« Des conditions plus favorables qu’hier pour faire passer les lois Mayotte »

N’ayant pu faire ses vœux en début d’année, avec le mouvement social, Ben Issa Ousseni s’est reporté sur une conférence de presse de rentrée, ce mercredi matin. Le président du conseil départemental de Mayotte a évoqué plusieurs sujets touchant sa collectivité et fait part de son optimiste pour le double projet de lois Mayotte avec un gouvernement composé de personnalités de son parti, Les Républicains.

Flash Infos : Quel est votre état d’esprit au cours de cette rentrée qui se fait sans votre premier vice-président (condamné par la justice, Salime M’déré est démissionnaire d’office même s’il a fait appel). Avez-vous une majorité affaiblie ?

Ben Issa Ousseni : On n’a jamais été plus fort qu’aujourd’hui. Il est arrivé ce qui est arrivé. Notre majorité est toujours à dix-huit (N.D.L.R. sur vingt-six), nous pouvons très largement l’élargir à vingt ou vingt-deux, parce que je travaille très bien avec des élus de l’opposition. Il n’y a pas de fragilité. Par contre, nous avons voulu que Soibahadine Ndaka (nouveau conseiller départemental du canton de Bouéni) s’installe pleinement, prenne la mesure de ce qui l’attend. Nous sommes en train de discuter pour voir l’avenir du poste de premier vice-président. Aujourd’hui, les missions d’aménagement sont portées par Saindou Attoumani (conseiller départemental du canton de Ouangani). Ça ne presse pas, parce que la parité est respectée pour le moment. Ne vous en faites pas, on aura un nouveau ou une nouvelle VP très prochainement, pareil pour la première vice-présidence.

F.I. : Le discours de politique générale a été donné, ce mardi, par le Premier ministre Michel Barnier. Il n’a pas évoqué Mayotte. Et le président de la République, qui avait repris la main sur le sujet en mai, est accaparé par les crises internationales. Est-ce que vous avez des inquiétudes quant au devenir du double projet de lois Mayotte ?

B.I.O. : Effectivement, on a suivi le discours du Premier ministre. Il n’a pas été question de Mayotte et pas beaucoup des Outremers. Par contre, il a parlé du Ciom (comité interministériel des Outremer) et le projet de loi Mayotte est une suite donnée au comité. Lors du congrès des Régions, nous, les ultramarins, avons posé ce sujet sur la table. Personnellement, je crois que nous avons aujourd’hui des conditions plus favorables qu’hier pour faire passer les lois Mayotte. La composition des parlementaires (les deux sénateurs Saïd Omar Oili et Salama Ramia dans le groupe de la majorité présidentielle, Anchya Bamana au Rassemblement national et Estelle Youssouffa au centre avec le groupe Liot), un Premier ministre de mon camp politique (Les Républicains) et surtout l’entrée du Mahorais Thani Mohamed Soilihi au gouvernement (voir encadré) font que je suis optimiste.

F.I. : La députée Estelle Youssouffa annonce avoir déposé deux propositions de loi Mayotte, la semaine dernière. Y avez-vous été associé ?

B.I.O. : Je ne commenterai pas ce sujet-là. Je répondrai simplement que je n’ai pas vu le texte.

F.I. : Avez-vous eu des contacts avec le nouveau gouvernement ?

B.I.O. : Je ne le cache pas, je n’ai pas de contact avec le nouveau ministre délégué de l’Outremer, François-Noël Buffet. On espère avoir un ministre pour la signature du plan de pauvreté, le 17 octobre. Par contre, il y a une discussion qui a été engagée avec le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, sur les questions d’insécurité et l’immigration. Un rendez-vous est en préparation. Le ministre compte nous recevoir à Paris, ce mois-ci. C’est le seul qui est pour l’instant disposé à nous recevoir.

F.I. : Michel Barnier annonce une réduction des dépenses publiques. Sachant que votre budget de fonctionnement est alimenté à 53% par l’État, est-ce que cette baisse vous préoccupe ?

B.I.O. : L’impact direct de cette baisse serait sur notre contrat d’engagement que nous négocions aujourd’hui. Encore une fois, les ultramarins réunis au congrès des Régions ont demandé que cette baisse ne puisse pas impacter les Outremer tant nos difficultés sont importantes, que ce soit la vie chère, la crise de l’eau que nous vivons ou le rattrapage. Oui, c’est une inquiétude. Le contrat d’engagement permettait d’avoir 50 millions l’année dernière et d’obtenir 100 autres cette année. Il y a une négociation sur la suite. J’ai une inquiétude sur le montant qui sera alloué. Les inspections faites ici ont montré une progression croissante, j’espère donc qu’on gardera le taux de progression.

