Aurélien Timba Elombo, donner à tous une chance d’exceller

Il aurait pu être joueur professionnel à Troyes ou au Milan AC, mais, pour reprendre les mots de son père, « son rendez-vous n’était pas là ». Milieu défensif rugueux sur le terrain, mais patriarche bienveillant dans les vestiaires ou les bureaux, il trace depuis plus de vingt ans son chemin – son parcours d’excellence à lui – dans l’encadrement et l’organisation du football. Besogneux, fort d’une discipline quasi monacale, mais aussi grand rêveur, Aurélien Timba Elombo a pris les rênes, en 2014, de la Ligue Mahoraise de Football, animé par un désir profond de « donner à chacun la place qu’il mérite ». Portrait à retrouver dans le Mayotte Hebdo n°1030.

« Je suis né dans une famille où le football a guidé beaucoup de pas », introduit-il sobrement. Fils d’un président de club de première division camerounaise – le Caïman de Douala – et petit frère d’un joueur international, Aurélien Timba Elombo a été bercé dès le plus jeune âge dans le milieu. D’ailleurs, tout dans son bureau actuel de directeur de la Ligue Mahoraise de Football transpire l’amour du ballon rond. Les photos d’équipes encadrées côtoient trophées et maillots, médailles et autres souvenirs d’événements footballistiques des dernières décennies. La question ne se pose même pas : l’homme est fait pour ça.

Il fait ses premières classes à l’US Torcy, en région parisienne. Milieu défensif doté de qualités athlétiques certaines, le jeune Aurélien suscite rapidement l’intérêt de quelques clubs professionnels. « J’ai failli signer à Troyes en 1999-2000 […] Une porte s’était également ouverte du côté du Milan AC ! », se souvient-il. « Mais Dieu m’a ouvert les yeux suffisamment tôt pour que je puisse comprendre que ce n’était pas forcément ma voie. J’ai compris qu’au mieux, j’aurais été un bon joueur de National (troisième division française, NDLR), éventuellement de Ligue 2 ». Le jeune homme s’oriente alors vers l’encadrement et au fond, il n’aurait pu en être autrement. « Tout petit garçon, j’accompagnais mes grands frères à leurs matchs. J’étais trop jeune pour jouer, alors on me donnait honorifiquement le rôle de l’entraîneur. Eux jouaient le jeu, et me laissaient penser que c’était grâce à mes consignes qu’ils gagnaient ! », se souvient le directeur en souriant. « Quand, à 18 ou 19 ans, j’ai pris ma première équipe en charge, j’avais l’impression d’avoir fait ça toute ma vie ! ».

« Tout le village sortait nous voir ! »

 Désormais en région lyonnaise, où il poursuit ses études et mène une carrière de footballeur amateur, Aurélien Timba Elombo prend sous son aile une équipe de débutants d’une entente entre villages, le JSBC (Jeunesse sportive des Bords de Coise). « Personne ne voulait les encadrer. Moi, je trouvais injuste de ne pas prendre tous les gamins au foot. J’ai décidé de m’en occuper », raconte-t-il. « Je me souviens d’un match folklorique, où on a perdu 17 à 0 ! Mais ce qui était incroyable, c’est que dans la défaite, je continuais à les encourager, et qu’aucun gamin n’a lâché ! Il s’est passé quelque chose ; j’ai vécu un grand moment de communion avec les petits. » Instant d’épiphanie, donc. La saison suivante, il prend en charge l’équipe U13 (moins de 13 ans, NDLR). « On a fait une saison exceptionnelle. Les gamins jouaient le samedi après-midi et tout le village – parfois 300 ou 400 personnes – sortait nous voir ! » Surtout, Aurélien fait figure de grand frère : il permet à ses jeunes de passer eux-même leur premier diplôme d’éducateur. Lui se forme à outrance : préparation mentale, sophrologie, gestion de l’adolescence… « Pour tirer le meilleur d’eux, je voulais vivre dans leurs têtes. Presque vingt ans plus tard, on est toujours en contact, et je me rappelle encore des dates anniversaires de tous ! Je voulais que ce soit des moments inoubliables pour eux… », se remémore-t-il, une lueur de nostalgie dans les yeux.

