Ben Issa Ousseni : « Le budget Aide sociale à l’enfance-Petite enfance nous inquiète »

Après une longue période de silence et des critiques formulées sur le fonctionnement des services du Département de Mayotte, Ben Issa Ousséni a accepté de briser la glace cette semaine. Dans une longue interview accordée à Flash Infos, il aborde les questions liées à l’économique, au transport, aux sports, à la politique et au social. Elle a été déclinée en plusieurs volets, le premier s’intéressant à l’économie et notamment le budget de la collectivité.

Flash Infos : Le budget 2023 du Département inquiète certains de vos collègues. Qu’en est-il exactement ?

Ben Issa Ousseni : La réalité sur ce sujet est que nous clôturons l’année 2022 avec un excédent budgétaire. J’ai beaucoup de mal à comprendre ceux qui affirment que nous avons dilapidé l’argent du contribuable, en particulier, nos propres collègues conseillers départementaux. J’ai à ma disposition une délibération qui acte un excédent de dix millions d’euros au moment du vote du budget 2022 et de la décision modificative. Et je signale au passage qu’il y a eu une unanimité lors de ce vote (N.D.L.R. les conseillers départementaux ont voté la tenue d’un débat sur le budget, pas son approbation). Les chiffres réels nous indiquent que nous clôturons l’année 2022 avec un excédent de l’ordre de 17 millions d’euros. Donc vous voyez, nous avons amélioré la situation par rapport à ce qui était annoncé. Et ce ne sont pas que des recettes nouvelles, nous avons fait d’importants efforts en matière de maîtrise de dépenses. Le budget général du département pour 2023 est aussi excédentaire, certes pas à un niveau exorbitant, mais cela se situe aux alentours de 15 millions d’euros. Le véritable problème qui se pose aujourd’hui, c’est ce fameux budget annexe Aide sociale à l’enfance-Petite enfance. Il nous inquiète réellement car nous ne savons pas comment faire pour le résoudre.

 

Flash Infos :  Comment procéder pour corriger le tir ?

B.I.O. : J’ai cru lire dans un article que « l’heure du choix est arrivée », et je confirme qu’effectivement c’est le cas au niveau du département. Qu’allons-nous faire pour que ce budget action sociale dont le montant dépasse actuellement les 65 millions d’euros alors que les dotations sont de 24 millions seulement ? Si le conseil départemental devait compenser cet écart, ça se matérialisera par du transport scolaire en moins, des bourses en moins, de même que le soutien aux associations. Oui, on se rapproche de certaines difficultés dues essentiellement à ce budget annexe. Je ne dis pas ici qu’il n’y a pas des difficultés ou des expansions dans le budget général. Le transport scolaire a débordé avec, je ne le cache pas, 46 millions d’euros cette année, contre 28 millions en 2019. Le nombre d’élèves a explosé. On est le seul territoire de la République où on rectifie constamment les chiffres au cours de l’année. Il y a tout le temps de nouvelles arrivées. Les factures évoluent à la hausse d’un mois à un autre parce qu’on va inscrire 20, 30, voir 200 élèves de plus chaque mois sur ce territoire. Donc cette forte démographie a eu raison de ce budget. Il n’y a pas que cela, nous avons fait le choix de l’allotissement (N.D.L.R. les transporteurs se partagent le territoire) sur ce marché pour faire travailler le plus grand nombre et renforcer la paix sociale. Tout le monde constate qu’il y a moins de grèves maintenant dans ce secteur d’activité, mais derrière, il y a eu aussi un coût.

F.I. : Avez-vous eu un retour sur votre demande de prise en charge de l’État concernant les PMI et l’aide sociale à l’enfance ?

