Prison de Majicavo : « Ce n’est pas parce qu’on est syndicaliste qu’on peut tout se permettre »

Le représentant syndical, Ibroihima Condro-Mohamadi, a été condamné ce mardi pour un tract diffamant à l’encontre de la directrice adjointe du centre pénitentiaire de Majicavo-Koropa. Transmis à ses collègues, le texte y accusait celle-ci de faire preuve de racisme dans le traitement différent de deux faits-divers touchant le personnel de la prison. Le syndicaliste et la CGT doivent verser 1.500 euros de dommages et intérêts à la plaignante.

« Ce n’est pas parce qu’on est syndicaliste qu’on peut tout se permettre », estime maître Basile Hader, alors que l’ex-bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris est venu à Mayotte, ce mardi 2 juillet, pour défendre la directrice adjointe du centre pénitentiaire Majicavo-Koropa. Celle-ci avait déposé plainte après qu’un tract la dénigrant soit diffusé par mail aux agents syndiqués à la section CGT de l’établissement en décembre 2023. Devant les juges du tribunal correctionnel, Ibroihima Condro-Mohamadi ne cache pas les inimitiés entre son syndicat et la directrice adjointe arrivée en 2022. Mais c’est surtout en novembre et décembre 2023, lorsque deux faits-divers ont marqué le personnel, que le syndicat a voulu réagir. Le premier est l’agression du directeur de la détention, de couleur noire, devant chez lui aux Hauts-Vallons. Le deuxième, quelques jours, est l’accident grave à Kawéni d’un agent venu de métropole. Le scootériste avait été renversé par un chauffard ivre sur son trajet domicile-travail. Pour ce deuxième cas, une note d’information de la directrice adjointe a été transmise aux agents pour indiquer l’état de santé du collègue renversé. Il n’en fallait pas plus pour que des membres de la CGT rédigent un tract (Ibroihima Condro-Mohamadi se défend de l’avoir écrit lui-même) accusant la directrice adjointe de racisme, s’appuyant sur « ce deux poids deux mesures ». « Que veut expliquer la direction à son personnel sur la note d’information mentionnée sinon réaffirmer son mépris envers le personnel black », est-il ainsi écrit dans la vingtaine de lignes visées par la plainte.

Pointant la différence de traitement avec une note envoyée dans un cas et pas dans l’autre, le texte envoyé à une centaine d’agents suppose un racisme chez la directrice adjointe. « La différence ne vient-elle pas de la couleur de la peau de l’un au détriment de celle de l’autre ? Tous les personnels doivent maintenant s’en rendre compte, la différence de traitement des uns et des autres est ainsi dévoilée », poursuit le communiqué. Interrogé par le juge Clément Le Bideau sur qui sont « les uns et les autres », le syndicaliste peine à répondre clairement, avant de s’en tirer en parlant des « favorisés » et des « défavorisés ».

« Ma cliente est atteinte moralement »

C’était là tout l’enjeu du procès pour l’avocat de la directrice. Selon lui, il y a diffamation puisque l’accusation de racisme est une atteinte à l’honneur de sa cliente. « On ne peut pas être plus explicite. » A la différence du substitut du procureur Max Goldminc, qui estime que « faire des poursuites judiciaires d’emblée ne favorise pas le dialogue », l’avocat fait remarquer que laisser penser « qu’une blanche est raciste est grave ». « Ma cliente est atteinte moralement. Elle subit un harcèlement de la part de ce syndicat depuis deux ans », plaide-t-il. « On outrepasse la polémique syndicale. » Il demande que la CGT soit condamnée à payer la somme de 5.000 euros à sa cliente en dommages et intérêts et que la condamnation soit publiée sur le site de la CGT. Sur la note d’information, il explique que la directrice adjointe a voulu simplement donner des nouvelles rassurantes de leur collègue « entre la vie et la mort ».

De son côté, le syndicaliste se défend d’avoir cité nommément la directrice adjointe et évoque plutôt une direction au sens large. « J’ai utilisé les mots « maîtresse d’école » et « méchante », je vous l’accorde. Mais ce n’est pas raciste », avance-t-il, avant d’expliquer que les relations se sont dégradées « depuis qu’on a demandé le coût des transferts vers La Réunion ou la métropole. Elle ne veut pas que le syndicat soit de la partie ». Il met la réaction de ses collègues sur le compte des conditions qui se dégradent dans le centre pénitentiaire (les derniers chiffres du ministère de la Justice donnent un taux d’occupation de 301% du centre de détention). Selon lui, la plainte serait « une manœuvre d’intimidation » contre le syndicat connu comme étant le plus virulent parmi les quatre présents à la prison. Maître Asskani Moussa demande la relaxe à la fois du syndicat et de son représentant. Il considère que ce n’est pas de la diffamation publique puisqu’il s’agissait « d’un mail adressé aux collègues qui s’interrogeait du comportement de la hiérarchie sur des faits réels ».

