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Chimique : Ton univers impitoyable

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Amour, sexe & séduction

Un salouva pour souligner les formes, une danse pour être sexy, des regards et des senteurs, ou encore des soins du corps : à Mayotte, la séduction est un art. Mais comme tout dans cette société en constante évolution, cette séduction change et s'adapte, tout en gardant ses caractéristiques. Une séduction qui s'encanaille aussi, car aujourd'hui le sexe est de moins en moins tabou sur l'île aux parfums. Et si la pudeur est encore de mise, on hésite de moins en moins à se faire plaisir avec des jouets coquins. À l'occasion de la Saint-Valentin, Mayotte Hebdo s'est penchée sur les petits secrets des unes et des autres. Croustillant !

Tradition : la circoncision, ça se fête ! 1/3

On entend un peu tout sur la circoncision, affolant parfois certains et heurtant d'autres cultures. Les anciens sont pour, les nouvelles générations aussi, mais à condition que la pratique soit fiable et exercée par un professionnel de la santé, loin de ce qui se faisait jadis. D'autres plus réticents s'interrogent : Est-ce dangereux ? Pourquoi le jeune garçon doit être circoncis ? Comment se déroule l'acte ? Et de l'autre côté, qu'en est-il des événements religieux et culturels en lien ? Mais en fait, tout simplement, la circoncision, quésaco ? Quelle place tient-elle dans notre société mahoraise ? Autant de questions qui subsistent. Réponses dans notre série de la semaine.

 

Le voulé: toute une histoire

Amical, politique, pédagogique, sportif ou encore électoral, mais toujours festif : à mayotte, le voulé se consomme à toutes les sauces. mais si l'évènement est courant, pour ne pas dire obligatoire, peu savent à quand il remonte et quelles sont ses racines.

« J’ai mis du temps à réaliser que je devenais une prostituée »

À 25 ans, Naima* est maman d'un garçon de dix ans. Ayant arrêté l'école au collège après sa grossesse, l'habitante de Trévani, originaire de Koungou, n'a jamais travaillé. Les écueils de la vie l'ont mené petit à petit à se prostituer durant quelques années pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Depuis un peu plus d'un an, Naima a pris un nouveau tournant : elle ne fréquente plus ses clients et suit une formation professionnalisante dans l'espoir de trouver rapidement un emploi. 

Elle est une cause non négligeable de la délinquance à Mayotte. Depuis son apparition dans l’archipel, la chimique ne cesse de provoquer des ravages : hospitalisations, décès, violences, apparition de « zombies » dans nos ruelles, etc. Derrière ce drame sanitaire et social se cache un business juteux accessible en quelques clics, et une course-poursuite perdue d’avance entre l’arsenal judiciaire et les drogues de synthèse. Enquête dans un univers impitoyable où la raison semble être partie en fumée.

Une aspiration, quelques secondes d’attente, et l’effet vous envahi. D’emblée, le cœur s’emballe. À chaque palpitation, la vision change de perspective. Les veines se gonflent, les yeux s’écarquillent, votre corps s’affaisse. Soudain, un éclair vous traverse. C’est le black-out. Où êtes-vous ? Avec qui ? Comment quitter cet état ? Autant de questions qui resteront sans réponse pendant une vingtaine de minutes. Vous n’êtes ni jovial, ni apaisé et encore moins détendu. Une « petite mort » pour seulement cinq euros. Entre l’index et le majeur, le joint ne bouge pas. Il attend patiemment d’embrasser à nouveau vos lèvres, votre cerveau, votre organisme : un baiser de la mort, celui de la chimique. Une drogue de synthèse dévastatrice qui ne cesse de provoquer des ravages depuis son apparition au début des années 2010 dans l’île.

Un monstre à plusieurs visages 

« Je préfère vous prévenir d’emblée : je ne sais pas si je pourrais répondre à vos questions. Quand je fume, je ne garde aucun souvenir de mes actes ». Regard timide et cernes sous les yeux, Rachid* évoque douloureusement ses six années d’addiction. À 33 ans cette dépendance a bien failli lui être fatale. Mais fort du soutien de ses proches et des menaces de divorce de sa femme, la chimique n’a pas eu raison de lui. Ce qui est loin d’être le cas de l’ensemble de la jeunesse mahoraise.

