« J’aurais fait un an loin de ma famille » : la double peine des Mahoraises face au cancer du sein

Lutter contre un cancer du sein relève d’un véritable parcours du combattant. Si cette affirmation sonne comme une évidence, elle résonne d’autant plus lorsqu’on entend des femmes malades raconter leur histoire. L’obligation pour les patientes de partir seule à La Réunion inflige une double peine aux femmes mahoraises que nous avons rencontrées. 

« Le linge que vous voyez là, ce n’est pas moi qui l’ai étendu, ce sont mon mari et ma sœur qui m’ont aidé à le faire », confie Mariama*, assise sur le canapé de son salon, à Sada. La jeune femme de 33 ans souffre au bras gauche depuis son opération pour retirer son sein atteint par le cancer, en février dernier. « Même pour faire la prière, je suis obligée de m’assoir », déplore-t-elle.

Il y a à peu près un an, Mariama réalise qu’elle a une sorte de bouton sur le sein gauche. Elle attend le passage d’un docteur sur son lieu de travail pour se faire examiner. Une mammographie lui est prescrite, puis elle rencontre un médecin qui la rassure. « Il m’a dit que ce n’était pas grave et m’a donné une crème à appliquer », se souvient la jeune femme. Mais le « bouton » ne part pas et Mariama va alors se rendre chaque jour, depuis Sada, au Centre hospitalier de Mayotte (CHM) pendant une semaine dans l’espoir de réaliser une biopsie. « On me disait à chaque fois de repasser le lendemain », précise-t-elle. Alors qu’elle commence à se résoudre à partir pour La Réunion afin de réaliser ses examens, elle est reçue et la biopsie est pratiquée. Les résultats tombent deux semaines après.

« Je lui ai dit qu’il n’y avait rien de grave »

« On m’a appelée. Je suis partie à Mamoudzou. Quand on me l’a annoncé, je ne vais pas vous mentir, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Je suis sortie, j’ai traversé la route et je me suis arrêtée au niveau des taxis. J’ai appelé ma sœur : je n’arrivais pas à lui dire ce qui m’arrivait, je lui ai dit qu’il n’y avait rien de grave », raconte Mariama, se souvenant du moindre détail de cette journée. Elle attend que sa sœur la rejoigne devant l’hôpital pour annoncer la nouvelle à son mari au téléphone : « Après cela, je n’ai plus pleuré. »

« Rien de grave » : cette volonté instinctive de rassurer son entourage, Echati* l’a eu aussi. « Quand ma mère a appris pour mon cancer, elle était au bout de sa vie. J’ai dû rassurer ma sœur, ma mère, tout le monde », constate-t-elle. Cette maman de 36 ans s’est aperçue en février dernier qu’une petite boule avait poussé dans son sein. « Je pensais que c’était un bouton ou un abcès, mais ça ne me faisait pas mal, c’est ce qui m’a alertée », se souvient-elle. Ayant perdu son père d’un cancer peu de temps avant, la jeune femme n’attend pas pour consulter. 

Mammographie, biopsie, allers-retours au CHM… Les résultats ne tombent qu’au mois de mai. « Au niveau de la prise en charge, je trouve que ça traîne des savates », se permet-elle, avec une pointe d’humour dans la voix. Et pour cause : pendant cette attente, Echati voit la boule pousser et la peur grandir, seule face à toutes ses interrogations. « Je pense que j’avais déjà compris que j’avais un cancer au moment où on me l’a annoncé », admet-elle.

Partir pour se soigner

Pour Mariama comme pour Echati, l’annonce marque le début d’un long protocole, dont une grande partie doit se passer à La Réunion. Mariama part pour se faire soigner à la clinique Sainte-Clotilde en février, après avoir commencé la chimiothérapie à Mayotte en octobre 2022. Là, elle loge dans la maison d’accueil de l’établissement de santé. La jeune femme garde un mauvais souvenir de son arrivée : « La nourriture n’était vraiment pas bonne, il y avait le tuyau d’évacuation des toilettes qui passait dans ma chambre, ce qui m’empêchait de dormir à cause de l’odeur. » Si on lui propose une nouvelle chambre, cette arrivée ajoute du plomb au moral de la maman qui a dû laisser ses trois enfants à leur tante. Après sa mastectomie (ablation du sein), elle doit attendre la cicatrisation et les résultats d’analyse des ganglions prélevés lors de son opération, en même temps qu’elle entame la radiothérapie. 

