Le récif a des yeux : les poissons-papillons

Après les poissons-perroquets, penchons-nous sur les plus élégants des butineurs de corail : les poissons-papillons. 

 

Les Hommes aiment s’approprier la mer en nommant ses créatures d’après celles de la terre : on trouve ainsi des poissons-perroquets, des poissons porc-épic ou encore des poissons-éperviers, et bien sûr les poissons-papillons. Ceux-ci ne volent pourtant pas plus que les poissons-perroquets ou tout autre poisson à nom d’oiseau : cette spécificité est réservée au petit groupe des exocets (les fameux « poissons volants »), très éloigné. Cependant, plusieurs traits rapprochent nos petits poissons tropicaux des insectes lépidoptères, même si ces deux groupes ne risquent pas de se rencontrer bien souvent… 

 

Les poissons-papillons ont d’abord pour eux leurs couleurs vives : sur leur corps aplati et plus ou moins triangulaire, on note trois dominantes, qui sont le blanc perle, le noir et le jaune poussin. Le plus souvent, les poissons-papillons ont les flancs argentés, striés de bandes noires (l’une d’elle barre souvent l’œil), et les nageoires jaune vif. Cependant, la répartition de ces couleurs varie suivant les espèces, et la dominante peut être le jaune ou une autre couleur. Ainsi, certains y ajoutent des touches d’orange comme le poisson-papillon malgache (Chaetodon madagaskarensis), de rouge comme le poisson-papillon triangulaire (Chaetodon triangulum), ou encore de bleu comme le très beau poisson-papillon à trois bandes (Chaetodon trifasciatus). 

 

Autre point commun avec les butineurs terrestres, de nombreuses espèces de poissons-papillons arborent des ocelles sur le corps, c’est-à-dire des sortes d’yeux géants tatoués sur la peau, et dont on dit qu’ils peuvent effrayer un prédateur naïf. Le poisson-papillon de Bennett (Chaetodon bennetti) est par exemple jaune uni avec un énorme disque noir cerclé de bleu électrique sur le côté. Le poisson-papillon à larme (Chaetodon interruptus) a un motif similaire sans le bleu, et chez certains l’ocelle n’est qu’un petit point noir sur la queue ou le dos (comme le papillon cocher Chaetodon auriga). En fait, la majorité des poissons-papillons n’a pas vraiment d’ocelle, mais la famille a gagné son nom commun sur le modèle de l’espèce des Caraïbes, le bien nommé « Poisson-papillon à quatre yeux » (Chaetodon capistratus), absent de l’Indo-Pacifique. Ce dernier porte pour sa part un œil beaucoup plus convaincant sur chaque flanc. 


► Poisson-papillon cocher (Chaetodon auriga), un poisson-papillon particulièrement typique

Un autre trait commun qui rapprocherait ces poissons de leurs homonymes terrestres est leur manière de « butiner » le corail. En effet, même s’ils sont dépourvus de la trompe enroulée des lépidoptères, la plupart des poissons-papillons sont munis d’une bouche fine et allongée, qui leur permet d’aller fouiller dans les nombreuses anfractuosités du corail. Chez les papillons-pincettes (genre Forcipiger), la bouche peut ainsi être presque aussi longue que le reste du corps ! Les poissons-papillons ont généralement un régime assez opportuniste avec leurs dents en forme de petites brosses, et se nourrissent principalement d’animaux minuscules qu’ils vont débusquer dans les petits trous du récif ; cependant certain, comme le papillon à trois bandes, se nourrissent aussi des polypes du corail. Dans tous les cas, ce mode de nutrition les oblige à passer du temps à virevolter le nez tourné vers le corail, et donne souvent un tableau sous-marin aussi réjouissant que contrasté, rehaussant le bleu de la mer de quelques notes de feu dansantes. 

 

Contrairement aux perroquets ou aux demoiselles, les poissons-papillons forment des couples fidèles, souvent inséparables : il n’est donc pas rare de les croiser par couples solidaires et complices, notamment les papillons-pincettes et les papillons à trois bandes. Si un baigneur s’amuse à les effrayer, ils peuvent s’enfuir en un éclair dans des directions différentes, mais une fois rassurés ils chercheront tout de suite leur compagnon, avec une touchante inquiétude. 

 

Il existe une grande diversité de poissons-papillons : la famille des Chaetodontidae compte 130 espèces dans le monde, dont 28 à Mayotte. Dans le lagon mahorais, 21 espèces appartiennent au seul genre Chaetodon, qui contient l’écrasante majorité des espèces de la famille, mais on trouve aussi deux poissons-pincettes (Forcipiger) et trois poissons-cochers (Heniochus), à ne pas confondre avec l’« idole des Maures » (Zanclus cornutus) auquel ils ressemblent beaucoup… Un tourbillon de formes et de noms qui vous donnera peut-être envie de prendre une minute pour papillonner dans le livre des Poissons de Mayotte après votre prochain tour sous l’eau !

 

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