Ce samedi 10 mai, les autorités comoriennes ont lancé la réhabilitation du lycée Saïd Mohamed Cheikh à Moroni, un projet financé par la France. Si cette initiative vise à moderniser un établissement emblématique, elle suscite des critiques sur la dépendance persistante envers l’ancienne puissance coloniale, notamment à l’approche du cinquantenaire de l’indépendance des Comores.
La pose de la première pierre a eu lieu samedi, au lycée de Moroni, en présence du secrétaire général du gouvernement, Nour El-Fath Azali, du ministre comorien de l’éducation, Bacar Mvoulana ou encore du Directeur de cabinet du chef de l’Etat en charge de la défense, Youssoufa Mohamed Ali. En présence de l’ambassadeur de France aux Comores, Sylvain Riquier, toutes ces personnalités ont officiellement assisté au lancement des travaux de la réhabilitation du lycée Saïd Mohamed Cheikh. Le coût est évalué à 2,4 millions d’euros. Sont attendus selon l’inventaire 50 nouvelles salles, six laboratoires scientifiques, une bibliothèque, une salle informatique, des magasins. Dans son discours, le secrétaire général du gouvernement a dans un premier temps souligné combien ce lycée de référence regorge un pan de l’histoire des Comores. « Ce lycée n’est pas un bâtiment ordinaire mais un lieu de naissance de l’élite comorienne, un symbole de l’unité de notre nation. Il a accueilli des générations de jeunes venus des quatre îles de l’archipel. Aussi nombre de nos politiques, dont l’actuel chef de l’Etat, nos élites … sont tous passés par là. Ce lycée est bien plus qu’un établissement scolaire, il est un patrimoine vivant, un témoin vivant de notre histoire », a déclaré le fils aîné d’Azali Assoumani, chargé depuis juillet 2024 de coordonner l’action gouvernementale.
Affront à la souveraineté
Nour El-Fath a fait savoir que cette réhabilitation s’inscrivait dans la vision des autorités, laquelle place l’éducation au cœur de l’émergence de l’Union des Comores. Bâti durant la période coloniale, vers les années 1950, le lycée de Moroni est l’un des premiers établissements d’enseignement secondaire des Comores. Il fut d’abord école régionale, collège d’enseignement secondaire, avant de devenir lycée en 1963, selon l’enseignant d’histoire, Faridy Norbert, précisant que le premier baccalauréat a été organisé deux ans plus tard. Si le projet d’extension en soit est salué ici et là, le fait que ces travaux aient attendu la France pour les financer a soulevé une vague d’indignation, notamment chez de nombreux internautes. Pour la plupart d’entre eux, c’est une « faillite » de l’Etat comorien qui n’a jamais pris l’initiative de rénover son lycée de référence. « Dois-je verser des larmes amères ou m’arracher les yeux dans un cri muet. Après un demi-siècle d’indépendance, chèrement conquise, voilà que la France, sous les vivats complices des détenteurs du pouvoir, s’invite à rebâtir l’âme de notre capitale, le lycée Saïd Mohamed Cheikh, ce sanctuaire de mémoire et de lutte. Cette blessure vive, un affront à notre souveraineté », a déploré l’avocat et militant Abdoulbastoi Moudjahidi. D’autres citoyens ont exprimé leur indignation. « 50 ans d’indépendance. Voilà à quoi ressemble la souveraineté de notre pays, une honte bien sûr pour ceux qui sont capables d’en ressentir. Et on continuera à vouloir faire retourner Mayotte. Où justement car après tout on aura besoin de l’ancien colonisateur pour rénover les établissements scolaires pendant que les dirigeants mènent un train de vie qu’il suffirait de réduire pour résoudre les problèmes du pays », a dénoncé pour sa part Nadjlou Abdelfatah, chargé d’enseignement, lettres et sciences humaines à l’Université de Mayotte.
Plus de 50 établissements
Ces critiques se sont intensifiées surtout que l’Union des Comores va célébrer le 6 juillet prochain, ses 50 ans d’indépendance. A ce propos, une commission d’organisation du cinquantenaire de l’indépendance a été créée le 3 mai. C’est dire que l’événement revêt un aspect symbolique. Mais pour une partie de l’opinion, il est inacceptable de continuer à compter sur les partenaires étrangers pour construire les écoles publiques du pays, encore moins le lycée de Moroni, où est née la première révolution ayant conduit à l’indépendance. Comme s’il s’attendait à ce tollé, l’ambassadeur de France s’était empressé lors de la cérémonie d’appeler les gens à ne pas s’étonner que ça soit la France qui finance la réhabilitation du lycée de Moroni, via une entreprise malgache. « Il n’y a aucune raison d’y voir dans cette démarche autre chose qu’un acte de coopération entre les Comores et la France « , a déclaré Sylvain Riquier. A travers le projet d’amélioration de l’environnement scolaire, l’Agence Française de Développement (AFD) finance des travaux de réhabilitation et de construction de près d’une cinquantaine d’établissements publics, dont 70% dans le milieu rural, sur l’ensemble des îles indépendantes. Lancé en 2021 et doté d’une enveloppe de 21,9 millions d’euros, le projet prendra fin en 2026. Près de 10 établissements ont déjà été remis aux autorités comoriennes, pendant que 14 autres chantiers sont en cours. Cet appui de Paris rentre dans le cadre des accords-cadres signés en 2019 entre Emmanuel Macron et Azali Assoumani.
Journaliste presse écrite basé aux #Comores. Travaille chez @alwatwancomore
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