6 ans, 4 collèges, un lycée et un service sur les rails plus tard : le “M. Bâtiment” du rectorat quitte son poste “l’esprit serein”

Il a passé six ans au rectorat de Mayotte pour structurer son service de maîtrise d’ouvrage. Le directeur du pôle immobilier et logistique, Blaise Tricon, s’envolera au mois de mai pour le Nord, où il prendra ses nouvelles fonctions au conseil départemental. Il revient pour Flash Infos sur son bilan à la tête de ce service clé pour le 101ème département, confronté à une démographie galopante et qui manque encore de quelque 800 classes pour accueillir tous les élèves.

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Flash Infos : Vous partez après six ans passés à organiser le service maîtrise d’ouvrage du rectorat. Quel était l’état du parc immobilier et de ce pôle à votre arrivée ?

Blaise Tricon : C’était une division assez embryonnaire. Pour vous donner une idée, à l’époque, nous étions cinq et nous sommes passés à 16 personnes dans le service. Cette situation d’origine était aussi liée au fait que la Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement pilotait les opérations de construction pour le compte du rectorat. Depuis, la Deal s’est focalisée sur le premier degré, et de notre côté, nous avons renforcé les équipes en interne pour les collèges et les lycées. En parallèle, nous avons mis en place de nouveaux outils. Quant au parc immobilier en lui-même, il s’est rajeuni, dans la mesure où nous avons livré quatre collèges et un lycée, pour un total de 32 établissements. Et nous avons aussi rénové pas mal de structures de type béton, très caractéristiques du courant des années 2000, comme le collège de Dembéni et de Passamaïnty. En 2015, certains de ces établissements étaient dans un assez mauvais état…

FI : Vous parlez de nouveaux outils. Justement, qu’avez-vous mis en place d’un point de vue technique et humain pour professionnaliser le service immobilier du rectorat ?

B. T. : Vous touchez du doigt le cœur de ma fonction ! En tant que directeur de pôle, la première étape a été de bien distinguer deux entités : d’un côté, celle de la maintenance, de la gestion du patrimoine, sorte de S.A.V. où vous êtes la tête dans le guidon, pour réparer, pour répondre à la demande constante ; de l’autre, celle du pilotage des projets de constructions et de réhabilitations, qui a une vision stratégique et qui met en œuvre le plan d’investissements de 334 millions d’euros sur la période 2019-2022. Ce qui n’enlève en rien à l’utilité et la complexité de la première, entendons-nous bien : nous avons quand même à gérer les huit plus gros collèges de France, entre autres. J’ai donc recruté deux adjoints pour ces deux départements, ce qui déjà est une organisation en soi. Après il a fallu faire un diagnostic de notre patrimoine, ne serait-ce qu’en termes de surface. Cela peut sembler trivial, mais quand je suis arrivé, nous étions tellement dans l’urgence de répondre aux besoins du territoire que nous n’avions pas pris le temps de nourrir notre connaissance, tant sur les aspects quantitatif que qualitatif. Depuis, nous avons mis en place un réseau de maintenance avec les 32 gestionnaires d’établissements et nous avons fait un groupement de commandes ce qui nous a permis de passer un marché à bons de commande, sur lequel nous avions beaucoup communiqué il y a deux ou trois ans. L’idée était de permettre à des entreprises de toutes tailles de travailler avec nous. Aujourd’hui, nous avons des partenaires dans la durée, qui peuvent répondre de manière rapide à nos besoins. Nous avons externalisé beaucoup de compétences sur des acteurs économiques du territoire, dans une logique de développement du tissu économique local. Rien que pour cette partie patrimoine, nous parlons d’environ 9 à 10 millions d’euros par an de commande publique, ce n’est pas négligeable !

FI : Qu’en est-il du deuxième département, axé sur les constructions et la stratégie, comment s’est-il développé ?

B. T. : Nous avons une philosophie, valable pour les deux services, mais qui s’applique d’autant plus pour ce deuxième département. Pour les projets immobiliers du rectorat, nous avons deux piliers. Celui de la qualité environnementale, avec cette notion de frugalité, c’est-à-dire viser à être économe aussi bien dans les matériaux choisis que dans l’énergie, et dans la technicité des bâtiments, où nous favorisons le rôle de l’usager plutôt que des systèmes automatisés. Le deuxième pilier, c’est la co-construction des projets, qui vise à associer le plus possible les parties prenantes, que ce soient les enseignants, la communauté éducative mais aussi les élèves, les riverains… ce que nous appelons la maîtrise d’usage. Je pense par exemple aux équipements sportifs, la salle polyvalente du lycée Mamoudzou Nord, ce genre d’espaces qui peuvent être ouverts en dehors du temps scolaire.

