Les Chagos se réclament de l’île Maurice, Mayotte se réclame de la France, explique Abdelaziz Riziki Mohamed.
Dès l’Antiquité, le grand penseur grec Aristote (384-322 avant Jésus-Christ) avait déclaré qu’« il n’y a pire injustice que de traiter également des choses inégales ». Or, depuis que la Cour internationale de Justice (CIJ), l’organe judiciaire principal de l’ONU, a rendu son avis consultatif intitulé « Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965 », La Haye, 25 février 2019, certains aux Comores, jubilent et prétendent que cet avis consultatif doit être transposé au cas de Mayotte, et demander à la France de quitter une île qui lui a été cédée volontairement et sans contrainte le 25 avril 1841. Pourtant, la situation des Chagos ne correspond en rien à celle de Mayotte parce que, autant les Chagossiens se réclament de l’île Maurice, autant les Mahorais se réclament de la France et continuent à rejeter les Comores. Depuis le Congrès de Tsoundzou, du 2 novembre 1958, les Mahorais expriment publiquement leur rejet des Comores. Ce qui n’est pas le cas des Chagos envers l’île Maurice. Pour mieux comprendre cette différence, il conviendrait de commencer par examiner la position de la CIJ sur les Chagos.
Position de la Cour internationale de Justice sur les Chagos
La prise de position de la Cour sur la situation des Chagos est dépourvue de toute ambiguïté, surtout en comparaison avec celle de Mayotte.
La Cour explique : « Entre 1814 et 1965, l’archipel des Chagos fut administré par le Royaume-Uni comme une dépendance de la colonie de Maurice. Dès 1826, les îles de l’archipel des Chagos furent inscrites sur une liste en tant que dépendances de Maurice par le gouverneur Lowry-Cole. Ces îles sont également décrites comme telles dans plusieurs ordonnances, dont celles rendues par les gouverneurs de Maurice en 1852 et en 1872 » (p. 107).
En ce qui la concerne, Mayotte est française depuis le 25 avril 1841, sans la Grande-Comore, Mohéli et Anjouan, qui allaient devenir des protectorats français en 1886, soit 45 ans plus tard, avant d’être transformées en colonies, comme Mayotte, en 1912, soit 71 ans après.
Comme les Chagossiens se considèrent comme Mauriciens, « la Cour rappelle que, si l’exercice de l’autodétermination peut se réaliser au travers de l’une des options prévues par la résolution 1541 (XV), il doit être l’expression de la volonté libre et authentique du peuple concerné » (p. 134). Pourquoi, donc, « l’expression de la volonté libre et authentique du peuple concerné » doit être reconnue comme un droit aux Chagossiens et non aux Mahorais ?
En conclusion, la Cour, « 3) Par treize voix contre une, Est d’avis que, au regard du droit international, le processus de décolonisation de Maurice n’a pas été validement mené à bien lorsque ce pays a accédé à l’indépendance en 1968 à la suite de la séparation de l’archipel des Chagos », « 4) Par treize voix contre une, Est d’avis que le Royaume-Uni est tenu, dans les plus brefs délais, de mettre fin à son administration de l’archipel des Chagos », « 5) Par treize voix contre une, Est d’avis que tous les États Membres sont tenus de coopérer avec l’Organisation des Nations Unies aux fins du parachèvement de la décolonisation de Maurice » (p. 140).
Quand la CIJ a-t-elle rendu une ordonnance, un arrêt ou un avis consultatif sur Mayotte ?
Incommensurables différences entre Mayotte et les Chagos
L’archipel des Chagos est une propriété territoriale et humaine de l’île Maurice. Il a une superficie de 60 km², formée de 5 atolls et de 55 îles, dont une seule est habitée : Diego Garcia. Sur place, vivent des travailleurs contractuels, des fonctionnaires britanniques et des soldats états-uniens, à la base militaire louée par la Grande-Bretagne aux États-Unis.
