« D’ici cinq ans, Mayotte sera le département avec le plus d’enfants autistes en France »

Autisme Mayotte continue son combat pour améliorer la prise en charge quotidienne des enfants et des jeunes adultes autistes sur le territoire. Si plusieurs projets structurants sont en cours de réalisation, le nombre de places disponibles reste insuffisant. Entretien avec la directrice de l’association, Ernestine Bakobog.

Flash Infos : À l’occasion de la journée internationale de sensibilisation à l’autisme, vous avez organisé quatre événements entre le 28 mars et le 9 avril. Quel bilan tirez-vous de ces différents rendez-vous ? Et quelle rencontre vous a particulièrement marquée ?

Ernestine Bakobog : Le bilan est positif par rapport aux retours des participants, qui en redemandent. Ils veulent renouveler les colloques sur l’autisme parce qu’il s’agit d’un sujet très complexe à Mayotte… Les parents ont besoin aussi bien d’informations que de formations. Certains ne savent pas vers quelles structures se diriger pour détecter les troubles du spectre de l’autisme. Actuellement, nous sommes submergés par le nombre d’appels des familles et des professionnels de santé, cela veut dire que ces événements ont eu un impact, même s’il reste beaucoup à faire !

L’intervention de l’agence régionale de santé (ARS), qui nous accompagne depuis le début, nous a beaucoup émue, tout comme celle de Josef Schovanec. La présentation de l’accompagnement des jeunes adultes et des adolescents dans la découverte du corps et de la sexualité et celle des ambassadeurs de l’autisme au lycée de Kahani ont également énormément marqué les esprits. Par rapport à ces derniers, ils participent à l’inclusion de huit enfants autistes depuis 2019 à travers l’organisation d’activités sportives tous les mercredis. Au sein de leur établissement, ces élèves aident et vont vers. Ils ont pour mission de convaincre les familles à agir et de nous les orienter.

FI : Le 1er juin dernier, l’association pointait du doigt l’absence de structures spécialisées sur le territoire… Avez-vous pu avancer sur certains projets avec les autorités compétentes, comme la création d’une plateforme de dispositifs intégrés IME-Sessad ?

E.B. : L’accueil de jour est opérationnel depuis septembre 2021. Avec seulement huit places disponibles, il se retrouve déjà saturé. Dans ces conditions, un jeune ne peut s’y rendre cinq jours par semaine, nous sommes dans l’obligation de mettre en place un système de rotation… Pour ce qui est du centre de diagnostic et de ressource autisme, l’appel à projet est attribué. Il reste la mise aux normes des locaux de Doujani, avant d’envisager son ouverture d’ici deux ou trois mois. Cela sera une avancée énorme par rapport au fait que nous dépendions jusque-là de La Réunion.

Du côté des structures présentes sur le territoire, tout reste à faire ! Nous n’avons que deux instituts médico-éducatif, dans lesquels seulement 20% des places sont réservés pour les autistes ! Forcément, nous avons besoin d’avoir davantage accès aux accueils de jour, aux IME, aux services d’éducation et de soins spécialisés à domicile (Sessad), mais aussi aux écoles maternelles et élémentaires.

FI : Face à ce déficit d’infrastructures, de nombreux parents préfèrent quitter le territoire pour se rendre en métropole et ainsi jouir d’établissements adéquats. Que faites-vous pour accélérer la prise en charge des enfants atteints d’autisme ?

E.B. : Nous comprenons très bien leur position, même si certains parents rétropédalent et reviennent à Mayotte à la suite de l’ouverture de plusieurs IME. Toutefois, un autre problème se pose : la prise en charge des élèves sortis de l’école à l’âge de 16 ans. Les jeunes adultes sont laissés pour compte ! Il n’existe ni dispositifs pour leur insertion professionnelle ni entreprises adaptées…

Face à ce constat, nous ne baissons pas les bras. Au contraire, nous continuons à poser les diagnostics dès que possible et à collaborer avec la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Il faut que les officiels prennent conscience des besoins. Nous partons du principe que si beaucoup d’enfants sont orientés vers des structures inexistantes, ils bougeront ! En attendant, nous faisons notre possible pour les accompagner dans le cadre d’activités de jardinage pour leur permettre d’intégrer des codes sociaux, d’être autonomes et ainsi de se mélanger avec des « valides ». À partir du moment où nous commençons à avoir des adultes qui peuvent travailler dans un champ ou dans un jardin, nous démontrons aux autorités compétentes leur employabilité dans tel ou tel domaine.

FI : La dernière étude de l’institut national de la statistique et des études économiques (Insee) recense pas moins de 1.500 autistes recensés à Mayotte. Comment analysez-vous ce chiffre ?

E.B. : Au sein de l’association Autisme Mayotte, nous suivons 250 enfants et jeunes adultes. C’est très compliqué, ne nous le cachons pas ! Si nous considérons que le territoire recense 300.000 habitants, il y aurait environ 6.000 autistes. Cela représenterait non plus 0.7, mais 2% de la population totale… Et chaque année, 200 nouveau-nés développent des troubles du spectre de l’autisme : c’est tout simplement énorme. D’ici cinq ans, nous serons le département avec le plus d’enfants autistes en France.

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