La composition de cette drogue ? Un dérivé de cannabinoïde surpuissant dilué dans de l’alcool à 90°. Le tout imbibé dans du tabac à rouler. En l’absence de cette substance de synthèse, les remplaçants ne manquent pas : antidépresseurs, anxiolytiques, produits industriels, produits pharmaceutiques, anesthésiant pour chevaux, etc. La chimique est un monstre à plusieurs visages, capable de laisser des séquelles irrémédiables sur le vôtre.


©Geoffroy Vauthier

 

Quand cette drogue débarque à Mayotte, Rachid est encore aux Comores, sa terre d’origine : « Mes amis fumaient quotidiennement tout en m’interdisant d’en consommer. Un jour, l’un d’entre eux m’a confié son joint avant de partir aux toilettes. Je me suis dit « pourquoi pas moi ? » Et j’ai fumé dessus ». En une aspiration, l’homme de 27 ans à l’époque met le doigt dans un engrenage dangereux. Une expérience dramatique qui annonce la couleur dès ses premières impressions : « J’ai eu une hallucination, je pensais qu’on m’avait coupé les jambes. C’était la panique. Mes amis m’ont rassuré le temps que les effets se dissipent », se souvient-il. Débarqué à Mayotte en compagnie d’autres toxicomanes, il renouvelle l’expérience « sous l’effet de la pression du groupe ». Il poursuit : « On fumait tous les jours, quasiment sans interruption. À trois, on dépensait plus de 100 euros quotidiennement. C’était de la folie. »

Cette « folie », le docteur Ali Mohamed Youssouf, du service d’addictologie au Centre hospitalier de Mayotte (CHM), l’observe quotidiennement. « Au travers de nos consultations, on constate depuis 2015 que la chimique a détrôné l’usage du cannabis », indique-t-il tout en précisant que « toutes les tranches d’âge et les classes sociales sont touchées. Même si le phénomène est particulièrement présent chez les hommes de moins de 25 ans ayant déjà testé le cannabis ». Spécialisé dans la prise en charge des individus souffrant d’addiction (alcool, cannabis, drogues de synthèse, etc.), le spécialiste connaît les conséquences sanitaires de la chimique sur le bout des doigts. « En termes de dégâts sur la santé, cela peut se traduire par des crises d’épilepsie, des convulsions, des troubles cardiaques, des maux digestifs, ainsi que des crises de tétanie, voire de démence. » Si l’effet recherché est avant tout un état de somnolence, le docteur Youssouf insiste : « les effets sont multiples selon les individus. Cela peut provoquer des troubles du comportement, une agitation, ou encore de l’agressivité. » Pour Rachid, le phénomène se résume ainsi : « Quand on consomme, on dort, et quand on est en manque, on s’agite. » 

La police se « casse les dents » 

D’aspect, une dose de chimique ressemble à s’y méprendre à une simple boulette de tabac à rouler. À la différence que celle-ci est imbibée de drogue de synthèse, ou d’autres substances tout aussi nocives. Vendu cinq euros dans un papier cylindrique, le produit une fois déballé est difficilement identifiable, même pour un observateur aguerri. « C’est un produit qui n’a pas d’odeur ni d’aspect particulier. On travaille par supposition… et souvent on se casse les dents ! La chimique, c’est un caméléon. Et les agents ne sont pas formés pour la repérer », déplore Thierry Lizola, chargé de communication du syndicat Alliance Police Nationale CFE-CGC Mayotte, au nom duquel il s’exprime.

©Geoffroy Vauthier

À l’heure où Mayotte se soulève contre l’insécurité, ce « caméléon » est étonnement absent des débats. Pourtant, son rôle dans le développement de la violence n’est plus à prouver pour Alliance Police Nationale. « Une partie de la délinquance est liée au phénomène de la chimique, notamment en ce qui concerne les agressions gratuites », remarque-t-il. Un phénomène constaté également dans les affrontements entre bandes rivales pour le contrôle d’un trafic. Pour le syndicat majoritaire des forces de l’ordre, s’attaquer au phénomène est quasi impossible du fait du manque de moyens. « Chez Alliance Police Nationale, on déplore l’absence de structure dédiée à la lutte contre les stupéfiants à Mayotte. Une filière serait identifiée que nous aurions difficilement les moyens de la remonter », regrette le chargé de communication.