B.I.O. : Je rappelle que 91% du public qui fréquente nos PMI (Protection maternelle et infantile) se constitue de non assurés sociaux. Ils sont en totalité à la charge directe du Conseil départemental de Mayotte. Et l’aide médicalisée d’État (AME) n’existe pas dans l’île. Aujourd’hui, cela devient très compliqué pour nous du fait que cette population n’arrête pas de sans cesse augmenter, idem pour les charges, de sorte que nous nous retrouvons dans des difficultés importantes en raison de ce budget social. Les enfants non accompagnés sur ce territoire se constituent à 82 % d’origine étrangère. Nous avons prévenu l’État qu’à défaut d’être accompagnés, nous allons nous retrouver dans d’importantes difficultés. Malgré nos demandes, rendez-vous répétés et nos alertes, nous n’avons aucune suite positive à ce jour. Nous poursuivons donc les discussions pour le budget 2024 et pour la suite. Après presque deux ans de mandats, six rapports de l’Igas (Inspection générale des affaires sociales) et de la Chambre régionale des comptes, on nous fait comprendre qu’une nouvelle mission inter-inspections arrive prochainement… Nous sommes donc dans l’incertitude même si le préfet de Mayotte, avec qui nous travaillons en bonne intelligence, continue à relayer nos analyses et nos propositions. Cela étant, nous tendons, par la force des choses, vers une décision douloureuse mais réaliste : celle de ne plus accueillir les non-affiliés de la Caisse de sécurité sociale de Mayotte (CSSM), les mineurs sans titre ni identité, dès juillet 2023. Comme je le dis souvent, nous ne pouvons garantir des solidarités à un même niveau sans que l’État ne mette la main à la poche !

F.I. : Vous avez laissé entendre qu’il y aurait une réorganisation des effectifs.

B.I.O. : A eux seuls, nos agents représentent une masse salariale mensuelle de 15,5 millions d’euros, tous budgets confondus. Nous nous concentrons sur les départs à la retraite, mais aussi sur l’inaptitude au travail qui caractérise parfois un certain nombre de salariés du département. Ils représentent un poids très important sur la masse salariale. A présent, nous essayons d’améliorer la qualité de nos recrutements, avec des cadres de niveau attaché. Les seuls agents de catégories C que nous recrutons, sans le cacher, sont les médiateurs qui sont passés de 70 à 140 à la fin de l’année dernière. Nous ne voyons pas le bout du tunnel parce-que les problèmes de violence continuent d’augmenter. En matière de sécurité, nous sommes contraints d’avoir des agents de sécurité en nombre ou des assistants familiaux. Je reconnais que dans un département classique, on n’aurait pas eu tous ces postes-là.

F.I. : Que pensez-vous des critiques sur le train de vie du Département ?

B.I.O. : J’en ai beaucoup entendu au sujet des déplacements des élus, messieurs les journalistes. Je vous avoue ma grande surprise à ce niveau-là. Je vous donne juste quelques chiffres. En 2014, notre assemblée comptait 19 élus et nous étions à un million d’euros de frais de déplacement. En 2019, ce chiffre est passé à 1,2 millions d’euros, je passerai sur les deux années suivantes marquées par les restrictions du Covid-19, mais nous sommes encore à 1,2 millions en 2022. Concernant 2023, nous envisageons de poursuivre nos efforts pour obtenir un budget équilibré.

F.I. : Y aura-t-il des conséquences sur les investissements ?  Et dans quelle mesure, avez-vous eu des remboursements de l’État et de l’Europe ?

B.I.O. : Il est certain que pour la période 2023-2024, le Département sera amené à faire des choix. Nous avons lancé des projets très ambitieux, je citerai en particulier l’Hôtel du département qui est à refaire et la cité administrative à Coconi. Ce sont des projets phares qui suivent leur cours. Ils sont financièrement supportés par notre institution, sans bénéfice d’un co-financement, parce qu’ils ne sont pas éligibles aux fonds européens. Ces derniers n’interviennent pas dans ce domaine de la construction de bâtiments propres au département, nous le faisons donc en autofinancement, voire même à ne pas exclure dans l’avenir, avec des prêts que nous serons amenés à négocier. Pour les autres projets, tels que les équipements sportifs, les PMI et autres, nous sommes en train de nous « bagarrer » pour les inscrire dans le plan de convergence ou dans les fonds européens. S’ils ne sont pas éligibles, nous serons obligés de faire des choix. Je pose aussi des questions que d’aucuns ne voudraient entendre, sur le rythme de construction des PMI. Certaines sont co-financées, d’autres pas. Nous allons sans doute devoir ralentir le rythme dans la mesure où nous avons des difficultés pour les faire fonctionner.