F.I. : Justement, l’aide de l’État était conditionnée à certaines mesures. Où en êtes-vous ?

B.I.O. : Je crois qu’à ce jour, nous avons répondu à l’ensemble des recommandations. Il manque la réponse des quelques structures que nous accompagnons. Mais nous avons eu le premier versement et le deuxième vient d’être fait. Il reste un petit reliquat à reverser à des structures.

F.I. : Quel domaine souhaiteriez-développer avec cette rentrée ?

B.I.O. : La mobilité. Nous espérons lancer en 2025 les premiers transports interurbains et faire en sorte qu’au deuxième semestre ces lignes soient opérationnelles. Nous espérons aussi lancer les premières navettes maritimes. On ne peut pas désengorger Mamoudzou sans passer par la mer. Nous avons lancé la délégation de service public (DSP) sur le numérique. Nous sommes en phase d’attribution, très prochainement nous allons prendre la délibération afin que les travaux sur le déploiement de la fibre optique puissent commencer en 2025. Sur l’aérien, nous espérons travailler avec le gouvernement. Nous sommes à disposition des porteurs de projet, nous travaillons sur l’ouverture de lignes. Les gens pensent à Zéna, mais nous ne travaillons pas qu’avec eux. Nous comprenons la colère des Mahorais avec les prix pratiqués par Air Austral, on veut créer de la concurrence. Nous discutons avec Air France, avec Corsair. Bien sûr, il y a le sujet de la piste longue. Je crois qu’aujourd’hui nous sommes tous à peu près persuadés que la décision est prise pour aller en Grande-Terre. Maintenant, il faut un engagement ferme du gouvernement et un calendrier.

F.I. : Et pour l’économie ?

B.I.O. : Vous savez que j’ai toujours axé notre politique sur le développement économique. Il faut continuer à accompagner les entreprises, notamment les petites, pour qu’elles montent en compétence. Il faut continuer à relancer les petites industries. A un moment, on avait une savonnerie, quelques usines de transformation. On déploie entre trois et quatre millions d’euros par an pour accompagner les entreprises par des aides économiques, des prêts donneurs via Initiative Mayotte. Nous pensons aller en 2025 jusqu’à vingt millions d’euros pour la Technopôle de Dembéni, du Pôle d’excellence rurale (PER) de Coconi, l’accompagnement des chambres consulaires.

On a également besoin de l’État pour faire de Mayotte une zone franche totale pour attirer les investisseurs. Nous pensons aussi relancer l’aquaculture. Ça a marché, le modèle n’était peut-être pas bon. Mayotte a son atout, la mer. Quand on sait que la France importe 75% du poisson qu’elle consomme, je pense que Mayotte a sa carte à jouer.

F.I. : Et quand est-il des projets départementaux ?

B.I.O. : Nous avons signé le contrat de convergence et de transformation avec l’État. Il y a un engagement de plus de 270 millions d’euros. Le Département veut mettre en place des projets très importants. Il y a l’hôtel de région et la cité administrative, c’est plus de soixante millions d’euros. J’espère que les travaux commenceront si ce n’est en 2025, au moins en 2026. Il nous reste à stabiliser le financement. Mais il n’y a pas que ça, je peux parler du centre sportif de Malamani, j’y tiens. On a un plan pluriannuel d’investissement ambitieux. Il faut que les entreprises s’organisent pour répondre aux marchés. C’est parfois compliqué sur le territoire. Je pense au CMS de Chiconi dont nous avons dû relancer le marché. Dans les autres projets, on a aussi vingt millions d’euros pour le gymnase du nord à M’tsangamouji, vingt millions d’euros pour la voirie rurale.

F.I. : Il y a un projet sur lequel vous êtes particulièrement attendus, c’est le pôle d’échange multimodal de Mamoudzou et la gare maritime, car la Cadema souhaite continuer les travaux du Caribus et la Ville de Mamoudzou ceux de son front de mer.

B.I.O. : Nous sommes dessus. Je ne peux pas vous donner de calendrier là parce que les conseillers techniques ne sont pas là. On sait que nous sommes attendus, mais nous allons lancer les opérations.

F.I. : Concernant Électricité de Mayotte, un audit est en cours, mais que veut en faire le Département ?

B.I.O. : Je vais être bref, mais très précis. C’est l’État, lors des négociations du contrat d’engagement, qui voulait que le Département cède ses actions dans EDM (il en détient 50,001%). J’avais donné un accord de principe s’il y avait une nationalisation avec un passage à EDF, pas s’il y a une privatisation. L’État a lancé une étude sur la possibilité effectivement d’intégrer EDM dans EDF. Nous n’avons pas encore eu les conclusions. Encore une fois, si EDM intègre le réseau national, nous y sommes très favorables.

