La raqi thérapie : Un trait d’union entre le passé et le présent

Plus qu’un simple phénomène de mode, la médecine prophétique également appelée « Raqi thérapie » ou « Roqiya » bouleverse progressivement et profondément, les pratiques sociétales à Mayotte. L’engouement est le même dans le département voisin de La Réunion, à Madagascar, et depuis peu, dans une moindre mesure, aux îles Comores voisines.

Ils ne portent ni blouses blanches, ni bleues et ne se distinguent par aucun signe extérieur particulier. À l’inverse des praticiens de la médecine conventionnelle qui doivent impérativement suivre un cursus précis avant d’exercer leurs compétences, les « raqi thérapeutes » proviennent de divers milieux sociaux, avec des parcours variés, exerçant au quotidien dans un nombre incalculable de corps de métier. Ils ont foi en Dieu et sont motivés par l’envie de venir en aide à leur prochain. La « Roqiya » est une pratique qui remonte à la nuit des temps (déjà connue à Jérusalem au temps du roi Salomon), bien avant l’apparition de l’Islam. Il s’agit, à proprement parlé, d’une méthode d’exorcisme. Cette façon de soigner certains maux fait appel à la foi des patients et s’appuie sur l’usage de versets de la Thora, des psaumes, de l’Evangile mais aussi du Coran. Malgré les siècles qui passent, elle se renforce et se répand de l’orient vers l’occident et depuis peu l’Afrique de l’Est et Madagascar. À Mayotte (et dans une moindre mesure aux Comores), elle s’installe depuis 13 ans. Elle est au départ source d’une grande méfiance auprès des populations locales, puisq’elle est importée de Marseille par des jeunes Mahorais ayant fréquenté des enseignants coraniques maghrébins. Ils en ont fait la promotion à partir d’une mosquée de Labattoir réputée comme étant un bastion fondamentaliste, au motif qu’elle heurtait frontalement les croyances ancestrales et musulmanes propres à notre île. La « Roqiya » est en passe de métamorphoser la société de l’île hippocampe, au point que l’autorité musulmane officielle a décidé de suivre de très près son évolution et son impact auprès des croyants. Engagée dans un processus d’évolution rapide au travers de la départementalisation, cette société mahoraise est en proie à des maux sociaux d’un nouveau genre sous les tropiques : mal être, stress, anxiété, solitude, désocialisation, et j’en passe. Des pathologies qui ne trouvent pas toujours de remèdes appropriés dans les hôpitaux et les services publics de santé. Ces dérèglements qui s’opèrent dans la société mahoraise en phase de formatage à l’occidental constituent un terreau propice à l’expansion de la « Roqiya » à Mayotte, malgré quelques couacs de parcours dus pour l’essentiel à la personnalité et au parcours de certaines personnes devenues entre temps « Raqi thérapeutes». Des soucis qui ont failli ternir l’image de la « Roqiya » à Mayotte.

Une pratique intemporelle qui d’adapte à l’usage des nouvelles technologies et au numérique

Parmi les premiers «raqi thérapeutes», certains ne jouissent pas d’une réputation de sagesse au sein de la population. Cela a eu pour effet d’alimenter une certaine suspicion au sein de la société à tel point que personne ne s’est demandé s’il ne s’agissait pas là d’une confrérie destinée à racheter « un certificat de bonne conduite et bonnes meurs » à des individus au passé sulfureux. Ce détail a son importance dans l’évolution de la « Roqiya » sur le territoire. Et pourtant, lorsque l’on observe de près ce phénomène, il comporte des avancées non négligeables pour l’évolution de la société locale dans sa manière de prendre en charge certaines problématiques, notamment de la gestion de la délinquance juvénile, les relations intergénérationnelles à l’intérieur d’une famille, l’encadrement des moins jeunes, la vie de couple, mais également les affres de la vie quotidienne. De quoi permettre de se passer aisément de psychothérapeutes dans une société locale bâtie sur des fondements et des normes différents de la société européenne et occidentale. En effet, ici tous les événements qui ponctuent la vie quotidienne des citoyens ne relève pas d’une vision cartésienne des choses. Dans son fondement africain et malgache et ses influences arabo-musulmanes, la société croit encore aux djinns, démons, esprits des morts réincarnés, le mauvais œil, les gris-gris, les sorts et autres maux surnaturels. Tout ce qui constitue l’essence même de la «Roqiya» qui n’a d’autre vocation que de les combattre. Mince est la frontière qui sépare le réel de l’irréel, le naturel du surnaturel, le mythe de la réalité et surtout, le passé du présent. La pratique de la « Roqiya » est à classer dans l’intemporel, l’adaptation au temps et aux époques, et fait très nouveau, aux évolutions technologiques et numériques. Les « raqis thérapeutes » n’ont pas besoin d’être en présence d’un désert médical pour recourir aux nouvelles technologies et au numérique. Que vous soyez sur le continent africain, européen, américain, asiatique ou en Océanie, le « Raqi thérapeute » peut traiter son patient à distance, de façon individuelle ou collective. Et pour cause, le verbe est son principal instrument, voire exclusif pour certains, et accessoirement certaines plantes (validées en son temps par le prophète Mahommet) selon la souna. La « Roqiya » reste néanmoins un instrument très difficile à manier dans la mesure où il est à pratiquer dans un cadre strict et réglementaire qui ne laisse aucune place à l’improvisation. De son vivant, le prophète Mahomet aurait eu des exigences fermes sur l’usage de cette médecine.

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