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A Mayotte, « il nous manque un quart des précipitations habituelles »

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Actuellement, l’île de Mayotte est confrontée à un déficit de pluviométrie. Inédite depuis 1997, cette situation fait suite à une saison des pluies exceptionnellement faible et à une sécheresse débutée en juillet 2022. Tour d’horizon sur les raisons et conséquences de cette saison des pluies 2022-2023 avec Floriane Ben Hassen, responsable du centre Météo France de Mayotte.

Flash Infos : Mayotte est confrontée à une période de sécheresse inédite depuis 1997, avec un niveau de pluviométrie très bas, pourriez-vous faire un point sur cette situation ?

Floriane Ben Hassen : L‘année 2022, à l’échelle globale, était une année normale en termes de pluie, mais quand on regarde en détail la saison sèche, de mai à octobre, c’était déjà une saison déficitaire. Quand on regarde, mois par mois, depuis juillet 2022, on a un déficit de pluie sur le département qui se poursuit, puisque même ce mois-ci, en mai 2023, il nous manque à peu près 20 % des pluies. Si on s’intéresse vraiment à la période climatique de la saison des pluies, c’estàdire de novembre à avril, c‘est là où normalement sur une année classique, on doit cumuler 75 % des pluies de l’année. C’est à ce moment qu’il est très crucial qu’il pleuve. Quand on regarde, pour le territoire de Mayotte, il nous manque à peu près un quart de pluie sur cette période-là. Ça veut dire qu’à l’échelle de l’année, c’est un gros pourcentage qui nous manque.

F.I. : Est-ce qu’on a déjà vécu pareille situation ?

F.B.H. : Les pluviomètres situés à côté des deux retenues collinaires, nous disent qu’à Dzoumogné, il a plu 34 % de moins que normalement et sur Combani, 27 %. En termes d’impact sur les ressources en eau potable ça a quand même été une année déficitaire. Si on regarde ce qui s’est passé depuis qu’on a des suivis, c’est-à-dire depuis 1962, à l’échelle du département, 2023 est une année exceptionnelle, la plus sèche en termes de saison des pluies. La saison des pluies 2022-2023 c’est la plus sèche depuis 1997. Sur toute la chronique, c’est-à-dire depuis 1962, c’est la deuxième période la plus sèche que l’on ait vécue. On est quand même sur une année climatiquement exceptionnelle, ça reste un aléa du climat normal, on n’est pas sur quelque chose qui est complètement atypique, puisque c’est logique, le climat varie d’année en année. En météo, quand on dit une année normale, c’est une notion statistique, mais classiquement on va avoir des fortes variations de quantité de pluie à l’année et ça, ça fait partie des aléas normaux de la météo et du climat sur le globe.

En revanche, les scénarios qu’on peut établir pour le futur en termes d’impact pour le changement climatique à Mayotte nous indiquent que on va avoir petit à petit un raccourcissement de la saison des pluies. Donc ça veut dire que l’enjeu du stockage de l’eau à l’avenir sur Mayotte est un enjeu réel. La préservation de cette eau, elle aussi, puisqu’on va avoir une augmentation du nombre de jours de fortes températures. On mesure déjà une augmentation de la température à Mayotte. Ce sont des phénomènes qui seront encore plus accrus dans le futur, à la fois en termes de température globale et de nombre de jours de forte chaleur, c’est-à-dire qui dépassent les 32°. Quand on regarde à la station de Pamandzi qui est la plus vieille qu’on a, on a déjà multiplié par quatre depuis les années 60 le nombre de jours de forte chaleur à Mayotte. On subit déjà les effets du changement climatique sur notre département.

F.I. : L’île a donc vécu une saison des pluies 2022-2023 très sèche. Serait-il possible d’expliquer ce phénomène ?

