Inflation, économie locale, ramadan : “Une situation tellement inédite qu’il est impossible de faire des prédictions”

Avec les difficultés d’approvisionnement et la paralysie de l’économie, l’inflation va-t-elle devenir le nouveau fléau post-confinement ? Lors de la séance de questions au gouvernement du Sénat le 25 mars dernier, la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances Agnès Pannier-Runacher, avait assuré que le gouvernement suivait de près l’évolution du prix des denrées alimentaires “dans un contexte où les coûts de production et de transport pour amener ces produits au plus près des Français augmentent”. À Mayotte, où éloignement et vie chère participent déjà à la hausse des prix en temps normal, le sujet pourrait effectivement devenir problématique. Mais “avant l’inflation, il y a la question des revenus de la population”, et de l’approche du ramadan, s’inquiète Jamel Mekkaoui, le chef de service de l’INSEE à Mayotte. Entretien.

Flash Infos : Avec le confinement, on constate des ruptures de certains produits dans les enseignes de grande distribution. Le 17 mars, le secrétaire général de Force ouvrière avertissait déjà sur la flambée des prix dans certains commerces, en prenant l’exemple des packs de bouteille d’eau à Mayotte passés de 6 à 9 euros. Ce genre de constat sur certains produits de grande consommation relève-t-il davantage d’un ressenti des consommateurs ou d’une réalité économique ?

Jamel Mekkaoui : Malheureusement, compte tenu du confinement, nous avons dû arrêter de faire des relevés des prix, et ce pour protéger nos agents mais aussi éviter qu’ils ne deviennent eux-mêmes des vecteurs de propagation. À partir de mi-mars, nous avons donc stoppé la collecte de données sur le terrain. Au niveau national, ils ont pu substituer une partie de la collecte terrain par de la collecte internet, car certains distributeurs ont des drive en ligne. Mais ce n’est pas le cas à Mayotte… Nous n’avons donc pas de système d’objectivation.

FI : Mais avec la forte demande sur certains produits de grande consommation et les difficultés d’approvisionnement, l’hypothèse d’une inflation à Mayotte vous semble-t-elle plausible ?

J.M. : C’est un sujet qu’il faut surveiller, mais pour l’instant nous n’avons pas d’alerte. Très honnêtement, nous manquons toutefois cruellement de visibilité. Et nous vivons des situations tellement inédites qu’il est impossible de faire des prédictions. Nous restons sur une analyse au jour le jour, et savoir ce qu’il se passera dans un mois est très difficile. Mais s’il y a bien un sujet qui nous préoccupe, très présent dans le débat public, c’est celui du manque de nourriture pour une partie de la population. Or, deux variables influent sur cette thématique : celle de la hausse des prix, bien sûr ; mais avant cela, celle des revenus mêmes des ménages. Et là, le problème est déjà bien visible, avec l’interruption de l’économie informelle.

FI : En effet, à Mayotte, 2/3 des entreprises sont informelles. Avec le confinement, une part de la population qui dépend de cette “vente en bord de route”, risque de manquer de ressources, financières et alimentaires. Pour autant, cette économie informelle peut-elle jouer un rôle dans le rebond de l’économie en sortie de crise ?

J.M. : Il s’agit en réalité d’une économie de subsistance, et donc davantage d’un phénomène social que d’un phénomène économique. Les “vendeuses des bords de route” n’étaient pas là pour le loisir mais dans une optique de subsistance, et les contours de leur fonctionnement, notamment leurs sources d’approvisionnement sont encore flous. Donc il est difficile d’analyser leur participation à l’économie locale. En fait, la situation est très particulière ici, à Mayotte, car nous sommes dans une

société intermédiaire avec des caractéristiques de pays développés et de pays en voie de développement, ce qui soulève naturellement des enjeux différents. Une des questions clés, par exemple, c’est celle du ramadan qui approche. Et avec lui, avant même la question des prix, se pose celle de la disponibilité des produits, à laquelle participe cette économie informelle. C’est déjà difficile dans une période comme celle-là de faire face à la demande ; là, la situation va soit s’amplifier, soit radicalement changer. En temps normal, on note une consommation accrue de bananes, de manioc, de fruits à pain… Pour ces produits, il y a un peu d’importation certes, mais le manioc, le fruit à pain, nous viennent surtout de la production locale qui nécessite beaucoup de déplacements. Or, si dans deux semaines nous sommes encore en confinement, ce qui semble d’ailleurs se dessiner, la question sera de savoir si la population pourra trouver de quoi subvenir, ou si nous allons assister à des changements de comportements de consommation. Et c’est justement cette économie-là, que je qualifierais de vivrière, qui sera l’objet de nos attentions. Car les grandes surfaces, elles, continueront a priori d’être approvisionnées, en boîtes de conserves et produits de toutes sortes qui leur arrivent par le port de Longoni.

FI : Cette situation exceptionnelle peut-elle avoir un impact sur le bouclier qualité/prix, cette liste de produits de consommation courante vendus à un prix modéré ?

J. M. : Non, je ne pense pas, il s’agit d’un accord, et il n’y a pas de raison que les grandes surfaces ne respectent pas les règles du jeu. Non, là où la question se pose bien davantage, c’est justement pour ces produits qui sortent du champ étatique, comme le manioc, le fruit à pains. Là, il y a de quoi surveiller ce qu’il se passe, surtout à l’approche du ramadan. Signe de l’importance de cet enjeu que représente le ramadan, très spécifique à notre territoire, le préfet a d’ailleurs réuni des experts autour de lui. Car la période à venir risque d’être très compliquée à gérer : il s’agit d’ordinaire d’un mois festif, axé sur le vivre ensemble, les prières collectives… Autant de composantes qui ne sont pas vraiment compatibles avec le confinement.

 

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