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Enquête : Mayotte roule-t-elle toujours pour les cadis ?

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Amour, sexe & séduction

Un salouva pour souligner les formes, une danse pour être sexy, des regards et des senteurs, ou encore des soins du corps : à Mayotte, la séduction est un art. Mais comme tout dans cette société en constante évolution, cette séduction change et s'adapte, tout en gardant ses caractéristiques. Une séduction qui s'encanaille aussi, car aujourd'hui le sexe est de moins en moins tabou sur l'île aux parfums. Et si la pudeur est encore de mise, on hésite de moins en moins à se faire plaisir avec des jouets coquins. À l'occasion de la Saint-Valentin, Mayotte Hebdo s'est penchée sur les petits secrets des unes et des autres. Croustillant !

Tradition : la circoncision, ça se fête ! 1/3

On entend un peu tout sur la circoncision, affolant parfois certains et heurtant d'autres cultures. Les anciens sont pour, les nouvelles générations aussi, mais à condition que la pratique soit fiable et exercée par un professionnel de la santé, loin de ce qui se faisait jadis. D'autres plus réticents s'interrogent : Est-ce dangereux ? Pourquoi le jeune garçon doit être circoncis ? Comment se déroule l'acte ? Et de l'autre côté, qu'en est-il des événements religieux et culturels en lien ? Mais en fait, tout simplement, la circoncision, quésaco ? Quelle place tient-elle dans notre société mahoraise ? Autant de questions qui subsistent. Réponses dans notre série de la semaine.

 

Le voulé: toute une histoire

Amical, politique, pédagogique, sportif ou encore électoral, mais toujours festif : à mayotte, le voulé se consomme à toutes les sauces. mais si l'évènement est courant, pour ne pas dire obligatoire, peu savent à quand il remonte et quelles sont ses racines.

« J’ai mis du temps à réaliser que je devenais une prostituée »

À 25 ans, Naima* est maman d'un garçon de dix ans. Ayant arrêté l'école au collège après sa grossesse, l'habitante de Trévani, originaire de Koungou, n'a jamais travaillé. Les écueils de la vie l'ont mené petit à petit à se prostituer durant quelques années pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Depuis un peu plus d'un an, Naima a pris un nouveau tournant : elle ne fréquente plus ses clients et suit une formation professionnalisante dans l'espoir de trouver rapidement un emploi. 

“Cadi : juge musulman remplissant des fonctions civiles, judiciaires et religieuses. Le cadi est un juge de paix et un notaire, réglant les problèmes de vie quotidienne : mariages, divorces répudiations, successions, héritages, etc.”

Les pancartes sont passées de couleurs. Sur certaines d’entre elles, on ne distingue plus que le contour des lettres usées par le temps et les intempéries : “Tribunal des cadis”, peut-on y lire. Toute une institution pour Mayotte. Un pan d’histoire, un pan de culture, surtout. L’acte de cession de Mayotte à la France n’a-t-il pas été rédigé par le cadi Omar Aboubacar ? Si. Preuve de l’importance que ces juges musulmans ont eue dans la société locale. C’était hier encore.

Lorsqu’Ibrahim a épousé Aïrata, il y a 19 ans, c’est en effet le cadi qui a officialisé l’union. Plus tard, alors que son père venait de mourir et qu’un différend agitait la famille sur une question d’héritage foncier, c’est le cadi qui a tranché. Idem lorsque sa femme a voulu divorcer : la séparation a été prononcée par le cadi, là encore. Nous étions à l’aube des années 2000, et le droit commun français cohabitait alors avec le droit coutumier, respectant ainsi la déclaration du commandant Passot en 1841 : “La France s’engage à respecter les coutumes et traditions des Mahorais.” Dans les tribunaux de justice cadiale, le cadi reçoit les uns et les autres, conseille, tranche, et son greffier rédige les actes officiels. En somme, écouté et respecté, le cadi est au centre du fonctionnement de la société. Certes, leur activité judiciaire diminue au fur et à mesure que l’application du droit commun progresse ; certes, les Mahorais s’en remettent de plus en plus à la justice républicaine, mais leur importance demeure réelle. Ils sont encore un repère dans cette société en pleine mutation.

