De 5 à 7 ans, Nicolas a été violé par son cousin, dans le grenier de leur grand-mère. Après plusieurs tentatives de suicide et divers excès lui permettant de supporter ses « flashs quotidiens », il décide d’écrire son histoire, 43 ans plus tard. Mais aussi d’autres, comme celle d’un violeur retrouvé par les villageois avant la police.
Mayotte Hebdo : Pourquoi avoir choisi d’écrire une nouvelle sur les agressions dont vous avez été victime ?
Nicolas : Il y a encore quatre mois, je n’avais pas du tout envie d’écrire. J’ai commencé début juillet, et ai écrit quatre nouvelles, dont la mienne. L’objectif est d’en faire un petit roman, avec cinq nouvelles aux stratégies de survie différentes, dont deux réelles et trois fictions.
MH : C’est votre moyen de supporter le traumatisme ?
Nicolas : Depuis toujours, je suis colonisé par ces images, tous les jours. Ça n’est jamais passé. Les seules façons pour les atténuer étaient de picoler, prendre de la coke, fumer… Tout un tas de choses qui m’ont fait plus de mal que de bien mais m’ont permis de faire passer les années. Beaucoup de gens n’ont jamais su à quel point je n’étais pas bien et touché par les addictions, y compris des proches. Et aujourd’hui, écrire, c’est un exutoire total pour moi. La musique m’a aussi beaucoup aidé, c’est pourquoi j’intègrerai un QR code à la fin du bouquin, qui redirigera le lecteur vers une playlist contenant tous les titres que j’aurais abordé.
MH : Dans la nouvelle, vous revenez sur le fait que le délai entre le crime et la révélation est parfois très long chez la victime, si la révélation a lieu. Comment l’expliquez-vous ?
Nicolas : Quand tu as cinq ans, au mieux, tu peux te rendre compte que ce qui se passe n’est pas normal. Quand ça devient insupportable, ton esprit se détache, tu le vis comme si tu étais spectateur, et tu ne sais plus vraiment si ça a existé, si c’est un rêve… Une fois que tu prends conscience que ce n’est pas bien, tu sais que si tu en parles, ça va provoquer des problèmes familiaux. Je sais que ma famille aurait totalement explosé, donc je n’ai pas voulu en parler. À 11 ans, lorsque je l’ai revu, ça me détraquait à chaque fois mais ce n’était plus possible. Mes parents m’auraient cru mais je n’avais pas envie de foutre la merde. Mais j’ai rapidement commencé à fumer, picoler, et les images reviennent tout le temps. Je suis incapable de dire pourquoi tout est ressorti, un soir.
MH : Quelle a été la réaction de vos proches lorsque vous leur en avez parlé ?
Nicolas : C’était compliqué. Avec ma femme, j’étais ivre, je ne m’en souviens plus trop, mais vu sa réaction, je lui ai donné tous les détails. C’était un immense choc pour elle, et j’ai regretté d’avoir parlé car ça a changé nos relations au début. Je ne comprenais pas pourquoi j’avais cette double-peine. En fait, elle craignait que je sois capable de faire la même chose. J’en ai parlé à mes parents, qui en ont parlé à mes frères, mais jamais on ne m’en a reparlé. Je pense qu’il y a un tabou là-dessus.
MH : À Mayotte, on observe une véritable omerta sur ce sujet, de la part des victimes comme de leurs parents. Quel conseil livreriez-vous à une jeune personne victime d’agression sexuelle ?
Nicolas : Si je l’avais en face de moi, je lui dirais qu’il faut en parler. Sinon, la vie est un vrai calvaire. Je ne dis pas que c’est tout de suite plus facile après, mais dès qu’on se sent prêt, il faut le faire. C’est surtout que plus tôt on en parle, plus tôt on peut arrêter le coupable. En fermant ma gueule, j’ai laissé un mec dans la nature qui a forcément reproduit ça sur d’autres personnes. Donc j’ai aussi vécu avec cette culpabilité. Il faut que la honte change de camp.
MH : Si les femmes parlent peu, les hommes encore moins. Le virilisme, dans nos sociétés, est-il en cause ?
Nicolas : Bien sûr, et pas seulement à Mayotte. Quand j’étais jeune homme, je ne me voyais pas du tout parler de ça. Sans être macho, c’est tellement dégradant d’imaginer ce par quoi tu es passé que tu n’as pas envie d’en parler. Tu as honte d’avoir subi ce genre de choses, d’avoir été en érection. Le psychiatre que j’ai vu m’a rassuré en me disant que c’est juste mécanique, c’est quelque chose que toutes les victimes subissent, mais c’est un tel sentiment de honte…
MH : Comment avez-vous fait pour aller mieux, aujourd’hui ?
Nicolas : J’ai passé beaucoup de temps à réfléchir à la manière dont j’allais pouvoir essayer de m’en sortir. Des idées noires, j’en ai eu, et je ne me suis jamais senti à l’abri d’un coup de cafard qui me soit fatal. J’ai beau tout avoir pour être heureux, des enfants en bonne santé, une super bonne situation, un métier que j’adore, mais les images sont tellement insupportables que tu peux souffrir des jours entiers, sans pouvoir l’expliquer, et tu as juste envie d’en finir, quoi. D’où l’intérêt d’en parler le plus vite possible.
Retrouvez le dossier consacré au violences sexuelles sur mineurs dans le numéro 1014 de Mayotte Hebdo.
Extraits de la nouvelle « Lutter pour vivre », de Nicolas.
« Dis donc, tu ne me prêterais pas ton baladeur pour la semaine ? Je te le rapporte vendredi. » interroge PC au moment du départ… Et comment refuser une chose aussi simple à quelqu’un à qui on n’a jamais rien refusé ? Même les choses qui ne se demandent pas, même celles qui ne se font pas à un enfant…
Et sur la table de chevet… en morceaux… son baladeur Sony. Celui qu’il ne lui a jamais rendu et dont il n’a plus jamais été question. Un casque salement scotché auquel il manque une mousse est relié à l’appareil par un câble dénudé par endroits. Le baladeur, fendu sur un angle, n’a plus de porte pour protéger la K7 et des inscriptions y sont gravées. Ce monstre détruit décidément tout ce qu’il touche… Le baladeur doit probablement encore fonctionner. Mal. Mais il doit fonctionner.
Comme lui, finalement…