la filière bio à Mayotte, bientôt une réalité ?

Quatorze agriculteurs et quatre partenaires s’étaient donné rendez-vous ce mardi à la SCEA Vahibio, pour signer un passeport bio. Un premier pas qui les engage dans une démarche de conversion, avant la certification et la structuration de la filière sur l’île aux parfums.

Sortie de Vahibé. On accède à la parcelle par une piste de terre rouge cabossée et sinueuse, où les rares morceaux de bitume élimé laissent apparaître ici et là de méchants trous caillouteux. Puis encore quelques mètres à faire au milieu de la brousse, avant un petit saut au-dessus d’un cours d’eau à sec. Quelques pas de plus sur les herbes folles et trois bananiers plus tard, voilà l’exploitation Vahibio ! Presque trois hectares bien touffus, où les manguiers côtoient les jeunes cacaoiers, et où abeilles et papillons viennent butiner les arbres à litchi en fleurs. Ici, tout pousse un peu de façon anarchique. Ou plutôt naturelle. “Vous voyez là, c’est la saison sèche, on n’a même pas désherbé. De toute façon, tant qu’on ne cueille pas, on n’arrache rien !”, lance Dominique Labotte en pointant un versant en friche. “C’est simple, ça fait 22 ans qu’on est sur ce terrain et qu’on ne met rien dessus ! Certains arbres n’aiment pas ça d’ailleurs”, sourit cette convertie à l’agriculture, avec un air espiègle. Rien, cela signifie bien sûr aucun produit chimique ou phytosanitaire.

Et c’est d’ailleurs pour cette raison que Dominique Labotte et son mari Wirdane Mkadara avaient donné rendez-vous à plusieurs agriculteurs ce mardi, pour la cérémonie officielle de signature des passeports “bios”. À l’origine de l’événement, une initiative lancée par les membres du projet partenarial pour la structuration de la filière Fruits et Légumes de Mayotte, que sont la Coopac (coopérative des agriculteurs du centre), l’Ucoopam (union des coopératives de Mayotte), l’EPFAM (établissement public foncier et d’aménagement de Mayotte), et le lycée agricole de Coconi. Leur projet, financé par le FEADER (fonds européen agricole pour le développement rural) et l’ODEADOM (office de développement de l’économie agricole des départements d’Outre-mer), vise au développement de la production de fruits et légumes pour répondre aux attentes de la population de Mayotte en termes de qualité, quantité et disponibilité. En tout, un budget de 1,1 million d’euros réparti sur trois ans, doit permettre l’accompagnement administratif et technique des producteurs, l’expérimentation de méthodes de production, d’approvisionnement et de commercialisation.

Pas encore de label AB

Aujourd’hui, la première convention arrive à son terme, et l’enveloppe a déjà permis d’accompagner 14 agriculteurs de Mayotte, principalement du centre de l’île. “Beaucoup sont déjà bio techniquement, mais c’est vrai qu’il y a encore du travail à faire sur l’aspect administratif, par exemple sur la compta, sur le suivi des cultures, des choses qui ne sont pas forcément dans la culture mahoraise”, explique Laurent Guichaoua, producteur maraîcher affilié à la Coopac. Or pour bénéficier du petit logo vert “AB” apposé à ses produits, il faut en effet remplir un cahier des charges bien précis, qui fait l’objet d’un contrôle régulier par un organisme certificateur. Et pour les agriculteurs mahorais engagés désormais dans cette démarche, c’est la prochaine étape à franchir. C’est pourquoi un comité de pilotage est prévu prochainement avec la direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DAAF), pour expliquer la nécessité de poursuivre leur accompagnement. “D’autant que ce projet a permis de faire du lobbying pour obtenir l’application d’une mesure du PDR (programme de développement rural) à Mayotte, qui rend possible l’aide à la conversion pour les agriculteurs inscrits dans cette démarche bio”, appuie Cécile Morelli, chargée de mission à l’EPN de Coconi.

Des “bio pilotes” pour développer la filière

Cette cérémonie était donc à la fois l’occasion de faire le bilan des actions passées, et de poursuivre cette lancée ensemble, partenaires comme agriculteurs, en signant ce passeport “bio”. Les premiers s’engagent ainsi à continuer leur accompagnement ; les seconds, surnommés pour l’occasion les “bio pilotes”, à communiquer et échanger sur leurs pratiques pour une meilleure diffusion de ce mode de production sur tout le territoire mahorais. “Notre but est vraiment de structurer cette filière de l’amont à l’aval, c’est-à-dire de l’intrant, du produit, au conseil technique jusqu’à la commercialisation”, déroule Pierre-Emmanuel, le coordinateur du projet.

Au moment de signer, les premiers ambassadeurs du réseau ont déjà bien intégré le discours. “Je fais de l’agriculture depuis cinq-six ans et j’ai vu les dégâts avec les produits phytosanitaires donc je n’aime pas ça”, confirme Taoussi, un maraîcher de Mroalé. “Je n’en veux pas car cela fait des dégâts dangereux”, résonne Antouria, qui commence tout juste à cultiver son champ à Combani. Établie depuis un peu plus longtemps, Fatima Daoud a quant à elle deux exploitations et s’est lancée dans le maraîchage depuis trois ans “pas tant car ça me plaît, mais parce qu’il faut bien gagner des sous”.

Le bio, un défi pour les maraîchers de Mayotte

Or, comme l’explique Valérie Ferrier, maraîchère à Combani, ce type de culture, pratiqué de manière intensive et cible des parasites, a plus de difficultés à se passer d’intrants chimique. En 2019, le sénateur Thani Mohamed Soilihi évoquait d’ailleurs cette caractéristique nouvelle pour l’île aux parfums, dans une question adressée au gouvernement. “À Mayotte, où la quasi totalité de la production agricole est destinée à la consommation, on a pendant longtemps estimé que la certification « agriculture biologique » était superflue tant la culture des produits locaux était assimilable à celle des produits biologiques”, rappelait-il en s’appuyant sur une étude publiée en 2017 par la DAAF de Mayotte, qui attestait ce potentiel de labellisation. “Pourtant, depuis quelques années, les services de l’État constatent un recours accru aux produits phytosanitaires, notamment dans le secteur maraîcher”.

D’où le défi qui repose sur les épaules de cette quinzaine d’agriculteurs. Pour eux, le challenge est même économique. “J’ai l’habitude de dire que je fais tout naturellement, mais c’est vrai que certains clients demandent la certification”, acquiesce Fatima Daoud. Surtout, celle qui vend ses produits tous les dimanches au marché de producteurs de Chirongui a vu débarquer une nouvelle concurrence. “Il y a des revendeurs qui viennent, et ça fait un peu peur, tous les produits se mélangent sans distinction”, raconte-t-elle. “Raison de plus pour obtenir la certification !” Reste que la route est longue. D’autres initiatives ont bien été lancées par le passé, mais elles se sont heurtées aux difficultés du territoire, comme l’absence d’organisme certificateur sur place. Résultat, le coût de la certification peut vite revenir cher pour l’agriculteur, s’il faut compter le billet d’avion depuis la métropole… “Mais avec le réseau que nous sommes en train de construire, nous pourrons justement mutualiser ces coûts à l’avenir”, répond Laurent Guichaoua. En attendant le petit autocollant vert, les agriculteurs devront pour l’instant se contenter d’une communication orale, pour informer sur leur démarche de conversion. Et il leur faudra sans doute encore jouer un peu des coudes pour séduire une clientèle en quête de produits sains.

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