“On nous demande de faire respecter le confinement, mais derrière, on ne nous accompagne pas”, déplore Saïd Omar Oili

Total, rôle du maire dans la gestion de crise, rapport avec les autorités et réouverture des écoles, Saïd Omar Oili, maire de Dzaoudi-Labattoir, président de la communauté de communes de Petite-Terre et de l’association des maires de Mayotte, fait le point. Et réaffirme l’importance du premier magistrat communal dans la crise qui secoue le territoire.

Flash Infos : À la une de vos dernières actualités, votre bras de fer avec Total. Comment avez-vous obtenu gain de cause ?

Saïd Omar Oili : Sans nous consulter, Total a décidé de manière unilatérale de refuser le paiement en espèces arguant de question de sécurité pour leurs agents. Peut-être que cette société ne lit pas les statistiques locales, mais quand 84 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et que deuxièmement, le taux de bancarisation est très faible, ce qui empêche la délivrance de cartes bancaires, empêcher le paiement en espèce revient nécessairement à exclure une très large part de la population des services de Total. Or il s’agit bien sûr de l’essence, mais surtout de la matière première pour la cuisson, qu’il s’agisse de gaz ou de pétrole lampant. Je me suis dit que si je ne faisais rien, nous nous dirigerions d’une crise sanitaire vers une crise sociale, car à l’approche du mois de ramadan, les gens n’accepteraient pas cette situation. J’ai donc pris mon bâton de pèlerin, j’ai alerté Paris par l’intermédiaire de l’Association des maires de France dont le président, François Baroin, a saisi le ministre compétent. Et par ce canal, le patron de Total. Voilà donc comment nous avons réussi à les faire revenir à la raison et permettre dès cette semaine que le paiement en espèce soit de nouveau accepté. Rappelons par ailleurs que payer en espèce est un droit.

FI : Suite à cela, on a pu observer des attroupements dans les stations-services, ce qui vous a poussé à fermer la station de Petite-Terre. Quelle est la solution ?

S. O. O. : Lorsque vous affamez quelqu’un pendant trois ou quatre semaines et que du jour au lendemain vous ouvrez les grilles en demandant de se mettre en rang, vous croyez que les gens vont vous écouter ? C’est bien ce qu’il s’est passé. Comme il n’y a pas eu de concertation et de réflexion au départ, les choses ne pouvaient que mal se dérouler. Au moment de la réouverture, les gens n’avaient plus rien chez eux, ils savaient aussi que le ramadan arrive et que dans les conditions actuelles, Total pourrait fermer les vannes quand il le voudrait. Forcément, c’est la ruée.

Je me suis rendu sur place pour voir ce qu’il se passait avant de prendre la décision de faire fermer les lieux. Les gens m’ont expliqué la situation dans laquelle ils se trouvaient et m’ont indiqué que dans ces conditions ils n’auraient plus d’autres choix que de couper du bois pour cuisiner de manière traditionnelle. Ce n’est pas acceptable et j’ai donc demandé à Total de fermer ce jour pour rouvrir dans de bonnes conditions. Nous travaillons actuellement avec des associations pour permettre d’encadrer les choses, que les gens puissent respecter les gestes barrière et je travaille également avec la directrice de Total à qui j’ai demandé que l’on puisse vendre le pétrole à tout le monde. C’est-à-dire que pour cette semaine, nous rationnons à 10 litres par personne. C’est peut-être à partir de là que nous pourrons diminuer l’afflux vers les stations-services et revenir petit à petit à une situation normale.

FI : Quelle est la leçon à retenir de cette situation ?

S. O. O. : J’ai écouté le discours du président de la République et j’ai relevé qu’il a cité les maires près d’une dizaine de fois en expliquant que nous étions les maillons forts de la mise en place de toutes les mesures et que l’on ne pouvait pas travailler sans eux. Dans ce cadre, à chaque fois que les pouvoirs publics ou les entreprises essaieront de prendre des mesures unilatérales sans concertation, nous arriverons à ce genre de situation.

FI : Justement, compte tenu du rôle du maire que vous évoquez, quelles sont les différentes actions que vous avez prises pour répondre aux différents besoins de la population dans cette période de crise sanitaire ? Et à l’échelle de la communauté de communes de Petite-Terre ?

S. O. O. : À l’échelle de la commune, l’élément le plus central est le centre communal d’action sociale avec qui nous avons mis en place une distribution de colis alimentaires pour venir en aide aux populations les plus démunies. Nous avons toute une organisation en ce sens qui repose sur un travail déjà mené tout au long de l’année qui vise à identifier les familles en difficulté. Cela nous permet de livrer des colis alimentaires sans qu’il n’y ait d’attroupements. C’est nous qui allons vers les gens, car nous les connaissons. Dans le même temps, ceux que nous n’aurions pas encore identifiés sont invités par la police municipale qui sillonne les rues avec son mégaphone à venir se faire connaître au CCAS ou à la mairie pour qu’ils puissent bénéficier de l’aide. Cela marche très bien et depuis le début du confinement nous avons assisté plus de 4.000 familles.

Concernant la communauté de communes, nous avons mis l’accent sur le ramassage des déchets. Nous en avons la compétence même s’il revient au Sidevam de le faire. Comme celui-ci est complètement défaillant – alors même que nous cotisons à hauteur de trois millions d’euros par an -, il nous a fallu prendre les choses en main afin de lutter contre la prolifération des moustiques et donc la propagation de la dengue. Nous faisons donc en sorte que nos communes soient propres même si ce n’est pas évident.