Mieux : malgré un certain nombre de reproches quant à sa formation et son objectivité, l’État français confie à l’administration cadiale des tâches d’importance, comme celle du suivi de l’état civil. Un lourd, très lourd dossier, allant de pair avec la départementalisation à venir.

Celle-ci arrive un soir de 2011. Au 31 mars, Mayotte devient le 101ème département français. De fait, une seule justice doit être appliquée. Le glas de la justice cadiale a sonné. Les cadis n’ont plus de rôle officiel ni juridique. Après cinq siècles, leur importance n’a de cesse de s’amenuiser, leurs attributions aussi. Tout en restant des agents du Conseil départemental (depuis 2004, ils étaient avant cette date rémunérés par l’État même), ces notables ancestraux commencent à tomber en désuétude.

Une société partagée

Dans un sondage que nous avons lancé sur les réseaux sociaux, la société mahoraise est partagée. Si, pour un peu plus d’un tiers (35 %) d’entre elle, les cadis n’ont plus aucune importance et “N’ont plus de raisons d’être”, les votants sont presque tout aussi nombreux (33 %) à considérer que les cadis restent des référents moraux aux conseils parfois avisés. Une vingtaine de pourcents considèrent même qu’ils demeurent malgré tout des références très importantes dans leur vie. Enfin, 10 % des participants déclarent regretter la disparition des cadis, jugeant “Les instances de la République pas toujours adaptées à Mayotte.” En somme : une société partagée sur la question. Une société en pleine évolution. Mais de quel attachement s’agit-il exactement ?

“Un attachement avant tout culturel”, explique Abdou, mahorais de 26 ans. “Les cadis sont une sorte de référence morale traditionnelle”, complète Abdallah, deux ans de moins, qui précise : “Pour notre génération, il n’est plus question de se référer à la loi musulmane à laquelle les cadis se rattachent, mais les personnages sont encore respectés. Disons que nous ne prenons pas leurs paroles comme argent comptant, mais ils tiennent quand même un rôle de sage, en quelque sorte.” Un rôle de conseil ? “Oui voilà, ils peuvent apporter une sagesse et des conseils.”

Pour le cadre quarantenaire Ibrahim, qui comme nous l’avons vu plus haut, avait eu recours à plusieurs reprises à la tradition des cadis, les choses ont changé. Il en témoigne sans gêne : “La société a évolué aujourd’hui, et tant mieux. Je respecte les cadis et leur autorité, le repère traditionnel qu’ils représentent pour Mayotte, mais je crois qu’une large majorité de la population se satisfait du droit commun. Il est peut-être plus équitable, moins centré sur la tradition, la religion. Les choses évoluent, c’est normal. De nos jours, la religion a moins de poids, les gens sont moins contraints de faire avec. Si les cadis ne représentent plus la même autorité juridique, ils gardent quand même une place importante, je crois. Mais surtout d’un point de vue culturel.” Et de conclure en comparant à la référence morale que peut encore, chez les chrétiens, représenter le prêtre : “En Occident, tout le monde préfère avoir une justice séparée de la religion. Cela n’empêche pas de respecter l’homme religieux et parfois de lui demander conseil, ou lui parler. Mais en considérant ses paroles comme ce qu’elles sont : une autre vision des choses, qui n’est pas forcément une vérité absolue.”

 

Le retour du cadi ?

 

Une conception de l’autorité morale qui a évolué, donc, mais à laquelle la population semble toutefois garder une forme d’attachement. Partant de ce constat, le Département a souhaité “réhabiliter” l’instance cadiale, en lui donnant une mission plus adaptée aux évolutions de la société. Point de départ de ce changement de cap : la flambée de violence qui a frappé Mayotte l’an dernier. “Il a paru évident aux élus que les jeunes étaient en pleine perte de repère. La société change, les jeunes prennent de mauvaises habitudes, encore plus ici qu’en métropole. On voit des comportements à Mayotte que l’on ne voit nulle par ailleurs en France”, explique Younoussa Abaine, qui coordonne l’action des cadis pour le Conseil départemental. En mai 2016, une mission est donc mise en place par le Département afin que les cadis opèrent une médiation et participent, avec leurs compétences, à apaiser les tensions. Cette mission se transformera ensuite en Direction de la médiation, de la conciliation, et du règlement des conflits, dont Younoussa Abaine est le directeur général. L’idée est là : utiliser la figure morale du cadi, encore bien présente, pour faire de la médiation. Les anciens juges musulmans sont donc en passe de devenir des médiateurs sociaux. Dès ce mois-ci, la nouvelle Direction devrait être opérationnelle : “À Mayotte, reprend Younoussa Abaine, il est particulièrement important pour les jeunes de garder un socle de référence morale.” Si, évidemment, les jeunes sont au centre de la démarche, ce rôle de médiation touchera à des domaines bien plus larges. “Tout type de conflits peut faire l’objet d’une médiation”, précise Younoussa Abaine. Différend foncier, problèmes de voisinage, etc., les cadis seront des intermédiaires directs avec pour but désormais, non de rendre la justice, mais d’éviter d’y avoir recours si cela peut être évité. Conciliation, conseils, médiation : les cadis du 21ème siècle sont en train de naître.

