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À moins d’un mois du ramadan, les agriculteurs ont peur de tout perdre

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Le confinement rend difficile le ramassage des récoltes et commence déjà à peser dans les finances. Les agriculteurs ont peur que les stocks de fruits et légumes viennent à manquer pour le ramadan, période qui se caractérise chaque année par une forte consommation.

Sur les bords des routes, on ne les voit plus discuter au-dessus de leurs paniers remplis de bananes, de mangues, d’ananas ou de fruits à pains. Leurs salouvas ont déserté le paysage, et quelques rares palettes traînent encore, de-ci de-là, sans leur cargaison de produits locaux. À Mamoudzou aussi, devant le marché couvert, les étals informels qui tapissent le bitume jusqu’au dépose-minute des taxis ont disparu depuis l’annonce de la fermeture de ce point de vente, où agriculteurs et revendeurs viennent d’habitude écouler leurs marchandises. Seul le marché de Combani continue à alimenter le centre de l’île, tant bien que mal, à en croire les agriculteurs. “Ils sont dehors derrière leurs étals, mais les clients se font rares. Il n’y a guère que la clientèle des environs proches qui vient encore y acheter des produits”, constate Saïd Anthoumani, le président de la Chambre de l’agriculture, de la pêche et de l’aquaculture de Mayotte (CAPAM).

Cette baisse de la consommation, conséquence directe du confinement décidé depuis le 16 mars pour lutter contre la propagation du Covid-19, ils sont nombreux à la ressentir de plein fouet. “Il faut vraiment que vous fassiez passer le message que nos deux boutiques de la Coopac, celle de Kawéni et celle de Combani sont encore ouvertes”, plaide Dominique Lamotte, qui gère la SCEA Vahibio. Presque tous les jours, son époux et elle se lèvent de bonne heure à Tsoundzou pour se rendre sur leur petit champ de Vahibé et cueillir les quelques avocats qu’ils doivent apporter avant 10h à la Coopac de Combani. Objectif : limiter les risques de contact dans la boutique. À partir de 10h et jusqu’à 15h, une seule vendeuse se charge alors de vendre leur production, en veillant à respecter les règles de distanciation sociale. Une tâche facilitée par le faible afflux de clients ces derniers jours. “Nous aurons sans doute les chiffres exacts dans un mois, mais nous pouvons d’ores et déjà estimer une perte de chiffre d’affaires de 50 % pour la Coopérative”, craint Dominique Lamotte. Avec, bien sûr, une conséquence directe pour le couple de Tsoundzou : “Nous risquons sans doute d’être payés un peu en retard…”. Et ce, sans aucune certitude d’être indemnisés, car eux ne sont pas concernés par le chômage partiel.

Chadhuili Soulaimana, le directeur de Ouangani productions, qui préside aussi l’association Saveurs & Senteurs de Mayotte partage cette inquiétude : “j’ai des doutes sur les aides que le gouvernement va pouvoir nous donner. Je me rappelle avoir essayé, en 2018, mais avoir buté sur de nombreux obstacles. J’espère qu’ils rendront la procédure plus simple cette fois-ci”, souffle-t-il. Or, contrairement aux cueilleurs de Vahibé, beaucoup d’agriculteurs ont tout bonnement arrêté de se déplacer jusqu’à leurs champs, par crainte d’attraper le virus dont tout le monde parle. Et ne peuvent donc même pas prétendre voir le fruit de leur labeur à la fin du mois. “Nous avons peur d’être en contact en allant sur les marchés, et peur de sortir pour aller travailler”, témoigne Chadhuili Soulaimana. Conséquence : tous les agriculteurs et leurs salariés sont “bloqués”. “Nous devions bientôt récolter notre vanille, mais on ne sait pas si nous allons pouvoir le faire”, poursuit le producteur.

Pourries ou pillées, des récoltes perdues

Car le souci, c’est aussi que vanille, bananes, manioc et autres fruits et légumes ne poussent pas tous seuls. En l’absence des bras et du savoir-faire des agriculteurs, les cultures risquent fort d’être gâchées, voire même d’être pillées avant d’être vendues. “Je ne vais plus sur mon exploitation depuis plusieurs jours, or j’ai des fruits, les sakouas qui sont très utilisés pour les jus, je sais que c’est le moment d’aller les cueillir”, atteste Hakim Nouridine, gérant du label Green Fish. Normalement, l’agriculteur en produit environ une tonne par an, qu’il écoule dans son magasin de M’tsapéré et chez des revendeurs. Aujourd’hui, ces débouchés-là sont fermés. “C’est sûr, ça va tomber, ça va pourrir ou bien être volé”, déplore-t-il.

Mais le gros de sa production, c’est à Madagascar qu’il risque de le perdre. Le gérant possède en effet un terrain sur la Grande Île. Mais depuis le 16 mars, et la fermeture des frontières malgaches, Hakim Nouridine ne peut plus se rendre sur son exploitation. “Je risque de perdre une année de récolte”, s’inquiète-t-il, malgré la présence de quelques ouvriers sur place. Outre le piment et l’oignon, il y cultive aussi les bananes, qui font d’habitude l’objet d’une forte demande pendant le ramadan. Cette année, vu la situation sur les exploitations mahoraises et la rupture des liaisons avec Madagascar, l’agriculteur craint un impact sur le portefeuille des ménages. “La production locale ne va pas suffire pour satisfaire la demande, et les régimes vont se vendre à prix d’or”, prédit-il. Du côté de l’INSEE, toutefois, rien ne permet pour l’instant d’anticiper une telle inflation. “Chaque année, il y a un questionnement sur le prix des bananes, mais si cela marque les esprits, cela ne se traduit pas dans nos analyses”, explique Jamel Mekkaoui, le chef de service de l’institut de statistiques à Mayotte. Et le président de la CAPAM se montre d’ailleurs, lui aussi, plus optimiste : “certes, les gens vont sans doute essayer de rattraper le manque à gagner pendant le ramadan, mais heureusement nous avons eu une saison humide assez riche, et nous avons encore des aliments en abondance”, fait valoir Saïd Anthoumani. Sauvés par la pluie, grâce au ciel !

 

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