Musique à Mayotte souhaite réintroduire le N’Dzumari sur l’île

Il y a quelques semaines, Musique à Mayotte a mené une mission d’ethnomusicologie sur les îles de Zanzibar sur le thème du N’Dzumari. Instrument traditionnel d’Afrique de l’Est de la famille des aérophones, celui-ci a disparu du territoire pour des raisons religieuses depuis une quarantaine d’années. Constatant un certain assouplissement des dogmes actuellement, l’association tente de le réintroduire afin d’enrichir le panel des instruments traditionnels du département.

Sorte de bombarde au son extrêmement particulier, le N’Dzumari n’est pas un instrument comme les autres. « Il sert notamment à appeler les esprits », confie Cécile Brucker, la directrice de Musique à Mayotte et initiatrice de la mission partie l’étudier à Zanzibar. S’il rythme aussi les moments festifs comme les mariages, les circoncisions et les compétitions sportives, c’est cette fonction animiste qui lui a valu d’être interdit de séjour sur l’île aux parfums. Introduit dans les années 1940 par des Africains, il s’adaptait particulièrement bien aux musiques et danses mahoraises. La légende dit toutefois qu’il réveillait tant de djinns que les veillées ne s’arrêtaient plus, que les femmes en laissaient brûler leurs marmites et que les hommes n’allaient plus à la mosquée. Conséquence : une fatwa a été prise contre cet instrument dans les années 1980. « Le son du N’Dzumari réveille les cœurs par sa fulgurance, il a trait au plaisir, à l’inspiration et à l’ivresse, autant d’aspect qui vont à l’encontre des valeurs de l’islam traditionnel d’où la fatwa prise contre lui », explique Cécile Brucker. Lors de son enquête sur le terrain à Mayotte, la directrice a d’ailleurs constaté que « personne n’osait en parler ».

À Zanzibar, où la lecture du coran est moins rigoriste, il continue d’être largement utilisé. C’est la raison pour laquelle Musique à Mayotte a décidé d’aller l’étudier là-bas en collaboration avec le Musée de Mayotte (Muma) et le ministère de la culture de Zanzibar. L’objectif ? Apprendre à le fabriquer afin de pouvoir le réintroduire à Mayotte. Pour cela, l’association possédait un membre clé qui a été essentiel dans sa mission : le musicien tanzanien Matona. Spécialiste des musiques du monde et créateur de l’académie de musique de Zanzibar, il était le seul membre de la mission à déjà savoir fabriquer et jouer de cet instrument.

Une fabrication obéissant à un rituel précis

Pour étudier le N’Dzumari, les membres de Musique à Mayotte ont obéi à un protocole d’ethnomusicologie précis qui passait au crible tant la fabrication que les utilisations et les techniques de souffle spécifiques à cet instrument. Composé de trois parties, il est traditionnellement conçu à partir de laiton et de deux sortes de bois différents : le cocotier et une variété particulière de palmier. Les facteurs obéissaient jadis à un rituel bien précis pour le fabriquer puisqu’il s’agit d’un instrument sacré. Ainsi, avant de commencer, ils devaient se frotter les mains avec une feuille de bangi puis attacher trois coqs dans la maison : un rouge, un blanc et un noir. Ces derniers étaient par la suite sacrifiés, le sang allant aux esprits et la viande étant cuisinée et distribuée aux villageois.

Étant donné le caractère ambigüe et sacré de l’instrument et la fatwa lancée contre lui, l’École de Musique ne craint-elle pas de s’attirer quelques foudres en le réintroduisant à Mayotte ? « Non, car les mœurs ont beaucoup évolué à Mayotte », assure la directrice qui vit sur l’île depuis la fin des années 90. « En 2008, je ne pouvais même pas faire monter les filles sur la scène. Aujourd’hui, tout cela est terminé. Les Mahorais ont une pratique plus souple de la religion et se réjouissent au contraire que l’on continue à faire vivre leurs traditions. » En effet, l’association a pour principale ambition la transmission et l’art de fabriquer des N’Dzumaris est venu enrichir les ateliers de fabrication d’instruments traditionnels destinés aux élèves. Par ailleurs, cette mission a également été l’occasion de faire quelques acquisitions pour le Muma, les instruments de Zanzibars étant très similaires à ceux de Mayotte. Ainsi, outre les N’Dzumaris, les musiciens sont revenus sur l’île avec des N’gomas, des doufs, des taris (tambours traditionnels) et plusieurs paires de mashévés (percussions que l’on attache aux chevilles).

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