Après l’avis consultatif rendu par la CIJ le 25 février 2019, il a fallu attendre le 3 octobre 2024 pour que la Grande-Bretagne annonce, enfin, sa volonté de rendre les Chagos à Maurice, mais en s’arrogeant unilatéralement et illégalement le droit de conserver la base militaire mentionnée ci-haut, malgré l’avis consultatif rendu par la CIJ, qui ne lui reconnaît pas ce droit. Un nouveau développement est intervenu le 22 mai 2025, quand Kier Starmer, le Premier ministre britannique, a accepté de signer l’accord formel en vue du transfert de souveraineté des îles Chagos à l’île Maurice. Le seul problème provient de la soustraction de la base militaire de Diego Garcia de la souveraineté de Maurice, puisque son exploitation par la Grande-Bretagne et les États-Unis va se poursuivre pendant les 99 prochaines années. Cette période sera suivie d’une prolongation de 40 ans et même d’un droit de préemption, par la suite. Maurice se contentera d’un loyer annuel de 165 millions de livres sterling pendant les trois premières années, puis de 120 millions de livres sterling par an, pendant les dix années qui suivront, puis de 120 millions de livres sterling, en tenant compte du taux d’inflation.
Cela a suffi à certains Comoriens pour dire bruyamment que l’évolution de la situation juridique des Chagos préfigure la fin de la présence française à Mayotte. Mais, comment ?
Or, cela est une utopie larmoyante dans la mesure où les Chagossiens se considèrent comme Mauriciens et veulent appartenir à la même communauté de destin que les autres Mauriciens, alors que, délibérément, par 5 référendums libres, transparents et démocratiques (22 décembre 1974, 8 février 1976, 11 avril 1976, 31 juillet 2000 et 29 mars 2009), Mayotte, devenue volontairement française le 25 avril 1841, réaffirme sa libre volonté de rester dans la souveraineté de la France. Se conformant au Droit international public, Mayotte refuse de faire partie des Comores. Elle en a le droit, notamment parce que la résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale de l’ONU en date du 24 octobre 1970, intitulée « Déclaration relative aux principes de Droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies », reconnaît : « La création d’un État souverain et indépendant, la libre association ou l’intégration avec un État indépendant ou l’acquisition de tout autre statut politique librement décidé par un peuple constituent pour ce peuple des moyens d’exercer son droit à disposer de lui-même».
Retournons aux Chagos. Le 8 novembre 1965, donc trois ans avant que Maurice ne devienne un État indépendant, la Grande-Bretagne, la puissance coloniale, avait détaché l’archipel des Chagos de Maurice, pour sa transformation en Territoire britannique de l’océan Indien. Les États-Unis ont loué à la Grande-Bretagne l’emplacement qu’ils ont érigé en base militaire à Diego Garcia, instaurant un « contrôle exclusif » sur l’île. Le résultat de cela avait été l’expulsion par la Grande-Bretagne des Chagossiens, l’interdiction de leur retour sur leur île, après une violente restriction en nourriture et en médicaments. En 1973, la Grande-Bretagne avait déporté les derniers Chagossiens de leur île vers Maurice et les Seychelles.
La France a déporté qui à Mayotte, a loué quel site à quelle puissance pour l’édification d’une base militaire sur l’île ? La réponse étant connue pour être négative, il suffirait à peine de noter que même Youssouf Moussa, le plus antifrançais des « Serrer-la-main », n’a jamais été expulsé par la France de Mayotte vers les Comores, pays dont il se réclame, pourtant. Youssouf Moussa avait bel et bien subi une expulsion, mais en sens inverse : Ahmed Abdallah Abderemane l’avait obligé à quitter les Comores pour rentrer « chez lui », à Mayotte. Comment pouvait-il rentrer « chez lui », à Mayotte, alors que son passeport français lui avait été confisqué par les mercenaires à Moroni ?