Il est vrai que la question commence à se poser pour les équipements sportifs, alors que nous voulons accueillir les Jeux des îles de l’océan Indien en 2027. On parle ici d’équipements qui sont d’emblée déficitaires dans leur fonctionnement. Il faut savoir qu’une piscine olympique n’est jamais à l’équilibre, il faut à peu près un million d’euros par an pour la faire fonctionner. Donc, notre objectif est d’avoir le maximum de co-financements pour tous ces projets. Nous avons mis en place une cellule constituée en partie des directions des finances et de l’aménagement, exclusivement dédiée à la recherche de co-financements pour des projets d’investissement et faire en sorte que les fonds que nous obtenons soient complètement levés. Le GIP « L’Europe à Mayotte », organisme intermédiaire mis en place en partenariat avec la Préfecture, s’est activé dès sa création à rattraper le retard de traitement des dossiers. Une partie du financement des nouveaux amphidromes est, ainsi, subventionné par le Feder (Fonds européen de développement régional) et le remboursement interviendra après la livraison de celles-ci et la remontée des dépenses (factures) des amphidromes auprès du GIP. C’est la même chose pour les travaux du quai numéro 1 et prochainement lorsque nous lancerons les travaux du troisième quai. Ce concept peut être élargi au fonctionnement d’un certain nombre d’équipements et à la maîtrise des dépenses. Je pousse d’ailleurs mes équipes à aller vers le FSE (Fonds social européen) pour nous accompagner sur l’ensemble de nos projets.

F.I. : Le Département a renoncé à taxer certains produits de grande consommation, est-ce que cela a réellement eu impact sur les prix dans le commerce et la grande distribution ?

B.I.O. : S’agissant du carburant, le dispositif que nous avons mis en place a très bien fonctionné, il a profité à tout le monde et Total a bien joué le jeu. Sur l’octroi de mer, la mesure a permis d’atténuer le coût de l’inflation car il allait être beaucoup plus important du côté des distributeurs. Il est vrai qu’il y a eu un gros travail réalisé en arrière-plan, et des contrôles ont été conduits par les services de l’État. Ce qui n’avait pas été le cas précédemment sur les articles d’électroménager qui avaient été déclarés produits de première nécessité. Si nous n’avions pas mis ces mesures en place, il est certain que le prix à l’étalage aurait été beaucoup plus important que ce que connaît actuellement le consommateur mahorais. D’ailleurs, ce travail se poursuit encore.

F.I. : Il a été question d’une diminution sensible des aides et subventions allouées aux associations pour maîtriser les dépenses. Est-ce une mesure temporaire ou s’achemine-t-on vers quelque chose de permanent ?

