Avec 139 cas de chikungunya recensés à Mayotte la semaine dernière, dont 58 cas autochtones, les agents de l’Agence régionale de santé (ARS) sillonnent les quartiers, pulvérisateurs en main, pour freiner la progression du chikungunya. Reportage.
Alors que la barre des 100 cas de chikungunya a été dépassée à Mayotte, l’équipe d’Archidine Abdourahamane, technicien sanitaire pour l’Agence régionale de santé (ARS) de Mayotte, cherche à retrouver le domicile d’une personne ayant contracté la maladie. “Il n’y a personne ici et on n’a pas le numéro de téléphone”, relate Zoubert Mouchouaki, un des agents. En ce début de semaine, à Cavani, personne à l’adresse indiquée sur la fiche de renseignement du malade éditée par le Centre Hospitalier de Mayotte (CHM). “Avec Chido il y a eu des déménagements, parfois l’adresse enregistrée par l’hôpital n’est plus la bonne”, explique Archidine Abdourahamane, qui reconnaît que ces défauts d’adressage sont courants.
Depuis l’identification du premier cas autochtone le 26 mars, les autorités ont activé le niveau 2A du plan ORSEC, visant à surveiller de manière accrue la situation épidémiologique et prévenir une circulation virale active sur le territoire. Le niveau 3, qui correspond au stade d’épidémie n’a pour l’heure pas été déclenché, contrairement à La Réunion, qui depuis plusieurs mois a enregistré près de 50.000 cas et 12 décès. À Mayotte, l’ARS enregistrait vendredi dernier 139 cas dont 58 autochtones sur le territoire.
Recours à l’Aqua K-Othrine
Désormais, après chaque cas de chikungunya enregistré par le CHM, l’ARS intervient au domicile du malade pour une démoustication dans un rayon de 150 mètres, afin d’éviter que la maladie, pour l’heure surtout concentrée à Mamoudzou et en Petite-Terre, ne se propage. “Les gens ont tendance à se soigner eux-mêmes. Mais il est important qu’ils aillent à l’hôpital pour que leur cas soit déclaré”, insiste le technicien sanitaire. Après avoir prévenu les mairies concernées de l’heure d’intervention afin que les riverains puissent anticiper et fermer leurs fenêtres, les agents pulvérisent de l’Aqua K-Othrine, un insecticide couramment utilisé en France pour lutter contre le moustique tigre.
Un passant inquiet profite de voir le camion estampillé du nom de l’institution pour se renseigner sur la nocivité de l’insecticide utilisé. Archidine Abdourahamane se veut rassurant et précise qu’une exposition ponctuelle a peu de chances d’engendrer des dangers pour la santé, mais “c’est un produit qui reste malgré tout un produit chimique” et “le risque zéro n’existe pas”, d’où l’alerte en amont pour que les riverains ferment leurs fenêtres. Les agents manipulant le produit portent en revanche une combinaison de protection, étant régulièrement exposés. “Beaucoup de questionnements arrivent sur les risques liés au produit, et nous prenons bien sûr toutes les précautions avant le traitement, c’est-à dire informer la population de nos futures actions, nous protéger car nous sommes au contact quotidiennement avec ces produits, et éloigner la population”, explique-t-il à Flash Infos plus tard dans la matinée.
Agir lors des cas suspects
Si les agents de l’ARS ont l’habitude à l’année d’intervenir entre une et deux fois par semaine pour lutter contre des maladies vectorielles comme la dengue en pulvérisant de l’insecticide, depuis l’apparition du chikungunya sur le territoire, ces interventions peuvent être au nombre de cinq par jour.
Tandis qu’une partie de l’équipe part au CHM pour revoir les coordonnées des malades introuvables, une autre prend la direction d’un quartier précaire de Kawéni, où plusieurs cas suspects ont été signalés suite à d’autres cas confirmés. Là bas, une femme recroquevillée dans sa chambre souffre de fièvre et de douleurs dans les articulations, symptômes notables du chikungunya. Après avoir échangé avec elle et recommandé à l’ensemble des résidents de consulter en cas de signes de la maladie, les agents de l’ARS distribuent autant de moustiquaires qu’il y a de matelas dans l’habitation et du répulsif. “Il faut le mettre sur les enfants surtout s’ils sont torse nu et qu’ils vont dehors”, recommande Archidine Abdourahamane aux adultes de la maison, avant de leur préciser que le moustique tigre, vecteur du chikungunya, vit essentiellement en extérieur.
Prévenir la population
L’équipe a aussi pour mission de sensibiliser sur les pratiques à adopter pour éviter la prolifération de moustiques. “Avec les coupures d’eau, il y a beaucoup de réserves laissées de côté sans être utilisées. Si ce n’est pas bien couvert, il y a les moustiques qui viennent pondre dedans”, précise Archidine Abdourahamane, qui conseille de ne pas stocker trop d’eau non utilisée ou bien de couvrir les contenants.
Après avoir visité la malade, les agents vont dans une cour voisine, pour s’enquérir de l’état de santé des riverains. Après avoir distribué d’autres moustiquaires, ils demandent à tout le monde de quitter temporairement la cour et de s’enfermer fenêtres closes, le temps de pulvériser l’insecticide puis d’attendre 30 minutes. Une fois l’espace vide, Zoubert Mouchouaki enfile la combinaison intégrale, réserve d’insecticide sur le dos et lance dans les mains. Tandis qu’il asperge la cour, Archidine Abdourahamane et un autre agent partent inspecter une rivière en contrebas. Là, les déchets prolifèrent, véritables nids à moustiques. “Ça fait stagner l’eau”, explique le technicien sanitaire, précisant que l’ARS collabore avec différentes associations pour lutter contre les amoncellements de détritus et ferrailles.
Selon Archidine Abdourahamane, les agents estiment avoir la chance de pouvoir agir en amont d’une possible épidémie pour endiguer la prolifération de la maladie, la situation à La Réunion ayant malheureusement servi d’alerte. Néanmoins, l’état actuel des services de santé après Chido inquiète sur un possible engorgement en cas d’épidémie. Ils espèrent que la saison sèche de plus en plus proche pourra éviter que la maladie ne se propage davantage sur le territoire.
Journaliste à Mayotte depuis septembre 2023. Passionnée par les sujets environnementaux et sociétaux. Aime autant raconter Mayotte par écrit et que par vidéo. Quand je ne suis pas en train d’écrire ou de filmer la nature, vous me trouverez dedans.