Le récit que m’en a fait Youssouf Moussa, lors d’un entretien qu’il m’avait accordé chez lui, à Pamandzi, le dimanche 21 mai 2023, vaut d’être connu : « Mais, comment me rendre à Mayotte alors que mon passeport français était confisqué par les mercenaires d’Ahmed Abdallah ? Je suis allé voir un policier originaire de Mayotte. Je lui ai parlé de mon problème. Il a déployé plusieurs efforts et a fini par me ramener mon passeport français. Mon retour à Mayotte était avant tout une expulsion ordonnée par Ahmed Abdallah. En 1983, à ma sortie de prison, il a dépêché auprès de moi Abdourraquib Oussene, qui était Procureur à l’époque, à Moroni, pour me dire de rentrer à Mayotte sans essayer un jour de retourner à Moroni. Je suis donc rentré à Mayotte » : Cité par Abdelaziz Riziki Mohamed : Grandes figures politiques de Mayotte. Tome 2. Des pionniers et pionnières aux héritiers, Les Éditions Sépia, Paris, 2024, p. 276.
Certes, des « Soroda » avaient été à l’origine de l’exil aux Comores de certains « Serrer-la-main », mais il s’agissait de faits politiques locaux auxquels la France était entièrement étrangère.
In fine, les Chagossiens et les Mahorais ont choisi leurs destins et leurs communautés de destin, chaque peuple dans la direction qui lui convient. Le choix libre de Mayotte (400.000 habitants) est illégalement et obsessionnellement nié et bafoué par certaines organisations internationales et certains États dont les ressortissants atterrissent légalement ou illégalement à Mayotte, quand celui des Chagos (1.500 à 2.000 habitants, membres de 450 à 500 familles) est reconnu. Mais, la résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960, « Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux », dite « La Charte de la décolonisation », reconnaît le droit à l’autodétermination aux « nations, grandes et petites ».
« Salutations » et « vives félicitations » sans lendemain des Comores
Au lendemain de l’accord entre la Grande-Bretagne et l’île Maurice pour la rétrocession de l’archipel des Chagos à cette dernière île de l’océan Indien, certains Comoriens jubilent en public. Toute honte bue, le 23 mai 2025, le ministère comorien des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, chargé du Monde arabe, de la Diaspora, de la Francophonie et de l’Intégration africaine (Ouf !) « salue la signature du traité de rétrocession de l’Archipel de Chagos [Sic : Des Chagos] entre la République de Maurice et le Royaume-Uni ».
Ce que le juriste ne comprend pas, c’est quand la diplomatie des Comores, un pays qui veut priver les Mahorais de leur droit à l’autodétermination, en restant dans la souveraineté de la France, prétend que « cet élan positif ouvre la voie au dénouement heureux des différends et des contentieux territoriaux, qui persistent encore dans notre sous-région, éprise de paix et de coexistence pacifique ». Y a-t-il une meilleure façon de procéder « au dénouement heureux des différends et des contentieux territoriaux » que de reconnaître à chaque peuple le droit de choisir son destin et son statut en Droit, donc de reconnaître que Mayotte a le droit de rester dans la souveraineté de la France ? Il y a problème parce que les Comores veulent forcer Mayotte à devenir comorienne, alors que Mayotte ne veut avoir une communauté de destin qu’avec la France, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ? C’est son droit.
En tout cas, une certitude demeure : Mayotte ne deviendra pas comorienne parce que la Grande-Bretagne rétrocède les Chagos à l’île Maurice. Cette rétrocession n’est pas contestée par les Chagossiens, puisqu’ils se réclament Mauriciens. À l’inverse, les Mahorais ne veulent pas entendre d’une possible appartenance de leur île à un pays qui s’appelle les Comores. Comme la CIJ soutient que l’autodétermination « doit être l’expression de la volonté libre et authentique du peuple concerné », on ne voit pas comment faire de Mayotte une partie intégrante d’un pays appelé les Comores.
Par Abdelaziz RIZIKI MOHAMED