FI : En tant que président de l’association des maires de Mayotte, considérez-vous que vos collègues maires s’investissent autant qu’ils le devraient en cette période ?

S. O. O. : Chaque territoire a sa personnalité et spécificité, à partir de là, chaque maire est le mieux à même de juger de ce qui est dans l’intérêt de sa commune. Cependant, nous nous trouvons dans une situation compliquée. Pour de nombreux maires, nous sommes encore en période électorale. Ce n’est plus mon cas puisque j’ai été élu au premier tour, mais je comprends leurs difficultés. Je me sens libre, je n’ai pas de calcul à faire, ce qui n’est à l’évidence pas leur cas. Il est donc très difficile pour beaucoup de mes collègues d’agir autant qu’ils le voudraient dans ces conditions.

Ce problème d’élection freine les maires dans leur action, c’est certain.

FI : Considérez-vous que les élus locaux sont à la fois accompagnés et écoutés dans la gestion de cette crise ?

S. O. O. : C’est un autre feuilleton… Je me tiens en ce moment à une ligne de conduite qui se résume ainsi : on ne répare pas le toit d’une maison pendant l’orage. Laissons donc passer l’orage et réparons le toit ensuite. Cela veut dire que même si le président de la République a reconnu qu’il y a eu des maladresses, des manquements et des erreurs en évoquant la France métropolitaine où l’administration est très rodée, on se doute bien qu’il y a encore eu plus de loupés ici. Mais est-ce pour autant le moment de le dire, d’indexer ? Je ne le crois pas, la solidarité doit prévaloir, mais il faudra retenir les leçons. Cette crise devra nous servir à quelque chose, non pas à se chamailler, mais faire avancer Mayotte dans la modernité. Pour l’instant, l’urgence est de préserver les vies.

Il faut bien reconnaître que les élus locaux n’ont pas la main sur beaucoup de choses en ce moment, c’est le préfet qui a les pleins pouvoirs. Peut-être aurions-nous pu être plus utiles. Nous reparlerons de cela. Mais mon inquiétude actuelle, en tant que maire, est la réouverture des écoles. Comment allons-nous les ouvrir ? Sachant que les écoles sont surchargées, pas aux normes… Si on ouvre les classes sans qu’absolument toutes les bonnes mesures de précaution soient prises, que va-t-il se passer ? C’est une grande interrogation et il faudra au moins sur ce point que nous travaillions en concertation, en bonne intelligence. Certaines communes auront de grandes difficultés, ne serait-ce que pour décontaminer les écoles, obtenir un nombre suffisant de masques, etc. Nous devons travailler ensemble sur ces questions pour préserver les vies de nos familles. Pour l’heure, on est dans le flou total.

FI : Vous sentez vous freiné dans votre action ?

S. O. O. : Le problème est que nous avons la même information que tout le monde, celle livrée par l’ARS à l’ensemble de la population. Or, peut-être que nous, les maires, aurions mérité d’être mieux informés, car c’est à nous que les habitants ont accordé leur confiance. Cela aurait par exemple pu permettre que nous soyons mieux informés, en toute discrétion, des foyers de contamination sur nos territoires. Cela aurait pu nous permettre de mieux aider, mais le lien n’est pas là. C’est dommage qu’on ne nous fasse pas confiance.

Si chaque commune avait une bonne connaissance de l’évolution de la situation sur son territoire, nous serions à même de nous adapter, mais là, nous sommes en panne d’information. Nous nous retrouvons seuls face aux questionnements de nos concitoyens. Nous avons seulement le droit à une information générale et c’est très frustrant, car c’est nous, les maires, que les gens viennent voir. Comment leur répondre que nous n’en savons pas plus qu’eux ? Nous sommes très seuls dans ce genre de situation.

FI : Sentiment d’isolement donc, mais aussi d’inquiétude ?

S. O. O. : Bien sûr que je suis inquiet, notre territoire est touché. Si j’avais plus de données, peut-être que je serais plus rassuré, mais pour l’heure on ne peut être que dans le doute. Ce à quoi s’ajoute l’irrespect des mesures de confinement par une grande partie de la population qui n’a pas les moyens de les appliquer.

On se rend compte aujourd’hui que l’économie informelle est ce qui fait vivre Mayotte, qui l’a fait manger. Avec ces mesures, on se rend aussi compte que les gens n’ont plus rien du tout. Peut-être que, là aussi, il faudrait que nous travaillions plus ensemble pour adapter les règles à la réalité locale. Sans cela, je refuse que les maires soient indexés pour leur inaction, c’est trop facile. On ne peut pas supporter d’être pointés du doigt alors que l’on ne participe pas aux décisions. C’est difficile à vivre alors que nous essayons avec le peu de moyens que nous avons d’aider nos populations et quelque part de réparer les pots cassés.

Comment peut-on dire à quelqu’un de ne pas sortir alors qu’il n’a pas d’eau et qu’il ne sait même pas si la borne-fontaine va fonctionner ? Si elle ne marche pas, on va dire que c’est la faute du maire alors que justement, il aurait fallu veiller à ce que l’accès à l’eau soit effectif au moment du confinement.

Alors on essaye de rattraper, mais il y a tellement de verrous administratifs que c’est trop dur. J’ai réussi à mettre trois bornes-fontaines à La vigie, mais quel parcours du combattant ! On nous demande de faire respecter le confinement, mais derrière on ne nous accompagne pas.

 

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