FI : Par rapport au tissu économique local : depuis six ans, avez-vous vu changer le paysage des entreprises présentes à Mayotte et cela a-t-il facilité le développement des projets en vous évitant d’avoir à recourir à des entreprises métropolitaines, éloignées du terrain ?

B. T. : En réalité, déjà en 2015, il y avait quand même de l’ingénierie à Mayotte. Nous n’avons jamais été confronté à une situation où nous ne pouvions faire appel qu’à des entreprises de métropole. Néanmoins, petit à petit, le paysage a un peu évolué à différents niveaux. Nous avons des architectes qui se sont installés, qui ont ouvert des agences. Il faut dire aussi que nous avons lancé des projets avec comme condition pour les prestataires de s’installer à Mayotte, ce que certains ont fait, par exemple pour le lycée du bâtiment ou celui de Chirongui. Tout cela est venu souffler un vent nouveau, et a été bénéfique même pour les architectes déjà présents sur le territoire, qui ont été poussés à innover. Bien sûr, cela n’empêche pas que le tissu économique mahorais conserve certains monopoles, duopole ou triopole indéboulonnables. Mais j’ai bon espoir que cela évolue aussi, car nous lançons des marchés globaux de performance qui pourront peut-être inciter des entreprises de La Réunion ou de métropole à apporter une offre de concurrence. D’autant que la commande publique va exploser avec le plan de convergence à 1,8 milliard d’euros.

D’ailleurs, pour le département constructions, nous avons fait appel à trois sociétés qui viennent compléter les effectifs et prêter main forte aux responsables de projets du rectorat : Algoé, Setech et le réseau Scet qui est partenaire de la Sim. Ces trois groupes nationaux viennent renforcer notre ingénierie, notamment sur un métier qui n’existait pas à Mayotte, celui du management de projet et du pilotage d’opérations. C’est un plus pour l’avenir.

FI : Grâce à cette nouvelle organisation, les projets du rectorat avancent. Mais au vu de l’évolution démographique, comment gagnez-vous du temps en attendant les livraisons ? Et surtout, comment vous adaptez-vous compte tenu des projections qui peuvent se révéler caduques le moment venu ?

B. T. : C’est vraiment notre combat, si j’ose dire. Accompagner la démographie de sorte que les conditions d’enseignement restent correctes. Sur les prévisions, toutefois, il est rare qu’elles soient totalement fausses. Mais il est vrai qu’un établissement prend environ cinq ans à sortir de terre. Difficile de faire plus court ! Avec des projections sur les évolutions d’effectifs à un ou deux ans, nous arrivons à anticiper grâce à une stratégie toute simple, qui consiste à créer des extensions. Nous avons mis en place un système sur la base de préfabriqués de type Algeco. Il s’agit d’une salle que l’on peut reproduire assez facilement. Vous pouvez en voir au lycée Bamana, ou encore à Iloni devant le stade. Ces salles sont assez qualitatives, avec une bonne température, une bonne acoustique, de quoi répondre aux exigences pédagogiques. J’ai justement fait un bilan : depuis 2019, nous avons livré 111 salles préfabriquées dans les lycées et 79 dans les collèges.

FI : Pour conclure sur votre bilan, après six années à la tête de ce service, quelle est votre plus grande fierté ?

B. T. : Le lycée du bâtiment ! Nous avons réussi à cristalliser dans un projet toutes les préoccupations précédemment évoquées : le développement durable, la frugalité, la co-construction… Par exemple, l’association des élèves du lycée de Dzoumogné dans les filières du bâtiment a participé activement à la conception de ce lycée. Ils ont aussi participé à la mise en place du faré qui sert de démonstrateur pour ce projet. Il est lui-même construit à partir de matériaux de récupération, issus de la mairie de Sada. Avec ce projet – et je tiens d’ailleurs à rendre hommage au travail précieux de l’agence d’architectes Encore heureux – nous avons posé ensemble les bases de ce que sera la construction de Mayotte demain.

FI : Déçu de ne pas pouvoir le voir en vrai ?

B. T. : C’est rare de voir un projet de A à Z ! J’ai la chance de pouvoir quitter mon poste l’esprit serein, en laissant derrière moi une équipe motivée et compétente, qui continuera sur cette lancée.

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