Du côté de la gendarmerie, la lutte contre les stupéfiants est l’affaire de la « section de recherches ». Pour autant, les agents de cette dernière peuvent transiter d’une priorité à l’autre sans qu’un groupe soit exclusivement dédié à la lutte contre le trafic de drogue. En termes de prévention, la police comme la gendarmerie disposent d’un personnel d’intervention dans les établissements scolaires pour sensibiliser la jeunesse aux ravages de cette drogue. Mais pour ce qui est de la répression, le combat contre la drogue passe souvent au second plan : « Les problèmes sont tels à Mayotte que s’attaquer à ce phénomène se ferait au détriment d’autres priorités telles que les cambriolages », admet Thierry Lizola avant de conclure « tant que vous n’avez pas assez de personnel spécialisé, vous ne pourrez que cacher la misère. » 

Se fournir : un jeu d’enfant accessible en quelques clics 

« Oh putain ! Ils ont augmenté les prix ! » Les yeux rivés sur l’écran de son smartphone, Ali* se connecte à son « site préféré ». Pendant deux ans, cet ancien dealer de chimique s’y fournissait tous les mois. Ici, pas de darknet ou de bitcoin. Un simple mot-clé sur Google et une carte bleue lui ont permis de commander plusieurs centaines de grammes dans le plus grand des calmes. « Maintenant on peut même commander un kilo ! À mon époque ce n’était pas possible », s’étonne-t-il.

Hébergé dans la ville de Derbyshire en Angleterre, le site se présente comme un fournisseur en « produits chimiques » pour la « recherche en laboratoire ». Il affirme proposer des produits de « haute pureté » tout en garantissant à ses clients une totale « confidentialité ». Naturellement, le site récuse toute responsabilité en cas de différend législatif avec les pays où sont exportées les commandes, et précise « ne pas encourager à la consommation de drogues illégales ». 

Il suffit pourtant de quelques clics dans l’onglet « Cannabinoïde » pour tomber sur l’une des substances de synthèse les plus utilisées dans la fabrication de la chimique : la MMB Chiminaca. Comble de l’absurde, le site explique que ses effets sur l’homme n’ont pas été analysés en profondeur, tout en indiquant que de nombreux consommateurs l’emploient à des fins « récréatives » plutôt que pour de la « recherche ». En guise d’avertissement, quelques lignes préviennent que ces produits ne sont que des « échantillons non destinés à la consommation humaine ». Pour 2 500 dollars, les internautes peuvent néanmoins commander un modeste « échantillon » de 1 000 grammes de MMB Chiminaca. « À l’époque, je commandais 100 grammes pour 650 euros. Une fois vendu, cela représentait 10 000 euros dans ma poche », se souvient Ali. 

À l’origine, rien ne destinait l’homme à devenir un dealer de chimique. Lorsqu’il entend parler d’un site permettant de commander de la drogue sur internet, le jeune homme pense d’emblée à ses proches. « Un membre de ma famille claquait toute sa paye en chimique. Sa femme le menaçait de rupture. Je savais que, quoi qu’il arrive, il n’arrêterait pas sa consommation. Je lui ai donc proposé de me confier une somme d’argent pour qu’il puisse se fournir sans se ruiner », rembobine-t-il. « Au final, j’ai commencé à vendre de petites doses à des amis à un prix bradé. Mes potes étaient sûrs de la qualité du produit, et satisfaits de ne pas devoir se déplacer dans des quartiers chauds. Quant à moi, je pouvais bien arrondir mes fins de mois », poursuit-il.

©Geoffroy Vauthier

Après plusieurs fins de mois largement « arrondies », Ali décide cependant d’arrêter son business. En cause : une prise de conscience des autorités qui commencent à s’attaquer au trafic de drogue de synthèse. « Ça commençait à être vraiment chaud avec les flics. Et puis il y avait aussi les conflits avec les autres dealers. Moi j’avais déjà un boulot, ce n’était pas la peine de prendre autant de risques. » Le dealer repenti évoque aussi un « cas de conscience ». « Un soir, j’ai vu une fille complètement défoncée. Elle était en crise et n’arrêtait pas de hurler et de se tordre dans tous les sens. Je me suis dit : « si ça se trouve, c’est à cause de mon produit qu’elle est dans cet état. » Alors j’ai arrêté. La chimique, c’est une saloperie ».