Sa façon de faire – une soif d’excellence couplée à une grande bienveillance – convainc rapidement les parents des jeunes, qui poussent auprès de la municipalité pour faire d’Aurélien Timba le responsable technique du club, à tout juste 21 ans. « Je me suis senti pousser des ailes ! », confie-t-il. Le jeune responsable prend rapidement en charge l’équipe senior de l’AS Saint-Martin-en-Haut, puis gravit les échelons de la sphère footballistique de la région lyonnaise : il devient entraîneur adjoint et préparateur physique de l’AS Minguettes Vénissieux (CFA2), puis de l’AS Lyon Duchère (CFA), et en parallèle assure les fonctions de manager général et de directeur technique à l’UODL Tassin. Dans le même temps, il se barde de qualifications : brevets et diplômes d’État lui assurent la possibilité « d’entraîner jusqu’au niveau Ligue 2 ». En 2014, Aurélien Timba Elombo est débauché par une Ligue Mahoraise de Football en difficulté financière, et en quête de restructuration.

« Je sacrifie les miens, mais je m’occupe un peu de ceux des autres »

Séduit par le challenge, il sacrifie sa vie de famille et vient à Mayotte occuper les fonctions de directeur général de la ligue « pour deux ou trois ans », pense-t-il alors. « Ma principale motivation, c’est de me dire que je fais un travail d’intérêt public. Que même si je sacrifie les miens, je m’occupe un peu de ceux des autres », explique-t-il, heureux de « faire un métier [qu’il] aime ». « Je savoure ce privilège que Dieu me donne de travailler dans ce qui, peut-être, me parle le plus au monde. » Pourtant, au quotidien, la tâche d’organiser la pratique du football à Mayotte, et d’en assurer le rayonnement n’a rien d’aisé. Besogneux, perfectionniste, Aurélien Timba ne se souvient pas de sa dernière nuit de huit heures. Chez lui, ni télé ni radio, « pour pouvoir travailler davantage ».

Aujourd’hui, la ligue va mieux : les comptes ne prennent plus l’eau et le football rassemble désormais 14.000 licenciés sur l’île. « Tout reste perfectible. On passe beaucoup de temps sur l’accompagnement des clubs. La prochaine étape est de faire fructifier l’énorme potentiel sportif des jeunes mahorais », plaide le DG. Vingt ans après ses débuts d’encadrant, sa volonté de permettre à tous de jouer le guide encore. « Sans faire de politique, on a beaucoup de gamins qui, faute de papiers, ne peuvent avoir de licences. Pourtant, ils vont à l’école ; ça veut dire que la République les a déjà insérés. Imaginez qu’on parvienne à faire jouer ces gamins, que l’on passe à 20 000 licenciés… On pourrait développer la discipline : former des arbitres, proposer du futsal, du beach soccer, et justifier de nouvelles infrastructures auprès des collectivités »

 « Je ne ferme aucune porte »

 Homme de foi, chrétien pratiquant, Aurélien Timba Elombo prend les choses avec hauteur et philosophie. Lui qui se sent « un peu mahorais d’adoption », et qui admet que « beaucoup de gens […] lui sont sympathiques », est tout de même régulièrement attaqué par différents acteurs du football de l’île. Il avale – de son propre aveu – beaucoup de couleuvres. « J’ai vu un jour passer sur les réseaux sociaux une image d’un petit africain poursuivi par un groupe armé de lances sur laquelle était inscrit ‘Aurélien doit partir’ en shimaoré », raconte-t-il. « Je m’en remets à Dieu en me disant que les combats sont perpétuels, mais que seul Lui décide de qui tombe… Et dix ans plus tard je suis toujours là ! », sourit-il.

« Mais il faudra un jour un renouvellement, une force vive locale », concède le directeur, en évoquant un futur départ. Un grand club ? La sélection camerounaise ? « Je ne ferme aucune porte ! », répond-il, évoquant même un projet un peu fou de « prendre un petit club de dernière division de district pour l’emmener jusqu’au niveau professionnel : de la masse, vers l’excellence, puis l’élite ! » Mais où donc sera le prochain rendez-vous d’Aurélien Timba Elombo ?

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