“L’école primaire, d’immenses défis pour les communes de Mayotte”. C’est le titre du rapport de la Chambre régionale des comptes (CRC) La Réunion-Mayotte paru le 11 juin. Un état des lieux est mené sur les établissements primaires avant le passage du cyclone Chido. Le fonctionnement, la construction, les réparations et l’entretien des écoles primaires reviennent aux communes tout comme la restauration et le périscolaire.
Faute de places, des cours par rotation
A Mayotte, l’âge médian est de 23 ans, la population est jeune. Contrairement à l’Hexagone qui connaît un recul du nombre d’élèves, le territoire a enregistré une “augmentation de 22 % du nombre d’inscrits à l’école entre 2019 et 2024, portant le nombre d’enfants scolarisés à 63 766 à la rentrée 2024”, présente la Chambre. Face à cette croissance démographique sur le territoire, les établissements manquent de place. Aujourd’hui, le rectorat estime qu’il existe un déficit de 1.200 salles de classe. Cette insuffisance de places a de multiples conséquences. Pour permettre au maximum d’élèves d’être scolarisés, un système de rotation a été mis en place au début des années 2000. Ce qui signifie qu’une salle de classe accueille un groupe d’élèves le matin et un autre l’après-midi, les enfants se rendent en classe 5 demi-journées par semaine. Cela concerne 57 % des enfants des 13 communes* contrôlées par la CRC. Pour pallier le manque de salles, le rectorat et les communes ont mis en place un dispositif nommé “les classes itinérantes” destiné à la scolarisation des élèves de petite section. Elle leur permet d’être scolarisé entre 3 et 15 heures dans un lieu en lien avec l’école dans l’attente de pouvoir intégrer une classe classique. La Chambre estime que “ce système permet certes à un plus grand nombre d’enfants d’accéder à l’école mais il n’est pas satisfaisant au regard de l’obligation de scolarisation des enfants dès l’âge de trois ans, notamment en raison du faible volume horaire.”
Des discriminations dans l’inscription à l’école
Faute de places, des communes “mettent en place des conditions d’inscription très discriminatoires”, observe l’institution, notamment à l’égard de ceux qui ne sont pas originaires de Mayotte. Une majorité de celles étudiées par la CRC restreignent les conditions d’inscription en multipliant les pièces nécessaires. Les pièces exigées sont au nombre de trois, un document justifiant l’identité de l’enfant, un autre justifiant de l’identité des responsables de l’enfant et un dernier justifiant de leur domicile. Ils peuvent aussi être remplacées par des attestations sur l’honneur. Certains maires notamment à Kani-Keli et à Tsingoni diligentent des contrôles menés par la police municipale pour vérifier les adresses et refusent les enfants ne résidant pas à l’adresse indiquée. La vérification du domicile est autorisée mais “elle ne peut pas faire obstacle à l’inscription de l’enfant”, soulignent les auteurs du rapport. Le carnet de vaccination ne fait pas non plus partie des documents nécessaires à l’inscription. Parmi les 13 communes de l’échantillon choisi, à l’exception de Pamandzi, toutes demandent des pièces supplémentaires, en plus de celles prescrites par la réglementation. Ces difficultés d’accéder à l’école se traduisent par la non scolarisation de 5.300 à 9.500 jeunes de 3 à 15 ans selon une étude menée par Gilles Séraphin, professeur à l’Université Paris-Nanterre.
La restauration et le périscolaire, des services presque inexistants
La mise en place de la restauration scolaire, un service facultatif, est très peu développée. Seuls 8 % des élèves du premier degré bénéficient d’un repas chaud le midi. Les autres ont accès à une collation distribuée à la récréation dont les qualités nutritionnelles sont “très insuffisantes”, remarque le rapport. Pourtant, il rappelle que “certains enfants ne bénéficient que d’un repas par jour servi à l’école.” Selon une étude de l’Agence régionale de Santé, “pour les 10 à 12 ans, 1 enfant sur 5 ne prenait en 2019 régulièrement qu’un repas par jour”. Le périscolaire, un service également facultatif reste “quasiment inexistant”, observe la Chambre. il se limite souvent à de la garderie. Il se heurte à l’absence d’espaces suffisants pour recevoir la totalité des élèves scolarisés et au manque de personnel qualifié.
Un nombre titanesque de salles à construire
Alors que le rectorat estime le déficit de salles de classe à 1.200, différents schémas directeurs anticipent “une augmentation du nombre d’élèves de 26 % entre 2021 et 2031, portant leur nombre à 72.990”, indique l’institution. Les communes de Mamoudzou et Koungou, les plus densément peuplées de Mayotte, illustrent les défis gigantesques qu’elles doivent relever notamment au regard de leurs capacités financières. “Pour mener à bien la construction des salles de classe nécessaires, elles devraient consacrer chaque année une somme équivalant à plus du double de l’ensemble de leurs dépenses d’équipement aux seules constructions scolaires”. Entre 2019 et 2022, les communes ont consacré 21 % de leurs dépenses d’équipement à leurs constructions scolaires, soit une somme
moyenne de 403 € par élève et par an. “Ces sommes sont très inférieures à la moyenne
nationale, qui s’élève, en 2022, à 646 € par élève”, remarque le rapport. La construction est aussi confrontée à la problématique pour trouver du foncier sur le territoire et à la situation financière globalement fragile des communes. Elles peuvent connaître des déficits chroniques de trésorerie, ce qui rend impossible le paiement des factures et qui conduit à l’arrêt des chantiers. “Ainsi à Acoua, le défaut de paiement de la commune a conduit les entreprises qui réhabilitaient les deux écoles de Mtsangadoua à déserter le chantier pendant près de deux ans”, illustre le rapport. Face au défi colossal de la construction du nombre de classe, la Chambre invite les communes à “ étudier le recours à des solutions alternatives comme par exemple la mise en place de modulaires”.
* L’étude de la CRC porte sur les communes de Koungou, Mamoudzou, Dembéni, Dzaoudzi-Labattoir, Pamandzi, Acoua, M’tsangamouji, Tsingoni, Chiconi, Chirongui, Bouéni et Kani-Kéli, Bandraboua.
Journaliste à Mayotte Hebdo et à Flash Infos Mayotte depuis juin 2024. Société, éducation et politique sont mes sujets de prédilection. Le reste du temps, j’explore la magnifique nature de Mayotte.