Crise de l’eau : Un premier « cortège de l’eau » dans les rues de Mamoudzou

Même sans eau, ils ont donné de la voix. Près de 200 personnes ont formé, samedi matin, le premier cortège de manifestants en lien avec la pénurie que connaît le territoire de Mayotte. Entre les critiques adressées à la Société mahoraise des eaux (SMAE), le syndicat des Eaux de Mayotte, la préfecture de Mayotte et l’Agence régionale de santé (ARS), des mesures concrètes sont demandées pour garantir un accès pour tous à de l’eau de qualité. Reportage.

C’était un peu l’inconnu, ce samedi matin, devant le siège de la Société mahoraise des eaux (SMAE). Combien de personnes allaient répondre à l’appel d’une poignée sur les réseaux sociaux ? Car depuis l’annonce du passage aux coupures de 48 heures, la colère monte dans le département mahorais, victime d’une sécheresse inédite. A Kawéni, une centaine de manifestants ont donc voulu se réunir devant le délégataire du syndicat des Eaux de Mayotte en portant t-shirts et banderoles « Mayotte a soif », malgré la chaleur. « On espère que ça prendra de l’ampleur. Mais aujourd’hui, c’est aussi l’occasion de se connaître », admet Andrea, qui est déjà satisfait de voir que plus d’une centaine de manifestants est venue former les rangs cette première mobilisation de l’eau.

Bien entouré par la police, le groupe n’est pas resté longtemps devant les locaux SMAE, fermés ce samedi. Aux cris de « On a soif » ou « Maji Kavu ! », il est parti en direction de la Nationale 1 qu’il a rejoint au rond-point Mega. Patients, les automobilistes y vont de leurs coups de klaxon au passage « du cortège de l’eau » en signe d’encouragement. L’ambiance est bon enfant, le groupe de tête profite que la voie soit dégagée d’un côté pour faire quelques pas de danse.

« Où est passé l’argent des investissements ? »

Au rond-point SFR, la mobilisation s’arrête. Quelques-uns prennent le micro pour raconter leur quotidien ou laisser éclater leur colère. « Cette eau, je ne la ferais pas boire à mon chat », s’insurge une manifestante, tenant une bouteille avec un liquide marronnasse à la main. Des traductions sont faites en shimaoré et en kibushi pour que tout le monde comprenne. Le rond-point passé, la troupe prend la direction du centre-ville, via la route nationale. Andrea, le kiné qui fait partie des organisateurs, en dit un peu plus sur les revendications. « Ce qu’on demande, c’est de la transparence. Ce n’est pas la première fois qu’il y a des promesses qui sont faites », rappelle-t-il, en pointant la fameuse troisième retenue collinaire à Ourouvéni qui n’a jamais vu le jour, l’usine de dessalement de Pamandzi qui ne fonctionne toujours pas à son rendement attendu et la deuxième installation de ce type qui n’est toujours pas sur pied (promise pour « fin 2024 » à Ironi Bé).

« Où est passé l’argent des investissements ? », scandent d’ailleurs les manifestants en arrivant dans le centre-ville, tandis qu’un camion-citerne rempli d’eau passe de l’autre côté de la voie. A plus court terme, les manifestants demandent une baisse des prix des bouteilles d’eau, tandis que beaucoup appellent à l’arrêt des paiements de leurs abonnements SMAE. « En Petite-Terre, un magasin a affiché « prix solidaire » en chiffrant 4,14 euros les six bouteilles de 1,5 litre. La semaine d’après, c’était le même prix, mais avec des bouteilles d’un litre », raconte l’un d’eux.

« Notre caviar, c’est de l’eau »

En bas de la place Mariage, avec d’autres arrivées entretemps, ce sont 200 personnes qui remontent ensemble (le maximum ce jour-là) en chantant ou en tapant des bouteilles vides les unes contre les autres. Arrivées devant la préfecture de Mayotte, côté bureau des étrangers, elles marquent un nouvel arrêt. Cette fois, Balahachi Ousseni, le secrétaire de la CFDT-Mayotte, prend la parole et se montre virulent à l’encontre de l’Agence régionale de santé et son directeur, Olivier Brahic. « Qu’il démissionne et qu’il aille travailler pour la SMAE », lâche-t-il, en référence aux communiqués de l’ARS assurant que l’eau est potable, avant qu’une non-conformité soit détectée à Acoua et Sohoa (l’alerte a été levée dimanche). L’homme est l’un des rares syndicalistes à s’être joint au mouvement. « On ne peut pas ne pas être là. On est tous concernés, peu importe qui organise la manifestation », fait-il remarquer. Accompagnée de son fils, Faoulati prend le micro. « Notre caviar à Mayotte, c’est de l’eau. On va faire un label AOC (N.D.L.R. appellation d’origine contrôlée) et on va vendre le pack dix euros », ironise-t-elle.

Le groupe retient l’idée et repart en direction de l’hôpital de Mamoudzou, où les soignants alertent ces derniers temps sur le cas de bébés qui arrivent en état de déshydratation. Pas d’arrêt ce coup-ci, le cortège ne fera plus que deux arrêts symboliques, devant le conseil départemental et la mairie de Mamoudzou, avant de redescendre place de l’Ancien marché. Des numéros de téléphone sont échangés en vue d’une action prochaine, peut-être en semaine cette fois-ci.

Alors que tout le monde se retrouve un peu assommé par la chaleur pendant ces trois heures de marche, quelques cannettes d’eau pétillante sont distribuées par les organisateurs, qui reçoivent en retour une participation aux frais. « On a trouvé que ça », reconnaissent-ils.

 

Un envoi ou un renvoi ?

A quelques heures du début de la manifestation, Gérald Darmanin s’est fendu d’un message sur les réseaux sociaux au sujet de la crise de l’eau, samedi matin. Le ministre de l’Intérieur et des Outremer dit « avoir décidé, avec Philippe Vigier (N.D.L.R. son ministre délégué aux Outremer), d’envoyer sur place une unité militaire de sapeurs-sauveteurs de la sécurité civile, ainsi que du matériel de potabilisation de l’eau ». Mais est-ce un envoi ou un renvoi ? Pour rappel, une unité de ce genre était déjà à Mayotte cette année, dans le cadre de l’opération Wuambushu. Et à peine les policiers et gendarmes repartis, fin juillet, le gouvernement n’a pas jugé bon de garder sur place les osmoseurs alors que le département fait face à une grave pénurie d’eau. Espérons qu’ils ne viennent pas que pour les forces de l’ordre cette fois.

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