Mercredi dernier, le pôle santé mentale du CHM a organisé un colloque pour revenir sur les conséquences psychologiques liées au passage du cyclone Chido six mois après l’événement. Ne mâchant pas ses mots, Virginie Briard, la cheffe du service de pédopsychiatrie du CHM, a parlé d’un « double traumatisme » pour la population : l’évènement en lui-même, mais aussi la manière dont il a été géré par l’Etat.
La santé mentale a beau avoir été déclarée « grande cause nationale 2025 » par le président de la République, elle n’en reste pas moins l’objet de nombreux tabous et d’une grande méconnaissance au sein de la population. Comme l’a rappelé la pédopsychiatre Virginie Briard, au cours du colloque sur les conséquences psychologiques liées au passage de Chido, « la folie » est encore liée dans l’esprit de la population à une manière d’échapper aux conventions socialement acceptées et, par un raccourci simpliste, à des comportements violents. Cette conception, quoique dépassée depuis belle lurette par la psychiatrie, est héritée du Moyen-Age et reste encore prégnante dans les mentalités du 21ème siècle. La psychiatre rappelle pourtant que tout le monde est susceptible de vivre des problèmes liés à la santé mentale au cours de sa vie. C’est encore plus net chez les jeunes chez qui la crise du Covid est venue fragiliser l’appareil psychique. En outre, parler de santé mentale, ce n’est pas obligatoirement parler de « folie ». La santé mentale se définit tout simplement comme « un état de bien-être mental permettant de pouvoir affronter sereinement les aléas de la vie ».
Un psycho-traumatisme collectif
Par sa violence et l’état de dévastation dans lequel il a laissé l’île après son passage, le cyclone Chido est venu faire vaciller la santé mentale d’un grand nombre d’habitants de Mayotte. Les psychologues et psychiatres présents dans l’hémicycle du conseil départemental ce mercredi, ont déclaré qu’il s’agissait d’un « psycho-traumatisme de masse » qui devait être envisagé dans sa dimension collective. « Dans la tête de la plupart des gens, il y a un avant et un après Chido », précise Nazlli Joma, psychologue au CMP. Rogenette Georges, une autre psychologue, s’est attelée à préciser la définition d’un « psycho-traumatisme » en le définissant comme « une souffrance psychique liée à la confrontation brutale à un évènement qui vient remettre en question la vision du monde et les croyances d’un individu ou d’un groupe d’individu ».
Si le traumatisme est souvent lié à une confrontation avec le risque de mort, ce n’est pas toujours le cas et la psychologue insiste sur la dimension très subjective du traumatisme. « Deux personnes peuvent avoir vécu exactement le même événement et l’une en sortir traumatisée et l’autre non. Cela dépend de nombreux facteurs comme le vécu personnel, la présence ou l’absence de soutien pendant l’évènement, etc. », a-t-elle expliqué tout en rappelant que les conséquences psychologiques d’un traumatisme non soigné pouvaient durer toute une vie.
Un déni de la réalité qui rend fou
Pour la psychiatre Virginie Briard, la dimension traumatique de Chido a été double : l’évènement en lui-même a déjà été très traumatisant, mais la manière dont l’Etat l’a géré l’a été tout autant. « Chido et Dikeledi ont dévasté l’île et il a été très difficile de s’extraire de cette désolation. Personne n’avait pris conscience du danger. Il ne s’agit pas de juger, mais il est important aujourd’hui, à six mois de l’évènement, de mettre en mots ce qu’il s’est passé afin de tenter de dépasser ce traumatisme », a-t-elle déclaré. Pour elle, parler de résilience n’a pas de sens à Mayotte car « les traumatismes sont réguliers, ils s’enchaînent donc on s’adapte, c’est tout ! ». Elle estime que les conséquences de Chido ont été si étrangement gérées par les autorités que cela a pu faire vaciller encore davantage la santé mentale des habitants de l’île. « À entendre les décideurs parler dans les médias, beaucoup de citoyens mahorais se sont demandé s’ils habitaient vraiment sur la même île ! Certains se sont demandé s’ils étaient devenus fous ou si c’était les hommes politiques qui étaient devenus fous ! », a-t-elle déclaré en pointant du doigt les divers « mensonges étatiques » et « déformations de la réalité » entendus dans les médias juste après le passage du cyclone.
La psychiatre a longuement détaillé la nature de ces « déformations de la réalité » en évoquant notamment le fait que la plupart des habitants n’avaient pas vu la couleur des aides annoncées à la télé ou encore le fait que les morts n’avaient pas été recherchés avec suffisamment de sérieux. « Juste après le passage du cyclone, le préfet a dit craindre « des milliers voire des centaines de millier de morts » pour finalement n’en annoncer que 35 quelques semaines plus tard en guise de chiffre officiel. Comment encore croire en la parole étatique dans ces conditions ? », a lancé la psychiatre qui va jusqu’à parler « d’un déni de la réalité de la situation par les autorités ». Et le déni peut rendre fou.
Une exacerbation du sentiment d’abandon
Virginie Briard a également mis en avant le fait que l’Etat n’avait pas été capable de protéger la population contre les pillages qui ont suivi Chido. « Il a fallu que les foundis des mosquées lancent un doua lors de l’appel à la prière du 5 janvier pour que les pillages cessent enfin. La religion a réussi là où l’Etat a échoué », a-t-elle déploré tout en dénonçant une nouvelle forme de censure pratiquée par le gouvernement. « Lors de la visite du président Emmanuel Macron, les cadres du CHM nous ont interdit de parler à la presse », a-t-elle révélé.
En conclusion, la psychiatre a estimé que cette gestion malsaine des conséquences du passage du cyclone avait provoqué une perte de repère au sein d’une population déjà traumatisée par la violence de l’évènement en lui-même dont ils n’avaient pas perçu le potentiel de dangerosité en amont. « Le déni de la réalité opérée par les décideurs est venu percuter un fantasme inconscient d’abandon déjà présent au sein de la population », a-t-elle analysé. Des paroles d’autant plus sensées qu’on entend régulièrement les habitants de Mayotte se plaindre d’un abandon de l’Etat français auquel ils avaient pourtant choisi librement de rester attachés dès 1975.
Nora Godeau est journaliste indépendante à Mayotte. Elle couvre les enjeux sociaux, culturels et environnementaux du territoire, avec une attention particulière portée aux voix locales et aux initiatives de terrain.