Quand la drogue prend de vitesse la loi 

Contrairement aux drogues « traditionnelles » telles que le cannabis, l’héroïne ou la cocaïne, les drogues de synthèse ont une particularité qui leur permet de contourner la loi : « Les fournisseurs sont malins. Il leur suffit de modifier légèrement la molécule pour que la drogue change d’appellation. Résultat, le temps qu’une loi soit mise en place, dix nouvelles drogues sont sur le marché », résume Ali. Un phénomène bien connu des forces de l’ordre : « La chimique n’est législativement répréhensible que depuis un an. Si certains produits sont reconnus pénalement selon des critères précis, les délinquants ne tombent pas sous le coup de la loi en utilisant des nouvelles substances et de nouveaux moyens de fabrication », reconnaît amèrement Thierry Lizola. Pour contrecarrer le phénomène, les forces de l’ordre peuvent toutefois évoquer le « trafic de substances médicamenteuses ». Mais en l’absence de réel dispositif majeur pour lutter contre les drogues de synthèse, le travail des agents s’apparente à des pansements sur une jambe de bois. Un procédé qui montre rapidement ses limites, comme nous l’explique Ali.

« Ma commande était livrée par colis à Paris », introduit l’ex-dealer pour expliquer la logistique de son trafic. « Je m’arrangeais ensuite pour que ma famille me la transmette par colis postal express. Il m’arrivait parfois d’aller la chercher moi-même. Ça fonctionnait bien. Comment voulez-vous qu’un chien reconnaisse des substances sans odeur, et perpétuellement renouvelées ? » Loin d’être inquiété par les agents de la douane, Ali s’inquiétait surtout des employés des services postaux « qui trouvent parfois le moyen de voler la marchandise ». Une impunité remarquable qui génère des scènes pour le moins incongrues entre trafiquants et forces de l’ordre : « Un jour, la douane m’a contacté pour me demander la nature du produit que j’avais commandé. Ils voulaient tout savoir: son nom, son poids, son prix, etc. J’ai carrément recopié les informations du site tout en précisant qu’il s’agissait d’un produit agricole. Quelques jours plus tard, mon téléphone sonne. C’était le service de livraison : “Bonjour, un colis vous attend”. Je pensais que c’était un piège, mais même pas ! Quand j’ai déballé mon paquet, ils avaient en effet prélevé un échantillon. Mais le reste m’a été livré sans problème ». Après une investigation, Ali comprend ce qui a attiré l’attention des forces de l’ordre : « C’est la faute au membre de ma famille qui m’a envoyé le colis. Il avait mal rédigé la fiche de renseignement. La douane a donc voulu savoir de quoi il s’agissait, tout simplement. Pour le reste, je n’ai jamais eu de poursuites judiciaires ».

Pour Thierry Lizola, ce genre de scène est malheureusement « normale » au vu des lacunes judiciaires autour de la chimique. « En France, explique-t- il, il n’y a pas de crime ou de délit qui ne soit pas explicitement écrit. Ce qui n’est pas prévu par la loi n’est donc pas répréhensible. C’est aussi simple que cela. ». 

Du côté du docteur Ali Mohamed Youssouf, spécialiste en addictologie, ce genre de scène n’a également rien de surprenant : « Autrefois, la drogue transitait via les voies aériennes ou les passagers. Aujourd’hui, nous pensons que cela fonctionne à travers des livraisons postales. Ce qui est cohérent dans la mesure où le produit est discret et inodore, contrairement au cannabis qui est plus encombrant et moins rentable ». Retard législatif, manque d’effectif au sein des forces de l’ordre, et difficultés pour contrôler l’ensemble des colis livrés sur l’île : un cocktail détonnant qui fait les beaux jours de trafiquant de chimique à Mayotte. 

Un métropolitain à l’origine de l’arrivée de la chimique ? 

À écouter le discours des manifestants contre la délinquance à Mayotte, la cause de cette dernière serait majoritairement due aux immigrés comoriens. Mais concernant la chimique, qui demeure une cause importante de la violence sur l’île, ce serait un métropolitain travaillant au sein d’une institution qui aurait initié ce vaste trafic. C’est en tout cas la piste privilégiée par les enquêteurs en 2014. 

Cette année-là, près de deux kilos de drogue de synthèse sont saisis à son domicile. L’homme est mis en examen puis écroué pour trafic de stupéfiants, contrebande de marchandise dangereuse pour la santé, mais aussi pour exercice illégal de la profession de pharmacien. Pour l’avocat général, le suspect assurait le ravitaillement de toute l’île de Mayotte via un réseau de complices. Au cœur de son trafic : une société créée en auto-entrepreneuriat basée en Alsace, d’où l’homme est originaire. Sur l’annuaire en ligne de La Poste, sa société est toujours référencée comme « grossiste en produit chimique ». 

