Comores, cinquante ans après l’indépendance : “On va à reculons.”

Fêtés en grande pompe, à Moroni, les cinquante ans de l’indépendance de l’Union des Comores ont aussi été analysés par une partie de la société civile comorienne, qui regrette des retards dans plusieurs domaines.

L’Union des Comores a célébré, dimanche dernier, les 50 ans de son indépendance. A cette occasion, l’Etat avait dépensé plusieurs centaines millions de francs comoriens pour organiser une cérémonie grandiose, histoire de marquer le coup. Des chefs d’Etat de la région à l’instar de la présidente de la Tanzanie, Samia Suluhu, étaient présents, ce 6 juillet au stade Omnisports de Maluzini. Une fête qui ne rime pas pour autant avec un développement à la hauteur de l’archipel qui demeure toujours parmi les plus pauvres du monde, et ce un demi-siècle après son accession à l’indépendance.

C’est du moins le constat de quelques personnalités de la société civile, interrogées par Flash Infos.  « L’impression générale que l’on a depuis, c’est que notre pays n’a pas beaucoup avancé en 50 ans, en nous comparant aux pays de la même dimension que nous. C’est le cas par exemple de Maurice, des Seychelles, du Cap-Vert.  Ce sont toutes des îles ayant pris leur indépendance pratiquement dans la même période que nous« , observe le président du comité Maore, le docteur Mohamed Monjoin. A l’entendre, l’indépendance des Comores peut être qualifiée d’inachevée. « Elle ne correspond pas aux attentes des Comoriens à tel point que des jeunes vont jusqu’à se demander pourquoi nous avons pris cette indépendance pour se retrouver sans les services de base, l’eau, l’électricité« , a ajouté, le médecin.

“La qualité de la vie est insupportable”

Et on peut dire qu’il n’est pas le seul à dresser un bilan mitigé en dépit des acquis indéniables enregistrés un demi-siècle après la fin de la colonisation.   » On ne peut que saluer l’indépendance, mais on est en droit de se demander si les Comoriens ne vivaient pas mieux durant les 10 ans qui ont suivi sa proclamation que maintenant. La qualité de la vie est insupportable. On va à reculons. Nous avons du mal à joindre les deux bouts« , enchaîne Moudjib Mohamed Said, président de l’association Ngo’shawo, l’une des organisations de la société civile qui milite pour la conscientisation de la jeunesse. Pourtant, dans un entretien accordé à Radio France internationale (RFI), la semaine dernière, le conseiller spécial du chef de l’Etat comorien chargé des affaires politiques, Houmed Msaidié, vantait les avantages de l’indépendance citant entre autres le nombre élevé de médecins, et cadres diplômés que compte le pays.  » Si nous avons pris l’indépendance c’est parce que derrière il y avait des ambitions de développement par rapport aux pays de mêmes calibres que nous. Ceux-ci sont développés pendant que nous sommes toujours là. On a certes beaucoup de diplômés et de centres de santé mais ce n’est pas suffisant comparé aux besoins et à nos espérances« , a rétorqué, le président du comité Maore qui note une grande crise de conscience dans le pays.  « On a pris notre indépendance de façon unilatérale. En conséquence, le colonisateur a décidé de nous faire payer cela en transformant notre pays en laboratoire de la FranceAfrique.  Les assassinats, les instabilités politiques dans le but de nous faire regretter la décision d’être devenus indépendants. Nul ne peut nier qu’une souveraineté inachevée, constitue un obstacle majeur. Toutefois, on remercie quand même les initiateurs de l‘indépendance. La colonisation c’est l’arbitraire, une injustice basée sur l’extraction des richesses du pays au profit de la métropole« , souligne d’abord Said Abasse Ahamed, directeur de think-tank, Thinking Africa.

Des progrès en 50 ans

Ce docteur en sciences politiques dit ne pas être d’accord avec ceux qui considèrent que le pays n’a pas avancé.  » Tout n’est pas rose certes. On n’a pas tout réussi. Notre PIB (produit intérieur brut, Ndlr) reste encore faible et des potentialités restent toujours non développées. Mais, il est important de mentionner que nous avons beaucoup plus accompli en 50 ans que durant les 150 ans de colonisation de la France », indique-t-il avant d’ajouter.  » Nous avons formé des gens dans toutes les disciplines, construit des infrastructures, diplomatiquement, on a fait des grands progrès à l’instar de la présidence de l’Union africaine en 2023. On a aussi une équipe nationale de football qui rayonne. Ce n’est pas rien. »

Mais ces progrès valaient-ils les festivités grandioses observées ces dernières semaines ? Moudjib pense que non.  » Des concerts comme si le pays avait atteint un niveau développement en 50 ans méritant tout ce tralala pourquoi faire. La vie du citoyen lambda n’a pas changé« , rappelle, le président de Ngo’shawo.  Après leurs analyses, nos interlocuteurs reconnaissent que les responsabilités sont partagées.  » A cause, notamment des mouvements séparatistes, les coups d’Etat soutenus par la France, on peut affirmer, qu’elle est responsable en partie de ce sous-développement.  Même si elle a pu compter sur ses supports locaux pour parvenir à ses fins. La question de Mayotte a aussi entravé lourdement le développement de notre pays. Je pense qu’après 30 ans, nous devons arrêter les discussions bilatérales et nous tourner vers les instances internationales », martèle le docteur Monjoin. Sur la gouvernance, le Directeur de Thinking Africa reconnaît l’existence d’un manque de choix clairs des partenariats.  » Tout le monde est ami avec les Comores, or ça ne peut pas fonctionner ainsi. Il faut choisir de vrais amis. Le pays souffre aussi d’une définition stratégique de ses intérêts. Les élites politiques, universitaires, la société civile, on a tous échoué, notamment sur la santé. Car nous dépensons encore plus pour des soins or beaucoup de médecins ont été formés« , déplore-t-il tout en recommandant la production d’une réflexion stratégique « sur ce que nous voulons devenir par nous-mêmes et non par des consultants payés pour dire ce que nous voulons devenir.« 

Journaliste presse écrite basé aux #Comores. Travaille chez @alwatwancomore
, 1er journal des ?? / @Reuters @el_Pais @mayottehebdo ??

Mayotte Hebdo de la semaine

Mayotte Hebdo n°1116

Le journal des jeunes

À la Une