 

►Lors de la marche citoyenne du mois d’avril dernier, faisant suite à l’assassinat d’un père de famille, les cadis faisaient partie du mouvement, appelant à la paix.

 

“En plein dans le rôle du cadi”

 

Mais les cadis, justement, que pensentils de ce renouveau – pour ne pas dire rafraîchissement – de leurs fonctions ? “Les cadis ne sont pas juste des représentants religieux. Ils sont avant tout des représentants de la société. Ils sont pleinement dans leur mission ancestrale car c’est ce qu’ils font déjà depuis des siècles”, commente Ali Ben Kassim, greffier au tribunal du Grand cadi, à Mamoudzou. “Il est important que la société garde ses repères. Lorsque les cadis ont commencé à être dévalorisés sur le plan institutionnel, qu’est-ce qui a pris leur place ? La délinquance. C’était une erreur de les laisser de côté, car ils ont encore un rôle à jouer dans la vie des Mahorais. Un rôle de régulateur, de maintien de l’équilibre social.”

 

Une satisfaction, donc, qui fait suite à un regret. Celui qui a été vécu comme un abandon par la France lorsque, après s’être appuyée sur les cadis et leur aura auprès de la population, l’État les a laissés de côté. Le greffier le raconte : “Les cadis ont toujours fait partie de Mayotte française. Nous nous sommes toujours appuyés les uns sur les autres. Ils en étaient les référents. Nous avons oeuvré côte à côte, avec une envie de vivre ensemble. Les cadis avaient un rôle et ils ont accompli un travail noble, un travail de cohésion sociale. Que la France puisse les oublier ensuite comme elle l’a fait a été ressenti comme une trahison des valeurs de Mayotte.” Et d’espérer que “Nous travaillerons de nouveau main dans la main. Mais si l’on veut effacer notre histoire, alors cela ne mènera à rien. Certes, les choses doivent se faire dans les règles d’aujourd’hui – et les cadis font en sorte de respecter cela -, mais pour que notre action soit efficace, il faut que nous puissions aussi agir comme nous en avons l’habitude. Alors là, oui, notre médiation peut avoir des effets importants.”

 

De leur constat, d’ailleurs, la population n’aurait jamais tout à fait oublié la justice cadiale. En 2011, le journal Libération mettait l’accent sur leur la désertification des tribunaux cadiaux à la veille de la départementalisation. Un phénomène qui, selon Ali Ben Kassim, n’aurait pas duré : “La première année du département, c’est vrai, beaucoup moins de Mahorais sont venus nous voir. Mais dès l’année suivante, les consultations ont repris. Les gens se sont rendu compte que le tribunal de la République n’était pas toujours adapté.” Pudeur, délai d’attente, demande de conseils, plus grande liberté de s’exprimer devant un cadi : il est vrai que durant notre entretien d’environ une heure avec le greffier, plusieurs personnes sont venues solliciter un rendez-vous avec le Grand cadi.

 

►Les cadis de Mayotte conviés par les élus du Département. S’ils n’ont plus de reconnaissance juridique, ils restent des intervenants privilégiés auprès de la population.

 

Mayotte : laboratoire de l’Europe ?

 

Pour autant, doit-on considérer que, même s’il s’agit désormais de médiation sociale, le recours à une autorité religieuse soit aujourd’hui bien perçu ? “Nous ne sommes pas focalisés sur le droit musulman, poursuit Ali Ben Kassim. L’État ne doit pas nous considérer comme des imams de Syrie ou d’ailleurs. Le rôle du cadi est surtout celui de conseil, et l’islam de Mayotte est à prendre en exemple.”