À l’époque de son arrestation, les enquêteurs estiment qu’il aurait importé près de six kilos de ce produit au cours des deux années précédant son interpellation. Mais il se défend en prétextant que le produit importé n’était pas illégal : « Je n’ai jamais eu de revendeur et je ne possède pas non plus de richesses. J’avais un chiffre d’affaires de 40 000 euros, dont 22 000 euros de bénéfice. J’ai une vie modeste, une maison normale. Je n’ai pas de grosse voiture et je ne voyage pas particulièrement », avance-t-il lors de son procès (1). Pas de quoi satisfaire l’avocat général : « Six kilos pour les uns, dix pour les autres. C’est énorme ! On est bien au-delà de la consommation personnelle”, accuse-t-il. Pour autant, les suites judiciaires de ce dossier seront bien maigres. Ceci s’expliquant notamment par le « changement brutal de juge d’instruction à l’époque », selon l’ancien procureur Joël Garrigue (2), qui reconnaît que « la plupart [des suspects] ont été remis en liberté ». Un temps sous contrôle judiciaire, la tête supposée du réseau le sera également. 

Presque quatre ans après cet épisode judiciaire, force est de constater que la chimique est toujours solidement ancrée sur le territoire mahorais. Malgré un renforcement législatif et une prise en main du phénomène par les autorités, les trafiquants redoublent d’inventivité. La méthode la plus simple consistant à produire et à écouler de la chimique en remplaçant sa drogue de synthèse par des produits légaux (médicaments, détergents, etc.). « Même si j’ai arrêté de vendre, je me renseigne toujours sur l’état du marché. Ces derniers temps, les potes m’expliquent que le produit est de plus en plus dégueulasse. Ils mélangent ça avec n’importe quoi maintenant ». 

Pour Ali, ce phénomène est plus grave d’un point de vue sanitaire : « Moi au moins je vendais de la qualité », plaide-t-il. En guise d’exemple, l’homme cite l’un des faits divers les plus emblématiques de ce risque sur la santé : « Il y a quelques années, des jeunes ont cambriolé une clinique vétérinaire. Un garçon a fumé un comprimé entier d’anesthésiant pour cheval. Il l’a consommé tout seul en se filmant sur internet. Résultat ? Il est mort sur le coup ». 

©Geoffroy Vauthier

Quelles solutions ? 

Le fonctionnement législatif étant ce qu’il est, difficile d’imaginer une rapide disparition de la chimique à Mayotte. Pourtant, des solutions existent pour endiguer le trafic et la consommation de chimique. Un travail qui commence avec la multiplication des missions de communication à destination des toxicomanes. « Il faut que le consommateur qui souhaite s’arrêter comprenne qu’il n’est pas seul. Au CHM, une équipe pluridisciplinaire est là pour accompagner les individus dans leur processus de changement. Mais des structures existent également dans les dispensaires ou via des associations », insiste le docteur Youssouf. En termes de répression, le renforcement des effectifs de police et de leurs moyens apparaît comme une condition sine qua non à l’endiguement des drogues de synthèse à Mayotte. « Ce que le syndicat Alliance Police Nationale réclame, c’est la création d’une cellule spécialement dédiée à la lutte contre les trafics », martèle Thierry Lizola. Le syndicaliste plaide également pour une coordination entre les agents de prévention et le secteur associatif. Ce dernier étant l’un des acteurs les plus investis dans le combat contre la chimique. 