Le tribunal condamne la CGT et Ibroihima Condro-Mohamadi à une amende de 1.500 euros avec sursis et à verser 1.500 euros à la directrice adjointe pour son préjudice moral et 2.00 euros pour ses frais de justice. La CGT pénitentiaire devra également publier sur son site la décision de justice dans les quinze jours. Si le syndicaliste assume et dit ne pas regretter ce texte, cette condamnation ne va pas améliorer les relactions entre la directrice adjointe et la CGT. « Les gars lui en veulent d’envoyer un agent au tribunal plutôt qu’au travail », indique l’agent pénitentiaire.

Le doute profite au surnommé « Derek »

Jugé ce mardi, le jeune homme de 21 ans était mis en cause pour les scènes de chaos du 9 décembre 2023 (pour lesquelles plusieurs personnes ont déjà été condamnées). Ce soir-là, une bande de Doujani était venue prêter main-forte à des jeunes de La Vigie pour organiser une expédition punitive à Labattoir. Le déchaînement de violences avait visé la police municipale et la gendarmerie qui s’étaient interposées. Pierres, machettes ou barres de fer avaient été alors lancés sur les véhicules des forces de l’ordre. Au cours de ces événements, un gendarme de la brigade de Pamandzi affirme qu’il a reconnu le prévenu surnommé « Derek » qui portait un pantalon bleu et un bonnet. Déjà condamné pour des vols et emprisonné depuis pour « une affaire lourde », ce dernier a toujours indiqué n’avoir « jamais été là ». S’il dit avoir vu les violences sur des vidéos, il explique qu’il buvait ce soir-là « avec des fréquentations » à La Vigie, loin des faits. Il ajoute qu’il est lui-même de Labattoir et donc n’avait pas d’intérêt à participer aux exactions contre son village. Sans avocat, il demande judicieusement : « Est-ce que les policiers et les gendarmes donnent les mêmes détails ? ». La question, loin d’être anodine, a sans doute pesé dans la décision de le relaxer. Car hormis le gendarme qui assure l’avoir vu et un policier qui dit « avoir entendu » qu’il était là, aucun autre protagoniste ne l’incrimine et il n’y a pas de preuves matérielles.

Deux ans de prison pour un règlement de comptes à Doujani

« Vous pensez que c’est une bonne idée de retourner à Doujani ? », demande Max Goldminc, le substitut du procureur, ce mardi matin. Le prévenu, un jeune homme originaire des Comores âgé de 21 ans, assure qu’il n’a pas trop le choix. C’est dans ce quartier de M’tsapéré qu’un conflit entre bandes l’a amené en prison, le 31 mai 2022. Affilié à une bande de Doujani 1, mais sans casier judiciaire, il s’était retrouvé opposé à une autre du même secteur, à Doujani 2, après le vol de son téléphone et une agression dont il a fait l’objet. Il était allé alors jusqu’au domicile d’un de ses rivaux (défavorablement connu des services de police) pour un règlement de comptes. Outre le caillassage du domicile, il avait jeté « de toutes ses forces » un morceau de parpaing d’un kilo et demi à la tête de la victime (la blessure grave a nécessité quinze jours d’ITT). Il avait pu être interpellé rapidement le lendemain… en allant déposer plainte avec quatre personnes du quartier pour des violences commises par Doujani 2. Le prévenu n’a jamais contesté les faits du 31 mai 2022, qui ont été un temps considérés comme une tentative de meurtre, puis requalifiés en violences aggravées par deux circonstances. « Je voudrais m’excuser. J’ai eu une crise de colère, je n’ai pas pu me contrôler. J’aurais dû déposer plainte avant », se repent-il aujourd’hui. Alors que le Parquet a requis deux ans de prison, le tribunal le condamne à dix-huit mois de prison, couvrant ainsi la période de la détention provisoire. L’individu a donc été autorisé à retourner à Doujani dans la même journée.

Rédacteur en chef de Flash Infos depuis 2022. Passionné de politique, sport et par l'actualité mahoraise, ainsi que champion de saleg en 2024. Passé un long moment par l'ouest de la France, avant d'atterrir dans l'océan Indien au début de l'année 2022. Vous me trouverez davantage à la plage quand je ne suis pas à la rédaction.

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