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Elles dénoncent le harcèlement sexuel normalisé à Mayotte

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À l’heure du mouvement Me too et Balance ton porc, le thème du harcèlement sexuel peine à se démocratiser à Mayotte. On n’en parle quasiment pas, pourtant il existe bel et bien dans la société mahoraise. Les femmes en sont les principales victimes, et très souvent elles n’osent pas en parler. Ce type de harcèlement est normalisé dans le territoire, alors que derrière se cachent des victimes qui en souffrent.

« Des collègues hommes se permettent d’avoir des comportements indécents, de faire des remarques sexuelles inappropriées. J’ai beau les remettre à leurs places, ils continuent. » Sitti ose mettre des mots sur son quotidien au travail. Un quotidien pesant, stressant et humiliant causé par certains de ses collègues qui franchissent les limites. « L’un d’eux fait tous les jours des réflexions sur la façon dont je suis habillée, que je sois en tenue traditionnelle ou en tenue moderne. Il parle tout le temps de sexe et de ma poitrine disant que j’ai une poitrine à faire réveiller les morts », raconte la jeune femme lassée par la situation. Le comportement oppressant de cet homme ne s’arrête pas aux mots puisque qu’il tente par tous les moyens d’être en contact physique avec Sitti. « Il fait semblant d’avoir besoin de quelque chose sur mon bureau pour pouvoir me toucher, ou mettre sa main sur mon épaule », selon la plaignante. Pourtant ce n’est pas faute de lui demander d’arrêter, mais l’homme en question ferait la sourde oreille. Pire, il ne comprend visiblement pas la gravité de ses actes et met en cause sa proie. « Je lui ai dit clairement que je ne suis pas intéressée et il m’a traitée de coincée. Le “non” lui donne plus de force pour répéter la même chose », constate tristement Sitti.

Malheureusement, des milliers de femmes à Mayotte sont dans la même situation qu’elle. Le harcèlement sexuel est présent sur les lieux de travail, qu’importe le secteur, mais également dans les espaces publics ou encore au sein de l’entourage de la victime. Fayna* en a fait les frais. Le comportement de certains hommes dans la rue la déstabilise. « Je sais que le harcèlement de rue existe par-tout, mais à Mayotte c’est particulier. Ici, il ne se passe un seul jour sans que l’on me fasse une re-marque sexiste, sans qu’un homme ne s’arrête en bord de route et insiste pour que je monte. Et ils ne comprennent pas quand je leur dis non », confie Fayna.

À cela s’ajoute le harcèlement issu de son cercle d’amis et collègues de travail. « Quand on connaît la personne c’est encore pire, parce qu’il n’y a plus la barrière de l’inconnu. Je ne compte plus le nombre de mes collègues qui me font des propositions indécentes alors qu’ils sont mariés ! », s’indigne-t-elle. La jeune femme dit devoir supporter également des réflexions sur ses tenues vestimentaires. « Certains pensent avoir le droit de me dire de quelle manière je dois m’habiller. Si je montre mes jambes ou mets un décolleté, je suis sujette aux regards accusateurs de certains, et au harcèlement des autres. Ils pensent que mes habits sont un appel pour venir m’embêter », souligne la jeune femme. Désormais, cette dernière s’interdit certaines tenues vestimentaires « pour éviter les problèmes », dit-elle. Elle s’est vue obligée de changer ses habitudes, et une partie de sa personnalité pour ne pas être une proie facile.

 

La normalisation du harcèlement sexuel

 

Fayna et Sitti doivent faire face à leurs bourreaux quotidiennement et doivent supporter la complicité tacite de celles et ceux qui sont censés les soutenir. « J’en ai parlé à mes collègues femmes, mais d’après elles cet homme est ainsi et il ne faut pas tout prendre à cœur. Je ne comprends pas pourquoi elles ne réagissent pas. Alors je me suis tournée vers mon patron et il m’a gentiment fait comprendre que je devais apprendre à accepter les compliments », s’insurge Sitti. Ce type de réaction n’est pas surprenant, le manque de sensibilisation en serait la principale cause selon la sociologue Maria Mroivili. « Beaucoup de femmes à Mayotte ne savent pas reconnaître le harcèlement, parce que nous vivons dans une société très orale où il n’y a pas de barrière. Il faut apprendre aux jeunes filles à faire la différence. » L’éducation doit également se faire auprès des jeunes garçons qui deviendront des hommes. À ses yeux, les hommes des îles ne font pas de distinction entre la séduction et le harcèle-ment, peu importe leur statut social. Et s’ils ne sont pas capables de reconnaître leurs fautes, il sera difficile d’éradiquer le problème.

Ce fléau serait lié au changement des mœurs. « Les anciennes générations maitrisaient l’art de cour-tiser une femme. Alors que de nos jours, la libération des mentalités sur le volet sexuel fait croire à certains que la femme peut être réduite à un objet », explique Maria Mroivili. Cette dernière a aussi constaté une forme de harcèlement dans les espaces de vie communs tels que la barge et les taxis. Ils seraient une source d’angoisse pour une majorité de femmes. « Il existe à Mayotte ce que j’appelle les taxis harceleurs. Bon nombre de chauffeurs harcèlent constamment leurs passagères. Ils font des re-marques sur leurs habits, ils demandent les numéros de téléphone ou si la personne est mariée. Et encore une fois, les autres passagers ne réagissent pas et se font complices. »

 

Le poids psychologique

 

Ce type de comportement n’est pas sans conséquences sur le moral des victimes. Fayna qui subit constamment des remarques déplacées au sein de son entourage et sur son lieu de travail finit par se remettre en question. « À un moment, j’en suis venue à me demander si le problème ne venait pas de moi. Peut-être que mon comportement était ambigu ? Peut-être étais-je trop sexy ? Je me suis même demandée si ce n’était pas moi qui les provoquais mais j’ai vite compris que le problème c’était eux », raconte la jeune femme en pleine prise de conscience. De son côté, Sitti est également passée par cette phase de questionnement, aujourd’hui elle songe à tout quitter pour ne plus subir l’acharnement dont elle fait l’objet. « C’est très pesant psychologiquement. Plus ça avance et plus j’ai envie de dé-missionner parce que je n’ai aucun soutien de mes collègues ou de ma hiérarchie. »

Pourtant, la prise de position de l’entourage est importante dans ce type de situation. Banaliser le harcèlement sexuel pèse sur l’état psychologique. « À Mayotte, on a tendance à dire que c’est de la rigolade, mais à partir du moment où la personne subit ces “blagues” ce n’est pas drôle. Elle a un sentiment de frustration et de honte, elle est complètement désarmée », prévient la sociologue Maria Mroivili. Alors la prise de conscience de toute la société est plus que nécessaire. On le sait, le harcèlement peut conduire la victime vers une profonde dépression, ou pire, elle peut agir désespérément pour mettre fin à son calvaire.

* Le prénom a été modifié

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Mayotte hebdo n°1085

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