F.B.H. : Normalement, pendant la saison des pluies, on a ce qu’on appelle un flux de Kashkazi. C‘est un vent qui arrive du nord-ouest, qui passe par les côtes africaines, se charge en pluie, puis arrive jusqu’à nous. C’est l’équivalent du phénomène de mousson en Inde. Le flux qui normalement nous amène la saison des pluies est resté au nord de Mayotte. Il a fait quelques petites incursions, mais sans plus. Ça a été une première raison qu’il n’y ait pas de pluie. On a vu aussi à l’échelle globale du climat que les différents dipôles qu’on peut mesurer dans les océans étaient sur des configurations qui sont des années plutôt sèches et ça s’est vérifié. Un facteur aggravant également, ce sont les plusieurs cycles qui sont passés sur la zone, plutôt au sud du canal du Mozambique. On n’était pas dans la zone des bandes spiralées périphériques, c’est-à-dire dans les zones où il pleut. Ces cyclones ont eu plutôt tendance à aspirer à eux toute l’humidité du canal et donc à assécher notre région. Il aurait fallu qu’ils soient un petit peu plus au nord pour nous apporter des pluies. On a donc été pénalisé par ces gros cyclones.

F.I. : Pourquoi cette année, il a moins plu au Nord que précédemment ?

F.B.H. : Classiquement en saison des pluies, comme le flux de Kashkazi arrive par le nord-ouest, il arrose pas mal le nord, donc toute la région de Combani et Dzoumogné, les zones habituellement les plus pluvieuses de l’île. Comme cette année, les pluies qui nous ont été apportées ne sont pas venues de ce flux, mais plutôt de phénomènes orageux venus de Madagascar, on a eu l’inverse. Les pluies ont eu tendance à rester sur la zone Mamoudzou, Petite-Terre et de Dembéni. C‘est là-bas que l’on a constaté qu’il y avait plus de pluie cette année, ce qui n’est pas une configuration classique.

F.I. : Est-ce que cette situation, d’un point de vue météorologique, est inquiétante ?

F.B.H. : D‘un point de vue météorologique, non, c’est un aléa classique du climat. Cependant, sur ses impacts, effectivement, le fait qu’on ait un déficit en termes de pluie, ça a un impact direct sur la disponibilité des ressources en eau. On constate cette année que les aquifères souterrains se sont moins rechargés, que les rivières sont déjà très basses pour un mois de juin, alors que normalement elles atteignent leur étiage plutôt vers août, septembre et au plus bas en octobre. Comme hydrologiquement parlant, même s’il se remet à beaucoup pleuvoir pour la prochaine saison des pluies, il va y avoir un retard au rechargement de tous ces aquifères. L’impact d’une sécheresse, elle se joue quand même souvent sur une échelle pluriannuelle. En revanche, d’un point de vue des enjeux de ressources en eau, oui, c’est quand même un sujet de préoccupation. Mais aussi d’un point de vue des risques, parce que la terre est très sèche, donc les premières pluies vont probablement partir au lagon et ne pas forcément s’infiltrer. En termes de climat, il est fort probable que les années qui viennent soient des années totalement normales. Cependant, on a déjà des effets du changement climatique à Mayotte et on les mesure. Ce qu’on est en train de vivre, c’est probablement une situation qu’on revivra dans le futur, c’est-à-dire d’avoir une pénurie en eau si on n’arrive pas à s’adapter.

F.I. : Est-il possible de faire un point sur la pluviométrie depuis le début de l’année 2023 ?

F.B.H. : Si on regarde de janvier à juin 2023, on voit que sur le département, au plus bas, il a plu 600 millimètres à Pamandzi et au plus haut 916 mm sur le centre. Si on compare exactement la même carte l’année dernière, de janvier à juin, il avait déjà plu au minimum 900 mm à Pamandzi et au maximum 1.300 mm sur la zone de Combani. Donc, on a quand même là 400 millimètres de différence à peu près par poste pluviométrique.

F.I. : Quelles sont les prévisions qui attendent l’île de Mayotte ?

