Trafic de stupéfiants : relaxe dans l’affaire du GIR, dix ans après la mort de Roukia d’une overdose à Mayotte

L’ex-patron du groupement d’intervention régional, un gendarme et six autres prévenus comparaissaient ce mercredi au tribunal dans le dossier du GIR. Soupçonnés d’avoir organisé un trafic de stupéfiants pour faire gonfler les chiffres des saisies, les deux hommes ont obtenu la relaxe, des années après le décès d’une jeune femme, affaire qui avait défrayé la chronique.

Il aura fallu dix ans d’enquêtes, d’auditions, d’écoutes téléphoniques et de battage médiatique pour voir (peut-être ?) le bout de l’affaire Roukia et de ses ricochets. Ce dossier, qui porte le nom d’une jeune femme morte par overdose après avoir sniffé de l’héroïne importée à Mayotte, avait entaché le jeune groupement d’intervention régional (GIR), une unité composée de policiers et gendarmes chargée de lutter contre l’immigration clandestine et les trafics de stupéfiants et implantée sur le territoire en 2008, sous le mandat de Nicolas Sarkozy. À l’époque, la question de l’origine de la drogue responsable du décès de Roukia Soundi, soupçonnée d’avoir transité par les mains d’agents du GIR, donne un retentissement tout particulier à l’affaire, jusqu’à éclabousser le patron même de l’institution.

Dix ans après les faits, le désormais ex-patron, Gérard Gautier, ainsi que le gendarme Christophe Le Mignant comparaissaient ce mercredi au tribunal correctionnel de Mamoudzou, cités aux côtés de six autres prévenus, dans un dossier connexe. Les deux membres du GIR devaient répondre des faits d’importation et de détention non autorisée de stupéfiants, les autres, non comparants, des faits d’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d’un étranger en France.

Gonfler les chiffres” du GIR

Derrière l’enquête hors-normes qui a amené ces prévenus à la barre, il faut ici mentionner l’implication d’un homme : le juge d’instruction Hakim Karki, le premier de Mayotte (nous sommes alors en 2011, et le tribunal de grande instance vient tout juste d’être créé), qui, après la découverte du cadavre de Roukia, va tenter de tirer les ficelles pour lever le voile sur un trafic de drogues présumé au sein du GIR. Cette enquête amènera d’abord le gendarme Daniel Papa et le policier Jérémy Bouclet à comparaître devant la justice, où ils écoperont finalement de peines allégées en appel. Mais dans le viseur du juge Karki, figurent aussi Gérard Gautier et Christophe Le Mignant, soupçonnés d’avoir sciemment orchestré ce trafic pour “gonfler les chiffres” du GIR en matière de saisies. Alors que le juge se trouve lui-même poursuivi en 2014 dans une affaire de viol, l’enquête patine pendant des années, jusqu’à ce que le procureur Camille Miansoni décide d’appeler enfin à la barre les huit prévenus sur la base de charges qu’il estime “suffisantes”.

Hakim Karki en visioconférence

Ce mercredi, c’est donc une audience lourde d’émotions, à la hauteur de cette histoire rocambolesque, qui s’est ouverte, avec notamment l’un de ténors du barreau de Paris, Maître Szpiner, conseil de Gérard Gautier. Et l’intervention préliminaire du juge Karki a d’emblée donné le ton de ce procès sous tension… “Dans ce dossier-là, il y a eu clairement des pressions des magistrats, des greffiers, des enquêteurs… Une des greffières a été entendue 17 fois par le service d’inspection pour lui faire dire que le GIR ne faisait pas de trafic, une autre a demandé à être mutée en raison des pressions psychologiques et morales dont elle faisait l’objet. Et je pourrais continuer comme ça pendant dix minutes”, déroule le magistrat, joint par visioconférence.

Le GIR et ses informateurs

Objectif du jour : comprendre le fonctionnement d’une filière de passeurs entre Anjouan et Mayotte, gérée par un dénommé Adi, et surtout ses liens avec les deux gendarmes, dont le patron du GIR. Adi, qui possède quatre embarcations et effectue déjà des trajets pour 500 euros, plus chers mais réputés plus garantis de succès que ceux de ses concurrents, veut entrer en contact avec un service de police. Visiblement, son dernier contact avec un flic a fini par tourner court, sur fond “de papiers qu’il n’aurait pas obtenus”, explique Christophe Le Mignant. Via un ami d’enfance d’Adi, le gendarme nautique, qui assure travailler à obtenir des renseignements à livrer aux services compétents, obtient le numéro du passeur. Il est ensuite appelé dans les locaux du GIR, où l’attend notamment Gérard Gautier. Là, il est convenu d’appeler Adi, sur haut-parleur, pour tenter de le faire venir à Mayotte… et pour l’interpeller.

Dans la procédure, plusieurs auditions de membres du réseau indiquent que les gendarmes auraient demandé à faire venir des trafiquants d’Anjouan à Mayotte, en échange de la promesse d’un titre de séjour. Une accusation que les principaux concernés nient en bloc. “C’est pas moi, petit gendarme, qui allait promettre quelque chose que je ne pouvais pas lui donner !”, s’étouffe Christophe Le Mignant. “Ces gens-là, on leur a tendu un piège et ils ont eu le temps de parler en prison”, ajoute Gérard Gautier. Chez les deux co-prévenus, qui clament leur innocence, l’émotion est palpable. “Depuis dix ans, je suis suspendu à un fil ! (…) Sans l’affaire Roukia, il n’y aurait pas eu l’affaire du GIR, et je ne serais pas là devant vous aujourd’hui”, lâche en tremblant l’ex-patron du groupement, affecté par ces longues années de battage médiatique.

“Pas à vous de prouver votre innocence”

Une analyse que semble d’ailleurs partager le procureur lui-même. “Ce n’est pas à vous de prouver votre innocence, c’est au parquet d’apporter les preuves d’une culpabilité”, rappelle le magistrat. Lequel, dans des réquisitions aux airs de plaidoirie, s’attachera surtout à démonter point par point les qualifications retenues contre les deux hommes. Les instructions données pour faire venir des trafiquants, par exemple : “on n’a jamais entendu dire ‘‘tu viendras à telle heure etc.’’”, souligne-t-il. Ou encore la promesse du titre de séjour, “à qui ?”. Sans parler de l’intention pour ces deux hommes, qui “n’avaient rien à gagner”, à organiser ces trafics, pas même l’envie de réhausser les statistiques. “370 kilos saisis en quatre ans, vous ne serez pas vexé Monsieur Gautier, si je vous dis que ce n’est pas terrible”, s’était d’ailleurs amusé Me Szpiner.

Sans trop de surprise, le tribunal prononcera finalement la relaxe pour les deux gendarmes. Les autres prévenus écoperont de peines allant de trois mois de prison avec sursis à 18 mois de prison ferme pour le chef de la filière. Et avec cette nouvelle décision, c’est une nouvelle page qui se tourne dans la tumultueuse affaire du GIR…

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