La ministre déléguée chargée des Outre-mer a clôturé sa quatrième visite à Mayotte par un tour d’horizon des moyens en place pour lutter contre l’immigration irrégulière. Sur le site du STM d’abord, puis au centre de rétention administrative, Marie Guévenoux s’est félicitée de la célérité de l’Etat.
Sur le site du Service des transports maritimes (STM), en Petite-Terre, Marie Guévenoux, est enthousiaste à la vue d’un des kwassas interceptés depuis le début de l’opération « Mayotte place nette ». La ministre déléguée chargée des Outre-mer, accompagnée d’une délégation de trois députés, a tenu à se rendre sur cet emplacement prêté par le Conseil départemental aux forces de l’ordre pour la préparation des « intercepteurs » de kwassa-kwassa de la police et de la gendarmerie nationale. L’endroit idéal pour signer un autosatisfecit en règle au sujet de la lutte contre l’immigration irrégulière.
Depuis le début de l’opération « Mayotte place nette », dix-sept kwassa auraient été interceptés. Au cours d’une déclaration sur le site du STM, la ministre déléguée a fait fi du principe de présomption d’innocence en déclarant que cinq des passeurs interpellés « seront jugés et condamnés ». Outre cette prédiction, ces derniers sont-ils considérés comme des « chefs de bande », le gouvernement ayant promis d’en interpeller 60 tout rond d’ici à la fin du mois de juin ? Nous n’avons pas obtenu de réponse à cette interrogation. Marie Guévenoux a en tout état de cause déclaré sur X (ex-twitter) que vingt-trois chefs de bande avaient été arrêtés depuis le 16 avril.
« On a un sentiment d’impuissance »
Guidée par Frédéric Sautron, sous-préfet chargé de la lutte contre l’immigration clandestine, la ministre déléguée a aussi eu l’occasion de voir de plus près les moyens numériques et humains mobilisés dans le cadre de l’opération « place nette ». Sur les neuf embarcations mises à disposition des forces de l’ordre, trois sont mobilisées « 360 jours par an », a-t-elle rappelé au cours d’un point presse. A l’heure actuelle, les intercepteurs complètent les missions de surveillance réalisées dans le canal du Mozambique par le Champlain, un bâtiment de la Marine français. Un avion est également mobilisé pour des missions de surveillance, tout comme deux vedettes côtières de surveillance maritime de la gendarmerie. Un arsenal nécessaire pour contrer des organisations structurées.
La députée mahoraise Estelle Youssouffa a notamment souligné que les embarcations non déclarées arrivaient « par groupe », dans l’objectif de « saturer » le dispositif de détection de kwassas composé de quatre radars maritimes. « On a un sentiment d’impuissance parce que plus on monte en gamme plus en face ça monte en gamme », a déploré la parlementaire du groupe LIOT (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires). Pour la ministre déléguée, les moyens sont là et il ne faudrait pas « sous-estimer les bons résultats obtenus sur le travail en mer ».
Un centre de rétention administrative sur-sollicité
La délégation s’est ensuite rendue, sur les coups de 12h, au centre de rétention administrative (CRA) à Dzaoudzi, lieu d’enfermement ouvert en 2015 au sein duquel des personnes en situation irrégulières peuvent faire l’objet d’une décision d’éloignement. C’est très souvent le cas, selon le Cimade, qui souligne dans son dernier rapport annuel que les placements en rétention sont en nombre « très important » à Mayotte. En 2023, année marquée par la première opération « Wuambushu », 28.180 personnes ont été enfermées dans le CRA de Petite-Terre qui dispose de 136 places (26 chambres) pour 24.467 reconduites à la frontière (dans un délai inférieur à 24 heures). Ce qui représente plus de 90% du nombre de personnes enfermées cette année-là dans les CRA d’Outre-mer (60% à l’échelle nationale), et incarne une « célérité » qui rend difficile les démarches de contestation. L’association s’émeut par ailleurs du nombre d’enfants envoyés au CRA de Dzaoudzi au cours de cette même année.
« Les enfants représentent plus de 11 % des personnes enfermées à Mayotte. Si l’enfermement des familles avec enfants doit être spécialement motivé et utilisé de manière exceptionnelle, cette pratique demeure une possibilité légale dont la préfecture de Mayotte use quotidiennement alors même que les critères de la loi sont largement détournés. Pour expulser toujours plus, l’administration n’hésite pas à enfermer des enfants avec leurs parents, mais aussi les mineurs isolés, souvent après la modification de leur date de naissance par la préfecture, les faisant apparaître comme majeurs », écrit la Cimade dans son rapport. Et cette pratique pourrait perdurer. Comme l’a rappelé Frédéric Sautron lors de la visite du LRA, si la loi asile et immigration du 26 janvier 2024 interdit l’enfermement d’enfants en rétention, cette disposition entrera en vigueur le 1er janvier 2027 à Mayotte. « Cette disparité législative permet aux autorités de poursuivre durant quelques années supplémentaires leurs pratiques illégales graves à l’encontre d’enfants », déplore la Cimade.
Suite à un contentieux porté par des associations, la préfecture a été obligée de pérenniser des locaux de rétention administrative (LRA) qu’elle avait l’habitude de créer de manière temporaire quotidiennement, rapporte également la Cimade. Pour la visite de Marie Guévenoux, les autorités préfectorales ont préféré montrer le centre d’évaluation sanitaire au sein duquel les personnes interceptées en mer sont placées et examinées en raison de l’épidémie de choléra en cours aux Comores. Ce site aurait pu être implanté à proximité du centre hospitalier de Mayotte (CHM) dès 2019, mais un problème de « maîtrise foncière » a obligé la préfecture de revoir ses plans, selon Frédéric Sautron. Ce dernier a rappelé à la ministre que Gérald Darmanin avait annoncé la création d’un deuxième CRA de 140 places en Grande-Terre, ce qui porterait la capacité d’enfermement théorique à plus de 300 places à Mayotte.
Le Collectif 2018 formule trois exigences pour « écarter les barrages »
« Les braises ne sont pas encore éteintes », rapporte, dans un communiqué envoyé à la presse, Safina Soula, une des leadeuses des Forces vives, présidente du collectif Mayotte 2018, en réaction à la visite de la ministre déléguée chargée des Outremer Marie Guévenoux ces jeudi 2 et vendredi 3 mai, dans le cadre des travaux des deux projets de loi Mayotte (constitutionnel et ordinaire). « Le collectif formule trois exigences de nature à écarter les velléités de reprise des barrages », écrit-elle, au-delà de l’abrogation des titres de séjour territorialisé : un moratoire sur la délivrance des titres de séjour par la préfecture sur une période de six mois, la fermeture des bureaux de l’Ofpra (office français de protection des réfugiés et apatrides), ainsi que le rapatriement en métropole de l’examen des demandes concernant le droit d’asile et leur traitement dans les ambassades et consulats des pays d’origine. Pour rappel, les deux projets de loi seront présentés le 17 mai par le président de la République aux élus du territoire à Paris. Le président du conseil départemental, après concertation avec les élus, rendra leur avis au gouvernement le 22 juin.