B.I.O. : Pour 2023, la baisse de ces aides est une réalité. Il n’y a pas que les associations qui subiront cette situation, le monde économique va également être impacté à ce niveau puisque je disais précédemment que nous rencontrons des soucis en matière d’investissement, nous ne dégageons plus de marges. Par contre, avant de poursuivre plus loin, je voudrais répondre à certaines questions posées dans les médias, à savoir, ce que nous avons fait des 50 millions d’euros d’excédent de 2021. Je rappelle que les excédents sont inscrits en investissement dans le budget de l’année suivante. Les gens ont tendance à croire que 2021 n’a concerné que notre prédécesseur, or, ce n’est pas le cas. Dès notre arrivée, nous avons fait l’année et donc avons contribué à dégager cet excédent de 50 millions d’euros. Leur inscription en investissement nous a permis d’accompagner très fortement nos collectivités locales. Nous affectons six millions d’euros au Sdis (service départemental d’incendie et de secours) tous les ans pour construire des casernes un peu partout sur le territoire. Il est extrêmement important que le Sdis se déconcentre sur les territoires éloignés des centres urbains. En matière d’aides économiques, j’ai besoin de disposer du bilan de ce qui ce qui a été réalisé jusque-là, sachant que ces aides ont été accordées sans que nous ayons une connaissance réelle de leur impact sur le système. Cette année, j’ai demandé qu’un travail de vérification soit réalisé en partant de 2018 afin que nous ayons une vision des retombées des 15 millions d’euros qui ont été accordés au monde économique local.

F.I. : Vous parlez souvent du développement économique. Quels domaines souhaitez-vous justement développer ?

B.I.O. : Mayotte a besoin plus qu’ailleurs de développer son économie, surtout dans un contexte de crise économique qui touche les départements et régions d’outre-mer qui connaissent une inflation galopante. Les raisons en sont bien identifiées : crises sanitaire et économique dues à l’épidémie de Covid-19, bouleversement des routes maritimes, multiples conséquences de la guerre en Ukraine,… Mayotte possède des atouts considérables que nous envient nos voisins de la région : des atouts liés à un dynamisme et à une croissance de tous les possibles ; des atouts liés à ses capacités de résilience qui lui ont permis de faire face aux crises économiques successives et à des évènements lourds en se relevant toujours ; des atouts liés aux projets d’infrastructures d’envergure amenés à concerner Mayotte comme la future piste longue, le futur quai n°1 en lien avec les engagements ministériels sur le port, ou bien sûr l’accueil souhaité à Mayotte des Jeux des Iles 2027. Des atouts enfin liés au positionnement géographique de Mayotte : celui d’une région ultrapériphérique de l’Union européenne située stratégiquement au cœur de l’Océan Indien, dans le canal du Mozambique, entre Madagascar et l’Afrique de l’Est. Mayotte peut jouer, mais plus encore doit jouer un rôle moteur pour assurer la stabilité et le développement économique dans cette zone du Canal du Mozambique. Un rôle stratégique, que ce soit pour ses routes maritimes ou pour ses projets énergétiques essentiels à l’approvisionnement des pays d’Afrique de l’Est et dans lesquels de nombreuses entreprises européennes investissent. Mais ces potentialités incontestables de Mayotte ne sauraient trouver de débouchés si nous ne trouvons pas collectivement des réponses à un certain nombre de défis majeurs pour notre île : le défi de l’insécurité des déplacements à optimisés, le défi de la sécurité des biens et des personnes, le défi de la jeunesse à laquelle nous nous devons d’apporter des solutions rapides… Ces solutions donneront de la crédibilité à tout ce que nous mettrons en œuvre, je sais trop combien ces préoccupations de vie quotidienne ont leur importance quand il s’agit de l’image et de l’attractivité de Mayotte et de son devenir.

F.I. : Comptez-vous relancer l’aquaculture ? Le Département va-t-il aider la filière pêche à se professionnaliser ?

B.I.O. : La relance de l’aquaculture va avec l’objectif que nous portons, dans notre projet pour Mayotte (2021-2028), de faire de l’économie bleue un levier solide de la croissance de notre territoire. Parmi les enjeux majeurs qui en découlent, il y a l’aménagement du littoral et l’accès à la mer, aux activités productives (pêche et aquaculture), aux transports maritimes, et à la formation aux métiers de la mer. Il existe, dans les années à venir, un fort potentiel pour orienter l’économie mahoraise davantage vers les côtes et l’océan. Les enjeux de limiter la dépendance alimentaire par la structuration des filières de la pêche et de l’aquaculture ou la sécurisation des sites de production et de stockage pour lutter contre les vols en font pleinement partie.

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