Diplomatie : le Département refuse de saisir la Cour internationale de Justice

Le Conseil départemental de Mayotte a tranché : ce mercredi, la motion déposée par Soula Said Souffou visant à solliciter l’avis de la Cour internationale de Justice (CIJ) sur le statut de l’île a été rejetée. Une décision motivée par la crainte d’ouvrir une boîte de Pandore diplomatique et juridique, alors que la question de Mayotte reste, depuis des décennies, au cœur d’un flou juridique international.

Le conseiller départemental de Sada-Chirongui Soula Said Souffou, également président du Mouvement pour le Développement de Mayotte (MDM), avait défendu une proposition audacieuse : demander au gouvernement français de saisir les Nations Unies pour obtenir un avis consultatif de la CIJ.

Dans un communiqué l’élu précisait son objectif : « Cet avis doit trancher sans ambiguïté la valeur du traité de 1841 face aux résolutions non contraignantes de l’ONU, et mettre un terme aux contestations comoriennes qui fragilisent Mayotte depuis trop longtemps. »

Pour Soula Said Souffou, la démarche aurait permis de clarifier définitivement le statut de Mayotte et de couper court aux revendications incessantes de l’Union des Comores, qui continue de considérer l’île comme partie intégrante de son territoire.

La peur d’une « arme à double tranchant »

Mais la majorité départementale n’a pas suivi. Pour le président du Conseil départemental, Ben Issa Ousseni, la démarche est trop risquée : « Quand on saisit des magistrats, personne ne peut prédire leur réponse exacte. »

Le chef de l’exécutif local insiste sur la nécessité d’agir avec une extrême prudence : « Nous avons demandé à ce qu’on nous donne les garanties nécessaires, qu’on ne s’engage pas sur une voie dangereuse pour le territoire. »

Le président appelle désormais à une large consultation des « experts du territoire », soulignant que la question ne concerne pas uniquement l’assemblée, mais l’ensemble de la population mahoraise.

Un vieux contentieux jamais refermé

La décision du Conseil départemental met en lumière une vérité inconfortable : le statut de Mayotte reste entouré d’ambiguïtés juridiques. Entre 1976 et 1994, les Nations Unies ont adopté une série de résolutions contestant la présence française sur l’île. Si depuis trente ans le sujet n’a plus été remis à l’ordre du jour à New York, il n’a jamais été officiellement clos.

Deux visions du droit international s’opposent :

  • La France s’appuie sur les référendums organisés dans l’archipel, notamment celui de 1974, où les Mahorais avaient massivement exprimé leur volonté de rester français. Paris invoque ainsi le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
  • Les Comores, elles, invoquent le principe de l’intangibilité des frontières issues de la décolonisation, selon lequel un État indépendant conserve les limites héritées de la colonisation. Selon cette interprétation, Mayotte, ancienne partie intégrante de l’archipel, aurait dû rejoindre l’Union des Comores à son indépendance en 1975.

Ce duel juridique, resté sans arbitre officiel, continue d’alimenter les tensions diplomatiques dans la région.

Des tensions ravivées dans l’actualité récente

Si la question semblait s’être éloignée des radars, plusieurs épisodes récents ont ravivé les crispations.

En avril dernier, lors du sommet des chefs d’État de la Commission de l’Océan Indien (COI), les Comores ont rejeté la demande du président Emmanuel Macron d’intégrer Mayotte dans les programmes de coopération régionale. Un camouflet diplomatique pour la France, qui souhaitait renforcer la place de l’île dans les échanges de l’océan Indien.

Quelques mois plus tard, début août, la polémique a resurgi lors des Jeux des jeunes de la CJSOI (Commission de la Jeunesse et des Sports de l’Océan Indien). Les athlètes mahorais se sont vu interdire de porter leur propre drapeau, décision qui a suscité une vive indignation sur l’île et au-delà.

Ces épisodes illustrent combien le statut de Mayotte reste une plaie vive, instrumentalisée dans les rapports diplomatiques et source de frustrations pour la population locale.

Entre identité, souveraineté et avenir

Au-delà du droit international et des débats diplomatiques, la question touche à l’identité même des Mahorais. Majoritairement favorables à leur appartenance à la République française, ils doivent composer avec un environnement régional où leur statut est contesté, et où chaque événement sportif, diplomatique ou culturel peut se transformer en affront symbolique.

Pour certains élus, comme Soula Said Souffou, il est urgent de mettre un terme à cette incertitude. Pour d’autres, comme Ben Issa Ousseni, mieux vaut préserver la situation actuelle, aussi imparfaite soit-elle, plutôt que de risquer une remise en cause par la plus haute juridiction internationale.

Un débat qui ne fait que commencer

Le rejet de la motion ne met pas fin au débat. Bien au contraire, il confirme que la question du statut de Mayotte reste un sujet sensible, à la croisée des chemins entre histoire, diplomatie et avenir du territoire.

Dans un contexte marqué par de fortes tensions sociales, migratoires et économiques, l’ombre du contentieux avec les Comores continue de peser sur les décisions politiques locales. Si l’assemblée départementale a choisi la prudence, la pression internationale et régionale pourrait, à tout moment, ramener le sujet au premier plan.

Mayotte reste ainsi suspendue entre deux mondes : française par la volonté de ses habitants, mais contestée sur la scène internationale. Une ambiguïté qui, tant qu’elle ne sera pas levée, continuera d’alimenter incertitudes et crispations.

Soldat
Journaliste

Soidiki Mohamed El Mounir, connu sous le nom de "Soldat", est une figure du journalisme mahorais. Après ses débuts à la fin des années 1980 au sein du magazine Jana na Léo, il participe à l’aventure du Journal de Mayotte, premier hebdomadaire de l’île, avant de rejoindre le Journal Kwezi. En 2000, il cofonde la Somapresse, société éditrice de Mayotte Hebdo et Flash Infos, contribuant ainsi à structurer et enrichir le paysage médiatique de Mayotte.

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