Ce combat, une poignée de bénévoles le mène depuis deux ans sur les hauteurs du quartier de La Convalescence, à Mamoudzou, auprès des enfants en difficulté. L’objectif de cette École du civisme Frédéric d’Achery ? « Travailler en amont pour éviter que les enfants ne sombrent dans la délinquance ». Fondé par le capitaine de police nationale Chaharoumani Chamassi, ce dispositif est, selon lui, l’une des meilleures solutions pour éviter que les jeunes ne soient tentés par la drogue. « Il faut commencer jeune », martèle l’officier. « Nous accueillons des enfants qui sont tentés par cette drogue, car ils baignent dans un univers précaire. Ils en parlent très clairement avec moi. L’objectif est de leur proposer un cadre, des enseignements, et une occupation pour limiter cette tentation », explique-t-il. Du lundi au vendredi, 16 élèves sont en classe de 18h à 20h pour assister à des cours de français, de mathématiques, d’informatique, d’histoire, etc. Des activités théâtrales, ainsi que des sorties dans le quartier pour le nettoyer de ses détritus, sont également programmées. « Si je n’étais pas en cours, je serais sûrement dans la rue », explique ainsi l’élève le plus âgé de la classe. Conscient de la nécessité d’étendre son dispositif, le capitaine Chamassi donne sa méthode pour détourner les jeunes de la chimique : « Il faut prendre du temps et ne pas se décourager, même si la personne vous insulte. N’hésitez pas à l’approcher plusieurs fois en lui disant simplement qu’il n’est pas seul. Il y a souvent un sentiment de honte qu’il faut dépasser. Personnellement, je valorise ces jeunes en leur donnant des responsabilités. Ils se rendent ainsi compte qu’ils sont plus utiles à la société en étant conscients que drogués », explique celui que l’on surnomme « l’infatigable ».

Un état d’esprit que partage Rachid, le consommateur. Six ans après son premier joint de chimique aux Comores, l’homme affirme avoir totalement décroché. Les hallucinations sur ses jambes soi-disant coupées ? « C’est du passé ! », affirme-t-il. « Quand ma femme m’a menacé de divorcer, j’ai compris que je n’avais plus le choix. Elle avait raison, la chimique m’a causé trop de mal dans ma vie ». Sa technique ? « Il faut tenir quatre jours », répète-t-il inlassablement. « Cette drogue permet de dormir. Dès qu’on l’arrête, il est impossible de trouver le sommeil. Pendant quatre jours, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Les programmes nocturnes à la télévision ? Je les connais par cœur ! Mais si on tient quatre jours, alors le reste n’est qu’une question de volonté ». Après quelques kilos perdus, et quelques neurones partis en fumée, Rachid tire un bilan sans nuance : « Mon message à la jeunesse ? Ne touchez jamais cette merde. On n’a jamais vu d’artiste développer son potentiel créatif avec cette drogue. La chimique n’a rien à vous apporter, si ce n’est de la souffrance ». Paroles de connaisseur.

*Les prénoms ont été modifiés.

(1) Journal de l’île de La Réunion, août 2016.

(2)Journal de Mayotte, février 2016.

 

Témoignage « Drogué à mon insu »

À Mayotte, les fumeurs de bangué ont une règle à ne contourner sous aucun prétexte : ne jamais fumer sur le joint d’un inconnu. Parfois, il peut s’agir d’un piège pour vous droguer à la chimique, puis vous dépouiller. Baptiste a bien failli en payer les frais. « J’étais parti chercher du bangué avec un pote à Cavani, quand un jeune m’a abordé. Après avoir donné mon argent au dealer, ce type a commencé à sympathiser. Il semblait cool au début. Quand il m’a proposé de tirer sur son joint, j’ai refusé. Mais il a insisté en me rassurant : « Ce n’est pas de la chimique », répétait-il. J’ai tiré une barre, rien. Deux barres, pareil. Soudain, tout a tourné autour de moi. J’ai eu des hallucinations et je n’arrivais plus à marcher. Même inconscient, j’ai compris la situation. Ce mec m’avait drogué. Heureusement que je n’étais pas seul. Ça aurait pu être très dangereux. Mon pote m’a presque porté jusqu’à la maison. Une fois remis de mes émotions, nous sommes retournés voir le dealer car celui-ci ne m’avait pas donné mon bangué. Il a essayé de me la faire à l’envers, mais après de longues négociations, j’ai eu ce que je voulais. Cette expérience m’a confirmé deux choses que je savais déjà : la chimique est une drogue horrible à éviter. Et fumer sur les joints des inconnus, c’est vraiment une idée de merde. »

 

Chronologie

2011 : apparition pour la première fois de la « chimique » à Mayotte

2012 : première prise en charge de cas d’usage de chimique au CHM

2013 : premier pic d’usage de la « chimique »

2014 : interpellations et procès d’envergure

2015 : deuxième pic de consommation. Expansion de la chimique chez les lycéens et collégiens

2016 : Régression des cas d’admission aux urgences et service d’Addictologie

2017 : Renforcement de l’arsenal judiciaire autour des drogues de synthèse

Source : « Chimiques à Mayotte », Dr Youssouf Ali, Centre hospitalier de Mayotte

 

 

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