreyde, directeur du Parc naturel marin de Mayotte, qui nous informe sur les travaux réalisés à ce sujet.

Flash infos : Pouvez-vous nous éclairer sur cette difficulté à évaluer l’état des stocks de poissons côtiers et récifaux à Mayotte ?

Christophe Fontfreyde : Mayotte n’est pas un cas isolé. Les stocks des espèces côtières et récifales sont très difficiles à évaluer. En effet, pour estimer la quantité de poissons dans l’eau, les scientifiques se basent sur les quantités de poissons pêchées, leur taille, etc. Or, les espèces récifales sont nombreuses, et donc les quantités débarquées pour chacune d’entre elles souvent trop faibles pour en estimer le stock. Ça peut paraître paradoxal, mais moins une espèce est pêchée, et moins on a d’informations sur le stock ! Nous rencontrons cette difficulté-là, et la science n’a pas forcément la réponse !

F.I. : Vous collectez pourtant des données sur ces espèces. Quels outils avez-vous à votre disposition pour faire état des stocks ?

CF : En l’absence de l’Ifremer à Mayotte, nous réalisons le système d’informations halieutiques (SIH). Six agents de terrain sont répartis sur les différents points de débarquement de l’île. A l’amiable avec les pêcheurs – nos agents ne sont pas des contrôleurs – ils estiment les quantités de poissons débarquées par espèce, les mesurent. C’est difficile d’être exhaustif, car il y a beaucoup de pêche informelle. Ensuite, le parc marin a acheté des caméras « Staviro » (station vidéo rotative, NDLR), développées par l’Ifremer. Ce sont des caméras « haute-définition » sur trépieds que l’on place au fond de l’eau, et qui prennent des images à 360 degrés. Leur déploiement ne prend qu’une quinzaine de minutes, ce qui permet de couvrir une vingtaine de spots par jour. Nous avons fait plusieurs centaines de « points » l’année dernière. Cette année, les halieutes analyseront les images en laboratoire pour mesurer l’abondance et la diversité des différentes espèces. Enfin, nous envoyons des plongeurs qui réalisent des comptages. C’est plus exhaustif qu’une caméra, mais eux ne peuvent s’immerger que deux à trois fois par jour ! En utilisant les méthodologies développées par l’Ifremer à la Réunion, on compile les données du SIH, des « Staviro » et des plongeurs, qui passent dans une moulinette très savante pour nous donner une première estimation de l’état des stocks pour six espèces jugées prioritaires. C’est le projet Demerstock, financé par l’Union européenne, le plan de relance et l’Office français de la biodiversité. On est en phase de recherche et de développement : vraisemblablement, c’est un programme qu’il faudra reconduire sur plusieurs années.

F.I. : Pourquoi est-il important de connaître l’état des stocks de poissons côtiers et récifaux ?

CF : Pour le parc marin, c’est une priorité : nous devons savoir quelles espèces sont en danger, lesquelles doivent être protégées, ou à l’inverse lesquelles nous pouvons pêcher. Notre rôle est – certes – de protéger les espèces, mais aussi la filière pêche ! L’idée d’un parc marin, c’est d’y inclure l’être humain. Ce n’est pas un sanctuaire, nous faisons partie de l’écosystème… mais il faut que les gens s’y comportent suffisamment bien. J’aime employer cette image : c’est un peu stupide de pêcher un poisson qui ne s’est pas encore reproduit, mais c’est pas forcément plus malin de le laisser mourir de vieillesse ! Il y a un intermédiaire à trouver, et c’est notre boulot.

FI : Vous avez, pour encourager les pêcheurs à cibler les espèces pélagiques hors du lagon, installé des « dispositifs de concentration de poissons » (DCP). Pouvez-vous nous en réexpliquer le principe, et quel premier bilan en tirez-vous ?

CF : Effectivement, l’une des sept orientations du plan de gestion du Parc marin est le développement de la filière pêche hors du lagon. L’idée étant de se dire, qu’au vu de l’augmentation de la population sur l’île, et par mesure de précaution, on ne s’imagine pas intensifier encore la pression de pêche dans le lagon. L’une des solutions est donc de s’orienter sur les poissons du large, principalement les espèces thonières. Dans ce cadre, nous avons installé 14 DCP fixes, en milieu et fin d’année dernière. Ce sont des gros blocs de béton, accrochés par des centaines de mètres de câbles à une quinzaine de bouées de surface. A environ cinq mètres de profondeur, nous avons un « feuillard », un ensemble de filins dans lesquels les algues vont se fixer. Des petits poissons s’y cachent, développant toute une chaîne alimentaire et attirant les plus gros poissons. Ce sont des sortes d’oasis, placés à une distance d’entre cinq et quinze miles nautiques (entre 9 et 28 kilomètres, NDLR) du récif, et qui donnent aux pêcheurs une facilité d’accès à la ressource. Nous avons eu de très bons retours. Les pêcheurs en demandent même davantage !

FI : On pense instinctivement que la conservation des stocks concerne avant tout les pêcheurs professionnels. Les pêcheurs plaisanciers doivent-ils être sensibilisés à certaines pratiques ?

CF : Tout à fait. Déjà, les méthodes de pêche sont plus contraignantes pour la pêche de loisir que pour la pêche professionnelle. Par exemple, les DCP ne sont accessibles aux plaisanciers que le week-end. Disons que pour se nourrir, on estime que l’on peut impacter un peu plus le stock que pour s’amuser ! Les pêcheurs plaisanciers peuvent par ailleurs être une source de données intéressante, puisqu’ils ciblent des espèces un peu plus sportives : barracudas, espadons, par exemple.

FI : Hors la pêche, quelles autres pressions subissent les poissons du lagon de Mayotte ?

CF : La principale pression sur le lagon, c’est la terre qui descend de l’île, drainée par la pluie, qui recouvre le corail et l’empêche de respirer. On qualifie ce phénomène « d’envasement du lagon ». Grâce au BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières, NDLR), on sait qu’environ 20 000 tonnes de terre arrivent dans le lagon chaque année – le poids de deux tours Eiffel ! Si on veut sauver le lagon, il faut se battre sur les chantiers, particuliers comme professionnels, pour ne pas laisser des tas de terre. Un vrai travail de sensibilisation doit être mené à cet effet. Par ailleurs, ce phénomène est accentué par le défrichage et le remplacement de ce qu’on appelle « le jardin mahorais » par des cultures qui ne retiennent pas l’eau sur les parcelles dénudées. Le lagon de Mayotte est exceptionnel au niveau mondial. A dires d’experts, il est encore dans un état remarquable, et c’est pour cela que ça vaut le coup de se battre, avant qu’il ne soit trop tard.

 

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