F.I. : Espérez-vous également des changements à la direction des transports maritimes (DTM, ex-STM) ?

B.I.O. : Je souhaite que nous inscrivions dans une logique globale sur la politique de mobilité sur le territoire. Il y a une étude que nous menons parce que, jusqu’alors, la DTM ne faisait que la rotation des barges entre Petite-Terre et Grande-Terre. Mais nous devons penser territoire. Je souhaite que les premières lignes qui partiront de Mamoudzou vers le nord et le sud puissent démarrer d’ici la fin de l’année 2025. Pour cela, il faut étendre le champ d’action de la DTM. Nous étudions quel genre de structure nous allons mettre en place. Pourquoi pas en avoir une seule qui porte tous les sujets de mobilité à Mayotte ? On parle du maritime, mais je pense aussi à l’interurbain.

F.I. : Vous avez organisé un colloque sur le devenir des cadis. Qu’en avez-vous tiré ?

B.I.O. : Le cadi, c’est l’héritage que nous avons. J’attends des cadis qu’ils continuent de jouer leur rôle de médiation, d’apporter un équilibre entre le côté religieux et la République. Les Mahorais se sont forgé une place dans la République tout en étant des musulmans. On voit de nouvelles formes de pratique sur le territoire, il faut être vigilant. Les cadis peuvent être ceux qui apporteront cette alerte à la population, mais aussi aux représentants des autorités, pour maintenir cet équilibre.

F.I. : Qu’avez-vous prévu dans le domaine du social ?

B.I.O. : Nous comptons lancer les états généraux du social d’ici la fin de l’année. On veut revoir en profondeur les actions du CD en faveur de la population de toutes les tranches d’âge et prioriser les actions que nous voulons mener. Nous signerons, le 17 octobre, un plan de la pauvreté. Je ne peux pas en dire plus. Le préfet de Mayotte préfère que la communication se fasse au moment de la signature.

F.I. : Le transport scolaire reste l’une de vos compétences principales. Aujourd’hui, les conducteurs de bus sont en droit de retrait. Quelles solutions préconisez-vous ?

B.I.O. : Le plus grand problème des transporteurs, ce sont les caillassages et l’insécurité. Nous, les travaux sont déjà enclenchés sur la partie polycarbonate des vitres de bus. On en a déjà posé un certain nombre. On espère que d’ici la fin de l’année, la totalité des bus puisse être sécurisée à ce niveau-là. Mais ce n’est pas parce que les bus sont équipés, qu’ils ne seront plus caillassés. Nous avons renforcé nos médiateurs et on continue à les former. Ils sont de plus en plus professionnels. Sur la partie régalienne, je ne peux pas dire grand-chose, il faut poser la question à l’État. (Sur une prime demandée par les chauffeurs de bus) Les transporteurs sont des structures privées, je ne peux pas m’engager à leur place. Nous nous engageons à enclencher la discussion avec les employeurs pour voir ce qui peut se mettre en place. Je comprends les chauffeurs de bus, ils partent le matin de chez eux et ne savent pas ce qui les attendent sur la route, c’est stressant, mais ce ne sont pas nos employés.

« Ravi d’avoir un Premier ministre Les Républicains »

Avant de répondre aux questions, Ben Issa Ousseni a réaffirmé qu’il était « ravi que le pays ait un gouvernement, surtout à titre personnel d’avoir un Premier ministre LR en la personne de Michel Barnier. J’espère avoir plus de facilité pour échanger ». Il a aussi félicité à nouveau Thani Mohamed Soilihi pour sa nomination en tant que secrétaire d’État à la Francophonie et aux partenariats internationaux. « Je crois que s’il y a un élu qui mérite aujourd’hui d’être ministre, je suis convaincu que ce soit Thani. Il le mérite par son parcours, par son engagement pour ce territoire et aussi cette modestie qu’il a. Ce respect envers tout le monde a fait qu’il en est là aujourd’hui », complimente le président du conseil départemental de Mayotte, espérant compter sur un Mahorais dans ce nouveau gouvernement.

Rédacteur en chef de Flash Infos depuis 2022. Passionné de politique, sport et par l'actualité mahoraise, ainsi que champion de saleg en 2024. Passé un long moment par l'ouest de la France, avant d'atterrir dans l'océan Indien au début de l'année 2022. Vous me trouverez davantage à la plage quand je ne suis pas à la rédaction.

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