Une attente d’autant plus éprouvante que Mariama est loin de ses proches. « Il faudrait que nos enfants puissent venir avec nous. Mes enfants, c’est ma force, ce sont eux qui me donnent du courage, ils m’ont beaucoup manqué pendant mon séjour là-bas », regrette-t-elle. En avril, elle peut enfin rentrer à Mayotte et continuer la chimiothérapie. 

« Qui supporterait d’être un an loin de ses proches ? »

Echati, elle, quitte Labattoir pour La Réunion très peu de temps après l’annonce de sa maladie, en mai. Également prise en charge à la clinique Sainte-Clotilde, elle se fait opérer une première fois en juin, pour une mastectomie partielle. Mais une autre opération et la chimiothérapie se révèlent ensuite nécessaires. 

Toujours à La Réunion actuellement, la maman souffre aussi de l’absence de ses proches. « Je suis censée rentrer en mars, une fois que j’aurais fini mes séances de chimio. J’aurais fait un an loin de ma famille. Cela atteint beaucoup le moral. Qui supporterait d’être un an loin de ses proches ? Surtout dans un cas pareil, où on est malade et où on a besoin de soutien. Aujourd’hui, je vais bien, mais au début j’avais des pensées morbides, la peur de mourir. Si j’avais eu ma famille avec moi, cela aurait été différent », détaille Echati, qui trouve néanmoins mieux que ses quatre enfants, âgés entre 2 et 10 ans, ne soient pas là. « Je ne sais pas s’ils auraient supporté de me voir comme ça, surtout sans cheveux et bientôt sans sourcil. Je pense que c’est mieux que je sois loin d’eux pour leur éviter ce spectacle. Quand je les appelle en vidéo, j’ai toute une panoplie pour être présentable », décrit celle qui a simplement dit à ses enfants qu’elle était malade, en évitant le mot « cancer ».

« Ma croyance en Dieu a été d’un grand soutien »

Si les appels avec ses proches lui donnent de la force, voir des femmes qui ont guéri offre aussi beaucoup d’espoir à Echati. « Je me dis que ça sera peut être moi dans deux ou trois ans », songe-t-elle avec optimisme.

La présence importante de la foi dans leur vie aide les deux femmes à faire face à la peur et aux effets secondaires exténuants des traitements. Si bien que quand on leur parle, leur force semble avoir pris le dessus sur leur souffrance.  « Aujourd’hui, je dirai que ça va. Ma croyance en Dieu a été d’un grand soutien. À La Réunion, quand j’étais seule dans ma chambre, mes seuls amis étaient le téléphone et le coran », se remémore Mariama, qui a encore des séances de chimiothérapie prévue jusqu’à décembre. « Ma foi m’aide à supporter tout ça. Je me dis que si Dieu m’a donné cette épreuve, c’est que je peux la supporter », confie, de son côté, Echati.

À l’occasion d’Octobre Rose, Mariama veut encourager les femmes à se faire dépister et à ne pas avoir honte, notamment après l’opération. « Il faut avoir confiance en soi. Si on ne s’assume pas nous-mêmes, qui va le faire ? Moi je ne compte pas faire de reconstruction mammaire, je ne veux pas souffrir deux fois », affirme haut et fort la jeune femme, après avoir dévoilé, sous sa prothèse, la longue cicatrice qui a remplacé son sein gauche.

« On devrait parler de cette maladie tout au long de l’année, pas qu’en octobre », insiste Echati, qui souhaite encourager les jeunes femmes, elles aussi, à surveiller leur poitrine régulièrement. « Cela n’arrive pas qu’aux autres. »

*Les prénoms ont été modifiés afin de respecter le souhait d’anonymat des témoins.

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