F.B.H. : Le mois de juin à priori sera un mois de juin assez normal, même si les modèles ne sont pas extrêmement tranchés, ils nous donnent un signal plutôt neutre. Quand on regarde un peu plus loin, c’est-à-dire les modélisations d’ensemble à l’échelle du globe, sur les trois mois qui viennent, on dit que c’est à peu près normal, donc une saison sèche assez classique. Quand on fait une descente d’échelle sur Mayotte, on voit que les modèles nous disent plutôt qu’il va pleuvoir un petit peu plus que normalement. Ça reste quand même à relativiser puisque la saison sèche et une saison où il pleut très peu. On est quand même sur une saison où normalement on perd plus d’eau qu’on en gagne et ça, c’est classique. Lorsque l’on regarde les grands pilotes du climat pour les mois à venir, avec une projection à trois mois, juin, juillet, août, dans le Pacifique, le phénomène El Niño est en train de s’installer. La plupart des indicateurs de son installation commencent à passer au vert.

F.I. : Qu’est-ce que le phénomène El Niño et que va-t-il nous apporter ?

F.B.H. : C‘est une différence de température entre la partie est et ouest de l’océan Pacifique, et aussi curieusement que donc ça puisse paraître, cela a un impact sur la zone océan Indien. Donc l’installation du phénomène, couplé à ce qu’on appelle un dipôle de l’océan Indien positif, c‘est plutôt favorable pour notre région du monde. En général, c’est lié à une année qui va être plutôt pluvieuse, en début de la saison des pluies. Cela se traduit par un début de la saison des pluies à l’heure et plutôt pluvieux. Donc là pour le début de la saison des pluies prochaines, ça veut dire qu’on aurait plutôt des indicateurs au vert. Donc nous ne sommes pas trop pessimistes.

F.I. : Outre les pluies à proprement dit, est-ce que d’autres problèmes peuvent impacter la ressource en eau ?

C’est vrai que c’est un écosystème global et ce qui va faire que l’eau ne ruisselle pas complètement, c‘est la présence de végétation et notamment d’arbres. Le fait qu’il y ait des systèmes racinaires et un couvert végétal, ça va limiter l’évaporation, ça va favoriser l’infiltration. Donc la déforestation a une conséquence directe sur la disponibilité de la ressource en eau, dans les rivières et dans les nappes souterraines. Après, sur la disponibilité de la ressource en eau, il y a vraiment la partie surconsommation entre guillemets, donc à partir du moment on prélève beaucoup dans les ressources naturelles, elles sont moins disponibles et se rechargent moins bien. Et comme on sait qu’on va avoir des jours de forte chaleur qui vont augmenter dans le futur, c‘est certain que l’être humain aura besoin de plus en plus d’eau.

Météo France à Mayotte, une antenne de six personnes

Météo France à Mayotte fait partie de la direction océan Indien et représente une équipe de six personnes, avec un responsable de centre, un technicien d’observation – chargé d’entretenir les stations et l’houlographe, émergé au nord servant à alimenter les modèle marins – et quatre prévisionnistes, qui ont le rôle de « faire les bulletins météorologiques quotidiens, interpréter les donnes, travailler sur l’alimentation des bases en climatologie », explique Floriane Ben Hassen, responsable de centre Météo France à Mayotte. Le rôle de l’antenne est de fournir la météo du quotidien, mais aussi de mettre en œuvre le système de vigilance fortes pluies, vagues, submersions marine entre autres. « Il y a un gros enjeu de météo pour l’aviation, on a un lieu direct avec la tour de contrôle de l’aéroport », complète la responsable.

L’une des principales ambitions pour le centre local est de s’améliorer. « Il y a vraiment une ambition depuis quelques années d’aligner le service rendu aux Mahorais, avec le service que l’on peut rendre ailleurs », révèle Floriane Ben Hassen. Avec une volonté de monter en compétences et de développer les services de Météo France dans le 101e département, un projet de radar est en cours d’étude. L’installation de ce radar serait prévue en Petite-terre, « qui va nous permettre de nous améliorer sur la partie prévision, notamment de la pluviométrie, puisque c’est un outil qui permet vraiment d’améliorer ce domaine ». Léquipe de Météo France a également investi de nouveaux locaux depuis décembre 2022, toujours à Pamandzi, qui offrent des conditions de travail « qui nous permettent de faire plus de choses », reconnait la responsable.

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