D’ailleurs, le centre universitaire a inauguré l’an dernier, conformément à la demande du Ministère de l’Éducation, un diplôme universitaire Valeurs de la république et islam, dont la promotion était constituée justement des cadis et de leurs greffiers. Preuve, finalement, d’une confiance de nouveau accordée.

 

Ainsi donc, l’intégration des cadis dans un rôle de médiation sociale, de manière tout à fait officielle, pourrait être un modèle de cohabitation entre islam et République ? “Dans ce territoire musulman à 90 %, à une époque où l’on conceptualise un islam de France, et où l’on essaye de le coordonner, Mayotte peut être un laboratoire pour la métropole, et même l’Europe, se réjouit le directeur Younoussa Abaine. Ici, comme au ministère de l’Intérieur, on pense que l’islam de Mayotte est un islam tolérant qui peut aider à la cohésion sociale.”

À ce titre, il est vrai que le 101ème département français est invité régulièrement à participer à des colloques et forums sur les questions de dimension religieuse et de dialogues interculturels. Dernier en date : le Forum mondial 2016 de la démocratie, durant lequel Younoussa Abaine est intervenu pour aborder le projet de direction départementale intégrant les cadis.

D’ailleurs, le responsable est très confiant sur cette nouvelle responsabilité sociale donnée aux dignitaires religieux. Il le dit sans détour : “On ne peut pas se plaindre. L’État tient compte de nous, nous sommes invités à toutes les réunions.

Nous sommes respectés justement parce que nous prenons nos responsabilités, et que notre direction souhaite prendre toute sa part et apporter sa contribution dans le travail que mènent l’État et les communes. Le monde dans lequel nous vivons le montre : chacun doit prendre sa place, contribuer à améliorer la situation, échanger avec les autres. C’est une nécessité.”

►Les résultats de notre sondage lancé sur les réseaux sociaux. Il en ressort un attachement à la fonction des cadis, même s’il semble plus s’agir d’attachement culturel.

 

Mais au fait, comment devient-on cadi ?

Mayotte compte 21 cadis. Ces hauts dignitaires religieux, aux fonctions également juridiques, ont connu ces dernières années une baisse de leur influence. Départementalisation, occidentalisation de la société, arrivée de la justice de droit commun ont amenuisé les responsabilités qu’ils ont pu tenir, jusqu’à ce que le département choisisse de les remettre au goût du jour en en faisant des médiateurs sociaux. Mais au fait, comment devient-on cadis ? “Traditionnellement, dans chaque village, avant de devenir cadi, une personne était avant tout pressentie pour le devenir”, indique-t-on à la Direction de la médiation, de la conciliation, et du règlement des conflits, qui détaille : “La personne en question était pressentie pour sa noblesse, c’est-à-dire sa connaissance religieuse, et son aura dans le village.” Plus tard, lorsque l’État, à travers la préfecture, s’est chargé du recrutement des cadis, il était nécessaire de passer un examen. Les cadis étaient alors recrutés sur concours, et investis par le préfet, après avis du Procureur de la République et d’une commission présidée par le président du Tribunal supérieur d’appel et composée de quatre personnalités religieuses, désignées par le préfet et le Grand cadi. Depuis la décentralisation de 2004, et la reprise en main des tribunaux cadiaux par le Conseil départemental, “Nous sommes revenus à un mode de recrutement basé sur les connaissances religieuses, diplôme à l’appui, d’universités étrangères par exemple”, explique la Direction de la médiation. Étrangères mais pas seulement. Rappelons que cette année, le premier diplôme universitaire Valeurs de la République et Islam a été inauguré par le centre universitaire de Dembéni. Cette année d’ailleurs, celui-ci est renouvelé, de manière plus large : Valeurs de la République et religions. Toutefois, si “Les candidats cadis ne manquent pas”, comme l’explique le Département, “Peu de recrutement ont eu lieu ces dernières années, faute de budget.” Conséquence : certains cadis sont partis à la retraite sans être remplacés. Une situation qui évoluera peutêtre avec leur nouveau rôle de médiateurs sociaux.

 

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